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Article de revue

Vers un nouveau partenariat avec le public

La critique des salons de peinture entre malaise et lucidité (1880-1914)

Pages 11 à 30

Notes

  • [1]
    Constance Naubert-Riser, « La critique des années 1890. Impasse méthodologique ou renouvellement des modèles théoriques ? », in Collectif, La critique d’art en France. 1850-1900, Université de Saint-Étienne, CIEREC, travaux LXIII, mai 1987.
  • [2]
    Michael Zimmermann, La crise de l’Impressionnisme et l’autonomie de l’art. Le discours sur l’art et l’avènement de la république, Mémoire de maîtrise, Paris, Université de Paris IV, 1983.
  • [3]
    Arsène Alexandre, « Le salon de 1890 », la Gazette des beaux-arts, 24 mai 1890. Arsène Alexandre (Paris 1859-1937) a fait ses études à Versailles et a écrit quelques romans, mais très vite s’est intéressé aux nouveautés artistiques et à la presse. Il a écrit dans le Voltaire et l’Éclair, a fréquenté les milieux artistiques de Montmartre. Il a fondé le Rire en 1894, un journal satirique illustré pour lequel il a sollicité la collaboration de Toulouse-Lautrec. Il a collaboré à la Revue de l’époque et à l’Art français, il est également entré en 1895 au Figaro pour la rubrique des Salons. Particulièrement attentif aux nouveautés picturales, il a défendu les impressionnistes, les indépendants et, réticent sur le pointillisme, il s’est passionné pour le japonisme et les recherches des nabis et de Cézanne. En 1903, il a participé à la fondation du Salon d’automne et, de 1908 à 1913, est devenu conservateur du château de Compiègne, puis inspecteur des Beaux-Arts.
  • [4]
    Gustave Geoffroy, « Préface du Salon de 1893 », in Catalogue illustré du Salon, Paris, Baschet, 1893.
  • [5]
    « Nous avons méconnu notre rôle, nous nous sommes exagérés notre importance et, pour avoir voulu trop prouver, nous ne prouvons plus rien du tout […] Les lecteurs fatigués de nos partiales tirades, refusent de s’en encombrer l’esprit. Nous avons beau les solliciter, leur crier nos préférences, vouloir leur imposer nos écoles, ils ne nous croiront plus, persuadés que l’art, avec ses émotions simples et sans détours, est le moindre de nos soucis » (Gérard de Beauregard, « Causerie », l’Art français, 24 avril 1897).
  • [6]
    Robert de la Sizeranne, « Les portraits d’hommes au Salon », Revue des Deux Mondes, 1898, p. 632. Robert de la Sizeranne (1866-1920), né à Tain d’une famille de noblesse provinciale de la Drôme où sa famille possédait une gentilhommière, il a fréquenté dès sa jeunesse la haute société. Il se partageait entre ses voyages et la vie à Paris où il habitait avenue de Breteuil, en face des Invalides. Esthète et voyageur, il a écrit une vie de Ruskin et s’intéressait suffisamment à l’art pour collaborer longuement à la Revue des Deux Mondes entre 1890 et 1914 dans les rubriques des Salons.
  • [7]
    Citons Arsène Alexandre, séduit par le génie de Toulouse-Lautrec, par les impressionnistes, par les Nabis, Émile Bernard, membre du groupe de Pont-Aven et en relation avec Sérusier et Gauguin, Ernest Chesneau passionné d’art japonais et amateur de Degas et de Sisley, tout comme Louis Fourcaud ou Paul Eudel qui ne dédaigne pas les nouveaux peintres dans ses collections, ainsi que Félix Fénéon. La liste est longue et révélatrice d’une réelle conscience des nouveautés et des changements.
  • [8]
    C. Naubert-Riser, « La critique des années 1890 », loc. cit., p. 193-205.
  • [9]
    R. de la Sizeranne, « Les portraits d’hommes au Salon », art. cit.
  • [10]
    Michael Orwicz, « Confrontations et clivages dans les discours des critiques du Salon 1885-1889 », in Collectif, La critique d’art en France, op. cit., p. 178.
  • [11]
    Nicole Dubreuil, « Les métaphores de la critique d’art en France… », ibid., p. 106.
  • [12]
    « Le critique ne doit ni précéder la foule, ni la suivre […] mais il doit partager ses joies, ses émotions, ses enthousiasmes, ses défiances, ses emportements même, quitte enfin à retrouver son sang-froid et à tâcher, si le public s’égare de la remettre dans le droit chemin » (Paul Mantz, le Temps, 1er mai 1882). Paul Mantz (1821-1895), né dans la bourgeoisie bordelaise, a fait des études de droit à Paris et a poursuivi également des études d’art. À 23 ans, il a débuté une carrière de journaliste dans l’Artiste dont il est devenu le rédacteur en chef de 1849 à 1852. Il a collaboré à la Revue de Paris et à la Revue française et a rédigé en 1857 un de ses premiers comptes rendus du Salon. Ami de Charles Blanc, il a tenu entre 1859 et 1872 la critique des Salons dans la Gazette des beaux-arts, mais, surtout, il est devenu le spécialiste des Salons dans le Temps de 1873 à 1890. Parallèlement il s’est consacré à l’histoire de l’art, comme en témoignent de nombreux ouvrages : collaboration à L’histoire des peintres de toutes les écoles de Charles Blanc (1861-1876), à L’inventaire général des richesses d’art de la France, à la Grande Encyclopédie (1885-1905). Mais il rédige surtout des monographies de peintres et commence la rédaction d’une vaste histoire de La peinture française du ixe au xixe siècle (inachevée).
  • [13]
    « [L’art] adulé en son temps, fustigé injustement aujourd’hui, [donne lieu à des] appréciations toujours excessives [qui] montrent à l’évidence que chaque époque a sa définition du Beau et que le goût esthétique a sa propre histoire sociale » (Monique Segré, L’art comme institution. L’École des Beaux-Arts. xixe-xxe siècles, Cachan, Éd. de l’ENS-Cachan, 1993, p. 91).
  • [14]
    Michel Seuphor, Le commerce de l’art, Paris, Desclée de Brouwer, 1966, p. 17.
  • [15]
    Janillon, l’Univers illustré, 1883, p. 278.
  • [16]
    Gustave Haller, Le Salon. Dix ans de peinture, I, Paris, Calmann-Lévy, 1902, p. 185. G. Haller, pseudonyme de madame Gustave-Eugène Fould, née Wilhelmine-Joséphine Simonin, était actrice et pensionnaire de la Comédie française sous le nom de mademoiselle Valérie. Sous ce pseudonyme, elle s’est consacrée assez tôt à l’écriture et au théâtre avec quelques comédies comme Le médecin des dames en 1870, puis, après la mort de son mari, s’est intéressée surtout à l’art et a publié en 1899 Nos grands peintres et, en 1902, Le Salon. Dix ans de peinture, nous donnant ainsi un des seuls témoignages féminins sur cette manifestation.
  • [17]
    M.H. Fouquier, « La vérité sur le Salon », Gil Blas, 1886, p. 41.
  • [18]
    Robert de La Sizeranne, « Les portraits de femmes aux Salons », Revue des Deux Mondes, 1902.
  • [19]
    « Le Salon de peinture », l’Univers illustré, 1896, p. 346.
  • [20]
    L’Art français, 24 mai 1890.
  • [21]
    Ibid.
  • [22]
    Ary Renan, « Le salon de peinture », le Temps, supplément du 29 avril 1893.
  • [23]
    Paul Mantz, le Temps, 6 mai 1883.
  • [24]
    Gustave Ollendorff, « La peinture au Salon de 1885 », Revues des Deux Mondes, III, 1885, p. 909.
  • [25]
    « Les jeunes peintres deviennent, du premier coup, pour un an ou deux, des grands hommes dans les gazettes, chez leur concierge et quelques marchands » (Georges Lafenestre : « Le Salon de peinture », Revue des Deux Mondes, 1890, p. 650). Lafenestre (1833-1919), né dans une famille de la bourgeoisie d’Orléans, a fait à Paris des études de droit, mais s’est intéressé à la poésie. Il a écrit Les espérances en 1864, a fréquenté des artistes à Florence et est devenu en 1870 attaché au cabinet du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts. Il a été secrétaire du jury des Beaux-Arts en 1878, à l’exposition universelle. En 1886, il est devenu conservateur-adjoint du musée du Louvre et parallèlement a donné des cours au Collège de France et à l’École du Louvre. En même temps, il a écrit des critiques d’art dans de nombreuses et prestigieuses revues (la Gazette des beaux-arts, Revue des Deux Mondes, la Revue de Paris, etc.) essentiellement sur les Salons, tout en poursuivant une petite carrière de poète et d’écrivain. En 1892, il est devenu membre libre de l’Académie des Beaux-Arts. Ses critiques des Salons, en particulier de 1879 à 1888, donnent de précieux renseignements sur les évolutions de la peinture, mais également sur les comportements des visiteurs.
  • [26]
    Roger Ballu, Une vie d’artiste, Paris, Baschet, 1885, p. 261. Après des études classiques, Roger Ballu (Paris, 1852-Gournay 1908) s’est intéressé à l’art et à la politique. Il est entré dans l’administration des Beaux-Arts et est devenu inspecteur général et commissaire de diverses expositions, mais il a été révoqué en 1901 pour des raisons politiques. Maire de Gournay-sur-Marne et conseiller général du canton du Raincy, il a été élu député républicain libéral dans la deuxième circonscription de Pontoise, après une première invalidation du suffrage le 10 août 1902. En dehors de sa carrière politique, il a écrit sur l’art : Le Salon de 1878, L’art et les concours (1879), Les artistes contemporains (1877), La peinture au Salon de 1880, Une vie d’artiste (1885), etc.
  • [27]
    M. Guyau, L’art au point de vue sociologique, Paris, Felix Alcan, 1909, p. 71.
  • [28]
    H. et C. White, La carrière des peintres au xixe siècle, Paris, Flammarion, 1991, p. 59.
  • [29]
    Le Siècle, 30 avril 1898.
  • [30]
    « Jadis, comme ce jadis est près de nous ! les critiques ont eu un moment d’émoi, de vie surexcitée : on poussait des cris d’alarme, on parlait d’excommunication majeure, on lançait la grande imprécation aux nouveautés pernicieuses, on voyait l’avenir en noir ; on craignait l’anarchie, l’hérésie […] et les bons critiques montaient la garde toute la nuit. Maintenant, le danger est écarté ; le méchant cyclone a pris une autre route » (Ary Renan, le Temps, supplément du 29 avril 1893).
  • [31]
    Robert de la Sizeranne, Revue des Deux Mondes, 1898, p. 632.
  • [32]
    Georges Lafenestre, Revue des Deux Mondes, 1888, p. 642.
  • [33]
    Paul Mantz, le Temps, 6 mai 1883.
  • [34]
    Robert de la Sizeranne, Revue des Deux Mondes, 1903, p. 665.
  • [35]
    Clément Janin, le Siècle, 14 avril 1910.
  • [36]
    Robert de la Sizeranne, Revue des Deux Mondes, 1898, p. 611.
  • [37]
    Ibid., p. 612.
  • [38]
    L’Univers illustré, 1883, p. 262.
  • [39]
    Le Temps, supplément du 9 mai 1893.
  • [40]
    M. Seuphor, op. cit.
  • [41]
    Ainsi, en 1898, l’article de Robert de la Sizeranne dans la Revue des Deux Mondes fait apparaître un partenariat surprenant avec le public à propos du Balzac de Rodin. Là, le critique se retranche derrière le public, en fait un bouclier contre « tout ce qui compte », à savoir les modernistes qui admirent le Balzac : « Le public presque tout entier, bien loin de ratifier le jugement, l’infirme par ses exclamations » écrit-il, utilisant à son profit la vieille notion, insolite dans le domaine artistique, du bon sens public et, presque, celle du vox populi, vox dei, pour se protéger du mépris des nouveaux iconoclastes et pour retrouver confiance en sa propre valeur en prenant la responsabilité d’« oser dire » son opinion.
  • [42]
    Marie-Claude Genet-Delacroix nous rappelle que « le rôle dévolu à l’écriture est évidemment central : elle conditionne non seulement le jugement porté sur l’œuvre mais aussi sur sa valeur esthétique, historique ou vénale ». Plus loin, elle ajoute que « l’œuvre est dès lors perçue moins en objet concret, fruit d’une technique précise, qu’en objet conceptualisé comme produit d’un travail rhétorique et idéologique » (M.-C. Genet-Delacroix, « Écriture sur l’art et mythe de l’union des arts », Romantisme, LXIX, 1990, p. 17-18).
  • [43]
    C. Naubert-Riser, loc. cit., p. 199.
  • [44]
    En 1883 Janillon, dans l’Univers illustré, insiste sur cet aspect : « J’ai employé à dessein le mot littérature car il me semble que l’art du salonnier relève de la littérature plus encore que de l’esthétique ». Beaucoup plus affirmatif, Émile Michel écrit : « La critique d’art elle-même occupe une place importante dans la littérature contemporaine », tout en s’empressant de rappeler les principaux reproches que l’on fait à la critique en raison même de ses fondements littéraires (É. Michel, « La critique d’art et ses conditions actuelles », Revue des Deux Mondes, 1904, p. 73). Cette conscience est assez répandue à l’époque et finalement peu originale puisque c’est là, depuis plusieurs siècles, une des polémiques entre artistes et critiques : « la plume contre le pinceau », écrit encore Robert de la Sizeranne en 1898. Comme je l’ai dit, de nombreux ouvrages ont étudié cet aspect de la critique, entre autres celui dirigé par Joseph-Marc Bailbé, La critique. Un genre littéraire (Paris, Puf, 1983), ainsi que de nombreux articles dans Romantisme.
  • [45]
    É. Michel, ibid. p. 71. Émile Michel (Metz 1828-) a fait des études classiques et a pris des cours de mathématiques à Paris tout en suivant des cours de peinture à Metz. Paysagiste, il a exposé à partir de 1853 au Salon, et il a été élu membre libre de l’Académie des Beaux-Arts en 1892. Parallèlement à sa carrière de peintre, il a écrit des critiques dans la Gazette des beaux-arts et dans la Revue des Deux Mondes.
  • [46]
    Gustave Geoffroy, l’Art français, 1894.
  • [47]
    É. Michel, art. cit., p. 80 et 91.
  • [48]
    Ibid., p. 91.
  • [49]
    L’Art et l’enfant. Revue bimestrielle des amateurs de jouets et jeux artistiques anciens, 1908-1910, p. 11.
  • [50]
    L’Univers illustré, 1883, p. 262.
  • [51]
    M. Orwicz, loc. cit., p. 178.

Les apparents « malaises » de la critique

1Le rôle du critique est de faire un discours sur un objet peint s’adressant au public. Ce discours contient un message dont l’objectif n’est pas toujours seulement artistique. Il a également un destinataire individuel, l’artiste, ou collectif, le public. Longtemps, les critiques ont été en quelque sorte les relais de l’Académie des Beaux-Arts, jugeant et condamnant selon les mêmes critères. Ils étaient écoutés du public et d’un grand nombre d’amateurs d’art. Mais à partir de 1850, les nouveaux courants de peinture qui bravent l’académisme, la fréquentation croissante des salons et des expositions, la représentation des œuvres dans les revues et les journaux (surtout après 1880 avec les photogravures), les marchands de tableaux et les collectionneurs qui découvrent et apprécient la modernité, rendent les discours « officiels » et surtout les jugements des critiques professionnels plus aléatoires. À la fin du siècle, plus que jamais le critique est un observateur de la société ; dans tout critique, ou presque, sommeille un romancier ou, au moins, un conteur comme le dit Constance Naubert-Riser [1]. Mais de cette observation même naît un questionnement sur sa raison d’être, sur la réalité de son autorité sur le public qu’il faut reconsidérer à la lumière des nouveautés. Étudier les raisons du malaise de la critique entre 1880 et 1914 permet d’analyser les évolutions artistiques et sociales ainsi que la création de nouveaux rapports entre le public, l’artiste et « l’observateur professionnel ».

2Un très long article de Robert de la Sizeranne dans la Revue des Deux Mondes, « Notre époque jugée d’après les Salons de 1914 », illustre bien cette conscience de la représentation de soi et de la société qu’élabore l’art. Il y aborde le rôle du critique, qui certes présente cet art, mais aussi ses rapports avec le public et plus généralement la façon dont ses contemporains se font représenter pour le futur.

3Robert de la Sizeranne – même quand il imagine les réactions des hommes du futur – s’adresse en fait à ses contemporains, à ceux-là même qui sont représentés au Salon ou bien qui le visitent. Ses constatations, ses remarques sont autant de réflexions voulues sur ce que représente cette peinture et non pas cette fois sur la technique. Il veut communiquer avec ses contemporains pour les amener à une réflexion sur la représentation de leur propre société, de leur quotidien.

4De tels textes sont des aubaines pour l’historien puisqu’ils lui révèlent une réflexion consciente sur le système de représentation d’une société que peut être la peinture, en dehors de considérations purement artistiques et esthétiques. Dans ce cas, le critique n’est plus spécialiste d’art, il est écrivain, réfléchissant sur ses contemporains, sur son milieu, et demandant à ceux-ci de participer à sa réflexion.

5C’est d’ailleurs cette réflexion qui a probablement amené les critiques à une remise en cause de leur fonction. Le discours du spécialiste n’est plus suffisant car l’évolution de l’art et de la société a poussé le critique dans ses retranchements. Le spécialiste devient plus modeste face à un art en mutation, mais également à une société en phase de démocratisation. En fait, la critique d’art connaît sinon une crise, au moins un malaise profond et durable surtout à partir de 1880 [2] comme en témoignent les longues considérations dans les rubriques des Salons.

6À la fin du xixe siècle, les changements et les évolutions de la société se sont répercutés dans l’art et dans ses formes de transmission au public. Artistes, public et critiques fréquentent les expositions et les salons dissidents, mais restent encore attachés aux Salons annuels pour lesquels les critiques développent un discours à trois dimensions, artistique, littéraire et sociale.

7Jusqu’en 1890 environ, ces digressions portent sur la nouvelle organisation des Salons, le désengagement de l’État et l’analyse plus ou moins positive du Salon par rapport aux autres expositions. À partir de 1890, c’est la critique qui a tendance à s’interroger sur son rôle comme en 1890 [3], en 1894 [4], en 1897 dans l’Art français[5], en 1898 et en 1904 dans la Revue des Deux Mondes, en avril 1901 dans le Figaro, pour ne citer que les articles les plus importants.

8L’exagération de son importance est pour le critique le défaut majeur. Sa connaissance de la peinture lui a longtemps fait croire qu’il lui était permis de juger et de condamner. Dans les années 1880, cette position n’est plus possible car le critique doit se souvenir que son pouvoir « est une magistrature qu’un écrivain s’attribue à lui-même et que le public lui confirme [6] ». Jusque dans les années 1850, le critique semble exercer une magistrature autoritaire, celle que donne le savoir de l’Académie, mais après la bataille de l’impressionnisme il en va autrement. Les critiques ne se sont-ils pas trompés, puisque Manet dès 1861 et Renoir en 1879 entrent au Salon ? Ne doivent-ils pas être prudents désormais dans leurs analyses ?

9L’évolution de la critique dans sa généralité s’est faite avec un temps de retard sur la société et sur l’art, en tout cas en ce qui concerne la réception de l’art non académique. Cela ne signifie en aucun cas que la critique soit réactionnaire à la fin du siècle. La plupart des critiques que j’ai étudiés sont tout à fait conscients de l’évolution de l’art et beaucoup d’entre eux sont séduits par les nouveautés [7]. Pourtant un véritable débat existe au sein de la critique, ou plus exactement un questionnement, révélateur par son existence d’une évolution générale, autant sociale qu’artistique. La problématique ne semble plus vraiment concerner la nature de la peinture, toutes proportions gardées, mais bien plutôt les formes des manifestations artistiques, c’est-à-dire les Salons eux-mêmes et surtout le rôle et l’existence de la critique qui, après avoir été pendant longtemps le censeur associé à l’Académie doit trouver des bases nouvelles et plus crédibles dans une société où ni le public, ni les artistes n’acceptent sans conditions son verdict [8].

10Avec le problème du Salon se pose donc celui de la critique. L’autorité du premier avait dominé l’art jusqu’au milieu du xixe siècle, celle de la critique en avait été d’une certaine façon l’expression par rapport à un public plus docile et moins nombreux. Finalement, à la magistrature de l’Académie s’associait celle de la critique. Ces deux situations sont largement dépassées à la fin du siècle, et s’il existe une remise en cause des Salons, il y a aussi un problème d’identité de la critique. Après une période d’hostilité aux innovations, elle est entre 1880 et 1914 un témoin complet des malaises, des changements et des évolutions, à la fois de l’art, de la société, et des manifestations qui les relient. Elle doit redéfinir la notion de magistrature et accepter un tournant démocratique. Le fait même de dire que le public doit confirmer la fonction du critique [9] montre bien la prise de conscience des changements profonds des rapports entre l’artiste et le public, l’artiste et le critique, le critique et le public.

11Le discours critique n’est pas uniquement consacré à l’esthétique, mais s’inscrit bien dans des perspectives plus vastes, celles qui font du public un interlocuteur finalement privilégié, de l’artiste un partenaire dans le débat, et de la société le champ d’action fondamental ainsi que le signale Michael Orwicz quand il précise que le critique organise « intertextuellement son discours, en le faisant fonctionner précisément par rapport au discours de “l’autre” et non par rapport à l’œuvre d’art [10] ». Ce sont justement les rapports avec le discours de « l’autre » qu’il nous faut cerner, cet autre qui a provoqué les interrogations du critique sur son rôle et sur ses valeurs, qui n’est plus le même, puisque d’une minorité éclairée, il semble être devenu un large public avec lequel il faut obligatoirement compter.

12C’est en ce sens que le profond malaise dans la critique est incontestable. La remise en cause de leur fonction se fait le plus souvent de façon implicite ou détournée. Elle se révèle surtout dans les questions qu’ils se posent sur les changements esthétiques mais également sur ceux de la société responsable des évolutions et de leurs conséquences sur l’art [11]. Ils doivent se repositionner par rapport à des lecteurs et à des amateurs dont les références et les demandes ont changé. Ce malaise est d’autant plus instructif pour nous qu’il révèle une certaine réalité de « l’autre », c’est-à-dire du public, de ses demandes, de ses rejets [12]. Le critique n’est plus seulement attentif à l’œuvre mais au public qui la regarde et avec qui il doit dialoguer au lieu d’imposer. Aussi le discours n’est-il plus seulement une analyse technique et esthétique des œuvres, mais se présente comme un kaléidoscope d’impressions, de jugements sur le sujet même du tableau, le public présent, les différents comportements des artistes par rapport à l’évolution de la société. Le compte rendu des œuvres n’oublie pas d’évoquer la troublante réalité contemporaine bien au-delà de la technique et de la peinture. Les propos sont souvent sociologiques et moraux. Le critique perçoit l’évolution de la société par ce qu’elle provoque dans la peinture, même la plus conventionnelle. Le mépris du xxe siècle pour l’art des Salons a trop sclérosé l’analyse des impressions de l’époque [13].

13Si le terme de malaise peut surprendre et s’avère faux en ce qui concerne les rapports entre le critique et les nouveautés picturales, il s’applique à la conception que le critique a de sa fonction. La déstabilisation provient de trois éléments : un monde sans règles, la soumission à la mode, enfin la facilité souvent associée aux effets secondaires de la démocratie.

La fin des règles et des écoles

14Tout en étant conscients des changements picturaux, tous les critiques en recherchent les raisons profondes. Leur intérêt va bien au-delà de la peinture, il entre dans le cadre d’une justification de leur comportement antérieur [14]. La prise de conscience va amener une longue réflexion où vont se côtoyer les condamnations, les accusations contre les artistes et la société représentée par le public, mais aussi une réelle prise de conscience et une adhésion aux changements.

15La plupart des critiques, tout en admettant l’existence d’artistes de génie qui innovent et souvent imposent leur vision du monde, constatent de plus en plus une influence sociale sur l’art, sur celui des Salons en particulier, cette influence que le critique n’a pas toujours su ou voulu saisir et accepter. Les désordres du monde artistique sont les reflets même du monde vécu [15]. Dans les années 1880-1900, la critique insiste particulièrement sur ce phénomène ; la société semble avoir bousculé l’art, elle en a détruit les fondements académiques et les cadres séculaires. Aussi trouvons-nous deux concepts de l’art : à une vision idéale d’un art « asocial», moralisateur et purificateur, intemporel (auquel se rattache la critique professionnelle) s’est juxtaposée et même imposée la mode qui prend ses racines dans le social, le quotidien, le changeant.

16Ces constatations sont au cœur du discours critique : la première fait de l’art une chose isolée et pure, soumise à des règles et à des écoles qui le garantissent des « divagations des pinceaux guidés par des esprits surchauffés ou vidés [16] », la seconde évoque la perte des points de repère, ainsi que le constate simplement Fouquier en 1886 : « On ne trouve plus chez les artistes ni idée commune, ni formule générale, ni tradition d’écoles, ni conception de l’art. Un jury, sans doctrine, livre des centaines de tableaux d’une diversité singulière, à un public sans opinion [17]. » L’art convaincu et durable n’est autre que celui que le temps, « ce collaborateur sans lequel on ne réalise pas de beauté [18] », consacre, celui que la tradition, grâce aux écoles, transmet en dehors des turbulences de la société, celui qui semble immuable, indépendant du goût et de la mode.

17L’idée de « dépravation littéraire et artistique [19] » est très souvent associée à la fin des règles, des écoles, parfois même d’une « morale » artistique, non pas parce que l’évolution est refusée, mais plutôt parce qu’il semble que, pour les artistes et surtout pour les critiques, il ait été plus facile de s’inscrire dans des cadres sécurisants, à la fois reconnus et stables, alors que désormais la voie est celle de l’incertitude [20]. Résister ne sert à rien, car même si « l’Art académique, qui défend désespérément ses dernières positions, oppose des troupes aguerries aux jeunes légions de l’indépendance […] Celles-ci, il faut bien en convenir, gagnent du terrain [21] ».

18Ces constatations sont également l’occasion de montrer un autre aspect des bouleversements que connaît la société. « Le siècle en déclin [22] » est rendu responsable des divagations de l’art. Robert de la Sizeranne fait une association fréquente pendant cette période entre désordre « social » et désordre « artistique », exprimant l’opinion d’une partie de la critique et du public. Le siècle en déclin explique la destruction des écoles, synonymes d’effort, cela permet de constater les digressions artistiques, d’en donner une explication peut-être facile, mais partagée par la majorité des témoins de l’art.

19En revanche, un nombre important de professionnels est fasciné par les nouveautés et ne ressent pas un malaise aussi intense. Paul Mantz, par exemple, montre un enthousiasme plus grand pour ces changements : « le principe d’autorité est plus que malade, il est enterré [23] ». Pour lui, ce foisonnement est source de richesse, peu importe la fin du principe d’autorité, bien au contraire. En cette fin de siècle, la réalité n’est plus une, elle se démultiplie, brisant les cadres de la tradition. Les critiques ne font que constater le même phénomène pour la peinture, même celle très « officielle » des Salons. Fascinés ou nostalgiques, ils notent la disparition de la continuité historique dans la peinture, celle que transmettaient les écoles de peinture par un enseignement qui s’inscrivait dans la tradition et dans la durée : forme de sécurité séculaire transmise par les anciens, source de sagesse et de pérennité. Ces propos ne sont pas des condamnations, ils sont des éléments d’explications à la fois des curiosités picturales, des changements, des outrances, tout simplement des recherches, mais aussi comme une manifestation du malaise du critique devant la profusion des œuvres.

La mode, source d’insécurité et de perte du goût

20Plus importantes sont les remarques sur la mode que l’on oppose au respect des règles et que l’on rend responsable de la dépravation de l’art. De telles remarques englobent la peinture, l’artiste et la société : comment l’art pourrait-il avoir des « règles » quand la société se perd dans un désordre économique, politique et social ?

21La mode est source de méfiance, parce qu’elle est capricieuse et éphémère. Parfois, elle est l’expression du mal vivre, mais le plus souvent de l’émotionnel incontrôlé et a pour conséquence de soumettre l’artiste à la fantaisie et au transitoire. La double perception de l’art se confirme : il est une valeur aussi profonde et durable que la morale ou l’ordre social, quand il ne se soumet pas aux caprices du transitoire. En dénonçant la mode, en la rendant responsable des divagations des artistes, les critiques nous donnent des renseignements supplémentaires sur le grand public et sur son influence sur les représentations picturales.

22La conséquence de la mode, c’est non seulement la perte d’un art durable dans le temps, dont les règles sont intemporelles et fondatrices du Beau, mais c’est surtout l’introduction du commercial dans le temple de l’art [24]. L’importance commerciale des Salons est incontestable, ils restent une des « clefs du marché », selon Jean-Paul Bouillon. La mode est associée à cet aspect mercantile ; elle est la source de l’avilissement des peintres parce qu’elle permet des succès faciles [25]. Avec elle, la création artistique est dénaturée.

23Aussi, derrière le mot « mode », faut-il saisir tous les non-dits, à savoir ce que les goûts d’un public de plus en plus nombreux peuvent provoquer dans la représentation de la société par les artistes, artistes soumis aux jugements de la foule, mais surtout à ses demandes et à ses ressources. N’y a-t-il pas, derrière ce mot, une façon de dire aux peintres qu’ils se soumettent, pour de l’argent, aux goûts du public ? À la fin de notre période, les critiques deviennent plus directs. Le mot « bazar » est associé à la vénalité et au commerce ; c’est une autre expression pour parler d’une mode destructrice, celle qui provoque l’avilissement de l’art par une forme honnie de vulgarité. Le vulgaire, c’est avant tout le commercial, ce qui témoigne le plus fortement dans l’art de l’avilissement d’une époque qui n’a pas su protéger ses représentations les plus nobles (l’art) des exactions des marchands, véritables philistins des temps nouveaux, utilisateurs de l’ignorance des foules. À cela beaucoup de critiques opposent l’éternité d’un art indépendant de l’évolution mercantile de la société. Mais la liberté doit également triompher du mercantilisme ; elle s’exprime dans la recherche personnelle de l’artiste qui, ainsi, transcende le quotidien. Le critique explique également cette fréquente soumission à la mode par l’évolution générale de la société. L’artiste est entraîné dans le tourbillon de ce siècle par les effets de l’argent sur l’art. Ainsi, dans son roman Une vie d’artiste, Roger Ballu exprime cette opinion amplement partagée selon laquelle le mépris va plus à l’artiste qui se soumet qu’au marchand dont le rôle est de faire des affaires [26]. Mais si l’argent corrompt l’artiste, c’est aussi parce que le nouveau système démocratique de la société l’a facilité.

Les effets de la démocratie

24En présentant la mode « médiocre, confuse, grossière, excentrique », comme source de banalité, d’ordinaire, de perte de goût, les critiques l’évoquent aussi comme la conséquence des bouleversements provoqués par la démocratie. Certains critiques le disent clairement, comme dans le Temps ou le Petit Journal. La démocratie et le suffrage universel ont, bien sûr, transformé la donne politique, mais surtout sociale. Dès lors s’est établi un décalage entre les témoins professionnels de l’art et un certain public qui, en s’élargissant, est moins difficile parce que moins connaisseur, plus soumis à son plaisir immédiat, source d’« altérations », d’« excentricités », d’« inutilités » [27].

25Cela ne signifie en aucun cas une condamnation de la démocratie politique. C’est plutôt la surprise de l’entrée d’une masse incontrô­lable et encore ignorante dans un domaine considéré comme hors du temps, hors du « vulgaire » au sens le plus originel du terme, réservé à l’élévation de l’âme par un processus initiatique. L’art n’échappe même pas à ce qui touche la société entière. La réalité de la démocratie dans la vie sociale et quotidienne implique que la foule, le public, sont en train de détruire les privilèges de l’esprit et de la connaissance. Comme toute révolution perçue par les « élites » – ici les critiques –, cela ne peut passer que par la platitude et le banal d’un quotidien sans intérêt. La constatation n’implique pas, pour la plupart, la condamnation de ce nouveau système, mais oblige à une adaptation aux changements si importants provoqués par le développement d’un public plus large. Souvent les visions dépendent du goût des critiques eux-mêmes, de leur ouverture artistique et de leurs modèles sociaux.

Une critique en mutation, à la recherche de sa raison d’être

26Les éléments que nous venons d’étudier montrent davantage une prise de conscience et une lucidité de la part de la critique devant la fin d’un monde et d’un système qu’une hostilité pour ce qui doit arriver dans ce proche xxe siècle. C’est le vertige de l’humanité devant sa propre évolution. La société est tiraillée, l’évolution de la critique en est une des manifestations. La critique ne se comporte plus comme dans les années 1850. Son apparent découragement est plutôt une remise en question et une analyse de son nouveau rôle devant les évolutions constatées même si parfois « on peut se demander si tous les historiens et critiques d’art se sont réellement débarrassés des séquelles d’un tel système, conçu pour répondre aux besoins des acheteurs hauts placés [28] ».

27La critique se contemple et s’analyse en même temps qu’elle analyse l’art et le public. Rien n’est plus totalement tranché, mais cela permet au contraire à ces professionnels de réfléchir sur leur devenir : conscients des nouveautés, ils sont désormais plus des témoins que des censeurs [29], et vont établir de nouveaux rapports avec le public, d’abord par une modestie plus grande, mais aussi en cherchant une crédibilité et en redéfinissant leurs compétences pour acquérir, peut-être, un rôle éducateur et, d’une certaine façon, pour retrouver leur autorité.

L’acceptation des nouveautés

28L’hostilité et la virulence sont toujours présentes dans les analyses et les jugements portés sur certaines œuvres. À l’époque de l’impressionnisme, cette conception de leur rôle (celui de juge) avait poussé une grande partie de la critique à jeter des anathèmes sans appel sur les nouveautés artistiques et l’avait donc induite en erreur [30]. Désormais ces anathèmes, quand ils sont lancés, apparaissent davantage comme des sentiments personnels que comme des verdicts sans appel ; ainsi Robert de la Sizeranne l’affirme-t-il en 1898 en énonçant clairement un sentiment globalement partagé par la critique et par le public : « Nous ne prétendons imposer sur [l’esthétique], pas plus que sur tout autre objet, notre sentiment à personne [31]. » Ce changement par rapport au public et à ses jugements est très souvent associé à un comportement plus ouvert par rapport aux nouveautés artistiques [32]. « Tout est permis, et c’est là ce qui rend la situation si intéressante », déclare déjà avec enthousiasme Paul Mantz en 1883 [33]. Dix ans plus tard, le supplément du 9 mai 1893 du Temps développe cette même idée avec plaisir : « On aime le laisser-aller de bonne foi, la tentative sans morgue, l’indécision du talent qui se cherche, l’exploration hardie, et surtout l’indépendance ». Cette liberté laissée à la création exerce finalement une fascination, même si elle permet des outrances ou, pire, des dépravations. Les Salons eux-mêmes n’en sont pas dépourvus, ils ne sont plus uniquement les gardiens de l’académisme.

29Globalement, la critique montre une conscience remarquable des nouveautés, même si elle déplore parfois « les tentatives bruyantes » et les « prologues d’un nouvel art ou d’un sentiment nouveau de la vie [34] » ou au contraire « cette immobilité […] peut-être olympienne […] mais dangereuse » ; regrettant l’absence de « quelques coups de feu, qui ébranleraient des nerfs trop alanguis [35] », elle accepte au moins les nouvelles réalités et de plus en plus souvent les remarque et les réclame. Dans le même compte rendu, Clément Janin signale avec plaisir l’influence exercée par Pissaro et Manet sur certaines œuvres exposées au xxe Salon de la Société nationale des Beaux-Arts.

30De plus en plus, surtout à partir de la fin des années 1890, la nouveauté, pour l’ensemble de la critique, n’est plus vraiment signe de menace pour l’avenir de la peinture, même si elle se fait dans le plus parfait désordre et qu’elle ébranle sa toute-puissance. En fait, ce n’est pas d’elle qu’est venue la menace, mais bien plutôt du public que l’on doit apprendre à accepter, à connaître et à éduquer.

Un nouveau partenaire : le public

31Il est certainement l’élément le plus important puisqu’il a remis en cause la toute-puissance des spécialistes de l’art. Toutes les réflexions, les analyses, les questions que fait la critique sur elle-même partent d’au moins une constatation : celle d’un nouveau partenaire avec qui il faut compter, que l’on soit artiste ou critique. Robert de la Sizeranne, en 1898, parle des deux phénomènes auxquels le critique ne peut que se soumettre :

32

Le critique luttait, comme il pouvait, contre le pinceau avec sa plume et, dans les tableaux à l’encre qu’il traçait à coup d’adjectifs, il reproduisait, pour ceux qui n’avaient pu voir les originaux, l’impression visuelle qu’il avait ressentie. Mais du jour où la photogravure, plus rapide que la plume du critique et infiniment plus sûre, a porté au loin, dès l’ouverture du Salon, la reproduction exacte de tous les tableaux notables exposés, la description que vient en faire péniblement l’écrivain n’est plus qu’un pléonasme ou qu’une gageure[36].

33C’est ici la fonction de relais qui est battue en brèche, puisque la découverte de l’art n’a plus besoin d’écrit ; la diffusion des œuvres, non seulement dans les revues spécialisées, mais également dans certains journaux plus populaires comme l’Illustration ou le Petit Journal, donne à un plus large public l’accès au monde fermé de l’art et du Salon.

34Ce public plus vaste et moins docile, parce qu’il a accès à une perception visuelle plus forte que tous les mots, n’entend plus se laisser imposer des jugements qu’il considère comme arbitraires [37]. Ainsi, en 1883, Janillon affirme : « Pour qui écrit-on des Salons ? Ce n’est assurément pas pour les artistes […] Quant au public il s’irrite souvent qu’on mette des lisières à son jugement et que l’on ait prétention de le prévenir de ce qu’il doit ou ne doit pas admirer [38] ». Le critique ne juge plus, n’impose plus [39] ; il n’est plus le détenteur du « pouvoir » artistique et ne constitue plus une oligarchie ; au contraire, il demande de réfléchir, il plaide, il propose, c’est au public – « suffrage universel » – de décider, en tout cas en apparence [40]. À partir du moment où le public doit « confirmer la magistrature » que s’attribue le critique, celui-ci se voit parfois contraint de refuser une prise de position ou bien, au contraire, doutant de sa propre valeur, il cherche un réconfort et un suffrage majoritaire auprès de ce même public qui devient alors un partenaire rassurant, soudain réhabilité [41]. Il pose donc la question cruciale des rapports entre artiste et critique et fait de la foule un arbitre qui doit compter. Le simple fait de parler aussi longuement de la foule et de son sentiment révèle justement son importance et, peut-être, ses nouvelles fonctions. Naturellement, ce partenariat nécessite une redéfinition des rôles. La perte de responsabilité et surtout d’autorité blesse la critique, mais, plus grave, la remet en cause dans son existence même. Comment, après avoir intégré les nouveautés artistiques, commerciales, sociales, culturelles, voire techniques, avec la photogravure, retrouver sa fonction, sa place, son identité ? Comment vivre avec un partenaire qui s’est imposé dans un univers que l’on croyait réservé ?

Nouvelles nécessités et nouveau rôle de la critique : formation et éducation

35La fréquence de ces réflexions, qui analysent plus le rôle de l’écriture dans la société que la réalité esthétique de l’œuvre d’art, permet non seulement d’aborder le discours critique par rapport à sa fonction première, celle d’intermédiaire entre l’œuvre et le public, mais surtout d’en dépasser le caractère purement esthétique [42] pour y découvrir la polémique qui existe entre les différents protagonistes du monde artistique [43].

36Il ne faudrait pourtant pas exagérer la modestie nouvelle des critiques, élément, elle aussi, de la stratégie. Ils ont la certitude d’appartenir à la littérature [44] et non pas à la simple catégorie des journalistes spécialisés dans les rubriques artistiques et désormais, simples indicateurs des tendances, déclassés par la photogravure et la démocratisation des Salons. La conscience qu’ils ont du « rôle dévolu à l’écriture », voire de sa supériorité, les pousse, à partir de la remise en question que nous venons d’étudier, à chercher une nouvelle importance et un nouveau rôle.

37Comment ne pas donner prise à ce qu’Émile Michel résume en une phrase : « Trop souvent, ceux qui la pratiquent n’apportent dans leurs jugements que leurs fantaisies particulières et leurs goûts plus ou moins hasardeux [45] » ? Comment retrouver aussi son importance, voire son utilité, à côté de la photogravure et de la diffusion plus vaste des images, c’est-à-dire comment gagner la lutte de la plume et du pinceau ? Comment alors retrouver la confiance des peintres, mais surtout du public et, d’une certaine façon, cette autorité, cette supériorité que la société nouvelle a ébranlées ?

38C’est d’abord par l’affirmation que le métier de critique n’est pas pure subjectivité arbitraire et individuelle, sans aucune motivation ni justification [46]. L’œuvre d’art étant un témoignage de l’activité humaine, elle peut être étudiée comme une expérience, de façon scientifique ou, plutôt, expérimentale. Le critique peut avoir ce rôle d’intermédiaire dans la mesure où il réussit à capter la signification du message. Bien sûr la passion et la sensibilité interviennent, mais pas dans un aspect négatif de partialité ; c’est seulement dans une rencontre avec un travail qui mène au savoir et, surtout, qui aboutit à une œuvre de vérité, c’est-à-dire à la rencontre suprême de l’art, expression de la vie et seul témoignage éternel de cette vie disparue. La dimension que Gustave Geoffroy accorde à une certaine critique est presque d’ordre métaphysique et n’est pas vraiment reprise par la majorité. Plus fréquente et moins transcendante est l’idée plus simple d’un savoir quasi scientifique qui justifierait le rôle même du critique. Émile Michel, en 1904, explique cette conception :

39

Le savoir, au lieu de dessécher le sentiment ne peut qu’ouvrir l’esprit, fortifier le goût et former cette critique à la fois sûre, prudente et enthousiaste, toujours vivante comme l’objet qu’elle poursuit, telle en un mot que notre époque a le droit de la réclamer.

40Ce savoir, c’est celui de la distanciation à l’œuvre, celui que Pierre Bourdieu appelle « l’esthétique savante », celui qui ne tient pas compte du sentiment, de la perception immédiate, mais permet de transcender l’œuvre à partir d’un acquis culturel et esthétique incontestable ; c’est « l’intellection » dont parle Michel Seuphor, qui permet de donner un jugement professionnel, mais peut-être pas, selon lui, de goûter l’art. Que proposer en effet à cette époque qui ne rêve que de progrès, sinon une réflexion scientifique sur laquelle n’auraient plus prise les accusations telles que subjectif, hasardeux, etc. :

41

En serrant ainsi de plus près ses études, la critique d’art tend de plus en plus à substituer à des vues systématiques et hasardeuses une méthode plus rationnelle et en quelque sorte scientifique. En même temps qu’elle gagne en étendue, elle se sent sur un terrain plus ferme […] D’une manière générale, la critique d’art s’applique, dans tous les pays, à substituer aux vues individuelles et systématiques cette méthode vraiment scientifique qui, à notre époque, tend à prévaloir dans toutes les directions de l’activité intellectuelle.

42Fondamental est le mot « scientifique », repris plusieurs fois dans l’article, complété un peu plus loin par cette remarque qui se réfère aux critiques : « Des connaissances positives ne peuvent que les éclairer et leur assurer l’autorité qu’ils doivent avoir [47] ».

43Comme l’époque le veut et le croit, seule la science doit lui apporter des certitudes, même le domaine artistique est concerné. Subjectivité et hasard ne sont plus de mise. Puisqu’il faut absolument trouver des justifications à la critique, justifications à la fois face aux artistes, et surtout au public, autant s’intégrer au courant porteur de la société en général, celui qui prévaut « dans toutes les directions de l’activité intellectuelle », celui des connaissances, de la science indiscutable. Surprenante affirmation de la critique qui, ainsi, veut se repositionner au moyen d’une nouvelle force si peu conforme, pourtant, à l’esprit même de l’esthétique si dynamique, si émotionnelle, si subjective et multiple de cette époque en effervescence.

44Cette science indispensable à tout critique, c’est celle de la connaissance approfondie de tout ce qui touche à l’art. Le mot d’ordre est d’« acquérir des connaissances de plus en plus certaines » afin de rendre « à toute œuvre de valeur la justice qui lui est due » et de reconnaître « le mérite partout où il se trouve, indépendamment des caprices et des engouements de la mode [48] ». La question est de savoir ce qui donne les connaissances, à savoir la pratique artistique ou la connaissance extérieure mais solide ; c’est en fait l’éternelle querelle entre l’artiste et le critique, le pinceau et la plume. Émile Michel, à la fois artiste et critique, semble établir un compromis tout à fait conforme aux nouveaux besoins du monde artistique et de ses commentateurs, à savoir la connaissance profonde de ce dont on parle, une connaissance qui doit satisfaire autant l’artiste que le public.

45Le critique ne doit choisir son sujet qu’en fonction de ses aptitudes personnelles et sans chercher à tout traiter. Sa modestie est une garantie contre l’erreur. Ensuite sa fréquentation permanente, sans limite, variée et approfondie des musées, lui donne la possibilité d’approcher les créations anciennes et de les étudier. Les bibliothèques l’aident ensuite à compléter ses connaissances sur les artistes d’autrefois et lui permettent ainsi d’écrire sur les génies du passé avec le plus d’éléments objectifs possible. À ces connaissances se rajoutent les contacts avec les restaurateurs d’art qui lui font découvrir la peinture dans sa profondeur technique et scientifique, au-delà du sensible. De plus, l’utilisation de la photo donne une approche de tableaux lointains et plus nombreux quand les déplacements sont impossibles. Les voyages restent malgré tout le complément indispensable parce qu’à la connaissance livresque s’ajoutent ainsi la perception sensible et directe de l’œuvre et, peut-être aussi, la connaissance sensible de l’artiste dans son milieu.

46Ces six obligations donnent à la connaissance une dimension positive et scientifique qui permet alors de retrouver une autorité perdue. En se donnant, par la fréquentation assidue des artistes et des créateurs, une connaissance objective et érudite, ainsi que technique et esthétique, le critique recrée la distance entre le public et lui. Il rend caduque l’accusation de subjectivité et d’arbitraire ; il se repositionne par rapport à ce partenaire envahissant, dont il va pouvoir médire mais qu’il va aussi prendre à témoin et surtout instruire. Car retrouver son autorité ne peut plus signifier mépriser sans limite, c’est au contraire se donner une nouvelle mission.

47Cette mission, c’est l’éducation du public. En effet le critique qui a approfondi ses connaissances va retrouver son autorité sur le public dont il a su percevoir les changements et les exigences liées à la démocratisation des Salons. Le critique redéfinit son rôle : il n’est plus l’arbitre infaillible, mais le conseiller possible, chargé de devenir à la fois l’intermédiaire entre le monde artistique et la foule, et l’éducateur de cette foule dont la nouvelle liberté doit être canalisée pour devenir constructive. C’est d’ailleurs une tendance générale des élites républicaines, comme l’écrit, en 1908, Léo Claretie : « En France, on a le souci démocratique de former et d’affiner le goût du peuple, des ouvriers, des petits employés. Certes, c’est là une vue élevée et digne de l’effort qu’elle comporte […] Le peuple est capable d’émotions esthétiques [49] ».

48Bien sûr, cette fonction éducative n’est plus autoritaire ; elle s’établit automatiquement dans les nouvelles conditions de l’époque. Le critique désormais exerce une action semblable à celle de Socrate en pratiquant une maïeutique. Janillon, en 1883, était moins diplomate en affirmant : « Il faut donc savoir lui dorer la pilule et surtout n’avoir jamais l’air de vouloir peser sur son opinion [50]. » Le critique devient, d’une certaine façon, le réceptacle du bon sens public, mais en filtre les éléments positifs, induit la pensée collective d’un public dont l’éducation artistique est à faire. Mais, désormais, il ne le heurte plus, il devient son guide. Une sorte de pédagogie s’élabore en tenant compte de la réalité de l’élève. En fait, ce rôle éducateur rétablit la distance de la connaissance en se lavant de l’accusation d’arbitraire et de subjectif. Le critique devient donc un Virgile capable d’ouvrir les cercles de l’art.

49Une telle évolution ne doit pourtant pas être surestimée, car les critiques restent ce qu’ils sont, des littéraires conscients ou imbus de leur savoir sinon de leur valeur. L’intérêt qu’ils prennent au public leur est imposé par les nouvelles réalités sociales et politiques. Leur malaise ou, si l’on préfère, leur prise de conscience des changements liés aux transformations sociales ont développé un questionnement sur leur identité de critique, sur leur raison d’être ; par là même, ils ont dû s’accommoder d’un nouveau partenariat très différent de celui, séculaire et obligatoire, des artistes : la partie ne se joue plus à deux selon la règle d’hostilité traditionnelle entre artistes et critiques. Désormais, le public, le lecteur interfèrent et provoquent une remise en cause fondamentale de l’existence même d’un genre. La perception du phénomène est plus que générale puisqu’elle entraîne une réflexion existentielle, mais cela ne signifie pas pour autant une acceptation sans restriction de cette nouvelle réalité.

50Toutefois, les critiques n’entendent pas tout à fait se soumettre à ce nouveau partenariat et souvent ne peuvent pas s’empêcher d’en déplorer le caractère le plus regrettable : l’ignorance. Attentifs ou hostiles, ils brossent un tableau pointilliste mais édifiant de ce public. La spontanéité de leurs réflexions permet d’approcher à la fois leur propre sensibilité et celle des gens qu’ils critiquent, c’est-à-dire le public, cette entité avec laquelle il faut désormais compter. Le discours critique devient en effet plus complexe parce que moins tourné vers la seule préoccupation esthétique : « Le corpus d’énonciations produit par les critiques ne peut être considéré comme un tout unifié, mais plutôt divisé, fragmenté par les perspectives esthétiques et sociales, distinctes et contradictoires, à l’intérieur desquelles le discours du critique s’inscrit. Ces perspectives déterminent dans une large part […] ce que tout critique peut et doit dire dans une conjoncture historique donnée [51] ». C’est le public qui entraîne une de ces fragmentations, qui intervient en surimpression de l’œuvre d’art et oblige les critiques à se situer dans des perspectives sociales nouvelles.


Date de mise en ligne : 16/06/2008

https://doi.org/10.3917/mnc.026.0011

Notes

  • [1]
    Constance Naubert-Riser, « La critique des années 1890. Impasse méthodologique ou renouvellement des modèles théoriques ? », in Collectif, La critique d’art en France. 1850-1900, Université de Saint-Étienne, CIEREC, travaux LXIII, mai 1987.
  • [2]
    Michael Zimmermann, La crise de l’Impressionnisme et l’autonomie de l’art. Le discours sur l’art et l’avènement de la république, Mémoire de maîtrise, Paris, Université de Paris IV, 1983.
  • [3]
    Arsène Alexandre, « Le salon de 1890 », la Gazette des beaux-arts, 24 mai 1890. Arsène Alexandre (Paris 1859-1937) a fait ses études à Versailles et a écrit quelques romans, mais très vite s’est intéressé aux nouveautés artistiques et à la presse. Il a écrit dans le Voltaire et l’Éclair, a fréquenté les milieux artistiques de Montmartre. Il a fondé le Rire en 1894, un journal satirique illustré pour lequel il a sollicité la collaboration de Toulouse-Lautrec. Il a collaboré à la Revue de l’époque et à l’Art français, il est également entré en 1895 au Figaro pour la rubrique des Salons. Particulièrement attentif aux nouveautés picturales, il a défendu les impressionnistes, les indépendants et, réticent sur le pointillisme, il s’est passionné pour le japonisme et les recherches des nabis et de Cézanne. En 1903, il a participé à la fondation du Salon d’automne et, de 1908 à 1913, est devenu conservateur du château de Compiègne, puis inspecteur des Beaux-Arts.
  • [4]
    Gustave Geoffroy, « Préface du Salon de 1893 », in Catalogue illustré du Salon, Paris, Baschet, 1893.
  • [5]
    « Nous avons méconnu notre rôle, nous nous sommes exagérés notre importance et, pour avoir voulu trop prouver, nous ne prouvons plus rien du tout […] Les lecteurs fatigués de nos partiales tirades, refusent de s’en encombrer l’esprit. Nous avons beau les solliciter, leur crier nos préférences, vouloir leur imposer nos écoles, ils ne nous croiront plus, persuadés que l’art, avec ses émotions simples et sans détours, est le moindre de nos soucis » (Gérard de Beauregard, « Causerie », l’Art français, 24 avril 1897).
  • [6]
    Robert de la Sizeranne, « Les portraits d’hommes au Salon », Revue des Deux Mondes, 1898, p. 632. Robert de la Sizeranne (1866-1920), né à Tain d’une famille de noblesse provinciale de la Drôme où sa famille possédait une gentilhommière, il a fréquenté dès sa jeunesse la haute société. Il se partageait entre ses voyages et la vie à Paris où il habitait avenue de Breteuil, en face des Invalides. Esthète et voyageur, il a écrit une vie de Ruskin et s’intéressait suffisamment à l’art pour collaborer longuement à la Revue des Deux Mondes entre 1890 et 1914 dans les rubriques des Salons.
  • [7]
    Citons Arsène Alexandre, séduit par le génie de Toulouse-Lautrec, par les impressionnistes, par les Nabis, Émile Bernard, membre du groupe de Pont-Aven et en relation avec Sérusier et Gauguin, Ernest Chesneau passionné d’art japonais et amateur de Degas et de Sisley, tout comme Louis Fourcaud ou Paul Eudel qui ne dédaigne pas les nouveaux peintres dans ses collections, ainsi que Félix Fénéon. La liste est longue et révélatrice d’une réelle conscience des nouveautés et des changements.
  • [8]
    C. Naubert-Riser, « La critique des années 1890 », loc. cit., p. 193-205.
  • [9]
    R. de la Sizeranne, « Les portraits d’hommes au Salon », art. cit.
  • [10]
    Michael Orwicz, « Confrontations et clivages dans les discours des critiques du Salon 1885-1889 », in Collectif, La critique d’art en France, op. cit., p. 178.
  • [11]
    Nicole Dubreuil, « Les métaphores de la critique d’art en France… », ibid., p. 106.
  • [12]
    « Le critique ne doit ni précéder la foule, ni la suivre […] mais il doit partager ses joies, ses émotions, ses enthousiasmes, ses défiances, ses emportements même, quitte enfin à retrouver son sang-froid et à tâcher, si le public s’égare de la remettre dans le droit chemin » (Paul Mantz, le Temps, 1er mai 1882). Paul Mantz (1821-1895), né dans la bourgeoisie bordelaise, a fait des études de droit à Paris et a poursuivi également des études d’art. À 23 ans, il a débuté une carrière de journaliste dans l’Artiste dont il est devenu le rédacteur en chef de 1849 à 1852. Il a collaboré à la Revue de Paris et à la Revue française et a rédigé en 1857 un de ses premiers comptes rendus du Salon. Ami de Charles Blanc, il a tenu entre 1859 et 1872 la critique des Salons dans la Gazette des beaux-arts, mais, surtout, il est devenu le spécialiste des Salons dans le Temps de 1873 à 1890. Parallèlement il s’est consacré à l’histoire de l’art, comme en témoignent de nombreux ouvrages : collaboration à L’histoire des peintres de toutes les écoles de Charles Blanc (1861-1876), à L’inventaire général des richesses d’art de la France, à la Grande Encyclopédie (1885-1905). Mais il rédige surtout des monographies de peintres et commence la rédaction d’une vaste histoire de La peinture française du ixe au xixe siècle (inachevée).
  • [13]
    « [L’art] adulé en son temps, fustigé injustement aujourd’hui, [donne lieu à des] appréciations toujours excessives [qui] montrent à l’évidence que chaque époque a sa définition du Beau et que le goût esthétique a sa propre histoire sociale » (Monique Segré, L’art comme institution. L’École des Beaux-Arts. xixe-xxe siècles, Cachan, Éd. de l’ENS-Cachan, 1993, p. 91).
  • [14]
    Michel Seuphor, Le commerce de l’art, Paris, Desclée de Brouwer, 1966, p. 17.
  • [15]
    Janillon, l’Univers illustré, 1883, p. 278.
  • [16]
    Gustave Haller, Le Salon. Dix ans de peinture, I, Paris, Calmann-Lévy, 1902, p. 185. G. Haller, pseudonyme de madame Gustave-Eugène Fould, née Wilhelmine-Joséphine Simonin, était actrice et pensionnaire de la Comédie française sous le nom de mademoiselle Valérie. Sous ce pseudonyme, elle s’est consacrée assez tôt à l’écriture et au théâtre avec quelques comédies comme Le médecin des dames en 1870, puis, après la mort de son mari, s’est intéressée surtout à l’art et a publié en 1899 Nos grands peintres et, en 1902, Le Salon. Dix ans de peinture, nous donnant ainsi un des seuls témoignages féminins sur cette manifestation.
  • [17]
    M.H. Fouquier, « La vérité sur le Salon », Gil Blas, 1886, p. 41.
  • [18]
    Robert de La Sizeranne, « Les portraits de femmes aux Salons », Revue des Deux Mondes, 1902.
  • [19]
    « Le Salon de peinture », l’Univers illustré, 1896, p. 346.
  • [20]
    L’Art français, 24 mai 1890.
  • [21]
    Ibid.
  • [22]
    Ary Renan, « Le salon de peinture », le Temps, supplément du 29 avril 1893.
  • [23]
    Paul Mantz, le Temps, 6 mai 1883.
  • [24]
    Gustave Ollendorff, « La peinture au Salon de 1885 », Revues des Deux Mondes, III, 1885, p. 909.
  • [25]
    « Les jeunes peintres deviennent, du premier coup, pour un an ou deux, des grands hommes dans les gazettes, chez leur concierge et quelques marchands » (Georges Lafenestre : « Le Salon de peinture », Revue des Deux Mondes, 1890, p. 650). Lafenestre (1833-1919), né dans une famille de la bourgeoisie d’Orléans, a fait à Paris des études de droit, mais s’est intéressé à la poésie. Il a écrit Les espérances en 1864, a fréquenté des artistes à Florence et est devenu en 1870 attaché au cabinet du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts. Il a été secrétaire du jury des Beaux-Arts en 1878, à l’exposition universelle. En 1886, il est devenu conservateur-adjoint du musée du Louvre et parallèlement a donné des cours au Collège de France et à l’École du Louvre. En même temps, il a écrit des critiques d’art dans de nombreuses et prestigieuses revues (la Gazette des beaux-arts, Revue des Deux Mondes, la Revue de Paris, etc.) essentiellement sur les Salons, tout en poursuivant une petite carrière de poète et d’écrivain. En 1892, il est devenu membre libre de l’Académie des Beaux-Arts. Ses critiques des Salons, en particulier de 1879 à 1888, donnent de précieux renseignements sur les évolutions de la peinture, mais également sur les comportements des visiteurs.
  • [26]
    Roger Ballu, Une vie d’artiste, Paris, Baschet, 1885, p. 261. Après des études classiques, Roger Ballu (Paris, 1852-Gournay 1908) s’est intéressé à l’art et à la politique. Il est entré dans l’administration des Beaux-Arts et est devenu inspecteur général et commissaire de diverses expositions, mais il a été révoqué en 1901 pour des raisons politiques. Maire de Gournay-sur-Marne et conseiller général du canton du Raincy, il a été élu député républicain libéral dans la deuxième circonscription de Pontoise, après une première invalidation du suffrage le 10 août 1902. En dehors de sa carrière politique, il a écrit sur l’art : Le Salon de 1878, L’art et les concours (1879), Les artistes contemporains (1877), La peinture au Salon de 1880, Une vie d’artiste (1885), etc.
  • [27]
    M. Guyau, L’art au point de vue sociologique, Paris, Felix Alcan, 1909, p. 71.
  • [28]
    H. et C. White, La carrière des peintres au xixe siècle, Paris, Flammarion, 1991, p. 59.
  • [29]
    Le Siècle, 30 avril 1898.
  • [30]
    « Jadis, comme ce jadis est près de nous ! les critiques ont eu un moment d’émoi, de vie surexcitée : on poussait des cris d’alarme, on parlait d’excommunication majeure, on lançait la grande imprécation aux nouveautés pernicieuses, on voyait l’avenir en noir ; on craignait l’anarchie, l’hérésie […] et les bons critiques montaient la garde toute la nuit. Maintenant, le danger est écarté ; le méchant cyclone a pris une autre route » (Ary Renan, le Temps, supplément du 29 avril 1893).
  • [31]
    Robert de la Sizeranne, Revue des Deux Mondes, 1898, p. 632.
  • [32]
    Georges Lafenestre, Revue des Deux Mondes, 1888, p. 642.
  • [33]
    Paul Mantz, le Temps, 6 mai 1883.
  • [34]
    Robert de la Sizeranne, Revue des Deux Mondes, 1903, p. 665.
  • [35]
    Clément Janin, le Siècle, 14 avril 1910.
  • [36]
    Robert de la Sizeranne, Revue des Deux Mondes, 1898, p. 611.
  • [37]
    Ibid., p. 612.
  • [38]
    L’Univers illustré, 1883, p. 262.
  • [39]
    Le Temps, supplément du 9 mai 1893.
  • [40]
    M. Seuphor, op. cit.
  • [41]
    Ainsi, en 1898, l’article de Robert de la Sizeranne dans la Revue des Deux Mondes fait apparaître un partenariat surprenant avec le public à propos du Balzac de Rodin. Là, le critique se retranche derrière le public, en fait un bouclier contre « tout ce qui compte », à savoir les modernistes qui admirent le Balzac : « Le public presque tout entier, bien loin de ratifier le jugement, l’infirme par ses exclamations » écrit-il, utilisant à son profit la vieille notion, insolite dans le domaine artistique, du bon sens public et, presque, celle du vox populi, vox dei, pour se protéger du mépris des nouveaux iconoclastes et pour retrouver confiance en sa propre valeur en prenant la responsabilité d’« oser dire » son opinion.
  • [42]
    Marie-Claude Genet-Delacroix nous rappelle que « le rôle dévolu à l’écriture est évidemment central : elle conditionne non seulement le jugement porté sur l’œuvre mais aussi sur sa valeur esthétique, historique ou vénale ». Plus loin, elle ajoute que « l’œuvre est dès lors perçue moins en objet concret, fruit d’une technique précise, qu’en objet conceptualisé comme produit d’un travail rhétorique et idéologique » (M.-C. Genet-Delacroix, « Écriture sur l’art et mythe de l’union des arts », Romantisme, LXIX, 1990, p. 17-18).
  • [43]
    C. Naubert-Riser, loc. cit., p. 199.
  • [44]
    En 1883 Janillon, dans l’Univers illustré, insiste sur cet aspect : « J’ai employé à dessein le mot littérature car il me semble que l’art du salonnier relève de la littérature plus encore que de l’esthétique ». Beaucoup plus affirmatif, Émile Michel écrit : « La critique d’art elle-même occupe une place importante dans la littérature contemporaine », tout en s’empressant de rappeler les principaux reproches que l’on fait à la critique en raison même de ses fondements littéraires (É. Michel, « La critique d’art et ses conditions actuelles », Revue des Deux Mondes, 1904, p. 73). Cette conscience est assez répandue à l’époque et finalement peu originale puisque c’est là, depuis plusieurs siècles, une des polémiques entre artistes et critiques : « la plume contre le pinceau », écrit encore Robert de la Sizeranne en 1898. Comme je l’ai dit, de nombreux ouvrages ont étudié cet aspect de la critique, entre autres celui dirigé par Joseph-Marc Bailbé, La critique. Un genre littéraire (Paris, Puf, 1983), ainsi que de nombreux articles dans Romantisme.
  • [45]
    É. Michel, ibid. p. 71. Émile Michel (Metz 1828-) a fait des études classiques et a pris des cours de mathématiques à Paris tout en suivant des cours de peinture à Metz. Paysagiste, il a exposé à partir de 1853 au Salon, et il a été élu membre libre de l’Académie des Beaux-Arts en 1892. Parallèlement à sa carrière de peintre, il a écrit des critiques dans la Gazette des beaux-arts et dans la Revue des Deux Mondes.
  • [46]
    Gustave Geoffroy, l’Art français, 1894.
  • [47]
    É. Michel, art. cit., p. 80 et 91.
  • [48]
    Ibid., p. 91.
  • [49]
    L’Art et l’enfant. Revue bimestrielle des amateurs de jouets et jeux artistiques anciens, 1908-1910, p. 11.
  • [50]
    L’Univers illustré, 1883, p. 262.
  • [51]
    M. Orwicz, loc. cit., p. 178.

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