Notes
-
[1]
CAMPUS FRANCE, “Chiffres clés 2020”, février 2020.
-
[2]
”Présentation de la stratégie d’attractivité pour les étudiants internationaux”, discours du Premier ministre Édouard Philippe, 19 novembre 2018, https://www.gouvernement.fr/par tage/10704-presentation-de-la-strategie-d-attractivite-pour-les-etudiants-internationaux.
-
[3]
Voir le numéro de la Vie de la recherche scientifique publié par le Syndicat national de l’enseignement supérieur (snesup) consacré à l’analyse de cette stratégie et de ses implications.
-
[4]
Pour n’en citer que quelques-unes, mentionnons les actions menées par le collectif des carrés rouges, les nombreuses motions votées en conseil d’administration, d’UFR ou de laboratoire, le rejet exprimé par la conférence des présidents d’université (cpu), le Conseil scientifique du CNRS ou le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (cneser).
-
[5]
Voir l’arrêté publié le 19 avril 2019 officialisant la hausse des frais d’inscription pour les étudiants extracommunautaires s’inscrivant pour la première fois dans un cursus de licence ou de master : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT 000038396885&categorieLien=id.
-
[6]
BRÉANT, Hugo ; JAMID, Hicham, “Bienvenue en France… aux riches étudiants étrangers”, Plein droit, n° 123, décembre 2019, pp. 11-14.
-
[7]
LECLERC-OLIVE, Michèle ; SCARFO GHELLAB, Grazia ; WAGNER, Anne-Catherine, Les mondes universitaires face au marché. Circulation des savoirs et pratiques des acteurs, Paris : Éd. Karthala, 2011, 394 p.
-
[8]
GUILLABERT, Matthieu ; PIGUET, Étienne ; RIANO, Yvonne, “Les étudiants internationaux : acteurs peu connus de la globalisation migratoire”, Géo-regards, n° 10, 2017, pp. 5-10 (voir p. 5).
-
[9]
KING, Russell ; SONDHI, Gunjan, “International Student Migration: A Comparison of UK and Indian Students’ Motivations for Studying Abroad”, Globalisation, Societies and Education, Vol. 16, No. 2, 2018, pp. 176-191.
-
[10]
VINOKUR, Annie, “Current Internationalisation: The Case of France”, Globalisation, Societies and Education, Vol. 8, No. 2, 2010, pp. 205–217.
-
[11]
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-
[12]
MORICE, Alain ; POTOT, Swanie, De l’ouvrier immigré au travailleur sans papiers. Les étrangers dans la modernisation du salariat, Paris : Éd. Karthala, 2010, 336 p.
-
[13]
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-
[14]
JESSOP, Bob, “On Academic Capitalism”, Critical Policy Studies, Vol. 12, No. 1, 2018, pp. 104-109.
-
[15]
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-
[16]
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-
[17]
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-
[18]
EYEBIYI, Elieth ; MAZZELLA, Sylvie, “Observer les mobilités étudiantes Sud-Sud dans l’internationalisation de l’enseignement supérieur”, Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, n° 13, 2014, pp. 7-24 ; BAVA, Sophie ; PLIEZ, Olivier, “Itinéraires d'élites musulmanes africaines au Caire. D'Al Azhar à l'économie de bazar”, Afrique contemporaine, vol. 3, n° 23, 2009, pp. 187-207.
-
[19]
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-
[20]
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[21]
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-
[22]
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-
[23]
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-
[24]
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-
[25]
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-
[26]
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-
[27]
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-
[28]
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-
[29]
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-
[30]
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-
[31]
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-
[32]
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-
[33]
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[34]
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-
[35]
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[36]
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[37]
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[38]
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[39]
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[40]
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[41]
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[42]
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[43]
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[44]
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[60]
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[61]
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[62]
BROOKS, Rachel ; WATERS, Johanna, Student Mobilities, Migration and Internationalization of Higher Education, op. cit.
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[63]
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[64]
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[66]
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-
[67]
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-
[68]
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-
[69]
FINDLAY, Allan ; KING, Russell, Motivations and Experiences of UK Students Studying Abroad, op. cit.
-
[70]
IGARACHI, Hiroki ; SAITO, Hiro, “Cosmopolitanism as Cultural Capital: Exploring the Intersection of Globalization, Education and Stratification”, Cultural Sociology, Vol. 8, No. 3, 2014, pp. 222-239.
-
[71]
BROOKS, Rachel ; WATERS, Johanna, Student Mobilities, Migration and Internationalization of Higher Education, op. cit. (voir p. 17) ; MORGAN, David ; HOPCRAFT, John, “Strategies and Sociologists: A Comment on Crow”, Sociology, Vol. 23, No. 1, 1989, pp. 25-29.
-
[72]
BALL, Stephen, Class Strategies and the Education Market: The Middle-Class and Social Advantage, London: Routledge Falmer, 2003, 224 p.
-
[73]
BIDET, Jennifer, “Déplacements. Migrations et mobilités sociales en contexte transnational”, art. cité (voir p. 69) ; FRÉMONT, Armand ; CHEVALIER, Jacques ; HÉRIN, Robert ; RENARD, Jean, Géographie sociale, op. cit.
-
[74]
Voir le site internet du collectif : https://mobelites.hypotheses.org.
-
[75]
GROSSETTI, Michel, “L’imprévisibilité dans les parcours sociaux”, Cahiers internationaux de sociologie, vol. 120, n° 1, 2006, pp. 5-28.
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[76]
DE HAAS, Hein ; FRANSEN, Sonja, Social Transformation and Migration: An Empirical Inquiry, MADE Project Paper, No. 1, 2018, 40 p.
1Cinquième pays d’accueil des étudiants étrangers à l’échelle internationale, et troisième en Europe derrière le Royaume-Uni et l'Allemagne [1], la France, par l’intermédiaire de son gouvernement, a annoncé fin 2018 la mise en place d’une nouvelle stratégie d’attractivité pour les étudiants internationaux dénommée « Bienvenue en France » [2]. S’il y est avancé qu’une série de décisions visant à simplifier les démarches administratives d’obtention de visa pour études et la création de nouvelles bourses seront mises en œuvre, la mesure phare de ce plan consiste en une hausse des frais d’inscription pour les étudiants extracommunautaires [3]. Malgré la forte mobilisation contre cette mesure [4], le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a publié, en avril 2019, l’arrêté qui l’officialise [5]. La mise en place de cette nouvelle stratégie d’attractivité des étudiants étrangers procède, defacto, non seulement à une différenciation géographique, mais elle implique également une potentielle logique de sélection sociale accrue [6]. En lien avec les transformations récentes de l’enseignement supérieur, cette dernière mesure gouvernementale entérine plus largement l’idée d’un marché de l’éducation dicté par la concurrence et la performance, dans lequel la priorité est notamment donnée aux ressources que les familles sont prêtes à mobiliser pour les études de leurs enfants [7]. Cette nouvelle étape de la stratégie gouvernementale française est aussi, d’un point de vue plus scientifique, l’occasion d’investir ou de réinvestir une question de recherche cruciale dans le champ des études migratoires : celle de la manière dont les migrations pour études s’articulent aujourd’hui avec les enjeux de mobilité sociale.
2Les migrations étudiantes font l’objet d’un nombre croissant de recherches depuis une dizaine d’années, comme en témoigne l’augmentation du nombre de publications sur ce sujet [8]. Ce dynamisme éditorial est à l’image de celui qu’a connu le phénomène des migrations pour études lui-même durant la dernière décennie. On estime en effet que celles-ci ont augmenté beaucoup plus vite que les migrations internationales globales [9]. Les caractéristiques de ces migrations sont également en profonde mutation, notamment avec l’émergence de nouveaux pôles de formation en Asie, en Afrique ou encore en Amérique latine. Le contexte de ces migrations a aussi profondément changé ; elles se déploient selon des modalités liées aux dynamiques récentes de la mondialisation néolibérale, au développement d’un marché du travail toujours plus tertiarisé et à la place qu’y tiennent désormais les étrangers [10]. En effet, dans un monde où s’impose de plus en plus « l’économie de la connaissance » [11], la figure de l’« ouvrier immigré » a ainsi peu à peu été supplantée par d’autres profils de migrants [12], comme le « migrant qualifié » et l’« étudiant étranger ». Dans le même temps, les réformes universitaires à l’échelle mondiale ont conduit à une internationalisation et une marchandisation croissantes de l’enseignement supérieur. Celui-ci est désormais considéré comme « un bien marchand, un service international qui peut être vendu et acheté à n’importe quel fournisseur international » [13], dans la logique du capitalisme académique [14]. L’un des enjeux centraux de ce processus est l’attraction d’étudiants étrangers [15]. Pour autant, à ce jour, nos connaissances accumulées sur les migrations étudiantes demeurent moins importantes que pour d’autres catégories de migrants [16].
Les migrations pour études dans le champ des études migratoires
3Le champ des migrations pour études s’est d’abord, d’un point de vue historique, confondu avec une sociologie des élites, insistant sur l’ancienneté du phénomène. L’analyse des circulations des élites cléricales du Moyen-Âge a en effet montré comment celles-ci ont abouti à la création des premières universités européennes [17]. Au même moment, des mobilités internationales étudiantes sont attestées entre les universités arabo-islamiques dans toute l’Afrique du Nord [18]. Ces études ont décrit les échanges entre universités qui ont permis l’accueil des enseignants et des étudiants venus de lointaines contrées jusqu’au XIXe siècle [19].
4Les travaux sur les migrations étudiantes se sont ensuite concentrés sur la problématique de la « fuite des cerveaux » [20] à partir des années 1960, dans un contexte où ces migrations connaissent une très forte expansion, liant en particulier pays nouvellement indépendants et anciennes puissances coloniales. Les effets négatifs des départs de migrants qualifiés sur le développement des pays d’origine deviennent alors une thématique majeure [21] qui emprunte au cadre théorique de la dépendance, un courant du marxisme alors influent, notamment dans les pays ayant connu des mouvements de lutte pour l’indépendance. Cette approche met l’accent sur la construction historique de rapports inégaux entre les différentes régions du monde à l’origine du mal développement du « tiers-monde » [22]. Dans ce contexte, les migrations — et qui plus est celles des migrants les plus qualifiés — sont d’abord perçues comme participant au renforcement des inégalités mondiales et de la division internationale du travail scientifique [23].
5Cette approche va par la suite tomber en désuétude au cours des années 1980 et 1990 au profit du paradigme du transnationalisme [24], qui conduit à questionner la pertinence de l’État-nation — appelé le « nationalisme méthodologique » — ayant longtemps structuré les sciences sociales comme cadre d’analyse. Ce « tournant transnational » accorde une importance nouvelle aux mobilités, jusqu’à les ériger parfois en grille de lecture des sociétés, se substituant aux grands récits fondateurs de disciplines comme la sociologie [25]. Le migrant devient alors un acteur à part entière, une échelle d’analyse pertinente pour penser les rapports de pouvoir dans toute leur complexité, sans omettre de prendre en considération l’intentionnalité [26], les stratégies et les capacités d’émancipation des individus. Les liens des migrants qui perdurent entre leurs sociétés d’origine et d’installation sont mis en évidence. Tour à tour valorisé pour ses aspects novateurs en termes de mise en lumière des liens complexes entre culture, identité et territoire [27], puis débattu notamment pour le peu de cas fait aux dimensions critiques de la globalisation [28], force est de constater la portée considérable de ce tournant transnational tant dans le domaine des études migratoires que dans les approches développées par les institutions internationales. Le champ des migrations pour études a également été largement influencé par ce cadre théorique.
6Une partie des recherches menées durant cette période va mettre l’accent sur le rôle des transferts d’argent — en plein boom — et l’engagement associatif en faveur du développement des pays du « Sud global » [29]. La perspective de « la fuite des cerveaux » est alors renversée pour être envisagée comme une ressource pour les pays en développement [30]. Les étudiants internationaux et autres migrants qualifiés deviennent, à l’instar d’autres catégories de migrants, des acteurs de développement [31]. La mise en réseau et en mobilité de leurs savoirs et de leurs savoir-faire doit permettre le développement de tous les territoires concernés, selon une logique vertueuse. D’autres recherches vont plutôt se saisir des avancées méthodologiques et conceptuelles apportées par le cadre d’analyse transnational pour sortir de la figure idéal-typique des élites et ainsi montrer que les classes moyennes, voire certaines franges des catégories populaires, parviennent elles aussi, à prendre leur place dans les migrations étudiantes internationales, sous certaines conditions cependant [32]. L’analyse de ces trajectoires d’études diversifiées fait en partie ressortir la part d’autonomie qui en résulte [33] permettant ainsi d’enrichir les connaissances en matière de voies d’accès aux mobilités internationales pour études.
7Le contexte économique et politique actuel, qui voit les entraves à la mobilité se multiplier partout dans le monde, favorise une remise en cause partielle des grilles de lecture forgées dans les années 1990, au moment où le néolibéralisme suscitait encore globalement l’optimisme. Les politiques de fermeture des frontières, toujours plus nombreuses à l’échelle mondiale et qui conduisent parfois à l’érection de murs, réactivent un certain nombre de critiques à l’encontre du « tournant transnational » et de son influence sur les agendas de la recherche. Certains auteurs soulignent que ces travaux ont peut-être trop célébré la mobilité, tout en oubliant dans le même temps son pendant : l’immobilité [34]. D’autres pointent le paradoxe d’un processus de croissance du nombre de migrants dans le monde, d’ouverture des marchés économiques et de facilitation de la circulation des marchandises associé à la fermeture des frontières, sous l’égide de la formule « Open trade, closed borders » [35]. La question du filtrage des individus aux frontières s’impose alors dans le domaine des études migratoires, comme le montre par exemple les travaux menés par le collectif Migreurop dans les milieux francophones [36]. Ces thématiques infusent également dans le champ des migrations pour études où des travaux récents détaillent les politiques de filtrage des étudiants candidats à la mobilité internationale. Ces recherches décrivent des politiques qui suivent les tendances observées pour d’autres migrations, où les candidats aux études à l’étranger sont sélectionnés toujours plus en amont dans leurs procédures via notamment le pouvoir discrétionnaire transféré aux organismes étatiques délocalisés à l’étranger tels Campus France [37]. Cette sélection toujours plus poussée engendre, sans surprise, une sélection sociale accrue des candidats aux études à l’international [38].
8Le regain d’attention porté aux procédures discriminatoires d’accès à la mobilité couplé aux crises économiques et politiques dans de nombreux pays et à une hausse généralisée des inégalités à travers le monde a favorisé, ces dernières années, le développement d’approches critiques, politiques et engagées sur les migrations [39]. En Europe, les réactions face aux récents mouvements migratoires ont en outre encouragé les idéologies du repli sur soi et des identités nationales, réhabilitant par là même l’État-nation comme cadre d’analyse dans les recherches en sciences sociales, à rebours des phénomènes d’hybridations mis en avant par l’approche transnationale [40].
9C’est dans ce contexte que s’inscrit l’initiative de ce dossier thématique. Il apparaît en effet important, notamment dans la configuration politique actuelle, de réfléchir à l’une des conséquences essentielles de la mobilité : celle de la formation ou de la transformation des groupes sociaux. Si les travaux autour du migrant-acteur ont apporté des avancées permettant de saisir plus finement les migrations pour études comme indiqué plus haut, certaines trajectoires de migrants ont néanmoins pu parfois apparaître dépouillées de leur contexte social. Il semble dès lors intéressant de resituer ces trajectoires dans des rapports sociaux, notamment de classe. Pour traiter de ces questions, les lecteurs ne seront pas surpris de retrouver des contributeurs ainsi que des coordinateurs du numéro issus en majorité d’une discipline — la sociologie — et d’un courant disciplinaire — la géographie sociale — pour lesquels l’articulation entre mobilité géographique et mobilité sociale constitue une question centrale [41].
Migrations pour études et processus de sélection(s) sociale(s)
10Les migrations étudiantes se déploient à l’intersection de deux phénomènes fortement conditionnés par des logiques de sélection sociale : l’accès à l’enseignement supérieur puis à la mobilité internationale.
11La sociologie de l’éducation a abordé la question de l’origine sociale et de la sélection dans l’accès à l’éducation principalement au travers de l’enseignement obligatoire. Néanmoins, l’accès à l’enseignement supérieur se situe au cœur du processus de stratification sociale. Les travaux pionniers de Pierre Bourdieu ont montré que cet accès était largement déterminé par l’origine sociale [42], au même titre que les bénéfices que l’on peut espérer en tirer [43]. Si le passage par l’enseignement supérieur peut être garant d’une certaine légitimité dans la société [44], son accès inégal en fait également un outil au service de la reproduction sociale [45].
12Depuis les années 1990, l’élargissement et la diversification du recrutement dans l’enseignement supérieur, en termes d’origines sociales, sont devenus des impératifs majeurs [46]. L’avènement de l’éducation dite de masse a effectivement signifié une diminution des inégalités d’un point de vue « quantitatif » : plus de personnes, issues de classes sociales diversifiées ont désormais accès à l’enseignement supérieur. Néanmoins, de nouveaux types d’inégalités, plutôt liées à la « qualité » de l’enseignement reçu, ont surgi [47]. L’expansion de l’éducation s’est en effet accompagnée d’une certaine fragmentation du secteur éducatif. Ainsi, tandis que les classes moins favorisées commencent à pouvoir accéder à des niveaux éducatifs toujours plus élevés, les familles des classes moyennes et supérieures œuvrent dans le même temps — dans un souci de distinction sociale — à inscrire leurs enfants dans les programmes considérés comme plus prestigieux [48]. Afin que leurs enfants arrivent plus compétitifs sur le marché du travail, ces familles font preuve d’un véritable « sens du placement » [49] : poursuite d’études postuniversitaires [50], réalisation de stages [51] et études à l’étranger [52]. En ce sens, la migration pour études de leurs enfants est envisagée à travers une « vision promotionnelle de devenir social » [53]. Cette dernière constitue alors une des stratégies les plus sélectives, car elle implique une migration internationale. En effet, des travaux récents ont montré que l’origine sociale joue un rôle crucial dans la définition de l’éventail des possibilités (et impossibilités) de migration [54], en déterminant, dans une certaine mesure, « qui peut se déplacer et où » [55].
13La migration internationale étudiante peut ainsi être considérée comme le résultat d’un double processus de sélection, qui résulte à la fois de l’origine sociale des étudiants et des filières de formation qu’ils choisissent. Par conséquent, il n’est pas surprenant que la recherche existante sur ce phénomène ait montré comment les étudiants internationaux sont généralement relativement « privilégiés » et bénéficient souvent du soutien financier de leur famille dans leur migration [56]. Néanmoins, même si dans certains cas fréquenter des universités prestigieuses à l’étranger reste l’apanage d’une petite élite [57], les étudiants internationaux ne représentent pas pour autant un ensemble homogène. Des recherches ont par exemple montré qu’étudier à l’étranger ne constitue pas toujours l’option la plus convoitée, mais elle peut au contraire être un moyen de contourner l'échec de l'accès à des institutions plus prestigieuses dans les pays d'origine, offrant en quelque sorte une deuxième voie moins valorisée [58]. En outre, grâce à la disponibilité de bourses d’études visant à favoriser la mobilité internationale, la possibilité d’étudier à l’étranger n’est généralement plus considérée comme une prérogative exclusive des classes sociales les plus élevées et peut même, dans certains cas, se révéler être une option moins chère que de poursuivre des études dans le pays d’origine [59]. L’offre de bourses pour effectuer des séjours à l’étranger de courte durée, comme celle du programme Erasmus en Europe, donne également un « petit goût de mobilité internationale » à un nombre toujours plus important d’étudiants issus d’horizons sociaux diversifiés. Ce type de mobilité étudiante, de courte durée et réalisée dans le cadre de programmes de mobilité institutionnalisés, apparaît particulièrement attractif pour les étudiants issus des classes moyennes inférieures, moins habituées aux voyages [60], car il constitue une manière moins risquée et moins prolongée d’acquérir une expérience internationale tout en accumulant le capital économique et culturel qui en découle [61].
14Nous pouvons donc constater que la migration internationale étudiante constitue à la fois un moyen de différenciation et de reproduction sociale pour les classes moyennes et supérieures [62], tout comme une ressource pour une quête de mobilité sociale ascendante [63] pour les groupes sociaux défavorisés. Toutefois, le retour sur investissement n’est pas toujours garanti. Des recherches sont ainsi allées jusqu’à constater des expériences postuniversitaires de déclassement, tant dans le pays de destination [64] que dans le pays d’origine pour certains étudiants [65]. Cela pourrait être lié à la classe sociale d’origine, comme cela a été souligné dans les études sur la migration internationale [66]. L’une des possibles explications des résultats différenciés de la mobilité pour études est à chercher dans les différences parmi les institutions d’enseignement supérieur. Comme nous l’avons souligné précédemment, dans un contexte global d’élargissement de l’accès à l’enseignement supérieur, c’est peut-être moins le diplôme en soi qui s’avère important, que le lieu où il a été obtenu [67]. En effet, le marché globalisé de l’enseignement supérieur est aujourd’hui fortement stratifié. Il comprend un nombre réduit d’universités d’élites, reconnues mondialement, et de nombreuses autres universités moins bien classées dans les différents index. Ces classements, bien que discutables [68], font aujourd’hui référence pour nombre d’étudiants en quête d’une expérience à l’étranger [69]. Ces mêmes étudiants contribuent alors à l'institutionnalisation de cette hiérarchie mondiale [70]. Or, la possibilité de « choisir » tel ou tel pays d’études et telle ou telle formation dépend des informations et ressources disponibles [71]. L'accès à l'information et aux ressources pour se déplacer dans les universités les mieux classées n'est pas réparti de manière équitable au sein des différentes classes sociales. Généralement, ce sont les familles situées en haut de la pyramide sociale qui sont également les plus à même d’exercer les choix les plus stratégiques concernant l'éducation de leurs enfants [72]. Aujourd’hui, les étudiants internationaux, dans ce marché très stratifié et relativement complexe de l’enseignement supérieur mondial, forment une population socialement hétérogène.
15Les contributions réunies dans le présent dossier montrent que cette réalité est complexe. En remettant la classe sociale au centre de l’analyse, les différentes contributions nous permettent de nuancer ces constats et de repenser l’articulation entre les études supérieures, la mobilité géographique et la mobilité sociale [73].
Présentation du dossier
16Ce dossier thématique s’inscrit dans le cadre des réflexions menées depuis 2016 par le collectif de chercheurs MobElites [74], qui regroupe des spécialistes des questions de l’enseignement supérieur, de la formation des élites et des migrations internationales, issus de différentes parties du monde. Il constitue l’aboutissement d’un travail engagé notamment lors de plusieurs séminaires et journées d’études sur ces questions de recherche.
17Le dossier interroge le triptyque « origine sociale, migration pour études et mobilité sociale » en s’intéressant à ce qui conditionne l’accès à cette forme de migration internationale ainsi que les effets qu’elle engendre sur les individus. Partant de la notion de « trajectoire » — qui permet de restituer la migration étudiante au sein du parcours de vie dans son ensemble et de porter attention aux bifurcations qui peuvent apparaître dans ces parcours [75] —, ce dossier thématique a pour objectif de montrer comment et jusqu’à quel point cette migration pour études peut générer, ou pas, une mobilité sociale et, à un autre niveau, reproduire ou engendrer de nouvelles inégalités pendant, mais aussi après les études. Les différentes contributions réunies permettent ainsi d’interroger à nouveaux frais les inégalités liées à la globalisation, en multipliant les approches disciplinaires et théoriques, et à travers des terrains et des méthodologies variés. Pour ce faire, il apparaissait également nécessaire de concilier différentes échelles d’analyse en tenant compte à la fois du niveau macro de la globalisation et des politiques nationales, et du niveau micro des individus pour penser le changement social [76] à travers la thématique des migrations étudiantes.
18Dans leur article, Lama Kabbanji et Sorana Toma montrent, en combinant les échelles d’analyse et des sources de données administratives et d’enquête en ligne, que la sélection sociale des étudiants étrangers est résolument ancrée dans la stratégie politique de l’État français et ses différentes administrations depuis la mise en place de la politique de l’« immigration choisie » et plus encore depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Adoptant une approche sociodémographique et longitudinale, les auteures montrent comment la mise en place, particulièrement depuis le début des années 2000, de politiques migratoires de plus en plus restrictives a transformé le volume et les caractéristiques sociodémographiques des migrations étudiantes en France, notamment au détriment des étudiants issus des anciennes colonies et de certaines disciplines. En filigrane, l’analyse de Lama Kabbanji et Sorana Toma met en lumière la position ambivalente qu’occupent les étudiants étrangers en France : à la fois catégorie de migrants désirés s’inscrivant dans le sillage de « l’immigration choisie », et population faisant l’objet d’une politique migratoire de plus en plus sélective, en termes d’origines géographique et sociale, ou encore à l’échelle des filières d’études.
19La contribution de Kevin Mary propose une réflexion méthodologique originale sur les défis de l’analyse des catégories sociales dans les pays dits du Sud, et en particulier dans les contextes africains. Face aux difficultés auxquelles sont confrontés les chercheurs travaillant sur ces sociétés, notamment celles des classifications sociales basées sur des nomenclatures officielles empruntées à l’étranger et qui s’avèrent parfois en décalage avec les réalités locales, l’auteur explore les ajustements méthodologiques possibles afin de pallier ces carences. À partir de ses travaux sur le Mali, et particulièrement ses enquêtes de terrain à Bamako, menées dans le cadre d’une thèse de doctorat portant sur les études à l’étranger des « élites » maliennes, Kevin Mary nous restitue le cheminement méthodologique qu’il a emprunté pour élaborer des classifications scientifiques mieux adaptées aux caractéristiques sociales de sa population d’étude. Ce texte ouvre des perspectives de réflexion méthodologique novatrices mieux à même de saisir certains ressorts fondamentaux de la migration pour études et de comprendre, plus largement, la complexité de cette forme de migration internationale.
20Les deux contributions suivantes s’orientent vers des travaux plus qualitatifs, fondés sur des enquêtes sociologiques. Dans son article, Hugo Bréant analyse le rôle des ressources scolaires acquises à l’étranger dans le processus de réinstallation dans les pays d’origine. À l’issue d’une recherche doctorale consacrée aux appropriations de la mobilité internationale et aux trajectoires de mobilité sociale, l’auteur montre que l’obtention d’un diplôme à l’étranger n’est pas toujours synonyme de mobilité sociale ascendante systématique dans le pays d’origine. En exposant trois idéaux-types des usages sociaux des diplômes étrangers par des migrants retournés aux Comores et au Togo, la contribution d’Hugo Bréant appréhende les situations sociales contrastées qui en découlent, selon les histoires familiales, les parcours migratoires et les origines sociales de ses enquêtés. Ainsi, afin de rendre compte des dynamiques de mobilité sociale en cas de retour, cet article, comme le souligne à juste titre l’auteur, montre qu’il est difficile de penser le diplôme décroché à l’étranger comme un capital scolaire déterminant et isolé des autres formes de ressources.
21Par ailleurs, si les migrations pour études sont souvent pensées comme un tremplin vers une mobilité sociale ascendante, particulièrement après le retour au pays d’origine, ne peuvent-elles pas produire dans certains cas l’effet inverse, à savoir un processus d’immobilité sociale, voire même de déclassement ? C’est à l’importance de la prise en compte de cette question que nous convie Yong Li. En analysant la dimension subjective de la mobilité sociale de diplômés chinois qui sont restés travailler en France après leurs études, l’auteur se penche sur le sentiment d’immobilité qu’éprouvent ses enquêtés et sur leur évaluation ambivalente quant au succès de leur migration. En effet, en se comparant avec leurs pairs non migrants en Chine, ces anciens étudiants chinois établis en France se rendent compte qu’ils accumulent plusieurs niveaux de décalage dans les différents domaines de la vie par rapport à leur groupe de référence. Les trajectoires de ces migrants semblent être jalonnées par des processus d’immobilité et des rapports complexes à la question de la mobilité sociale dans la migration pour études. Ce faisant, l’article de Young Li engage le débat sur le paradoxe de « l’immobilité dans la mobilité ».
22Enfin, à partir de ses travaux sur l’institutionnalisation de la mobilité pour études, dans le cadre du programme européen Erasmus, Magali Ballatore s’attache à l’analyse des différentes formes de hiérarchies sociales qui s’opèrent entre les étudiants ayant participé à ce programme de mobilité et entre leurs lieux de formation. Face aux multiples injonctions à l’internationalisation de leurs trajectoires scolaires, l’auteure explique comment les étudiants Erasmus se retrouvent, au final, confrontés à une offre inégale de mobilité internationale en fonction de leur lieu d’études, de leur université d’appartenance et de leur pays d’origine. En effet, il s’avère que les destinations et les filières auxquelles ils sont destinés ne se valent pas toutes et n’offrent pas, non plus, les mêmes débouchés professionnels. Magali Ballatore déconstruit ainsi l’image d’Épinal du programme Erasmus et met au jour les inégalités, notamment sociales, d’accès à ce type de mobilité institutionnalisée.
Mots-clés éditeurs : migration internationale, mobilité sociale, Classe sociale, état des recherches, étudiant, enseignement supérieur, mobilité géographique
Mise en ligne 30/06/2020
https://doi.org/10.3917/migra.180.0019Notes
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[1]
CAMPUS FRANCE, “Chiffres clés 2020”, février 2020.
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[2]
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[3]
Voir le numéro de la Vie de la recherche scientifique publié par le Syndicat national de l’enseignement supérieur (snesup) consacré à l’analyse de cette stratégie et de ses implications.
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[4]
Pour n’en citer que quelques-unes, mentionnons les actions menées par le collectif des carrés rouges, les nombreuses motions votées en conseil d’administration, d’UFR ou de laboratoire, le rejet exprimé par la conférence des présidents d’université (cpu), le Conseil scientifique du CNRS ou le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (cneser).
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[5]
Voir l’arrêté publié le 19 avril 2019 officialisant la hausse des frais d’inscription pour les étudiants extracommunautaires s’inscrivant pour la première fois dans un cursus de licence ou de master : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT 000038396885&categorieLien=id.
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