1Simona Tersigni : Pour réaliser ce long métrage, vous avez suivi pendant un an les élèves et l’enseignante d’une classe d’accueil dans un collège parisien, en vous concentrant sur le cours de français. On voit interagir des élèves d’âge relativement proche et leur relation avec l’enseignante, d’où une première question sur l’observation des enfants en tant que telle, dont l’histoire remonte au XVIIe siècle. Charles Darwin (1809-1889) observera ses sept enfants autant que la nature et les animaux pour développer ensuite des théories sur l’évolution. On ne connaît pas tous les enjeux de ces pratiques, on ne sait pas nécessairement ce qu’elles ont notamment pu impliquer en termes de surveillance des corps en devenir des enfants. Dans le dossier de presse de votre film, vous mettez l’accent sur l’importance, dans votre démarche, de la capacité à accepter, accueillir le hasard. Cela m’a vraiment interpellée car, dans l’ouvrage qui s’intitule The Taming of Chances, son auteur, le philosophe britannique Ian Hacking, insiste sur la manière dont, à la fin du XIXe siècle, la pensée s’est construite de manière à domestiquer les imprévus, les probabilités et le hasard. Il m’a semblé tout à fait intéressant qu’au niveau filmique la même posture soit reprise.
2Julie Bertuccelli : Le principe du documentaire, c’est d’accueillir le hasard, même si, au moment où l’on élabore le projet, on prévoit, on imagine, on rêve des choses et que l’on s’intéresse au départ à quelqu’un, à un lieu, à un sujet. On est également obligé de rédiger des dossiers, ce qui revient à faire des promesses avant même de réaliser le film, pour pouvoir le vendre aux chaînes, aux producteurs, puisqu’il faut avoir de l’argent pour le réaliser. À la fin, quand on relit les dossiers de départ, on voit bien qu’il y avait quelque chose qui était là initialement, parce qu’on savait ce qu’on cherchait, même si, en même temps, on ne voulait pas non plus trop savoir ce qu’on cherchait, parce qu’on avait envie d’être surpris et de ne pas non plus venir avec des a priori, avec des théories, en se limitant à chercher uniquement ce que l’on voulait trouver… C’est ce que font souvent les journalistes qui passent très peu de temps sur les lieux où ils filment. Ils ont une « théorie » et viennent chercher des images qui pourraient la confirmer, alors qu’en documentaire, on passe beaucoup de temps sur place ; c’est le temps qui fait la différence. De mon côté, j’ai passé une année dans l’établissement que j’ai filmé. Un journaliste, pour traiter un sujet analogue, passe une semaine sur place et fait quelques plans d’illustration. Il mène des interviews, ajoute un commentaire et voilà. Il fait dire ce qu’il veut à la réalité d’une certaine manière, en ne montrant que certaines choses, même si le documentaire implique également des choix.
3Certes, on n’est jamais que dans du subjectif et du cinéma : ce n’est que mon regard très subjectif qui intervient dans ce film. Il n’y a rien d’objectif, de toute façon, dans une retranscription. J’imagine que, même en sociologie, on ne peut jamais être complètement objectif. Il s’agit toujours du regard de quelqu’un qui observe, l’observation pouvant un peu modifier la réalité. C’est un grand classique de dire que quand on prend la température de l’eau, rien que l’acte d’immersion du thermomètre change la température de l’eau. Pour ce qui est de la caméra par exemple, elle peut éventuellement changer des choses à la marge, même si c’est rare. Mais on est quand même là pour être surpris par ce qui se produit.
4J’avais décidé de grands principes : n’être que dans la classe et ne pas aller chez les enfants, même si à un moment donné j’ai eu des doutes, j’ai eu peur que rester entre ces « quatre murs », un lieu qui n’est d’ailleurs pas très esthétique, ce ne soit pas assez pour faire un film. On a d’ailleurs commencé à monter pour être sûrs que ça tenait la route et qu’il ne fallait pas aller chez les enfants. J’avais choisi de faire un film choral et d’être avec le plus d’enfants possible pour jouer le groupe, pour voir ce que c’est que de vivre ensemble. Il ne s’agissait pas pour moi de dresser des portraits individuels. La professeure devait être la colonne vertébrale de tout ça, sans être non plus le personnage principal. On ne voit par ailleurs pratiquement que le cours de français. Je suis allée filmer d’autres cours par sécurité, pour vérifier s’il n’aurait pas été pertinent de suivre d’autres cours. Mais ce n’est pas le cours de français en tant que tel qui m’intéressait, c’étaient surtout les discussions entre les élèves. Je ne faisais pas un film pédagogique sur la manière dont le français est enseigné, cela aurait été très rébarbatif. D’ailleurs, il y a très peu de cours de grammaire ou de séquences d’apprentissage dans le film. Ce qui m’intéressait, c’était l’humain, la transformation des élèves, leur adaptation, ce qu’ils avaient envie de dire, leurs émotions, ce qu’ils avaient en commun, ce qui les différenciait.
5S. Tersigni : Quels sont les moments qui vous ont surprise, positivement ou négativement ?
6J. Bertuccelli : On parlait d’accueillir le hasard : l’enseignante de ce cours de français pratiquait cet accueil du hasard. C’était l’une de ses grandes qualités et c’est ce qui m’a beaucoup enthousiasmée, dans le sens où je n’avais pas non plus beaucoup d’a priori sur ce qu’était l’apprentissage : un apprentissage qui ne se pense pas dans un rapport classique de maître à élève, qui n’est pas trop structuré avec des apprentissages à faire obligatoirement dans tel ordre et où tout le monde doit être au même niveau. Tout cela, c’est l’une des choses qui m’a le plus, peut-être pas surprise, mais intéressée. Parce que je savais bien que cela existait et c’était passionnant de voir une professeure faire cela, utiliser différentes théories d’apprentissages type Freinet, Montessori… Elle a appris sur le tas et a expérimenté plein de choses, elle a fabriqué sa propre théorie. Elle a elle-même écrit des livres pédagogiques et enseigné auprès de professeurs-étudiants. On sent bien, dans le film, qu’il y a de l’apprentissage actif dans tout cela. Ce qui est surprenant, c’est que cela soit efficace à ce point-là. Ce qui est pédagogiquement très fort, c’est de voir l’enseignante être aussi accueillante du hasard et de la diversité des élèves, trouver génial qu’il y ait ces différences d’âge et de niveau. Dans ce cadre, les différences d’âge deviennent un moteur pédagogique. Les élèves ne sont pas tous « rabotés » par niveau ; à l’inverse, les uns apprennent des autres. Chacun voit que son camarade a aussi des difficultés dans une autre matière, que chacun a ses points forts, ses points faibles, et qu’il va apprendre aussi des élèves et pas seulement de la professeure. Voir tout cela à l’œuvre était très émouvant et passionnant. Ce qui m’a le plus bouleversée, c’est tout ce qui concerne la trajectoire de ces enfants, leur force de caractère et leur énergie, et la forme de résilience dont ils font preuve, la manière dont, malgré tout ce qu’ils ont vécu, ces élèves sont au contraire adaptables, forts, habités par l’envie de réussir, curieux, ouverts. J’étais heureuse de faire un film sur l’immigration, l’intégration, de voir qu’effectivement il n’y a décidément pas « une » immigration, mais qu’il y a cent cinquante visages différents, cent cinquante histoires, autant d’histoires différentes et de manières de s’intégrer. Là, j’avais en face de moi l’éventail de vingt-quatre histoires différentes, de raisons différentes de migrer, de formes d’intégrations, d’histoires de famille : ceux qui retrouvaient leurs parents, ceux qui vivaient avec une tante en France… Les difficultés économiques à l’origine du départ du pays, les guerres, les mariages, les problèmes de religion, tout était là, donc c’était effectivement d’une richesse considérable.
7Ces élèves arrivaient avec une étiquette sur le front, qui était leur couleur de peau, leur accent, leur non-compréhension de la langue, leur histoire difficile, et puis ils se rendaient compte qu’en fait ils étaient tous pareils dans cette différence-là. Ils avaient en commun les mêmes difficultés, des différences qui les handicapaient au début. Finalement, la professeure réussissait à transformer complètement l’impression qu’ils avaient d’eux-mêmes, elle les amenait à percevoir que ces différences-là, au lieu d’être un handicap et quelque chose qu’on aurait pu critiquer chez eux — d’ailleurs, tous les autres se moquaient d’eux au début —, devenaient une force, leur force. C’est justement leur particularité, leurs langues et cultures différentes, leur connaissance très intime de plein de choses que les autres ne connaissent pas qui faisaient qu’ils étaient au contraire forts et qu’ils pouvaient s’adapter et très bien réussir. C’était quelque chose de très fort, et le fait que cette enseignante ait été ouverte à l’imprévu des discussions importait beaucoup. Elle rebondissait d’ailleurs toujours sur ce qui se disait, elle était vraiment dans l’écoute ; cela lui donnait des idées, par exemple de films qu’elle réalisait ensuite en classe avec eux. Elle avait très bien compris à quel point fabriquer un film était un outil pédagogique très fort et passionnant. Cela permet d’apprendre à écrire, à parler, à être face à une caméra, à être introspectif, à parler de soi, à s’intéresser à l’autre. Cette enseignante faisait deux films par an avec ses élèves, un film d’animation et un film documentaire, qui abordaient chaque année un thème différent. Les élèves adoraient, car c’était un projet qui était à eux, ces films devenaient leurs films, ils étaient fiers de les montrer, de faire des voyages pour aller les présenter lors de festivals. Cela crée une synergie géniale au sein de la classe.
8S. Tersigni : C’est exactement la sensation que j’ai eue en regardant le film : une relation pédagogique émancipée des jugements professoraux se réalise enfin. Mais, pour avoir contribué à une enquête sur ces dispositifs en France au sein de quatre académies, je peux affirmer que cette situation idéale de votre long métrage ne correspond pas à l’infographie que nous avons dressée pour notre commanditaire, le Défenseur des droits, en 2018. L’inclusion en classe ordinaire des élèves dits allophones est, par exemple, de plus en plus difficile…
9J. Bertuccelli : C’est parce qu’ils y reviennent trop vite. L’UPE2A a changé les choses. Quand j’ai filmé, le dispositif UPE2A n’était pas encore tout à fait en vigueur. C’était l’année charnière. J’ai suivi cette évolution et j’ai défendu le dispositif que j’avais filmé auprès du ministre de l’Éducation nationale de l’époque [Benoît Hamon], les classes d’accueil. J’ai invité à la vigilance, car les changements introduits, aussi minimes soient-ils, ont, j’en suis sûre, laissé la porte ouverte à des choses qui deviennent moins fortes. Désormais, la professeure de la classe d’accueil n’est plus tout à fait la professeure principale de ces élèves. Ces derniers ont maintenant l’obligation d’intégrer beaucoup plus rapidement la classe d’inclusion, enfin la classe ordinaire et ne peuvent se rendre que de temps en temps dans la classe d’accueil. Selon moi, ça change tout, car la force de l’ancien dispositif venait du fait que les élèves devaient d’abord prendre leurs marques en classe d’accueil avant d’intégrer petit à petit la classe ordinaire. Il y a certainement eu des dérives, des professeurs des classes d’accueil qui gardaient sans doute trop longtemps les élèves. C’est possible ! Mais aller dans le sens inverse, insister pour qu’ils soient d’abord immergés dans une classe ordinaire et suggérer qu’ils viennent seulement de temps en temps à côté, en classe d’accueil, cela a tout fichu en l’air.
10S. Tersigni : Faire le choix de filmer les élèves de cette classe dans un seul lieu implique nécessairement des sacrifices. Lesquels ?
11J. Bertuccelli : Ce n’étaient pas vraiment des sacrifices, car j’avais fait un choix au départ. Comme je l’ai dit, je m’étais fixé comme principe de rester dans ce cocon, parce que, pour moi, cette classe d’accueil, c’était un cocon. C’est d’ailleurs pour ça que j’étais furieuse quand ce dispositif a été modifié. Même si les changements étaient infimes, cela conduisait à ne plus faire de la classe d’accueil la base du dispositif, alors qu’elle devrait l’être. Le lieu d’accueil devrait être un lieu où, dès que cela ne va plus dans la classe ordinaire, l’élève puisse revenir et où il ait le droit de rester un an s’il le faut, pour ensuite revenir progressivement dans la classe ordinaire, parce que c’est un lieu de refuge et un nid que ces élèves-là n’ont souvent pas ailleurs. C’est aussi pour les aider psychologiquement, symboliquement à se reconstruire, car la France n’est pas un nid. Ces jeunes arrivent dans quelque chose de complètement inexploré, tout neuf, où tout est chamboulant, très dur. Dans ces classes, au contraire, ils se fabriquent une nouvelle famille, quelque chose de très réconfortant, très rassurant, où ils se reconnaissent et se ressemblent. Ce nid-là, moi, j’avais envie d’en faire le lieu principal de mon film.
12Par ailleurs, aller chez ces élèves aurait impliqué d’en faire des personnages à part entière, ce que je ne pouvais pas : avec 25 élèves, le film aurait duré cinq heures. De plus, c’était vraiment l’histoire de ce groupe que je voulais filmer, même si évidemment il y a des élèves qui ressortent plus que d’autres dans le film, parce qu’ils étaient là à certains moments, parce qu’ils ont parlé lors d’une discussion, ou parce qu’au contraire d’autres s’exprimaient moins et étaient plus timides. C’est par exemple le cas des Sri Lankais dans le film : on les voit, mais ils ne prennent que très rarement la parole. J’avais vraiment la volonté de faire fonctionner cette unité de temps, de lieu, correspondant à une année scolaire au sein de cette classe.
13Néanmoins, j’ai quand même essayé de filmer un peu dans la cour par exemple. Je filmais d’abord la cour vue d’en haut, depuis la classe, où je les attendais. Ensuite j’y suis allée, mais très doucement, car au début, évidemment, tous les élèves du collège venaient me demander « Alors, c’est quoi ? », « C’est pour quelle chaîne ? », ils venaient avec leur capuche sur la tête, ils faisaient les zouaves devant la caméra. C’est normal, d’ailleurs les journalistes ont ce genre de plan dans leurs reportages. Mais moi, ça ne m’intéressait pas. Et je voyais bien que c’était délicat pour les élèves de la classe d’accueil d’être filmés dans la cour devant tous les autres élèves. Dans la classe, ils étaient rassurés, cela allait. Mais être mis en avant devant tout le monde, être filmés en petit groupe, c’était différent. Ils étaient très gênés et timides, comme n’importe quel adolescent. Le principe de l’adolescence, c’est que tu veux être comme tout le monde, tu veux te fondre dans la foule, tu t’habilles comme tout le monde, tu ne supportes pas d’être comme ça, une vedette. Enfin, tu cherches peut-être à être la vedette, mais pas de cette manière-là. En tout cas, eux étaient assez timides, ils étaient même assez moqués, ils n’étaient pas assez intégrés au début pour supporter ça. Pour moi, le cœur du projet était surtout leurs discussions avec la professeure et ce qu’ils disaient d’eux-mêmes.
14S. Tersigni : Je voudrais en venir aux rencontres avec les parents de ces élèves et dont on a aussi des images très intéressantes dans les scènes coupées que l’on trouve dans le deuxième DVD associé à celui de votre film. Si vous avez commencé par filmer le groupe-classe, avez-vous filmé les rencontres avec les parents après avoir pris connaissance de l'expérience scolaire et migratoire des élèves, c'est-à-dire, après un certain temps, ou cela s’est-il fait au fur et à mesure ?
15J. Bertuccelli : Cela s’est fait au fur et à mesure. Je les rencontrais quand la professeure organisait des rencontres avec eux, en fin de trimestre, pour échanger sur les relevés de notes. Évidemment, je connaissais bien les élèves, mais les parents, quant à eux, je ne les avais rencontrés qu’une fois, en début d’année, pour leur exposer les principes du film et leur demander l’autorisation de filmer les élèves. Lors des réunions avec la professeure, ils étaient tellement pris par la discussion qu’ils n’étaient pas incommodés par la caméra, alors même que j’étais encore plus proche d’eux que je ne l’étais des élèves que je filmais en cours : avec les parents, j’étais vraiment près, tout près !
16S. Tersigni : Il n’y a jamais eu d’interprète durant ces entretiens avec la professeure ?
17J. Bertuccelli : Non ! Les élèves faisaient les interprètes pour leurs parents, ou la professeure parlait anglais de temps en temps, mais elle ne parlait ni l’arabe, ni le chinois. Une seule fois, une femme est venue avec l’une de ses cousines qui a un peu fait l’intermédiaire. La professeure se débrouillait avec les élèves qui faisaient eux-mêmes la traduction, ce qui d’ailleurs les a obligés à grandir (ils avaient un double rôle), à s’intégrer et à être les parents de leurs parents en quelque sorte !
18S. Tersigni : Cela a-t-il donné lieu à des débats sur la place de l’enfant et de l’adolescent ?
19J. Bertuccelli : C’est sûr que c’est quelque chose de lourd pour eux, mais dans le même temps, cela fait partie de leur vie, de leurs difficultés et de leur force. Cela peut être dur, je ne dis pas le contraire. C’est très dur d’encaisser les difficultés et la non-intégration des parents, mais c’est aussi ce qui fait qu’ils s’intègrent très vite. Ils deviennent porteurs de plein de responsabilités, un peu trop certes, mais c’est leur vie et ce sont leurs données de vie, ils apprennent avec ces expériences et ils deviennent forts de ce vécu aussi. Néanmoins, si la France accueillait mieux les étrangers... Là, c’est en fait plutôt la responsabilité de la France qui est en jeu, c’est l’État qui doit aider les parents à être autonomes, qui doit faire en sorte qu’ils ne demandent pas à leurs enfants de faire les traductions de leurs dossiers, ni d’être interprètes dès qu’ils ont un rendez-vous. S’il y avait des interprètes à disposition, il n’y aurait pas ces difficultés. Mais puisque la France n’accueille pas bien, c’est sûr que cela retombe sur les épaules des enfants. Dans l’ensemble, c’est extraordinaire ce que ces classes, aujourd’hui devenues des UPE2A, font, et ce que cette professeure faisait: les résultats qu’elle a eus, elle les a aussi obtenus parce qu’elle poussait les parents à être exigeants avec leurs enfants, allant même jusqu’à lutter pour qu’ils permettent à leurs enfants de poursuivre leurs études au lieu d’entrer sur le marché du travail rapidement.
20S. Tersigni : Les élèves ont-ils réussi à vivre positivement le fait de ne pas être francophones, par une sorte de retournement de cet éventuel stigmate ?
21J. Bertuccelli : Oui. Pour eux, c’est à mon avis l’apprentissage transmis par la professeure qui a principalement joué. Elle leur disait constamment : « Bon, c’est bien de garder votre langue d’origine. Même s’il faut absolument parler français, il ne faut pas l’oublier complètement, il faut être fier de la richesse de connaître une autre langue et de cette différence ». Le film le montre : leur force, c’est qu’ils ont cette différence, cette expérience incroyable, ces difficultés qui font qu’ils sont riches, qu’ils apportent beaucoup à la France. D’ailleurs, dans les débats qui ont suivi la projection du film, tout le monde leur disait : « Merci d’être là ! Heureusement qu’il y a des gens comme vous qui viennent en France ! Le pays a besoin d’enfants comme vous ». C’était fort pour eux.
22Éva Debray : Au collège, comment ces élèves se percevaient-ils ? D’abord comme des élèves de la classe d’accueil, ou se considéraient-ils en fait dans un entre-deux ? Comment percevaient-ils ce rapport entre les classes ?
23J. Bertuccelli : Comme ils le disent, ils étaient vraiment en classe d’accueil. Au début, c’était un peu dur, mais c’était plutôt dans les classes ordinaires que c’était difficile, parce que les autres élèves se moquaient de leur accent. On voyait bien qu’ils ne comprenaient pas. Sortir de la classe d’accueil était difficile, mais petit à petit, ça allait très bien. Ils se sentaient quand même élèves de la classe d’accueil, mais pas de façon exclusive, puisque très rapidement, ils allaient progressivement dans les classes ordinaires. Ils le vivaient bien, s’intégrant peu à peu à leur classe ordinaire. Ce n’était pas un frein. Au contraire même, puisqu’ils avaient pris de la force dans leur classe d’accueil. De plus, c’était tout de même un collège avec de la mixité. Le collège est en rep [Réseau d’éducation prioritaire], il n’y avait donc pas non plus que des « Blancs » dans la cour, même si des « Noirs » de familles « intégrées » depuis longtemps, depuis plusieurs générations, se moquaient aussi des élèves de la classe d’accueil. D’ailleurs, j’ajouterai ici une chose sur les choix que j'ai opérés. De temps en temps, ce n'est pas formulé sur le ton du reproche, mais on me demande : « Pourquoi ne les voit-on pas dans leur classe de rattachement ? ». Je suis allée une fois dans une classe de langue, en cours d’espagnol, en me disant que je pourrais éventuellement suivre un élève pour voir un peu comment cela se passait dans sa classe de rattachement. Mais d’abord, c’était très compliqué d'obtenir de tous les parents d'élèves l'autorisation de filmer les jeunes, et je ne voulais pas filmer dans une classe avec les élèves de dos. Quand je filme les gens, je les filme. Et puis, dans le fond, ça ne m’intéressait pas, parce que les élèves des classes d’accueil eux-mêmes parlaient de ce qui se passait en classe ordinaire. Cela m’intéressait plus de voir comment eux le vivaient et comment, progressivement, ça ne devenait plus un sujet, parce qu’ils n’avaient plus à en parler : on ne se moquait plus d’eux. Par ailleurs, je n’avais pas envie non plus de stigmatiser certains élèves des classes de rattachement. Ça aurait été très dur de filmer un môme qui se moque d’un autre. Et je souhaitais pas montrer du doigt ni juger un élève sans doute d’abord enfermé dans les préjugés de ses parents, dans les logiques de son milieu ou de l’ambiance de la classe et des injustices de l’adolescence.
24É. Debray : Dans la scène de la piscine, souhaitiez-vous mettre en exergue le rappel à l’ordre et la question de l’exclusion ? C’est quelque chose que l’on ne voit à aucun autre moment du film. Avez-vous filmé des scènes similaires ?
25J. Bertuccelli : Oui, avec les autres professeurs, c’était souvent cela. À l’école, l’on entend souvent qu’il n’est pas évident d’enseigner aux élèves étrangers. Cela m’a intéressée de voir à l’œuvre le fait que c’est, au contraire, fort, riche, émouvant. C’est pour cela que je voulais faire ce film, mais je ne m’attendais pas à proposer une réflexion sur ce qu’est l’école, sur l’accueil des enfants et sur l’apprentissage. Je savais que la professeure de la classe d’accueil avait cette force-là au niveau pédagogique, mais je ne pensais pas que j’allais tant découvrir grâce à elle.
26É. Debray : On ne la voit quasiment pas dans le film, pourriez-vous préciser en quoi son rôle a été déterminant selon vous ?
27J. Bertuccelli : On ne la voit pas, mais on l’entend beaucoup, puisqu’elle est la colonne vertébrale de la classe. Finalement, on ne la voit que dans les moments où sa présence devient émouvante. Malgré tout, sa parole est tout de même très présente, sa voix est là, et sa présence est progressive dans le montage, c’est volontaire. Évidemment, durant le tournage, je la filmais dès qu’elle parlait, mais je n’avais pas envie de lui accorder une place trop importante au début du film, qui était d’abord centré sur les élèves… C’est petit à petit, et en particulier lors de la scène où elle est face à une élève, toute seule, que son intervention devient vraiment majeure. Et bien sûr aussi pendant la scène finale. En tout cas, elle m’a énormément aidée. Elle était vraiment un partenaire très fort du film. Je lui posais constamment des questions. J’étais, de manière générale, très à l’écoute, notamment de toutes les tensions qu’il y avait entre les élèves, celles propres à chacun, celles de leur famille.
28É. Debray : Comment votre film a-t-il été accueilli par les professionnels de l’éducation, dans un contexte où, nous l’avons dit précédemment, le dispositif d’accueil des élèves dits allophones était réformé ?
29J. Bertuccelli : L’année qui a suivi le tournage, lors du montage puis à la sortie du film, des professeurs m’ont appelée, des pétitions ont circulé. Cette réforme a eu des effets sur la politique éducative et ouvrait la porte à des pratiques différentes. Sa mise en œuvre dépendait toutefois des proviseurs, parce qu’ils pouvaient décider de laisser le dispositif inchangé. En outre, cela pouvait ne rien changer pour certains élèves, mais pour d’autres, cela signifiait moins d’heures en dispositif, être intégré tout de suite dans la classe ordinaire, suivre seulement quelques cours dans la classe d’accueil. Certains élèves n’ont pas vécu ces changements, parce qu’ils sont restés dans le même type de dispositif que celui que j’avais filmé, mais dans d’autres, surtout en région parisienne et notamment en Seine-Saint-Denis, il y a eu de vrais drames. Beaucoup de professeurs s’en plaignaient. Je me suis investie pour les soutenir, discuter avec eux, intervenir auprès du ministère, car ce film était une aubaine pour l’Éducation nationale. Le film mettait formidablement en avant le modèle promu par le ministère. De mon côté, je leur disais que si mon film mettait en valeur ce dispositif, il montrait justement qu’il ne fallait pas l’abîmer. Les ministres de l’Éducation nationale qui se sont succédé ont voulu organiser des projections du film dans plusieurs académies, lancer de grands débats et de grandes réflexions sur le sujet. De ce point de vue, le film a aidé en interne, je ne sais pas dans quelle mesure, mais il a permis de protéger un peu le dispositif d’accueil tel que je l’avais observé… Je ne sais pas ce qu’il en est désormais, je ne suis pas non plus au cœur de tout, mais puisque j’ai fait des projections dans toute la France et que je continue encore régulièrement à en faire, j’écoute, j’observe. Les professeurs me racontent ce qui change, ce qui ne change pas. Ils m’ont tous dit que désormais, avec l’ouverture du dispositif UPE2A, il est possible d’en faire un peu ce que l’on veut, même s’il faut également compter avec un manque de moyens, ce qui rend les choses fragiles dans certains établissements. D’ailleurs, toutes les rencontres auxquelles j’ai participé m’ont permis de voir qu’il n’y avait pas de classes d’accueil partout, qu’il en manquait, surtout dans les lycées.
30É. Debray : Comment les différents ministres de l’Éducation nationale qui se sont succédé se sont-ils emparés de ce film ?
31J. Bertuccelli : Tous les ministres successifs ont, de toute façon, insisté auprès de leurs équipes pour que ce dispositif reste une institution forte. Après, ce ne sont pas les ministres qui impulsent et mettent en œuvre directement les changements de politique éducative, il faut tenir compte du travail au sein des cabinets, de différentes évolutions... De mon côté, j’écoutais tout le monde, je n’avais pas de partis pris. Je ne suis pas une militante, je suis là pour écouter : c’est vrai que c’est intéressant d’entendre les raisons et les justifications des changements. J’écoutais les acteurs institutionnels qui disaient : « Si on a voulu ouvrir ces classes, c’est qu’il y a eu des abus ! ». C’est vrai, des gens me disaient que certains professeurs restaient avec leur classe d’accueil pendant un an, voire deux, qu’ils ne les ouvraient jamais, les élèves n’allaient jamais s’intégrer aux classes ordinaires. Évidemment, c’était une dérive ! Par ailleurs, j’ai vu le travail que ce dispositif nécessitait : pour organiser les emplois du temps, pour faire en sorte que tel enfant en troisième « A » soit libre tel jour sur tel créneau, de manière à ce qu’il puisse suivre aussi les cours de français… L’enseignante que j’ai filmée passait un temps colossal à cela, alors même qu’elle n’était pas payée pour ce travail. Par ailleurs, dans certains collèges, quand le proviseur n’est pas à l’écoute des besoins spécifiques de ces classes d’accueil, les professeurs qui y enseignent n’ont pas les moyens de proposer des activités culturelles permettant un mélange entre les classes et entre les élèves. De ce point de vue, le manque de moyens dans l’Éducation nationale est à pleurer, comme partout. J’ai bien perçu toutes ces difficultés, le film a servi, dans le bon sens. Il a conduit à porter le regard sur ce dispositif et à y faire attention. Il a servi d’étendard pour montrer en quoi consiste la bonne classe d’accueil.
32Je voulais dire aussi que j’ai fait beaucoup de projections-débats avec des classes de collège, avec des élèves de classe ordinaire et des élèves concernés par ce dispositif. J’ai constaté qu’à chaque fois, des élèves se levaient en pleurant et s’exclamaient : « Voilà, je suis comme elle ! ». Les jeunes racontaient sur place leur histoire, et les autres élèves du collège entendaient cela. Non seulement ils étaient émus par le film mais, en outre, ils voyaient une fille qu’ils connaissaient dire : « Je suis comme celle du film ! ». Cela a aidé. D’ailleurs, le film est beaucoup montré dans les collèges, je crois qu’il a même été mis en avant dans des livres scolaires. Encore maintenant, il connaît un développement important dans les ciné-clubs. C’est le film le plus montré dans les ciné-clubs, grâce aux élèves, qui le choisissent majoritairement. Mon grand regret, et j’espère que cela va un jour changer, c’est que ce film n’a jamais été retenu dans les dispositifs « Collège au cinéma » et « Lycée au cinéma » qui permettent aux élèves de se rendre trois fois par an au cinéma. Puisque les personnes qui font la sélection privilégient plutôt les fictions, ils ne veulent pas d’un film sur l’école. Mais un jour, cela viendra, je l’espère, parce que le film est très demandé par les enseignants et par les élèves, à chaque fois il a un succès fou… Il importe que les élèves le voient avec leur classe, car ils n’iraient pas nécessairement le voir avec leurs parents au cinéma ! Ce sont des petites graines qui ont été semées là. Les professeurs que je rencontre me disent tous à quel point cela a ouvert quelque chose, qu’ils veulent le montrer chaque année à tous les nouveaux, pour qu’ils voient ce qu’est une classe d’accueil, qu’ils soient plus attentifs et plus généreux, plus accueillants. Je suis heureuse, il a une vraie portée. Il a très bien marché au cinéma ; 200 000 entrées, c’est beaucoup pour un documentaire.
33É. Debray : C’est un outil pédagogique !
34J. Bertuccelli : Oui, mais il a aussi tenu cinématographiquement. Quand je parle du film, on parle aussi des choix artistiques…
35S. Tersigni : Je suis intriguée par le fait que, récemment, les sciences sociales et le cinéma se soient simultanément intéressés au grandir du corps (et non seulement de l’esprit) depuis l’enfance jusqu’à l’adolescence et l’entrée dans l’âge adulte. Je pense notamment au pendant de la sociologie que j’ai retrouvé dans un film italien Le cose belle réalisé en 2015 par Giovanni Piperno et Agostino Ferrente, dans lequel sont filmés quatre jeunes adolescents d’un quartier populaire du centre-ville de Naples, et que l’on voit complètement transformés dix ans après, filmés dans leur vraie vie avec leur ingéniosité, leur fragilité, leurs peurs et leurs espoirs. Avez-vous également été frappée durant votre tournage par ce « grandir » du corps des élèves, ainsi que par les couleurs, non de leur peau, mais de leurs vêtements, de leurs accessoires, des matériaux scolaires ou d’autres supports de l’établissement ?
36J. Bertuccelli : C’est sûr que l’adolescence est le moment le plus fort dans l’épanouissement, on voit dans le film comment les élèves s’épanouissent, comment ils deviennent de plus en plus beaux, comment leur corps change. Pour beaucoup d’entre eux, on voit ce changement en un an, cela m’a beaucoup émue. L’un des personnages que je trouve de ce point de vue le plus émouvant est la petite chinoise. Je suis sûre que si on revenait sur les nombreux rushes que je n’ai pas intégrés dans le montage final, on pourrait voir à quel point les élèves commençaient à s’assumer, à ne plus s’habiller trop en noir, à se maquiller, à devenir très beaux. Cet épanouissement des corps, je l’ai vécu sur une année, c’est aussi pour cela que je suis allée à la piscine, j’étais à l’affût des traces de la féminité et de la masculinité en train de se construire. L’adolescence, c’est l’âge boutonneux, compliqué… Au cours de discussions, les élèves ont eux-mêmes fait état de toutes les différences, y compris corporelles … Ils ont tout mis à plat : la barbe, la voix, le sexe, les seins. Ils en parlaient beaucoup, j’ai filmé tout cela, j’ai toute cette progression, leur réflexion là-dessus, leur gêne...
37S. Tersigni : Dans le dossier de presse du film, vous parlez aussi du mythe de Babel qui nous a doublement intriguées puisque c’est un mythe théologique et littéraire, et vous en faites en quelque sorte un mythe filmique ! C’est intéressant ce retour à Babel associé à l’enfance, dans une société dite aujourd’hui Child Centered, pendant que d’autres œuvres en lien avec l’enfance, la jeunesse et l’héritage symbolique ont récemment fait référence à un autre mythe biblique, celui de Sodome et Gomorrhe, avec le livre de Roberto Saviano sur les logiques et pratiques de la camorra, ainsi que l’ouvrage de Frédéric Martel paru récemment sur le Vatican et la pédophilie. Par le recours à Babel, vous montrez une autre manière de parler de l’enfance, une enfance agissante, au sens d’une « enfance des possibles ». Aviez-vous en tête une telle conception de l’enfance lorsque vous avez réalisé ce film ?
38J. Bertuccelli : C’est-à-dire que j’avais cela en tête oui, mais je n’avais pas encore le titre définitif du film au moment du tournage : je savais que je n’avais pas encore le bon. L’un des premiers titres était « Nous autres ». Le fait d’entendre toutes ces langues pendant le tournage, certaines que je parle, le russe par exemple, d’autres pas, m’a conduite à en jouer dans le titre final. La langue idéale au sein de ces classes était le français, puisqu’ils étaient en France, mais il y avait aussi le désir de garder toutes les autres : cela faisait la richesse, cela faisait aussi l’entente entre ces élèves ! Ces langues leur permettaient de communiquer au début, tant qu’ils ne connaissaient pas la langue française, mais aussi d’avoir des discussions intimes. Il y avait plusieurs groupes : ceux qui parlaient espagnol, ceux qui parlaient russe, avec des Polonais, et il y avait tous les anglophones et ceux pour lesquels l’anglais était une langue facile. Le fait que chacun était traducteur des autres (on le voit dans certaines scènes, par exemple celle où une Roumaine parle à une Polonaise qui connaît un peu le roumain et s’adresse à une Russe qui, elle, traduit, puisque c’est elle qui parle le mieux) faisait qu’il y avait un parcours des langues que je trouvais particulièrement passionnant. Cela me faisait penser à Babel et au mythe de cette langue qui devait être moteur d’une guerre, plutôt que d’une paix. Quand on est dans une classe où il y a 25 pays, 25 langues, 25 cultures, évidemment, le thème de Babel s’impose : peut-être pas dès le départ, mais c’est un mythe agissant quand on s’intéresse à l’immigration et aux questions d’exil, auxquelles depuis longtemps je suis très sensible. J’ai fait partie de plusieurs associations qui viennent en aide aux demandeurs d’asile et immigrés, et j’ai réalisé un documentaire sur un curé, l’Abbé Glasberg, qui a créé France terre d’asile et le Centre d’action sociale des étrangers (cose, devenu cos), et qui a été très moteur après la Seconde Guerre mondiale sur la question des réfugiés. Il a sauvé nombre de juifs, il a fait en sorte que les réfugiés espagnols s’intègrent en France... Pour en revenir à Babel, le titre m’est venu à l’esprit un jour, une fois le film fini. Je cherchais un titre autour de Babel et j’ai dit à mon compagnon, ma langue fourchant : « J’aimerais bien trouver quelque chose autour de la cour [au lieu de Tour] de Babel ! », alors il m’a dit : « Bah voilà, c’est cela, c’est La Cour de Babel ! ». Ce lapsus a engendré le titre, mais c’était inhérent au projet et il est vrai que lorsque des élèves me demandent « Qu’est-ce que la tour de Babel ? », je leur explique un peu l’histoire. Ce que cette tour symbolise est lumineux : ce rêve d’une langue unique et, en même temps, toutes ces langues que Dieu aurait créées pour faire la guerre...
39S. Tersigni : Pourtant, selon Jorge Louis Borges, la tour de Babel n’incarne pas la défiance à Dieu, puisque la tour devient la bibliothèque…
40J. Bertuccelli : Un refuge, bien sûr ! Mais il y a l’histoire des langues aussi.
41S. Tersigni : Donc l’évolution du mythe qui se dé-théologise en gardant le lieu-refuge…
42J. Bertuccelli : Bien sûr, et c’est pour cela que dans le titre figure le mot « cour » et pas « tour ». La cour, c’est quelque chose qui protège, même si la classe était le refuge de ces enfants. Le mythe en tout cas était là, entièrement en action.
43É. Debray : Avez-vous revu les adolescents après le tournage ? Que sont-ils devenus ?
44J. Bertuccelli : Oui, bien sûr. Ils ont tous eu des parcours différents, mais la plupart ont continué leurs études, ont eu leur bac, même si cela fait maintenant quelque temps que je n’en ai pas vus certains. Tous ces élèves se sont beaucoup vus, ils ont créé des groupes Facebook pour continuer à échanger. Le film leur a donné l’occasion, les deux années suivant sa sortie, de venir aux projections tous ensemble, de participer à des débats, de parler devant le public. Ils parlaient déjà parfaitement français et cette expérience des débats devant un public leur a beaucoup apporté. Ils me disaient : « Alors là, c’était le meilleur apprentissage qui soit, parce que maintenant on passe tous les examens qu’on veut, à l’américaine, on sait parler devant le public, on n’a pas peur ». C’était un exercice permettant de créer de la cohésion de groupe. À chaque fois qu’ils venaient, pour des débats, ils étaient très fiers. La première fois qu’ils se sont vus, ils étaient tous sous la table à rire, à ne pas vouloir se regarder, et finalement ils ont beaucoup aimé le film. Et les parents aussi, évidemment. De toute façon, c’est une richesse de garder une telle trace de cette année si majeure pour eux. L’arrivée en France, c’est quand même fondateur dans une histoire.