Couverture de MIGRA_140

Article de revue

Notes de lecture

Pages 299 à 308

Notes

  • [1]
    En Espagne (mais pas seulement), c’est l’expression “droit de suffrage” qui est la plus souvent utilisée dans les textes juridiques et dans les débats politiques pour décrire le droit de voter (droit de suffrage actif) et le droit d’être élu (droit de suffrage passif).
  • [2]
    En incluant les citoyens européens, la majorité des résidents étrangers en Espagne ont potentiellement le droit de voter aux élections municipales (s’ils remplissent la condition de cinq années de résidence). Mais c’est le cas de seulement un tiers des extracommunautaires.
  • [3]
    Voir MOYA, David, “Instruments de participation pour les immigrés en Espagne et en Catalogne en particulier : droit de vote et alternatives”, Migrations Société, vol. 23, n° 134-135, mars-juin 2011, pp. 109-136 [ndlr].
  • [4]
    Cf. VACAS FERNÁNDEZ, Félix, Los tratados bilaterales adoptados por España para regular y ordenar los flujos migratorios : contexto, marco jurídico y contenido, Madrid : Editorial Dykinson, 2007, 268 p.
  • [5]
    Pas de taxation sans représentation.
  • [6]
    Il s’agit de la Bolivie, du Cap-Vert, du Chili, de la Colombie, de l’Équateur, de l’Islande, de la Norvège, de la Nouvelle-Zélande, du Paraguay et du Pérou. Trinité et Tobago a rejoint cette liste en novembre 2011.
  • [7]
    22 provinces fédérées sur 24 (23 provinces et un district fédéral) reconnaissent le droit de vote des étrangers.

VACAS FERNÁNDEZ, Félix, El reconocimiento del derecho al sufragio de los extranjeros en España : un análisis desde el derecho internacional, Madrid : Editorial Dykinson, 2011, 105 p.

1 La question du droit de suffrage [1] des étrangers est une des questions centrales posées dans le cadre de la démocratie actuelle, à l’heure où les États sont confrontés à l’intensification des migrations humaines, des échanges économiques et des circulations d’informations. La fiction de la souveraineté — entendue comme pouvoir illimité — des États est ébranlée par différents phénomènes comme celui des agences de notation dont l’impact sur les taux d’intérêt, et du coup sur les politiques économiques, ridiculise les Parlements et les gouvernements nationaux. Mais paradoxalement, la souveraineté semble subsister sur des pans entiers des politiques étatiques, et notamment sur la gestion des êtres humains, de leurs droits et de leurs circulations.

2 L’État semble n’être souverain que pour contrôler, limiter, entraver les droits des personnes, alors qu’il s’incline devant le pouvoir des multinationales et des puissances de l’argent. Ainsi, la question du droit de suffrage des étrangers est au centre du dilemme des démocraties modernes, où d’un côté l’exigence démocratique conduit à reconnaître le droit à la participation des êtres humains concernés par les décisions politiques, et de l’autre le recours incantatoire à une conception sourcilleuse de la souveraineté conduit à rejeter les étrangers hors du « droit d’avoir des droits » politiques. Cette question est fondamentale pour la démocratie au xxie siècle. Elle est posée dans les différents champs théoriques (philosophie et sciences politiques, sociologie, économie, démographie, histoire, etc.) et elle est posée aux citoyens qui sont amenés à débattre de ces questions dans de nombreux pays. Ainsi, en France, elle est un des points débattus dans la campagne électorale présidentielle de 2012.

3 Au moment où elle peut connaître des avancées importantes dans ce pays, il est sans doute intéressant de jeter un regard sur le cas de l’Espagne, qui, sur la base de la réciprocité, a récemment octroyé le droit de vote au niveau local aux ressortissants d’une dizaine de pays extracommunautaires. Cet exemple est intéressant pour éclairer le débat sur la question de la réciprocité. En effet, en France, c’est à cette condition explicite que la Constitution (article 88-3) a été révisée pour accorder le droit de vote aux citoyens européens, et certains acteurs de ce débat considèrent qu’il ne serait pas opportun d’accorder des droits aux ressortissants de pays qui ne reconnaîtraient pas les mêmes droits aux Français. C’est une question à prendre au sérieux, et l’exemple espagnol est tout à fait instructif. Les lecteurs pratiquant l’espagnol auront grand intérêt à découvrir l’ouvrage de Félix Vacas Fernández qui présente une étude approfondie sur le droit de suffrage des étrangers en Espagne et stimule la réflexion. La présente note de lecture nous amènera à sortir du simple cadre du résumé analytique afin de proposer des interprétations assez personnelles des développements du professeur Vacas.

4 C’est depuis la perspective du droit international que le Pr Félix Vacas Fernández analyse le processus récent d’extension du droit de suffrage des étrangers en Espagne. Son apport est doublement pertinent. D’une part, il permet d’actualiser la réflexion sur les problèmes spécifiquement espagnols, à partir du processus lancé en 2008 par le gouvernement et le Parlement espagnols, qui ont conduit les services diplomatiques à conclure des traités bilatéraux permettant l’octroi du droit de vote à une majorité potentielle [2] des résidents étrangers en Espagne aux élections municipales en 2011 ; d’autre part, il montre le caractère paradoxal de l’application du principe de réciprocité au droit de suffrage des étrangers, qui consiste sans doute à concilier l’inconciliable, à savoir principe de souveraineté et reconnaissance du droit à la citoyenneté des personnes, y compris dans le champ politique. Il montre que le processus espagnol produit des avancées incontestables (dans le droit positif de certaines catégories de résidents étrangers en Espagne et, on pourrait ajouter, par l’effet d’entraînement dans certains pays) mais en souligne les limites (dans l’étendue forcément restrictive des États dont les ressortissants se voient accorder de nouveaux droits, et dans le caractère très modeste de ces nouveaux droits). Au fond, et c’est là le grand intérêt de l’ouvrage, l’expérience espagnole est très instructive pour ceux qui ont une conception exigeante de la démocratie, et le Pr Vacas montre la nécessité d’une véritable refondation de la citoyenneté, ouverte aux migrants, qu’il appelle de ses vœux.

5 Le livre s’ouvre sur un prologue d’Elviro Aranda Álvarez, professeur de droit constitutionnel et député socialiste, qui rappelle notamment le contexte politique et institutionnel dans lequel le processus de reconnaissance du droit de suffrage des étrangers a été relancé en 2008. L’objectif initial était de favoriser l’intégration des étrangers qui vivent et travaillent en Espagne et qui contribuent à son développement, en accordant le droit de suffrage aux étrangers extra-communautaires. Compte tenu des difficultés constitutionnelles (l’article 13.2 de la Constitution de 1978 conditionne l’octroi du droit de suffrage à des critères de réciprocité) et politiques (le Partido Popular ayant fait part de ses réticences), la voie choisie a été celle d’accords diplomatiques avec les pays accordant déjà (ou enclins à accorder) le droit de suffrage aux résidents espagnols [3]. Pour un lecteur français, il est toujours étonnant de constater que la perspective d’une révision constitutionnelle n’est alors même pas évoquée (ou alors sous forme de boutade, p. 16), alors même que la Constitution a été réformée une deuxième fois ces derniers mois pour y inscrire la “règle d’or” (principe de stabilité budgétaire). Rappelons que la première (et jusqu’il y a peu, unique) réforme constitutionnelle avait justement concerné le droit de suffrage (en l’occurrence, le droit d’être élu) des étrangers (pour mise en conformité avec le traité de Maastricht, en 1992).

6 L’autre voie possible, plus souple, aurait consisté à modifier la loi électorale (notamment, pour éviter d’avoir à ouvrir des négociations diplomatiques toujours risquées). Mais ce n’est pas le choix qui a été fait, et Elviro Aranda Álvarez partage les regrets du Pr Vacas en soulignant, à l’heure du bilan, le faible nombre de nouveaux électeurs inscrits au terme du processus pour les élections municipales de 2011 (45 000, soit 13 % du nouveau corps électoral potentiel). Basée sur une interprétation très stricte du principe de réciprocité, la démarche espagnole a consisté à ouvrir des négociations bilatérales avec quelques pays. En tant que connaisseur averti de ce type de négociations diplomatiques, notamment en matière de flux migratoires [4], le Pr Vacas était sans doute l’une des personnes les plus indiquées pour analyser le développement de cette démarche concernant le droit de suffrage.

7 Les deux citations mises en exergue par l’étude du Pr Vacas situent parfaitement la perspective qui est la sienne. D’une part, il fait référence à Kant, qui dans son traité Vers la paix perpétuelle invoque le droit universel de tous les hommes à être en n’importe quel lieu de la terre de tous les hommes. C’est donc bien dans une perspective universaliste et cosmopolite que le Pr Vacas entreprend d’analyser la question du droit de suffrage. Et d’autre part, il rappelle le slogan de la révolution américaine « No taxation without representation » [5], qui montre que la question des droits humains ne doit jamais être envisagée à partir du seul point de vue du pouvoir étatique, et que, au contraire, elle doit s’étudier à partir d’un point de vue dialectique, prenant en compte l’action politique, les luttes des êtres humains, des citoyens actifs pour conquérir de nouveaux droits. Le problème des droits ne peut donc pas être considéré comme traité définitivement, et une perspective réellement démocratique nous invite à toujours le remettre en question, dans un sens universaliste. Comme l’indique le Pr Vacas, les droits humains sont une construction historique. Ils ne sont pas donnés par la nature mais ils sont le fruit des luttes (p. 23). Et l’objectif qui soustend son travail — qui est celui, initialement, du gouvernement Zapatero et du Parlement espagnol en 2008 ainsi que des promoteurs du droit de suffrage des étrangers en général — est celui de la reconnaissance de ce droit aux élections municipales à tous les étrangers résidant de façon régulière et stable en Espagne. Son étude montrera combien cet objectif demeure nécessaire mais encore lointain au regard des difficultés rencontrées et des limites juridiques et politiques actuelles.

8 Nous encourageons les lecteurs à lire de façon détaillée l’étude du Pr Vacas, que nous ne pouvons ici que présenter synthétiquement en soulignant quelques points qui ont attiré notre attention.

9 L’ouvrage se décompose en deux parties, chacune séparée en deux chapitres. La première partie présente l’état des lieux avant les négociations bi-latérales, tandis que la seconde présente l’état des lieux après ces négociations. Chaque chapitre impair constitue une description du droit en vigueur et chaque chapitre pair présente les problèmes posés et les solutions préconisées.

10 Le premier chapitre fait un état des lieux du droit positif international et interne applicable à la reconnaissance du droit de suffrage aux étrangers pour les élections municipales en Espagne. Rappelant qu’il s’agit, au fond, de la question liant (ou déliant) nationalité (statut juridique d’une personne vis-à-vis d’un État) et citoyenneté (statut politique de la personne participant aux décisions sur les affaires publiques), c’est-à-dire, fondamentalement, souveraineté et démocratie (p. 32), il montre que le droit international est de faible ressource pour résoudre ce problème et que globalement, en l’état actuel, c’est le droit interne de chaque État souverain qui définit les conditions d’accès et d’exercice de la citoyenneté. Les ressources du droit international (notamment, la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques) s’avèrent fort limitées en matière de droit de suffrage (des étrangers). Les avancées européennes, quant à elles, sont réelles au niveau du Conseil de l’Europe, et surtout au sein de l’Union européenne. Elles sont toutefois aussi limitées, d’une part, par le caractère non obligatoire de la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local et, d’autre part, par le caractère restrictif du traité sur l’Union européenne, définissant la “citoyenneté de l’Union” qui a permis de reconnaître le droit de suffrage municipal et européen à tous les résidents européens dans toute l’Union (27 États membres à ce jour) à partir de la nationalité des États membres. Le chapitre présente également une étude de droit comparé, montrant que la pratique du droit de suffrage des étrangers n’est pas exceptionnelle, qu’elle est plutôt en développement dans un nombre croissant de pays, notamment les plus démocratiques, mais que cette tendance globale ne permet pas de passer outre le caractère discrétionnaire pour les États de déterminer dans quelle mesure ils ouvrent, ou non, leur droit de suffrage à des étrangers. Quant au droit espagnol, il est marqué par l’exigence de réciprocité qui est inscrite dans la Constitution et déclinée dans la législation électorale, et dans la législation régissant le statut des étrangers.

11 Le deuxième chapitre présente les problèmes posés par le principe de réciprocité pour la reconnaissance globale du droit de suffrage des étrangers aux élections municipales en Espagne. Un de ses apports importants consiste justement en une analyse fine du principe de réciprocité. Il montre combien la réciprocité en droit international est liée à une conception traditionnelle (et pour tout dire, dépassée) du monde. Il s’agit, selon l’ordre traditionnel — l’ordre westphalien — d’un partage de la planète entre États souverains, dont la souveraineté est à la fois illimitée verticalement (chaque prince est empereur en son royaume) et plurielle horizontalement (puisque chaque État reconnaît les autres comme également souverains). La réciprocité, mécanisme de relation entre membres d’une société peu institutionnalisée (p. 54), subsiste encore dans l’ordre international alors que la société internationale s’est peu à peu institutionnalisée, notamment à partir des drames des deux guerres mondiales, avec l’émergence d’un droit international contemporain, commençant à reconnaître des droits “universels” aux personnes par-delà les États.

12 Ainsi, alors que la conception traditionnelle livrait la totalité des existences humaines aux États, seuls sujets du droit international, et donc seuls à même de reconnaître des droits dans leurs juridictions internes, à leurs ressortissants ou aux étrangers, cette dichotomie a éclaté. Les personnes cessent d’être uniquement des objets des relations entre États, et elles commencent à être des sujets titulaires de droits, indépendamment de leur nationalité. Mais les droits politiques, quant à eux, restent totalement dépendants des États, en l’état actuel. Ainsi, soumettre les droits politiques au principe de réciprocité, c’est revenir à la conception traditionnelle du monde, c’est placer la démocratie sous tutelle de la souveraineté des États, quand bien même celle-ci est ébranlée tous les jours par différentes forces qui échappent à tout contrôle démocratique. Le Pr Vacas analyse finement l’application du principe de réciprocité dans le cas espagnol, et même s’il ne va pas explicitement jusque-là, il montre combien, paradoxalement, la souveraineté espagnole est finalement elle-même ébranlée par une application trop stricte de ce principe. En effet, si la volonté (souveraine) de l’Espagne était d’accorder le droit de suffrage aux résidents étrangers afin de favoriser leur intégration politique (p. 61), cette volonté est entravée par les difficultés des négociations diplomatiques. Au fond, la situation du droit de suffrage en Espagne est totalement dépendante d’autres juridictions étrangères.

13 En tout cas, l’Espagne a eu (au moins, serait-on tenté d’ajouter, car en France ce n’est pas encore le cas au moment où ces lignes sont écrites...) le mérite d’agir, d’ouvrir des négociations, qui se sont traduites par la signature de divers accords bilatéraux, de différentes natures, permettant d’étendre le droit de vote à de nouvelles catégories d’électeurs.

14 La deuxième partie de l’ouvrage présente la situation actuelle suite à l’initiative de reconnaissance du droit de suffrage des étrangers aux élections municipales en Espagne et ébauche également les solutions possibles aux problèmes non résolus.

15 Le troisième chapitre présente les traités de réciprocité antérieurs à 2008 et ceux conclus récemment, qui ont permis d’octroyer le droit de vote au niveau local aux ressortissants de dix États non membres de l’Union européenne [6]. Il souligne notamment les difficultés rencontrées avec des pays comme l’Argentine, où la législation électorale relative aux élections municipales dépend des provinces fédérées, qui presque toutes reconnaissent [7] le droit de suffrage des résidents espagnols. L’Argentine ne peut donc pas remplir pleinement les conditions strictes de réciprocité pour que l’État espagnol reconnaisse le droit de suffrage aux résidents argentins. D’autres problèmes, tels que la durée de résidence exigée et la reconnaissance ou non du droit d’être élu, sont également présentés dans le détail. Enfin, le chapitre présente la modification de la Loi organique sur les droits et libertés des étrangers en Espagne et leur intégration sociale (car la loi électorale, quant à elle, n’a pas été modifiée sur le point du droit de suffrage des étrangers), qui montre combien les objectifs proclamés sont ambitieux en matière de reconnaissance des droits fondamentaux des étrangers en Espagne. C’est à l’aune de ces objectifs qu’il convient sans doute d’évaluer le résultat. Le Pr Vacas regrette en tout cas que le processus ait conduit à instaurer de nouvelles situations discriminatoires entre étrangers, car certains se voient reconnus partiellement comme citoyens et d’autres pas du tout, selon leur nationalité (p. 80).

16 Le quatrième et dernier chapitre présente un bilan du processus et les solutions possibles aux problèmes posés pour reconnaître de façon globale le droit de suffrage des étrangers résidents en Espagne aux élections municipales. Le Pr Vacas fournit les données statistiques qui montrent qu’un tiers des résidents extracommunautaires environ a désormais le droit de suffrage en Espagne, ce qui est indéniablement une avancée, et tout aussi indéniablement limité au regard des objectifs initiaux. Il souligne les inconvénients d’une application en la matière du principe de réciprocité, qui conduit à une fragmentation des situations juridiques et politiques selon la nationalité et va à l’encontre de la finalité d’intégration sociale et politique des étrangers. Le lecteur sera peut-être amusé par les propos d’un député qui mentionne le Maroc comme un pays « avec lequel on ne peut signer aucun accord » (p. 85), alors que la nouvelle Constitution marocaine, adoptée en juin 2011 par référendum, prévoit la reconnaissance du droit de vote au niveau local aux résidents étrangers (article 30). L’importance numérique des Marocains en Espagne conduira-t-elle l’Espagne à ouvrir une nouvelle négociation ?

17 Le Pr Vacas examine les différentes solutions qui pourraient résoudre les problèmes posés par l’application trop stricte (et trop limitée) du principe de réciprocité. Premièrement, une interprétation souple du principe de réciprocité est évoquée, s’appuyant notamment sur les thèses du Conseil d’État, qui se base sur le concept de « voisin » (article 140 de la Constitution) pour contourner l’article 13.2 et fonder la citoyenneté sur la résidence et non la nationalité. Mais la jurisprudence conduit à écarter cette solution, peu viable juridiquement. Deuxièmement, le Pr Vacas évoque la voie de la réforme constitutionnelle, en distinguant deux solutions possibles. L’une, maximaliste, consisterait à supprimer toute restriction nationale au droit de suffrage. Elle paraît peu envisageable politiquement. L’autre, plus modeste, consisterait à supprimer la clause de réciprocité pour les élections municipales. Cette réforme pourrait être mise en œuvre en suivant la procédure ordinaire prévue à l’article 167 de la Constitution. Il s’agit, visiblement, de la voie souhaitée par le Pr Vacas, qui exprime son regret qu’elle n’ait pas été suivie (p. 92). Au fond, le dispositif choisi par l’Espagne s’avère de facto trop lourd et, au bout de deux ans de résidence, les ressortissants des pays latino-américains peuvent devenir espagnols (et jouir ainsi de tous les droits de suffrage) presque plus facilement que se voir reconnaître le seul droit de vote au niveau local.

18 En conclusion, le Pr Vacas récapitule les différentes limitations qui ont pratiquement vidé de son sens la réforme ambitieuse envisagée initialement : droit limité aux seules élections municipales, uniquement le droit de vote et non celui d’être élu, condition de cinq ans de résidence légale et continue, et surtout, condition de réciprocité formalisée par un traité. Il répète la nécessité impérieuse de réformer la Constitution espagnole pour supprimer la clause de réciprocité et enfin sortir du monde du xixe siècle, où les droits des personnes dépendaient entièrement de l’arbitraire des États. À l’appui d’une refondation de la citoyenneté déconnectée de la nationalité, il prône la reconnaissance du droit de suffrage des étrangers comme une utopie nécessaire à la démocratie et aux droits de l’homme.

19 L’ouvrage du Pr Vacas constitue un apport incontournable pour ceux qui s’intéressent à la question du droit de suffrage des étrangers et des droits des étrangers en général. Il montre à la fois l’intérêt du principe de réciprocité, mais aussi son caractère beaucoup trop restrictif. Bien au-delà, il propose une stimulante réflexion sur une refondation des droits humains à l’aube du xxie siècle, par-delà le principe de souveraineté.

20 Hervé Andrès

BATTISTELLA, Graziano (a cura di), Migrazioni : dizionario socio-pastorale, Cinisello Balsamo : Edizioni San Paolo, 2010, 1120 p.

21 Tous ceux qui étudient depuis longtemps les multiples aspects et approches des migrations internationales rêvent de pouvoir un jour recueillir de manière systématique et exhaustive tout ce savoir et en faire un manuel, un dictionnaire ou une encyclopédie. Graziano Battistella, religieux scalabrinien, directeur du Scalabrini Migration Center de Manille et ancien proviseur du Scalabrini International Migration Institute de Rome, a pu mener à terme sous la forme d’un dictionnaire des migrations un long travail commencé au début des années 1980 au sein de la Fédération des centres d’études Giovanni-Battista Scalabrini. Il s’agit d’un dictionnaire socio-pastoral destiné avant tout à servir d’outil à l’Église catholique dans l’accompagnement spirituel des migrants, un service loin d’être évident dans sa compréhension et dans son organisation. Toutefois, bien qu’orienté religieusement, cet ouvrage ne saurait se limiter aux approches théologiques : « Le dictionnaire se qualifie comme socio-pastoral car il entend respecter l’importance et la nécessité des deux moments d’analyse nécessaires pour comprendre les migrations et agir sur elles avec la sollicitude de ceux qui croient que le Royaume de Dieu est annoncé également aux migrants. L’analyse sociale est indispensable si l’on veut connaître la nature et les évolutions possibles des migrations. Il s’agit d’une analyse qui requiert une approche interdisciplinaire, puisque le fait migratoire implique une multiplicité de dimensions, du moment qu’il touche à la vie des personnes tout comme à l’organisation des sociétés, la planification économique, les relations internationales » (Introduction, p. XII). Les sciences sociales servent ainsi à la connaissance et à l’analyse de la réalité migratoire, tandis que la théologie et l’expérience pastorale devraient — dans cette optique — y apporter des principes d’action en accord avec l’éthique et le bien-être global des personnes objets d’étude.

22 Sur les 156 entrées qui constituent les plus de 1 115 pages du dictionnaire, un peu plus de 50 sont de nature “sociale”, le reste ayant trait plutôt à la pastorale migratoire. « Sous le profil plus proprement sociologique sont abordées les différentes étapes du processus migratoire, du recrutement dans le pays d’origine, les conséquences de la migration tant dans le pays d’origine que dans le pays d’accueil, de même que les aspects concernant la vie des migrants et la société d’accueil (assimilation/intégration, citoyenneté, organisations/ associations des migrants, regroupement familial, santé, “deuxième génération”, étudiants étrangers, multiculturalisme, interculturel, identité, tolérance, discrimination, racisme, transfert de fonds) ainsi que le retour dans le pays d’origine pour ceux qui ne demeurent pas définitivement dans le pays d’accueil » (Introduction, p. XIII).

23 Les entrées consacrées à la pastorale offrent, en revanche, un éventail de thèmes qui se regroupent selon quatre axes majeurs : la Bible avec ses références à la migration ; l’histoire de l’engagement de l’Église dans l’accompagnement des migrants ; la doctrine du Magistère catholique sur le phénomène migratoire ; l’action et l’organisation pastorales de plusieurs conférences épiscopales nationales (dont la conférence française, l’article qui lui est consacré ayant été rédigé par José da Silva, ancien directeur du Service national de la pastorale des migrants).

24 Les 156 entrées sont traitées dans des articles de longueur variable, allant d’un minimum de 850 mots à un maximum de 4 000 mots. Les auteurs sont au nombre de 123, d’une vingtaine de nationalités. Ces chiffres donnent un aperçu du travail accompli, auquel il faut ajouter celui des traducteurs (en italien) des textes originaux rédigés dans une demi-douzaine de langues. Les données contenues dans les contributions sont actualisées jusqu’à la mi-mai 2009, date à laquelle ces dernières devaient parvenir à la rédaction.

25 La présentation de l’ouvrage — signée par son coordonnateur — propose une synthèse très intéressante de la réalité des mouvements migratoires en cette période de crise économique mondiale. On y lit que — selon le Rapport sur le développement humain de 2009 — six personnes sur dix émigrent vers des pays ayant les mêmes traditions religieuses que leur pays d’origine, tandis que quatre sur dix se rendent dans des pays où la langue principale est la même que celle de leur pays d’origine. L’auteur s’efforce de brosser un panorama migratoire d’où émergent plusieurs mécanismes récurrents (plus les politiques migratoires sont restrictives et plus l’immigration clandestine augmente ; en période de crise économique, les immigrés servent de boucs émissaires, etc.) que les instances politiques des différents pays d’immigration ont bien du mal à intégrer. Au niveau pastoral, le texte aborde quatre interrogations cruciales : la pertinence d’une pastorale spécifique pour les migrants ; la complémentarité entre l’action de l’Église autochtone et celle des missionnaires pour les migrants ; l’effort pour réduire le risque de marginaliser la pastorale des migrants en la déléguant à un groupe restreint de responsables ; l’ouverture de l’Église catholique à tous les migrants, y compris les non-catholiques.

26 Luca Marin


Date de mise en ligne : 01/12/2016

https://doi.org/10.3917/migra.140.0299

Notes

  • [1]
    En Espagne (mais pas seulement), c’est l’expression “droit de suffrage” qui est la plus souvent utilisée dans les textes juridiques et dans les débats politiques pour décrire le droit de voter (droit de suffrage actif) et le droit d’être élu (droit de suffrage passif).
  • [2]
    En incluant les citoyens européens, la majorité des résidents étrangers en Espagne ont potentiellement le droit de voter aux élections municipales (s’ils remplissent la condition de cinq années de résidence). Mais c’est le cas de seulement un tiers des extracommunautaires.
  • [3]
    Voir MOYA, David, “Instruments de participation pour les immigrés en Espagne et en Catalogne en particulier : droit de vote et alternatives”, Migrations Société, vol. 23, n° 134-135, mars-juin 2011, pp. 109-136 [ndlr].
  • [4]
    Cf. VACAS FERNÁNDEZ, Félix, Los tratados bilaterales adoptados por España para regular y ordenar los flujos migratorios : contexto, marco jurídico y contenido, Madrid : Editorial Dykinson, 2007, 268 p.
  • [5]
    Pas de taxation sans représentation.
  • [6]
    Il s’agit de la Bolivie, du Cap-Vert, du Chili, de la Colombie, de l’Équateur, de l’Islande, de la Norvège, de la Nouvelle-Zélande, du Paraguay et du Pérou. Trinité et Tobago a rejoint cette liste en novembre 2011.
  • [7]
    22 provinces fédérées sur 24 (23 provinces et un district fédéral) reconnaissent le droit de vote des étrangers.

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