Couverture de MIGRA_134

Article de revue

La politique d’immigration du Gouvernement de la Catalogne : approche, orientations et enjeux

Pages 55 à 68

Notes

  • [1]
    Secrétaire général à l’Immigration, Generalitat de Catalogne (2006-2010).
  • [2]
    Cf. CABRÉ, Anna, Catalunya, poble decadent ?, Barcelona, conférence de l’Ateneu Barcelonès, Secció d’Economia i Ciècies Socials, 1998.
  • [3]
    Cf. CABRÉ, Anna ; PUJADAS, Isabel, Crecimiento y estancamiento : la población de Cataluña en el siglo XX, Bellaterra : Centre d’Estudis Demogràfics, 1989, 28 p.
  • [4]
    GENERALITAT DE CATALUNYA, Pacte national pour l’immigration, Barcelona : Departament d’Acció Social i Ciutadania, Secretaria per a la Immigració, 2009, 92 p., http://www20.gencat.cat/docs/dasc/ 03Ambits%20tematics/05Immigracio/03Politiquesplansactuacio/02pactenacionalimmigracio/02continguts/Pdfs/Document_final_PNI_frances.pdf
  • [5]
    Les groupes parlementaires signataires de ce document sont les suivants : Convergència i Unió (ciu), Convergence et union, coalition habituellement qualifiée de centre-droit ; Partit dels Socialistes de Catalunya (psc), Parti des socialistes de Catalogne ; Esquerra Republicana de Catalunya (erc), Gauche républicaine de Catalogne ; Iniciativa per Catalunya Verds y Esquerra Unida i Alternativa (icv-euia), Initiative pour la Catalogne - Les Verts — Gauche unie et alternative.
  • [6]
    Le padrón municipal est le registre où sont inscrits, depuis 1858, tous les habitants d’une commune. Le permis de séjour n’est pas requis pour s’inscrire au padrón. Depuis la loi espagnole 4/2000, l’inscription au padrón est nécessaire pour accéder au système de santé, à la scolarisation et à la régularisation pour cause d’enracinement [ndlr].
  • [7]
    L’embauche à l’étranger peut être nominative (un entrepreneur engage un employé qu’il connaît) ou par le biais d’un contingent (un secteur d’activité peut, à travers une prévision négociée avec le gouvernement, disposer d’un nombre d’emplois vacants qu’il peut pourvoir en procédant à l’embauche à l’étranger).
  • [8]
    Loi organique 2/2009 du 11 décembre 2009 relative aux droits et libertés des étrangers en Espagne et à leur intégration sociale, modifiant la loi organique 4/2000 du 11 janvier 2000.
  • [9]
    Le taux d’activité est le rapport entre le nombre d’actifs (actifs occupés et chômeurs) et l’ensemble de la population correspondante. Le taux d’emploi d’une classe d’individus est calculé en rapportant le nombre d’individus de la classe ayant un emploi au nombre total d’individus dans la classe. Il peut être calculé sur l’ensemble de la population d’un pays, mais on se limite le plus souvent à la population en âge de travailler (généralement définie, en comparaison internationale, comme les personnes âgées de 15 à 64 ans), ou à une sous-catégorie de la population en âge de travailler (femmes de 25 à 29 ans par exemple) [ndlr].
  • [10]
    Le Statut d’Autonomie de la Catalogne définit les droits et les obligations des citoyens de la Catalogne, les institutions politiques de la nation catalane, leurs compétences et leurs relations avec l’État central et le financement de la Generalitat de Catalogne. Voir Statut d’Autonomie de la Catalogne, 2006, http://www.gencat.cat/generalitat/cat/estatut/
  • [11]
    Loi 10/2010 du 7 mai 2010 relative à l’accueil des immigrés et des personnes qui sont rentrées en Catalogne, http://www20.gencat.cat/docs/dasc/03Ambits%20tematics/05Immigracio/12legislacio/ Projecte_llei_acollida/Text_projecte/Documents/llei_acollida_dogc.pdf
  • [12]
    L’administration de la Generalitat de Catalogne est structurée en Departaments (ou Conselleries) dont les titulaires sont les consellers qui composent le gouvernement dirigé par un président [ndlr].
  • [13]
    Que l’on appelle en catalan “el tercer sector.
  • [14]
    Taula de Ciutadania i Immigració.
  • [15]
    Cf. INSTITUT D’ESTADÍSTICA DE CATALUNYA ; SECRETARIA DE POLÍTICA LINGÜÍSTICA, Encuesta d’usos lingüístics de la població de 15 i més anys. Catalunya, 2008, Barcelona : IDESCAT, 2009.

1 Au cours des dix dernières années, la Catalogne a accueilli un million de personnes d’origine étrangère, la population immigrée — originaire de plus de 175 États et parlant plus de 250 langues — passant alors de 2 % à 16 % de la population totale, qui se chiffre aujourd’hui à 7 millions d’habitants.

2 La Catalogne a ainsi vécu un changement démographique ayant peu de précédents dans le monde, en raison notamment de l’accroissement des arrivées de migrants, une situation à laquelle la société s’est adaptée en acceptant cette réalité ainsi que l’irréversibilité du processus et en adoptant une politique d’intégration formulée dans des termes similaires à ceux officiellement employés par l’Union européenne.

3 De la sorte s’affirmait une volonté de projeter dans l’avenir une Catalogne composée d’un seul peuple, constituant une nation et apportant ainsi la contribution catalane à la diversité mondiale. Les Catalans — anciens et nouveaux — réaffirment leur volonté d’avoir un espace partagé de communication, de vie en commun, de reconnaissance et de participation, afin que la nation catalane continue d’être le référent de toute la population qui habite et travaille en Catalogne.

4 La société catalane est une société diversifiée qui n’envisage pas d’être une diversité de sociétés isolées les unes par rapport aux autres. Les Catalans veulent vivre ensemble et être un seul peuple.

La Catalogne, pays d’immigration

5L’extraordinaire changement démographique de la dernière décennie n’est pas exceptionnel dans l’histoire de la Catalogne. Avec un modèle démographique propre étudié par Anna Cabré [2] et qui se définit par une croissance naturelle de la population proche de zéro, l’augmentation de la population constatée tout au long du xx e siècle n’a été possible que grâce à l’immigration, d’abord une migration interne en provenance de toute l’Espagne, ensuite une migration internationale. Diverses données [3] indiquent qu’avec le seul taux de croissance naturelle de 1900, un siècle plus tard la population de la Catalogne n’aurait été que de 2,7 millions de personnes, au lieu des 7,5 millions actuels.

6 La Catalogne est donc un pays d’immigration, un pays composé de personnes ayant la volonté d’être catalanes, parfois seulement catalanes, souvent catalanes et quelque chose d’autre. Il s’agit d’un pays porteur d’une identification nationale à un espace partagé mais recouvrant des identités plurielles, un pays dans lequel, en 1931, 31 % des habitants étaient nés hors de la Catalogne, ce même pourcentage passant à 38 % en 1972, dont 20 % nés en Espagne et 18 % dans d’autres pays.

7 La concrétisation politique de la reconnaissance de cette diversité structurelle de la nation catalane a eu lieu le 19 décembre 2008 avec la signature du Pacte national pour l’immigration : un pacte pour vivre tous et toutes ensemble [4]. Il s’agit d’un accord stratégique promu par le gouvernement catalan, signé par 90 % des partis politiques [5] représentés au Parlement de Catalogne, par les principales associations d’immigrés, des représentants d’administrations locales, des acteurs économiques et sociaux, les principales organisations non gouvernementales du secteur ainsi que par le gouvernement. Ce document est un texte de consensus qui définit les politiques publiques et les actions qu’il faut entreprendre jusqu’en 2020 afin de gérer à court et à moyen terme le fait migratoire.

8 Le Pacte national pour l’immigration répertorie plus d’une centaine de mesures répondant aux principales demandes des citoyens, exprimées au cours d’un large processus d’élaboration dans lequel se sont impliquées plus de 1 500 personnes.

9 Cet outil de gouvernance avait trois objectifs visant à assurer la cohésion d’une société qui, encore une fois dans son histoire, voyait sa base démographique se transformer considérablement : la compréhension du processus de changement profond, le repérage des souhaits de l’ensemble de la population et, finalement, la réponse à ces demandes.

10 La conscience des causes et des effets du processus vécu au cours de la première décennie du xxi e siècle a été déterminante dans l’établissement des priorités inscrites sur l’agenda politique. Par ailleurs, le passage — déjà signalé — du taux de la population immigrée de 2 % à 16 % en dix ans a eu pour causes, notamment :

11 * la forte croissance économique au cours de la période 1998-2008, avec une croissance moyenne du pib de 3,5 % pendant 11 ans ;
* une baisse du taux de natalité entre 1977 et 1997 ;
* la création de nouvelles activités professionnelles engendrées par l’incorporation massive des femmes au marché du travail, le taux d’activité féminine ayant rejoint, à la fin des années 1990, la moyenne européenne (53 % en 1999) et étant alors supérieur de 10 points à la moyenne espagnole.

12 Ces causes structurelles nous amènent à envisager que les nouveaux Catalans — plus d’un million — ne repartiront pas, mais qu’ils resteront. En outre, étant donné le coût social que représenterait leur départ, il est souhaitable qu’ils restent. Cette constatation nous éloigne de la logique dite “des travailleurs invités” et pose la question de l’intégration au centre de l’agenda politique en matière d’immigration.

13 La portée de ce processus de changement a eu un fort impact sur l’opinion publique, et selon différentes enquêtes d’opinion, l’immigration fait l’objet d’une attention particulière, figurant souvent aux premières places de la liste des questions importantes, même si elle se situe plus bas dans le classement lorsqu’on demande si la personne enquêtée se sent personnellement concernée par le sujet.

14 Face au paradoxe de la réalité d’un pays d’immigration et d’une perception problématique du phénomène, les autorités catalanes ont voulu, dans le cadre du Pacte national pour l’immigration, donner une réponse consensuelle aux questions soulevées au sein de la société.

15 Comme les autorités avaient la volonté que le Pacte agisse sur l’opinion publique, le texte a été élaboré non seulement à partir des contributions d’experts, mais en tenant compte également des préoccupations exprimées par la population face à un changement démographique si important.

L’opinion des citoyens à propos de l’immigration

16 Les citoyens expriment des opinions diverses et parfois opposées sur l’immigration. Toutes méritent d’être écoutées et de recevoir une réponse. Analysées dans leur ensemble, ces opinions peuvent être groupées selon trois types de préoccupations exprimées :

17 1.Préoccupations liées aux flux migratoires , résumées par la phrase «  Le processus migratoire n’a pas été dirigé par le gouvernement », auquel on demande de gérer les flux selon un cadre légal et en fonction des besoins du marché du travail.

18 2.Préoccupations liées à la concurrence faite aux services publics , résumées dans le propos « Les services publics ont perdu en qualité ». Si dans le cas de certains services publics les plaintes peuvent être considérées comme légitimes, car il a été difficile de les développer en temps et en heure, pour d’autres il s’agit plutôt de perceptions que de réalités, des perceptions qui construisent l’altérité comme un tout homogène, amalgamant comportements collectifs et comportements individuels.

19 3. Préoccupations liées à la gestion de la différence et de la vie en commun , qui résultent de la convergence de deux problématiques. D’une part, la socialisation dans la méconnaissance de l’Autre et les raisonnements approximatifs à partir des stéréotypes ; d’autre part, l’effort en vue de remodeler les conventions sociales, d’actualiser les normes de la vie en commun et de les assembler dans un ensemble cohérent, de défendre et de réaffirmer la mise en accord dans l’espace public, le tout dans le contexte du changement démographique vécu au cours des dix dernières années.

20 Ces trois grands types de préoccupations, qui expriment les inquiétudes des citoyens, méritent d’être considérés, demandent des réponses raisonnables et raisonnées et justifient l’élaboration d’un nouveau pacte social. Celui-ci doit être accompagné d’un ensemble de mesures que le gouvernement doit mettre en œuvre à partir des différents échelons administratifs, mais aussi en lien avec les acteurs sociaux, économiques et politiques qui interviennent dans la gestion de l’immigration, afin de gérer les flux migratoires dans un cadre légal et en tenant compte du marché du travail, d’adapter les services publics à la nouvelle démographie et à la diversité de la société ainsi que de parier sur l’intégration d’une culture publique commune.

Gérer les flux migratoires dans un cadre légal et en tenant compte du marché du travail

21La situation irrégulière du point de vue administratif d’une partie de la population immigrée a probablement été la principale difficulté dans la gestion de l’immigration en Catalogne. Cette situation, qui s’avère être un problème pour celles et ceux qui la subissent, devient aussi un problème pour l’ensemble de la société, car l’existence d’une “économie souterraine” implique une concurrence déloyale exercée contre le secteur officiel de l’économie, ce qui conduit à une pression sur les salaires dans les secteurs d’activité moins réglementés. Aussi, pour les petits entrepreneurs qui respectent les obligations administratives, fiscales et légales, la présence de concurrents qui exploitent des travailleurs dépourvus de contrat constitue-t-elle une menace pour la viabilité de leurs entreprises.

22 L’immense contribution de l’immigration à la croissance de l’économie au cours des dernières années est indubitable, mais il est certain aussi qu’elle ne s’est pas répercutée de la même manière sur toutes les classes sociales. Elle a certes permis à de nombreux entrepreneurs des secteurs d’activité faisant appel à un usage très intensif de la main-d’œuvre d’accumuler des profits extraordinaires pendant les années de croissance, de même qu’elle a offert aux classes moyennes la possibilité de bénéficier de nombre de “services aux personnes” à des prix et à des conditions fort avantageux. En revanche, les travailleuses et les travailleurs les moins qualifiés — qui occupent des emplois dans les secteurs d’activité à faible valeur ajoutée et moins réglementés — n’ont pas vécu le processus de la même manière. Bien qu’il soit certain que pendant la période de croissance la plupart de ces travailleurs ont pu trouver des emplois qui signifient pour eux une amélioration de leurs conditions de travail, grâce au fait que les migrants allaient occuper les postes les moins désirés et aussi que pendant la “crise” ils ont mieux résisté que les étrangers, il est également certain que le surdimensionnement de l’offre de main-d’œuvre non qualifiée a été un facteur décisif pour assurer la “modération salariale”. Ce sont donc ces travailleurs moins qualifiés qui ont subi davantage la concurrence dans le domaine de l’emploi.

23 En Catalogne, entre 1999 et 2005, l’ensemble des registres municipaux [6] a enregistré l’arrivée de quelque 100 000 étrangers par an, en même temps que les nouvelles autorisations de séjour ne dépassaient pas les 10 000. Jusqu’en 2005, les procédures de régularisation extraordinaires ont été la principale voie de régularisation du séjour, tandis que depuis lors le regroupement familial, l’enracinement social et l’embauche nominative [7] ont généré un flux migratoire officiel plus important, ce qui a eu pour conséquence une baisse du poids relatif de la migration illégale.

24 L’année 2007 marque néanmoins un changement qualitatif des flux migratoires, car il s’agit de la première année où les autorisations de séjour au titre du regroupement familial représentent plus de la moitié du total. Cela signifie que les migrants ne sont plus, dans leur majorité, des “pionniers” dont la seule raison de migrer est la recherche de meilleures conditions de travail et de rémunération, mais des personnes qui rejoignent des membres de leur famille.

25 Ce type de flux est prévisible et, par conséquent, plus facilement gérable. En outre, il s’agit d’un phénomène qui favorise la stabilisation émotionnelle et relationnelle des immigrés et les rapproche de l’ensemble de la population pour ce qui est des perspectives de vie. En même temps ce flux migratoire au titre du regroupement familial pose de nouveaux défis en ce qui concerne la demande de services publics précis, tels que ceux de l’éducation ou de l’accompagnement des personnes à la recherche d’un emploi, les personnes rejoignant leurs proches ayant jusqu’à tout récemment des difficultés à trouver un travail.

26 Dans le Pacte national pour l’immigration, la Catalogne reconnaît le besoin d’étendre le principe du droit au travail aux personnes admises au séjour au titre du regroupement familial. Cette demande a été satisfaite avec la réforme, au niveau de l’État espagnol, de la loi sur les étrangers de 2009 [8]. Cela permet de mobiliser, avant tout, les ressources humaines qui résident déjà en Catalogne et implique un effort d’amélioration des actions de formation afin d’assurer la qualité et la compétitivité de l’appareil productif.

27 C’est la raison pour laquelle le Pacte national pour l’immigration accorde la priorité à l’accroissement des taux d’activité et d’emploi [9], à la qualification éducative et professionnelle, à l’amélioration des conditions d’activité professionnelle de la population sous-employée, aux taux de réussite scolaire et de scolarisation au-delà de l’âge de la scolarité obligatoire ainsi qu’à l’insertion professionnelle des jeunes.

Adapter les services publics à la nouvelle démographie et à la diversité de la société

Une loi pour gérer l’immigration

28 Le préambule du Statut d’Autonomie de la Catalogne [10] consigne l’importance des migrations dans la configuration du pays et en accord avec le préambule de la loi 10/2010 du 7 mai 2010 relative à l’accueil des immigrés et des personnes qui sont rentrées en Catalogne [11], car si le Statut définit la Catalogne comme une terre d’accueil, il faut par conséquent accorder à l’accueil l’importance qu’il mérite.

29 La loi 10/2010 pose le premier cadre légal de référence dans tout l’État espagnol en matière d’accueil des immigrés, une mesure au travers de laquelle se déploient les nouvelles compétences définies à l’article 138.1 du Statut d’Autonomie de la Catalogne et qui met en œuvre l’une des préconisations du Pacte national pour l’immigration.

30 Ainsi la Catalogne crée-t-elle un “service de premier accueil” qui veut procurer au primo-migrant, dans ses premiers contacts avec son nouvel entourage, les outils nécessaires à son autonomie personnelle, des outils destinés à faciliter la connaissance de l’environnement social, de la langue et du marché du travail.

31 La politique d’accueil signifie un effort commun, un investissement pour l’avenir auxquels tant la population immigrée que la population du pays d’accueil doivent être disposées. L’on offre ainsi aux immigrés une première possibilité d’acquérir des aptitudes essentielles afin qu’ils soient autonomes, au même titre que les personnes socialisées au sein de la société du pays d’accueil.

La nécessité de redimensionner les services publics

32Dans le cadre de l’évolution démographique de la Catalogne, un changement dans l’usage des services publics est survenu, lequel a eu un retentissement important dans la perception qu’en a l’ensemble des citoyens.

33Le rôle joué par les services publics dans le processus d’intégration du million de nouveaux Catalans et de nouvelles Catalanes a été extraordinaire et explique, en grande mesure, qu’un changement si rapide ait pu se produire sans porter atteinte à la cohésion sociale. En effet, les services publics catalans ont accueilli les nouveaux citoyens dans les circuits habituels de droit commun, ont été des espaces privilégiés pour la vie sociale, l’interaction et la connaissance mutuelle, et ont été des facteurs puissants pour faciliter l’identification des primo-migrants au pays d’accueil. En plus, ayant consenti un effort important pour s’adapter à la nouvelle diversité des usagers, il a fallu les redimensionner afin d’éviter des conflits dérivés d’une insuffisance des ressources publiques.

34 Ainsi, au cours de la période 2003-2010, le budget du Departament[12] de la Santé a augmenté de 45 %, celui du Departament de l’Éducation de 76 % et celui du Departament de l’Action sociale et de la Citoyenneté (au sein duquel se trouve le Secrétariat à l’immigration) de 300 %. De la sorte, tout en préservant le principe d’universalité de l’accès aux services publics, l’on évite une segmentation fondée sur l’origine, notamment si l’on assure les moyens budgétaires et organisationnels adéquats.

35 Finalement, il faut tenir compte du fait que la politique en matière d’immigration est une politique qui se développe à plusieurs niveaux et que c’est ainsi qu’il faut la mettre en œuvre. Dans un cadre législatif abstrait, il pourrait sembler que la totalité des politiques d’immigration ressortissent à l’État, alors que, en réalité, elles sont diverses et portent sur le droit des étrangers, l’accueil, l’intégration, la promotion de l’égalité des chances et, en tant que telles, sont mises en œuvre par différentes administrations, à savoir les services publics de la Generalitat (le gouvernement de la Catalogne) et, en particulier, les administrations locales. En outre, il convient de souligner le rôle indispensable du secteur de l’économie sociale [13], un rôle complémentaire à l’action de l’administration.

36 C’est la raison pour laquelle la gestion de l’immigration doit se faire en lien avec l’ensemble des acteurs politiques et sociaux, au travers d’organes de consultation (la Table de la citoyenneté et de l’immigration [14]), d’organes de coordination avec l’État et les administrations locales, ainsi que de processus participatifs portant sur les questions stratégiques telles que le Pacte national pour l’immigration et la loi relative à l’accueil des immigrés.

Parier sur l’intégration d’une culture publique commune

37Les réponses aux demandes des citoyens — la gestion des flux migratoires et l’adaptation des services publics — consistent en des transformations que l’on peut entreprendre au moyen de la gestion publique à court et à moyen terme, tandis que la transformation la plus importante, celle qui a un impact à moyen et à long terme et qui est susceptible d’agir sur les mentalités, est liée à une question plus simple à formuler, mais plus complexe à gérer, celle du vivre ensemble des personnes originaires de plus de 175 pays différents, parlant plus de 250 langues et qui, en même temps, veulent constituer un seul peuple.

38 Nous avons dit au début de cette contribution, qu’il est nécessaire de parler d’intégration et que ce sujet, lié au fait migratoire, est important. Nous avons dit que l’intensité des changements vécus rend nécessaire un effort de rapprochement mutuel, d’actualisation et de renforcement des normes de la vie en commun, afin de défendre et de réaffirmer le pacte social dans l’espace public.

39 L’intégration n’adviendra pas seulement avec la simple coexistence et des interactions ponctuelles, mais elle requiert un effort mutuel. La société du pays d’accueil doit faire un effort pour se rapprocher des nouveaux arrivants qui, à leur tour, doivent également faire un effort pour devenir des citoyens à égalité de droits et de devoirs avec les Catalans de plus ancienne date et, comme tout le monde, ils doivent prendre un engagement avec la société catalane.

40 C’est ainsi que nous entendons la citoyenneté, celle que le gouvernement de la Catalogne et plusieurs acteurs sociaux ont mis en avant avec le Pacte national pour l’immigration, une citoyenneté qui fonde une société constituée par des citoyens et citoyennes égaux en droits et devoirs, engagés avec la société dans laquelle ils vivent.

41 La proposition catalane est fondée sur deux idées maîtresses : cohésion et diversité. La société a besoin d’un espace commun, partagé, de participation, de vie sociale commune, de communication, un espace que nous désignons comme étant “la culture publique commune”. Et elle a besoin d’un espace de respect de chacun, du vécu individuel ou de groupe, un espace d’enrichissement de la diversité en tant que droit et en tant que ressource.

42 De façon schématique, il y a des pays qui ont mis l’accent sur la cohésion, sous-estimant la diversité culturelle et linguistique. Il s’agit des États que l’on appelle souvent “assimilationnistes”, une posture qui a conduit à ce qu’une partie de leurs citoyens non seulement ne s’engage pas pour la promotion de l’intérêt commun, mais qu’elle y soit ouvertement réfractaire.

43 Il y a également des pays qui ont mis l’accent sur le droit à la diversité et qui ont négligé la construction d’espaces partagés. Il s’agit des États qui ont emprunté la voie du multiculturalisme, un multiculturalisme qui a conduit à un manque de cohésion dans une société où les inégalités ont un caractère chronique, où les difficultés du vivre ensemble et l’absence d’un engagement en faveur d’un avenir collectif sont des symptômes de son échec.

44 La Catalogne a choisi une voie médiane, cherchant un juste équilibre entre cohésion et diversité. Y a-t-il un espace partagé que l’on doit revendiquer avec fermeté ? Oui ! C’est l’espace des normes démocratiques, des droits humains, des droits de l’enfant, de l’égalité entre les hommes et les femmes, de l’éducation pour tous, de la réglementation communale du ramassage des déchets, etc. C’est l’espace qui n’admet pas d’exception culturelle, un espace auquel tous doivent participer sur un principe d’égalité ; un espace qui se bâtit à partir des principes démocratiques et avec eux ; un espace où la culture et la langue catalanes deviennent culture et langue communes, parce que là où il y a pluralisme linguistique sans une langue commune, il n’y a pas de communication ni, par conséquent, de vie sociale commune, parce que sans une langue commune il n’y a pas d’égalité des chances.

45 De cela découle l’importance de la langue catalane. Malgré les persécutions et la répression qui ont frappé son usage pendant des décennies, le catalan est demeuré une langue vivante, en dépit des problèmes qui se font sentir encore à présent, notamment en raison de l’absence d’un État qui le soutienne. Néanmoins, le catalan est aujourd’hui, en termes relatifs, une langue parlée par plus de nouveaux locuteurs qu’aucune autre langue en Europe, une langue peu parlée par les personnes âgées (29 % de la population de la Catalogne) mais davantage parlée par leurs enfants (41 %). Par ailleurs, 5,6 % des personnes nées à l’étranger et 10,6 % de celles nées dans d’autres Communautés autonomes de l’État espagnol parlent catalan à leurs enfants [15]. Le catalan est donc une langue qui gagne des locuteurs, elle est la langue d’un pays auquel ses habitants adhèrent. La Catalogne est un pays d’incorporation, un pays de projet, un pays d’avenir, un pays composé de personnes unies davantage par ce qu’elles veulent être et par ce que deviendront leurs enfants que par ce qu’étaient leurs aïeuls.

46 Toutefois, un espace social commun ne peut pas n’être qu’un ensemble de lois et de normes. Personne ne s’engage seulement sur la base de règlements communaux, de statuts ou de constitutions. Un espace commun partagé doit compter avec des éléments d’identification collective, des éléments qui permettent de construire une identité, mais une identité qui n’est pas statique, qui n’est pas univoque, qui ni n’exclut ni n’homogénéise, une identité dynamique, diverse, qui engendre des engagements, un sens de l’appartenance collective, tout en incorporant des vouloirs particuliers que, en plus, elle brasse.

47 L’espace social commun, tout en assurant le respect des autres sentiments d’appartenance, définit un ensemble de personnes en tant que peuple, un peuple qui a la volonté de se forger une appartenance partagée. Et, précisément en raison du fait que l’une des valeurs essentielles qui fondent cet espace commun est le pluralisme, il est indispensable d’assurer le respect de la diversité : la pluralité des langues, la pluralité des religions et des croyances, la laïcité étant la norme commune.

48 Mais nous ne pouvons construire cette culture publique commune que si nous le faisons tous ensemble, en promouvant l’interaction, la participation et l’engagement collectif. Et ici il faut souligner le rôle de la “société civile” dans l’incorporation des primo-migrants, un rôle pionnier et exemplaire.

49 Enfin, avec l’égalité de droits et de devoirs on retrouve les droits politiques. C’est pour cette raison que nous sommes pour un véritable suffrage universel. Pour assurer une culture publique commune, la participation de tous à la construction d’un seul peuple pluriel est indispensable. Il n’est donc pas acceptable qu’environ 10 % de la population — aujourd’hui, quelque 700 000 personnes originaires des pays qui ne sont pas d’anciennes colonies espagnoles — doive attendre entre 13 et 20 ans pour accéder à la citoyenneté et par-là aux droits politiques. Les droits politiques, le droit de vote, sont nécessaires pour bâtir une société intégrée pourvue d’une culture publique commune, une société dans laquelle tous sont différents et disposés à vivre ensemble.

Notes

  • [1]
    Secrétaire général à l’Immigration, Generalitat de Catalogne (2006-2010).
  • [2]
    Cf. CABRÉ, Anna, Catalunya, poble decadent ?, Barcelona, conférence de l’Ateneu Barcelonès, Secció d’Economia i Ciècies Socials, 1998.
  • [3]
    Cf. CABRÉ, Anna ; PUJADAS, Isabel, Crecimiento y estancamiento : la población de Cataluña en el siglo XX, Bellaterra : Centre d’Estudis Demogràfics, 1989, 28 p.
  • [4]
    GENERALITAT DE CATALUNYA, Pacte national pour l’immigration, Barcelona : Departament d’Acció Social i Ciutadania, Secretaria per a la Immigració, 2009, 92 p., http://www20.gencat.cat/docs/dasc/ 03Ambits%20tematics/05Immigracio/03Politiquesplansactuacio/02pactenacionalimmigracio/02continguts/Pdfs/Document_final_PNI_frances.pdf
  • [5]
    Les groupes parlementaires signataires de ce document sont les suivants : Convergència i Unió (ciu), Convergence et union, coalition habituellement qualifiée de centre-droit ; Partit dels Socialistes de Catalunya (psc), Parti des socialistes de Catalogne ; Esquerra Republicana de Catalunya (erc), Gauche républicaine de Catalogne ; Iniciativa per Catalunya Verds y Esquerra Unida i Alternativa (icv-euia), Initiative pour la Catalogne - Les Verts — Gauche unie et alternative.
  • [6]
    Le padrón municipal est le registre où sont inscrits, depuis 1858, tous les habitants d’une commune. Le permis de séjour n’est pas requis pour s’inscrire au padrón. Depuis la loi espagnole 4/2000, l’inscription au padrón est nécessaire pour accéder au système de santé, à la scolarisation et à la régularisation pour cause d’enracinement [ndlr].
  • [7]
    L’embauche à l’étranger peut être nominative (un entrepreneur engage un employé qu’il connaît) ou par le biais d’un contingent (un secteur d’activité peut, à travers une prévision négociée avec le gouvernement, disposer d’un nombre d’emplois vacants qu’il peut pourvoir en procédant à l’embauche à l’étranger).
  • [8]
    Loi organique 2/2009 du 11 décembre 2009 relative aux droits et libertés des étrangers en Espagne et à leur intégration sociale, modifiant la loi organique 4/2000 du 11 janvier 2000.
  • [9]
    Le taux d’activité est le rapport entre le nombre d’actifs (actifs occupés et chômeurs) et l’ensemble de la population correspondante. Le taux d’emploi d’une classe d’individus est calculé en rapportant le nombre d’individus de la classe ayant un emploi au nombre total d’individus dans la classe. Il peut être calculé sur l’ensemble de la population d’un pays, mais on se limite le plus souvent à la population en âge de travailler (généralement définie, en comparaison internationale, comme les personnes âgées de 15 à 64 ans), ou à une sous-catégorie de la population en âge de travailler (femmes de 25 à 29 ans par exemple) [ndlr].
  • [10]
    Le Statut d’Autonomie de la Catalogne définit les droits et les obligations des citoyens de la Catalogne, les institutions politiques de la nation catalane, leurs compétences et leurs relations avec l’État central et le financement de la Generalitat de Catalogne. Voir Statut d’Autonomie de la Catalogne, 2006, http://www.gencat.cat/generalitat/cat/estatut/
  • [11]
    Loi 10/2010 du 7 mai 2010 relative à l’accueil des immigrés et des personnes qui sont rentrées en Catalogne, http://www20.gencat.cat/docs/dasc/03Ambits%20tematics/05Immigracio/12legislacio/ Projecte_llei_acollida/Text_projecte/Documents/llei_acollida_dogc.pdf
  • [12]
    L’administration de la Generalitat de Catalogne est structurée en Departaments (ou Conselleries) dont les titulaires sont les consellers qui composent le gouvernement dirigé par un président [ndlr].
  • [13]
    Que l’on appelle en catalan “el tercer sector.
  • [14]
    Taula de Ciutadania i Immigració.
  • [15]
    Cf. INSTITUT D’ESTADÍSTICA DE CATALUNYA ; SECRETARIA DE POLÍTICA LINGÜÍSTICA, Encuesta d’usos lingüístics de la població de 15 i més anys. Catalunya, 2008, Barcelona : IDESCAT, 2009.
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