Notes
-
[1]
Chargée de mission à la Direction de la protection des mineurs isolés étrangers, France terre d’asile ; membre du conseil scientifique de Migrations Société.
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[2]
Actualité 19 novembre 2009, www.lexpress.fr
-
[3]
Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, en 2010 on comptait encore 1,7 million de réfugiés afghans au Pakistan (http://www.unhcr.fr/4bacecfd9.html) et en 2009, un peu plus de 935 000 en Iran (http://www.unhcr.fr/4acf020829.html).
-
[4]
Communiqué OXFAM du 18 novembre 2009, www.oxfam.org
-
[5]
Cf. COURAU, Henri, “De Sangatte aux projets de portails d’immigration : essai sur une con-ceptualisation de la ‘forme-camp’”, in : LE COUR GRANDMAISON, Olivier ; LHUILIER, Gilles ; VALLUY, Jérôme (sous la direction de), Le retour des camps ? Sangatte, Lampedusa, Guan-tanamo..., Paris : Éd. Autrement, 2007, pp. 94-106.
-
[6]
448. “Jungle” en anglais contemporain veut dire “campement de vagabonds”, “campement de per-sonnes sans domicile”. À ce sujet, voir l’éditorial de VIANNA, Pedro, “Les autochtones viennent-ils toujours d’ailleurs ?”, Migrations Société, vol. 21, n° 125, septembre-octobre 2009, pp. 3-10.
-
[7]
www.exiles10.org
-
[8]
Cf. BORDIN, Dominique, “France terre d’asile et le dispositif parisien face aux mineurs isolés en transit”, Revue d’Action Juridique et Sociale, n° 277, septembre 2008, pp. 28-32.
-
[9]
Ibidem.
-
[10]
FRANCE TERRE D’ASILE, Rapport d’activité de 2007, 120 p. ; FRANCE TERRE D’ASILE, Rapport d’activité de 2008, 140 p.
-
[11]
Pour des raisons sociales et de sécurité, les jeunes filles ne sont pas envoyées seules à l’étranger.
-
[12]
À Paris, notamment le foyer d’Enfants du monde droits de l’homme (EMDH) ou par les soins de l’Aide sociale à l’enfance.
-
[13]
Selon les estimations, 43 % du territoire est non sécurisé. Communiqué UNICEF du 19 novembre 2009, actualités, www.lexpress.fr
-
[14]
Voir COMITÉ CONSULTATIF NATIONAL D’ÉTHIQUE, Avis n° 88 du 23 juin 2005 sur les méthodes de détermination de l’âge à des fins juridiques, http://ccne-ethique.fr/docs/fr/avis088.pdf
-
[15]
Cf. SULLI, Carole, “Mineurs étrangers isolés : et après 18 ans ?”, Journal du Droit des Jeunes, n° 277, septembre 2008, pp. 37-41.
1 L’Afghanistan est un pays d’Asie centrale situé entre l’Iran, le sous-continent indien et les contreforts himalayens. Au cours de son histoire, il a été sous l’influence de ses voisins, mais n’a jamais été colonisé. Il a un passé mouvementé et farouche — Alexandre le Grand, la route de la soie, Gengis Khan, et plus proche dans le temps la défaite des colonisateurs anglais et le retrait de l’armée soviétique — alors que le rapport de sa population aux puissances occidentales ne s’inscrit pas dans l’histoire des migrations postcoloniales.
2 Depuis 2001, il fait la une des médias en raison de la présence des armées occidentales qui s’enlisent dans leur combat contre la guérilla des talibans et les trafiquants d’opium. Selon le dernier communiqué de l’unicef (novembre 2009) [2], l’Afghanistan est le pays où il est le plus dangereux de naître, en raison d’un taux de mortalité infantile de 247 ‰, les talibans détruisant systématiquement les écoles, en particulier celles de filles, les campagnes de vaccination étant rendues inefficaces par la guérilla, 70 % de la population n’ayant pas accès à l’eau potable. L’état de pauvreté s’est encore aggravé ces dernières années en raison de longues sécheresses qui contraignent les populations à l’exode rural. L’état de guerre qui perdure depuis plus de 30 ans a considérablement ralenti le début de modernisation de l’Afghanistan, commencé dans les années 1960, et a provoqué l’exil de millions de personnes en Iran et au Pakistan [3].
3 Au cours de ces dernières années la situation des réfugiés afghans au Pakistan s’est aggravée avec la fermeture de nombreux camps de réfugiés et l’insécurité croissante dans les “zones tribales” peuplées de Pashtouns, tandis qu’en Iran on met en œuvre le retour forcé des Afghans de “deuxième génération” vers leur pays d’origine, moins développé et en guerre ; voilà autant de facteurs importants de l’émigration des jeunes Afghans vers l’Europe, alors que la guerre de libération contre les Soviétiques, puis la domination des talibans et les bombardements effectués par les forces d’intervention occidentales avaient engendré l’exode de la population vers les villes et pays limitrophes.
4 L’Afghanistan reste un pays essentiellement rural, où les principales villes se trouvent actuellement dans des zones relativement “pacifiées” par les forces occidentales, ce qui n’est pas le cas des villages plus reculés. Dans ce contexte d’insécurité et de tensions, une grande partie de la population, notamment les jeunes garçons, cherche la sécurité en s’expatriant. Selon un récent sondage [4], un Afghan sur six souhaite s’expatrier.
Des ethnies en exil
5L’Afghanistan est un pays où le clivage ethnique joue un rôle déterminant. Selon les dernières estimations, il est peuplé d’une vingtaine de peuples et ethnies, la principale étant celle des Pashtouns (40 %), au phénotype caucasien et de confession musulmane sunnite. Les minorités persanophones, parlant le dari, une variante du farsi (persan), de confession sunnite ou chiite, dont les Tadjiks, représentent 30 % de la population, et les Hazaras, au phénotype mongol et de confession chiite, environ 10 %. Des minorités turcophones (les Turkmènes et les Ouzbeks) de confession sunnite sont également présentes dans le pays. C’est seulement avec la Constitution de 1923 que tous les habitants de l’Afghanistan sont appelés Afghans, alors qu’auparavant seuls les Pashtouns étaient ainsi dénommés.
6 Cette mosaïque de populations qui se partagent le territoire en zones géographiquement imbriquées est souvent en conflit interne, attisé par les tensions religieuses et ethniques.
7 Ces divers facteurs de division se retrouvent aussi chez les exilés qui ont des motifs de départ et de parcours migratoires différents selon leur appartenance. Les jeunes mineurs se déplacent en groupes en compagnie de leurs compatriotes plus âgés, et même dans les campements de fortune ils se regroupent par ethnie, par exemple le long des deux rives du canal Saint-Martin à Paris ou dans les différents campements du Calaisis.
Les Afghans en France
8En dehors de quelques centaines de réfugiés arrivés en France dans les années 1980, les Afghans sont surtout en transit sur le territoire français. Une étude sur le centre de Sangatte [5] signalait qu’ils étaient une des nationalités les plus représentées parmi la population du centre géré par la Croix-Rouge, en attente d’un hypothétique départ clandestin vers le Royaume-Uni. La fermeture de ce centre en 2002 a accentué la précarisation de ces migrants, qui se retrouvent autour de Calais, dans des terrains vagues (les “jungles” [6]), regroupés par ethnies. Il en est de même à Paris, où leur population est estimée à 1 000 personnes, que l’on peut retrouver aux abords des gares de l’Est et du Nord, le long du canal Saint-Martin dans les squares du x e arrondissement.
9Ces exilés attendent quelques jours, voire quelques semaines que les passeurs les fassent partir vers le Royaume-Uni ou les pays scandinaves, où ils pensent recevoir un meilleur accueil qu’en France et où ils peuvent rejoindre une communauté plus structurée. Depuis 2004, plusieurs milliers d’Afghans ont transité entre Paris et Calais avant de poursuivre leur chemin vers le nord de l’Europe [7]. Depuis 2007, certains d’entre eux demandent l’asile en France : 178 en 2007, 246 en 2008. En 2009, le taux de reconnaissance du statut de réfugié pour cette population a été proche de 50 %.
Les mineurs afghans à Paris
10 Dans ce contexte général, les mineurs afghans, âgés parfois de seulement une dizaine d’années, séjournent quelque temps dans divers services associatifs ou de protection de l’enfance avant de poursuivre leur périple à travers l’Europe [8].
11 L’association France terre d’asile (ftda) a mis en place en 2004 une plateforme d’accueil des mineurs isolés à Paris, partie intégrante du dispositif de “mise à l’abri” des mineurs isolés étrangers (mie) dans la capitale, dit aussi “dispositif Versini” [9], qui a été confronté à l’arrivée massive de ces mineurs afghans depuis l’hiver 2005-2006 et a dû augmenter considérablement sa capacité d’hébergement, passant de 10 places en 2005 à 70 en 2009.
12 En novembre 2009, cette plateforme était financée par l’État pour 50 places d’hébergement et par la ville de Paris pour 20 places, auxquelles il faut ajouter un dortoir de nuit de 25 places géré par l’Armée du salut. Les missions de la plateforme se déclinent en repérage des mineurs par des “maraudes” de travailleurs sociaux et d’interprètes dans le x e arrondissement, mise à l’abri chaque nuit dans le dortoir des jeunes repérés lors de ces “maraudes”.
13 Pendant la journée, la plateforme assure un suivi individuel — signalement à l’Aide sociale à l’enfance (ase), accompagnement dans la constitution du dossier en vue de la demande d’asile... — et un début de scolarisation par le biais des cours de français. En 2008, la plateforme a accueilli 404 mineurs afghans. Il s’agit du principal service d’accueil des mineurs afghans à Paris.
14 Si la plupart des jeunes Afghans continuent leur parcours vers d’autres pays européens, la plateforme de ftda constate depuis trois ans une augmentation du nombre de jeunes souhaitant rester en France, qui sont alors orientés vers l’ase :19 en 2007, contre 53 en 2008 [10].
15 En novembre 2009, sur les 70 places d’hébergement, 52 étaient occupées par de jeunes Afghans. Pour mieux les connaître, nous avons procédé à une étude exhaustive de leur cas, en nous concentrant sur leurs itinéraires et les raisons évoquées pour expliquer leur départ de l’Afghanistan.
Les Afghans hébergés par la plateforme mineurs de ftda
16 Ces 52 mineurs afhgans, tous de sexe masculin [11], déclarent être âgés de 14 à 17 ans. Trois ethnies sont représentées : 27 Hazaras, 17 Pashtouns et cinq Tadjiks, ainsi que trois jeunes issus d’unions “mixtes” (Hazara et Pashtoun, Pashtoun et Tadjik, Hazara et Tadjik).
17 La variable de l’âge ne semble pas très significative, vu que le dispositif de ftda s’adresse essentiellement à des jeunes de plus de 16 ans selon la convention signée entre l’association et la Direction des affaires sanitaires et sociales (dass). De plus, les plus jeunes quittent la France plus rapidement, étant “mandatés” par leur famille pour rejoindre des membres de la famille à l’étranger. Ceux qui restent quelque temps en France sont hébergés dans des foyers pour enfants [12] et ne sont pas pris en charge par la plateforme.
18 La variable ethnique nous a semblé importante dans cette étude, vu son impact sur le parcours migratoire. La répartition des ethnies hébergées par la plateforme ne reproduit pas la composition de la population afghane, les Hazaras y étant majoritaires alors que, comme nous l’avons indiqué, ils ne sont que 10 % de la population afghane. Les Hazaras proviennent de zones rurales assez désertiques, bien que certains aient migré vers les villes, où ils sont considérés avec mépris par la majorité pashtoune en raison de leur phénotype mongol et de leur confession chiite. Depuis 30 ans, cette ethnie a massivement émigré en Iran, où ses conditions de vie restent très précaires, car depuis l’arrivée en Afghanistan des armées occidentales et la relative “pacification” de certaines zones, l’Iran procède à des retours forcés de nombreux migrants. Ce sont les mineurs de cette ethnie que le dispositif de ftda a hébergés de manière majoritaire depuis 2005.
19 Les Pashtouns, ethnie majoritaire en Afghanistan et très présente dans les “zones tribales” aux confins du Pakistan, ont détenu le pouvoir en Afghanistan depuis la création du pays en 1920 et ont un code de lois particulier, le Pakhtunwali, qui se réfère à la loi du talion. Les talibans sont principalement issus de cette ethnie, qui est concernée en premier lieu par la guérilla et l’enrôlement de force des garçons.
20 C’est de cette ethnie que sont issus les plus jeunes migrants en transit sur le territoire français. Il y a quelques mois encore, les Pashtouns continuaient leur itinéraire vers le nord de l’Europe en transitant quelques semaines par Calais. Paris était pour eux une étape de passage, où ils ne restaient que quelques nuits. Le démantèlement des campements du Calaisis en septembre 2009 et les retours forcés de Grande-Bretagne ou du Royaume-Uni vers l’Afghanistan les contraignent à rester plus longtemps à Paris.
21 Les Tadjiks, sédentarisés depuis des décennies, sont en Afghanistan principalement présents dans les villes, donc dans des zones “pacifiées” par les armées occidentales, ce qui peut expliquer leur faible présence parmi les mineurs hébergés. Les quelques jeunes Tadjiks présents dans le dispositif de ftda semblent avoir un parcours semblable à celui des Hazaras, comprenant un transit ou un séjour en Iran.
22 Les trois jeunes issus de couples mixtes semblent être des cas particuliers, puisqu’il s’agit d’une réalité plutôt rare dans le pays, où les mélanges ethniques restent exceptionnels.
Les itinéraires
23Nous avons différencié les pays de séjour, où les jeunes sont demeurés plus d’un an, et les pays de transit, où ils ont passé moins d’un an.
Les pays de séjour
24Sur les 52 jeunes Afghans, 24 ont séjourné plus d’un an en dehors de l’Afghanistan : 21 en Iran, un au Pakistan et deux plus d’un an au Pakistan et plus d’un an en Iran.
25 Sur ces 24 jeunes, 19 sont hazaras, deux sont tadjiks, deux issus de mariages mixtes et seulement un est pashtoun. Le séjour le plus long concerne trois jeunes Afghans, nés en Iran et n’ayant jamais vécu en Afghanistan. Deux autres jeunes ayant vécu presque toute leur vie en Iran ont été renvoyés en Afghanistan par les autorités iraniennes, n’ont pas pu s’adapter et sont repartis en Iran puis en Europe, alors que quatre autres ont séjourné un peu plus d’un an en Iran, essentiellement pour travailler, avant de partir avec leurs économies en Europe.
26 L’un d’eux a travaillé un an au Pakistan, 10 mois en Iran, un an en Turquie ainsi que huit mois en Grèce. Sept jeunes ont vécu entre quatre et sept ans en Iran et un environ cinq ans au Pakistan. Ces jeunes, qui ont vécu presque toute leur vie dans un autre pays, ne connaissent pas l’Afghanistan. Ils ont été emmenés par leur famille dans un pays limitrophe pour fuir la guerre et la misère en Afghanistan et font partie de ces familles de réfugiés qui vivent dans ces pays par millions, sans avoir de statut reconnu. Ces enfants sont contraints de travailler depuis la fin de l’école primaire, sans perspective d’avenir. Il s’agit principalement de jeunes Hazaras (19 cas sur 24), c’est-à-dire de la totalité des Hazaras du groupe étudié.
Les pays de transit
27À l’exception de trois cas, tous les mineurs de notre groupe ont traversé l’Iran, la Turquie, la Grèce et l’Italie avant d’arriver en France, cachés dans des camions, traversant à pied des montagnes entre l’Iran et la Turquie, à bord de petites embarcations entre la Turquie et la Grèce, de nouveau cachés dans des camions pour la traversée en ferry entre la Grèce et l’Italie, puis encore dans des camions ou des trains de l’Italie en France.
28 Trois jeunes sur 52, tous des Pashtouns, ont parcouru un itinéraire différent à partir de la Grèce : l’un est passé par la Roumanie et l’Autriche, un autre a pris en Grèce un avion pour l’Espagne et le troisième a pris de Grèce un avion pour la Belgique.
La durée du trajet
29La durée du trajet varie d’un mois et demi à un an et demi. Le pays où le transit est le plus long (en excluant l’Iran et le Pakistan) est la Grèce (entre deux semaines et un an, voire un an et demi, toujours en situation provisoire). Tous les jeunes interrogés ont gardé un souvenir horrifié de ce transit en Grèce : « J’ai mangé dans des poubelles », « Je ne pouvais pas être soigné à l’hôpital », « Je dormais dans des plages et j’étais souvent tabassé ». Certains font état d’arrestations arbitraires, deux parlent de tentatives de naufrage par des garde-côtes qui auraient percé leur bateau pneumatique pour les contraindre à retourner en Turquie. Neuf jeunes ont travaillé quelques mois en Turquie et en Grèce comme bergers ou dans la cueillette de fruits afin d’économiser pour poursuivre leur voyage.
30 Les trajets sont longs, 26 jeunes sur 52 ayant voyagé plus de cinq mois. Les trajets les moins longs — moins de deux mois — concernent seulement cinq jeunes : un Tadjik, deux Pashtouns et deux Hazaras.
Dangers et précarité des transports
31Tous ont voyagé enfermés dans et sous des camions, certains en gardent des séquelles (membres fracturés ou contusionnés par les chutes, problème de peau après des séjours en camions frigorifiques). Des drames sont également relatés : trois ont perdu un cousin ou un ami écrasé par un camion, trois évoquent les longues marches dans la neige au Kurdistan, un “cumule” un kidnapping en Turquie pour lui extorquer de l’argent, un naufrage au large des côtes de la Grèce et une longue hospitalisation dans le nord de la France suite aux conditions de vie dans un campement du Calaisis. Quatre évoquent des détentions de plusieurs semaines en Turquie et en Grèce et des passages à tabac par des policiers et des garde-frontières. La traversée de l’Italie semble très rapide, quelques jours seulement pour les cas relatés ici. Leur arrivée à Paris ne les protège pas tout de suite de la précarité, car vu l’encombrement du dispositif parisien en novembre 2009, 15 jeunes sur 52 ont dû patienter plus d’un mois avant d’être hébergés par la plateforme de ftda. Ils ont dormi alternativement dans les squares du x e arrondissement, sous les ponts du canal Saint-Martin et dans un abri de nuit.
Motifs du départ
Perte des parents
32Les Afghans viennent d’une société traditionnelle où les valeurs familiales, ethniques et religieuses sont encore très prégnantes, et l’absence d’État de droit favorise le maintien des lois coutumières. Il nous est apparu qu’un des facteurs principaux déclenchant le départ des mineurs est la perte des parents, en particulier celle du père, qui liée au début de l’adolescence, marquée par la majorité religieuse vers 14 ans, les rend “héritiers” de leur père.
33 La famille des parents disparus se charge de l’enfant jusqu’à la puberté, puis le jeune garçon devient “chef de famille”. Dans le cas, assez fréquent dans une société rurale, de vendettas ou de conflits tribaux liés à la possession des terres, le jeune adolescent porte le poids de l’“héritage” du père et doit répondre des dettes et des éventuelles vengeances. Ces jeunes garçons sont dépassés par les décisions de leurs aînés, qui essaient au mieux de les protéger, au pire de les dépouiller de leur héritage.
34 Sur les 52 jeunes interrogés, 34 ont perdu un ou deux parents, dont 20 de façon violente (bombardements, assassinats, attentats). Ces deuils concernent 17 Hazaras sur 27, 12 Pashtouns sur 17, quatre Tadjiks sur cinq et un jeune issu de couple mixte sur trois.
35 À ce motif principal s’ajoutent d’autres raisons : problèmes avec la guérilla et les talibans, vendettas et problèmes de terre, misère et insécurité. Ces motifs se cumulent pour presque tous les jeunes interviewés.
Problèmes avec la guérilla et les talibans
36Ces dernières années, le pouvoir des talibans et leur progression ont marqué profondément l’Afghanistan. Les conséquences se font sentir dans les zones sous leur contrôle : retour à la charia, restriction des libertés des femmes, destructions massives des écoles, impossibilité de poursuivre la scolarité en dehors des madrasas, enlèvement et embrigadement des garçons pour les endoctriner et parfois les obliger à réaliser des attentats suicides.
37 Treize jeunes interviewés ont évoqué des problèmes personnels avec les talibans, dont trois Hazaras, huit Pashtouns, deux Tadjiks et un issu de couple mixte. Trois d’entre eux cumulent l’assassinat d’un parent, des problèmes avec les talibans et des vengeances familiales liées à l’appropriation des terres.
Raisons du départ par ethnie
38Nous avons détaillé les raisons du départ de l’Afghanistan selon l’origine ethnique de ces adolescents.
39 Pour les 27 jeunes Hazaras plusieurs causes se cumulent : 17 ont perdu un de leurs parents ou les deux, trois ont eu des problèmes directs avec les talibans, 21 évoquent des problèmes de misère en Afghanistan et en Iran, 12 évoquent des problèmes de sécurité dans ces deux pays et quatre ont dû affronter des problèmes de vengeance liés à la possession des terres. Vu la forte proportion de jeunes Hazaras ayant séjourné longuement en Iran, la précarité et l’insécurité dans ce pays prennent pour eux une grande importance, la marginalisation dont ils sont victimes en Iran et le manque d’attaches en Afghanistan faisant du départ vers l’Europe une solution presque naturelle.
40 En ce qui concerne les 17 jeunes Pashtouns, 11 ont perdu un de leurs parents ou les deux, huit ont eu des problèmes directs avec les talibans, 14 évoquent des problèmes de guerre et d’insécurité, six des problèmes de vendetta ou de terres et deux des problèmes de misère. Les jeunes Pashtouns sont originaires de régions où les talibans détiennent un fort pouvoir et où les autorités centrales ne sont pas présentes [13]. L’insécurité et la violence sont très fortes, et le risque d’enrôlement forcé par la guérilla constitue un grave danger pour les jeunes garçons.
41 Quant aux deux groupes les moins nombreux, des cinq jeunes Tadjiks, quatre ont perdu un de leurs parents ou les deux, deux ont eu des problèmes directs avec les talibans, un a été aux prises avec une vendetta familiale, deux évoquent la misère et deux l’insécurité. En ce qui concerne les trois jeunes issus de couples mixtes, un a perdu ses parents, deux ont eu des problèmes directs avec les talibans, trois évoquent l’insécurité et trois la misère.
42 Ces deux “sous-populations”, marginales au sein de la plateforme, semblent victimes du plus fort entrecroisement de motifs de départ, mais vu leur faible nombre il est difficile d’en tirer des conclusions.
Témoignages
43Il nous a semblé important de donner la parole à des jeunes qui, malgré leur âge, ont vécu beaucoup d’épreuves. Ces témoignages ont été livrés après quelque temps de mise en confiance dans le service d’accueil. Ils reflètent les traumatismes vécus et leur espoir d’un avenir meilleur.
Renvoi d’Iran
44« Mes parents se sont établis en Iran avant ma naissance. Je suis né à Téhéran et j’y ai toujours vécu. Les Afghans en Iran vivent de petits boulots et ne sont jamais sûrs de pouvoir y rester. J’étais à l’école seulement trois ans, et depuis que je suis petit je travaille comme cordonnier dans le bazar de Téhéran. Il y a un an, j’ai été renvoyé de force en Afghanistan, mais vu que je n’y ai pas de famille et que c’est un pays en guerre, je suis parti en Europe avec mes économies et l’aide de mes parents. J’espère apprendre un métier et vivre décemment » [m. h., 16 ans, Hazara].
45 « Ma famille a quitté l’Afghanistan il y a dix ans pour fuir la guerre et les violences dans ma région. Pendant ce temps, nous avons vécu à Téhéran ; mon père travaillait dans le bâtiment, et j’ai pu aller à l’école primaire. Nous sommes repartis en Afghanistan il y a trois ans, vu que mes parents n’avaient plus de titre de séjour. La vie en Afghanistan est très difficile, et mes deux grands frères sont retournés en Iran pour y travailler. Je n’ai pas pu retourner à l’école car elle était fermée. De plus, vu que j’ai la peau assez foncée, les villageois me traitaient de “Pashtoun” et de “taliban”. J’en ai eu assez de ce racisme et de me faire frapper injustement, alors je suis parti en Iran, où j’ai travaillé pendant un an, et je suis arrivé avec mes économies en France. Ici je me sens bien, je peux retourner à l’école et vivre en paix » [m. a. h., 16 ans, Hazara].
Vendetta
46 « Je vivais dans un village, et mes parents travaillent dans les champs. Il y a un an, je suis tombé amoureux de s., une jeune fille du village, et je suis sorti avec elle. Son père a porté plainte contre moi parce que nos coutumes nous empêchent de fréquenter une fille sans être mariés. Mes parents voulaient me fiancer avec s., mais son frère a voulu se venger. Il m’a frappé si fort, surtout dans le bas ventre, que j’ai encore des séquelles. Il était jaloux de sa sœur et ne voulait pas qu’elle se marie avant lui. Mes parents, et aussi s., ont eu peur pour ma vie, et mes frères aînés m’ont aidé à partir » [r. a. 16 ans et demi, Hazara].
47 « Ma famille habite dans un village à la frontière pakistanaise. Mon père combattait au sein d’un parti proche du gouvernement pakistanais. Il y a deux ans, il a participé à l’attaque d’un point de contrôle où six personnes ont été tuées. Ensuite, il est mort dans des combats. Depuis sa mort, je suis devenu le responsable de ses fautes, et les familles de ces six personnes veulent me tuer par représailles, vu que selon nos lois, le sang de ma famille doit être versé. C’est pour ça que je suis menacé, et que ma mère et mon oncle m’ont aidé à partir. Il n’y a pas de lois et il n’y a pas de sécurité dans mon pays, c’est pour ça que je suis ici. Même si ma famille me manque, je suis content d’être en sécurité » [n. s. k., 16 ans, Pashtoun].
48 « Je suis né dans une ville proche de l’Iran, j’ai eu une enfance tranquille. Je suis allé à l’école et je vivais avec ma mère et mes deux petits frères et sœurs. Mon père était souvent absent pour son travail. C’est seulement à sa mort, il y a un an, que nous avons su qu’il transportait de la drogue vers l’Iran. Il a été tué à la frontière et la police a saisi le camion. Les trafiquants de drogue se sont pris à ma famille pour récupérer la drogue. Mon oncle maternel, qui est proche des talibans, a décidé de nous cacher et de me faire quitter le pays car j’étais en danger, en tant que fils aîné. J’étais très triste de quitter ma mère, mais je n’ai pas eu le choix. Maintenant je suis en France depuis quelques mois. Je vais dans un lycée professionnel et je parle français. J’aime la liberté ici, personne ici ne me proposera de l’argent pour me faire exploser » [h. f., 16 ans et demi, Tadjik].
49 « Je suis afghan, mon père est pashtoun et ma mère tadjik. C’est pour cela que je parle pashtoun et dari. J’ai vécu avec mes parents et j’allais à l’école dans une petite ville de l’est du pays. Il y a un peu plus d’un an, le monde a changé pour moi. En effet, j’avais un ami, un très beau garçon, w., très admiré par tous les jeunes. Ce jour là, j’avais passé la matinée au hammam avec lui. Le lendemain mon père m’a demandé si j’avais un ami du nom de w. et si nous étions proches. Je lui ai répondu que nous étions très amis mais je lui ai juré que je n’avais pas eu de relations sexuelles avec lui. Mon père m’a appris que w. avait été tué à coups de couteau dans le ventre et la bouche. En Afghanistan, les homosexuels sont menacés de mort vu que c’est interdit par notre religion. J’ai été très triste pour la mort de mon ami, mais ensuite les choses ont empiré pour moi. Le père de w. voulait se venger de l’assassinat de son fils et a engagé des gens pour me tuer pour laver son honneur. Ma famille a pris ces menaces très au sérieux et m’a fait quitter précipitamment mon pays. Maintenant je commence à m’habituer à la vie ici, mais je n’ai pas le choix, je ne peux pas retourner dans mon pays » [m. h., 16 ans et demi, issu d’un couple mixte].
Problèmes avec les talibans
50« Comme beaucoup de Hazaras, ma famille a vécu en Iran plusieurs années. J’y suis né, et j’ai vécu là-bas jusqu’à l’âge de 10 ans. Je suis allé à l’école primaire et après j’ai travaillé avec mon père sur des chantiers. Depuis l’arrivée des Américains en Afghanistan, l’Iran nous renvoie de force au pays. Mes parents ont dû repartir vu qu’ils n’avaient plus de titre de séjour. Quelque temps après notre retour, mon père a été agressé parce que les talibans voulaient me recruter. Pour éviter des représailles sur ma famille, je suis parti dans une madrasa, et j’ai été formé par les talibans quelque temps. Cette vie dangereuse ne me convenait pas et je me suis enfui. Ma famille m’a aidé à payer mon voyage, j’ai aussi travaillé quelques mois en Turquie et en Grèce pour payer les passeurs jusqu’en France. Maintenant je suis à Paris, je parle un peu le français, je voudrais vivre loin de la guerre et des fanatiques » [a. e., 16 ans, Hazara].
51 « Mon père était chef de district, et ma famille a des terres dans notre région. Il y a quelques années, mon père a été tué. Avec ma mère et mes deux sœurs, nous sommes allés vivre à Kaboul. J’ai eu une bonne éducation et j’ai été à l’école pendant huit ans. Pour vivre, ma mère a dû vendre des terrains. Pour aider ma famille, j’ai trouvé un travail comme gardien dans un chantier. C’était une entreprise qui travaillait pour les Français. Mais les talibans ont voulu que je les aide à entrer dans le bâtiment. J’ai refusé mais ils ont continué à me menacer. Alors j’ai pris peur car ce sont des gens très dangereux. Avec nos économies, ma mère m’a fait partir pour l’Europe. Je suis différent d’autres Afghans présents à ftda car j’ai vécu à Kaboul et j’ai été longtemps à l’école. J’espère pouvoir étudier ici » [k. h. s., 16 ans et demi, Pashtoun].
52 « Je suis l’aîné d’une famille de cinq enfants, mon père était instituteur. Ma ville était proche de Jalalabad, dans l’est de l’Afghanistan, où les talibans ont beaucoup de pouvoir. Ils ont menacé mon père pour qu’il ferme son école, et finalement ils l’ont tué il y a trois ans. Maintenant que j’ai grandi et que je suis l’aîné des garçons de ma famille, les talibans ont commencé à me menacer car j’ai été à l’école pendant huit ans, et qu’ils ne veulent pas de gens instruits. Mon oncle a vendu des terres et m’a aidé à partir. Ma famille me manque et ma mère pleure quand je l’appelle. Je suis triste pour ma famille, mais je n’ai eu le choix que de partir pour sauver ma vie » [m. k., 16 ans, Pashtoun].
53 « Je suis arrivé en France cet été, ma famille a décidé que je devais quitter l’Afghanistan car c’est trop dangereux. Quand j’avais 13 ans, j’ai été kidnappé par les talibans. Ils m’ont appris à utiliser les armes et disaient que tuer les ennemis c’est bien. Un jour, ils m’ont emmené avec un autre jeune garçon le long d’une route et nous ont obligés à mettre une ceinture avec des bombes. On devait se faire exploser. J’ai eu très peur et je suis arrivé à courir et à m’enlever la ceinture. J’ai marché deux jours en me cachant. Finalement j’ai pu retourner dans ma maison. Mes parents et mes oncles ont décidé de nous faire partir car la situation des garçons est dangereuse. Je suis parti avec trois de mes cousins pour aller en Norvège. Vers Calais, il y a eu un accident la nuit et un de mes cousins a été tué, écrasé par un camion. Alors on est reparti sur Paris et on a décidé de rester en France. Mon jeune cousin, k. a., habite avec moi à l’hôtel de ftda, et mon cousin plus grand a demandé l’asile. Bientôt je vais aller à l’école. Je voudrais vivre une vie nor-male, mais où je vais il y a toujours des problèmes » [f. n., 15 ans, Pashtoun].
Insécurité
54« Je viens d’une région centrale d’Afghanistan. Mon père était hazara et ma mère pashtoune, tous les deux de confession chiite. Je parle dari et je comprends aussi le pashtoun. Je ne sais pas très bien pour qui travaillait mon père, mais je sais qu’il transportait et revendait des armes. Quand j’avais 12 ans, ma maison et toute ma famille ont disparu dans une explosion. Tout mon monde a disparu cette nuit-là. Je n’avais plus de famille. Des amis m’ont emmené au Pakistan, où j’ai vécu un an. Je devais surveiller une maison. Si je m’endormais le propriétaire me battait. Lors d’un cambriolage j’ai eu très peur et je me suis enfui. J’ai vécu ensuite en Iran, presque un an, et ensuite en Turquie où j’ai travaillé comme berger et dans les champs. Avec mes économies je suis parti en Grèce. C’était aussi très difficile. Je ne travaillais pas et je devais manger dans les poubelles. Enfin j’ai pu me cacher dans un camion et arriver en France. Ici je voudrais m’arrêter. Je me sens vieux après toutes ces épreuves et je voudrais vivre comme les garçons de mon âge » [h. k., 16 ans et demi, issu d’un couple mixte].
Quelle protection pour ces jeunes Afghans ? Situation actuelle et possibles préconisations
55Tous ces témoignages semblent aller dans le sens d’une recherche de sécurité et de protection qui, dans le cas de ces mineurs, devrait être renforcée puisqu’il s’agit de mineurs isolés et de personnes provenant d’un pays en guerre. Dans les faits, ces jeunes sont souvent vus par les pays européens comme des migrants en transit, instables, peu assimilables, trop âgés pour être protégés comme mineurs et pas assez précis et convaincants pour être reconnus comme réfugiés. Leur prise en charge par les services de protection de l’enfance se heurte à leur continuelle fuite en avant. En attendant leur “stabilisation” le temps passe, et la recherche d’un ailleurs mythique — à laquelle les incitent leurs compatriotes — leur rend difficile un choix pragmatique. Ils ont souvent été exploités, maltraités par des adultes dans leur pays, par les passeurs et par l’indifférence trop souvent rencontrée en Europe ; ils sont méfiants, et le travail de mise en confiance par les équipes sociales prend nécessairement du temps. Comme nous l’avons constaté, vu leur âge au moment du départ de l’Afghanistan (au début de l’adolescence) et leur long périple, une prise en charge en tant que mineurs surviendra le plus souvent après l’âge de 16 ans. L’obtention de documents d’identité, via la famille restée dans le pays d’origine, rallonge encore ces délais. Ces documents, sujets à imprécision dans un pays comme l’Afghanistan, ne leur éviteront peut être pas une expertise d’âge considérée comme inévitable faute de documents d’identité probants [14].
56 Le temps, précieux pour la mise en confiance de ces jeunes et pour leur permettre de prendre une décision plus éclairée quant à leur avenir, ne doit pas se transformer en handicap à l’âge couperet de 18 ans, au-delà duquel la protection comme mineur n’est plus obtenue. Beaucoup de ces jeunes n’auront pas pu avoir les deux ans de scolarité leur permettant une régularisation, et encore moins les trois ans de séjour permettant l’acquisition de la nationalité française à l’âge de 18 ans, selon la réglementation en vigueur [15], si toutefois ils ont été pris en charge par l’ase.
57Une seule année de scolarité avant l’âge de 18 ans permet l’étude au cas par cas par les préfectures, sans pour autant que la régularisation soit un droit acquis. Les services de l’ase peuvent aussi favoriser le contrat “jeune majeur” jusqu’à 21 ans, là encore au cas par cas.
58 À Paris, malgré les efforts considérables des associations et des pouvoirs publics, nous devons constater que les longs délais avant la prise en charge de ces mineurs par l’ase les fragilisent encore plus et les handicapent dans leur avenir. Comme pour d’autres mineurs en exil, la mise en confiance demande du temps, mais quand le jeune commence à se projeter dans son insertion en France et que son projet se précise, tout retard “casse” ce fragile processus. C’est ainsi que nous déplorons les départs de nombreux jeunes qui se découragent et reprennent la route vers un ailleurs mythique avec tous les risques encourus.
59 Quel sera le devenir de ces jeunes à l’âge de la majorité ou s’ils sont déclarés majeurs ? Nous avons rencontré certains jeunes majeurs qui avaient été accueillis il y a quelques mois dans le dispositif parisien et qui ont dû le quitter vu que leur prise en charge comme mineurs a été trop tardive. De nouveau l’insécurité, l’errance entre Paris et Calais, les petits trafics et la vie au jour le jour, pris en étau entre les passeurs et les abris de fortune, avec la route et ses dangers et parfois la drogue comme échappatoire. Ils craignent de demander l’asile en France, qui peut impliquer pour eux les conséquences du règlement dit “Dublin 2” permettant le renvoi vers le pays du premier accueil, soit la Grèce. Ils craignent aussi le retour forcé vers l’Afghanistan que plusieurs pays européens, dont la France, appliquent, en prétextant que les zones autour des grandes villes sont “pacifiées”. Et ce, paradoxalement, alors que l’engagement des forces armées occidentales va augmenter.
60 Quant au retour volontaire, il reste bien rare vu l’état d’insécurité et de sous-développement de la plupart des régions du pays.
61Pour beaucoup de jeunes ayant grandi en Iran ou au Pakistan, l’Europe semble la seule solution viable vu la précarité de leur situation dans ces deux pays, leur manque d’attaches sur place et l’état d’insécurité qui sévit en Afghanistan.
62 Compte tenu du passé de ces adolescents et de l’état actuel de leur pays, au moins dans le cas où le statut de réfugié ne leur serait pas reconnu, une protection temporaire pour eux ainsi que pour leurs compatriotes plus âgés pourrait être considérée par les autorités européennes, comme cela fut le cas pour les populations de l’ex-Yougoslavie dans les années 1990.
63 Actuellement en France, la protection subsidiaire pourrait répondre à certaines situations. Cette protection, ainsi que l’arrêt des renvois vers la Grèce (où tous les témoignages font état de graves manques d’assistance), pourraient permettre à ces jeunes d’envisager un futur plus serein, le temps de la pacification de leur pays, et leur permettraient de se “reconstruire” sans la crainte d’un retour forcé ou d’une vie dans la clandestinité.
64 Une protection européenne pourrait également être mise en place en ce qui concerne les mineurs isolés qui traversent le territoire communautaire.
65 À Paris, au sein de la plateforme ftda, devenue depuis le 1er avril dernier la Maison du jeune réfugié, l’apprentissage de la liberté et des valeurs démocratiques semble se faire rapidement pour ces mineurs, malgré tout enfants de notre temps. Ils continuent à garder un lien avec leur pays, tout en se construisant un avenir en France. Pour l’Afghanistan, ces jeunes sont l’espoir de demain ; ils pourraient à long terme devenir des “ambassadeurs” entre l’Europe et un Afghanistan en devenir, plus libre et tolérant.
Notes
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[1]
Chargée de mission à la Direction de la protection des mineurs isolés étrangers, France terre d’asile ; membre du conseil scientifique de Migrations Société.
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[2]
Actualité 19 novembre 2009, www.lexpress.fr
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[3]
Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, en 2010 on comptait encore 1,7 million de réfugiés afghans au Pakistan (http://www.unhcr.fr/4bacecfd9.html) et en 2009, un peu plus de 935 000 en Iran (http://www.unhcr.fr/4acf020829.html).
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[4]
Communiqué OXFAM du 18 novembre 2009, www.oxfam.org
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[5]
Cf. COURAU, Henri, “De Sangatte aux projets de portails d’immigration : essai sur une con-ceptualisation de la ‘forme-camp’”, in : LE COUR GRANDMAISON, Olivier ; LHUILIER, Gilles ; VALLUY, Jérôme (sous la direction de), Le retour des camps ? Sangatte, Lampedusa, Guan-tanamo..., Paris : Éd. Autrement, 2007, pp. 94-106.
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[6]
448. “Jungle” en anglais contemporain veut dire “campement de vagabonds”, “campement de per-sonnes sans domicile”. À ce sujet, voir l’éditorial de VIANNA, Pedro, “Les autochtones viennent-ils toujours d’ailleurs ?”, Migrations Société, vol. 21, n° 125, septembre-octobre 2009, pp. 3-10.
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[7]
www.exiles10.org
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[8]
Cf. BORDIN, Dominique, “France terre d’asile et le dispositif parisien face aux mineurs isolés en transit”, Revue d’Action Juridique et Sociale, n° 277, septembre 2008, pp. 28-32.
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[9]
Ibidem.
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[10]
FRANCE TERRE D’ASILE, Rapport d’activité de 2007, 120 p. ; FRANCE TERRE D’ASILE, Rapport d’activité de 2008, 140 p.
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[11]
Pour des raisons sociales et de sécurité, les jeunes filles ne sont pas envoyées seules à l’étranger.
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[12]
À Paris, notamment le foyer d’Enfants du monde droits de l’homme (EMDH) ou par les soins de l’Aide sociale à l’enfance.
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[13]
Selon les estimations, 43 % du territoire est non sécurisé. Communiqué UNICEF du 19 novembre 2009, actualités, www.lexpress.fr
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[14]
Voir COMITÉ CONSULTATIF NATIONAL D’ÉTHIQUE, Avis n° 88 du 23 juin 2005 sur les méthodes de détermination de l’âge à des fins juridiques, http://ccne-ethique.fr/docs/fr/avis088.pdf
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[15]
Cf. SULLI, Carole, “Mineurs étrangers isolés : et après 18 ans ?”, Journal du Droit des Jeunes, n° 277, septembre 2008, pp. 37-41.