Couverture de MIGRA_122

Article de revue

Redécouvrir la tradition des relations Église-État au-delà du système de “pilarisation”

Pages 137 à 172

Notes

  • [1]
    HAJER, Maarten ; MAUSSEN, Marcel, “Na de moord op Theo van Gogh : betekenisgeving aan de moord, een reconstructie”, Socialisme en Democratie, vol. 61, n° 12, 2004, pp. 10-18. Pour une vue d’ensemble des débats sur l’intégration des immigrés aux Pays-Bas, voir PRINS, Baukje, Voorbij de onschuld : het debat over de multiculturele samenleving, Amsterdam : Van Gennep, 2004, 189 p.
  • [2]
    Cf. STONE, Deborah A., The policy paradox : the art of political decision making, New York : Norton Pubishers, 2002, 428 p. (voir pp. 137 et ss).
  • [3]
    Voir par exemple un mémorandum sur l’intégration élaboré par le Parti social-démocrate (PvdA) en décembre 2008. Sous la rubrique Religion et société, il est mentionné que la religion peut être critiquée et que, bien que l’État soit neutre par rapport aux confessions, les politiques ont le droit de s’intéresser à des « philosophies de vie » (levensbeschouwingen) particulières et peuvent avoir une opinion à leur propos. Voir Resolutie Integratie, p. 5. La version définitive consultable sur www.pvda.nl a été publiée en mars 2009 sous le titre Verdeeld verleden, gedeelde toekomst [Passé divisé, futur partagé], 24 p.
  • [4]
    STATHAM, Paul ; KOOPMANS, Ruud ; GIUGNI, Marco ; PASSY, Florence, “Resilient or adaptable Islam ? Multiculturalism, religion and migrants’ claims-making for group demands in Britain, the Netherlands and France”, Ethnicities, vol. 5, n° 4, 2005, pp. 427-459 (voir pp. 434-435 et 445). Une autre étude est pourtant arrivée à la conclusion inverse, à savoir que « les revendications fondées sur l’égalité de traitement avec les autres groupes existants semblent provoquer moins d’objections que les revendications qui exigent des mesures ou des réactions spécifiquement collectives ». RATH, Jan ; PENNINX, Rinus ; GROENENDIJK, Kees ; MEYER, Astrid, Western Europe and its Islam, Leiden : Brill Acaddemic Publishers, 2001, 308 p. (voir p. 263). Le gras est de notre fait, dans l’original le texte étant en italique.
  • [5]
    KLAUSEN, Jytte, The Islamic challenge : politics and religion in Western Europe, New York : Oxford University Press, 2005, 253 p. (voir p. 145). Cette affirmation est reproduite dans un récent article de FONER, Nancy ; ALBA, Richard, “Immigrant religion in the U.S. and Western Europe : bridge or barrier to inclusion”, International Migration Review, vol. 42, n° 162, Summer 2008, pp. 360-392 (voir p. 382).
  • [6]
    Voir l’interview “Aux Pays-Bas un caricaturiste critique de la religion et de l’islam fait l’objet de poursuites”, Le Monde du 19-5-2008 : « Dans son dernier ouvrage, Terreur et martyre (Flammarion, 2008, 365 pages, 22.5 euros), le spécialiste français de l’islam Gilles Kepel explique que la volonté des dirigeants néerlandais est, en réalité, de constituer une sorte de “pilier musulman remis au goût du jour”. Une structure soumise à la charia et au dogme, appelée à connaître son propre développement au sein de la société. D’où, estime-t-il, le rôle central confié, dans ce cadre, à Tariq Ramadan, professeur à l’université de Rotterdam et “interlocuteur quasi officiel du monde politique néerlandais”, selon lui, alors qu’il est contesté ailleurs pour le “double langage” qu’il tiendrait quant à la place de l’islam dans la société européenne ».
  • [7]
    Voir par exemple RATH, Jan ; PENNINX, Rinus ; GROENENDIJK, Kees ; MEYER, Astrid, Western Europe and its Islam,, op. cit. Toutefois, il doit être mentionné que cette étude analyse plus clairement les différences entre la réglementation et la politique publique d’une part et les traditions et les héritages idéologiques d’autre part. Les auteurs montrent, par exemple, comment la “dé-pilarisation” et la fin de nombreuses formes de financement de la religion ont eu une importance considérable dans la création de possibilités et d’obstacles pour les musulmans.
  • [8]
    HOOGENBOOM, Marcel ; SCHOLTEN, Peter, “Migranten en de erfenis van de verzuiling in Neder-land”, Beleid en Maatschappij, vol. 35, n° 2, 2008, pp. 107-124 (voir pp. 119-120).
  • [9]
    Pour une discussion, voir VINK, Maarten P., “Dutch ‘multiculturalism’ beyond the pillarisation myth”, Political Studies Review, vol. 5, n° 3, 2007, pp. 337-350 (cf. pp. 342 et ss).
  • [10]
    Cf. BOWEN, John R., “A view from France on the internal complexity of national models”, Journal of Ethnic and Migration Studies, vol. 33, n° 6, August 2007, pp. 1003-1016 (voir p. 1005).
  • [11]
    Cf. SCHEFFER, Paul, Het land van aankomst, Amsterdam : De Bezige Bij, 2007, 476 p. (voir pp. 170 et ss).
  • [12]
    STATHAM, Paul ; KOOPMANS, Ruud ; GIUGNI, Marco ; PASSY, Florence, “Resilient or adap-table Islam ?”, art. cité, p. 443.
  • [13]
    Cf. CLITEUR, Paul, De neutrale staat, het bijzonder onderwijs en de multiculturele samenleving, Leiden : Rijksuniversiteit Leiden, 2004, 25 p. Pour une discussion, voir OLDENHUIS, F. T. ; BROUWER, J. G. ; WEGERIF, D. N. R. ; KEIJZER, F. E., Schurende relaties tussen recht en religie, Assen : Van Gorcum, 2007, 202 p. ; PHILIPSE, Herman, “Stop de tribalisering van Nederland”, NRC-Handelsblad du 27-9-2003 ; ELLIAN, Afshin, “Leve de monoculturele rechtsstaat”, NRC-Handelsblad du 1-12-2002.
  • [14]
    Le débat sur l’équilibre à trouver entre la protection de la liberté de religion et la liberté de parole dans les débats sur l’islam s’est développé autour de déclarations telles que : le prophète Mohammed est « un pervers et un pédophile » (Ayaan Hirsi Ali, ancienne députée néerlandaise) ; les Néerlandais auraient un énorme problème si « un musulman devenait maire ou chef de la police » (Frits Bolkestein, ex-dirigeant du VVD, libéral) ; le Coran est un « livre fasciste » (Geert Wilders, député néerlandais d’extrême droite) ; les musulmans sont « la cinquième colonne des baiseurs de chèvres » (Theo Van Gogh). Voir HIRSI ALI, Ayaan, Infidel, New York : Free Press, 2007, 353 p.
  • [15]
    Ce n’est pas seulement l’islam qui a conduit les relations Église-État à figurer en évidence sur l’agenda public. Des débats avaient également lieu à propos de demandes faites par les protestants orthodoxes sur les thèmes du mariage homosexuel, de l’euthanasie, de l’avortement et de la recherche sur les cellules souches embryonnaires.
  • [16]
    Depuis environ cinq ans, le nombre de livres et d’essais sur les traditions néerlandaises en ce qui concerne les relations entre l’Église et l’État a significativement augmenté. Voir par exemple HOOVEN, Marcel ten ; DE WIT, Theo (Eds.), Ongewenste goden. De publieke rol van religie in Nederland, Amsterdam : SUN, 2006, 344 p. ; HARINCK, George, “Een leefbare oplossing. Katho-lieke en protestantse tradities en de scheiding van kerk en staat”, in : HOOVEN, Marcel ten ; DE WIT, Theo (Eds.), Ongewenste goden : De publieke rol van religie in Nederland, Amsterdam : SUN, 2006, pp. 106-130 ; VAN DEN DONK, Wim ; JONKERS, Petra ; KRONJEE, Gerrit ; PLUM, Rob (Eds.), Geloven in het publieke domein. Verkenningen van een dubbele transformatie, Amsterdam : Amsterdam University Press, 2006, 512 p. ; KNIPPENBERG, Hans, “The changing relationship between State and church/religion in the Netherlands”, GeoJournal, vol. 67, n° 4, 2006, pp. 317-330 ; MAUSSEN, Marcel, Ruimte voor de islam ? Stedelijk beleid, voorzieningen, organisaties, Apeldoorn : Het Spinhuis, 2006, 282 p. ; NICKOLSON, Lars, Met recht geloven. Religie en maatschappij in wet en debat, Amsterdam : Aksant Press, 2008, 99 p.
    Les institutions consultatives en matière de politiques publiques ont produit de nombreux mémorandums discutant les dispositions légales néerlandaises et les philosophies sous-jacentes. Invariablement, sur les agendas municipaux figurent des préoccupations généralement relatives à la réponse à apporter à la présence musulmane. La municipalité d’Amsterdam a publié un mémorandum spécial en 2008 sur la séparation entre l’Église et l’État et son lien avec les politiques publiques municipales. Le ministre de l’Intérieur et l’Association des municipalités néerlandaises (VNG) préparent tous les deux des rapports conseillant les municipalités à propos des approches en politiques publiques relatives aux communautés religieuses à la lumière des dispositions institutionnelles existantes et des traditions néerlandaises. Cette attention renouvelée pour le régime néerlandais est frappante ; en effet, au cours des années 1990, les publications sur cette question étaient peu nombreuses. À notre connaissance, les seules études majeures durant cette période ont été celles des spécialistes. Voir VAN DEN DEKKER-BIJSTERVELD, Sophie C., De verhouding tussen kerk en staat in het licht van de grondrechten, Zwolle : Tjeenk Willink, 1988, 418 p. ; LABUSCHAGNE, Barend Christoffel, Gods-dienstvrijheid en niet-gevestigde religies : een grondrechtelijk-rechtsfilosofische studie naar de betekenis en grenzen van religieuze tolerantie, Groningen : Wolters-Noordhoff, 1994, 330 p. ; VAN ROODEN, Peter T., Religieuze regimes : over godsdienst en maatschappij in Nederland 1570-1990, Amsterdam : Bert Bakker, 1996, 249 p.
  • [17]
    En 1648, la république des Provinces-Unies était officiellement reconnue comme une des con-séquences du Traité de paix de Münster. Voir KNIPPENBERG, Hans, “The changing relationship between state and church/religion in the Netherlands”, art. cité, p. 318.
  • [18]
    « De bevordering van christelijke zeden, de bewaring van orde en eendragt, en de aankweeking van liefde voor Koning en Vaderland », cité par HARINCK, George, “Een leefbare oplossing. Katholieke en protestantse tradities en de scheiding van kerk en staat”, art. cité, p. 107 [NdT : la traduction française est basée sur une traduction du néerlandais à l’anglais réalisée par l’auteur].
  • [19]
    Cf. MONSMA, Stephen V. ; SOPER Chistopher J., The challenge of pluralism : church and state in five democracies, New York : Rowman & Littlefield Press, 1997, 228 p. (voir p. 57).
  • [20]
    Cf. HARINCK, George, “Een leefbare oplossing. Katholieke en protestantse tradities en de scheiding van kerk en staat”, art. cité,
  • [21]
    MONSMA, Stephen V. ; SOPER Chistopher J., The challenge of pluralism : church and state in five democracies, op. cit., p. 60 ; HARINCK, George, “Een leefbare oplossing. Katholieke en pro-testantse tradities en de scheiding van kerk en staat”, art. cité, p. 111.
  • [22]
    VAN ROODEN, Peter, Dutch concepts to express religious diversity, Amsterdam, 2002, consultable sur http://www.xs4all.nl/~pvrooden/Peter/publicaties/dutch%20concepts.htm
  • [23]
    Cf. VAN BIJSTERVELD, Sophie C., “State and church in the Netherlands”, in : ROBBERS, Gerhard (Ed.), State and church in the European Union, Baden-Baden : Nomos Verlag, 2005, pp. 367-390 (voir p. 374).
  • [24]
    BOWEN, John R., “A view from France on the internal complexity of national models”, art. cité, p. 1005.
  • [25]
    Cette opposition ressemble aux débats en France entre les défenseurs des interprétations plus strictes et plus pluralistes de la laïcité (Laïcité de combat versus laïcité modérée) [NdT : en français dans le texte]. Voir la contribution de John R. Bowen dans le présent dossier, p. 107.
  • [26]
    Les écoles doivent être fréquentées par un minimum de 200 élèves (selon le degré d’urbanisation), la langue d’enseignement doit être le néerlandais, les enseignants doivent être qualifiés et le programme doit se conformer aux exigences établies par la loi sur l’école primaire. Voir DRIESSEN, Geert ; MERRY, Michael S., “Islamic schools in the Netherlands : expansion or marginalization ?”, Inter-change, vol. 37, n° 3, 2006, pp. 201-223 (cf. p. 203).
  • [27]
    Voir RATH, Jan ; PENNINX, Rinus ; GROENENDIJK, Kees ; MEYER, Astrid, Western Europe and its Islam, op. cit. ; FETZER, Joel S. ; SOPER, Chistopher J., Muslims and the state in Britain, France, and Germany, Cambridge : Cambridge University Press, 2005, 208 p. ; MAUSSEN, Marcel, Cons-tructing mosques. The governance of Islam in France and the Netherlands, Amsterdam : University of Amsterdam, 2009, 293 p.
  • [28]
    Pour une vue d’ensemble, voir MAUSSEN, Marcel, The governance of Islam in Western Europe : a state of the art, Amsterdam : IMISCOE, 2007, 91 p.
  • [29]
    Voit la contribution de Jan Willem Duyvendak et Peter Scholten, p. 77.
  • [30]
    Dans la présente contribution nous nous sommes avant tout intéressé à retracer les politiques publiques réelles, les idées sous-jacentes et comment elles étaient reliées à la “pilarisation”. Nous ne pouvons qu’occasionnellement faire allusion aux effets réels de ces politiques publiques et à l’intensité de l’impact qu’elles ont eu par rapport aux autres facteurs.
  • [31]
    Cf. KEPEL , Gilles, Terreur et martyre, Paris : Éd. Flammarion, 2008, 365 p,
  • [32]
    HELLEMANS, Staf, “Zuilen en verzuiling in Europa”, in : BECKER, Uwe ; VAN PRAAG, Philip (Eds.), Politicologie : basisthema’s en Nederlandse politiek, Amsterdam : Het Spinhuis, 2006, pp. 239-266.
  • [33]
    RATH, Jan ; GROENENDIJK, Kees ; MEYER, Astrid, “The politics of recognizing religious diversity in Europe : social reactions to the institutionalization of Islam in the Netherlands, Belgium and Great Britain”, The Netherlands Journal of Social Science, vol. 35, n° 1, 1999, pp. 53-68 (cf. p. 59).
  • [34]
    SCHEFFER, Paul, Het land van aankomst, op. cit, p. 170 [NdT : la traduction du néerlandais vers l’anglais réalisée par l’auteur sert de base à la traduction en français].
  • [35]
    Cf. KLOP, Kees, “De islam in Nederland : angst voor een nieuwe zuil ?”, Christen-Democratische Verkenningen, vol. 11, n° 82, 1982, pp. 526-533.
  • [36]
    Cf. HAMPSINK, René ; ROOSBLAD, Judith (Eds.), Nederland en de islam, Nijmegen : Katholieke Universiteit Nijmegen, Faculteit der Rechtsgeleerdheid, 1992. Un autre exemple est celui du sociologue Anton Zijderveld, également affilié au CDA, et qui est cité par Scheffer comme « un parmi tant d’autres ». Voir également KLOP, Kees, “Religie of etniciteit als bindmiddel ?”, Migrantenstudies, vol. 15, n° 4, 1999, pp. 246-254. Pour une discussion, voir SUNIER, Thijl, “Verzuilen of niet verzuilen ? Dat is de vraag”, Migrantenstudies, n° 16, 2000, pp. 54-58 ainsi que MAUSSEN, Marcel, Ruimte voor de islam ? Stedelijk beleid, voorzieningen, organisaties, op. cit.
  • [37]
    Voir notamment SUNIER, Thijl, Islam in beweging : Turkse jongeren en islamitische organisaties, Amsterdam : Het Spinhuis, 1996, 276 p. ; RATH, Jan ; PENNINX, Rinus ; GROENENDIJK, Kees ; MEYER, Astrid, Western Europe and its Islam, op. cit. ; MAUSSEN, Marcel, Constructing mosques. The governance of Islam in France and the Netherlands, op. cit.
  • [38]
    Il faut ajouter le fait que le terme “pilarisation” figure de façon répétée dans les débats publics relatifs à l’intégration de l’islam (voir MONSMA, Stephen V. ; SOPER, Chistopher J., The challenge of pluralism : church and state in five democracies, op. cit.). Toutefois, le fait que les gens se référent à la “pilarisation” ne doit pas être compris comme impliquant qu’ils entendent par là une forme d’institutionnalisation de l’islam qui est substantiellement différente des façons dont les subcultures ethniques et religieuses sont organisées dans les autres pays de l’Europe contem-poraine. Les critiques comme Ayaan Hirsi Ali, Lousewies Van Der Laan et Herman Philipse ont affirmé de façon répétée que leurs opposants soutenaient la « pilarisation de l’islam » et qu’un « pilier musulman » existait dans les faits aux Pays-Bas, et poursuivaient en expliquant que la “pilarisation” est un modèle d’incorporation périlleux et les raisons pour lesquelles il freine l’inté-gration. Voir NICKOLSON, Lars, Met recht geloven. Religie en maatschappij in wet en debat, op. cit., pp. 48 et ss.
  • [39]
    KOOPMANS, Ruud ; STATHAM, Paul ; GIUGNI, Marco ; PASSY, Florence, Contested citizenship : immigration and cultural diversity in Europe, Minneapolis : University of Minnesota Press, 2005, 312 p.
  • [40]
    Cf. RATH, Jan ; PENNINX, Rinus ; GROENENDIJK, Kees ; MEYER, Astrid, Western Europe and its Islam, op. cit. ; MAUSSEN, Marcel, Constructing mosques. The governance of Islam in France and the Netherlands, op. cit.
  • [41]
    En France, par exemple, les sociétés gérant les foyers pour travailleurs immigrés — telle la Société nationale de construction de logements pour les travailleurs (SONACOTRA) — qui fournissent des logements aux travailleurs immigrés ont également mis en place un projet pour créer dans les foyers des lieux de prière pour les musulmans.
  • [42]
    En 1975, un groupe de musulmans a réussi à utiliser la loi relative au subventionnement de la construction des églises pour recevoir des subventions pour la construction d’une mosquée à Almelo. Voir MAUSSEN, Marcel, Constructing mosques. The governance of Islam in France and the Netherlands, op. cit.
  • [43]
    Cf. KLAUSEN, Jytte, The Islamic challenge : politics and religion in Western Europe, op. cit.
  • [44]
    Les mesures de politique publique qui ont été développées du fait de ce multiculturalisme avant la lettre incluaient la poursuite des programmes d’enseignement dans les langues et cultures d’origine des migrants, la mise en place de programmes d’enseignement interculturel et la création de conseils consultatifs nationaux et municipaux pour les groupes ethniques. Voir WERKGROEP-WAARDENBURG, Religieuze voorzieningen voor etnische minderheden in Nederland. Rapport tevens beleidsadvies van de niet-ambtelijke werkgroep ad hoc, Rijswijk : Ministerie van Welzijn, Volksgezondheid en Cultuur (WVC), 1983, 131 p. [NdT : les mots en italique sont en français dans le texte].
  • [45]
    Cf. RATH, Jan ; PENNINX, Rinus ; GROENENDIJK, Kees ; MEYER, Astrid, Western Europe and its Islam, op. cit.
  • [46]
    MAUSSEN, Marcel, “Policy discourses on mosques in the Netherlands 1980-2002 : contested constructions”, Ethical Theory and Moral Practice, vol. 7, n° 2, 2004, pp. 147-162.
  • [47]
    Cf. HIRSCH-BALLIN, Ernst Maurits Henricus (Ed.), Overheid, godsdienst en levensovertuiging. Eindrapport criteria voor steunverlening aan kerkgenootschappen en andere genootschappen op geestelijke grondslag, Den Haag : Ministerie van Binnenlandse Zaken, 1988, 133 p.
  • [48]
    La coalition gouvernementale Violette (1994-2002), le premier gouvernement depuis la Seconde Guerre mondiale qui n’incluait pas les chrétiens-démocrates, va légiférer sur une série de questions qui, jusqu’alors, rencontraient toujours l’opposition des partis chrétiens, comme l’euthanasie et le mariage entre personnes du même sexe.
  • [49]
    Cf. VISSER, Jelle ; HEMERIJCK, Anton, “A Dutch miracle”. Job growth, welfare reform and corporatism in the Netherlands, Amsterdam : Amsterdam University Press, 1999, 206 p.
  • [50]
    Un nouveau programme d’enseignement n’a commencé qu’en 2005 à l’Université libre (Vrije Universiteit) à Amsterdam. Voir MAUSSEN, Marcel, Ruimte voor de islam ? Stedelijk beleid, voor-zieningen, organisaties, op. cit., pp. 43 et ss. Un programme d’intégration civique obligatoire pour le clergé immigré a aussi été créé. Même si cette formation d’intégration civique est offi-ciellement accessible à tous les types de personnel religieux immigré, en fait elle est avant tout destinée aux nouveaux imams et — dans une moindre mesure — aux enseignants hindous. Ce programme, qui existe depuis 2002, comprend une séquence spéciale de dix réunions pour les imams, laquelle, entre autres, doit les renseigner à propos des différentes communautés religieuses présentes aux Pays-Bas et leur fournir la connaissance et l’expertise qui peuvent être utiles à leur travail en matière de conseils socio-spirituels. Ce programme est dissocié de la formation linguistique ordinaire, qui comprend cependant une formation au vocabulaire spécifique qui peut être utile au personnel religieux. Une fois cette formation achevée, les imams reçoivent une sorte de certificat. Voir MINISTERIE VAN BINNENLANDSE ZAKEN EN KONINKRIJKSRELATIES, Inburgering van geestelijke bedienaren. Een handleiding voor gemeenten, Den Haag : Ministerie van Binnen-andse Zaken en Koninkrijksrelaties, 2001, 39 p.
  • [51]
    Cf. SUNIER, Thijl, Islam in beweging : Turkse jongeren en islamitische organisaties, op. cit. ; CANATAN, Kadir, Turkse Islam : perspectieven op organisatievorming en leiderschap in Nederland, Rotterdam : Erasmus Universiteit, 2001, 267 p.
  • [52]
    LINDO, Flip, Heilige wijsheid in Amsterdam. Ayasofia stadsdeel De Baarsjes en de strijd om het Riva terrein, Amsterdam : Het Spinhuis, 1999, 196 p. (voir p. 110). Cette stratégie était exprimée sans détour par la plupart des organisations musulmanes turques, elles ont également été pionnières dans la création d’institutions islamiques aux Pays-Bas. Plus tard, des stratégies si-milaires ont été déployées par les associations marocaines (également avec l’aide du gou-vernement marocain) et, encore plus tard, par des confessions particulières comme les groupes salafistes et whahabbites.
  • [53]
    Sur l’impact de ce type de « discours sur la diversité » sur les politiques publiques d’accommo-dement à l’égard de l’islam dans le milieu des années 1990, voir MAUSSEN, Marcel, Ruimte voor de islam ? Stedelijk beleid, voor-zieningen, organisaties, op. cit.
  • [54]
    Le Comité consultatif sur les affaires des étrangers (Adviescommissie voor Vreemdelingenzaken, ACVZ) qui a fait un compte rendu de cette proposition affirme que « les interdictions et les exigences générales sont incompatibles avec la liberté de religion, avec le principe d’égalité de traitement et avec la réserve que le gouvernement doit exercer par rapport au choix du clergé fait par une communauté de foi ». Voir ADVIESCOMMISSIE VOOR VREEMDELINGENZAKEN, Toelating en verblijf voor religieuze doeleinden, Den Haag : ACVZ, juillet 2005, 100 p. Voir aussi HENDRICKX, Ineke ; DE LANGE, Tessel, Toelating van vreemdelingen voor verblijf bij religieuze organisaties. Beleid en praktijk in Nederland voor en na de Vreemdelingenwet 2000, Nijmegen : Wolf Legal Publishers, 2004 ; KRALER, Albert ; STRASSER, Elisabeth ; JANDL, Michael ; SCHARZENBERGER, Dietlind ; JÖRG, Sven ; ERIKSSON, Sara, Comparative study on the admission of clergy : study on the admission of Third Country nationals for the purpose of carrying out religious work in 8 European countries and Canada, Vienna : ICMPD, 2005, 120 p.
  • [55]
    Cf. BOWEN, John R., Why the French don’t like headscarves. Islam, the state and public space, Princeton : Princeton University Press, 2007, 290 p. ; BADER, Veit-Michael, Secularism or democracy ? Associational governance of religious diversity, Amsterdam : Amsterdam University Press, 2007, 386 p.
  • [56]
    STATHAM, Paul ; GIUGNI, Marco ; PASSY, Florence, Contested citizenship : immigration and cultural diversity in Europe, op. cit., p. 446.
  • [57]
    Cité dans RATH, Jan ; PENNINX, Rinus ; GROENENDIJK, Kees ; MEYER, Astrid, Western Europe and its Islam, op. cit., p. 75.
  • [58]
    Cf. RATH, Jan ; PENNINX, Rinus ; GROENENDIJK, Kees ; MEYER, Astrid, Western Europe and its Islam, op. cit., p. 191.
  • [59]
    Durant le printemps 2004, le ministre de l’Éducation Maria Van Der Hoeven a établi que toute nouvelle école musulmane devait avoir un conseil d’administration composé uniquement de membres de nationalité néerlandaise.
  • [60]
    Cf. DRIESSEN, Geert ; MERRY, Michael S., “Islamic schools in the Netherlands : expansion or marginalization ?”, art. cité.
  • [61]
    Cité par NICKOLSON, Lars, Met recht geloven. Religie en maatschappij in wet en debat, op. cit., p. 47.
  • [62]
    Cf. MERRY, Michael S. ; DRIESSEN, Geert, “Islamic schools in three Western countries : policy and procedure”, Comparative Education, vol. 41, n° 4, 2005, pp. 411-432.
  • [63]
    Cf. NICKOLSON, Lars, Met recht geloven. Religie en maatschappij in wet en debat, op. cit., pp. 49 et ss.
  • [64]
    Cf. BADER, Veit-Michael, Secularism or democracy ? Associational governance of religious diversity, op. cit.
  • [65]
    Voir également NICKOLSON, Lars, Met recht geloven. Religie en maatschappij in wet en debat, op. cit., pp. 19 et ss.
  • [66]
    Sur la France, se reporter à la contribution de John R. Bowen dans le présent dossier, p. 107.
  • [67]
    Voir la contribution de Doutje Lettinga et Sawitri Saharso dans le présent dossier, p. 237.
  • [68]
    Un représentant du Parti fondamentaliste chrétien (Gereformeerd Politiek Verbond, GPV), par exemple, a exprimé en 1974 son opposition au projet autorisant le versement de subventions aux mosquées parce qu’il pensait que les mosquées et les minarets ne devaient pas dominer le paysage néerlandais. Voir LANDMAN, Nico, Van mat tot minaret. De institutionalisering van de islam in Nederland, Amsterdam : VU Uitgeverij, 1992, 386 p. (cf. p. 278).
  • [69]
    Cf. NICKOLSON, Lars, Met recht geloven. Religie en maatschappij in wet en debat, op. cit., p. 23.
  • [70]
    Ibidem, p. 25.
  • [71]
    NdT: en français dans le texte.
  • [72]
    EPHIMENCO, Sylvain, “Oorlog om Irak om meer dan olie”, Trouw du 5-12-2002.
  • [73]
    Cf. RATH, Jan ; PENNINX, Rinus ; GROENENDIJK, Kees ; MEYER, Astrid, Western Europe and its Islam, op. cit., p. 55.
  • [74]
    NdT : en italique dans le texte original.
  • [75]
    Cf. KOOPMANS, Ruud ; STATHAM, Paul ; GIUGNI, Marco ; PASSY, Florence, Contested citi-zenship : immigration and cultural diversity in Europe, op. cit.
  • [76]
    Cf. LIJPHART, Arend, The politics of accommodation : pluralism and democracy in the Netherlands, Berkeley : University of California Press, 1968, 222 p. Arend Lijphart est un politologue américano-néerlandais.
  • [77]
    HIRSI ALI, Ayaan, Infidel, op. cit., p. 245.

1 Les réponses apportées par les politiques publiques néerlandaises à l’immigration musulmane sont régulièrement présentées comme le résultat de stratégies fondées sur le “multiculturalisme” et la “pilarisation”. Les musulmans auraient été encouragés à créer leurs propres institutions religieuses, avec le soutien financier de l’État. Les responsables politiques auraient eu tendance à ne pas débattre de ces nombreuses questions sensibles, persuadés que la désapprobation de l’opinion publique à l’égard des valeurs et des pratiques culturelles des minorités n’aurait fait que nourrir les préjugés anti-immigrés. Dans le contexte d’une immigration musulmane massive, ces stratégies du “politiquement correct” et de “l’évitement” auraient produit une série d’effets pervers. L’oppression et les mauvais traitements infligés aux femmes musulmanes auraient été tolérés, les institutions musulmanes ultraconservatrices et les enclaves ethniques auraient été autorisées à se développer et, enfin, le radicalisme et le fondamentalisme islamique auraient pu voir leur influence grandir auprès des jeunes musulmans. Quand Theo Van Gogh a été assassiné en 2004, plusieurs commentateurs ont fait le lien entre ce meurtre et les échecs des politiques d’intégration. Ainsi, Paul Scheffer écrivait : « Aujourd’hui, il y a un corps avec un couteau de boucher, étendu sous un drap blanc, et tout le monde sait que nous nous sommes dupés » [1].

Expliquer les politiques d’intégration de l’islam à travers le prisme de la “pilarisation”

2 Cette interprétation des politiques publiques passées fonctionne comme un discours important construisant des relations causales et attribuant des responsabilités pour expliquer la situation actuelle [2]. En présentant les approches passées comme naïves et contre-productives, les responsables politiques peuvent fournir des arguments en faveur de débats plus conflictuels sur les questions sensibles et ils peuvent défendre des politiques d’intégration qui demandent plus aux nouveaux arrivants, notamment en matière de respect du sécularisme et des libertés démocratiques [3].

3 Dans les recherches universitaires également, cette idée que l’héritage de la “pilarisation” aurait modelé de façon cruciale les politiques publiques néerlandaises apparaît clairement. Paul Statham et ses collègues soutiennent que la « tradition » de la “pilarisation”, par laquelle les « prérogatives de l’État » étaient déléguées aux « piliers des communautés religieuses », a constitué un facteur explicatif majeur de la volonté des responsables politiques néerlandais d’accorder aux communautés immigrées des « droits exceptionnels », et peut expliquer la « considérable bienveillance de l’État envers les droits collectifs » [4]. La chercheuse danoise Jytte Klausen suggère que les Néerlandais ont cherché à créer un « pilier musulman », comprenant des mesures publiques telles que le financement d’une télévision musulmane et la construction de mosquées, et des « mesures d’autogestion de la communauté musulmane » [5]. Gilles Kepel soutient que les problèmes de radicalisation des jeunes musulmans sont une conséquence directe de la stratégie de “pilarisation”. Il va jusqu’à déclarer que les Néerlandais autoriseraient aujourd’hui le “pilier” musulman à fonctionner selon la charia [6]. Même les chercheurs qui célèbrent les Pays-Bas pour leur approche pluraliste et impartiale à l’égard des revendications musulmanes en matière de reconnaissance publique conviennent que la “pilarisation” est un facteur explicatif majeur de cette approche [7]. Un récent article soutient que, jusqu’à la fin des années 1990, les politiques néerlandaises d’intégration des immigrés n’étaient pas tant inspirées par le « multiculturalisme », que le résultat de « l’histoire de la pilarisation » et des « réflexes de pilarisation » [8]. Ainsi, les détracteurs comme les partisans des politiques néerlandaises s’accordent sur l’idée que l’héritage de la “pilarisation” expliquerait l’émergence d’une approche nationale spécifique vis-à-vis de l’immigration musulmane, au moins jusqu’à la fin des années 1990 [9].

4 Lorsque les politiques néerlandaises d’intégrationde l’islam sont expliquées à la lumière de « l’héritage de la pilarisation », il s’agit en fait de faire référence à une variété de facteurs institutionnels, juridiques, culturels, historiques et politiques. Habituellement, les “modèles nationaux” sont représentés par le biais de l’évocation d’un concept, d’une image, d’une personnalité ou d’un événement historique particulier. Les modèles sont inévitablement des “distorsions idéologiques” qui fournissent des interprétations des événements passés et établissent des images relativement cohérentes des traditions nationales [10]. Les responsables politiques, les chercheurs et les citoyens ont besoin de ces interprétations condensées des traditions nationales de gouvernement. Elles peuvent les guider dans le développement, la compréhension, la description et la justification des politiques publiques.

5 Définir des images crédibles de “modèles nationaux” ne se réduit pas seulement à une question conceptuelle : cela relève également de la pertinence politique. Au cours des huit dernières années, plusieurs critiques ont suggéré que les relations entre l’Église et l’État aux Pays-Bas devaient être modifiées. Paul Scheffer prétend que les Néerlandais doivent reconnaître que la “pilarisation” n’est plus un modèle viable [11]. D’autres soutiennent que les dispositions institutionnelles existantes permettent aux musulmans de continuer à « réclamer un nouveau pilier » [12]. Par conséquent, le débat se poursuit sur la nécessité d’une révision plus complète des dispositions institutionnelles. Des politiques comme l’ancienne parlementaire Ayaan Hirsi Ali ou des universitaires tels que Paul Cliteur, Afshin Ellian et Herman Philipse préconisent l’adoption d’un modèle plus “à la française”, strictement séparatiste [13]. En pratique, cela impliquerait la fin du financement par l’État des écoles confessionnelles, l’interdiction des symboles et tenues religieux dans les institutions publiques, moins de tolérance à l’égard des revendications à caractère religieux et plus de place à une critique sévère de la religion et à des discours pouvant être vécus comme une offense par les membres des communautés religieuses.

6 Dans notre contribution, nous examinons, dans une première partie, l’idée selon laquelle l’héritage de la “pilarisation” a modelé de façon cruciale les politiques publiques d’intégration de l’islam et la critique des dispositions institutionnelles Église-État qui lui est liée. Nous commençons par examiner les traditions néerlandaises en matière de relations Église-État et le rôle réellement joué par la “pilarisation” dans leur développement historique. Dans la seconde partie de notre contribution nous abordons la question des stratégies d’intégration de l’islam au cours des 30 dernières années et nous examinons le rôle que la “pilarisation” y a joué.

Redécouvrir les traditions néerlandaises des relations Église-État

7 Durant les dernières années, des débats relatifs à la « tragédie multi-culturelle » ont été mêlés à de nouveaux doutes concernant les relations Église-État. De nombreux débats portent sur le dysfonctionnement des écoles musulmanes et sur les moyens de trouver un équilibre entre la liberté de parole et la liberté de religion. Les enseignants et les imams doivent-ils être autorisés à tenir un discours de haine à l’encontre des homosexuels et des juifs parce que cela fait partie de la liberté de religion et de la liberté d’expression ? Les sensibilités musulmanes doivent-elles être protégées contre les politiques qui parlent des « colons musulmans » et qui traitent le prophète de l’islam de « pervers » [14] ? Récemment, le principe de séparation entre l’Église et l’État a été discuté à l’occasion du refus d’un avocat musulman de se lever en l’honneur de la cour [15].

8 Dans le contexte de ces débats, le modèle néerlandais est généralement représenté par rapport soit à la “pilarisation”, soit à la séparation entre l’Église et l’État [16]. Or ces deux thématiques saisissent difficilement la complexité des dispositions des relations entre Église et État aux Pays-Bas et occultent la façon dont différentes lignes de raisonnement structurent ces dispositions. Même une lecture sommaire de l’histoire néerlandaise peut le démontrer.

9 On doit chercher les origines des différentes traditions néerlandaises de la relation Église-État dans la période de la Révolte néerlandaise. Le soulèvement constituait en partie une réaction aux réponses répressives de l’Espagne catholique face au succès de la réforme calviniste aux Pays-Bas. Dans la république des Provinces-Unies (1588-1795) nouvellement fondée, l’Église réformée fonctionnait comme l’Église principale, autorisée dans la sphère publique dont les autres confessions étaient exclues. Il fallait être membre de cette Église pour appartenir à la fonction publique [17]. La Révolution batave (1795-1798) a aboli l’exclusion des catholiques, des juifs et des protestants de la fonction publique et l’Église réformée fut alors privée de certains de ses privilèges. La période française (1795-1814) eut pour conséquence un développement plus important des différenciations institutionnelles entre l’Église et l’État et établit un certain degré de pluralisme religieux. La Constitution de 1815 stipula que tous les cultes avaient droit à une protection égale et à l’exercice public de la religion. Le gouvernement développa des relations administratives et financières avec les religions existantes en leur donnant pour mission d’« augmenter la moralité chrétienne, le respect de l’ordre et de l’unité et l’enseignement de l’amour du Roi et de la Patrie » [18].

10 En 1848, les Pays-Bas se dotèrent d’une Constitution qui posait les fondations d’un État moderne et libéral. Rédigée par le juriste Johan Rudolf Thorbecke, cette Constitution introduisit un respect plus affirmé du principe de la liberté de religion et une séparation plus nette entre l’Église et l’État. Les élites libérales et conservatrices s’arrangèrent pour s’imposer dans les affaires gouvernementales et la politique, mais, dans la seconde moitié du XIXe siècle, elles durent faire face à la rivalité des socialistes et des groupes confessionnels. À partir de là, les différences idéologiques et confessionnelles s’approfondirent et se trouvèrent intimement liées à l’émergence des partis politiques. Dans ce que l’on appelle « la bataille de l’enseignement », les groupes confessionnels finirent par s’unir contre les factions libérales. La loi sur l’enseignement de 1857 avait garanti la liberté des parents de créer leurs propres écoles, mais, en 1878, le libéral Kapeyne Van De Coppello fit voter une loi sur l’enseignement visant à élever le niveau exigé de toutes les écoles, en ne proposant des subventions pour financer cette amélioration qu’aux écoles publiques. Les manifestations contre cette loi réunirent les factions confessionnelles contre les factions libérales, entraînant une alliance entre les groupes réformés et les catholiques [19]. Les factions confessionnelles parvinrent, une décennie plus tard, en 1889, à adapter la loi — qui était perçue comme injuste à l’égard des écoles confessionnelles — et les subventions gouvernementales pour les écoles confessionnelles furent introduites. Cela légitima plus tard l’idée que les différents groupes de la société avaient le droit de créer leurs propres institutions [20].

11 La seconde moitié du XIXe siècle a également été la période durant laquelle quelques-unes des idées au fondement de l’approche néerlandaise ont été théorisées. Abraham Kuyper, le leader des protestants orthodoxes, contesta l’idée que la vision libérale du monde était neutre et qu’elle pouvait à elle seule former la base des institutions gouvernementales. Tout autant que les libéraux, les communautés religieuses avaient le droit d’éduquer et de socialiser les membres de leurs propres institutions. A. Kuyper développa l’idée de « souveraineté de sphères », ce qui signifiait que l’État devait intervenir aussi peu que possible dans les sphères sociétales et les institutions qui pouvaient fonctionner indépendamment, comme les écoles et les Églises. Il était favorable à l’existence d’une « Église libre dans un État libre » et défendait le « parallélisme », c’est-à-dire « le droit et la liberté de mouvements religieux et philosophiques différents de se développer librement par des voies séparées, parallèles, ni entravés ni aidés par le gouvernement » [21].

12 L’émancipation des catholiques et des protestants orthodoxes ainsi que la montée en puissance des mouvements socialistes allaient créer les conditions sociales et politiques préalables à l’émergence d’une société “pilarisée” au cours des premières décennies du XXe siècle. L’image sociale de la nation néerlandaise fut également modifiée durant ce processus. La nation calviniste était alors devenue une nation composée de peuples appartenant à différents groupes et le fait d’être « membre de la nation ne pouvait être exprimé que par le biais de l’adhésion à ces groupes » [22]. Cette situation influença les idées spécifiques à propos de la neutralité de l’État, qui était à ce moment-là comprise comme le respect de l’État pour les différentes visions du monde, religieuses et laïques. La Constitution de 1917 a encore mieux établi les principes pluralistes en introduisant le suffrage universel et la représentation proportionnelle et en garantissant l’égalité de toutes les écoles en matière de subventions, ce qui s’est traduit dans la loi sur l’école primaire de 1920. L’idée de « parallélisme » a légitimé les développements ultérieurs d’un réseau dense d’organisations et d’institutions confessionnelles, incluant les syndicats, les partis politiques modernes, les associations civiles, les radios, les journaux et autres médias. Entre 1900 et 1967, la plupart des citoyens connurent ainsi un partage équitable de leur vie sociale au sein de leurs “piliers” respectifs, institutions et sphères catholiques, protestantes, socialistes ou libérales.

13 Le système “pilarisé” a survécu intact à la Seconde Guerre mondiale, mais à la fin des années 1960 l’accélération de la sécularisation éroda les bases des “piliers” confessionnels. Les médias de masse modernes créèrent des occasions nouvelles pour partager les intérêts, les sympathies et les loisirs avec les membres d’autres groupes. L’individualisation, la mobilité sociale et l’expansion de l’État-providence diluèrent encore plus les clivages existants. Un des effets de la “dé-pilarisation” fut une remise en cause des traditions et des relations Église-État. Traditionnellement, la liberté de religion était comprise comme le respect de l’État à l’égard de l’autonomie des communautés religieuses et comme son abstention de toute intervention dans les affaires internes des instances cultuelles (kerkgenootschappen). Toutefois, la liberté de religion était également de plus en plus perçue comme le droit de l’individu de se libérer de la tutelle et de l’autorité des élites religieuses et du communautarisme. De plus, les nombreuses relations financières directes entre l’État et les églises étaient de plus en plus perçues comme inappropriées.

14 Cette esquisse historique éclaire le fait que les relations néerlandaises Église-État ne peuvent pas être simplement réduites à la “pilarisation”. Cette étiquette occulte également l’importance des transformations institutionnelles qui ont eu lieu au cours des 40 dernières années sous l’influence de différentes tendances sociales et politiques. La Constitution actuelle (de 1983) stipule dans son article 6 que « toute personne a le droit de manifester librement sa religion ou ses convictions, individuellement ou en collectivité, sans préjudice de sa responsabilité selon la loi ». D’autres articles établissent les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination (article 1) ainsi que la liberté d’enseignement et d’égalité en matière de subventionnement des écoles confessionnelles (article 23). Le principe de séparation de l’Église et de l’État ne figure pas dans la Constitution de 1983. Il a cependant une signification évidente en ce qui concerne l’indépendance organisationnelle des institutions confessionnelles ainsi que les relations financières entre les Églises et l’État [23]. La volonté d’introduire une plus grande différenciation institutionnelle entre les Églises et l’État a eu pour conséquence la fin des subventions directes de l’État finançant les salaires et les pensions du personnel religieux.

15 Comme tous les modèles nationaux, le modèle néerlandais est un produit de l’histoire qui contient en son sein « de multiples lignes de raisonnement et d’émotion, développées en contrepoint l’une de l’autre » [24]. Une des principales sources de tension interne tient à l’opposition entre une vision libérale-laïque et une vision pluraliste-confessionnelle [25]. Cette opposition remonte aux luttes du XIXe siècle, mais elle continue à influencer des contrastes qui sont également visibles dans les débats contemporains. Les défenseurs de la vision libérale soulignent que les institutions étatiques devraient être exemptes de toute religion. Au XIXe siècle, cela signifiait, par exemple, que les écoles publiques ne devaient enseigner que les valeurs chrétiennes, qui se situaient au-dessus des désaccords doctrinaux divisant les différents courants chrétiens.

16 Dans la période contemporaine, cela signifie que les écoles publiques ne doivent en aucun cas enseigner la religion et ne doivent pas accepter de symboles religieux ou de célébrations religieuses dans l’enceinte des écoles. Les libéraux laïques perçoivent la période d’après-guerre comme étant le moment où le régime néerlandais fixant les rapports entre l’Église et l’État s’est acheminé vers un modèle de séparation, impliquant inévitablement qu’il ne devait plus y avoir aucun financement direct des institutions religieuses. De ce point de vue, les révisions constitutionnelles de 1972 et de 1983 marquent un tournant crucial car elles symbolisent la fin du financement étatique de la religion et établissent que les « philosophies de vie » (levensovertuigingen) laïques et religieuses ont le même statut légal. Les libéraux soulignent également qu’au départ la liberté de religion signifie la protection contre les interférences externes (liberté négative) et le respect de la liberté de croire et de pratiquer reconnue à chaque citoyen.

17 Les défenseurs de la vision pluraliste confessionnelle insistent sur des éléments différents pour décrire le modèle néerlandais. Ils mettent en avant le fait que la tradition néerlandaise implique l’égalité de traitement par l’État de tous les citoyens et de toutes les confessions, sans tenir compte de leur « philosophie de vie ». Il est important de noter que les visions du monde libérales et laïques ne sont ainsi pas perçues comme “neutres”, mais comme des « philosophies de vie » en elles-mêmes. L’égalité de traitement exige l’impartialité, ce qui empêche l’État de privilégier les institutions laïques. Les tenants de la vision pluraliste-confessionnelle vont souligner que la liberté de religion sert également à protéger l’Église de l’État, ce qui signifie que l’autonomie doctrinale et d’association des groupes religieux doit être respectée. La liberté de religion doit représenter une possibilité concrète et non pas relever simplement des libertés formelles. Cela peut parfois exiger de l’État qu’il apporte un certain soutien, par exemple un soutien spirituel dans les prisons ou l’armée. Les pluralistes vont également insister sur le fait que la liberté de religion n’est pas simplement une liberté individuelle, mais qu’elle implique inévitablement la protection des dimensions collectives et publiques de la religion. La séparation de l’Église et de l’État n’implique pas un choix de principe contre toute forme de soutien financier aux associations religieuses ou fondées sur la foi. Le principe directeur doit être le respect de l’autonomie des associations et l’impartialité.

18 Ces interprétations opposées du modèle néerlandais, la libérale et la pluraliste, coexistent au sein du même cadre institutionnel. Toutefois, ce n’est pas la seule source de pluralité interne des dispositions qui encadrent les relations Église-État aux Pays-Bas. Ces dispositions fonctionnent également de façon différente selon les divers domaines des politiques publiques. Nous nous limiterons ici aux dispositions pertinentes concernant les sphères des institutions religieuses (principales), de l’enseignement et de l’affirmation des identités religieuses dans le domaine public.

19 La Constitution néerlandaise garantit la liberté de religion, y compris le droit de croire et de pratiquer collectivement, en privé ou en public. Depuis la révision constitutionnelle de 1983, le principe de séparation de l’Église et de l’État a fini par impliquer que les principales institutions et activités religieuses ne seraient pas financées par les autorités publiques, ce qui constitue une rupture avec le passé, en particulier en matière de financement des lieux de culte et du personnel religieux. Historiquement, le gouvernement national et l’administration municipale ont été régulièrement impliqués financièrement dans la construction d’églises. La loi sur les subventions accordées à la construction des églises de 1962 a harmonisé les approches gouvernementales dans les différentes municipalités et a autorisé les subventions directes pour couvrir les coûts de construction et de rénovation. Du fait des amendements constitutionnels de 1972, cette loi a été suspendue en 1975, pour n’être formellement abrogée qu’en 1982. Ces mêmes amendements ont exigé la fin des subventions dédiées aux salaires et aux pensions du personnel religieux, ce qui est intervenuen 1981 lorsqu’un accord a été trouvé avec les représentants des Églises. La fin du financement direct des principales institutions religieuses n’a pourtant pas signifié que les principes d’impartialité et de proportionnalité étaient abandonnés dans les autres sphères, telles que les médias audiovisuels publics, les aumôneries, la vie associative et l’enseignement.

20 Dans la sphère de l’enseignement, le régime néerlandais est basé sur un fort attachement aux principes de liberté de religion et d’enseignement. L’idée que les parents ont le droit de fonder leurs propres écoles et que l’État a l’obligation de financer toutes les écoles sur un pied d’égalité précède la “pilarisation” et remonte au milieu du XIXe siècle. Cependant, la réglementation constitutionnelle de 1917 sur la liberté d’enseignement a effectivement marqué les prémisses d’un système de “piliers” plus développé. Même si la grande majorité des écoles confessionnelles sont toujours des écoles religieuses, la liberté d’enseignement garantit également la liberté des parents de créer des écoles alternatives fondées sur une philosophie d’enseignement particulière (pédagogie Montessori, plan Dalton) et de les faire financer par l’État. Pour avoir droit aux subventions, les écoles doivent remplir des conditions relatives au nombre d’élèves et aux compétences de l’équipe enseignante [26]. Le régime néerlandais garantit aussi le droit des enfants à recevoir un enseignement religieux (cela est également vrai — si les parents le demandent — dans les écoles publiques) et permet aux écoles confessionnelles d’exiger des élèves et de l’équipe enseignante qu’ils partagent la philosophie particulière de l’école.

21 En ce qui concerne le fait d’afficher sa religion ou des symboles religieux dans le domaine public, le régime néerlandais se fonde sur l’idée du domaine public comme un domaine pluriel, opposé par exemple à la façon dont il est décrit comme “neutre” dans le modèle républicain français. Depuis la Constitution de 1983, les visions religieuses et non religieuses du monde ainsi que les pratiques qui y sont liées sont reconnues égales par la loi, l’objectif le plus important étant de garantir l’égalité et la liberté de chacun. Parfois, des préoccupations pragmatiques et des objectifs collectifs valables doivent être examinés en tenant compte du respect des libertés. Dans ce cas, les exigences, les symboles et les pratiques qui sont associés à des « philosophies de vie » peuvent être d’un niveau plus élevé de protection légale que les pratiques qui sont essentiellement associées à des goûts ou à des modes de vie individuels. Tel est le cas, par exemple, de l’émission de sons, des codes vestimentaires ou des manifestations publiques. Cela signifie que des pratiques telles que faire sonner les cloches d’une église, l’appel à la prière ou les processions sont légalement autorisées et garanties. Dans le contexte néerlandais, l’interdiction générale du droit des enfants à porter des symboles religieux dans les écoles serait perçue comme une atteinte à la liberté individuelle, à la non-discrimination, ainsi que comme une restriction non souhaitée de la pluralité dans le domaine public.

Institutionnalisation de l’islam aux Pays-Bas : domaines et politiques publiques

22 Dans le contexte de l’Europe occidentale, les réponses étatiques aux revendications des musulmans relatives à leur reconnaissance sont influencées par le régime fixant les relations Église-État, les politiques publiques en matière de religion et d’intégration des immigrés [27]. Il est cependant essentiel de ne pas surestimer le rôle des politiques publiques. Une distinction doit être faite entre les politiques publiques et les processus sociaux dans un sens plus large, comme le développement de la religiosité parmi les différentes générations de musulmans ou l’essor réel des institutions islamiques. Les façons dont ces processus se développent ne dépendent pas seulement des politiques publiques mais de multiples facteurs, incluant les ressources des communautés musulmanes, les processus de mobilisation de ressources, l’existence de réseaux organisationnels transnationaux, les relations entre les générations et les différences ethniques ou confessionnelles entre les groupes de musulmans [28]. Dans une autre contribution au présent dossier, les paradigmes des politiques néerlandaises d’intégration et leur changement au fil du temps ont été largement discutés [29]. Nous nous concentrons ici sur la façon dont le régime néerlandais de gouvernance de la religion a modelé les politiques d’intégration en matière d’islam dans les domaines de la religion, de l’enseignement et de l’affirmation publique de l’identité religieuse [30].

23 De nouveau, il est utile d’expliquer clairement les trois différents types de considérations qui accompagnent l’idéeselon laquelle, au moins jusqu’au milieu des années 1990, la “pilarisation” aurait joué un rôle crucial dans la formation des modèles d’accommodement relatifs à l’islam aux Pays-Bas.

24 En premier lieu, cela peut signifier qu’une sorte de « pilier musulman » a effectivement émergé aux Pays-Bas comme la conséquence des politiques publiques néerlandaises. C’est ce qu’affirme Gilles Kepel quand il suggère que les Néerlandais auraient créé des institutions musulmanes « pilarisées » [31]. Cependant, les spécialistes qui ont effectivement étudié l’institutionnalisation de l’islam aux Pays-Bas s’accordent sur le fait qu’il n’existe pas de « pilier musulman » et qu’il est fort peu probable qu’il s’en développe jamais un. Un “pilier” est une forme distincte d’institutionnalisation subculturelle. Une subculture devient “pilarisée” quand se met en place un réseau étroitement intégré d’institutions et d’organisations, couvrant une large variété de domaines sociétaux (religion, enseignement, sports, médias, syndicats) et comprenant un parti politique de masse. Typiquement, les organisations “pilarisées” ont presque le monopole sur toutes les formes de vie associative auxquelles les membres de cette subculture participent. Ce type de subcultures “pilarisées” a existé au début du XXe siècle sous la forme de “piliers” confessionnels aux Pays-Bas, en Belgique et en Autriche, mais également sous la forme d’un « pilier communiste » en France [32].

25 Dans la société néerlandaise contemporaine, il existe une variété d’institutions musulmanes (mosquées, madrasas, écoles religieuses, cimetières, cliniques pratiquant la circoncision), dont on pourrait dire qu’elles sont, pour la plupart, organisées sur des bases ethniques. Mais ce réseau d’organisations et d’institutions ne peut néanmoins pas être qualifié de “pilier”. Comme Jan Rath et ses collègues l’ont déjà remarqué, « contrairement à ce que certains porte-parole tiennent à affirmer, en termes de dispositions institutionnelles, il n’est pas question d’un pilier musulman aux Pays-Bas ou, tout au moins, pas d’un pilier dans un sens comparable à celui des piliers catholiques ou protestants dans le passé » [33]. Il y a des associations et des écoles musulmanes, des mosquées ainsi que des clubs de football ethniques, mais il n’y a pas de presse quotidienne, de syndicats, de partis politiques (nationaux) ni d’hôpitaux musulmans. Les institutions religieuses musulmanes n’ont pas non plus un monopole en matière de prise en charge des différents besoins socioculturels et autres des musulmans. En fait, la façon dont la subculture musulmane est institutionnalisée aux Pays-Bas ressemble beaucoup aux modèles d’organisation qui se sont développés dans d’autres pays européens, à l’exception du domaine de l’enseignement (voir ci-dessous).

26 En deuxième lieu, l’idée que la “pilarisation” a joué un rôle crucial dans la détermination des politiques publiques peut être abordée sous l’angle d’un soutien des responsables politiques néerlandais à l’émergence d’un « pilier musulman ». Cet argument est utilisé par exemple par Paul Scheffer, qui écrit que « beaucoup de personnes ont cru qu’utiliser les moyens de la pilarisation » pour intégrer les musulmans constituerait « la continuité logique d’une vieille tradition avec des moyens nouveaux » [34]. La question est en fait plutôt de savoir qui étaient réellement ces « nombreux croyants » et quelle était l’étendue réelle de ce supposé soutien à la “pilarisation”. Dans le débat politique, l’exemple le plus clair est celui de Kees Klop qui a travaillé pour le bureau scientifique du Parti chrétien-démocrate et qui s’est prononcé en faveur de l’émergence d’un « pilier musulman » dans un article publié en 1982 [35]. Selon lui, l’histoire néerlandaise avait prouvé qu’un certain niveau d’isolement pouvait être bénéfique au cours des premières étapes d’une émancipation collective.

27 Loin de soulever un enthousiasme général, les points de vue de Kees Klop n’ont rencontré que du scepticisme. Déjà en 1983, Jan Slomp, qui travaillait pour les Églises réformées comme expert en matière d’islam, soutenait que la mise en parallèle des situations des musulmans et des catholiques romains ainsi que des protestants orthodoxes était erronée pour trois raisons : les musulmans étaient des immigrés qui avaient une mentalité complètement différente de celle des groupes chrétiens du XIXe siècle, les musulmans n’avaient aucune intention de créer un « pilier musulman » et ils constituaient un groupe ethniquement et confessionnel-lement très hétérogène [36]. Les études sur les politiques publiques d’accommodement à l’égard de l’islam ont également démontré qu’au cours des années 1980 et 1990 les responsables politiques n’avaient guère montré de signes d’enthousiasme pour la “pilarisation” musulmane [37]. De plus, s’ils parlaient de l’émergence possible d’un « islam néerlandais », ils faisaient invariablement face à des réserves de la part des leaders musulmans ethniques, qui étaient en premier lieu préoccupés par la création d’organisations ethniques et la défense des intérêts de leur propre groupe. Les groupes turcs, marocains et surinamais étaient en réalité en train de créer leurs propres institutions islamiques. L’image d’un large consensus pour encourager la formation d’un « pilier musulman » est bien un mythe [38].

28 En troisième lieu, il est possible de parler de la “pilarisation” comme d’un ensemble de possibilités institutionnelles et discursives qui a structuré les politiques publiques d’intégration et orienté ces politiques vers une sorte de « pilarisation de l’islam », même si cela n’était pas le but explicite initial. La culture politique et les possibilités institutionnelles auraient marqué le processus de mobilisation des ressources, la formulation des revendications et le développement des institutions musulmanes. À la différence d’autres pays européens, aux Pays-Bas les musulmans auraient été indirectement encouragés à revendiquer des « droits collectifs », des « demandes de traitement préférentiel » et des « prérogatives étatiques » [39]. Il se peut que des possibilités institutionnelles particulières aient existé « du fait de la pilarisation » et qu’elles aient influencé les politiques des 30 dernières années. Seule l’analyse de ces politiques publiques peut aider à répondre à cette question.

Le domaine religieux

29 La nécessité de prendre des mesures publiques pour s’accommoder aux besoins religieux des musulmans a émergé au cours de la période de la politique des « travailleurs invités » (gastarbeiders) en vigueur au début des années 1960 à la fin des années 1970. Ce régime particulier d’immigration était basé sur le recrutement de travailleurs étrangers destinés à ne rester que temporairement en Europe. Progressivement, l’idée que ces travailleurs immigrés avaient finalement droit à un traitement “humain” a conduit à accentuer les efforts pour subvenir à leurs besoins en matière d’activités de loisir, de soins médicaux et sociaux ainsi qu’à divers “besoins culturels”. Dans les domaines de la culture et de la religion, les politiques d’accommodement visaient à permettre aux travailleurs immigrés de conserver leur culture et leur religion comme source de bien-être, de soutien moral, d’identification et comme un moyen de faciliter leur future réinsertion dans la société d’origine. Dans ce contexte, deux mesures d’accommodement en matière de religion ont été prises au cours des années 1970. L’une a été l’amendement à la loi sur le contrôle de la viande en 1977, destiné à autoriser l’abattage rituel musulman. L’autre a été l’élaboration d’un projet de subvention destinée à la création ou à la restauration de lieux de culte musulmans [40].

30 Dans les années 1970, plusieurs municipalités et entreprises ont occasionnellement contribué financièrement à la création de mosquées, des dons motivés par la volonté d’améliorer les conditions de vie des travailleurs immigrés. Dans son Mémorandum sur les travailleurs étrangers de 1970, le gouvernement national avait annoncé sa détermination à apporter son aide pour le « bien-être spirituel » des immigrés. En 1976, une réglementation relative aux subventions pour les lieux de culte a été édictée dans le but d’aider à créer un « environnement culturel » pour les immigrés. Ce type de réponses données par les politiques publiques a également existé dans d’autres pays européens mettant en place une politique de « travailleurs invités » [41]. La réglementation néerlandaise a permis d’attribuer des subventions — jusqu’à concurrence de 30 % du coût total — à la création de salles de prière pour les « musulmans méditerranéens ». La réglementation a été en vigueur jusqu’en 1981, puis a été prolongée sous une forme légèrement modifiée jusqu’en 1983. Il convient de noter que cette réponse publique particulière n’était pas destinée à étendre à l’islam le régime des rapports Église-État. Il ne faut pas oublier que, à ce moment-là, ce projet particulier de subvention était mis en œuvre pour les travailleurs immigrés musulmans, alors que le plan général de subvention des édifices religieux (loi sur le subventionnement de la construction des églises) avait déjà pris fin en 1975 [42]. Par conséquent, la réglementation relative aux subventions pour les lieux de culte ne découlait pas des normes régissant les relations Église-État néerlandaises et n’était certainement pas destinée à créer un « pilier musulman », contrairement à ce que Jytte Klausen a affirmé [43]. Il s’agissait d’une mesure de politique publique ad hoc, ayant pour objectif de subvenir aux besoins religieux des travailleurs immigrés.

31 Dans les années 1980, les Néerlandais commencèrent à développer des politiques d’intégration et, simultanément, ils cherchèrent à faire une place à l’islam en tant que “nouvelle” religion et aux musulmans en tant que minorité religieuse. Parmi les différents “modèles” de politiques d’intégration développés aux Pays-Bas, la « politique des minorités ethniques » était celle qui ressemblait le plus, conceptuellement, aux idées fondatrices de la “pilarisation”. Cette politique comprenait l’idée que les immigrés pouvaient « conserver leur identité culturelle », qu’un sens fort et réel de leur identité était une condition sine qua non de la participation, que chacun devait éviter toute attitude discriminatoire et heurtant inutilement les sentiments des membres des autres groupes, que les personnes devaient être traitées sur un pied d’égalité sans distinction de religion ou d’affiliation et que toutes les confessions présentes dans la société devraient être « proportionnellement » représentées dans le domaine public [44]. En 1983 était publié un rapport détaillé qui examinait minutieusement la réglementation néerlandaise pour voir si elle contenait des éléments de discrimination fondés sur la nationalité, la “race” ou la religion. Les tentatives pour accorder à l’islam et aux pratiques musulmanes un statut égal à celui des autres religions ont eu pour résultat l’adoption de certaines mesures : la réglementation de l’appel à la prière (dans le cadre de la nouvelle loi sur les manifestations publiques promulguée en 1988), l’établissement du soutien spirituel et des règles alimentaires dans l’armée, les prisons et les hôpitaux, ainsi que des rites funéraires musulmans (réglementés par la loi sur les pratiques funéraires promulguée à cet effet en 1991) [45].

32 Le rôle que la “pilarisation” a joué dans ces efforts pour ouvrir le régime relatif aux rapports Église-État néerlandais à de nouvelles religions est loin d’être évident. Les représentants de l’islam et de l’hindouisme ont été invités à assister aux débats sur la clarification des relations financières entre l’Église et l’État au début des années 1980. Toutefois, ces “nouveaux arrivants religieux” n’ont jamais pu profiter de ce type de soutien du fait de la suppression des obligations financières de l’État en matière de salaires des personnels religieux.

33 Une autre question capitale dans les années 1980 concernait la possibilité de mettre en place de nouveaux projets de subvention pour construire de mosquées. Une nouvelle étude aborda le besoin et les possibilités d’un soutien gouvernemental en faveur d’installations religieuses pour les immigrés au regard des objectifs de la « politique des minorités ethniques ». Les immigrés avaient le droit de « s’intégrer tout en conservant leur identité » et le gouvernement était conscient des tentatives faites par les hindous et les musulmans pour développer une infrastructure institutionnelle répondant à leurs besoins religieux. Publié en 1983, le rapport de la commission de travail présidée par Jacques Waardenburg concluait qu’une réglementation assez généreuse en matière de subvention était une bonne idée afin de pourvoir aux coûts entraînés par la création de lieux de culte et d’autres infrastructures religieuses pour les minorités ethniques. Cela accélérerait le processus d’intégration et empêcherait les « pays arabes » et les « gouvernements des pays d’origine » d’intervenir et de gagner en influence sur les musulmans aux Pays-Bas. Ces recommandations n’ont pourtant pas eu de suite immédiate. De nouveaux doutes apparurent, surtout à cause des débats au niveau local. Progressivement, la vision d’un islam un peu paternaliste et exotique faisant partie de la culture des travailleurs immigrés a laissé place à l’image d’une religion conservatrice et sexiste, qui risquait de ralentir l’intégration et d’empêcher l’émancipation des femmes. À Rotterdam, par exemple, les autorités municipales se sont demandées si des subventions devaient être accordées aux organisations musulmanes « conservatrices » [46].

34 Au milieu des années 1980, des propositions relatives à un projet visant à subventionner des mosquées ont fini par être regardées à la lumière des dispositions régissant les rapports Église-État existantes, et non plus uniquement comme un problème de politique d’intégration. Le gouvernement a publié un nouveau rapport examinant de façon plus générale les possibilités de soutien aux organismes ecclésiastiques et autres associations spirituelles, en particulier les aumôneries et les lieux de culte. Étant donné le nouveau cadre constitutionnel, et comme il était évident que les “nouveaux arrivants religieux” devaient faire face à certains inconvénients, le gouvernement souhaitait une meilleure compréhension des limites juridiques et des politiques publiques appropriées. En 1988, la Commission nationale Hirsch-Ballin conclut que le terrain était favorable à la mise en place d’un projet de subvention temporaire ayant pour objectif de compenser les inégalités historiques subies par les groupes d’immigrés et de contribuer à ce qu’ils aient de réelles chances de bénéficier de la liberté de religion [47].

35 Cependant, les partis laïques comme le Parti social-démocrate (pvda) et le Parti libéral (vvd) étaient à ce moment opposés, par principe, à un projet renouvelé de subventions en direction des groupes d’immigrés. Ils pensaient que cela constituait une infraction à l’égalité de traitement, dans la mesure où les religions existantes en étaient exclues, et une violation de la règle de séparation entre l’Église et l’État. Cette opposition politique a finalement conduit le gouvernement à ralentir la mise en place d’une nouvelle réglementation. Cela préfigurait les débats politiques des années 1990, au cours desquels les partis laïques ont cherché à abolir les vestiges juridiques et institutionnels de la “pilarisation” et de la domination culturelle chrétienne qui, comme ils le soutenaient, étaient devenus obsolètes dans une société de plus en plus sécularisée [48].

36 Les débats sur les projets de subvention pour la création de mosquées ont pris fin au début des années 1990. Depuis, la devise directrice des politiques néerlandaises en réponse aux principales institutions religieuses musulmanes a été : « Aucun financement pour la religion ». De façon plus générale, l’implication du gouvernement national dans l’accommodement à l’égard des pratiques musulmanes a été assez limitée. Des questions telles que la construction de mosquées, la réglementation de l’appel à la prière et la création de cimetières musulmans ont été laissées à la charge des élus municipaux. La nécessité d’interlocuteurs représentatifs pour débattre de questions comme celles des aumôneries de prison ou la formation des imams a entraîné plusieurs tentatives pour créer une sorte de Conseil national musulman, qui a finalement vu le jour en 2002. Encore une fois, il ne faut pas conclure trop rapidement qu’il s’agit là d’un résultat de la “pilarisation”, parce que ce genre d’initiative menée par le gouvernement a déjà vu le jour dans la plupart des pays européens. De plus, ce type de concertation avec les membres du Conseil des organisations musulmanes (Contactorgaan Moslims en Overheid, cmo) a peu de rapport avec la façon dont les élites politiques des différents “piliers” coopéraient entre elles dans la première moitié du XXe siècle. Cela ressemble, en fait, au type de gouvernance basée sur la coopération et la consultation que l’on trouve dans un grand nombre de pratiques de décisions politiques et de mise en place des politiques publiques [49]. Le gouvernement national a également été impliqué plusieurs fois dans des débats sur la nécessité de mettre en place des formations pour les imams. Or, en partie à cause du peu d’intérêt qu’un programme de formation néerlandais a pu susciter parmi les musulmans turcs, rien n’est sorti de ces projets dans les années 1990 [50]. Ce type de réaction de la part des associations de musulmans turcs mérite une explication plus approfondie.

37 Dès le début des années 1980, les organisations turques ont cherché à développer un réseau serré d’organisations ethniques. Les leaders des branches de l’islam turc (Diyanet, Süleymanlı et Milli Görüs) ont systématiquement poursuivi l’objectif de créer des organisations transnationales turques et ont aussi pu résister aux tentatives des autorités néerlandaises de leur imposer une forme d’institutionnalisation qui prenait la société et la culture néerlandaise comme premier point de référence. Les représentants turcs ont très clairement exploité les « possibilités discursives » offertes par le contexte politique et institutionnel néerlandais et ils ont concentré leurs efforts autour de « l’intégration avec conservation de l’identité » et d’une sorte de “pilarisation” [51]. Les représentants d’une mosquée affiliée au Milli Görüs à Amsterdam, par exemple, ont parlé de la création d’organisations et d’institutions turques comme de quelque chose de très “néerlandais”, et finalement comparable à la façon dont les catholiques et les protestants avaient été engagés dans un processus d’« émancipation sur la base de leur propre culture » [52].

38 En partie du fait de ces stratégies transnationales des musulmans, une tension s’est développée dans les années 1990 entre les stratégies poursuivies par les leaders ethniques et les espoirs des responsables politiques néerlandais pour l’avenir. Cette tension est demeurée invisible pendant une période. Les autorités néerlandaises ont continué à espérer (et à attendre) que les institutions musulmanes, à court ou à moyen terme, finissent par devenir « plus néerlandaises » et « plus modernes ». Au niveau municipal, un nouveau discours en matière de politiques multiculturelles s’est développé au milieu des années 1990, en réponse à la « politique des minorités ethniques » et à l’« approche en termes de groupes », jugées trop paternalistes. Ce discours suggérait de concevoir l’identité et la culture comme fluides et l’émancipation comme un processus individuel. Les responsables politiques devaient accepter que les individus puissent trouver leur voie entre allégeance et identité, et que tous les citoyens soient “différents” d’une façon ou d’une autre. La société d’accueil devait être suffisamment ouverte d’esprit, disposée à défendre la différence et à lutter contre les discriminations.

39 Une vague ébauche d’accord sur ce que devaient être les objectifs finaux de l’intégration a vu le jour pendant cette période. Les musulmans ont annoncé avec enthousiasme qu’ils voulaient « contribuer à l’intégration » et qu’ils avaient déjà commencé à le faire en organisant des « classes de rattrapage scolaire » et des « activités pour les femmes ». De leur côté, les Néerlandais devaient célébrer les progrès réalisés en matière d’intégration chaque fois qu’une association gérant une mosquée se montrait prête à organiser « une journée portes ouvertes » pendant le mois de Ramadan ou quand « une belle mosquée aurait été construite » [53]. Cette rhétorique pouvait faire perdre de vue le fait que les présidents des associations gérant des mosquées avaient souvent été surtout intéressés par la création d’infrastructures ethniques et la protection de leur propre niche dans le champ des organisations islamiques. Là encore, cette tendance ne peut pas être interprétée comme un résultat de la “pilarisation”. À plusieurs reprises, des responsables et des politiques néerlandais ont dû conclure qu’ils disposaient de peu d’instruments pour imposer leur propre vision aux organisations musulmanes.

40 Au cours de la période plus récente (2001-2008), il y a cependant eu de profonds changements dans la rhétorique politique, et les interprétations relatives au progrès de l’intégration se sont inversées. Les politiques ont demandé que le gouvernement national soit de nouveau plus impliqué dans le “dossier” de l’islam aux Pays-Bas. Les politiques populistes ont conseillé à plusieurs reprises l’introduction de « clauses d’exception » à l’égard de l’islam dans le respect de la liberté de religion et de l’égalité de traitement. Leurs propositions visaient à mettre en œuvre une interdiction générale de la construction de mosquées, de l’appel à la prière, des établissements bancaires islamiques, et à empêcher le recrutement d’imams étrangers [54]. Parmi ces propositions, rares ont été celles qui se sont traduites par des mesures concrètes de politique publique ou de réformes juridiques.

41 Une autre série de propositions visait à empêcher les institutions religieuses islamiques, comme les mosquées, de “tourner le dos” à la société néerlandaise. Les autorités publiques ont été impliquées dans l’amélioration des méthodes d’enseignement dans les mosquées par le biais, par exemple, de cours de rattrapage. Elles ont cherché à collaborer avec les associations gérant des mosquées sur des projets visant à empêcher les crimes d’honneur et la discrimination à l’encontre des homosexuels. Des soirées de débat sur des questions sensibles ont été organisées et des projets visant à combattre la radicalisation ont vu le jour en coopération avec les organisations musulmanes. Un autre aspect de ces tentatives de prévention de l’“enfermement sur soi” a concerné l’idée que les mosquées doivent rendre leurs activités accessibles à un public plus large, y compris non musulman, par exemple en matière de service de garderie d’enfants. L’objectif était de créer davantage d’occasions de rencontres et de dialogue entre musulmans et une société néerlandaise diversifiée.

42 Ces propositions sur la façon dont les autorités devaient davantage s’impliquer dans le développement d’un islam plus “libéral” et inciter les institutions musulmanes à se tourner vers la société néerlandaise sont devenues populaires essentiellement dans les discours politiques. Les autres branches de l’État, comme le système judiciaire et les institutions telles que la Commission pour l’égalité de traitement (Commissie Gelijke Behandeling), sont restées beaucoup plus réticentes vis-à-vis de ce type de stratégie de gouvernance. Elles ont plutôt insisté sur le fait que les musulmans ont les mêmes droits que les autres citoyens et que l’islam doit être réglementé en tant que religion (minoritaire) et non en tant que « problème d’intégration ».

Éducation

43 L’un des domaines donné en exemple de la pérennité de la “pilarisation” pour comprendre les dispositions institutionnelles néerlandaises en matière de pluralisme religieux est celui de l’enseignement. Aux Pays-Bas, les établissements scolaires publics et confessionnels sont financés de façon égale par l’État. Environ 70 % des écoles primaires et des établissements secondaires sont des “écoles libres” et, parmi elles, les établissements religieux sont largement majoritaires, pour la plupart catholiques et protestants (en 2006). Tous les établissements scolaires doivent se conformer aux conditions de qualification du personnel et aux éléments obligatoires des programmes scolaires. Dans une perspective comparative internationale, le financement égal des écoles publiques et confessionnelles n’est pas si exceptionnel. Toutefois, dans la plupart des pays, ce système de financement est indirect, ce qui signifie que l’État finance des écoles privées par le biais d’allocations versées aux parents ou en prenant en charge les salaires des enseignants, comme cela se passe en France [55].

44 Paul Statham et ses collègues suggèrent, sur la base de six ( ! ) coupures de presse, que le système éducationnel est l’exemple par excellence de la façon dont le dispositif néerlandais encourage la formation de communautés musulmanes « repliées sur elles-mêmes » et les revendications auprès de l’État de « droits collectifs » formulées par des « groupes confessionnels toujours plus petits » [56]. Cependant, les chercheurs qui ont vraiment travaillé sur les réponses publiques aux demandes relatives aux écoles primaires musulmanes brossent un tableau différent. Formellement, le droit des musulmans de créer leurs propres écoles confessionnelles a été reconnu dès les années 1970, mais tout au long des années 1980 un débat sociétal et politique très vaste a porté sur le frein que les écoles islamiques pouvaient constituer dans le processus d’intégration. Dans un mémorandum de 1988, le secrétaire d’État à l’Enseignement, Nel J. Ginjaar-Maas (Parti libéral, vvd), écrit : « L’isolement peut être intensifié, par exemple, non seulement du fait d’une infrastructure religieuse ou idéologique, mais aussi du fait de la formation de groupes en fonction de la nationalité, de la nationalité d’origine et de la langue » [57]. Au niveau local, les initiatives en faveur de la création d’écoles primaires musulmanes rencontraient également des réticences. À Rotterdam et à Utrecht, les politiques ont fait campagne contre la création d’écoles musulmanes, les fonctionnaires ont fait traîner les dossiers et ces écoles ont généralement été perçues comme empêchant la plupart des contacts nécessaires entre enfants immigrés et néerlandais (autochtones).

45 C’est seulement au cours de la période qui va du début à la moitié des années 1990 qu’une sorte d’“effet domino” s’est produit : les « institutions ont été mises en place et reconnues dans les sphères sociales les unes après les autres » [58]. Dans le domaine de l’enseignement, le nombre d’écoles confessionnelles musulmanes est passé de deux en 1988 à 29 en 1994 et à 46 en 2006. L’accommodement pragmatique relatif aux initiatives visant à créer ces écoles a de nouveau eu lieu dans un climat général d’espoir que les choses iraient pour le mieux. Cependant, des doutes ont commencé à émerger à la fin des années 1990, en particulier après que le Service de sécurité nationale eut rendu un rapport en 1998 abordant la question de l’influence potentielle des organisations islamiques étrangères sur les écoles musulmanes, notamment par le biais de la nomination stratégique au conseil d’administration des écoles de musulmans qui partageaient les opinions de ces organisations [59]. On a vu des imams orthodoxes et non qualifiés donner des cours d’instruction religieuse et le matériel pédagogique utilisé arrivait d’Arabie Saoudite. Progressivement, l’attention de l’opinion publique s’est aussi concentrée sur la culture conservatrice de ces écoles, ce qui avait pour conséquences, par exemple, l’intimidation du personnel enseignant et administratif néerlandais (féminin) par le conseil d’administration, la séparation des garçons et des filles dans les classes et des problèmes avec les programmes de biologie et d’histoire. Depuis 1999, une série de rapports critiques réalisés par différentes instances a conduit à surveiller de plus près les écoles musulmanes. L’Inspection de l’Éducation a constaté que dans presque toutes les écoles musulmanes la qualité tant de la pédagogie que de l’enseignement était en dessous de la moyenne, voire pour certaines, d’un niveau extrêmement faible [60].

46 Cette nouvelle inquiétude relative au fonctionnement réel des écoles musulmanes s’est développée dans un contexte de préoccupations de plus en plus importantes au sujet de la ségrégation dans l’enseignement. Plusieurs politiques ont alors accusé la “pilarisation” et le système éducationnel néerlandais d’être les causes majeures du problème. En réaction, Ayaan Hirsi Ali et un autre membre éminent du Parti libéral (vvd), Patrick Van Schie, ont défendu le choix d’un système d’« écoles publiques » laïques par principe. Le philosophe Herman Phillipse a, lui, affirmé que les écoles musulmanes enseignaient des modèles culturels qui faisaient obstruction à l’intégration, notamment par l’« asservissement des femmes », « une moralité sexuelle focalisée sur la procréation » et « la prédominance du groupe sur l’individu » [61]. Toutefois, cette idée généralisée selon laquelle les écoles musulmanes feraient obstacle à l’intégration en enseignant des valeurs d’intolérance a été démentie par les enquêtes menées par l’Inspection de l’Éducation. Cette dernière a conclu que presque toutes les écoles musulmanes avaient une attitude d’ouverture à l’égard de la société néerlandaise et jouaient un rôle positif en créant les conditions de la cohésion sociale [62].

47 Aujourd’hui, ce débat sur les mérites et les inconvénients des écoles confessionnelles se poursuit. Cela reste un sujet complexe qui touche à différents problèmes sociaux, dont certains sont liés aux dispositions institutionnelles. L’une des questions concerne la ségrégation ethnique et socioéconomique croissante au sein de l’enseignement néerlandais. Dans certaines écoles, on compte une proportion importante d’élèves « issus de groupes défavorisés » qui présentent de sérieuses déficiences en langue et autres connaissances sociales, intellectuelles et culturelles nécessaires pour réussir dans le système éducationnel néerlandais. Bien que les chercheurs s’accordent sur le fait que le facteur explicatif principal de cette ségrégation scolaire est la ségrégation résidentielle, il reste que, dans le cas néerlandais, la liberté d’enseignement joue également un rôle. Les écoles confessionnelles ont le droit de refuser des élèves qui ne se conforment pas à « l’identité confessionnelle de l’école » et elles peuvent utiliser cet argument pour contrôler l’afflux d’enfants « issus des familles dé-favorisées ». En conséquence, dans les grandes villes, les écoles publiques — qui sont obligées d’accepter tous les élèves — courent le risque d’avoir un plus grand nombre d’élèves défavorisés que les écoles confessionnelles. La principale exception à cette règle concerne toutefois les écoles musulmanes. Elles comptent presque 100 % d’enfants défavorisés, la plupart des enfants musulmans étant d’origine immigrée. Pourtant, quand les écoles musulmanes sont comparées à d’autres écoles ayant le même pourcentage d’élèves défavorisés et confrontées à des difficultés identiques, elles ont de meilleurs résultats. Cela s’explique par le fait que ces écoles offrent un environnement culturel plus familier à leurs élèves et qu’elles peuvent investir plus de temps et d’efforts dans les classes de rattrapage en langue.

48 Dans ces débats, une autre question très importante porte sur les problèmes sérieux de mauvaise gestion de beaucoup d’écoles musulmanes. Quand le conseil d’administration est incompétent ou qu’il a de mauvaises relations avec la direction de l’établissement, cela provoque souvent des problèmes avec le personnel enseignant (néerlandais), des plaintes des parents, des pratiques de corruption et un mauvais usage des fonds publics. Plusieurs écoles musulmanes font face à de graves problèmes dans l’application des améliorations imposées par l’Inspection de l’Éducation. Bien que toutes les nouvelles écoles (et la plupart des écoles musulmanes sont encore relativement récentes) aient tendance à rencontrer ce type de problèmes dans leur phase de démarrage, il ne fait aucun doute qu’aujourd’hui les problèmes sont beaucoup plus importants dans les écoles musulmanes. Pour autant, on doit souligner à nouveau que cela s’explique également par le fait que les parents des élèves d’écoles musulmanes manquent, en général, des connaissances et des moyens pour exercer un contrôle étroit sur le fonctionnement de l’école. Cela contraste avec la situation d’une nouvelle école Montessori, par exemple. Ce type d’école accueille habituellement des enfants issus de familles favorisées et dont les parents font partie de l’élite.

49 Pour le moment, les demandes pour changer le système éducatif dans son intégralité et abroger la loi sur la liberté d’éducation (article 23 de la Constitution) ont rencontré à la fois des objections de principe et des objections plus pragmatiques. Certains soutiennent que les dispositions institutionnelles existantes offrent des possibilités pour réglementer plus strictement l’activité des écoles musulmanes et empêcher les dysfonctionnements. De nouveaux matériels pédagogiques dédiés à l’instruction religieuse ont été développés avec l’aide et les subventions des institutions néerlandaises. Plus généralement, le ministre de l’Éducation et l’Inspection de l’Éducation exercent une surveillance de plus en plus rigoureuse et sont prêts à imposer des pénalités, voire à fermer les écoles qui continuent à avoir de mauvais résultats. D’autres ont plaidé, plus par principe, en faveur de la liberté d’enseignement, soutenant qu’il s’agissait là de l’élément clé du système néerlandais d’organisation de la pluralité et que l’existence d’écoles confessionnelles était seulement un facteur mineur de la ségrégation dans l’enseignement [63].

50 À nouveau, la pertinence du lien entre tout cela et la “pilarisation” est loin d’être établie. La liberté d’enseignement a traditionnellement été un aspect important de la gouvernance de la diversité confessionnelle et religieuse dans la société néerlandaise. Le système des “piliers” a constitué une période formatrice cruciale qui a influencé le fonctionnement du système éducationnel. Pour autant, on peut également avancer que ces dispositions institutionnelles sont remarquablement “modernes”. Peu à peu, les gouvernements ont cherché à asseoir la réglementation de domaines sociétaux (comme les soins médicaux et psychologiques, les services publics et l’éducation) sur des formes indirectes de gouvernance, en s’appuyant sur la collaboration avec les institutions de la société civile. L’idée sous-jacente est que, dans une société de plus en plus pluraliste, l’État ne doit pas fournir lui-même (ni imposer l’usage) de nombreux services. Les systèmes éducationnels sont devenus de plus en plus pluriels à tous les niveaux d’enseignement (primaire, secondaire, universitaire). Sous cet angle, les appels à la mise en place d’une école publique laïque “tout en un” semblent à contre-courant. De nouveau, l’étiquette “pilarisation” occulte une vision exacte des dispositions institutionnelles néerlandaises et ne décrit pas de façon adéquate ce qui peut également être considéré comme une forme moderne de « pluralisme institutionnel » dans le domaine de l’enseignement [64].

Religion et visibilité dans la sphère publique [65]

51 Un dernier domaine concerné par la réglementation est celui de la visibilité et de l’affirmation de l’identité religieuse dans les institutions publiques et, plus généralement, dans la sphère publique. Il semble que, du fait de sa tendance à l’impartialité et à la pluralité, le système néerlandais ait été relativement bien équipé pour intégrer les demandes de reconnaissance des musulmans en la matière. Des pays ayant des Églises (semi-)établies et des régimes de concordat ont eu plus de difficultés, parce qu’ils ont eu tendance à privilégier une ou plusieurs religions (chrétiennes). Cela a été illustré par des débats relatifs aux crucifix, à la législation sur le blasphème et les jours fériés religieux en Grande-Bretagne, en Italie, en Allemagne et dans les pays scandinaves. Les modèles de stricte séparation ont eu tendance à essayer d’exclure tous les symboles religieux des institutions publiques et parfois de toute la sphère publique [66]. La “pilarisation” a sans aucun doute contribué à la conception des Pays-Bas comme « nation des minorités » et à l’idée qu’une véritable tolérance envers les minorités requiert proportionnalité, impartialité et pluralité plutôt qu’une stricte neutralité des institutions publiques. Initialement, les politiques d’accommodement en matière de symbolisme religieux islamique étaient en effet influencées par les notions de pluralité et de pragmatisme, comme le montrent les réglementations déjà mentionnées sur l’appel à la prière, la création de cimetières musulmans et — dans une certaine mesure — le port du foulard [67]. Cependant, les politiques publiques d’accommodement ne peuvent pas être mises sur un pied d’égalité avec des sentiments de tolérance plus généraux. Par exemple, les représentants des groupes chrétiens protestants ont traditionnellement élevé leur voix contre la construction de minarets et autres symboles de la présence musulmane [68]. Ces dernières années, le mécontentement plus général à propos de l’intégration et les inquiétudes relatives à l’islam ont conduit à différentes propositions pour réglementer plus strictement le symbolisme religieux islamique.

52 Un premier domaine de réglementation concerne le port de symboles religieux, notamment les tenues religieuses islamiques (foulards, voiles couvrant le visage) dans les institutions publiques. Particulièrement, le port de symboles religieux est perçu par certains comme problématique dans les institutions ou les fonctions représentatives de l’État, comme la police ou les cours de justice. Le port de vêtements religieux peut également être perçu comme indésirable du fait de la nécessité pour certains employés de porter le même type de tenue, par exemple un uniforme. Paul Cliteur a insisté sur le fait qu’un État neutre exige une stricte « uniformité » dans les codes vestimentaires des fonctionnaires, et il est favorable à l’interdiction générale du foulard dans les institutions publiques, à l’image de ce qu’il pense être le « modèle français » [69]. Un argument similaire à propos de la neutralité de l’État a été avancé par Afshin Ellian, soutenant que le port du foulard était une question de choix personnel et non une prescription religieuse de l’islam [70]. Encore une fois, les juristes et les institutions judiciaires ont opté pour une vision plus subtile de la question et ont cherché un équilibre entre différents droits et objectifs, incluant la liberté de religion, la non-discrimination, les exigences fonctionnelles raisonnables pour certains emplois et l’impartialité. Le débat pour savoir si les fonctionnaires et les enseignants des écoles publiques peuvent refuser de serrer la main d’une personne de sexe opposé est, quant à lui, relativement nouveau. Dans ses délibérations sur le cas d’un enseignant refusant de serrer la main à quelqu’un du sexe opposé, la Commission sur l’égalité de traitement a soutenu que d’autres moyens de saluer pouvaient être aussi appropriés. Toutefois, plusieurs responsables politiques ont insisté sur le fait que serrer la main est une obligation pour les fonctionnaires, car « les normes néerlandaises doivent être respectées » par les employés de l’État.

53 Un autre domaine concerné par la réglementation est celui des autres formes de présence musulmane dans la sphère publique déclarées comme problématiques : la construction de grandes mosquées, de hauts minarets, le port de djellabas, de la barbe et de burkas. Entre 2002 et 2004, un large débat a eu lieu sur l’architecture appropriée des mosquées. Ce débat a commencé avec la construction d’une mosquée marocaine à Rotterdam. Le chef de file du parti populiste Rotterdam Vivable (Leefbaar Rotterdam), Marco Pastors, a déclaré qu’il voulait mettre un terme aux mosquées construites « en dehors d’un style ordinaire ». On a dit de ces nouvelles mosquées qu’elles étaient le symbole de « l’intégration ratée » et de la nostalgie collective des immigrés pour leur pays d’origine. Un débat public plus large s’est développé dans les médias nationaux utilisant des figures de style qui font référence aux mosquées comme à des « mosquées nostalgie » ou à des « châteaux d’Ali Baba » et qui parlent d’« impérialisme religieux ». De nouveau, une partie de la faute a été imputée au « modèle néerlandais », et le journaliste franco-néerlandais Sylvain Ephimenco a suggéré que les Néerlandais devaient encore opter pour une approche plus « française », car la laïcité[71] aurait conduit les Français à interdire la construction des grandes mosquées parce qu’elles constituent « une infraction à l’encontre de la neutralité du domaine public » [72]. Cependant, un projet d’interdiction générale de construction de mosquées “déplacées” s’est heurté à une opposition au Conseil municipal de Rotterdam. Une fois de plus, les déclarations politiques ne se sont pas traduites en mesures réelles.

54 Enfin, des débats récurrents ont lieu à propos de la nécessité de rendre plus équitable la prise en compte des religions et des identités religieuses, par exemple, en matière de jours fériés religieux ou de serments officiels. Les débats des années 1980 ont montré que la loi sur le serment de 1911 prévoyait déjà la possibilité de prêter serment sur le Coran. En 1985, le gouvernement a refusé d’accorder aux hindous et aux musulmans des jours fériés légalement équivalents aux jours fériés chrétiens, en affirmant que ces derniers avaient gagné une fonction sociale générale [73]. Pourtant, les écoles musulmanes peuvent accorder à leurs élèves un jour férié pour les fêtes musulmanes, et la plupart des autres écoles recherchent également une adaptation pragmatique et équitable. L’idée de transformer une fête religieuse musulmane en jour férié officiel, éventuellement en remplacement d’un des nombreux jours fériés chrétiens, a été suggérée à l’occasion. Historiquement, une telle mesure aurait un sens au regard de la tradition néerlandaise de re-présentation proportionnelle. Toutefois, jusqu’à présent, les défenseurs de la « neutralité stricte » et les défenseurs de l’idée selon laquelle les « valeurs judéo-chrétiennes » ont une primauté historique spéciale ont pu contrecarrer ces propositions.

55 On peut à nouveau en conclure que, même par rapport à la réglementation sur le symbolisme religieux de l’islam, la “pilarisation” n’a pas eu d’influence cruciale sur les politiques d’accommodement au cours des 30 dernières années. Les cadres constitutionnels néerlandais protègent la liberté de religion, même si les revendications religieuses sont toujours contrebalancées par d’autres droits et par des « objectifs d’intérêt général ». Les délibérations relatives aux formes appropriées pour équilibrer ces principes et ces objectifs illustrent les débats perpétuels entre les visions pluraliste-confessionnelle et libérale-séculaire au sujet des relations Église-État aux Pays-Bas.

Conclusion

56 Dans notre contribution, nous avons examiné deux hypothèses relatives aux stratégies de gouvernance néerlandaises par rapport à l’islam, lesquelles sont liées et souvent considérées comme allant de soi. D’une part, l’idée que les dispositions néerlandaises sur la relation entre l’Église et l’État relèveraient essentiellement de la “pilarisation” et, d’autre part, que l’« héritage de la pilarisation » aurait jusqu’à récemment influencé et modelé de façon cruciale les réponses politiques aux demandes de reconnaissance des musulmans. L’analyse de 30 années d’adaptation étatique à la présence musulmane dans les domaines de la religion et de l’enseignement ainsi que du symbolisme religieux dans le domaine public montre que les relations causales présumées entre cette sphère des politiques publiques et la “pilarisation” sont loin d’être évidentes. L’idée selon laquelle les Néerlandais auraient réellement créé un « pilier musulman » ou que « la pilarisation musulmane » bénéficierait d’un soutien généralisé parmi les responsables politiques — comme certaines études internationales l’ont suggéré de façon répétée — est visiblement fausse. En même temps, l’affirmation la plus plausible (mais aussi la plus vague) est que la “pilarisation” constituerait un aspect clé des possibilités externes qui ont modelé la mobilisation musulmane et l’institutionnalisation de l’islam depuis les années 1980. Cela comprend les possibilités institutionnelles, discursives et politiques.

57 S’agissant des possibilités institutionnelles, il faut expliquer clairement les éléments pertinents des dispositions institutionnelles pour l’adaptation à la présence musulmane dans différents domaines[74] de la société comme la religion, l’enseignement et les symboles. Il est nécessaire de distinguer, d’une part, les dispositions et les répertoires institutionnels réels et, d’autre part, la façon dont ces dispositions ont été désignées comme une forme de “pilarisation”. Les traditions de gouvernance du pluralisme religieux ont été influencées jusqu’à la moitié du XIXe siècle par des idées spécifiques relatives à l’impartialité, à la neutralité étatique, à la représentation proportionnelle et à la pluralité. Il est clair que ces idées ont également été développées et soutenues pendant la période de la “pilarisation”. Mais les idées, les doctrines et les principes en question dépassent la “pilarisation” en ce sens où ils remontent à la fin du XIXe siècle et où ils se sont développés et ont été modifiés depuis la fin des années 1960.

58 La formulation des articles constitutionnels actuels sur la liberté de religion et l’égalité de traitement, la façon dont la Constitution de 1983 a mis sur un pied d’égalité les « philosophies de vie » laïques et religieuses ainsi que le fait que la liberté d’enseignement protège aussi bien les écoles religieuses que les écoles fondées sur des doctrines éducationnelles particulières illustrent les changements significatifs survenus en la matière depuis le début du XXe siècle. Dans une perspective comparative, il semble que les dispositions institutionnelles néerlandaises qui garantissent l’impartialité et la pluralité ont été bénéfiques pour l’islam dans les domaines de l’éducation et de l’affirmation de l’identité religieuse dans la sphère publique. Néanmoins, dans le domaine de la religion, et notamment en ce qui concerne le financement des édifices et du personnel religieux, les institutions ont subi un changement important entre la fin de la “pilarisation” et le début des années 1980. Du fait de l’importance croissante du principe de « non-financement de la religion », les associations musulmanes n’ont pas pu profiter des subventions publiques généreuses qui existaient pendant la période de la “pilarisation”.

59 Le terme “pilarisation” peut également être utilisé pour désigner les possibilités discursives particulières que forment les encouragements adressés aux acteurs pour formuler leurs demandes d’une façon particulière ou suivre des stratégies rhétoriques spécifiques [75]. Dans les années 1980 il y avait, en effet, une forte « affinité discursive » entre quelques-unes des idées sous-jacentes de la « politiques des minorités ethniques » et son slogan « intégration avec conservation de l’identité » et quelques-unes des idées fondatrices de la “pilarisation”. Elles convergeaient vers l’idée que parfois une phase de solidarité interne au groupe et d’émancipation collective précéderait l’intégration individuelle au sein des institutions de la société dans un sens plus large. Dans ces deux paradigmes, l’accent était mis sur l’égalité de traitement et la tolérance à l’égard d’autres groupes religieux et culturels. Cependant, le fait que les responsables néerlandais aient souvent fait référence à la possibilité d’un « pilier musulman » et à l’émancipation communautaire des immigrés ne signifie pas que la “pilarisation” a été, de quelque façon que ce soit, l’idée directrice des stratégies des politiques publiques et des mesures prises. Les leaders musulmans ont également montré un talent remarquable dans l’utilisation stratégique des slogans des politiques néerlandaises pour construire leurs demandes et suivre leur propre agenda, qui, dans le cas des associations turques, avait souvent pour objet la création d’organisations et d’institutions ethniques transnationales.

60 Le fait que (certaines) institutions musulmanes semblent effectivement tourner le dos à la société néerlandaise et que des responsables politiques néerlandais sont parvenus parfois à la conclusion qu’ils avaient peu de possibilités pour faire face à cette situation a, encore une fois, peu à voir avec la “pilarisation”. Cela montre simplement de quelle façon des principes démocratiques comme la liberté de religion, l’indépendance des associations ainsi que la séparation de l’Église et de l’État se transforment en contraintes institutionnelles qui limitent les possibilités qu’a le gouvernement de modeler les religions et d’“acclimater” l’islam.

61 Enfin, le terme “pilarisation” est parfois utilisé pour faire référence à une large variété des aspects de la culture politique néerlandaise. Cela peut inclure « le gouvernement par consultation » (polder model), l’évitement (vermijding) et la politique du secret (achterkamertjes politiek). Nous croyons que parler des « règles de la pilarisation » est beaucoup trop vague pour rendre compte de ces aspects de la culture politique néerlandaise, tandis que des changements importants intervenus dans cette même culture politique néerlandaise restent dissimulés. Arend Lijphart lui-même a souligné qu’une période de polarisation politique et sociétale a marqué l’effondrement du système de “piliers” dans les années 1960 [76]. Parfois, la notion de “pilarisation” est utilisée pour suggérer que les Néerlandais avaient peur de se confronter aux nouveaux arrivants immigrés et qu’ils étaient enclins à adopter une attitude de « relativisme culturel » et relevant du « politiquement correct » en raison de leurs politiques publiques de tolérance [77]. Indépendamment de la vision que l’on a d’un revirement dans les débats publics sur l’intégration et l’islam aux Pays-Bas depuis les neuf dernières années, il reste extrêmement peu probable que les types de discours politiquement corrects et antiracistes apparus dans les années 1980 et 1990 aient été le produit de la “pilarisation”.

62 Dans notre contribution, nous avons également montré que les références permanentes à la “pilarisation” dissimulent une conception plus crédible des traditions des relations Église-État et des dispositions institutionnelles dans ce domaine. La nécessité d’une interprétation plus crédible des dispositions institutionnelles et de leurs principes sous-jacents est aujourd’hui plus forte, du fait du scepticisme grandissant au sujet du modèle néerlandais de relations Église-État. Dans le contexte d’anxiété générale à l’égard de la « tragédie multiculturelle » et de l’échec de l’intégration des « musulmans », il est aujourd’hui plus crédible d’affirmer qu’il est nécessaire d’adopter un modèle de stricte séparation. Dans ce contexte, le débat public sur la relation Église-État risque de devenir un dialogue appauvri, où des visions idéalisées du “modèle français” (essentiellement réduit à la laïcité) vont s’opposer aux interprétations historiquement incertaines et sous-théorisées du “modèle néerlandais” (essentiellement réduit à la “pilarisation”). Les différentes contributions au présent dossier peuvent aider à résister à la tentation de réifier les systèmes spécifiquement nationaux en modèles stéréotypés, ce qui freine l’analyse et empêche l’enrichissement transnational des politiques publiques par la circulation des idées en Europe.


Date de mise en ligne : 01/12/2016.

https://doi.org/10.3917/migra.122.0137

Notes

  • [1]
    HAJER, Maarten ; MAUSSEN, Marcel, “Na de moord op Theo van Gogh : betekenisgeving aan de moord, een reconstructie”, Socialisme en Democratie, vol. 61, n° 12, 2004, pp. 10-18. Pour une vue d’ensemble des débats sur l’intégration des immigrés aux Pays-Bas, voir PRINS, Baukje, Voorbij de onschuld : het debat over de multiculturele samenleving, Amsterdam : Van Gennep, 2004, 189 p.
  • [2]
    Cf. STONE, Deborah A., The policy paradox : the art of political decision making, New York : Norton Pubishers, 2002, 428 p. (voir pp. 137 et ss).
  • [3]
    Voir par exemple un mémorandum sur l’intégration élaboré par le Parti social-démocrate (PvdA) en décembre 2008. Sous la rubrique Religion et société, il est mentionné que la religion peut être critiquée et que, bien que l’État soit neutre par rapport aux confessions, les politiques ont le droit de s’intéresser à des « philosophies de vie » (levensbeschouwingen) particulières et peuvent avoir une opinion à leur propos. Voir Resolutie Integratie, p. 5. La version définitive consultable sur www.pvda.nl a été publiée en mars 2009 sous le titre Verdeeld verleden, gedeelde toekomst [Passé divisé, futur partagé], 24 p.
  • [4]
    STATHAM, Paul ; KOOPMANS, Ruud ; GIUGNI, Marco ; PASSY, Florence, “Resilient or adaptable Islam ? Multiculturalism, religion and migrants’ claims-making for group demands in Britain, the Netherlands and France”, Ethnicities, vol. 5, n° 4, 2005, pp. 427-459 (voir pp. 434-435 et 445). Une autre étude est pourtant arrivée à la conclusion inverse, à savoir que « les revendications fondées sur l’égalité de traitement avec les autres groupes existants semblent provoquer moins d’objections que les revendications qui exigent des mesures ou des réactions spécifiquement collectives ». RATH, Jan ; PENNINX, Rinus ; GROENENDIJK, Kees ; MEYER, Astrid, Western Europe and its Islam, Leiden : Brill Acaddemic Publishers, 2001, 308 p. (voir p. 263). Le gras est de notre fait, dans l’original le texte étant en italique.
  • [5]
    KLAUSEN, Jytte, The Islamic challenge : politics and religion in Western Europe, New York : Oxford University Press, 2005, 253 p. (voir p. 145). Cette affirmation est reproduite dans un récent article de FONER, Nancy ; ALBA, Richard, “Immigrant religion in the U.S. and Western Europe : bridge or barrier to inclusion”, International Migration Review, vol. 42, n° 162, Summer 2008, pp. 360-392 (voir p. 382).
  • [6]
    Voir l’interview “Aux Pays-Bas un caricaturiste critique de la religion et de l’islam fait l’objet de poursuites”, Le Monde du 19-5-2008 : « Dans son dernier ouvrage, Terreur et martyre (Flammarion, 2008, 365 pages, 22.5 euros), le spécialiste français de l’islam Gilles Kepel explique que la volonté des dirigeants néerlandais est, en réalité, de constituer une sorte de “pilier musulman remis au goût du jour”. Une structure soumise à la charia et au dogme, appelée à connaître son propre développement au sein de la société. D’où, estime-t-il, le rôle central confié, dans ce cadre, à Tariq Ramadan, professeur à l’université de Rotterdam et “interlocuteur quasi officiel du monde politique néerlandais”, selon lui, alors qu’il est contesté ailleurs pour le “double langage” qu’il tiendrait quant à la place de l’islam dans la société européenne ».
  • [7]
    Voir par exemple RATH, Jan ; PENNINX, Rinus ; GROENENDIJK, Kees ; MEYER, Astrid, Western Europe and its Islam,, op. cit. Toutefois, il doit être mentionné que cette étude analyse plus clairement les différences entre la réglementation et la politique publique d’une part et les traditions et les héritages idéologiques d’autre part. Les auteurs montrent, par exemple, comment la “dé-pilarisation” et la fin de nombreuses formes de financement de la religion ont eu une importance considérable dans la création de possibilités et d’obstacles pour les musulmans.
  • [8]
    HOOGENBOOM, Marcel ; SCHOLTEN, Peter, “Migranten en de erfenis van de verzuiling in Neder-land”, Beleid en Maatschappij, vol. 35, n° 2, 2008, pp. 107-124 (voir pp. 119-120).
  • [9]
    Pour une discussion, voir VINK, Maarten P., “Dutch ‘multiculturalism’ beyond the pillarisation myth”, Political Studies Review, vol. 5, n° 3, 2007, pp. 337-350 (cf. pp. 342 et ss).
  • [10]
    Cf. BOWEN, John R., “A view from France on the internal complexity of national models”, Journal of Ethnic and Migration Studies, vol. 33, n° 6, August 2007, pp. 1003-1016 (voir p. 1005).
  • [11]
    Cf. SCHEFFER, Paul, Het land van aankomst, Amsterdam : De Bezige Bij, 2007, 476 p. (voir pp. 170 et ss).
  • [12]
    STATHAM, Paul ; KOOPMANS, Ruud ; GIUGNI, Marco ; PASSY, Florence, “Resilient or adap-table Islam ?”, art. cité, p. 443.
  • [13]
    Cf. CLITEUR, Paul, De neutrale staat, het bijzonder onderwijs en de multiculturele samenleving, Leiden : Rijksuniversiteit Leiden, 2004, 25 p. Pour une discussion, voir OLDENHUIS, F. T. ; BROUWER, J. G. ; WEGERIF, D. N. R. ; KEIJZER, F. E., Schurende relaties tussen recht en religie, Assen : Van Gorcum, 2007, 202 p. ; PHILIPSE, Herman, “Stop de tribalisering van Nederland”, NRC-Handelsblad du 27-9-2003 ; ELLIAN, Afshin, “Leve de monoculturele rechtsstaat”, NRC-Handelsblad du 1-12-2002.
  • [14]
    Le débat sur l’équilibre à trouver entre la protection de la liberté de religion et la liberté de parole dans les débats sur l’islam s’est développé autour de déclarations telles que : le prophète Mohammed est « un pervers et un pédophile » (Ayaan Hirsi Ali, ancienne députée néerlandaise) ; les Néerlandais auraient un énorme problème si « un musulman devenait maire ou chef de la police » (Frits Bolkestein, ex-dirigeant du VVD, libéral) ; le Coran est un « livre fasciste » (Geert Wilders, député néerlandais d’extrême droite) ; les musulmans sont « la cinquième colonne des baiseurs de chèvres » (Theo Van Gogh). Voir HIRSI ALI, Ayaan, Infidel, New York : Free Press, 2007, 353 p.
  • [15]
    Ce n’est pas seulement l’islam qui a conduit les relations Église-État à figurer en évidence sur l’agenda public. Des débats avaient également lieu à propos de demandes faites par les protestants orthodoxes sur les thèmes du mariage homosexuel, de l’euthanasie, de l’avortement et de la recherche sur les cellules souches embryonnaires.
  • [16]
    Depuis environ cinq ans, le nombre de livres et d’essais sur les traditions néerlandaises en ce qui concerne les relations entre l’Église et l’État a significativement augmenté. Voir par exemple HOOVEN, Marcel ten ; DE WIT, Theo (Eds.), Ongewenste goden. De publieke rol van religie in Nederland, Amsterdam : SUN, 2006, 344 p. ; HARINCK, George, “Een leefbare oplossing. Katho-lieke en protestantse tradities en de scheiding van kerk en staat”, in : HOOVEN, Marcel ten ; DE WIT, Theo (Eds.), Ongewenste goden : De publieke rol van religie in Nederland, Amsterdam : SUN, 2006, pp. 106-130 ; VAN DEN DONK, Wim ; JONKERS, Petra ; KRONJEE, Gerrit ; PLUM, Rob (Eds.), Geloven in het publieke domein. Verkenningen van een dubbele transformatie, Amsterdam : Amsterdam University Press, 2006, 512 p. ; KNIPPENBERG, Hans, “The changing relationship between State and church/religion in the Netherlands”, GeoJournal, vol. 67, n° 4, 2006, pp. 317-330 ; MAUSSEN, Marcel, Ruimte voor de islam ? Stedelijk beleid, voorzieningen, organisaties, Apeldoorn : Het Spinhuis, 2006, 282 p. ; NICKOLSON, Lars, Met recht geloven. Religie en maatschappij in wet en debat, Amsterdam : Aksant Press, 2008, 99 p.
    Les institutions consultatives en matière de politiques publiques ont produit de nombreux mémorandums discutant les dispositions légales néerlandaises et les philosophies sous-jacentes. Invariablement, sur les agendas municipaux figurent des préoccupations généralement relatives à la réponse à apporter à la présence musulmane. La municipalité d’Amsterdam a publié un mémorandum spécial en 2008 sur la séparation entre l’Église et l’État et son lien avec les politiques publiques municipales. Le ministre de l’Intérieur et l’Association des municipalités néerlandaises (VNG) préparent tous les deux des rapports conseillant les municipalités à propos des approches en politiques publiques relatives aux communautés religieuses à la lumière des dispositions institutionnelles existantes et des traditions néerlandaises. Cette attention renouvelée pour le régime néerlandais est frappante ; en effet, au cours des années 1990, les publications sur cette question étaient peu nombreuses. À notre connaissance, les seules études majeures durant cette période ont été celles des spécialistes. Voir VAN DEN DEKKER-BIJSTERVELD, Sophie C., De verhouding tussen kerk en staat in het licht van de grondrechten, Zwolle : Tjeenk Willink, 1988, 418 p. ; LABUSCHAGNE, Barend Christoffel, Gods-dienstvrijheid en niet-gevestigde religies : een grondrechtelijk-rechtsfilosofische studie naar de betekenis en grenzen van religieuze tolerantie, Groningen : Wolters-Noordhoff, 1994, 330 p. ; VAN ROODEN, Peter T., Religieuze regimes : over godsdienst en maatschappij in Nederland 1570-1990, Amsterdam : Bert Bakker, 1996, 249 p.
  • [17]
    En 1648, la république des Provinces-Unies était officiellement reconnue comme une des con-séquences du Traité de paix de Münster. Voir KNIPPENBERG, Hans, “The changing relationship between state and church/religion in the Netherlands”, art. cité, p. 318.
  • [18]
    « De bevordering van christelijke zeden, de bewaring van orde en eendragt, en de aankweeking van liefde voor Koning en Vaderland », cité par HARINCK, George, “Een leefbare oplossing. Katholieke en protestantse tradities en de scheiding van kerk en staat”, art. cité, p. 107 [NdT : la traduction française est basée sur une traduction du néerlandais à l’anglais réalisée par l’auteur].
  • [19]
    Cf. MONSMA, Stephen V. ; SOPER Chistopher J., The challenge of pluralism : church and state in five democracies, New York : Rowman & Littlefield Press, 1997, 228 p. (voir p. 57).
  • [20]
    Cf. HARINCK, George, “Een leefbare oplossing. Katholieke en protestantse tradities en de scheiding van kerk en staat”, art. cité,
  • [21]
    MONSMA, Stephen V. ; SOPER Chistopher J., The challenge of pluralism : church and state in five democracies, op. cit., p. 60 ; HARINCK, George, “Een leefbare oplossing. Katholieke en pro-testantse tradities en de scheiding van kerk en staat”, art. cité, p. 111.
  • [22]
    VAN ROODEN, Peter, Dutch concepts to express religious diversity, Amsterdam, 2002, consultable sur http://www.xs4all.nl/~pvrooden/Peter/publicaties/dutch%20concepts.htm
  • [23]
    Cf. VAN BIJSTERVELD, Sophie C., “State and church in the Netherlands”, in : ROBBERS, Gerhard (Ed.), State and church in the European Union, Baden-Baden : Nomos Verlag, 2005, pp. 367-390 (voir p. 374).
  • [24]
    BOWEN, John R., “A view from France on the internal complexity of national models”, art. cité, p. 1005.
  • [25]
    Cette opposition ressemble aux débats en France entre les défenseurs des interprétations plus strictes et plus pluralistes de la laïcité (Laïcité de combat versus laïcité modérée) [NdT : en français dans le texte]. Voir la contribution de John R. Bowen dans le présent dossier, p. 107.
  • [26]
    Les écoles doivent être fréquentées par un minimum de 200 élèves (selon le degré d’urbanisation), la langue d’enseignement doit être le néerlandais, les enseignants doivent être qualifiés et le programme doit se conformer aux exigences établies par la loi sur l’école primaire. Voir DRIESSEN, Geert ; MERRY, Michael S., “Islamic schools in the Netherlands : expansion or marginalization ?”, Inter-change, vol. 37, n° 3, 2006, pp. 201-223 (cf. p. 203).
  • [27]
    Voir RATH, Jan ; PENNINX, Rinus ; GROENENDIJK, Kees ; MEYER, Astrid, Western Europe and its Islam, op. cit. ; FETZER, Joel S. ; SOPER, Chistopher J., Muslims and the state in Britain, France, and Germany, Cambridge : Cambridge University Press, 2005, 208 p. ; MAUSSEN, Marcel, Cons-tructing mosques. The governance of Islam in France and the Netherlands, Amsterdam : University of Amsterdam, 2009, 293 p.
  • [28]
    Pour une vue d’ensemble, voir MAUSSEN, Marcel, The governance of Islam in Western Europe : a state of the art, Amsterdam : IMISCOE, 2007, 91 p.
  • [29]
    Voit la contribution de Jan Willem Duyvendak et Peter Scholten, p. 77.
  • [30]
    Dans la présente contribution nous nous sommes avant tout intéressé à retracer les politiques publiques réelles, les idées sous-jacentes et comment elles étaient reliées à la “pilarisation”. Nous ne pouvons qu’occasionnellement faire allusion aux effets réels de ces politiques publiques et à l’intensité de l’impact qu’elles ont eu par rapport aux autres facteurs.
  • [31]
    Cf. KEPEL , Gilles, Terreur et martyre, Paris : Éd. Flammarion, 2008, 365 p,
  • [32]
    HELLEMANS, Staf, “Zuilen en verzuiling in Europa”, in : BECKER, Uwe ; VAN PRAAG, Philip (Eds.), Politicologie : basisthema’s en Nederlandse politiek, Amsterdam : Het Spinhuis, 2006, pp. 239-266.
  • [33]
    RATH, Jan ; GROENENDIJK, Kees ; MEYER, Astrid, “The politics of recognizing religious diversity in Europe : social reactions to the institutionalization of Islam in the Netherlands, Belgium and Great Britain”, The Netherlands Journal of Social Science, vol. 35, n° 1, 1999, pp. 53-68 (cf. p. 59).
  • [34]
    SCHEFFER, Paul, Het land van aankomst, op. cit, p. 170 [NdT : la traduction du néerlandais vers l’anglais réalisée par l’auteur sert de base à la traduction en français].
  • [35]
    Cf. KLOP, Kees, “De islam in Nederland : angst voor een nieuwe zuil ?”, Christen-Democratische Verkenningen, vol. 11, n° 82, 1982, pp. 526-533.
  • [36]
    Cf. HAMPSINK, René ; ROOSBLAD, Judith (Eds.), Nederland en de islam, Nijmegen : Katholieke Universiteit Nijmegen, Faculteit der Rechtsgeleerdheid, 1992. Un autre exemple est celui du sociologue Anton Zijderveld, également affilié au CDA, et qui est cité par Scheffer comme « un parmi tant d’autres ». Voir également KLOP, Kees, “Religie of etniciteit als bindmiddel ?”, Migrantenstudies, vol. 15, n° 4, 1999, pp. 246-254. Pour une discussion, voir SUNIER, Thijl, “Verzuilen of niet verzuilen ? Dat is de vraag”, Migrantenstudies, n° 16, 2000, pp. 54-58 ainsi que MAUSSEN, Marcel, Ruimte voor de islam ? Stedelijk beleid, voorzieningen, organisaties, op. cit.
  • [37]
    Voir notamment SUNIER, Thijl, Islam in beweging : Turkse jongeren en islamitische organisaties, Amsterdam : Het Spinhuis, 1996, 276 p. ; RATH, Jan ; PENNINX, Rinus ; GROENENDIJK, Kees ; MEYER, Astrid, Western Europe and its Islam, op. cit. ; MAUSSEN, Marcel, Constructing mosques. The governance of Islam in France and the Netherlands, op. cit.
  • [38]
    Il faut ajouter le fait que le terme “pilarisation” figure de façon répétée dans les débats publics relatifs à l’intégration de l’islam (voir MONSMA, Stephen V. ; SOPER, Chistopher J., The challenge of pluralism : church and state in five democracies, op. cit.). Toutefois, le fait que les gens se référent à la “pilarisation” ne doit pas être compris comme impliquant qu’ils entendent par là une forme d’institutionnalisation de l’islam qui est substantiellement différente des façons dont les subcultures ethniques et religieuses sont organisées dans les autres pays de l’Europe contem-poraine. Les critiques comme Ayaan Hirsi Ali, Lousewies Van Der Laan et Herman Philipse ont affirmé de façon répétée que leurs opposants soutenaient la « pilarisation de l’islam » et qu’un « pilier musulman » existait dans les faits aux Pays-Bas, et poursuivaient en expliquant que la “pilarisation” est un modèle d’incorporation périlleux et les raisons pour lesquelles il freine l’inté-gration. Voir NICKOLSON, Lars, Met recht geloven. Religie en maatschappij in wet en debat, op. cit., pp. 48 et ss.
  • [39]
    KOOPMANS, Ruud ; STATHAM, Paul ; GIUGNI, Marco ; PASSY, Florence, Contested citizenship : immigration and cultural diversity in Europe, Minneapolis : University of Minnesota Press, 2005, 312 p.
  • [40]
    Cf. RATH, Jan ; PENNINX, Rinus ; GROENENDIJK, Kees ; MEYER, Astrid, Western Europe and its Islam, op. cit. ; MAUSSEN, Marcel, Constructing mosques. The governance of Islam in France and the Netherlands, op. cit.
  • [41]
    En France, par exemple, les sociétés gérant les foyers pour travailleurs immigrés — telle la Société nationale de construction de logements pour les travailleurs (SONACOTRA) — qui fournissent des logements aux travailleurs immigrés ont également mis en place un projet pour créer dans les foyers des lieux de prière pour les musulmans.
  • [42]
    En 1975, un groupe de musulmans a réussi à utiliser la loi relative au subventionnement de la construction des églises pour recevoir des subventions pour la construction d’une mosquée à Almelo. Voir MAUSSEN, Marcel, Constructing mosques. The governance of Islam in France and the Netherlands, op. cit.
  • [43]
    Cf. KLAUSEN, Jytte, The Islamic challenge : politics and religion in Western Europe, op. cit.
  • [44]
    Les mesures de politique publique qui ont été développées du fait de ce multiculturalisme avant la lettre incluaient la poursuite des programmes d’enseignement dans les langues et cultures d’origine des migrants, la mise en place de programmes d’enseignement interculturel et la création de conseils consultatifs nationaux et municipaux pour les groupes ethniques. Voir WERKGROEP-WAARDENBURG, Religieuze voorzieningen voor etnische minderheden in Nederland. Rapport tevens beleidsadvies van de niet-ambtelijke werkgroep ad hoc, Rijswijk : Ministerie van Welzijn, Volksgezondheid en Cultuur (WVC), 1983, 131 p. [NdT : les mots en italique sont en français dans le texte].
  • [45]
    Cf. RATH, Jan ; PENNINX, Rinus ; GROENENDIJK, Kees ; MEYER, Astrid, Western Europe and its Islam, op. cit.
  • [46]
    MAUSSEN, Marcel, “Policy discourses on mosques in the Netherlands 1980-2002 : contested constructions”, Ethical Theory and Moral Practice, vol. 7, n° 2, 2004, pp. 147-162.
  • [47]
    Cf. HIRSCH-BALLIN, Ernst Maurits Henricus (Ed.), Overheid, godsdienst en levensovertuiging. Eindrapport criteria voor steunverlening aan kerkgenootschappen en andere genootschappen op geestelijke grondslag, Den Haag : Ministerie van Binnenlandse Zaken, 1988, 133 p.
  • [48]
    La coalition gouvernementale Violette (1994-2002), le premier gouvernement depuis la Seconde Guerre mondiale qui n’incluait pas les chrétiens-démocrates, va légiférer sur une série de questions qui, jusqu’alors, rencontraient toujours l’opposition des partis chrétiens, comme l’euthanasie et le mariage entre personnes du même sexe.
  • [49]
    Cf. VISSER, Jelle ; HEMERIJCK, Anton, “A Dutch miracle”. Job growth, welfare reform and corporatism in the Netherlands, Amsterdam : Amsterdam University Press, 1999, 206 p.
  • [50]
    Un nouveau programme d’enseignement n’a commencé qu’en 2005 à l’Université libre (Vrije Universiteit) à Amsterdam. Voir MAUSSEN, Marcel, Ruimte voor de islam ? Stedelijk beleid, voor-zieningen, organisaties, op. cit., pp. 43 et ss. Un programme d’intégration civique obligatoire pour le clergé immigré a aussi été créé. Même si cette formation d’intégration civique est offi-ciellement accessible à tous les types de personnel religieux immigré, en fait elle est avant tout destinée aux nouveaux imams et — dans une moindre mesure — aux enseignants hindous. Ce programme, qui existe depuis 2002, comprend une séquence spéciale de dix réunions pour les imams, laquelle, entre autres, doit les renseigner à propos des différentes communautés religieuses présentes aux Pays-Bas et leur fournir la connaissance et l’expertise qui peuvent être utiles à leur travail en matière de conseils socio-spirituels. Ce programme est dissocié de la formation linguistique ordinaire, qui comprend cependant une formation au vocabulaire spécifique qui peut être utile au personnel religieux. Une fois cette formation achevée, les imams reçoivent une sorte de certificat. Voir MINISTERIE VAN BINNENLANDSE ZAKEN EN KONINKRIJKSRELATIES, Inburgering van geestelijke bedienaren. Een handleiding voor gemeenten, Den Haag : Ministerie van Binnen-andse Zaken en Koninkrijksrelaties, 2001, 39 p.
  • [51]
    Cf. SUNIER, Thijl, Islam in beweging : Turkse jongeren en islamitische organisaties, op. cit. ; CANATAN, Kadir, Turkse Islam : perspectieven op organisatievorming en leiderschap in Nederland, Rotterdam : Erasmus Universiteit, 2001, 267 p.
  • [52]
    LINDO, Flip, Heilige wijsheid in Amsterdam. Ayasofia stadsdeel De Baarsjes en de strijd om het Riva terrein, Amsterdam : Het Spinhuis, 1999, 196 p. (voir p. 110). Cette stratégie était exprimée sans détour par la plupart des organisations musulmanes turques, elles ont également été pionnières dans la création d’institutions islamiques aux Pays-Bas. Plus tard, des stratégies si-milaires ont été déployées par les associations marocaines (également avec l’aide du gou-vernement marocain) et, encore plus tard, par des confessions particulières comme les groupes salafistes et whahabbites.
  • [53]
    Sur l’impact de ce type de « discours sur la diversité » sur les politiques publiques d’accommo-dement à l’égard de l’islam dans le milieu des années 1990, voir MAUSSEN, Marcel, Ruimte voor de islam ? Stedelijk beleid, voor-zieningen, organisaties, op. cit.
  • [54]
    Le Comité consultatif sur les affaires des étrangers (Adviescommissie voor Vreemdelingenzaken, ACVZ) qui a fait un compte rendu de cette proposition affirme que « les interdictions et les exigences générales sont incompatibles avec la liberté de religion, avec le principe d’égalité de traitement et avec la réserve que le gouvernement doit exercer par rapport au choix du clergé fait par une communauté de foi ». Voir ADVIESCOMMISSIE VOOR VREEMDELINGENZAKEN, Toelating en verblijf voor religieuze doeleinden, Den Haag : ACVZ, juillet 2005, 100 p. Voir aussi HENDRICKX, Ineke ; DE LANGE, Tessel, Toelating van vreemdelingen voor verblijf bij religieuze organisaties. Beleid en praktijk in Nederland voor en na de Vreemdelingenwet 2000, Nijmegen : Wolf Legal Publishers, 2004 ; KRALER, Albert ; STRASSER, Elisabeth ; JANDL, Michael ; SCHARZENBERGER, Dietlind ; JÖRG, Sven ; ERIKSSON, Sara, Comparative study on the admission of clergy : study on the admission of Third Country nationals for the purpose of carrying out religious work in 8 European countries and Canada, Vienna : ICMPD, 2005, 120 p.
  • [55]
    Cf. BOWEN, John R., Why the French don’t like headscarves. Islam, the state and public space, Princeton : Princeton University Press, 2007, 290 p. ; BADER, Veit-Michael, Secularism or democracy ? Associational governance of religious diversity, Amsterdam : Amsterdam University Press, 2007, 386 p.
  • [56]
    STATHAM, Paul ; GIUGNI, Marco ; PASSY, Florence, Contested citizenship : immigration and cultural diversity in Europe, op. cit., p. 446.
  • [57]
    Cité dans RATH, Jan ; PENNINX, Rinus ; GROENENDIJK, Kees ; MEYER, Astrid, Western Europe and its Islam, op. cit., p. 75.
  • [58]
    Cf. RATH, Jan ; PENNINX, Rinus ; GROENENDIJK, Kees ; MEYER, Astrid, Western Europe and its Islam, op. cit., p. 191.
  • [59]
    Durant le printemps 2004, le ministre de l’Éducation Maria Van Der Hoeven a établi que toute nouvelle école musulmane devait avoir un conseil d’administration composé uniquement de membres de nationalité néerlandaise.
  • [60]
    Cf. DRIESSEN, Geert ; MERRY, Michael S., “Islamic schools in the Netherlands : expansion or marginalization ?”, art. cité.
  • [61]
    Cité par NICKOLSON, Lars, Met recht geloven. Religie en maatschappij in wet en debat, op. cit., p. 47.
  • [62]
    Cf. MERRY, Michael S. ; DRIESSEN, Geert, “Islamic schools in three Western countries : policy and procedure”, Comparative Education, vol. 41, n° 4, 2005, pp. 411-432.
  • [63]
    Cf. NICKOLSON, Lars, Met recht geloven. Religie en maatschappij in wet en debat, op. cit., pp. 49 et ss.
  • [64]
    Cf. BADER, Veit-Michael, Secularism or democracy ? Associational governance of religious diversity, op. cit.
  • [65]
    Voir également NICKOLSON, Lars, Met recht geloven. Religie en maatschappij in wet en debat, op. cit., pp. 19 et ss.
  • [66]
    Sur la France, se reporter à la contribution de John R. Bowen dans le présent dossier, p. 107.
  • [67]
    Voir la contribution de Doutje Lettinga et Sawitri Saharso dans le présent dossier, p. 237.
  • [68]
    Un représentant du Parti fondamentaliste chrétien (Gereformeerd Politiek Verbond, GPV), par exemple, a exprimé en 1974 son opposition au projet autorisant le versement de subventions aux mosquées parce qu’il pensait que les mosquées et les minarets ne devaient pas dominer le paysage néerlandais. Voir LANDMAN, Nico, Van mat tot minaret. De institutionalisering van de islam in Nederland, Amsterdam : VU Uitgeverij, 1992, 386 p. (cf. p. 278).
  • [69]
    Cf. NICKOLSON, Lars, Met recht geloven. Religie en maatschappij in wet en debat, op. cit., p. 23.
  • [70]
    Ibidem, p. 25.
  • [71]
    NdT: en français dans le texte.
  • [72]
    EPHIMENCO, Sylvain, “Oorlog om Irak om meer dan olie”, Trouw du 5-12-2002.
  • [73]
    Cf. RATH, Jan ; PENNINX, Rinus ; GROENENDIJK, Kees ; MEYER, Astrid, Western Europe and its Islam, op. cit., p. 55.
  • [74]
    NdT : en italique dans le texte original.
  • [75]
    Cf. KOOPMANS, Ruud ; STATHAM, Paul ; GIUGNI, Marco ; PASSY, Florence, Contested citi-zenship : immigration and cultural diversity in Europe, op. cit.
  • [76]
    Cf. LIJPHART, Arend, The politics of accommodation : pluralism and democracy in the Netherlands, Berkeley : University of California Press, 1968, 222 p. Arend Lijphart est un politologue américano-néerlandais.
  • [77]
    HIRSI ALI, Ayaan, Infidel, op. cit., p. 245.
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