Notes
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[1]
Allusion au titre du livre en finnois de CLERC, Louis ; RANKI, Kristina, Suomalaisten Ranska –Kaunis tuntematon [La France des Finlandais – Une belle inconnue], Helsinki : Ajatus, 2008, 272 p. sur les perceptions de la France en Finlande, dans lequel une version courte du présent article a été publiée en finnois.
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[2]
Ranska veut dire “France” en finnois.
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[3]
« It means painting a picture of the other with a few simple lines [...]. Aided by stereotypes we sort people into groups according to some characteristics these group members are perceived to share and which distinguish them from others. By reference to such group membership, we ascribe certain qualities, opinions and characteristics to individual actors ». ILLMAN, Ruth, “Stereotypes : the symbolic image of the other”, in : DALH, Øyvind ; JENSEN, Iben ; NYNÄS, Peter (Eds.), Bridges of understanding. Perspectives on inter-cultural communication. A reader, Oslo : Oslo Academic Press, 2006, pp. 101-113 (voir p. 102).
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[4]
Nous affirmons par ailleurs que nous sommes tous “conditionnés” par ces éléments. Voir DERVIN, Fred, “Reflections on the deconditioning of language specialists in finnish higher education”, in : DERVIN, Fred ; SUOMELA-SALMI, Eija (Eds.), Intercultural communication and education communication et éducation interculturelles, Bern : Peter Lang Verlag, 2006, pp. 105-125.
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[5]
Pour une analyse exhaustive des constructions de soi et de l’Autre d’étudiants français en situation de mobilité en Finlande, voir DERVIN, Fred, Métamorphoses identitaires en situation de mobilité, Turku : Presses Universitaires de l’Université de Turku, 2008, 284 p.
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[6]
Cf. ILLMAN, Ruth, “Stereotypes : the symbolic image of the other”, art. cité.
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[7]
Comme le montre la chercheuse Sherry Turkle, on ne peut pas toujours faire confiance à ceux qui laissent un message sur un forum car leurs messages sont en général anonymes et ils ont parfois tendance à se cacher derrière un masque ; par exemple, un Finlandais peut se dissimuler sous un masque français ou vice-versa. Donc l’identification des internautes n’est pas toujours sûre à 100 %. En outre, le contenu des messages peut être pris au pied de la lettre ou de façon ironique, et il est parfois difficile de décider du parti à prendre. Voir TURKLE, Sherry, The second self : computers and the human spirit, Cambridge : MIT Press, 2005, 372 p.
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[8]
Les extraits du site sont conservés tels quels. Les “erreurs de langue” n’ont été corrigées que lorsqu’elles gênent la compréhension et sont indiquées entre crochets.
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[9]
Le gras est de notre fait.
« Dure époque que celle où il est plus simple de détruire un atome qu’un préjugé »
1 Pour le chercheur en communication interculturelle, surtout lorsqu’il vit lui-même dans un contexte étranger — c’est-à-dire, dans notre cas, un enseignant-chercheur français en Finlande — les occasions de trouver des sources d’analyse de regards et de représentations croisés sont innombrables pour savoir ce que les uns pensent ou imaginent des autres : la littérature, le cinéma, la publicité, les manuels d’enseignement de langues, les conversations dans la vie de tous les jours, les nouvelles technologies, etc.
2 Nous menons des recherches depuis des années sur ces regards, leurs origines et leur instabilité, en tentant souvent de transférer nos résultats dans une didactique de préparation à la mobilité. Ces regards se retrouvent souvent sous le signe des stéréotypes : les Français croient se connaître eux-mêmes et connaître — avec une expérience même minime — les Finlandais et vice-versa. Ainsi, souvent, 76 millions d’indi-vidus (l’ensemble de la population française et finlandaise) hyper-différents les uns des autres se retrouvent réduits à de simples carac-téristiques nationales.
3 Dans cet article, nous souhaitons nous intéresser à ces réductions et représentations sur deux belles inconnues [1] l’une de l’autre : la France et la Finlande. Nous nous intéresserons à un lieu de rencontres franco-finlandais qui a été très peu étudié, mais qui est très riche, un site franco-finlandais — www.ranska.net [2] — et à certains regards trouvés sur ce site. Mis en place à l’initiative de Français qui habitent en Finlande, le site est riche en documents sur la Finlande et la France : dictionnaires, listes de questions-réponses, enregistrements audio en français et en finnois, chats et forums de discussion archivés sur le site. C’est sur cette dernière forme de documents que nous allons nous concentrer ici car ils permettent d’identifier les représentations dans des discussions entre nos “beaux inconnus”.
Besoin de stéréotypes
4 Stéréotyper, c’est simplifier. Ruth Illman définit les stéréotypes de la manière suivante : « Cela signifie dépeindre l’autre à partir de quelques traits simples [...]. À l’aide des stéréotypes, nous classifions les individus dans des groupes selon quelques caractéristiques que les membres du groupe semblent partager et qui les distinguent des autres. En faisant référence à telle appartenance groupale, nous prescrivons certaines qualités, opinions et caractéristiques à des acteurs individuels » [3].
5 Les stéréotypes peuvent être de l’ordre de l’autostéréotype (stéréo-types sur sa communauté d’appartenance ; par exemple, en tant que Français, nous pouvons imaginer que les Français sont toujours en retard) et de l’hétérostéréotype (stéréotypes sur les autres communautés ; par exemple, en affirmant que nous savons que les Finlandais sont timides, nous recourons à un hétérostéréotype) et toucher différents types de groupes : les hommes, les femmes, les personnes âgées, les chômeurs, les personnes de couleur, les Blancs, les gens aux cheveux blonds, roux, bruns, etc. Ils peuvent être négatifs (xénophobie, racisme) ou positifs (exotisme, idéalisation de l’Autre).
6 Malgré leur côté généralisateur, nous avons besoin des stéréotypes pour faire face à la complexité des sociétés et surtout pour rencontrer des individus si différents qui habitent les mondes contemporains : en d’autres termes, on ne peut pas ne pas y avoir recours. Ainsi, si nous rencontrons un Finlandais pour la première fois, les auto-stéréotypes et les hétéro-stéréotypes nationaux que nous avons en tête et qui nous ont été transmis par différentes sources telles que les médias, nos amis français et étrangers, les Finlandais eux-mêmes, mais aussi nos sources éducatives [4] (livres, professeurs, etc.) nous servent à rencontrer cette personne, nous rassurent car nous croyons ainsi savoir quelque chose sur elle et, surtout, les stéréotypes servent à ne pas être “effrayé” face à l’énigme potentielle que cette personne représente.
7 Autre utilité des stéréotypes : ils peuvent servir à obtenir une faveur si on sait les manipuler. Ainsi, un jeune Français habitant à Turku dans le cadre des échanges du programme Erasmus nous racontait qu’il avait pris l’habitude de s’excuser de ses retards en expliquant aux gens que cela se produisait parce qu’il était français et que cela était normal en France [5]. De surcroît, les stéréotypes peuvent apporter une réponse facile à l’inexplicable. Qui ne s’est pas entendu dire, par exemple : « Tu ne peux pas comprendre pourquoi les Français sont comme ceci parce que tu n’es pas français » ?
8 Il est important de dire ici que notre article ne tentera pas de “détruire” les stéréotypes franco-finlandais, car cela est en fait impossible. Nous y avons tous recours — avec des doses différentes — et il serait injuste de faire croire que l’on peut vraiment s’en débarrasser car les stéréotypes varient selon les contextes et les états émotionnels que nous traversons. Par exemple, même si nous sommes nous-mêmes sensible aux stéréotypes nationaux, il nous arrive parfois d’y avoir recours lorsque nous sommes fatigué ou frustré en Finlande ou ailleurs. Toutefois, en accord avec Ruth Illman, nous soutenons une attitude dénonciatrice envers les stéréotypes et incitons le plus possible à les éviter [6].
9 Jusqu’ici, le lecteur se sera sans aucun doute demandé pourquoi nous partons du principe que nous trouverons des stéréotypes dans les forums de discussion de ranska.net. La réponse se trouve simplement dans les questions posées par le site sur les Français et les Finlandais (cf. http://www.ranska.net/questions/). Quelques exemples. Prenons pour commencer la Finlande et les Finlandais. Les responsables du site ont sélectionné 26 questions auxquelles les internautes qui le visitent sont invités à répondre. Dans la formulation des questions, il est clair que l’internaute est “poussé” à lâcher ses stéréotypes. Les deux questions suivantes, par exemple, partent du principe qu’il y a des différences entre les Finlandais et les Français :
10 « À votre avis quelles sont les grandes différences entre les Français et les Finlandais ? ».
11 « Les Finlandais et les Français sont-ils très différents ? ».
12 Les deux items suivants réduisent délibérément les “Finlandais” en demandant aux internautes de les qualifier en cinq adjectifs ou bien de donner une caractéristique à changer chez chaque Finlandais (comme s’ils étaient tous les mêmes).
13 « Donnez cinq adjectifs pour qualifier les Finlandais ».
14 « Si vous deviez changer une chose chez les Finlandais, que changeriez-vous ? ».
15 Pour la France et les Français, les questions sont plus ou moins les mêmes, avec toutefois quelques-unes qui proposent la réponse que nous soupçonnons comme étant attendue par les responsables. Ces questions correspondent à des stéréotypes ancrés dans la tête d’un grand nombre d’entre nous :
16 « Pensez-vous que les Français sont assez ouverts sur tout ce qui se passe à l’étranger ? ».
17 « Pourquoi les Français ont-ils souvent mauvaise réputation à l’étranger ? ».
18 « Les Français sont-ils vraiment bien élevés ? ».
19 Enfin, il est intéressant de noter qu’une grande partie des questions touche à la culture (musique, littérature, cinéma, etc.) dans le cas des Français et la France alors qu’une toute petite partie d’entre elles sur la Finlande et les Finlandais était réservée à ce domaine.
Regards croisés virtuels franco-finlandais
20 Par la suite, nous retiendrons l’une des questions posées par les responsables du site — « donnez cinq adjectifs pour qualifier les Français » — car elle devrait permettre de trouver à la fois des regards français et finlandais sur les uns et les autres. Avant de faire un inventaire de ces regards (c’est-à-dire ce qu’on apprend sur les Français et les Finlandais), il convient de tenter d’identifier l’internaute qui laisse des ré-ponses aux questions posées. Pour identifier la nationalité d’un internaute [7], nous avons cherché des indices de cette nationalité, par exemple lorsqu’ils utilisent nous pour parler des Français ou des Finlandais, ou lorsqu’il y a introduction directe de sa nationalité ou un indice tel que la signature « Max, Français du Nord » retrouvée dans un des messages. À partir de là, nous avons pu identifier cinq catégories : des internautes français, étrangers (ni Français ni Finlandais), des internautes finlandais, binationaux (mi-français) et enfin une vaste catégorie, composée de cas où il était impossible de déceler la nationalité. Nous avons donc décidé de mettre de côté cette dernière catégorie et de nous concentrer sur les quatre autres car il nous a semblé inutile de travailler à partir de spéculations.
21 La question avait obtenu 135 réponses en tout en novembre 2006 dont 57 laissées par des Français, six par des étrangers (ni Français ni Finlandais), trois par des Finlandais et quatre par des binationaux (mi-français + autre nationalité). Le reste des 135 réponses est, nous le précisons à nouveau, non identifiable. Première remarque à ce sujet : le site étant un site franco-finlandais, il est intéressant de noter que seulement trois Finlandais sont effectivement identifiables dans les réponses, alors que 57 réponses sont clairement le fait de Français. Cela nous semble pertinent car ces derniers se défendent souvent contre les attaques lancées envers leur pays en demandant aux Finlandais de faire preuve de plus d’ouverture intellectuelle. Par exemple, dès le deuxième commentaire, après une réponse relativement négative écrite par un Laotien (« Les Français, un peuple de ****... Mais moins que les autres :) ! »), un Français répond et demande : « Q’est-ce qu’ont les finlandais contre un pays immensement plus riche ? » [8]
22 Même chose dans la réponse 16, laissée par une fille qui se dit mi-Finlandaise, mi-Française, et qui finit par poser la question suivante : « Tous les finlandais qui ont écrit uniquement des adjectifs si catastrophiques sur les français en ont-ils vraiment rencontré ? (et plus d’un ou deux) », ou bien la réponse 26 : « Je ne savais pas qu’on nous détestait autant en Finlande !! ».
23 Sur les 25 commentaires qui précèdent le dernier cité, un seul est identifiable comme étant écrit par un Finlandais, et il est, à notre avis, relativement positif : « À vous entendre, les français ont peu de qualités. Le nombre de défauts et l’image négative que vous mettez en avant met en évidence [une] animosité et [un] manque d’objectivité vis à vis des français. Si l’on peut admettre que les français sont quelque peu chauvins et fiers de leur pays, les qualificatifs décrits sont loins de correspondre à la réalité et on peut imaginer que leurs auteurs on[t] des idées fausses et préconcues des français ».
24 Ainsi, les personnes qui font, sur le site, part de leurs commentaires sur le fait que les Finlandais critiquent les Français ne semblent même pas s’être interrogées sur l’origine de ces commentaires. Comme nous allons le voir, les commentaires les plus négatifs sur les Français émanent d’ailleurs d’autres Français...
« Il ne faut pas mettre tout le monde [dans] le même plat »
25 Regardons d’abord ce que les internautes que nous avons identifiés en tant que Finlandais ont à dire sur les Français. Les trois commentaires qu’ils ont laissés sont très positifs. La première réponse critique les Finlandais et la Finlande et chante les louanges des Français et de la France : « C’est bien de vivre avec [quelqu’un] qui est ouvert et qui parle beaucoup que de vivre avec celui qui apparemment parle peu mais [parle] trop apres avoir bu. C’est tres dangereux. Les francais parlent trop mais font toujours des effort pour vivre avec tous sans discrimination. Pour preuve, comparer la télévision en finlande et en france. Il est difficile de voir un étranger à la télévision [en Finlande] pour emettre une opinion ».
26 Cette personne attaque les Finlandais sur trois points : le silence, l’alcool (elle commente : « C’est dangereux ») et la discrimination raciale (« Il est difficile de voir un étranger à la télévision pour emettre une opinion »).
27 Le deuxième Finlandais à répondre à la question posée utilise cinq adjectifs et expressions pour décrire les Français (parmi les 135 réponses relevées, très peu d’internautes le font) : « diplomates », « vivent dans une démocratie », « accueillants », « individualistes » et « ouverts ». À chaque caractéristique avancée, cette personne donne une précision entre parenthèse et laisse échapper quelques critiques envers la Finlande et les Finlandais sur l’Église et l’“ouverture” des Finlandais : « Diplomates (ils ont inventé cette discipline), vivent dans une démocratie (leur Etat est au moins séparé de l’église), accueillants (j’y ai vecu des années), individualistes [...] ainsi que ouverts (étant donné l’existence même [de ce] forum de discussion ou les [Finlandais] qui écrivent [sont si peu nombreux]) ».
28 Enfin, la dernière intervention identifiable d’une Finlandaise est à nouveau enthousiaste envers les Français (même si elle admet que « les français sont quelque peu chauvins et fiers de leur pays ») et sermonne ceux qui laissent des messages négatifs sur ceux-ci : « Vous demandez la tolérence, soyez tolerants. Peut-être après on pourra vraiment avoir une discussion ici et échanger [d]es arguments constructifs [...]». Toutefois, on ne sait pas à qui ces remontrances sont adressées. Son discours se termine par une contradiction lorsqu’elle affirme que « les français sont quelque peu chauvins et fiers de leur pays » en écrivant : « Comme on sait tous il ne faut pas mettre tout le monde [dans] le même plat, ni les francais ni les finlandais ».
Autostéréotypes et hétérostéréotypes : critiques et défense
29 Penchons-nous maintenant sur les autres internautes qui ont répondu aux questions posées. Quatre catégories de réponses ressortent de notre analyse : critiques des Français par les Français eux-mêmes et par des personnes d’autres nationalités, comparaisons avec d’autres nationalités et critiques de celles-ci, regards sur les Finlandais et la Finlande et, enfin, défense des Français par des Français eux-mêmes ou par des étrangers.
Regards sur les Français
30 D’abord, certains Français qui sont intervenus sur le site sont extrêmement critiques envers la France et les Français. Dans ces critiques, ils confirment le chauvinisme des Français [« chauvin A ça oui !!! et ils acceptent guère qu’un autre pays le soit autant qu’eux ! »], leur fierté [« trop fières d’eux (sans raison) »], leur arrogance [« Ils se croient meilleurs que les autres dans tous les domaines ! : ce sont des grandes gueules ! »], leur habitude à tout contester [voir le paradoxe dans « toujours en grève et en contestation (à la fois défaut et qualité) »], leur incompétence linguistique [« niveau d’anglais déplorable »] et leur laideur [par exemple, une Française écrit : « Pas très beaux (j’ai dit les français, pas françaises !) »]. Certaines critiques des Français qui écrivent sont extrêmes et “dures” : «Pour moi la France est le pays le plus ennuyeux au monde... » ; « Je suis pourtant Française mais je suis ok avec tout ceux qui critique nos horreurs de Français ! ils sont cons, machos, toujours portés sur le sexe, trop surs d’eux, en plus bref, ils sont cons !!! ».
31 Du côté des étrangers identifiés qui laissent un message (deux Belges, une Américaine et une Italienne, en plus du Laotien mentionné plus haut et d’une Portugaise), les regards sont en général positifs : « Je suis américaine et je fais mes études en France. J’apprécie beaucoup ce pays car on y mange trés bien, on est tolérants (du moins à Paris), élégants, et surtout les francais ont un sens de la culture, de l’art de vivre que peu de peuples ont... » ; « Italienne vivant a Toulouse, j’aime [beaucoup] la France et les francais !! C’est une chance d’etre francais, c’est un merveilleux pays, avec une belle histoire, une bone cuisine... Mais vous vous critiquez trop vous meme, vous ralez pour dire que vous etes raleurs... contradictoire, non ? Sinon, les francais sont pas plus raleurs que les autres, pas plus rascistes que les autres... ».
32 On retrouve dans ces deux exemples, toutefois, des hétérostéréotypes positivants sur les Français : la bonne cuisine, l’élégance, la culture, etc. Ces stéréotypes circulent assez souvent dans les médias, la publicité...
33 Seul un étranger s’attaque aux Français en prenant la défense des Finlandais, même si on a vu qu’aucun Finlandais ne semble s’en prendre aux Français dans les réponses à cette question. Il s’agit d’un Belge qui écrit : « Je suis Belge et je peux vous dire que les Belges se rangent du coté des Finlandais, les Français sont trop fier de leur pays, ils sont prétentieux, ils parlent de trop (souvent pour vanter leurs cultures ou leur pays) et il est vrai ne font aucun effort pour apprendre une langue étrangère !!! ».
34 Les éléments stéréotypés mis en avant ici correspondent exactement à ceux développés par les Français eux-mêmes (« fiers », « prétentieux », « ne parlent pas de langues étrangères », etc.).
Eux...
35 Un phénomène tout à fait intéressant et normal lorsqu’on tente de défendre les attaques dirigées envers la communauté d’appartenance est d’accuser et de critiquer les autres communautés (ici nationales). Ces accusations peuvent servir d’arguments pour se défendre. Ainsi, bon nombre d’internautes français signalent, par ordre d’importance, la Grande-Bretagne, les États-Unis, l’Espagne, l’Italie, la Suisse et l’Arabie Saoudite ( ! ). Les critiques envers les Britanniques permettent d’avancer que les Français sont ouverts et « bons en langues » : « N’oublions pas nos confrères, Anglais, qui eux sont des authentiques “snobs” » ; « 76 % des anglais déclarent ne pas maitriser du tout une autre langue 36 % pour les francais bon on est peux etre chauvin. Mais par experience personnelle je me souviens que dans une famille anglaise les parents ne savait meme plus si il avait étudié le francais l’allemand ou autre (et il etait tres jeunes...) ».
36 Les Américains, quant à eux, permettent d’atténuer le reproche fait sur le site aux Français d’être chauvins et arrogants : « Lorsqu’on voit qu’aux Etats-unis, les gens ont presque tous un drapeau us planté dans le jardin... En Angleterre les gens se balladent avec des union jack sur les vetements... Qui sont les chavins ? !... » ; « oui, nous sommes un pays chauvin et prétentieux (mais quand même moins que les usa, non ?... rassurez moi) » ; « Quand a la reputation d’arrogance, j’avoue que je la comprend difficilement. Regardez les americains. “Nous on dirige le monde, taisez vous” Ça c’est arrogant ».
37 Les Espagnols, eux, sont même présentés comme étant plus xénophobes et racistes que les Français : « Non personnellement, en Espagne, j’ai vécu à Valladolid et j’ai trouvé les gens (pas tous bien sûr mais la majorité) vraiment xénophobes, chauvinistes à l’extrême et vraiment réac... ».
38 En ce qui concerne les grèves et les contestations, ce sont les Italiens qui battent les Français d’après cet internaute (pseudo-statistiques à l’appui !) : « Pour ce qui est de la grève : navrée de vous décevoir, Mesdames et Messieurs, mais la France a affiché un taux de grève égal à la moyenne européenne, alors que l’Italie a battu tous les records en 2003 le mythe c’est brisé lamentablement ! ».
39 Enfin, l’internaute suivant respecte les consignes de la tâche (décrire les Français en cinq mots) en proposant : « bavards », « fêtards », « disciplinés », « dragueurs » et « gastronomes ». Chaque caractéristique est complétée par un commentaire entre parenthèse qui les compare systématiquement à d’autres nationalités (« bavards », « fêtards », « disciplinés » et « dragueurs » étant “mieux” chez les autres alors que les Français la remportent en matière de gastronomie) : « Je propose : bavards (mais moins que les Italiens !), fêtards (mais moins que les Espagnols !), disciplinés (mais moins que les Allemands !), dragueurs (mais moins que les Anglais !) et gastronomes (et mieux que tout le monde !!) ».
40 Précisons que cet internaute a fait précéder ses commentaires par la phrase : « 5 adjectifs pour définir le peuple français n’est pas possible, tant nous sommes nombreux et différents ». À nouveau on voit ici le côté paradoxal de ce type d’affirmation.
41 Qu’en est-il des Finlandais ? Rappelons que le site est destiné avant tout aux Français et aux Finlandais. Jusqu’ici, nous n’avons guère trouvé de caractéristiques des Finlandais (à part les critiques des Finlandais eux-mêmes). Les Français qui commentent sont de manière générale positifs envers la Finlande et les Finlandais (c’est d’ailleurs certainement pour cela qu’ils visitent le site), même si leurs arguments sont souvent mitigés. Ainsi, pour un internaute français, les Français sont « moins beaux que les Finlandais, mais peut être plus coquin et plus original au lit... ». Une internaute française mentionnée avant, qui critique ardûment les Français, profite de ses critiques pour exprimer son admiration pour les Finlandais : « Je suis pourtant Française mais je suis ok avec tout ceux qui critique nos horreurs de Français ! ils sont cons, machos, toujours portés sur le sexe, trop surs d’eux, en plus bref, ils sont cons !!! vive les Finlandais et nombreux seront les Nordiques a dire comme moi !!!! ».
42 Parmi les 135 réponses, on trouve au moins ces deux critiques envers les Finlandais : « Moi je me suis installée en Finlande pour un an et je peux vous dire que question intégration ce n’est pas trop ça. Je ne me suis faite que trois ami(e)s finlandais, on peut vraiment affirmer qu’ils sont froids comme des glaçons et très peu avenant » ; « Ouais mais nous les français on sait boire ! Et pas n’importe quoi qui rend soul et malade trés vite ! Et pas forcément le Jeudi soir ou le Vendredi soir, ou le samedi soir et on vomit pas partout sur les trottoirs.)... ha, Paris et ses crottes de chiens... ha, Helsinki et ses dégueulis... ».
43 Les deux internautes opèrent ici des comparaisons sur des thèmes déjà traités auparavant : la froideur des Finlandais (notez l’utilisation de la comparaison à des « glaçons » dans le premier exemple qui fait référence directement à la vision stéréotypée du climat finlandais en France) et la consommation d’alcool en Finlande. Ce ne sont là que des exceptions. Il est intéressant d’ailleurs qu’une internaute écrive : « On n’a pas compris pourquoi vous parliez de la finlande tout le temps », car en fait, en réponse à la question posée sur le site, très peu parlent de la Finlande. Ce n’est là, à nouveau, qu’une impression.
Actes de défense
44 Il va sans dire que bon nombre de réponses des internautes français tentent de “rétablir la vérité” et surtout de venir à la rescousse des Français. L’élément que ceux-ci tentent le plus de reprendre est celui de l’incompétence des Français en langues étrangères (serait-ce là une corde sensible ?). Comme nous l’avons vu plus haut en la matière, sur le site les Français sont attaqués tant par des Français que par certains étrangers. Ainsi, certains Français se défendent en écrivant : « ps : je n ai que 16 ans & je sais parlé l allemand, l arabe, & je me débrouille très bien en Anglais. Alors ? qui a dit que les français ne savaient parler que le français ? » ; « Moi j’ai 15 ans je suis passionner par les langues étrangères et je parle l’anglais, l’italien et l’hébreux et un peu le russe... ». Une internaute va même jusqu’à écrire une phrase en anglais pour prouver que les Français parlent anglais : « And by the way who said that french people do not know others languages !!!!!! ».
45 Il faudrait bien sûr s’interroger plus longuement sur ce que “parler” ou “connaître” une langue veut dire, c’est-à-dire avec quel niveau, et surtout dans quel contexte.
46 Un autre internaute tente d’expliquer l’incompétence des Français en accusant les enseignants de langues en France : « Deuxième chose, il est vrai qu’en France très peu de personnes sont totalement bilingue, déjà les professeurs de langues sont les plus nul de tous, deuxièmement l’apprentissage de la langue ne commence que très tard... mais sur ce point il est fort possible de s’améliorer... ».
47 Que veut dire cet internaute quand il déclare que « très peu de personnes sont totalement bilingue » en France ? Les milliers d’étrangers, d’immigrés, d’enfants d’immigrés et d’enfants de couples mixtes qui vivent en France ne sont-ils pas souvent bilingues ?
48 La défense des Français par des Français passe également par un déplacement des accusations. C’est ainsi que les Parisiens sont souvent attaqués : « Moi ce n’est pas la France qui m’énerve mais les Parisiens qui sont cons comme des manches à balais ».
49 D’autres éléments majeurs de défense des Français sont liés à l’histoire de France, aux droits de l’homme et aux Lumières (dont la France est l’initiatrice) : la liberté, la tolérance et l’asile. Ainsi, un internaute affirme qu’« en ce qui concerne la fierté, elle découle de la splendeur passée de notre pays, dont les monuments, en grand nombre, et parfois très beaux, sont les témoins ».
50 Cette première affirmation confirme donc un stéréotype répété à plusieurs reprises par des Français et des étrangers sur le site. L’internaute suivant introduit l’argument de la liberté : « Je ne sais pas si les Français sont bien ou [quoi] (jsui francais d’ailleurs) j’aime beaucouop mon pays car je le trouve manifique, et [qu’on] peut se construire en toute liberté, et c’est ca le plus important, devenir ce que l’on a envie d’être ! ».
51 Un autre écrit : « Avec cindy, nous pensons que nous, les français, avons une grande qualité humaine qui nous permet de supporter les insultes de quelques idiots qui ne comprennent rien à la vie !!!! Nous vous rappellons que nous sommes, quand même qualifié de “terre d’acceuil” ce qui nous vaut une grande qualité : la tolérance !!!!! ».
52 Finalement, l’internaute suivant fait d’ailleurs preuve de tolérance ( ? ) lorsqu’il défend les Français et propose les caractéristiques suivantes : « Hé, si on ne vous plait pas, restez chez vous les amis. Un francais est : tolérant. Spirituel. Pense qu’il y a autre chose que le boulot dans la vie. Bon au lit. Fier de son pays (et á juste titre d’ailleurs). Lorsque vous vous débarrasserez de vos a priori à la noix, peut-être nous verrez vous autrement ». Le lecteur se rendra compte par lui-même du paradoxe développé ici entre la fin de son commentaire sur les a priori et la liste de caractéristiques qu’il attribue aux Français.
53 Notons ici que, à plusieurs reprises, les internautes se contredisent ou contredisent ce qu’ils affirment dans leurs propres réponses : « Ensuite il est vrai que nous sommes bcp des râleurs, mais sachez que bien plus d’1 français sur 2 ne supporte pas les grèves à répétitions !!!!!!!! » ; « A part ça, chaque personne en ce monde a des défauts, ce n’est pas parce qu’il est français, Italien, Belge, Danois, Algérien ou autre que ces défauts sont plus marqués... Les défauts sont liés à la personne et non à l’origine... » ; « fiers, arrogants, ininteressants, fermés, hypocrites, bavards, pretencieux, insuportables quoi (ça c’est en general y’a des exeptions mais pas beaucoup signe une française qui ne les suporte plus) ».
54 Ainsi, ci-dessus, le premier généralise sur les Français (même s’il affirme qu’un Français sur deux n’aime pas les grèves), puis explique que la nationalité n’a rien à voir avec les « défauts » de chacun... Quant à la « française qui ne les supporte plus » (les Français), elle les critique ardûment (en utilisant des adjectifs très négatifs, écrits en majuscules), puis explique que ces caractéristiques sont générales.
Appels à la tolérance
55 Nous avons réservé la dernière partie de cet article à une note positive car il s’agit ici des divers appels à la tolérance lancés par un certain nombre d’internautes français, étrangers, finlandais... Ces appels suivent le schéma suivant : d’abord l’internaute réagit durement à ce qu’il a lu (de façon sélective puisqu’il ne retient que le négatif) sur le site, puis il tente de montrer que les Français sont tous différents et, enfin, il sermonne un « vous » (qui ?) en lui demandant de s’ouvrir et d’être tolérant. Voici deux exemples d’appels à la tolérance : « Que de clichés !! Comme si ça existait : “les” Français, ou “les” n’importe quoi ! Il y a 60 millions de Français, tous différents, avec leurs qualités et leurs défauts, comme partout ailleurs sur terre : ce ne sont que des être humains, ni plus ni moins. Un peu moins de jugements, et un peu plus de tolérance, s’il vous plaît : on construit l’Europe unie, oui ou non ? » ; « On ne peut pas se permettre de généraliser quelques éléments de culture ou d’individus à toute une société. En France c’est pareil, il y a des gens biens et d’autres moins bien. Ne gardez pas ces vieux préjugés sur les individus de tel ou tel pays, le monde change tout les jours et les gens aussi... » [9].
56 Il est intéressant de voir que, à aucun moment, personne n’a critiqué la question posée qui — avons-nous besoin de le rappeler ? — mène obligatoirement aux types de réponses positives comme négatives que nous avons trouvées mais aussi à des généralités, et ainsi, indirectement à des opinions que certains jugeront tolérantes ou intolérantes selon leur sensibilité et leur appartenance.
Est-il « plus simple de détruire un atome qu’un préjugé » ?
57 Le stéréotypage est un phénomène normal en contexte de rencontres interculturelles. Parler de soi et de l’Autre conduit souvent à réciter un discours réducteur et imaginaire, en contexte interculturel ou intraculturel. D’ailleurs, le lecteur n’aura certainement rien appris de nouveau sur les regards virtuels (dans le sens technologique mais aussi non existant, imaginaire) sur les Finlandais et les Français car un bon nombre de contenus thématiques des commentaires analysés font partie de l’air du temps (voir les documentaires touristiques sur la France et la Finlande avec lesquels on nous assomme à la télévision). Peut-être avons-nous nous-mêmes juste utilisé certains de ces stéréotypes avant de lire l’article, ou bien allons-nous en utiliser dès que nous quitterons cette revue... déguisés sous un masque français ou finlandais sur internet ou bien en direct avec des Français, des Finlandais ou toute autre personne.
58 Ce que l’analyse des réponses à la question posée par les responsables de www.ranska.net nous a montré, c’est surtout que ce sont avant tout les Français qui sont intervenus qui sont les plus critiques envers leurs compatriotes. Les stéréotypes positifs comme négatifs proposés sur le site sont à la fois “stables” (« les Français sont fiers, prétentieux et les Finlandais froids ») mais aussi instables et basés sur les expériences des internautes et sur leur état émotionnel lorsqu’ils réagissent sur le site (voir la Française qui écrit que les Français sont « fiers, arrogants, ininteressants, fermés, hypocrites, bavards, pretencieux, insuportables quoi »). Enfin, un grand nombre de cas de stéréotypage ont montré que l’utilisation des stéréotypes mène également à des paradoxes dont l’énonciateur ne se rend même pas compte.
59 Malgré les quelques appels à la tolérance retrouvés sur le site, il est clair qu’à la lecture des commentaires, on se rend compte à quel point Einstein avait raison d’écrire qu’il semble « plus simple de détruire un atome qu’un préjugé ». Nous ne savons pas s’il y a vraiment “rencontres” sur ranska.net car il nous semble que bon nombre d’internautes entrent sur le site avec certaines idées figées sur les Français et les Finlandais et repartent avec ces idées confirmées (par les responsables du site et les autres). Et si au lieu de demander à ces internautes de caractériser les Français et les Finlandais en cinq mots on leur proposait de répondre à la question : « Qu’est-ce qu’un être humain ? » ? Reprenant la réponse de Lévinas à cette question, on aimerait voir écrit sur le site : « Une énigme »...
Notes
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[1]
Allusion au titre du livre en finnois de CLERC, Louis ; RANKI, Kristina, Suomalaisten Ranska –Kaunis tuntematon [La France des Finlandais – Une belle inconnue], Helsinki : Ajatus, 2008, 272 p. sur les perceptions de la France en Finlande, dans lequel une version courte du présent article a été publiée en finnois.
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[2]
Ranska veut dire “France” en finnois.
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[3]
« It means painting a picture of the other with a few simple lines [...]. Aided by stereotypes we sort people into groups according to some characteristics these group members are perceived to share and which distinguish them from others. By reference to such group membership, we ascribe certain qualities, opinions and characteristics to individual actors ». ILLMAN, Ruth, “Stereotypes : the symbolic image of the other”, in : DALH, Øyvind ; JENSEN, Iben ; NYNÄS, Peter (Eds.), Bridges of understanding. Perspectives on inter-cultural communication. A reader, Oslo : Oslo Academic Press, 2006, pp. 101-113 (voir p. 102).
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[4]
Nous affirmons par ailleurs que nous sommes tous “conditionnés” par ces éléments. Voir DERVIN, Fred, “Reflections on the deconditioning of language specialists in finnish higher education”, in : DERVIN, Fred ; SUOMELA-SALMI, Eija (Eds.), Intercultural communication and education communication et éducation interculturelles, Bern : Peter Lang Verlag, 2006, pp. 105-125.
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[5]
Pour une analyse exhaustive des constructions de soi et de l’Autre d’étudiants français en situation de mobilité en Finlande, voir DERVIN, Fred, Métamorphoses identitaires en situation de mobilité, Turku : Presses Universitaires de l’Université de Turku, 2008, 284 p.
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[6]
Cf. ILLMAN, Ruth, “Stereotypes : the symbolic image of the other”, art. cité.
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[7]
Comme le montre la chercheuse Sherry Turkle, on ne peut pas toujours faire confiance à ceux qui laissent un message sur un forum car leurs messages sont en général anonymes et ils ont parfois tendance à se cacher derrière un masque ; par exemple, un Finlandais peut se dissimuler sous un masque français ou vice-versa. Donc l’identification des internautes n’est pas toujours sûre à 100 %. En outre, le contenu des messages peut être pris au pied de la lettre ou de façon ironique, et il est parfois difficile de décider du parti à prendre. Voir TURKLE, Sherry, The second self : computers and the human spirit, Cambridge : MIT Press, 2005, 372 p.
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[8]
Les extraits du site sont conservés tels quels. Les “erreurs de langue” n’ont été corrigées que lorsqu’elles gênent la compréhension et sont indiquées entre crochets.
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[9]
Le gras est de notre fait.