Notes
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[*]
Journaliste, critique, membre du Conseil d’administration de l’Institut Panos, Paris.
-
[1]
Voir HARGREAVES, Alec G., “L’immigration au prisme de la télévision en France et en Grande-Bretagne”, Migrations Société, vol. 4, n° 21, mai-juin 1992, pp. 19-29 [NDLR].
-
[2]
Voir à ce sujet l’enquête conduite par le CIEMI en 1991, CENTRE D’INFORMATION ET D’ÉTUDES SUR LES MIGRATIONS INTERNATIONALES, Présence et représentation des immigrés et des minorités ethniques à la télévision française. Enquête ARA, 16-30 octobre 1991, Paris : CIEMI, 1991, 89 p. ; PEROTTI, Antonio, “Immigration et télévision : conclusions d’une enquête”, Migrations Société, vol. 3, n° 18, novembre-décembre 1991, pp. 39-56 ; BATTEGAY, Alain ; BOUBEKER, Ahmed, Les images publiques de l’immigration : média, actualité, immigration dans la France des années 80, Paris : Éd. CIEMI-L’Harmattan, 1993, 191 p. ; PRENCIPE, Lorenzo, “L’image média-tique de l’‘immigré’ : du stéréotype à l’intégration”, Migrations Société, vol. 7, n° 42, novembre-décembre 1995, pp. 45-63 [NDLR].
-
[3]
Fonds d’action sociale pour les travailleurs migrants, devenu successivement FASILD (Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations), ANCSEC (Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances), puis ACSÉS. En ce qui concerne les magazines spécifiques financés par le FAS, voir HARGREAVES, Alec G., “Télévision et intégration : la poli-tique audiovisuelle du FAS”, Migrations Société, vol. 5, n° 30, novembre-décembre 1993, pp. 7-22 [NDLR].
-
[4]
Le Club Averroès, observatoire de la diversité dans les médias, regroupe près de 300 professionnels des médias et du spectacle autour des questions liées à la promotion de la diversité dans les médias français. Voir www.http://club.averroes.free.fr
-
[5]
Voir LOCHARD, Guy (coordonné par), “Minorités visibles”. Dossier, MédiaMorphoses, n° 17, septembre 2006, Paris : INA-Éd. Armand Colin, 143 p., www.ina.fr/mediamorphoses
-
[6]
Il faut également rappeler que Michel Reinette, d’origine guadeloupéenne, a présenté le journal régional Île-de-France de FR 3 dans les années 80-90.
-
[7]
Voir note 9.
-
[8]
Voir HUMBLOT, Catherine, “Les émissions spécifiques : de ‘Mosaïque’ à ‘Rencontres’”, Migrations Société, vol. 1, n° 4, août 1989, pp. 7-14 [NDLR].
-
[9]
Voir, dans ce même dossier, la contribution d’Édouard Pellet, p. 251.
-
[10]
Réseau France outre-mer.
-
[11]
Voir CLUB AVERROÈS, Bilan sur la diversité dans les médias audiovisuels français. De novembre 2005 à octobre 2006, Rapport, Paris : Club Averroès, octobre 2006, 30 p.
1 La problématique de la présence et de la représentation des “minorités” — ou de la “diversité”, pour reprendre la terminologie “républicaine” autorisée — à la télévision, est une question récente. La France a été un des derniers grands pays de l’Europe à se préoccuper de la question, y compris du côté de la recherche, si on compare avec les travaux britanniques, allemands ou américains [1].
2 Si la prise de conscience, aujourd’hui, est incontestable et les progrès visibles depuis quatre ou cinq ans, il reste beaucoup à faire, du point de vue qualitatif surtout.
3 Il convient de faire trois remarques avant d’entrer dans le détail des actions entreprises par les grandes chaînes publiques et privées pour remédier à la sous-représentation des Français issus de l’immigration [2].
- Ce n’est pas à l’initiative des chaînes de télévision que la présence des minorités a commencé à progresser sur les écrans, quoi qu’il faille nuancer l’affirmation en rappelant que la troisième chaîne publique a tout de même été la première à diffuser des magazines spécifiques pour les immigrés (financés par le fas [3]). Combien d’années de polémiques, de colloques, de tensions, de passion, d’enquêtes menées par des chercheurs (sociologues essentiellement), relayées ensuite par les médias, pour convaincre qu’il y avait sous-représentation de la “diversité”, autrement dit une discrimination à l’égard de certaines “communautés” dans les programmes ! Il aura fallu l’action de diverses associations de défense des minorités comme le collectif Égalité, le Club Averroès [4], le capdiv (Cercle d’action pour la promotion de la diversité en France), le cran (Conseil représentatif des associations noires) ou le Club XXIe siècle pour que des organismes et institutions publiques (le Conseil supérieur de l’audio-visuel, le Haut Conseil à l’intégration, le Fasild…), puis l’État prennent le relais et introduisent des modifications dans les cahiers des charges et dans les conventions des chaînes publiques et privées.
Sans faire l’historique du rôle joué par les uns et les autres, disons que la prise en compte de la diversité de la société française à la télévision a été le fruit d’une lutte intense qui a mis en jeu la société civile, les institutions publiques, le pouvoir politique et le chef de l’État. Le processus a été lent, long et difficile, alourdi par les polémiques sur les quotas, le communautarisme, la terminologie. On est en République française et on ne peut employer n’importe quels mots. Pour les associations de défense des minorités noires et arabes, comme pour la communauté des chercheurs, c’est un obstacle. Comment dénoncer si on ne peut pas quantifier ? Et comment quantifier ce qu’on ne peut nommer ? Les chaînes se sont mises malgré tout à bouger, chacune à sa façon, mais il faudra les émeutes de novembre 2005 dans les banlieues pour convaincre les plus hautes instances gouvernementales de l’urgence des réformes et pour que le président Jacques Chirac décide de réunir les directeurs des chaînes pour leur demander d’accélérer le mouvement. - Malgré les progrès réels, ce qui frappe quand on regarde la télévision, c’est à quel point l’effort est parcellaire, discontinu. La représentation des minorités (pardon, de la “diversité”) reste chaotique, aléatoire, non intégrée. Comme si la télévision française n’avait pas intériorisé la diversité de la société française telle qu’elle est aujourd’hui. La télévision française reste mentalement “blanche”, pour employer un mot volontairement incorrect. Il reste à faire, et même beaucoup ; on y reviendra.
- Dernière réflexion, qui laisse quand même un espoir. La situation change assez vite. C’est en mars-avril 2006 que nous avons effectué notre enquête auprès des chaînes françaises pour la revue Média-Morphoses, qui préparait son dossier sur les “minorités visibles”, avec une étude comparative sur plusieurs pays francophones [5]. Nous avons démarré notre travail, par hasard, le 5 mars 2006, le jour de l’annonce de la nomination de Harry Roselmack, en remplacement de Patrick Poivre d’Arvor, durant l’été, au journal télévisé de 20 heures de TF1. Nouvelle qui a fait l’effet d’une bombe dans le paysage audiovisuel français encore très pâlichon. Le premier journaliste noir aux commandes du journal télévisé le plus regardé de France ! Qui plus est sur une chaîne privée ! Même si la presse a glosé sur les raisons (politiques ?) de cette nomination, ce signal fort a contribué à mettre France Télévisions en position inconfortable. Le groupe public, qui se devait d’être exemplaire, se montrait en retard. Patrick de Carolis, son président, a cru devoir rappeler aussitôt la promotion d’Audrey Pulvar, journaliste également d’origine martiniquaise, sur le 19/20 de France 3 en septembre 2005 [6], et sa volonté d’amplifier le Plan d’action positive pour l’intégration (papi) lancé en janvier 2004 par son prédécesseur, Marc Tessier [7].
Depuis avril 2006 en tout cas, la situation a continué d’évoluer pour certaines chaînes comme le révèle une autre étude, réalisée par le Club Averroès, de novembre 2005 à octobre 2006 (donc terminée six mois plus tard après la nôtre). Ses observations permettent de constater de nouveaux changements sur M6, par exemple. Il faut donc se garder de tout jugement définitif. Le dossier n’est pas refermé.
Que font les chaînes ?
5 Alors… qu’ont fait, que font les chaînes pour améliorer la présence et la représentation de la diversité de la société française, autrement dit celles des minorités visibles, jusque-là invisibles, à la télévision française ? Nous sommes allée voir TF1, France Télévisions, Canal + et M6 en mars et avril 2006. Nous n’avons pas contacté Arte, parce qu’en tant que chaîne franco-allemande, elle n’était pas soumise aux mêmes règles et obligations que les chaînes hertziennes françaises. Nos questions ont été essentiellement les suivantes : « Pensez-vous que la télévision ait une responsabilité particulière concernant la représentation de la diversité de la société française ? Si oui, quand en avez-vous pris conscience ? », « Quels dispositifs avez-vous mis en place pour améliorer la présence des minorités dans les programmes et au niveau de l’embauche ? », « Que pensez-vous des quotas ? ».
6 Bien qu’ayant travaillé pendant pas mal d’années au Monde sur le dossier de la représentation des immigrés à la télévision avant de passer à celui de la présence et de la représentation des Français issus de l’immigration, cette enquête nous a réservé quelques surprises. Car il peut y avoir une différence entre ce que l’on perçoit à l’écran et ce qui se passe “à l’arrière”. De manière générale, les chaînes ont très peu communiqué sur ce dossier, même si elles ont mis en place une politique. Toutes ont déclaré être contre l’établissement de quotas.
TF1
7 Première surprise : c’est TF1, chaîne privée, avec sa filiale lci, qui a été la première à agir, même s’il ne faut pas oublier, répétons-le, que France 3, chaîne publique, a toujours eu une politique particulière concernant l’immigration (c’est elle qui a diffusé, dès la fin de l’année 1976, le premier magazine destiné aux immigrés, Mosaïque, suivi par d’autres, Ensemble aujourd’hui, Rencontres… et l’excellent SagaCités, qu’elle a ensuite supprimé) [8].
8 À TF1, l’initiative a été prise au plus haut niveau. Étienne Mougeotte (vice-président de la chaîne en mars 2006) et Édouard Boccon-Gibod (alors directeur de la communication du groupe) ont pris conscience « dès 1998 », disent-ils, d’une responsabilité particulière de la télévision, c’est-à-dire un an avant le “coup de gueule” du collectif Égalité (quand l’écrivain Calixthe Beyala a dénoncé la sous-représentation des Noirs à la télévision, exigeant des quotas et menaçant de boycotter les portables de Bouygues, propriétaire de TF1, si la chaîne continuait à ignorer cette partie de la population). En mars 2006, Édouard Boccon-Gibod explique ainsi l’origine de leur évolution : « La genèse, pour nous, c’est l’explosion du mythe black-blanc-beur. Mythe sur lequel on a surfé toute l’année après la victoire de l’équipe de France à la Coupe du monde. On a vite vu que la société française ne suivait pas ce slogan médiatique ».
9 Les deux responsables de TF1 rencontrent le collectif Égalité en 1999. Rencontre qu’ils qualifient de « fondatrice ». « Calixthe Beyala et les différents membres du collectif ont fait part de leur préoccupation qui a rejoint la nôtre. L’analyse à laquelle on est arrivé à TF1 était que la télévision était en train d’instituer un divorce entre la population française et les populations d’origine antillaise, africaine, maghrébine, pouvant conduire à une sous-consommation des émissions proposées par les chaînes, dont TF1, alors que nous avons pour ambition de rassembler tous les publics ». Le collectif fait également partager à la première chaîne « l’idée que devant la crise des institutions et de la société civile, la télévision a un rôle fondamental à jouer de reconstitution du lien social ».
10 Les termes sont extrêmement intéressants ; ils ne disent pas explicitement, mais on peut le comprendre, que l’audience a également tout à gagner de ce nouveau public qui a sa part dans le budget octroyé aux émissions via la publicité. Les deux responsables de TF1 discutent avec le collectif Égalité assez régulièrement (jusqu’à la présidentielle de 2002), puis avec le Club Averroès, le Club XXIe siècle, le capdiv, le cran. Ils diversifient leurs interlocuteurs pour réfléchir à la question du que faire et comment.
11 Étienne Mougeotte et Édouard Boccon-Gibod décident d’une politique volontariste, en intervenant secteur par secteur (comme France Télévisions le fera plus tard). Ils commencent par les mesures les plus rapides à mettre en place, dont les résultats sont immédiatement visibles : les jeux. Ils écrivent aux producteurs du Big Deal, du Maillon faible, etc., pour qu’ils améliorent « considérablement » la visibilité du public et des candidats. Plus tard, il sera demandé à Attention à la marche d’organiser une semaine couple mixte.
12 Même type d’initiative avec la télé-réalité (avec le succès qu’on connaît), où il faut que les castings soient représentatifs de la France dans sa diversité.
13 Les dirigeants s’attaquent ensuite au chantier, « plus long, plus difficile », de la fiction. Ce n’est pas tout à fait une première. TF1 a déjà diffusé des séries dans lesquelles des acteurs noirs jouent des policiers (Jacques Martial dans la série Navarro en 1989, Mouss Diouf dans Julie Lescaut en 1992), mais il s’agissait toujours de rôles secondaires, liés à des thèmes anxiogènes (délinquance, dealers, etc.). Producteurs et scénaristes, chefs de casting sont invités à repérer des comédiens, à penser à des premiers rôles (positifs, personnages identitaires). La chaîne commence à travailler avec des réalisateurs et des auteurs pour créer un club de scénaristes où des jeunes issus des populations immigrés se formeraient, le temps de voler de leurs propres ailes.
14 Côté sport et information, TF1 décide de prendre des mesures “offensives”. Au service des sports, le groupe embauche systématiquement des jeunes journalistes représentatifs de la diversité, visibles à l’antenne ou non (présentateurs, mais aussi journalistes reporters d’images, ingénieurs du son…). À lci, Jean-Claude Dassier repère et teste des jeunes professionnels (dans les radios locales, les chaînes câblées) qui ensuite peuvent basculer sur la chaîne mère : « On a fait de la discrimination positive à la rédaction de TF1 pendant deux ou trois ans, estime Édouard Boccon-Gibod. On n’a pas fait entrer de nouveaux journalistes s’ils n’étaient pas noirs ou maghrébins ». Selon les dires de TF1, non vérifiés, 10 % des effectifs de la rédaction seraient issus des minorités visibles (soit une trentaine de personnes sur un effectif de 260).
15 TF1 propose des contrats de qualification : six mois en formation dans une école de journalistes, payés par TF1, six mois à TF1, le tout pendant trois ans, suite à quoi ces candidats sont embauchés ou non. S’ils ne le sont pas, ils auront bénéficié d’une formation, fait valoir la direction. Parmi les avantages d’intégrer des journalistes issus de la diversité, la chaîne évoque la réflexion à long terme que cela enclenche sur le contenu de l’information. La journaliste Amel Arfaoui a d’ailleurs lancé un cercle de réflexion en interne au sein de la chaîne.
16 Pourquoi TF1 n’a-t-elle pas mis en avant cette politique d’intégration ? Les responsables de la première chaîne répondent qu’ils préféraient avancer tranquillement, avant d’ajouter : « Et parce qu’aucun journaliste ne tient à se balader dans les couloirs de TF1 avec la pancarte : “Je suis l’Arabe de service” ».
France Télévisions
17 Nous ne nous étendrons pas ici sur France Télévisions, nous laissons à Édouard Pellet, délégué Intégration et Diversité du groupe, le soin d’expliquer l’histoire et la stratégie de ce dernier [9]. En résumé, cependant, pour être juste, TF1 n’a pas été la première chaîne à engager des journalistes issus de la diversité pour présenter des journaux télévisés nationaux. Rachid Arhab a en effet présenté le journal de 13 heures de France 2 à la fin des années 90 et Audrey Pulvar le Soir 3 en septembre 2004, avant le 19/20 de France 3 en septembre 2005. France 2 et France 3 ont également diffusé des documentaires, des fictions, des feuilletons traitant de l’immigration, des minorités (Fatou la Malienne, 6e gauche…).
18 Malgré ses pesanteurs, la holding publique, qui regroupe France 2, France 3, France 4, France 5, rfo [10], a été la seule à mettre en œuvre un papi, inaugurant un travail de fond méthodique. Fin 2002, donc tardivement, le président du groupe, Marc Tessier, nomme un chargé de mission, Édouard Pellet, pour mener un travail de réflexion pendant six mois. « On nous dit qu’on est en retard », lui confie-t-il. Le rapport, résultat d’un audit, fait état d’une « sous-représentation » des minorités au sein du service public et propose un ensemble de mesures. Le papi, officialisé le 28 janvier 2004, poursuivi et amplifié par le successeur de Marc Tessier, Patrick de Carolis, prévoit trois directions : le contenu des programmes, la ligne éditoriale des chaînes et les ressources humaines (il sera ajouté plus tard l’éthique et le politique), avec pour principes qu’il n’est pas question de quotas et qu’il faut garder une relative discrétion. Dans chaque chaîne, une cellule programme se réunit tous les deux mois et demi pour évaluer les efforts. Les bilans sont transmis à la présidence.
19 En matière de programmes, la méthode est proche de celle de TF1. Lettres envoyées aux producteurs des émissions de flux — jeux, magazines, talk-shows — afin que ceux-ci intègrent dans le public, parmi les candidats et les invités, des personnes représentatives de la France dans sa diversité. D’autres lettres sont envoyées aux producteurs de documentaires et de fictions pour qu’ils pensent à des héros positifs, moins stéréotypés, à des projets parlant de l’histoire et de la mémoire des populations issues de l’immigration, propices à une meilleure intégration, pour qu’ils engagent des acteurs issus de la diversité, etc.
20 Qui freine ? Pourquoi les choses avancent-elles si lentement ? On sait en tout cas qu’à la suite des violences urbaines de novembre 2005, Jacques Chirac a cru devoir rappeler aux présidents de toutes les chaînes, y compris celles de France Télévisions, la nécessité d’accélérer le mouvement, avant d’annoncer, parmi différentes mesures susceptibles de faire progresser le dossier, l’augmentation du budget fiction de rfo, la diffusion de France Ô sur la tnt, télévision numérique terrestre (pour le public en France), et la création d’un fond d’aide à la création de 6 millions d’euros pour des projets spécifiques.
21 Au chapitre de la politique éditoriale, le papi prévoit des actions en profondeur, dont la sensibilisation des personnels et cadres au contenu de cette réforme, des séminaires de réflexion pour les journalistes, des rencontres entre les producteurs, les scénaristes et les responsables des unités fiction et documentaire, tandis qu’une charte de l’antenne précise les règles éthiques pour tous. Côté ressources humaines, le pôle public, qui se veut exemplaire, signe la Charte de la diversité, l’accord-cadre avec l’État pour favoriser la diversité dans le recrutement (stages, contrats de qualification, contrats en alternance, formations-passerelles à destination des jeunes issus des quartiers défavorisés et de l’immigration ), via une politique de partenariat avec des écoles de journalistes comme l’ipj (Institut pratique du journalisme), ou de techniciens, ou avec celle de Sciences Po. Ou plus récemment encore à travers le projet Equal Pluriel-Médias. Édouard Pellet détaillera le contenu de ces différentes initiatives qui s’inscrivent dans le cadre des lois françaises (contre les discriminations en 2001, pour la cohésion sociale en 2005, sur l’égalité des chances en 2006) ou des directives européennes.
Canal +
22 À Canal +, on aime dire qu’il n’y a pas eu de prise de conscience d’une responsabilité particulière de la télévision à un moment donné pour une raison simple : « La prise en compte de la diversité a été une constante de la chaîne depuis ses débuts, sans que ce soit théorisé », déclare Sophie Kopaczynski, chef de cabinet du président, avant d’ajouter avec un brin d’ironie : « On n’a pas attendu des décrets ! ». Si Canal + s’est trouvé être le porte-flambeau de la génération black-blanc-beur, c’est parce que la chaîne « a toujours eu un public jeune avec lequel elle est en phase naturellement », ajoute Antoine Banet-Rivet, directeur de la communication institutionnelle et interne du groupe : « S’il y a des gens comme Jamel Debbouze, Maurad, Omar et Fred — [ils] sont venus à la fin des années 1990 — c’est parce qu’ils avaient du talent, non parce qu’ils représentent une minorité ».
23 La chaîne va repérer les talents dans les cafés-théâtres, les petites salles de spectacle ; elle a ce qu’elle appelle une “cellule de veille” et fait des castings deux fois par an.
24 Hostile à l’idée de devoir donner des directives aux producteurs de fiction et aux producteurs de magazines (« Les Guignols ont un public naturellement métissé »), la chaîne cryptée admet en revanche pouvoir faire mieux sur la question du recrutement. Canal + s’est posé des questions sur ses pratiques après la rencontre avec Jacques Chirac fin 2005 à l’Élysée : la chaîne a effectué un audit et constaté qu’au service des sports, par exemple, « sur cent cinquante personnes, il n’y en avait que deux issues de la diversité, ce n’est pas assez ». La chaîne a donc décidé de corriger : « À i<tele, Bernard Zekri, directeur de l’information, a reçu systématiquement des candidats issus des minorités », expliquent les responsables.
25 La chaîne cryptée a signé la Charte de la diversité et rencontre le Club Averroès pour discuter. En mars 2006, la direction songeait à créer un poste de coordinateur pour travailler sur la transversalité.
M6
26 On ne trouve personne chargé de ce dossier à M6 (du moins au moment de notre enquête), bien que la chaîne se dise impliquée dans la question des minorités visibles : pas question de quotas, mais une forte volonté que les programmes soient représentatifs, affirme-t-on au service de presse de la chaîne.
27 M6 revendique avoir été la première à avoir mis à l’écran des comédiens noirs dans la série américaine Cosby Show en 1988. Elle a également produit et diffusé une série française écrite par des auteurs d’origine maghrébine (La famille Ramdam au début des années 90). De même, le service de presse fait remarquer que la chaîne observe la diversité dans pas mal de fictions, avec des premiers rôles donnés ou à venir (Faudel dans Samy le pion, Sonia Rolland dans Léa Parker, Stomy Bugsy dans Anna Meyer, Pascal Légitimus dans Les tricheurs, Édouard Montoute dans Alice et Charlie…). Différents tournages sont en cours.
28 La chaîne signale également l’arrivée d’animateurs comme Charlie Nestor et Magloire, de journalistes comme Aïda Touhiri (dans Blog 6). Mais c’est surtout du côté de la télé-réalité que l’évolution se manifeste le plus : Loft Story, Pop Stars, La Nouvelle Star, Bachelor font largement appel à des candidats français issus des minorités.
Bilan
29 Que dire en conclusion ? L’enquête n’a pas été facile auprès des chaînes : beaucoup de non-dits, rétention d’information de la part de certaines, sans qu’on sache toujours pourquoi : on parle “sur la pointe des pieds”, off record, on donne des chiffres qu’il ne faut pas répéter, attention aux mots ! La loi républicaine bloque le débat davantage qu’elle ne l’aide. Il faut aller plus loin.
30 Malgré les progrès — reconnus aussi bien par les collectifs de défense des minorités que par le csa, Conseil supérieur de l’audiovisuel (qui a autorité pour demander une fois par an aux chaînes de faire le bilan de leur action dans ce domaine), les chercheurs et les médias — il reste beaucoup à faire. Alors que les enquêtes quantitatives se sont multipliées pour mesurer et apprécier la présence des “minorités visibles” à l’écran, on manque curieusement d’études qualitatives pour juger des effets et réfléchir sur le contenu.
31 Certes, il y a davantage de documentaires, de magazines, de fictions qui parlent des Français issus de l’immigration. Les chaînes de télévision parlent des jeunes des cités, des banlieues, de l’islam, de l’intégration, mais reste à savoir comment. À quoi sert de programmer des magazines qui traitent de ces questions si c’est pour répéter les mêmes stéréotypes, tenir les mêmes propos stigmatisants ? Qui parle ? Qui est invité ? Voilà des questions importantes. Dans sa dernière étude, le Club Averroès met également l’accent sur le danger de focaliser l’attention sur des thèmes uniquement polémiques (anxiogènes) et promeut la banalisation (assurée pour l’instant par la télé-réalité) [11].
32 Un autre point sur lequel il nous paraît nécessaire de se pencher est celui de la fiction. Quelles histoires sont racontées ? Quels rôles sont donnés aux comédiens ? La fiction est un enjeu central, parce que c’est là que se fabrique l’imaginaire commun d’un peuple, que la connaissance de l’Autre se fait dans l’empathie, le partage. Mais pour qu’il y ait de bonnes fictions, débarrassées des clichés usés et usants, il faut qu’elles soient pensées, écrites, réalisées par des auteurs issus de la diversité. Et pour détecter ces talents susceptibles d’apporter ces nouveaux regards de l’intérieur, il faut qu’il y ait à la tête des unités de programmes, des responsables issus de la diversité. Et là, on retombe sur le point essentiel, stratégique ; le recrutement dans tous les secteurs d’une chaîne (administration, production, postes artistiques, postes de direction) de la “diversité”. C’est un enjeu démocratique.
Notes
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[*]
Journaliste, critique, membre du Conseil d’administration de l’Institut Panos, Paris.
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[1]
Voir HARGREAVES, Alec G., “L’immigration au prisme de la télévision en France et en Grande-Bretagne”, Migrations Société, vol. 4, n° 21, mai-juin 1992, pp. 19-29 [NDLR].
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[2]
Voir à ce sujet l’enquête conduite par le CIEMI en 1991, CENTRE D’INFORMATION ET D’ÉTUDES SUR LES MIGRATIONS INTERNATIONALES, Présence et représentation des immigrés et des minorités ethniques à la télévision française. Enquête ARA, 16-30 octobre 1991, Paris : CIEMI, 1991, 89 p. ; PEROTTI, Antonio, “Immigration et télévision : conclusions d’une enquête”, Migrations Société, vol. 3, n° 18, novembre-décembre 1991, pp. 39-56 ; BATTEGAY, Alain ; BOUBEKER, Ahmed, Les images publiques de l’immigration : média, actualité, immigration dans la France des années 80, Paris : Éd. CIEMI-L’Harmattan, 1993, 191 p. ; PRENCIPE, Lorenzo, “L’image média-tique de l’‘immigré’ : du stéréotype à l’intégration”, Migrations Société, vol. 7, n° 42, novembre-décembre 1995, pp. 45-63 [NDLR].
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[3]
Fonds d’action sociale pour les travailleurs migrants, devenu successivement FASILD (Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations), ANCSEC (Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances), puis ACSÉS. En ce qui concerne les magazines spécifiques financés par le FAS, voir HARGREAVES, Alec G., “Télévision et intégration : la poli-tique audiovisuelle du FAS”, Migrations Société, vol. 5, n° 30, novembre-décembre 1993, pp. 7-22 [NDLR].
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[4]
Le Club Averroès, observatoire de la diversité dans les médias, regroupe près de 300 professionnels des médias et du spectacle autour des questions liées à la promotion de la diversité dans les médias français. Voir www.http://club.averroes.free.fr
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[5]
Voir LOCHARD, Guy (coordonné par), “Minorités visibles”. Dossier, MédiaMorphoses, n° 17, septembre 2006, Paris : INA-Éd. Armand Colin, 143 p., www.ina.fr/mediamorphoses
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[6]
Il faut également rappeler que Michel Reinette, d’origine guadeloupéenne, a présenté le journal régional Île-de-France de FR 3 dans les années 80-90.
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[7]
Voir note 9.
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[8]
Voir HUMBLOT, Catherine, “Les émissions spécifiques : de ‘Mosaïque’ à ‘Rencontres’”, Migrations Société, vol. 1, n° 4, août 1989, pp. 7-14 [NDLR].
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[9]
Voir, dans ce même dossier, la contribution d’Édouard Pellet, p. 251.
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[10]
Réseau France outre-mer.
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[11]
Voir CLUB AVERROÈS, Bilan sur la diversité dans les médias audiovisuels français. De novembre 2005 à octobre 2006, Rapport, Paris : Club Averroès, octobre 2006, 30 p.