1895 2020/3 n° 92

Couverture de MHC_092

Article de revue

Paris en chantier : exhumer le carnaval par le trou des Halles

Pages 84 à 110

Notes

  • [1]
    Mikhaïl Bakhtine, l'Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance (trad. du russe par Andrée Robel), Paris, Gallimard, coll. Tel, 1970, p. 316.
  • [2]
    Nous aurions pu aussi citer le Chat, de Pierre Granier-Deferre (1971) qui prend pour décor les chantiers de Courbevoie qui accueilleront plus tard la Défense. Mais dans un souci de concision nous avons choisi de nous concentrer sur le quartier des Halles et son fameux « trou ». Le trou apparaît également furtivement dans le Locataire de Roman Polanski (1976).
  • [3]
    Outre les films, nous avons recouru pour cette étude aux scénarios qui sont tous deux consultables : Marco Ferreri, « Custer », Paris, 1973, scénario original déposé à la Cinémathèque française dans le Fonds Simon Mizrahi [MIZRAHI75-B13] ; René Goscinny, Pierre Tchernia, « Les Gaspards », Paris, 1974, scénario original déposé à la Cinémathèque française dans le Fonds François Truffaut [TRUFFAUT67-B62].
  • [4]
    Néanmoins issu d'une famille ayant fui le tsarisme avant la révolution de 1917.
  • [5]
    Selon les chiffres de JP's Box Office, disponible à l'adresse : http://jpbox-office.com
  • [6]
    11 diffusions à la télévision entre 1995 et 2011 contre 30 pour le Viager de 1997 à 2019 (source INAthèque).
  • [7]
    On retrouve la trace d'une diffusion sur Ciné+ Classic dans le cadre d'une soirée spéciale Ferreri le 30 novembre 2018.
  • [8]
    Noël Simsolo, Cours de cinéma, 28 novembre 2013 au Forum des Images : https://www.dailymotion.com/video/x183cz0
  • [9]
    Pour ce florilège critique nous avons utilisé les dossiers de presse du film réunis par la Cinémathèque française.
  • [10]
    Voir Jean-Louis Robert, Myriam Tsikounas (dir.), les Halles, images d'un quartier, Paris, Édition de la Sorbonne, 2004, qui évoque brièvement le tournage du film de Ferreri comme une parenthèse joyeuse. Idée reprise par le Journal de 13h de France 2 dans un sujet spécial « Mémoire d'écran : le ventre de Paris » diffusé le 21 septembre 2016. Le film de Tchernia n'est évoqué dans aucun des deux, probablement parce que son sujet n'est pas directement le chantier des Halles.
  • [11]
    Dans les commentaires du DVD, Tchernia révèle d'ailleurs qu'il avait imaginé cette péripétie comme une absurdité, et qu'un ami lui révélera plus tard qu'il y avait effectivement un projet de recouvrir le canal Saint-Martin, ce qu'il ignorait lorsqu'il écrivit le scénario.
  • [12]
    Et de la même manière que le mot « gaspards » est tiré de l'argot local désignant les rats, « apache » désignait vers 1900 les délinquants juvéniles parisiens. Voir Michelle Perrot, « Les “Apaches”, premières bandes de jeunes » dans les Ombres de l'histoire : crime et châtiment au xixe siècle, Paris, Flammarion, coll. Champs, 2003. Pour la place des « Apaches » au cinéma voir Alain Carou et Mathieu Letourneux, « Le cinéma des premiers temps et le “discours médiatique” du crime », 1895 revue d'histoire du cinéma, no 75, 2015 et l'exposition « Cinéma premiers crimes » (Galerie des bibliothèques de la ville de Paris, avril-juillet 2015).
  • [13]
    André Fermigier, la Bataille de Paris, des Halles à la pyramide, chroniques d'urbanisme, Paris, Gallimard, coll. Le débat, 1991.
  • [14]
    Ibid., pp. 90-91.
  • [15]
    Ibid., p. 213.
  • [16]
    Ibid., p. 228.
  • [17]
    Pieter Brueghel dit l'Ancien, le Combat de Carnaval et de Carême, 1559 (118x164,5 cm), Vienne, Kunsthistorisches Museum.
  • [18]
    Avant d'être stoppé par le choc pétrolier de 1974.
  • [19]
    Voir Camille Cantreux, Filmer les grands ensembles, Paris, Seuil, coll. Lieux Habités, 2014.
  • [20]
    Marco Ferreri, « Sur Touche pas à la femme blanche ! ou Pourquoi Custer au Halles, à Paris, en 1973 », Paris, 1973 (document dactylographié disponible à la Bibliothèque François Truffaut du Forum des Halles).
  • [21]
    Qui se cache sous l'identité du « professeur d'anthropologie Pinkerton » en référence à la célèbre agence de détectives privés créée en 1850, dont l'un des actes les plus notables fut l'infiltration des piquets de grèves en 1877.
  • [22]
    Est à noter, évidemment, la sortie de Little Big Man d'Arthur Penn en 1970 (1971 pour la sortie française). S'il aborde des thèmes très différents (guerre du Vietnam, racisme, etc.), ce film utilise également la figure de Custer comme élément carnavalesque. Le héros de l'Ouest est un homme arrogant, brutal et stupide. La sortie presque simultanée des deux films, ainsi que la réévaluation de l'histoire amérindienne depuis les années 1960, poussera les historiens américains à s'intéresser de plus près à la « légende », popularisée principalement par la veuve du général et Buffalo Bill.
  • [23]
    Marco Ferreri aurait sûrement ajouté « du Capital ».
  • [24]
    Michel Grégeois, « Pierre Tchernia » Cinéma [numéro et date inconnus], p. 61 (Dossier de presse les Gaspards 1973-1974 de la Cinémathèque française).
  • [25]
    Le scénario original prévoyait une fin différente, en forme d'écho avec le début du film où une sœur dans un couvent voit les navets du potager « disparaître » dans le sol : « Une île lointaine. Sous un soleil éclatant : des palmiers penchés, la mer, le sable. Et, une superbe fille noire, aux seins nus, tenant un panier sur la tête, vient faire la cueillette. Elle se penche : brusquement, les ananas rentrent sous terre, COMME SI QUELQU'UN LES TIRAIT PAR DESSOUS. La superbe fille s'enfuit, affolée, cependant que d'autres ananas continuent à disparaître de la même façon, au son d'une petite musique ironique... » (Plan 556, TRUFFAUT67-B62 p.130).
  • [26]
    Le scénario prévoyait même une forme d'humiliation révélant la sexualité débridée du personnage, quand celui-ci était repéré par Custer sortant d'un sex-shop, une pile de magazines pornographiques dans une main, un godemichet dans l'autre. ‪(Scène 43, MIZRAHI75-B13 P. 121-122). ‪
  • [27]
    ‪Le bien nommé « Helmutt Von Sturm und Drang ». ‪Le scénario prévoyait d'ailleurs une réplique en français de ce personnage : lorsque les gaspards évacuent les galeries, l'officier refuse de partir, affirmant qu'il est ici depuis 1940, ce à quoi Gaspard répond « Cher Helmutt, vous êtes le plus parisien de nous tous ! ». Dialogue sûrement jugé trop tendancieux pour l'époque.
  • [28]
    Le scénario prévoyait également sept nains sortant d'un tunnel et un accordeur de piano aveugle (Plan 306, p. 67 et plan 346, TRUFFAUT67-B62 p. 79).
  • [29]
    Pierre Tchernia admet dans les commentaires du DVD que l'expression « renverser un ministère », populaire dans les années 1930, était déjà désuète à la sortie du film.
  • [30]
    Wolfgang Kayser, The Grotesque, Boston, McGraw-Hill Book Company, 1966, p. 185.
  • [31]
    Ibid.
  • [32]
    Ibid., p. 188.

1« Montagnes et abîmes, tel est le relief du corps grotesque ou, pour employer le langage architectural, tours et souterrains. » [1]
Mikhaïl Bakthine

2Dans l'histoire des chantiers interminables, l'un des cas français les plus célèbres fut celui du « trou des Halles », creusé en 1971, qui restera béant pendant au moins huit ans, le temps que les pouvoirs publics se mettent d'accord sur le projet. Vécue comme une véritable agression (ainsi qu'une opération de gentrification fort peu subtile) par les habitants et dénoncée par certaines figures locales, comme les photographes Robert Doisneau et Jean-Claude Gautrand, la destruction du marché central de Paris laissa donc une gigantesque crevasse au milieu de la capitale française.

3Pourtant, malgré l'importance de l'événement, à ce « trou des Halles » semble se substituer un trou de mémoire. Sans recherche approfondie, il semble difficile aujourd'hui de trouver de simples informations sur ce chantier qui semblait à l'époque figé dans un présent perpétuel. L'expérience peut être faite à domicile : taper « trou des Halles » ou « destruction des pavillons Baltard » dans Google (ou tout autre moteur de recherche) nous mène facilement vers le vide. Quelques pages sur l'histoire du lieu, d'autres à vocations publicitaires (le lieu étant devenu un gigantesque centre commercial), ou quelques articles de presse sur les dernières polémiques immobilières correspondent à peu près à tout ce que l'on peut trouver.

4Au sujet du « trou » lui-même, retrouver des informations concrètes ou des témoignages semble difficile. La page Wikipédia sur le quartier des Halles y consacre une ou deux phrases et on tombe parfois sur une photographie de Robert Doisneau ou Jean-Claude Gautrand.

5Véritable fiasco dans la communication des pouvoirs publics, le projet de rénovation du quartier ne fut pas vraiment accueilli avec joie par les classes populaires, majoritaires en ces lieux. Les quelques archives (reportages de l'ORTF, presse et photographies) laissent peu de doute quant aux sentiments hostiles qui animent alors les Parisiens. La prise de décision sera unilatérale : il faut faire entrer Paris dans l'an 2000, de gré ou de force. Les Halles sont donc détruites au bulldozer durant l'été 1971. De retour de vacances, les Parisiens n'auront plus qu'une manière de se réapproprier le lieu : y jeter leurs ordures.

6Une image rare du trou dans sa totalité, vu du ciel, se trouve à la fin du film de Marco Ferreri Non toccare la donna bianca ! (Touche pas à la femme blanche !, 1973), un pastiche de western tourné en plein cœur de ce trou. Et de la découverte tardive de ce film est venue l'idée de « creuser » ce sujet. Comment le cinéma, par d'étonnants détours, réactive la mémoire de ce chantier gigantesque paradoxalement tombé dans l'oubli.

7Il est tout de même possible de retracer le cours des événements et de dégager un motif prégnant, presque un cliché : l'image d'une apocalypse à petite échelle ne peut que nous sauter aux yeux. Et c'est dans ce décor de fin du monde qu'émergent donc deux films : Touche pas à la femme blanche !, déjà mentionné, et les Gaspards de Pierre Tchernia, tous deux sortis la même année 1974 [2]. Deux comédies de surcroît, ce qui soulève d'autres questions, comme ce besoin de recourir aux formes du grotesque dans un objectif de dérision et d'inversion des rapports de domination [3]. Plus que l'épiphénomène du chantier, le lieu en lui-même cristallise un imaginaire populaire, où se rejoue une vision romantique du carnaval face à l'autorité opposant parfois les visions romantiques et haussmanniennes de la ville.

La comédie comme témoin

8C'est en plein cœur des travaux que sont tournés, montés et distribués ces deux films. S'inscrivant tous deux dans le registre de la fable et de la comédie, ils partagent ce même ressentiment face aux pouvoirs publics et leurs projets d'urbanisme.

9Touche pas à la femme blanche ! rejoue la bataille de Little Big Horn, donc la défaite du général Custer (Marcello Mastroianni) face aux Indiens menés par Taureau Assis (Alain Cuny). L'arrogant officier tombe également sous le charme d'une jeune aristocrate faussement puritaine (Catherine Deneuve), tout en étant (mal) épaulé dans son entreprise par un général cupide et dilettante (Philippe Noiret) et un Buffalo Bill délirant (Michel Piccoli). L'ensemble est tourné presque intégralement dans le trou et ses environs, laissant ainsi apparaître diverses machines de constructions modernes, à l'exception de la bataille finale, tournée (pour des raisons de sécurité) dans une carrière un peu plus loin.

10Les Gaspards raconte l'enquête du libraire Jean-Paul Rondin (Michel Serrault), historien du vieux Paris à ses heures (auteur d'un livre intitulé « Paris qui s'en va »), pour retrouver sa fille (Chantal Goya), enlevée par un étrange groupe hédoniste se faisant appeler « les gaspards », qui se cachent dans les souterrains de Paris pour fuir le bruit des travaux et de la circulation. Il rencontre alors Gaspard de Montfermeil (Philippe Noiret), chef de cette bande étonnante, qui mène une guérilla féroce contre le ministre des Travaux publics (Charles Denner), fonctionnaire arrogant qui s'identifie un peu trop à Napoléon. Le trou des Halles n'apparaît qu'une fois dans le film, mais les travaux qui entachent le « vieux Paris » restent tout de même le sujet.

11D'un côté un cinéaste italien (Ferreri) habitué des polémiques (le scandale de La grande abbuffata [la Grande Bouffe] sorti en 1973) qui voit dans l'évacuation du quartier populaire des Halles une dynamique similaire aux guerres indiennes qui agitait les États-Unis au siècle précédent. De l'autre un Français (Tchernia), plutôt discret sur ses opinions politiques [4], mais grande figure de l'ORTF et à peine sorti d'un énorme succès public, le Viager, deux ans plus tôt, qui représente plutôt une certaine image de la France conservatrice. Difficile d'imaginer deux figures plus différentes pour s'attaquer à un même sujet. Et quand Ferreri connaît avec ce film le plus gros échec de sa carrière (200 000 entrées), Tchernia obtient un beau succès (800 000 entrées), bien qu'inférieur à celui du Viager (plus de 2 millions de spectateurs) [5].

12La deuxième vie des films complexifie le tableau. Les Gaspards finira par être progressivement oublié, relégué dans l'ombre du précédent succès de Tchernia [6]. Il sera d'ailleurs très peu fait mention de la carrière cinématographique de « l'homme de télévision » qu'était « Monsieur Cinéma » lors de son décès en 2016, sauf pour parler de temps en temps du Viager. Touche pas à la femme blanche ! connaît en revanche un second souffle dans les cercles cinéphiles (jusqu'à une séance spéciale au Forum des images en 2013 commentée par le critique du cinéma Noël Simsolo, acteur dans le film), malgré très peu de rediffusions télévisuelles [7].

13Pour ce dernier il ne fait aucun doute que la critique de l'époque était passée complètement à côté du film de Ferreri. Selon lui, la presse (spécialisée ou non) n'y vit qu'une farce parfois amusante, souvent ratée, et il faudra attendre plusieurs années avant que le public ne prenne la pleine mesure de la fable ubuesque du cinéaste italien, et sa pertinence intemporelle.

14« À l'époque les gens n'ont pas compris, je pense qu'il fallait du temps. Il fallait avoir les dangers politiques qu'on a eu [...]. [Ferreri] avait fait un film prémonitoire... je dirais même prémonitoire sur ce quartier. » [8]

15Il est vrai qu'en replongeant dans les critiques de l'époque, il est difficile de retrouver la même ferveur pour Ferreri que celle qui animait la presse et le public devant le scandale provoqué par la Grande Bouffe l'année précédente [9]. Si certains témoignent de l'affection pour le film ou s'amusent devant « la glorieuse épopée de l'Ouest mise en pièces et en bandes dessinées par Gotlib pour Charlie Hebdo ou Hara-Kiri » (Jacques Doniol-Valcroze dans l'Express, 9 juillet 1975), beaucoup ne goûtent pas la plaisanterie. Le Point insiste sur « l'allégorie lourdaude, peuplée de fantoches [qui] nous laissent froids » (tout en notant le talent des acteurs) (21 janvier 1974) et François Chalais va jusqu'à reprocher aux comédiens de se prêter au jeu : « Quand il s'agit de femmes, passe encore [...]. Mais les hommes !... Quelle raison ont-ils de servir de gadget à la frénésie de quelques faux prophètes en mal de notoriété à tout prix ? [...]. En s'anéantissant eux-mêmes, c'est un peu de notre bonheur qu'ils ont dérobé » (le Figaro du 28 janvier 1974). Dans la même veine, la Croix en profite pour remettre le gauchisme à sa place : « Tel ou telle qui a fait carrière, grâce à son talent, bien sûr, mais également à cause de sa beauté, se roule avec un plaisir évident dans le moche, voire l'innommable. Pourquoi ? Pour se faire pardonner sa réussite “bourgeoise” ? Pour se dédouaner vis-à-vis des petits camarades prolos ? Mais les vrais prolos s'en f... ! Ils aiment les vrais personnages, eux ! Il n'y aura que l'intelligentsia sophistiquée, la gauche dorée pour applaudir au massacre. Et ceux-là n'ont jamais fait vivre, ni le cinéma, ni le théâtre » (11 février 1974).

16Le plus mesuré sur la question est peut-être le critique de France Nouvelle qui prophétise l'échec du film en le mettant face au succès de la Grande Bouffe : « La bourgeoisie adore toujours sa caricature individuelle ; elle déteste, ne se trouvant pas si laide, sa caricature sociale, trouvant toujours que la surcharge critique a été au-delà du plus beau sabre de sa vie, trouvant toujours sa critique plus réelle, trop partisane, puisqu'elle se situe de l'autre côté » (19 février 1974). Le film sera effectivement un four.

17Il est très peu question du chantier en lui-même dans ces textes. À l'exception de cette phrase de Louis Chauvet dans un autre article du Figaro : « Enfin l'argent dépensé ne sera pas tout à fait perdu ! Quand les générations futures seront en quête d'un documentaire sur les anciennes Halles de Paris, et sur leur destruction, trois ou quatre séquences de Touche pas à la femme blanche ! prendront une soudaine valeur. Le reste a peu de chance de passer à la postérité » (26 janvier 1974).

18Louis Chauvet laisse entendre que la valeur patrimoniale du film est due à une sorte de hasard, le dernier plan de Touche pas à la femme blanche ! semble affirmer le contraire. La caméra, embarquée dans un hélicoptère, remonte du champ de bataille pour donner un point de vue beaucoup plus large, laissant voir le « trou des Halles » dans sa totalité, ainsi que la ville qui l'entoure. Au fil du temps, ce plan final passe du statut d'instantané de l'époque à celui d'image vertigineuse, mettant le spectateur actuel face à une réalité qu'il avait oubliée, ou dont il n'avait jamais entendu parler. Chauvet ne s'y était donc pas trompé : le film de Ferreri est bien un précieux document sur le chantier des Halles, et c'est peut-être cette dimension « documentaire sans l'être » qui permit au film de survivre [10].

19Les Gaspards n'aura pas la même chance. Le film de Tchernia bénéficie pourtant d'un accueil critique plutôt favorable, beaucoup louant la « sagesse » de la réflexion du cinéaste sur la modernité galopante de l'époque. Le texte le plus virulent étant celui de la Croix qui taxe le film de « sympathique, mais légèrement réactionnaire » (18 février 1974). Louis Chauvet, dans le Figaro, laisse de côté sa verve conservatrice pour simplement pointer la répartition binaire des gags entre l'univers souterrain et le monde urbain, et la supériorité comique du second sur le premier (6 juillet 1974). Mais le plus curieux dans cette revue de presse reste que seul Albert Cervoni dans l'Humanité crée un lien direct entre les deux films : « Les Gaspards n'est pas sans avoir des mérites assez voisins de ceux de Touche pas à la femme blanche ! de Marco Ferreri » (16 février 1974). La critique reste donc en général bienveillante, et le public suit.

20La vision du problème de l'urbanisation par Tchernia semble en effet moins “critique” que celle de Ferreri. D'ailleurs, les Gaspards n'aborde jamais le problème des déplacements de populations ou des intérêts économiques de diverses parties (la RATP, l'État, etc.). Le seul drame du film est celui du patrimoine culturel détruit et réduit en pièces, pour laisser place à une modernité bien laide aux yeux du cinéaste. C'est ainsi que le ministre des Travaux publics veut construire deux gratte-ciel autour de Notre-Dame et bétonner la Seine [11] pour en faire une autoroute. Mais le « pourquoi » de cette obsession restera toujours mystérieux. Face à lui, le personnage de Philippe Noiret peut sembler plus proche de la bourgeoisie pointée du doigt par France Nouvelle, étrange mélange entre l'aristocrate déchu et le hippie, féru de musique classique et de guérilla sans but. Nous sommes assez éloignés du général ventru et cupide qu'il incarnait peu de temps avant chez Ferreri. À partir de là, il est évident pour les critiques que le film est une « fable » sympathique qui pousse à la réflexion, sans être trop agressive.

21Cette posture bienveillante (pour ne pas dire condescendante) envers les Gaspards peut expliquer en partie le peu de considération donnée par le temps qui passe. Il est évident que le film de Tchernia n'a pas eu à subir une fronde équivalente à Touche pas à la femme blanche ! et les mots les plus violents qui lui furent adressés ne sont pas comparables à l'ardeur des Chauvet ou Chalais à l'encontre du film de Ferreri.

22Pourtant les Gaspards semble également pensé comme un film « témoin », à la fois instantané d'un ras-le-bol populaire (le bruit des travaux), critique d'un modernisme absurde (les projets fous du ministre) et nostalgique du vieux Paris romantique des flâneurs du xixe siècle. Mais peut-être l'aspect « comédie populaire » trop marqué l'aura-t-il vite classé dans la catégorie des « divertissements » dont on loue les idées burlesques sans vraiment lui concéder un fond plus sérieux, bien qu'il partage avec le film de Ferreri un peu plus qu'une coïncidence spatio-temporelle [12].

La bataille de Paris : un chantier politique

23La destruction du marché des Halles, on l'a dit, ne fut pas bien accueillie par la population locale, mais le monde culturel ne fut pas moins abasourdi par cette opération immobilière parée de fonctionnalisme. André Fermigier, critique d'art au Nouvel Observateur, se fera un devoir de commenter, par des articles réguliers, l'évolution d'un projet qu'il réprouve et méprise. Rassemblées dans un recueil intitulé la Bataille de Paris[13], ces nombreuses critiques offrent un panorama précieux des événements, laissant transparaître le déni jusqu'à la destruction effective des pavillons.

24

De toute manière, on se résignerait mal à voir disparaître ce que le xixe nous a légué de meilleur, [...]. Détruire les Halles au moment où l'on achève Maine-Montparnasse, serait un symbole et un bilan bien sinistre [14]

25écrit-il en 1968, trois ans auparavant.

26Malgré l'intervention du banquier américain Orin Hein qui tente, sans succès, de racheter les pavillons (dont Fermigier parle dans son article « Le gendarme et l'Iroquois » du 28 juin 1971), la « basilique Baltard » sera détruite. Pour Fermigier, le vrai coupable n'est nul autre que le directeur de la RATP, Roger Belin : « Pourquoi ce grand trou et à cet endroit précis ? C'est que le directeur de la RATP en a décidé ainsi et les décrets de la RATP ne se discutent pas » [15]. Le 29 Juin 1971, le Conseil de Paris vote en faveur des travaux, le 30 juin une entreprise de démolition est choisie et le 6 septembre Fermigier écrit : « Les Pavillons ? N'en parlons plus. Dossier clos. Tout est par terre [...] on ne les démonte pas, on les casse, on les écrase, on les réduit en bouillie » [16].

27De cette destruction, le photographe Jean-Claude Gautrand immortalisera une image saisissante laissant voir la carcasse d'un pavillon pris dans un nuage de poussière. Une image d'apocalypse qu'il titrera « L'assassinat de Baltard ».

28Deux ans plus tard, Philippe Haudiquet dévoile un court métrage documentaire de sept minutes sobrement intitulé les Halles, Janvier 1973. Commençant par une courte interview d'une tenancière de café expropriée, le film laisse les cloches de Saint-Michel résonner sous la voûte des Halles (l'assimilant à un édifice religieux) et s'attarde ensuite sur les bouchers chargeant des carcasses de viandes et des têtes de cochons pour les emmener au nouveau marché de Rungis. Puis vient la destruction d'un bâtiment historique vue par les habitants du quartier, des images d'un chariot en feu pour finir sur l'image d'un mur de chantier, décoré de graffitis d'enfants. La caméra s'arrête sur un clown accompagné de ce texte : « Par l'École St Merri qui voulait représenter le combat entre la joie et la tristesse dans la ville ».

29Une image certes crépusculaire, mais qui n'est pas sans évoquer le Combat de Carnaval et de Carême, de Pieter Brueghel l'Ancien, peint en 1559 [17]. Tableau représentant la joute comique entre deux personnages métaphoriques : Carnaval, ventripotent et chevauchant un tonneau, et Carême, rachitique sur une chaise à roulettes, dans un décor de place publique, représentant deux états du monde qui s'opposent, mais se complètent.

30« Carnaval » signifierait étymologiquement « adieu à la viande », désignant les derniers jours où la consommation de celle-ci était autorisée avant le Carême. L'analogie de Haudiquet est assez évidente, lorsqu'il s'attarde longuement sur les carcasses envoyées loin du « ventre de Paris », pour laisser place à un chariot en feu, répandant une pluie de cendres évoquant aussi bien un décor apocalyptique que le Mercredi des Cendres annonçant le début de la période de privation. La « joie » prodiguée par le marché a laissé place à la tristesse populaire. Sentiment que semblent partager de nombreux Parisiens expropriés par les pouvoirs publics. Le film termine tout de même sur une note optimiste, avec ce dessin d'enfant souligné par une musique d'accordéon, annonçant un retour prochain de cette joie perdue.

31À l'aube du xxie siècle, il convenait « d'assainir » un quartier très populaire afin de permettre l'entrée de Paris dans l'an 2000. Le parallèle avec les grands travaux du Baron Haussmann au xixe siècle, dont le but à peine voilé était de chasser les classes laborieuses en périphérie de la capitale, est d'autant plus frappant. Mais le chantier des Halles n'est pas le seul à apparaître dans la capitale. Au cours des années 1960-1970, les pouvoirs publics semblent saisis d'une folie architecturale. Les projets « modernes et innovants » se multiplient dans le but d'adapter la topologie de la ville moderne à la démocratisation de la voiture. C'est l'époque du « Plan autoroutier pour Paris » lancé par le président Pompidou en 1967 qui donnera les voies sur berges [18], de la Tour Montparnasse, des tours de la Place d'Italie, puis des chantiers de Courbevoie qui donneront la Défense, visibles dans le Chat de Pierre Granier-Deferre (1971), où l'on retrouve une image similaire au documentaire de Philippe Haudiquet : des habitants assistant à la destruction de leur environnement.

32La production cinématographique témoigne d'une méfiance face à cette modernité imposée à marche forcée. Dans Mon Oncle (1958), Jacques Tati ironisait déjà sur la multiplication de gadgets technologiques à l'utilité toute relative. Tant qu'on a la santé (1966) de Pierre Etaix jouait également sur l'impossibilité d'avoir la paix au milieu de toute cette modernité. Gérard Pirès montra une image infernale des grands ensembles dans Elle court elle court la banlieue (1973) et la bande des Charlots détruisaient un supermarché dans le Grand Bazard (1973) de Claude Zidi. Touche pas à la femme blanche ! et les Gaspards s'inscrivent donc pleinement dans ce contexte de contestation d'une urbanisation débridée [19].

33Il ne faut donc plus grand-chose pour faire de ce trou un champ de bataille. C'est ce que fera Marco Ferreri pour qui la tranchée gigantesque évoque rien de moins qu'un décor de western. Le cinéaste italien y voit une occasion inespérée de jouer au cow-boy et aux Indiens.

34

Pourquoi un western ? Parce que je pense que nous vivons dans un climat de western. Parce que le western a toujours été l'énorme piège dans lequel nous sommes tombés depuis gosses. Le western exprime de façon simple et élémentaire les concepts : Dieu, Patrie et Famille. Je reprends ces concepts et je les fais éclater par le rire. [20]

35Cette note d'intention résume le principe du film qui devait à l'origine s'appeler simplement Custer. À partir du trou des Halles, Ferreri propose une vision totalisante de l'Histoire. Selon lui, les Indiens massacrés par Custer et les autres, sous les ordres du président Ulysse Grant, sont l'équivalent des travailleurs immigrés, des pauvres ou des ouvriers expulsés du quartier des Halles, voire de ceux qui furent chassés par le Baron Haussmann. Une intention qui apparaît dès le scénario, l'auteur plaçant ses séquences dans les lieux qui entourent le quartier (« Square des Innocents – Ext. Jour » page 20).

36Nous pouvons ainsi voir Custer et le Major Terry admirer la démolition d'un bâtiment et entendre le second déclarer :

37

Maudits Indiens ils restent là-dedans, je n'arrive pas à comprendre ce qu'ils veulent ! Comme des rats. [...]. La dynamite, ce serait plus commode, mais nous vivons dans un siècle trop vieux, trop religieux Custer...

38assimilant directement les Amérindiens aux populations déplacées. Les arcanes du pouvoir sont également similaires, avec ces hommes en costumes qui prennent leurs décisions loin du champ de bataille, et les intérêts économiques ne font que changer de nom. La compagnie du chemin de fer étant simplement devenue la RATP.

39Cette vision de l'histoire permet alors à Ferreri toutes sortes de fantaisies anachroniques : Custer arrive à la Gare de Lyon, au milieu des autres voyageurs. Le président américain n'est plus Ulysse Grant, mais Richard Nixon (nous sommes juste après le Watergate), auquel Terry rend hommage. Un agent de la CIA [21] (pourtant créée en 1947), traîne souvent autour des décideurs, et influence les discussions. Sans oublier bien sûr les différents engins de chantiers et échafaudages visibles dans le film.

40Le plus gros anachronisme reste peut-être la présence de Buffalo Bill (Michel Piccoli), homme de spectacle bouffon et grotesque, engagé par le gouvernement pour rendre acceptables les massacres perpétrés en leur donnant l'aspect d'une épopée héroïque. Le véritable William Cody, montera en réalité son célèbre spectacle, le Buffalo Bill Wild West, plusieurs années après le massacre de Little Big Horn. En revanche il participera à la légende de Custer, en mettant en spectacle son histoire, le présentant comme un héros tragique de la conquête de l'Ouest. C'est en mettant en scène celui par qui le mythe même du western s'est construit que Ferreri entend le dynamiter.

41Le western apparaît alors comme un « cheval de Troie » de la légende [22]. En brisant le mythe du western, Marco Ferreri emporte avec lui le principe de la destinée manifeste prônée par ce genre cinématographique très (trop) américain. Par effet de résonance, c'est la marche du progrès qui est stoppée nette par les Indiens coalisés, et donc la modernité, celle-là même qui donne des migraines aux Parisiens de 1974.

42Touche pas à la femme Blanche ! effectue ainsi de constants allers-retours entre passé et présent : les massacres d'hier sont perpétrés par les mêmes puissances qui tirent les ficelles aujourd'hui. Comme Ferreri le déclarera lui-même à Michel Delain dans l'Express :

43

L'Épopée, moi je m'en fous. Ce qui m'intéresse c'est d'étudier les rapports entre oppressés et oppresseurs. Mes Indiens représentent un sous-prolétariat à qui la civilisation bourgeoise ne veut même pas laisser un territoire en ruine. (21 janvier 1974)

44Malgré sa violence et son cynisme, la farce de Ferreri reste optimiste. Comme dans la réalité, Custer est tué à l'issue de la bataille. Dans la fiction, Buffalo Bill et le Général sont en fuite, et le fou (Serge Reggiani) déclare : « il y aura d'autres batailles à gagner comme celle-ci, [...]. Il y aura d'autres Custer à tuer ».

45Pierre Tchernia, de son côté, prend à bras le corps le problème des chantiers dans Paris pour composer une fable comique. En tant que tel le « trou des Halles » qui nous intéresse ici n'a finalement qu'un rôle parmi d'autres, tant les chantiers sont nombreux. Il n'est en vérité visible qu'une fois dans les Gaspards, au moment où le ministre des Travaux publics fait une allocution télévisée. Ce qui intéresse Tchernia, ce n'est pas tant la lutte des classes en lien avec un lieu en particulier menacé de destruction, c'est plutôt l'idée d'une capitale en proie aux travaux dans sa globalité.

46Son scénario prend donc la forme d'un gigantesque jeu de cache-cache entre les autorités, représentées par le ministre assisté d'un commissaire colérique (Michel Galabru), et cette communauté de « gaspards », vivant dans le réseau des souterrains de la capitale. Il ne s'agit pas tant d'une bataille (au sens d'un instant guerrier s'inscrivant dans un contexte plus large) que d'une guerre de position. Le ministre lance des chantiers, les ouvriers creusent des trous, les gaspards se déplacent, rebouchent les premiers trous, et tout recommence.

47Mais là où Ferreri reste au stade de la métaphore, Tchernia nomme directement l'événement, en mettant dans la bouche même du ministre des termes qui n'auraient pas déplu à Fermigier :

48

Le problème capital, c'est le problème de LA capitale [23]. Donnez-moi les armes nécessaires, et j'engage la bataille de Paris ! J'enveloppe Belleville par l'aile gauche, je fais sauter le verrou de la Contre-escarpe, je colmate le quai des Batignolles, je fais charger les bulldozers par la percée de l'Hôtel de Ville... Et je GAGNE la Bataille de Paris !

49Un monologue souligné par une musique martiale, déclamé par un personnage qui partage nombre de similitudes avec l'empereur Napoléon (petite taille, ambition, despotisme), dont il garde un portrait célèbre dans son bureau. Loin de l'image du rond de cuir habituellement donnée des politiciens, cette figure du pouvoir, interprétée avec beaucoup de fantaisie par Charles Denner (décrit dans le scénario comme un « éblouissant technocrate »), a tous les attributs du chef de guerre. Allant jusqu'à admirer un défilé de pelleteuses comme au Quatorze Juillet.

50Son adversaire n'est pas moins délirant. Aristocrate héliophobe, Gaspard de Montfermeil dirige la communauté des « gaspards ». Si le ministre ne parle que de béton, de goudron, et mange des pousses de soja au déjeuner, le « roi des rats » préfère la musique romantique (Schubert en particulier), le bon vin et la bonne nourriture. En somme, face à la modernité galopante du xxe siècle, Gaspard de Montfermeil défend le fantasme d'un art de vivre à la française. Un style de vie amené à disparaître, mais qui semblera plus séduisant pour l'historien dont nous suivons le parcours. Habillé de vêtements rappelant plutôt le xviiie siècle, en opposition au costume trois-pièces porté par le ministre, le personnage représente à lui tout seul l'idée de patrimoine culturel et nous retrouvons l'opposition bruegélienne entre Carnaval et Carême.

51C'est plutôt sur ce terrain-là que Tchernia mène sa bataille, ce qu'il assume d'entrée de jeu, en profitant du dialogue entre un libraire (Michel Serrault) et un client pour faire défiler des images du vieux Paris. Les événements qui nous intéressent prenant place seulement douze ans après la « loi Malraux » (4 août 1962), qui étendit la notion de patrimoine aux ensembles urbains historiques, le combat de Tchernia était loin d'être gagné. D'autant plus que cette loi reste très floue sur les modalités de classification des bâtiments à sauvegarder.

52Contrairement à Ferreri, le réalisateur des Gaspards semble peu optimiste quant à la suite des événements. Là où Custer finissait criblé de flèches, le ministre des Travaux publics trouve la cachette des « hommes rats », obligeant la communauté à fuir. L'homme d'État décide alors d'amener tous les engins de chantiers disponibles pour bétonner les galeries et créer d'immenses parkings souterrains. Certes, les engins sont en dessous et non plus à la surface, ils n'embêtent plus les riverains, mais cette petite victoire s'est faite sur le sacrifice d'un réseau de galeries gigantesques très appréciées des connaisseurs.

53À la différence de Ferreri, le Paris que défend Tchernia n'est pas celui des classes populaires, mais la vision romantique de la ville, ce qui peut expliquer en partie le besoin de certains critiques de qualifier le film de « conservateur ».

54Finalement, loin d'être un scandale local, l'affaire des Halles déborde rapidement de son « trou » et touche plusieurs imaginaires : témoin d'une furie capitaliste chez les uns, représentatif d'un manque de respect pour le patrimoine chez les autres. Face au drame, humain et historique, il ne semble rester que le carnaval pour contrer l'idéologie moderniste en marche.

Carnaval contre Carême, aliénation contre libération

55À l'image du fou philosophe joué par Serge Reggiani dans Touche pas à la femme blanche !, ou de Gaspard de Montfermeil, Marco Ferreri et Pierre Tchernia maquillent en farce (dans des registres tout de même différents) des angoisses bien réelles face à un monde moderne qu'ils n'arrivent plus à suivre. Et c'est justement dans le but d'exorciser ces angoisses qu'ils recourent tous les deux au carnavalesque et au grotesque.

56Pour les Gaspards, de nombreux critiques se sont amusés à dérouler une liste des grands auteurs français ayant probablement inspiré Tchernia. Nous en avons cité certains, Eugène Sue, Victor Hugo, Émile Zola (quoique la dimension sociale soit mise de côté), auxquels nous pouvons ajouter Jules Verne (Voyage au centre de la Terre, mais aussi Vingt mille lieues sous les mers, le capitaine Nemo étant explicitement cité dans le scénario pour décrire Gaspard de Montfermeil), Maurice Leblanc et Gaston Leroux (surtout le Fantôme de l'opéra). En bref, tout ce que la littérature du xixe et du début xxe siècles compte de célébrités.

57Par ce jeu de citations légitimées dans une comédie populaire, la démarche de Tchernia n'est pas sans écho avec la tradition carnavalesque largement développée par le théoricien soviétique Mikhaïl Bakthine, particulièrement le principe de « carnavalisation », soit l'intrusion des registres populaires dans un discours « élevé ». Sur un mode dialogique, plusieurs univers entrent en collision, ce qui permet de multiplier les motifs d'inversion, de détrônement et d'exagération. Ici, c'est la rencontre entre le Paris du xixe siècle, mis en image par la littérature, et celui du xxe, lu par le cinéma, qui permet à Tchernia d'apporter un regard aussi festif que critique sur cette question des grands travaux.

58L'un des points fondamentaux du carnavalesque, selon Bakthine, est la rupture de la frontière imaginaire entre « acteur » et « spectateur », donc entre le lecteur et l'univers de la fiction, mais aussi entre l'auteur, qui descend de sa position de démiurge, pour s'intégrer lui-même dans l'univers des personnages. Ici Pierre Tchernia, comme à son habitude, donne de la voix dans les Gaspards, récitant un texte faisant l'éloge de la politique des travaux publics :

59

Quand le bâtiment va tout va, dit la sagesse populaire ! Et pendant l'été, bulldozers et marteaux piqueurs ne manquent pas à Paris. [...] Les efforts du ministre, chacun peut les constater dans les rues de Paris.

60Le timbre de voix agréable de Tchernia résonne ainsi en off, sur des images des chantiers parisiens, comme s'il prêtait seulement sa voix à un extrait des actualités françaises (procédé narratif qu'il utilisait déjà dans le Viager). Il s'offre même le rôle (anecdotique) d'un gaspard et de son frère jumeau de la surface, facilitant le trafic entre les deux mondes.

61Le réalisateur se garde d'ailleurs bien d'émettre tout jugement tranché sur ce qu'il nous présente à l'écran. Ou du moins il reste prudent, comme lorsqu'il déclare à Stanislas Gregeois :

62

Je n'ai rien contre les quartiers neufs qui se construisent sur des espaces vierges [...]. Ce ne sont pas non plus les voitures qui roulent dans Paris qui m'attristent. Ce sont les voitures arrêtées, objets affreux, inutiles, comme des postes de télévision hors d'usage. Moi je suis partisan de la voiture dégonflable que l'on peut fourrer dans sa poche. Malheureusement, cette solution n'est pensable que dans les dessins animés.

63avant d'ajouter : « Ma sympathie pour les marginaux est grande, mais je me reconnais davantage dans le personnage qu'interprète Serrault. Monsieur Rondin, c'est moi » [24], soit le personnage qui fait le lien entre la surface et le sous-sol, entre la norme et la marge, trouvant un juste équilibre entre les deux.

64Dans les commentaires du DVD du film, Tchernia continue d'affirmer que le film n'est qu'une fantaisie, sans véritable fond de réalité. Ce sont pourtant les vrais chantiers qui sont visibles à l'écran, dont le « trou des Halles », ainsi que celui de la place d'Italie. Il est d'ailleurs facile de confondre l'un et l'autre à l'écran, preuve que tous ces espaces se ressemblent, ce qui ajoute à la confusion des Parisiens et permet quelques jeux comiques. C'est ainsi que dans le film, Rondin sera autorisé à regarder la surface dans un périscope, mais ne verra que d'autres « bouts » de chantiers, rendant ainsi impossible sa propre localisation, ce que commentera avec une certaine ironie Gaspard de Montfermeil, en évoquant « un petit bout de Paris ».

65La frontière entre réel et fiction est donc brisée, puisque le désarroi vécu par les personnages, cette impossibilité de reconnaître la ville qu'ils aiment, est tout à fait similaire à celui des Parisiens de l'époque. Le principe même du dialogue entre acteur/spectateur/personnage se retrouve également dans certains artifices visuels, comme ces plans récurrents en split-screen, montrant simultanément l'action à la surface, et l'action en sous-sol.

66Tchernia révèle d'ailleurs que le dernier plan du film (en bas les gaspards dans la cave, en haut un écran noir) est tronqué. Normalement, un embouteillage aurait dû être visible sur la partie du haut, confirmant ironiquement une cohabitation possible entre les deux mondes. Après tout, l'embouteillage n'aurait pas duré, puisque le ministre des Travaux publics lançait au même moment le chantier du « plus grand parking souterrain au monde » dans les cavernes auparavant habitées par les marginaux [25]. Preuve qu'il est toujours possible, selon Tchernia, que les extrêmes s'arrangent. Utopie qui n'est finalement permise que par le dialogisme du carnavalesque.

67Dans Touche pas à la femme blanche !, la posture dialogique se retrouve dans la multiplicité des personnages représentant différents états du monde, de la même manière que les « carnavaleux ». Un certain nombre pourrait même être analysés comme des avatars de Ferreri : le journaliste Kellog, joué par le réalisateur lui-même (dont le rôle a été grandement réduit entre le scénario et le film) en est un, opérant comme un témoin distant des événements de la même manière que l'ethnologue Pinkerton (absent du scénario, mais prenant dans le film la place réservée au journaliste, celle de l'observateur ironique). Custer en est, paradoxalement, un autre. Obsédé par sa propre légende et ses victoires militaires, de la même manière qu'un cinéaste peut être obsédé par son film, le militaire ira au bout de son délire, jusqu'à la mort, en refusant de suivre le plan du général Terry, qui peut apparaître comme l'image d'un investisseur seulement intéressé par l'argent. Ce même général peut tout à fait être vu comme une caricature du directeur de la RATP, apparaissant plus cynique et manipulateur qu'il n'était décrit dans le scénario [26].

68D'autres personnages sont tout aussi ambivalents et rendent l'analyse du film complexe : Buffalo Bill (Michel Piccoli), obsédé par les quatre mille deux cent quatre-vingts bisons qu'il aurait tués, est à la fois le « publicitaire » attitré des massacres de Custer et la facette commerciale et séduisante à laquelle tout cinéaste doit se soumettre pour vendre son film. Un « bouffon », comme le désigne Custer, qui trouvera une bonne excuse pour ne pas partir au combat (un mal de ventre qui n'est pas sans faire écho à la Grande Bouffe). Et enfin Mitch, l'éclaireur indien au service de l'armée, rejeté par les siens pour sa traîtrise, méprisé par les blancs pour sa couleur de peau, mais aussi acteur obligé de se fondre dans des rôles qu'il déteste, comme lorsqu'il se déguise en Custer pour enfin atteindre son fantasme : toucher une femme blanche. Comprendre, dans une logique carnavalesque, atteindre le public bourgeois, représenté par Hélène de Boismonfrais (Catherine Deneuve), qui aime être choquée tout en étant pétrie de morale.

69Il y a donc un double discours dans Touche pas à la femme blanche !. D'un côté le pamphlet marxiste et anticapitaliste, de l'autre la mise à nu de Ferreri lui-même et de sa relation au monde du cinéma et de la production. Tout comme Mitch, le réalisateur a « le cul entre deux chaises », entre ses idéaux de gauche et son inféodation au système de production du divertissement de masse. À la différence des Gaspards, la polyphonie semble ici s'exprimer non pas entre plusieurs extrêmes, mais entre plusieurs facettes du réalisateur lui-même, perdu entre ses idées, ses angoisses, et ses envies de revanche envers son producteur Jean-Pierre Rassam, qui aurait « oublié » de lui verser les droits sur la Grande Bouffe.

70Loin de proposer une morale lisible de bout en bout, ce qui serait la forme pure de la « sagesse » désirée par le public bourgeois, les deux réalisateurs préfèrent donc l'ambivalence. Custer est détestable, mais Ferreri semble tout de même s'identifier à lui ; le ministre des Travaux publics semble fou, mais il est difficile de le trouver antipathique. Ce principe d'ambivalence est fondamental pour Bakhtine, pour qui l'image grotesque ne peut se lire dans un sens plutôt que dans un autre. Ces deux films sont à l'image du carnaval : une multiplicité de sens, un chaos idéologique qui ne trouve sa voix que dans une utopie de réconciliation (les Gaspards) ou dans une apocalypse sanglante (Touche pas à la femme blanche !).

71Mikhaïl Bakthine construit sa théorie du carnavalesque autour de grands axes principaux : l'exagération, l'inversion et la succession du couronnement et du détrônement d'un roi de carnaval.

72L'exagération, nous la trouvons dans l'intrigue même des films. Dans les Gaspards, la plupart des personnages sont des êtres de carnaval en eux-mêmes. Nous avons déjà parlé du ministre exagérément belliciste et de son adversaire, mais la troupe anarchiste ne manque pas de fantaisie : un abbé illuminé qui joue de la contrebasse, un faux Jean Valjean portant un corps sur le dos dans les sous-sols, un ancien officier de la Wehrmacht [27] caché depuis la Libération que l'on a oublié d'informer que la guerre était finie depuis longtemps, etc. [28] Pour Touche pas à la femme blanche !, l'utilisation du « trou des Halles » comme décor de western est déjà une exagération en soi, mais le film ne manque pas non plus de figures grotesques, au-delà des personnages déjà évoqués. Pour exemple : le Major Archibald (Darry Cowl), exposant d'Indiens empaillés, qui finira éventré (tout comme Paris au même moment) et tentera de se sauver en se remplissant l'estomac de papier journal, à la manière des cadavres qu'il exhibait.

73Des inversions de ce genre, les deux films en débordent. Deux gags en particulier dans les Gaspards ont cette saveur carnavalesque : tout d'abord, lorsque Gaspard de Montfermeil montre à Rondin le pouvoir qu'il a sur le monde de la surface. Les deux nouveaux amis passent devant plusieurs tuyaux, et l'aristocrate explique : « Regardez, ça c'est le gaz, ça c'est l'eau de la ville. Il y a aussi l'électricité, le téléphone... J'aime beaucoup mélanger tout ça ». Après avoir branché deux tuyaux et tourné une valve, une succession de saynètes s'enchaînent dans lesquelles les habitants du haut voient leurs objets du quotidien se comporter autrement : les fontaines crachent du feu, un policier approchant son briquet de sa cigarette « allume » son téléphone, le facteur tournant le bouton du gaz reçoit un jet d'eau et une femme capte la radio au travers de son pommeau de douche. En dehors de toute logique physique, Gaspard de Montfermeil sème un joyeux chaos dans la ville. Plus tard, après un énième coup de marteau-piqueur qui énerve l'aristocrate, ce dernier décide de faire sauter le mystérieux échafaudage qui surplombe depuis le début le repaire des gaspards. Celui-ci se trouvant en dessous du ministère des Travaux publics, le bâtiment s'en trouve « renversé » [29]. S'ensuivent alors plusieurs scènes dans ce décor penché, où les personnages essayent de faire comme si de rien n'était, tout en s'adaptant à la nouvelle configuration des lieux. Ce sont donc ceux d'en bas qui imposent à leur tour un trou à ceux d'en haut, inversant le principe de démolition.

74Tout comme le ministre des Gaspards, les gouvernements successifs voulaient, avec ce chantier dantesque, marquer leur époque. La capitale serait entrée de toute manière dans le xxie siècle, mais il était hors de question que cela se fasse sans la bénédiction de grands hommes convaincus de leur emprise sur le cours de l'histoire (le spectre haussmannien n'est jamais très loin). Dans le même ordre d'idée, Custer et Buffallo Bill veulent imprimer leur légende dans le récit de la conquête de l'ouest. Mais ce sont des hommes du passé, qui ne comprennent que vaguement le progrès en marche. En témoigne cette scène où Custer éructe sur une mitrailleuse qui vient d'être présentée au Général Terry, n'y voyant que la fin de la « vraie » guerre, sabre à la main.

75L'inversion que théorise Ferreri, c'est le remplacement des cow-boys et des Indiens par les architectes et les poseurs de bombes, ceux-là mêmes qui s'affronteront chez Tchernia.

76La différence entre les deux films tient surtout à la manière dont les personnages vivent ou subissent le carnaval du chantier. S'ils ne peuvent être plus opposés, le ministre (Denner) et Gaspard (Noiret) partagent tout de même ce goût de la liberté qu'ils expriment différemment. Le premier témoigne d'une certaine candeur lorsqu'il découvre le métro (« c'est donc cela le métro ! ») en jaquette de cérémonie. Gaspard n'hésite pas à enlever des touristes pour alimenter sa centrale, pratiquant une forme d'esclavage moderne, mais sa posture délicate et raffinée le rend aimable aux yeux de l'amoureux du patrimoine. L'esprit de carnaval se trouve plutôt dans cette aisance avec laquelle les corps multiplient les allers-retours entre le haut et le bas (qu'il soit corporel, métaphorique ou architectural). L'un est au-dessus, l'autre en dessous du système, en tout cas les deux sont dans un ailleurs, donc libres.

77Contrairement aux personnages de Touche pas à la femme blanche ! qui semblent tous aliénés, esclaves d'un système destructeur n'ayant que la guerre et l'affrontement comme but final. Nous en revenons à l'obsession pour l'obsession elle-même qui traverse le cinéma de Ferreri (l'obsession des ballons dans Break-up ou pour la nourriture et la mort dans la Grande Bouffe). Obsession de Mitch pour les femmes blanches, de Custer pour sa légende, de Buffalo Bill pour ses bisons, de Terry pour ses problèmes de santé, et donc l'obsession des capitalistes pour l'accumulation des richesses. En cela, Ferreri s'éloigne de l'utopie bakhtinienne et se rapproche plutôt du grotesque vu par Wolfgang Kayser, celui qui dévoile un monde infernal démontrant par l'absurde l'aliénation des hommes et « inspire la peur de vivre plutôt que la peur de mourir » [30], devenant « l'expression de notre échec à nous orienter dans le monde physique » [31]. En faisant ressurgir les fantômes des guerres indiennes en plein cœur de Paris, le réalisateur fait exactement ce que Kayser théorise. Pour ce dernier, le grotesque sera toujours « Une tentative d'invoquer et soumettre les aspects démoniaques de ce monde » [32]. Ici, c'est la folie capitaliste du xixe siècle qui revient en force.

78Dans les deux cas, les films témoignent à leur manière du problème politique que pose le chantier des Halles. À une échelle locale, l'absence de dialogue entre les pouvoirs publics et la population témoigne d'une crise de la démocratie. Dans un pays comme la France, de telles décisions prises unilatéralement ne font que rappeler l'échec de l'idéal démocratique, où la prise de décision collective est mise entre parenthèses pour ne laisser la parole qu'à quelques personnes.

79Maintenant que le trou est rebouché, et que la Canopée trône sur le Forum des Halles, nous pourrions penser que le sujet est clos. Dix ans plus tard, Luc Besson fera pourtant ressurgir quelques figures carnavalesques au même endroit dans Subway (1985), en suivant les déambulations de Fred (Christophe Lambert), perceur de coffres en fuite rencontrant une étrange communauté souterraine dans les couloirs du métro (un voleur en roller, un batteur sans instrument, un fleuriste, etc.). Derrière l'habillage « punk » et « cool » des années 1980, Besson ne fait finalement que reformuler ces mêmes problématiques : tension entre l'élite et le peuple, entre le haut et le bas, entre Carnaval (Fred) et Carême (le commissaire Gesber – Michel Galabru) et questionne la possession de l'espace public, le non-lieu du chantier étant devenu le non-lieu du métro.

80Fermigier affirmait que ce qui se passait aux Halles aurait dû intéresser tous les Parisiens. Ces deux films démontrent finalement que plus qu'un chantier, l'endroit est un symbole constamment ramené à ses origines communautaires et populaires, propice à la critique d'un pouvoir autoritaire caché derrière les atours de la démocratie et du suffrage universel. Se débarrasser du carnaval semble être un combat perdu d'avance, il prendra toujours d'autres formes, véritable poil à gratter de l'autorité bourgeoise. Le risque pour cette dernière étant que le réel dépasse la fiction, comme en 2007 où des restaurateurs d'antiquités clandestins (les « unthergunther ») révélèrent avoir réparé pendant un an l'horloge du Panthéon, laissée à l'abandon par les pouvoirs publics. Utilisant les souterrains pour accéder au monument en dehors des heures d'ouverture, ces nouveaux gaspards ont donc couvert de ridicule le Centre des Monuments historiques, d'autant que la réparation était très bien faite. Une anecdote qui n'aurait pas déplu à Ferreri et Tchernia, prouvant qu'il se passe toujours quelque chose dans le ventre de Paris.


Date de mise en ligne : 25/10/2021.

https://doi.org/10.4000/1895.8183

Notes

  • [1]
    Mikhaïl Bakhtine, l'Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance (trad. du russe par Andrée Robel), Paris, Gallimard, coll. Tel, 1970, p. 316.
  • [2]
    Nous aurions pu aussi citer le Chat, de Pierre Granier-Deferre (1971) qui prend pour décor les chantiers de Courbevoie qui accueilleront plus tard la Défense. Mais dans un souci de concision nous avons choisi de nous concentrer sur le quartier des Halles et son fameux « trou ». Le trou apparaît également furtivement dans le Locataire de Roman Polanski (1976).
  • [3]
    Outre les films, nous avons recouru pour cette étude aux scénarios qui sont tous deux consultables : Marco Ferreri, « Custer », Paris, 1973, scénario original déposé à la Cinémathèque française dans le Fonds Simon Mizrahi [MIZRAHI75-B13] ; René Goscinny, Pierre Tchernia, « Les Gaspards », Paris, 1974, scénario original déposé à la Cinémathèque française dans le Fonds François Truffaut [TRUFFAUT67-B62].
  • [4]
    Néanmoins issu d'une famille ayant fui le tsarisme avant la révolution de 1917.
  • [5]
    Selon les chiffres de JP's Box Office, disponible à l'adresse : http://jpbox-office.com
  • [6]
    11 diffusions à la télévision entre 1995 et 2011 contre 30 pour le Viager de 1997 à 2019 (source INAthèque).
  • [7]
    On retrouve la trace d'une diffusion sur Ciné+ Classic dans le cadre d'une soirée spéciale Ferreri le 30 novembre 2018.
  • [8]
    Noël Simsolo, Cours de cinéma, 28 novembre 2013 au Forum des Images : https://www.dailymotion.com/video/x183cz0
  • [9]
    Pour ce florilège critique nous avons utilisé les dossiers de presse du film réunis par la Cinémathèque française.
  • [10]
    Voir Jean-Louis Robert, Myriam Tsikounas (dir.), les Halles, images d'un quartier, Paris, Édition de la Sorbonne, 2004, qui évoque brièvement le tournage du film de Ferreri comme une parenthèse joyeuse. Idée reprise par le Journal de 13h de France 2 dans un sujet spécial « Mémoire d'écran : le ventre de Paris » diffusé le 21 septembre 2016. Le film de Tchernia n'est évoqué dans aucun des deux, probablement parce que son sujet n'est pas directement le chantier des Halles.
  • [11]
    Dans les commentaires du DVD, Tchernia révèle d'ailleurs qu'il avait imaginé cette péripétie comme une absurdité, et qu'un ami lui révélera plus tard qu'il y avait effectivement un projet de recouvrir le canal Saint-Martin, ce qu'il ignorait lorsqu'il écrivit le scénario.
  • [12]
    Et de la même manière que le mot « gaspards » est tiré de l'argot local désignant les rats, « apache » désignait vers 1900 les délinquants juvéniles parisiens. Voir Michelle Perrot, « Les “Apaches”, premières bandes de jeunes » dans les Ombres de l'histoire : crime et châtiment au xixe siècle, Paris, Flammarion, coll. Champs, 2003. Pour la place des « Apaches » au cinéma voir Alain Carou et Mathieu Letourneux, « Le cinéma des premiers temps et le “discours médiatique” du crime », 1895 revue d'histoire du cinéma, no 75, 2015 et l'exposition « Cinéma premiers crimes » (Galerie des bibliothèques de la ville de Paris, avril-juillet 2015).
  • [13]
    André Fermigier, la Bataille de Paris, des Halles à la pyramide, chroniques d'urbanisme, Paris, Gallimard, coll. Le débat, 1991.
  • [14]
    Ibid., pp. 90-91.
  • [15]
    Ibid., p. 213.
  • [16]
    Ibid., p. 228.
  • [17]
    Pieter Brueghel dit l'Ancien, le Combat de Carnaval et de Carême, 1559 (118x164,5 cm), Vienne, Kunsthistorisches Museum.
  • [18]
    Avant d'être stoppé par le choc pétrolier de 1974.
  • [19]
    Voir Camille Cantreux, Filmer les grands ensembles, Paris, Seuil, coll. Lieux Habités, 2014.
  • [20]
    Marco Ferreri, « Sur Touche pas à la femme blanche ! ou Pourquoi Custer au Halles, à Paris, en 1973 », Paris, 1973 (document dactylographié disponible à la Bibliothèque François Truffaut du Forum des Halles).
  • [21]
    Qui se cache sous l'identité du « professeur d'anthropologie Pinkerton » en référence à la célèbre agence de détectives privés créée en 1850, dont l'un des actes les plus notables fut l'infiltration des piquets de grèves en 1877.
  • [22]
    Est à noter, évidemment, la sortie de Little Big Man d'Arthur Penn en 1970 (1971 pour la sortie française). S'il aborde des thèmes très différents (guerre du Vietnam, racisme, etc.), ce film utilise également la figure de Custer comme élément carnavalesque. Le héros de l'Ouest est un homme arrogant, brutal et stupide. La sortie presque simultanée des deux films, ainsi que la réévaluation de l'histoire amérindienne depuis les années 1960, poussera les historiens américains à s'intéresser de plus près à la « légende », popularisée principalement par la veuve du général et Buffalo Bill.
  • [23]
    Marco Ferreri aurait sûrement ajouté « du Capital ».
  • [24]
    Michel Grégeois, « Pierre Tchernia » Cinéma [numéro et date inconnus], p. 61 (Dossier de presse les Gaspards 1973-1974 de la Cinémathèque française).
  • [25]
    Le scénario original prévoyait une fin différente, en forme d'écho avec le début du film où une sœur dans un couvent voit les navets du potager « disparaître » dans le sol : « Une île lointaine. Sous un soleil éclatant : des palmiers penchés, la mer, le sable. Et, une superbe fille noire, aux seins nus, tenant un panier sur la tête, vient faire la cueillette. Elle se penche : brusquement, les ananas rentrent sous terre, COMME SI QUELQU'UN LES TIRAIT PAR DESSOUS. La superbe fille s'enfuit, affolée, cependant que d'autres ananas continuent à disparaître de la même façon, au son d'une petite musique ironique... » (Plan 556, TRUFFAUT67-B62 p.130).
  • [26]
    Le scénario prévoyait même une forme d'humiliation révélant la sexualité débridée du personnage, quand celui-ci était repéré par Custer sortant d'un sex-shop, une pile de magazines pornographiques dans une main, un godemichet dans l'autre. ‪(Scène 43, MIZRAHI75-B13 P. 121-122). ‪
  • [27]
    ‪Le bien nommé « Helmutt Von Sturm und Drang ». ‪Le scénario prévoyait d'ailleurs une réplique en français de ce personnage : lorsque les gaspards évacuent les galeries, l'officier refuse de partir, affirmant qu'il est ici depuis 1940, ce à quoi Gaspard répond « Cher Helmutt, vous êtes le plus parisien de nous tous ! ». Dialogue sûrement jugé trop tendancieux pour l'époque.
  • [28]
    Le scénario prévoyait également sept nains sortant d'un tunnel et un accordeur de piano aveugle (Plan 306, p. 67 et plan 346, TRUFFAUT67-B62 p. 79).
  • [29]
    Pierre Tchernia admet dans les commentaires du DVD que l'expression « renverser un ministère », populaire dans les années 1930, était déjà désuète à la sortie du film.
  • [30]
    Wolfgang Kayser, The Grotesque, Boston, McGraw-Hill Book Company, 1966, p. 185.
  • [31]
    Ibid.
  • [32]
    Ibid., p. 188.
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