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Source : Mémoires n° 41, paru en 2008
1 Albanais, arabe, arménien, bengali, géorgien, lingala, peuhl, tamoul, russe, serbo-croate, soussou, turc, telles sont les principales langues pour lesquelles le centre de soins a actuellement recours à des interprètes. Une diversité qui répond à celle des origines des patients reçus.
2 Au secrétariat du Centre Primo Levi, nous réservons les vacations des interprètes. Dans la mesure du possible, nous faisons appel aux mêmes interprètes. Pour les nouveaux venus, nous prenons le temps de faire une présentation de l’équipe et d’expliquer la spécificité de notre travail. L’interprète sera ensuite orienté vers le collègue concerné afin qu’il puisse lui préciser ses attentes en matière de traduction ; nous veillons à ce qu’ils ne restent pas dans la salle d’attente avec les patients, afin d’éviter qu’ils ne soient trop sollicités dès leur arrivée du fait de la proximité culturelle. Les interprètes s’installent clairement du côté de l’équipe, c’est un protocole auquel nous tenons et qui découle des nombreuses réflexions que nous avons menées sur leur place dans l’institution.
3 Pour moi, cette proximité communautaire, qui naît dans le partage de la même langue, se joue d’emblée lors du premier entretien d’accueil. C’est pourquoi, il me paraît essentiel de m’appuyer sur la déontologie de l’association des interprètes d’ISM Interprétariat qui est celle de donner une place précise à l’interprète : il s’agit de l’installer, ni à côté du patient, ni à côté du professionnel, mais à égale distance entre les deux. Lorsque je commence un entretien, je présente toujours l’interprète à mon interlocuteur et explique que tout ce qui sera dit sera traduit et restera confidentiel.
4 Souvent les personnes que je reçois n’ont pas bien compris les fonctionnements de certaines institutions, ici, sur Paris et la région parisienne, et sont tentées de s’adresser directement aux interprètes. Elles se tournent alors spontanément vers eux, captant leur regard, entamant ainsi un dialogue dont je me retrouve très vite exclue. Saisissant ce qui se passe, même si je ne le comprends pas, j’essaie de recentrer l’entretien, de ne pas perdre le fil conducteur et je demande toujours à l’interprète de bien vouloir traduire ce qui se dit.
5 Parfois, les interprètes ont déjà rencontré ceux ou celles que nous accueillons, à l’OFPRA ou dans les centres d’accueil des demandeurs d’asile, ce qui fait qu’ils sont déjà au courant d’un certain nombre d’éléments confidentiels. Ainsi, j’ai été surprise par l’attitude d’un interprète qui, lors d’un entretien, m’interpella en disant qu’il connaissait bien la situation de mon interlocuteur et pouvait me donner des informations complémentaires. Je le remerciai alors tout en lui précisant que je préférais rester sur ce que la personne venait d’exprimer. Je l’invitai ensuite à bien vouloir traduire notre échange.
6 Tout entretien avec un interprète demande donc du temps, de l’attention, et peut se passer parfois dans une certaine tension. Le travail est difficile, car non seulement il s’agit de demander à l’interprète de ne pas anticiper les questions ou les réponses, mais également de supporter les réticences de ceux que nous accueillons, leurs silences, leurs façons d’exprimer leurs émotions. Il faut aussi, lors du temps de traduction et selon les langues, apprendre à trouver des moments de respiration. Souvent, l’interprétariat rend la durée de l’entretien plus longue. Par exemple, à la suite d’une question posée, le patient peut parler un long moment et l’interprète ne s’autorisera pas à l’interrompre ; il m’arrivera alors de lui faire un signe pour l’inviter à marquer une pause et permettre alors à l’interprète de traduire ses propos.
7 De même, lors d’entretiens s’avérant plus délicats pour moi, je peux m’appuyer sur le professionnalisme de l’interprète et sa présence, son approche, m’aident beaucoup. En tant qu’accueillant, travailler avec un interprète est donc très intéressant puisqu’il donne la possibilité à celui ou celle que je reçois de s’exprimer dans sa langue maternelle, sans avoir recours à un membre de sa famille, un compatriote, trop proches de lui. Le rôle de l’interprète est alors de poser une distance, là où nous parlons souvent de proximité.
8 Cette expérience est donc riche d’enseignements. Ainsi, ce que j’ai le plus appris à faire tout au long de ces années est d’arriver à m’exprimer de façon plus concise, de clarifier mon discours, d’aller à l’essentiel lorsque je m’adresse à ceux que je reçois. J’ai dû également apprendre à travailler avec le regard d’un autre professionnel posé sur moi. L’interprète m’offre aussi la possibilité, en prenant un peu de recul, d’observer ce qui se passe dans l’entretien et m’apporte un éclairage différent.
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Source : Mémoires n° 41, paru en 2008