1Le corps est présent.
2Ici et maintenant, « quand un nouveau patient arrive, c’est un corps…qui entre ».
3Un corps qui cherche sa place, qui prend sa place, dans la salle d’attente, une salle qui porte mal son nom.
4Car le corps n’attend pas, tout en lui circule, palpite, s’agite, il est « en permanence à l’œuvre », le corps ne se tait jamais, il s’exprime, il lance l’alerte.
5Le corps sait, il porte en lui le symptôme et le soin.
6Le clinicien devient alors un guide, un médiateur, qui va tenter de faire le lien entre le corps patient et le corps soignant : un seul et même corps, désuni par la violence.
7Le texte lumineux d’Agnès Afnaïm raconte comment sa main écoute le corps de ses patients et les guide vers la réconciliation.
8Le corps est un livre ouvert, un témoin qui parle de sa propre vie dans une langue des signes qu’il faut savoir comprendre et parler.
9Des signes mouvants qui changent selon les saisons, les jours, les heures, les secondes : regards, odeurs, muscles, poils, peau, mouvements, sons…
10Le corps est un récit.
11Un récit de violence parfois.
12Violence, quand les signes sont des traces permanentes, douloureuses, des cicatrices ou des blessures qui sont au cœur de la réparation et qui indiquent le chemin à prendre.
13Il faut lire l’échange passionnant entre Pamela Der Antonian et Nathalie Dollez au sujet de ce patient qui ne parle pas mais dont le corps raconte l’histoire traumatique. Il faut voir comment le parcours de soin autour de ces stigmates de la violence va peu à peu permettre à cet homme d’évoquer le passé pour pouvoir de nouveau envisager l’avenir.
14Le corps est une mémoire.
15Il a en lui tous ceux qui ont vécu avant.
16Le corps est le fruit d’une généalogie, le résultat d’une multitude de corps, il garde les traces de toutes les époques, de tous les lieux, de tous les modes de vie.
17Chaque corps est une carte de toutes les identités, une carte de l’humanité.
18Le corps est un trésor qui recèle le secret de la vie.
19Universel et unique, fragile et puissant, désirable et inviolable, familier et mystérieux.
20Le corps est le lieu de la dignité humaine.
21Aussi, quand un corps humain, cette merveille, en brutalise un autre, il n’y a pas de plus grande défaite.
22Cet enjeu-là est politique, il est même l’essence de la politique, il est au cœur du travail de nos soignants.
23Au Centre Primo Levi, quand une personne arrive, c’est un corps qui entre dans le temps du soin, il porte sur lui une vie d’exil et de violence, il porte en lui une part de l’histoire mouvementée des hommes, il cherche à retrouver sa dignité et le désir de vivre.