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Loi du 29 juillet 2015 relative au droit d’asile. Entrée en vigueur le 1er novembre 2015
Pour obtenir des droits, mieux vaut entrer dans une case. Pourtant, les situations dans lesquelles se présentent les personnes victimes de torture et de violence politique sont plus complexes.
1La loi a tendance à enfermer les étrangers dans des cases, les classer dans des catégories selon leur situation administrative : demandeurs d’asile, étrangers sans papiers, entrés régulièrement ou irrégulièrement en France, étrangers malades, étrangers salariés, étrangers parents d’enfant français, étrangers conjoints de français, étrangers en France depuis 10 ans…
2Dans quelle mesure ces droits vont-ils guider la personne à faire une démarche et pas une autre ? Quelle influence cela peut-il avoir sur sa vie ? Dans quelle mesure la globalité de sa situation va-t-elle être à un moment donné prise en considération ? Et cette situation n’a-t-elle pas tendance à stigmatiser les étrangers ? A chaque situation, ses droits : droit à un titre de séjour d’un an, à une carte de résident de 10 ans, droit de travailler pour tel employeur… Et pour ceux qui ne rentreraient dans aucune case, que va-t-il se passer ? Que pourront-ils alors faire ? Attendre de manière isolée avant de pouvoir rentrer dans une de ces cases permettant d’être reconnu et d’obtenir enfin le droit de séjourner en France en toute légalité ? Cette question se pose malheureusement pour une bonne partie des patients déboutés de leur demande d’asile. Torturés, poursuivis, un retour dans leur pays d’origine n’est pas envisageable. Chercher asile dans un autre pays est extrêmement périlleux pour eux car être sans papier rend tout déplacement angoissant (crainte d’être arrêtés, placés en centre de rétention et expulsés de France). La plupart reste dans des conditions souvent d’une extrême précarité. Ils deviennent ainsi des sans-abris… déchus du peu de droits qu’ils avaient en tant que demandeurs d’asile : droit à une allocation, droit à un logement, à une assistance sociale et juridique rattachée à ce logement. Cette situation de sans-papiers est souvent vécue par les personnes comme une prison à ciel ouvert.
3Cela peut prendre un temps infini (cinq, huit ou dix ans) avant qu’une personne ne puisse obtenir à nouveau le droit de travailler et donc de subvenir dignement à ses besoins. Droit qu’elle a perdu en arrivant en France, étant en situation de sans-papiers ou de demandeur d’asile. Paradoxalement, c’est grâce à ces années passées en France que la personne pourra faire valoir son droit au séjour. Il lui faudra prouver avoir résidé en France de façon continue depuis tout ce temps. Mieux vaut alors pour elle ne pas être trop restée enfermée, de s’être inscrite socialement, d’avoir tenté des démarches de régularisation en faisant appel au pouvoir discrétionnaire de l’administration car sinon comment va-t-elle prouver sa présence en France ? Cela signifie-t-il qu’elle doit faire des démarches auprès de l’administration tout en sachant qu’elles peuvent faire l’objet d’un rejet accompagné d’une obligation de quitter le territoire français ?
4Passer d’une case à l’autre peut être un véritable parcours du combattant, notamment pour les personnes dites « déboutées du droit d’asile ». Pour les pouvoirs publics, si ces personnes n’ont pas obtenu le statut de réfugié c’est qu’elles n’ont pas de crainte à retourner dans leur pays d’origine, « elles n’ont pas vocation à rester en France ». Malheureusement, ce n’est pas si simple. L’administration et la justice française n’étant pas infaillibles et parce que la politique et les conditions d’accueil peuvent influer sur le sens des décisions, un bon nombre est débouté alors qu’elles risquent la mort et la torture dans leur pays. Il va donc être compliqué pour elles d’obtenir de l’administration « le droit au séjour » en France. Certains, en raison de leurs profonds traumatismes, vont pouvoir obtenir une carte de séjour temporaire pour soins d’un an. Cependant cette carte leur donne droit de rester en France de façon temporaire et les condamne, d’une certaine façon, à rester malade pour pouvoir renouveler leur titre de séjour. Ainsi au Centre Primo Levi, j’accompagne des patients qui sont dans cette situation. Le renouvellement est toujours source d’angoisse pour eux car ils craignent de tout perdre à nouveau, surtout lorsqu’ils ont pu trouver un travail et/ou un logement. Il est souvent question de demander le changement de statut à la préfecture, c’est-à-dire passer d’une carte pour soins à une autre carte de séjour (salarié ou fondée sur l’intégration, la vie privée et familiale). C’est par exemple le cas d’un patient qui renouvelle sa carte de séjour pour soins depuis deux ans. Il travaille mais cherche toujours un logement. Il se présente à la préfecture. L’agent qui le reçoit ne comprend pas pourquoi il veut changer de statut puisqu’il peut travailler avec cette carte. Pourtant, se soumettre chaque année à un contrôle par rapport à son état de santé - qui est quelque chose de très intime, personnel, voir confidentiel - n’est pas sans effet.
5Le droit des étrangers et le droit d’asile sont des droits complexes aussi parce qu’ils font souvent l’objet de modifications par le législateur. Très politique, la réforme de ce droit est avant tout initiée et orchestrée par le gouvernement en place. Pour évaluer leurs besoins spécifiques, une nouvelle catégorie de demandeurs d’asile a été créée par la loi [1] (en application d’une directive européenne), les personnes dites « vulnérables ». Selon le texte : « L’évaluation de la vulnérabilité vise, en particulier, à identifier les mineurs, les mineurs non accompagnés, les personnes en situation de handicap, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d’enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes atteintes de maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d’autres formes graves de violences psychologiques, physiques ou sexuelles, telles que des mutilations sexuelles féminines ».
6En outre, la loi prévoit les cas des demandeurs d’asile placés en procédure accélérée et en procédure normale… de ces catégories découlent des droits différents quant au traitement de la demande d’asile. Dans quelle mesure cette situation ne va-t-elle pas créer un système à deux vitesses ? Dans quelle mesure, ce classement qui peut d’ailleurs faire l’objet de déclassement par l’OFPRA ou la CNDA – d’une procédure accélérée à une procédure normale notamment pour les personnes victimes de violences graves - est un moyen de trier, de désengorger la demande d’asile ?
7Par ailleurs, un demandeur d’asile peut-il être à la fois malade, avoir besoin de protection et être en mesure de travailler ? A entendre le discours politique et celui de certains acteurs de la demande d’asile, un étranger qui tente de « frapper à toutes les portes » est très mal vu. C’est-à-dire qu’il ne pourrait à la fois demander un titre de séjour pour soins et l’asile. Alors que rien ne l’interdit dans la loi. Ce discours a tendance à compartimenter les personnes et à ne pas les considérer dans leur globalité. Il est un véritable obstacle pour faire valoir un certain nombre de droits. Dans les faits, rares sont ceux qui effectuent ces deux démarches en parallèle. Concrètement au guichet de la préfecture, il est dit aux personnes qu’elles ne peuvent faire de demande de titre de séjour avant que la procédure de demande d’asile ne soit terminée. Et si certains demandeurs d’asile obtiennent un titre de séjour en cours de procédure et qu’ils en informent l’OFPRA ou la CNDA, il semblerait qu’ils verraient fortement diminuer leurs chances d’obtenir le statut de réfugié. Et si la personne parle trop de son état de santé, très souvent lié aux violences qu’elle a subies, il se peut que l’OFPRA en conclue que sa demande d’asile répond davantage à une demande de titre de séjour pour soins. Ce qui fut le cas d’une patiente que j’ai suivie et qui avait en effet beaucoup plus évoqué son état que les persécutions qu’elle avait subies ou les motifs de sa demande d’asile. Après un refus à l’OFPRA, elle a bénéficié d’une prise en charge médicale et psychologique au Centre Primo Levi, ce qui lui a permis de stabiliser son état de santé et de travailler son récit. Une fois à la CNDA, elle est parvenue à parler des faits et a ainsi obtenu le statut de réfugié.
8À leur arrivée en France, certains patients victimes de la torture ont dû être hospitalisés immédiatement. Ils ont été orientés vers une carte de séjour pour soins et n’ont jamais fait de demande d’asile alors que certes, ils avaient besoin de soins mais également de protection, ayant fui leur pays pour des motifs relevant de la Convention de Genève. Pour un patient que j’ai accompagné qui avait obtenu un titre de séjour à titre humanitaire, il a été très difficile pour lui de formuler à la préfecture le réexamen de sa demande d’asile. Les agents de la préfecture ne comprenaient pas sa démarche. J’ai dû l’accompagner à deux reprises pour qu’il puisse obtenir le formulaire destiné à l’OFPRA. Quel intérêt pour lui de faire la demande d’asile alors qu’il avait un titre de séjour avec autorisation de travail ! Pourquoi s’embêter à faire une telle démarche ? À plusieurs égards, le statut de réfugié offre plus de garanties de protection. Il s’inscrit dans la durée et il donne droit à une carte de résident de dix ans. Il est avant tout une reconnaissance du vécu traumatique, de la qualité de réfugié.
9L’individu peut être plusieurs choses à la fois, ce qui semble difficile à comprendre pour l’administration ou peut être tout simplement plus difficile à gérer…
Notes
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[1]
Loi du 29 juillet 2015 relative au droit d’asile. Entrée en vigueur le 1er novembre 2015