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Article de revue

La crise économique et financière de 2008 et l’aide à la santé : les effets de la crise sur la mobilisation des bailleurs

Pages 135 à 146

Notes

  • [1]
    1. Coordinateur national du programme de l’ONG américaine Search for common ground en Guinée et chercheur associé au Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (CLERSE-CNRS). mbarry@sfcg.org
    2. Université d’Ottawa, Canada, École de développement international et mondialisation. sanni.yaya@uOttawa.ca
  • [2]
    Margaret Chan, Directeur général de l'OMS, Allocution à la soixante-cinquième Assemblée mondiale de la santé, Genève, Suisse, 21 mai 2012,
    http://www.who.int/dg/speeches/2012/wha_20120521/fr/ (consulté le 14 octobre 2013).
  • [3]
    La 25ème réunion du Conseil de coordination du programme de l’ONUSIDA a porté sur l’« Impact de la crise financière et économique mondiale sur la riposte au sida ». Voir http://www.unaids.org/en/media/unaids/contentassets/dataimport/pub/informationnote/2009 /20090922_ubwsubcommittee_final_fr.pdf (consulté le 14 octobre 2013).
  • [4]
    Voir http://www.africanpu.org/pdf/upa_crise_eco1.pdf (consulté le 14 octobre 2013).
  • [5]
    Les termes entre parenthèses ont été ajoutés par les auteurs.
  • [6]
    Ban Ki-Moon, Secrétaire général des Nations Unies, dans la préface du Rapport sur les Objectifs du Millénaire, ONU, 2009.
  • [7]
    Cf. Act Up : http://www.actupparis.org/spip.php?article3575 (consulté le 14 octobre 2013).
  • [8]
    Terminologie institutionnelle des bailleurs, notamment de l’OCDE, pour désigner l’aide à la santé dans les pays en développement.
  • [9]
    L’aide qui vise à améliorer l’accès à une eau potable n’est pas comptabilisée dans l’aide à la santé, bien que son impact sur cette dernière soit évident.
  • [10]
    De façon générale, l’approche verticale renvoie à des cas de figure où la solution d’un problème sanitaire donné est abordée par le biais de l’application de mesures spécifiques à ce problème.

1 Portée par une dynamique sociopolitique forte, l’aide à la santé a fortement augmenté à partir des années 2000. Après avoir été marginalisé durant les deux décennies d’ajustement structurel au profit des réformes macro-économiques (réduction des déficits, privatisation, libéralisation), le secteur de la santé est devenu une priorité avec l’adoption des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), en 2000. Trois objectifs sur huit portent spécifiquement sur la santé (réduire la mortalité infantile, améliorer la santé maternelle, combattre le VIH/SIDA et les autres maladies infectieuses). Et les autres objectifs, telle que l’éducation, ont des relations étroites avec la santé.

2 L’adoption de ces objectifs s’est accompagnée de l’émergence de partenariats globaux qui allaient permettre une mobilisation de tous les acteurs (publics et privés) pour la santé dans les pays en développement. Cette mobilisation a conduit à une augmentation spectaculaire des ressources d’aide à la santé (Barry, 2011 ; OMS, 2010). En conséquence, « les engagements publics en matière de santé rapportés par des donateurs bilatéraux ont bondi d’environ 4 milliards de dollars en 1995 à 17 milliards de dollars en 2007 et à 20 milliards de dollars en 2008 » (OMS, 2010, 34). C’est ainsi que Margaret Chan, Directrice de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qualifiera le début des années 2000 d’« âge d’or du développement sanitaire » [2]. Pour ce qui est de la signification de cette expression, Margaret Chan a souligné que « lors de cet âge d’or, les gouvernements des pays donateurs et des pays bénéficiaires ont inscrit la santé au premier rang des priorités. Les montants consacrés au développement sanitaire ont plus que triplé et d’importants résultats ont été obtenus en ce qui concerne la mortalité due au VIH/SIDA, à la tuberculose, au paludisme et aux maladies de l’enfant » (Ibid).

3 En éclatant en 2008, la crise financière menaçait de mettre fin à cet âge d’or. Mais cette crise, toujours en cours, a-t-elle conduit à une baisse de l’aide à la santé ou à une redéfinition des priorités au sein du secteur de l’aide à la santé ? L’objectif de cet article est de répondre à ces deux questions. La première partie montre que les inquiétudes concernant l’impact de la crise de 2008 sur l’aide à la santé ont été portées au plus haut niveau, dans la mesure où cela risquait d’engendrer une baisse des financements liés à la santé. La deuxième partie présente l’évolution des flux d’aide à la santé à partir de 2007. Nous confirmons, en particulier, que la crise n’a pas conduit à une baisse de l’aide ou à une modification de la répartition sectorielle de l’aide à la santé. Enfin, la troisième partie propose quelques d’éléments d’explication.

1. LA CRISE ÉCONOMIQUE DE 2008 ET SES PROLONGEMENTS : PARTICULARITÉS ET INQUIÉTUDES SUSCITÉES

4 La crise de 2008, à la différence de celles survenues dans les années 1980 et 1990, est née dans les pays riches membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Elle va s’accompagner, dès 2009, d’une récession et d’un accroissement des déficits publics dans les principaux pays de l’OCDE (tableau 1). Or, ces pays fournissent plus des deux tiers des ressources d’aide à la santé (Barry, 2013). Les acteurs de la santé dans les pays en développement pouvaient donc redouter que la crise ne conduise les bailleurs de fonds à revoir leurs politiques de solidarité internationale par une réduction de leurs efforts financiers en matière d’aide à la santé. Les traditionnelles politiques d’austérité qui suivent ce type de crise étaient donc une source d’inquiétudes.

Tableau 1

Situation économique des pays donateurs au début de la crise économique, 2007-2009

Donateurs Taux de croissance du PIB réel( %) Capacité (+) ou besoin (-) de financement / PIB (en %)
2007 2008 2009 2007 2008 2009
Canada 2,09 1,10 - 2,80 1,46 - 0,30 - 4,76
France 2,25 - 0,19 - 3,05 - 2,75 - 3,35 - 7,56
Allemagne 3,39 0,80 - 5,07 0,23 - 0,07 - 3,08
Royaume-Uni 3,63 - 0,97 - 3,97 - 2,72 - 4,91 - 10,85
États-Unis 1,91 - 0,34 - 3,07 - 2,91 - 6,56 - 11,94
Zone euro (15 pays) 2,99 0,25 - 4,35 - 0,70 - 2,14 - 6,36
OCDE-Total 2,79 0,16 - 3,60 - 1,28 - 3,39 - 8,16
figure im1

Situation économique des pays donateurs au début de la crise économique, 2007-2009

Perspectives économiques de l’OCDE n° 93 (base de données), mise à jour : 29 mai 2013.

5 C’est pourquoi, très vite, et face aux préoccupations exprimées par les États membres, l’OMS va convoquer en 2009 une consultation de haut niveau sur les effets de la crise financière et économique mondiale. Les principaux objectifs étaient : « a) mieux faire prendre conscience de la façon dont le ralentissement de l’activité économique peut affecter les dépenses consacrées à la santé, les services de santé, la demande de soins et les résultats en matière de santé ; b) sensibiliser l’opinion à l’importance du maintien des investissements en faveur de la santé […] » (OMS, 2009, 3). Si ces messages s’adressaient à l’ensemble des États du monde, ils concernaient en premier lieu les principaux donateurs de l’OCDE. D’autres acteurs tels que l’ONUSIDA [3] et l’Union parlementaire africaine (UPA) ont également réagi pour souligner ces préoccupations. L’Union parlementaire africaine, réunie en sa 32ème Conférence, les 19 et 20 Novembre 2009, à Ouagadougou (Burkina Faso), affirmait considérer « que la crise économique et financière actuelle va se traduire inéluctablement par la diminution de l’aide fournie par les donateurs, aussi bien bilatéraux que multilatéraux » [4]. Allant dans ce sens, l’Organisation des Nations unies (ONU) demanda aux pays riches d’éviter de développer des stratégies qui pourraient conduire à une baisse de l’aide dans les pays en développement. Le Secrétaire Général de l’ONU mentionnait en 2009 que son institution ne pouvait pas laisser « un climat économique défavorable saper les engagements (en matière d’investissement dans le domaine de la santé) [5] pris en 2000. Au contraire, les efforts que nous devons déployer pour restaurer une croissance économique doivent être considérés comme une opportunité nous permettant de prendre certaines décisions difficiles en vue de créer un avenir plus équitable et plus durable » [6].

6 Dans l’ensemble, les acteurs et les bénéficiaires de l’aide à la santé redoutaient qu’au lendemain de la crise financière mondiale les pays riches ne se concentrent essentiellement sur leurs priorités nationales et marginalisent les objectifs internationaux de développement. Ces inquiétudes n’étaient pas le fruit de leur imagination. Dès novembre 2008, le Conseil d’administration du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme avait annoncé, sous la pression des grands donateurs et pour la première fois depuis sa création, des coupes de 25 % dans les budgets des programmes VIH/SIDA à destination des pays pauvres [7]. Des organisations non gouvernementales (ONG) travaillant avec des orphelins et des enfants vulnérables et fournissant des soins à domicile voyaient ainsi leurs budgets amputés (ONUSIDA, 2009). Mais la crise a-t-elle conduit à une baisse de la mobilisation financière des donateurs pour la santé et la population [8] dans les pays en développement ? C’est ce que nous examinons dans la partie suivante.

2. L’IMPACT DE LA CRISE ET DE SES PROLONGEMENTS : UNE ANALYSE DES FLUX D’AIDE DEPUIS 2007

7 Avant de présenter et d’analyser les flux d’aide à la santé et à la population à partir 2007, il faut, par souci de clarté et de mesure, préciser la définition statistique de l’aide à la santé et à la population.

2.1 La définition statistique de l’aide à la santé et à la population

8 L’aide à la santé désigne, en théorie, toute aide qui concourt à l’amélioration de la santé dans les pays bénéficiaires. Dans la pratique, il s’agit de l’aide au développement destinée aux hôpitaux et aux dispensaires, à la protection maternelle et infantile, aux autres services médicaux, à l’administration de la santé publique et des programmes d’assurances, aux politiques et aux programmes en matière de population, etc. Dans leurs rapports d’activités statistiques, les donateurs membres du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE sont tenus d’assigner pour chaque activité d’aide un secteur de destination ou la structure socio-économique destinataire. Toutes ces notifications des donateurs sont réunies dans une base de données, disponible en ligne sur le site de l’OCDE, dénommée « système de notification des pays créanciers (SNPC) ». Le vocabulaire utilisé pour désigner l’aide à la santé dans cette base de données est « santé et population ».

9 En conséquence, les statistiques du CAD sur l’aide à la santé comportent seulement les activités qui ont pour but principal la santé. Elles n’incluent pas l’aide destinée à d’autres secteurs qui ont un impact sur la santé. [9] Une autre raison pour traiter les chiffres de l’aide avec précaution est que ceux qui vont être étudiés ci-dessous représentent des engagements, or l’aide réellement déboursée est souvent inférieure. De plus, certains des fonds que les donateurs indiquent avoir versés n’arrivent pas dans les pays receveurs pour y être dépensés. Une proportion parfois considérable de l’aide est consacrée à la coopération technique. Entre 2002 et 2006, par exemple, l’OCDE indique que plus de 40 % de l’aide à la santé a été absorbée « par l’assistance technique, finançant souvent les ressortissants du pays donateur afin de fournir de l’aide ou une formation aux pays receveurs » (OMS, 2010, 35). Les autres limites des statistiques contenues dans cette base de données sont bien connues. Parmi celles-ci figure le fait que cette base n’est pas vraiment complète : chaque subvention est affectée à son but principal bien qu’elle ait un impact sur d’autres objectifs de développement. Cette base de données a été, néanmoins, relativement complète ces dernières années puisque l’OCDE indique dans le guide des utilisateurs que le taux de couverture des engagements est de plus de 90 % depuis le début des années 2000.

2.2 L’impact global de la crise : l’engagement des donateurs à partir de 2007

10 Cette section présente la méthodologie d’agrégation pour obtenir le niveau global de l’aide à la santé et l’évolution de cette dernière.

2.2.1 La méthodologie

11 Une première manière d’étudier l’impact de la crise est d’analyser l’évolution de l’engagement des donateurs membres du CAD à partir de 2007 (année de référence). Le CAD réunit la quasi-totalité des pays développés, pays qui furent les premiers à être touchés par la crise.

12 Dans ce travail, les engagements sont évalués en dollars constants de 2012. Pour obtenir les engagements des donateurs pour chacun des objectifs cités ci-dessus, nous nous sommes appuyés sur le système de notification des pays créanciers. Il faut noter qu’à chaque secteur ou sous-secteur correspond un code. Au secteur « santé » correspond, par exemple, le code 120. Les catégories santé (120) et population (130) couvrent les engagements d’organisations telles que le Fonds mondial ou de programmes, à l’image de celui du Plan d’urgence du Président des États-Unis pour la lutte contre le sida (PEPFAR).

2.2.2 L’évolution de l’aide à la santé et à la population à partir de 2007

13 L’aide à la santé a globalement augmenté entre 2007 et 2012, bien que l’augmentation soit faible (graphique 1). Elle est passée de 11,73 à 11,95 milliards de dollars en 2012, après avoir atteint son niveau le plus élevé en 2009, avec 13,56 milliards de dollars. La croissance de l’aide sur la période 2007-2012 fut d’environ 1,88 %, ce qui démontre une très faible progression sur la période en termes réels.

14 Si l’on considère l’évolution de 2007-2008 comme la référence (+11,78 %), il apparaît clairement que la crise a conduit à un ralentissement. Cette variation orientée à la baisse est à l’opposé de la tendance, haussière et continue, de l’aide observée de 2002 à 2007 (graphique 1). Cette phase de mobilisation et d’enthousiasme a été étudiée par plusieurs auteurs : Mackellar (2005), Shiffman (2008, 2009) et Barry (2013). Toutefois, il convient de souligner que l’aide à la santé n’a pas baissé par rapport à son niveau de 2007. Elle est restée relativement stable depuis 2007.

Graphique 1

Évolution de l’aide à la santé des membres du CAD de 2002 à 2012 (milliards de dollars constants, 2012)

figure im2

Évolution de l’aide à la santé des membres du CAD de 2002 à 2012 (milliards de dollars constants, 2012)

présentation des auteurs d’après des données de l’OCDE, calculs sur données non arrondies.

2.3 L’impact sectoriel : les engagements des donateurs par objet de santé à partir de 2007

2.3.1 La méthodologie

15 Pour cerner l’impact sectoriel de la crise sur l’aide, nous avons classé les actions des donateurs dans le domaine de la santé autour de quatre objectifs principaux : le renforcement des systèmes de santé, les efforts en matière de population et de reproduction, la lutte contre les maladies infectieuses et la lutte contre le VIH/SIDA. Il est à noter que ces objectifs sont prioritaires pour la quasi-totalité des donateurs (cf. les OMD). Cette classification permettra de percevoir l’évolution des efforts des donateurs pour chaque objectif à partir de 2007 et, in fine, de représenter l’impact sectoriel de la crise. La classification repose sur les codes des activités déclarés par les donateurs (voir annexe).

2.3.2 L’évolution de l’aide en volume par objet à partir 2007

16 La décomposition par objet permet d’affiner notre analyse et d’observer les évolutions au niveau sectoriel.

Graphique 2

Évolution de l’aide à la santé des membres du CAD par objet, 2007-2012 (milliards de dollars constants, 2012)

figure im3

Évolution de l’aide à la santé des membres du CAD par objet, 2007-2012 (milliards de dollars constants, 2012)

présentation des auteurs d’après des données de l’OCDE.

17 L’analyse du graphique 2 montre que sur la période 2007-2012 :

18

  • l’aide consacrée au VIH/SIDA a baissé de 21,05 % (passant de 5,29 à 4,18 milliards de dollars),
  • l’aide destinée à la lutte contre les maladies infectieuses est restée quasiment stable (passant de 1,67 à 1,66 milliards de dollars),
  • l’aide affectée au renforcement des systèmes de santé a progressé de 18,76 % (passant de 3,19 à 3,79 milliards de dollars),
  • et celle allouée à la santé reproductive a cru de 47,04 % (passant de 1,58 à 2,32 milliards de dollars).

19 Nous avons donc enregistré au niveau sectoriel des mouvements divergents, une aide pour lutter contre le VIH/SIDA en baisse, et une aide pour les systèmes de santé et la santé reproductive en hausse. Il convient de relever que la courbe qui décrit l’évolution de l’aide à la santé suit une dynamique identique à celle de l’aide consacrée à la lutte contre le VIH/SIDA. Cela indique que l’évolution de l’aide à la santé a été fortement influencée par celle de la lutte contre le VIH/SIDA. Compte tenu du nombre limité de données, le calcul d’un coefficient de corrélation n’est pas nécessaire pour établir ce constat. Une juxtaposition des taux de croissance de l’aide globale et celle consacrée à lutte contre le VIH/SIDA permet de l’étayer (tableau 2).

Tableau 2

Taux de croissance annuels de l’aide à la santé et de l’aide pour le VIH/SIDA de 2007 à 2012, en %

Années 2008 2009 2010 2011 2012
VIH/SIDA +15,06 - 0,88 - 5,55 +9,31 - 32,95
Aide à la santé +11,78 +3,44 - 9,36 +5,97 - 8,26
figure im4

Taux de croissance annuels de l’aide à la santé et de l’aide pour le VIH/SIDA de 2007 à 2012, en %

présentation des auteurs d’après des données de l’OCDE, calculs sur données non arrondies.

20 Cet impact de l’aide pour le VIH/SIDA sur l’aide globale à la santé s’explique par l’importance de ce poste dans l’aide totale (graphique 3).

Graphique 3

L’évolution des parts des différents objectifs de santé, 2007-2012

figure im5

L’évolution des parts des différents objectifs de santé, 2007-2012

présentation des auteurs d’après des données de l’OCDE, calcul d’après des données arrondies

21 Cette importance de l’aide consacrée au VIH/SIDA est telle que toute variation de cette dernière a un impact sur l’aide globale. Plus précisément, le poste « aide à lutte contre le VIH/SIDA » a représenté jusqu’à 47 % de l’aide à la santé (en 2011) avant de se réduire à 35 % en 2012.

22 Par ailleurs, le graphique 3 montre que la crise ne s’est pas accompagnée d’une modification significative des priorités sectorielles. En effet, même si la part du VIH/SIDA a commencé à baisser à partir de 2011, la hausse de l’aide pour le renforcement des systèmes de santé a été trop faible pour que l’on puisse conclure à un véritable changement des priorités.

23 L’effet de la récession financière et économique qui a débuté en 2008 sur l’aide à la santé se prolonge. La crise n’étant pas totalement terminée, l’évolution de l’aide à la santé, tant au niveau global que sectoriel peut encore se modifier.

3. DISCUSSION

24 Comment expliquer que l’aide à la santé n’a pas baissé malgré la crise ? Il faut noter, d’abord, que si l’ensemble de l’aide bilatérale au développement a tendance à refléter la croissance économique des pays donateurs, cela n’est pas toujours le cas pour l’aide au développement de la santé. Lors de certaines crises économiques antérieures à celle de 2008, l’aide à la santé a été épargnée, alors que l’aide totale au développement diminuait (OMS, 2010). Ce qui est observé dans cet article est d’une certaine façon conforme aux enseignements de la littérature, nourrie par des rapports de l’OCDE. Une explication possible est l’existence dans le domaine de la santé d’un réseau exceptionnel d’acteurs. Aujourd’hui, la santé internationale réunit un large éventail d’acteurs de divers horizons (des responsables d’ONG, des dirigeants d’entreprise, des universitaires, des anciens présidents, des leaders d’opinions, des artistes, etc.) qui rassemblent un ensemble de compétences, d’infrastructures, de ressources politiques et financières au bénéfice de la santé dans les pays en développement. Par leur capacité de lobbying, ces acteurs agissent en réseau et peuvent travailler conjointement à la réalisation des objectifs de santé sans qu’ils ne souffrent (ou pas trop) des effets de la crise financière. C’est pourquoi, « là où les communautés politiques ont déjà établi des institutions fortes, telles que le VIH/SIDA et la polio, l'émergence et la persistance de l'attention politique est la plus probable » (Shiffman, 2009, 610). La lutte contre le VIH/SIDA est le premier poste de dépense de l’aide à la santé sur les dix dernières années (IHME, 2014). Enfin, l’existence d’importants réseaux institutionnels capables de créer et de négocier des représentations sociopolitiques favorables à la santé est essentielle pour maintenir et accroître la mobilisation autour de la santé, que l’on soit en période de crise ou non. Parmi ces représentations sociopolitiques, on peut citer pour le VIH/SIDA le fait qu’il a été présenté à la fois comme un problème de droits pour les pauvres et de sécurité pour les pays riches.

25 Cette forme de mobilisation n’est pas sans poser des problèmes. Elle semble s’accompagner sur le terrain de situations dénoncées autant par des chercheurs que par des praticiens. L’évaluation indépendante à cinq ans du Fonds mondial, réalisée par un bureau d’expertise américain dans 25 pays en 2009, indique que « les évaluateurs constatent que les services de santé de base manquent de tout... sauf de tests, de formation, de directives et de médicaments pour le sida. Si l’élémentaire, comme le test de l’hémoglobine, ou le test urinaire, n’est pas disponible là où le plus coûteux l’est, ne peut-on pas parler d’effets systèmes en faveur du sida, aux dépens des maladies les plus courantes ? » (cité par Kerouedan, 2010, 23). C’est pour cette raison que l’OMS (2010, 37) considère qu’il y a lieu depuis plusieurs années « de s’inquiéter de la façon dont les fonds d’aide à la santé circulaient autour du globe. L’acheminement de l’aide vers des initiatives de santé à forte visibilité alors que d’autres sont négligées est une source d’inquiétude. Entre 2002 et 2006, les engagements financiers envers les pays à faible revenu se sont concentrés sur les Objectifs du Millénaire (OMD 6) (lutte contre le VIH/SIDA, le paludisme et d’autres maladies, y compris la tuberculose), soit pour 46,8 % de l’aide extérieure totale de santé. On a estimé que cela ne laisse que 2,25 dollars par personne et par an pour tout le reste (santé infantile et maternelle (OMD 4 et 5), nutrition (OMD 1), maladies non transmissibles et renforcement des systèmes de la santé. L’argent nécessaire pour renforcer les systèmes de la santé dépasse ce chiffre à lui seul – 2,80 dollars par personne exigé chaque année pour former du personnel soignant supplémentaire, et cette somme n’inclut pas les fonds nécessaires à leurs salaires ». Nous sommes donc en présence d’une dynamique nuisible au renforcement des systèmes de santé. L’approche verticale [10] des politiques de santé qui prévaut actuellement ne permet pas, par exemple, de bâtir des systèmes de santé efficaces et capables de garantir l’accès aux soins de santé primaires pour le plus grand nombre et la durabilité des acquis sanitaires. Cette organisation des politiques d’aide à la santé est en contradiction avec les principes et les objectifs du développement durable tant vantés et souhaités par des organisations que sont l’OMS ou le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

26 Par ailleurs, en l’absence d’un système de santé de qualité, il est impossible de faire face efficacement et équitablement à la pluralité des besoins sanitaires de la population dans les pays en développement et de contenir les crises sanitaires avec un coût humain minimal. La crise d’Ébola constitue un bon exemple. La propagation rapide de cette crise en Afrique de l’Ouest s’explique en grande partie par la faiblesse des systèmes de santé dans cette sous-région. Les pays touchés ne seront pas non plus à l’abri d’une nouvelle crise si leurs systèmes de santé restent médiocres. Il y a chaque année des dizaines de nouvelles maladies, bien que toutes ne deviennent pas des problèmes de santé publique (OMS, 2007). La sécurité sanitaire durable dans les pays pauvres passe par un système de santé efficace et réactif. C’est pourquoi, les approches verticales, bien qu’opérantes pour lutter contre certaines maladies infectieuses, ne sont pas suffisantes pour bâtir des systèmes de santé efficaces dans les pays en développement.

CONCLUSION

27 La crise entamée en 2008 a-t-elle conduit à une baisse de l’aide à la santé ou à une redéfinition des priorités au sein du secteur de la santé ? Notre article, basé sur une analyse de l’aide à la santé d’après les données fournies par les membres du CAD (principaux donateurs touchés par la crise), montre que le niveau global de l’aide à la santé et la répartition sectorielle de cette dernière n’ont pas été modifiés par la crise. Cette résilience de l’aide à la santé est attestée aussi par le rapport « Financing Global Health 2013 : Transition in an Age of Austerity » publié en 2014 par l’Institute for Health Metrics and Evaluation et qui étudie l’aide fournie par l’ensemble des donateurs et non ceux du CAD seulement.

28 On note, cependant, que l’aide à la santé a enregistré une certaine volatilité avec des tendances à la baisse à partir de 2009. Cela signifie-t-il que les inquiétudes quant à l’impact de la crise économique de 2008 sur l’aide à la santé n’étaient pas justifiées ? Pas nécessairement, il se pourrait que l’expression « vigoureuse » de ces inquiétudes ait permis de maintenir le niveau de l’aide. Par ailleurs, il apparaît que la lutte contre le VIH/SIDA reste, malgré la crise, le premier poste de dépense de l’aide à la santé. Cela n’est pas sans nuire au renforcement des capacités des systèmes de santé.


Annexe 1 : Évolution de l’aide à la santé par objet, 2007-2012 (milliards de dollars constants, 2012)

Années 2007 2008 2009 2010 2011 2012 Taux de croissance 2007-2012
(en %)
VIH/SIDA 5,29 6,09 6,04 5,70 6,23 4,18 - 21,05
Population et santé reproductive 1,58 1,81 1,53 1,54 1,66 2,32 47,04
Maladies infectieuses 1,67 1,58 2,03 1,74 1,74 1,66 - 0,36
Systèmes de santé 3,19 3,63 3,96 3,31 3,39 3,79 18,76
Total aide à la santé 11,73 13,11 13,56 12,29 13,03 11,95 1,88
figure im6
[11] Le VIH/SIDA est séparé des autres maladies infectieuses.
[12] Cette catégorie n’inclut pas ici le VIH/SIDA.

Annexe 1 : Évolution de l’aide à la santé par objet, 2007-2012 (milliards de dollars constants, 2012)

Le VIH/SIDA [11] englobe le code 13040 (lutte contre les MST, y compris le VIH/SIDA) et 16064 (atténuation sociale de VIH/SIDA) ; la population et la santé reproductive inclut les codes 13010 (politique démographique et administrative gestion), 13020 (soins de santé génésique), 13030 (planification familiale) et 13081 (développement personnel pour la population et la santé reproductive) ; les maladies infectieuses [12] rassemblent les codes 12250 (contrôle des maladies infectieuses), 12262 (lutte contre le paludisme) et 12263 (lutte contre la tuberculose) ; et le renforcement des systèmes de santé comprend les codes 12110 (politique de santé et de la gestion administrative), 12181 (formation médicale/formation), 12182 (recherche médicale), 12191 (services médicaux), 12220 (soins de santé de base), 12230 (infrastructures de santé de base), 12240 (alimentation de base), 12261 (éducation à la santé) et 12281 (personnel de santé).
présentation des auteurs d’après des données de l’OCDE, calculs sur données non arrondies.

Bibliographie

BIBLIOGRAPHIE

  • BARRY M. (2013) Sécurité des riches contre besoins des pauvres ? L’aide à la santé en Afrique, Revue Française de Socio-Économie, vol. 1, n° 1, 101-123.
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Mots-clés éditeurs : aide à la santé, système de santé, VIH/SIDA

Mise en ligne 21/09/2015

https://doi.org/10.3917/med.171.0135

Notes

  • [1]
    1. Coordinateur national du programme de l’ONG américaine Search for common ground en Guinée et chercheur associé au Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (CLERSE-CNRS). mbarry@sfcg.org
    2. Université d’Ottawa, Canada, École de développement international et mondialisation. sanni.yaya@uOttawa.ca
  • [2]
    Margaret Chan, Directeur général de l'OMS, Allocution à la soixante-cinquième Assemblée mondiale de la santé, Genève, Suisse, 21 mai 2012,
    http://www.who.int/dg/speeches/2012/wha_20120521/fr/ (consulté le 14 octobre 2013).
  • [3]
    La 25ème réunion du Conseil de coordination du programme de l’ONUSIDA a porté sur l’« Impact de la crise financière et économique mondiale sur la riposte au sida ». Voir http://www.unaids.org/en/media/unaids/contentassets/dataimport/pub/informationnote/2009 /20090922_ubwsubcommittee_final_fr.pdf (consulté le 14 octobre 2013).
  • [4]
    Voir http://www.africanpu.org/pdf/upa_crise_eco1.pdf (consulté le 14 octobre 2013).
  • [5]
    Les termes entre parenthèses ont été ajoutés par les auteurs.
  • [6]
    Ban Ki-Moon, Secrétaire général des Nations Unies, dans la préface du Rapport sur les Objectifs du Millénaire, ONU, 2009.
  • [7]
    Cf. Act Up : http://www.actupparis.org/spip.php?article3575 (consulté le 14 octobre 2013).
  • [8]
    Terminologie institutionnelle des bailleurs, notamment de l’OCDE, pour désigner l’aide à la santé dans les pays en développement.
  • [9]
    L’aide qui vise à améliorer l’accès à une eau potable n’est pas comptabilisée dans l’aide à la santé, bien que son impact sur cette dernière soit évident.
  • [10]
    De façon générale, l’approche verticale renvoie à des cas de figure où la solution d’un problème sanitaire donné est abordée par le biais de l’application de mesures spécifiques à ce problème.
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