Notes
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[1]
Docteur en géographie, Université de Strasbourg. smullerxxi@gmail.com
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[2]
Des données clés de ce pays figurent en annexe.
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[3]
Albumen séché de noix de coco obtenu par fumage, séchage au soleil, séchage au four, ou combinaison des trois méthodes. Le coprah est utilisé dans l’industrie comme matière première pour produire de l’huile.
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[4]
L’expression « produits de rente classiques » ou « filières d’exportation classiques », désigne, dans la suite de cet article, les exportations traditionnelles de produits de base tropicaux dont la culture est héritée de la colonisation.
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[5]
Système européen de stabilisation des exportations des produits agricoles dans les pays pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) mis en place par la convention de Lomé en 1975, puis supprimé en 2000 par l’accord de Cotonou.
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[6]
Créée en 1962 par un organisme français, l’Institut de recherche des huiles et les oléagineux (IRHO), cette station était initialement consacrée à la recherche sur le cocotier. Relevant du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) en 1985 (après la fusion de l’IRHO avec ce dernier), elle fut nationalisée en 2002 pour constituer le Centre technique de recherche agronomique du Vanuatu (CTRAV).
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[7]
Lors du dernier recensement agricole, en 2008, il était estimé que 98 % des ménages ruraux pratiquaient l’agriculture, la pêche et la foresterie, ces activités procurant au total 65 % des revenus des ménages (VNSO, 2008b).
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[8]
La pomme de terre, rapportée en Espagne après la conquête de l’Amérique, ne fût-elle pas maudite par les prêtres espagnols, comme une « racine diabolique » (De Gubernatis, 1882) ; puis affublée en Russie du nom de « pomme du diable » (Harwich, 2000) ?
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[9]
Dans une logique de production de masse, il s’agit de produire, aux moindres coûts, des biens transférables car non liés au territoire.
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[10]
D’après Colletis et Pecqueur (1994 ; 2004, 6) une ressource spécifique est une ressource endogène, non transférable, qui résulte « d’une histoire longue, d’une accumulation de mémoire » et qui est inévitablement « ancrée dans un territoire ».
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[11]
Caractéristiques physico-chimiques associées à un cultivar.
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[12]
Opérateurs commerciaux, comme le Groupe Casino, qui souhaitent, notamment, compléter leur offre de contre-saison (Lenfant, 2010).
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[13]
« Vanuatu Inter-island Shipping Project » cofinancé par la Banque asiatique de développement, la Nouvelle-Zélande et l’État vanuatais ; projet visant à soutenir les liaisons maritimes situées à l’écart des grands axes de transport inter-îles.
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[14]
Composition génétique d’un individu. L’expression de ce génotype, i.e l’ensemble de ses propriétés morphologiques et organoleptiques, varie selon les caractéristiques du milieu et les techniques de culture. La notion de terroir souligne cette combinaison entre génotype, milieu local et savoir-faire qui contribue à la qualité spécifique d’un produit.
1 Les petits États du Pacifique Sud, en marge des circuits de commercialisation des denrées agricoles, figurent sans doute parmi les pays les plus désavantagés dans le contexte de mondialisation. Si cette dernière s’est affirmée au cours des récentes décennies comme un puissant processus de compression de l’espace et du temps, le cadre est autre pour ces petits territoires insulaires. Coûts d’infrastructure élevés en premier lieu pour le transport du fait de l’émiettement insulaire et des distances entre les îles, faiblesse des bases productives, étroitesse des superficies compromettant toute économie d’échelle sont autant d’éléments qui se conjuguent pour miner leur compétitivité au niveau international. Au plan de l’agriculture, ces pays se caractérisent par d’anciennes structures productives mises en place à l’époque coloniale et fondées sur l’exportation de produits de base. Compte tenu de l’isolement et des faibles niveaux de production, de telles structures ne se concevaient, déjà à l’époque, autrement que dans une relation de dépendance étroite à la métropole. Dans le contexte actuel, les États, soutenus par les bailleurs de fonds, tendent à focaliser leurs efforts dans une lutte visant à maintenir la viabilité de ces filières, ce qui les conduit, dans la plupart des cas, à négliger les potentialités des ressources agricoles locales et à occulter l’existence de marchés intérieurs (certes étroits mais non pas absents).
2 Le cas du Vanuatu [2], archipel de Mélanésie, est édifiant. Considérée comme le « nerf de l’économie », l’agriculture d’exportation fondée sur des produits tropicaux anciens (coprah [3] et dans une moindre mesure cacao et café) est en déclin rapide. Alors que le maintien de ces produits d’exportation mobilise l’attention des experts, le marché intérieur est délaissé. Si des filières de commercialisation des produits vivriers ont émergé, en l’absence de soutien des pouvoirs publics, elles peinent à faire face aux contraintes liées à l’atomisation des foyers de production à travers l’archipel. Au Vanuatu, comme dans d’autres pays du Pacifique Sud, la subsistance de la population urbaine repose sur des importations alimentaires. Ces orientations se soldent aujourd’hui par une nette dégradation des régimes alimentaires et une vulnérabilité accrue de ces populations en situation de dépendance. À de nombreux égards, le pays est conforté dans sa situation de dépendance économique et financière.
3 Après avoir mesuré les limites des stratégies économiques centrées sur l’exploitation des produits de rente classiques [4] et leur impact indirect sur la sécurité alimentaire, cet article explore une voie alternative résidant dans la promotion et la valorisation de produits traditionnels locaux.
1. MISE EN PLACE ET DÉCLIN D’UNE AGRICULTURE D’EXPORTATION
1.1 Des plantations coloniales aux plantations villageoises : quelques repères historiques
4 Le développement d’une agriculture d’exportation trouve son origine dans la colonisation. Si les premières plantations (développées par des colons britanniques) furent consacrées à la culture du coton à l’époque propice de la guerre de Sécession aux États-Unis, de nouvelles cultures de rente (café et principalement coprah) prennent le relais à partir des années 1880, période qui signe la montée en puissance des intérêts français dans l’économie de plantation. Le Condominium franco-britannique (conclu en 1906) procure par la suite le cadre nécessaire au développement du secteur (Bonnemaison, 1996). Plus tard le système est amélioré par l’introduction d’un élevage bovin sous cocoteraies et la mise en place de cultures intercalaires de cacao, tandis que les colons font appel à une force de travail étrangère (venant principalement d’Indochine) recrutée sous contrat.
5 Au départ entre les mains d’un petit nombre de colons, le secteur est progressivement investi par les cultivateurs locaux, en parallèle de leurs activités de subsistance. La participation villageoise à l’économie de plantation devient plus importante après la Seconde Guerre mondiale, lorsque les colons, anticipant la décolonisation et affaiblis par la crise de 1930, délaissent le secteur (Bonnemaison, 1986). Ainsi se mettent en place des systèmes de production villageois « dualistes » reposant, en équilibre instable, sur deux sous-systèmes, l’un axé sur les cultures de rente, l’autre sur le vivrier (Antheaume et Lawrence, 1985). Cette souplesse garantit aux petits planteurs une moindre dépendance que les colons aux aléas climatiques et à ceux des cours mondiaux, d’où une contribution accrue des planteurs mélanésiens à l’accroissement de la production d’exportation (Labouisse, 2004).
6 En 1952, la production repose déjà pour plus de la moitié sur les exploitations villageoises (Bonnemaison, 1986) En 1981, cette part atteint 73 % de la production totale de coprah du pays et les plantations de cocotiers, longtemps cantonnées dans les zones littorales, ont gagné les terres intérieures (Labouisse, 2004). La même année est créée l’Office de commercialisation des produits de base (OCPB) dans le but de structurer les filières d’exportation. Pour corriger les effets des variations des cours mondiaux, le gouvernement lui adjoint une caisse de compensation ; alimentée par les fonds Stabex [5], elle vise à stabiliser les prix payés aux planteurs et à compenser les surcoûts de transport affectant les producteurs des zones périphériques (David, 1997). Après l’indépendance les initiatives se multiplient en faveur de l’amélioration de la qualité du coprah et de l’accroissement de la production, dans le sillage des activités de la station de recherche agronomique de Santo [6].
1.2 Des produits d’exportation classiques en déclin rapide
7 Ces efforts contribuent à faire du coprah, au lendemain de l’indépendance, le principal produit d’exportation du pays : s’il assurait déjà 46 % du revenu d’exportation pendant la décennie 1967-1977, il atteint 76 % en 1981, puis 85 % en 1984. L’économie nationale devient donc dépendante d’un produit d’exportation dont les revenus sont extrêmement instables en raison de l’importante fluctuation des cours mondiaux. Durant les dernières décennies, la dépréciation des cours du coprah sur le marché mondial – notamment en raison de la forte concurrence de l’huile de palmiste – précipite le déclin de la filière (figure 1). En conséquence, sa part dans les revenus d’exportation du pays retombe à 34 % en 2000, puis chute à 22 % en 2007 (VNSO, 2008b). La situation de la filière cacao n’est pas beaucoup plus encourageante. Si les cours connaissent ponctuellement des flambées, comme en 2010 suite à la crise en Côte d’Ivoire, et depuis 2013, conséquence de la grève générale au Nigéria et de la sécheresse en Afrique de l’Ouest, ceux-ci restent marqués par une très forte instabilité. Ainsi, en dépit des investissements français et européens pour soutenir la production vanuataise, celle-ci se contracte inexorablement (Mc Gregor et al., 2009). Le déclin de ces filières d’exportation classiques a lieu dans des circonstances marquées par une remise en cause croissante du rôle de l’OCPB, critiqué pour sa mauvaise gestion des fonds Stabex dans les années 1990 ; si, dans le contexte de dérégulation du commerce, l’OCPB s’est retiré de la vente directe du coprah et du cacao, il continue à délivrer des licences d’exportation dont les effets néfastes sur des secteurs déjà en perte de vitesse sont dénoncés. Alors que le déclin des filières de produits de base semble irrémédiable, seul le kava (Piper methysticum), une culture traditionnelle récemment érigée en culture de rente, montre quelques signes de dynamisme. Cette plante, dont la racine broyée est la base d’une boisson relaxante appréciée dans tout le Pacifique Sud est devenue, depuis la fin des années 1990, le deuxième produit d’exportation du pays (figure 1). Malgré sa position de monopole dans la région, la filière (qui intéresse peu les bailleurs de fonds) peine toutefois à respecter les standards de qualité requis pour l’exportation ; les relations commerciales avec les pays voisins se soldent donc ponctuellement par des déconvenues qui entachent la réputation du produit.
Évolution des exportations des principaux produits d’exportation, Vanuatu, 1996-2012 (millions de vatus)
Évolution des exportations des principaux produits d’exportation, Vanuatu, 1996-2012 (millions de vatus)
2. PÉRIPHÉRISATION, DÉPENDANCE ÉCONOMIQUE ET ALIMENTAIRE : LE PRIX DE L’INSERTION DANS LA MONDIALISATION ?
8 L’expérience du Vanuatu est emblématique de la situation de nombreux pays du Pacifique Sud. Au sortir des indépendances, la reproduction d’un modèle hérité de l’économie de comptoir a plongé la plupart de ces pays dans une situation de dépendance quasi structurelle. Dans le cadre de la mondialisation, ils payent le prix de leur faible superficie dans des étendues maritimes immenses, interdisant toute économie d’échelle. En l’absence de ressources naturelles (minerais, gaz, etc.), à l’inverse de la Papouasie-Nouvelle-Guinée ou de Fidji, théâtres de grands projets d’extraction de ces ressources, au Vanuatu, l’effondrement de l’économie du coprah se solde par le déficit du commerce extérieur, condamnant le pays à dépendre de l’aide publique internationale. Par une succession de relations causales, cette dépendance économique a tendance à se muer aujourd’hui en dépendance alimentaire.
2.1 Découplage urbain/rural et sous-développement du vivrier marchand
9 Les difficultés actuelles renvoient à un problème de désarticulation entre villes et campagnes, commun à de nombreux États du Pacifique Sud. L’extraversion des structures économiques combinée à la fragmentation insulaire favorise une disjonction de plus en plus marquée entre les villes, qui se rattachent progressivement aux réseaux du système économique mondial, et l’ensemble du monde rural en voie de « super-périphérisation » (David, 2003). Selon Ward et Ward (1980), cette désarticulation est renforcée par l’incapacité des centres secondaires, choisis par les anciennes administrations coloniales, à jouer convenablement le rôle de maillons entre villes et campagnes. Le Vanuatu constitue un cas d’école avec seulement deux villes officielles – Port-Vila, la capitale, sur l’île d’Efaté (44 000 habitants) et Luganville sur l’île de Santo (11 000 habitants) – pour plus de 1 500 villages (dont 6 seulement comptent plus de 1 000 habitants). Compte tenu de l’émiettement insulaire et des distances importantes entre les îles, le sous-développement de ces centres secondaires semble relever, au Vanuatu, d’un problème structurel. Eu égard à la dispersion et à l’éloignement des populations, ces derniers ont peu à offrir en comparaison avec Luganville ou Port-Vila. Dans un tel contexte, le village a tendance à se comporter comme une entité autonome ; du reste il est très peu sollicité par le système national si ce n’est en tant que réservoir de votes pour les élections, comme le souligne Jackson (1983) à propos de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Corollaire de cette désarticulation : l’asthénie du secteur vivrier marchand. Nonobstant des systèmes vivriers d’une richesse exceptionnelle (Muller, 2010), au Vanuatu l’agriculture ne nourrit pas, ou très peu, les villes. Si des filières ont émergé en l’absence de soutien des pouvoirs publics, l’éparpillement de la production du fait de la fragmentation insulaire implique des coûts de transport extrêmement élevés (et qui plus est, pour des denrées pouvant, comme les tubercules, contenir jusqu’à trois-quarts d’eau), ce qui induit, en fin de circuit, des prix souvent dissuasifs pour le consommateur urbain.
2.2 Hausse des importations alimentaires et déficit de la balance commerciale
10 Dans ce contexte, les importations alimentaires (rapportées à la population) sont en hausse constante, en valeur et en quantité, depuis les vingt dernières années (figure 2). Introduit à l’époque coloniale comme ration quotidienne dans les plantations, le riz représente invariablement près du quart (23 % en 2005) de ces importations (en valeur) et fait aujourd’hui partie intégrante des régimes alimentaires. Sa présence dans les menus quotidiens des écoles de l’archipel y a sans doute contribué, les élèves y prenant goût dès leur jeune âge. Le riz s’avère, en outre, particulièrement compétitif face aux tubercules locaux en raison des facilités de transport, de conservation et de préparation qu’il présente. Pour les consommateurs urbains, il est surtout plus « rentable » en valeur énergétique rapportée au prix de la matière sèche (Mc Gee et al., 1980).
Importations de riz et de farine en kg par habitant (1989-2007)
Importations de riz et de farine en kg par habitant (1989-2007)
11 Effet pervers de la monétarisation de l’économie, la consommation des denrées importées ne se limite pas à la population urbaine : elle s’étend aussi aux zones rurales via l’entremise d’un réseau souple de petites épiceries villageoises diffusant au plus profond de l’archipel (Muller, 2010). Dans un cadre culturel où les rapports sociaux se sont toujours matérialisés par des échanges de nourriture, les aliments importés tendent, de surcroît, à devenir un nouvel objet d’expression du prestige social (Walter et al., 1999). En témoigne leur pénétration croissante dans la sphère des cérémonies coutumières et, de manière générale, dans tous les événements qui marquent la vie sociale des villages. Les ménages ruraux pour lesquels l’agriculture est la principale source de subsistance [7] auraient ainsi consacré 21 % du total de leurs dépenses à l’achat de produits alimentaires en 2006 (VNSO, 2008a).
12 L’engouement croissant de la population pour ces produits, conjugué à l’augmentation des prix, entraîne l’accroissement de la facture des importations alimentaires, lesquelles dépassent aujourd’hui les revenus procurés par les exportations agricoles, creusant le déficit de la balance commerciale du pays (198 millions de dollars en 2012, soit 25 % du PIB (FMI, 2013)). Dans le même temps, les régimes alimentaires se dégradent : le riz blanc et la farine de blé blanche sont moins riches en vitamines et en minéraux que les plantes traditionnelles comme l’igname, le taro ou le fruit de l’arbre à pain ; le sucre (consommé en grande quantité) est sans grande valeur nutritive ; les denrées importées sont, par ailleurs, beaucoup plus grasses. Ainsi, une récente étude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a-t-elle mis en évidence des taux de prévalence de l’obésité et de diabète particulièrement élevés au sein de la population urbaine du Vanuatu, directement imputables à la consommation de ces denrées (Hugues, 2003).
2.3 Rupture de l’autosuffisance alimentaire
13 Parce qu’ils sont générateurs de besoins nouveaux, les changements alimentaires et, de manière plus large, la transformation des modes de vie, précipitent les petits producteurs dans le cycle de la production marchande. S’ils veulent maintenir leur consommation, ces derniers n’ont d’autres choix que de s’investir de manière croissante dans les cultures d’exportation. Confrontés à la baisse structurelle des recettes issues des cultures de rente classiques, ils ont alors souvent tendance à augmenter la production pour compenser le manque à gagner. Comme le relevait déjà Rodman à la fin des années 1980 et comme nous l’avons observé nous-même vingt ans plus tard, confrontés à la fluctuation des cours, les producteurs ont pris l’habitude de calibrer leur production en fonction d’objectifs de consommation prédéterminés : « au lieu de faire du coprah pour gagner de l’argent, les petits producteurs font du coprah pour financer des dépenses. Ainsi les 68 producteurs enquêtés dans le cadre de mes recherches [à Longana sur l’île d’Ambae], se souvenaient combien ils avaient produit de coprah pour répondre à des objectifs spécifiques comme acheter une machine à coudre, payer des droits d’inscription ou financer un mariage » (Rodman, 1993, 174-175, notre traduction).
14 Cet investissement dans les cultures de rente classiques ne peut se faire qu’au prix du détournement d’une partie des terres et de la force de travail nécessaires au maintien de l’horticulture traditionnelle. S’il est difficile de quantifier la production, il fait peu de doute que l’agriculture de subsistance ne soit plus suffisante aujourd’hui pour assurer à elle seule la sécurité alimentaire. Les résultats du recensement agricole de 2007, bien que sujets à caution, sont inquiétants : la surface moyenne des terres consacrées au vivrier y est évaluée à 20 ares, soit environ 4 ares par habitant ; à titre de comparaison, Barrau (1956) estimait, dans les années 1950, à 10 ares par tête et par an la surface moyenne cultivée en Mélanésie (vivrière). Cette diminution est d’autant plus inquiétante qu’elle s’accompagne d’un phénomène généralisé de rétrogression vers des formes de culture plus extensives : Brookfield (1972) et Bonnemaison (1996) évoquaient déjà un phénomène de « désintensification » des systèmes vivriers, provoqué par la diversion de la main-d’œuvre indispensable au maintien des formes intensives de l’horticulture traditionnelle. Cette rétrogression est compensée, toutefois, par un allongement des cycles de culture, à la faveur de plantes exotiques (manioc, patates douces) moins exigeantes en temps de travail et quant à la qualité du sol, qui concurrencent les plantes locales… et sans doute aussi par la place nouvellement occupée par les aliments importés dans les régimes alimentaires.
15 L’intégration du Vanuatu dans les circuits de production et de consommation mondialisés semble donc avoir lieu au prix d’un glissement progressif du pays vers une situation de dépendance alimentaire. Ce « fait absurde », compte tenu des fortes potentialités des systèmes horticoles traditionnels, avait déjà été souligné par Joël Bonnemaison au lendemain de l’indépendance. Trente ans plus tard, en dépit des efforts pour diversifier la politique de développement, le même constat demeure et s’aggrave. Si les agrosystèmes locaux se maintiennent peu ou prou, notamment grâce à l’introduction de racines et de tubercules exotiques moins exigeantes comme le manioc (Muller 2010 ; Sardos, 2008) la question est de savoir jusqu’où ce paradoxe peut être poussé sans atteindre le point de rupture.
3. VALORISER DES RESSOURCES ANCRÉES DANS LE TERRITOIRE, UNE ALTERNATIVE ?
16 L’investissement des villageois dans l’économie de plantation tend à se faire au détriment de l’horticulture traditionnelle, activité porteuse d’identité et de culture au Vanuatu, comme dans toute la Mélanésie. Force est de reconnaître que depuis les temps coloniaux, l’engagement des sociétés locales dans la voie du développement est vécu, de manière plus ou moins intense selon les époques, comme une sorte de déracinement. Le qualificatif d’« arbres des Blancs » (Caillon, 2008) utilisé par les Vanuatais pour désigner le cocotier et le cacaoyer est en ce sens révélateur. Naturellement, la promotion de ces cultures par les « développeurs » s’est accompagnée de discours jetant le discrédit sur les régimes alimentaires locaux ; il est vrai que dans l’imaginaire judéo-chrétien, les racines et les tubercules, peut-être parce qu’ils poussent sous terre, ne bénéficient pas du prestige des céréales [8]. Cette distorsion a donné lieu à une situation où la coutume, et plus largement les modes de vie mélanésiens, sont perçus en antinomie avec les valeurs du développement. L’intégration dans le système de la production marchande apparaît alors comme une opération éminemment risquée. Dans les conditions actuelles, les peuples du Vanuatu encourent le risque évident de perdre sur les deux plans, autrement dit de voir la pauvreté moderne envahir le champ de la richesse traditionnelle (Bonnemaison, 1996). Les Vanuatais seraient-ils en voie de devenir des « naufragés du développement », des peuples condamnés à vivre dans un entre-deux tragique « entre la tradition perdue et la modernité inaccessible » (Latouche, 1991) ? Une autre voie est sans doute possible. Si jusqu’à présent le pays a misé sur la production de produits de base standardisés, un enjeu majeur semble se situer, au contraire, dans la valorisation des spécificités du territoire, à commencer par certaines productions agricoles. Cet enjeu est d’autant plus fort que la mondialisation a tendance aujourd’hui à changer de forme. Comme l’explique Pecqueur (2006, 27), si, en vertu de la théorie de l’avantage comparatif, le modèle d’organisation de l’économie globale a longtemps été relativement indifférent aux contextes géographiques et culturels locaux [9], une stratégie alternative consiste à faire jouer un avantage différenciatif en visant des productions spécifiques [10] pour lesquelles les producteurs « seraient (dans l’idéal) en situation de monopole ». Dans cette optique, les caractéristiques du milieu, tout comme les savoirs et savoir-faire mobilisés à tous les stades de la production, deviennent des atouts à valoriser : c’est ce que Pecqueur appelle le « tournant territorial de l’économie mondiale ».
3.1 Le kava, ses succès, ses déboires et ses enseignements
17 Plante dont la racine broyée sert à la réalisation d’une boisson relaxante dont la consommation revêt une importante signification culturelle en Océanie, le kava comporte tous les attributs d’une « ressource spécifique » : l’aire de distribution de la plante étant limitée au seul Pacifique Sud, le produit échappe partiellement à la concurrence du marché ; les États producteurs sont donc en position d’exercer un contrôle sur les prix. Parmi ces États, le Vanuatu dispose d’un important avantage différenciatif : foyer de domestication de l’espèce, l’archipel abrite une grande diversité de cultivars parmi lesquels un certain nombre de variétés nobles (chacune associée à un terroir spécifique) qui se distinguent par la qualité de leurs chimiotypes [11], résultat d’un travail de sélection mené par des générations d’horticulteurs. C’est ici qu’interviennent pleinement les savoirs et savoir-faire liés aux territoires, les ressources spécifiques dans le sens développé par Pecqueur (2006).
18 De manière significative, la plante s’est hissée depuis la fin des années 1990 au rang des principales cultures d’exportation du pays. À cette période, le marché international du kava connaît un « essor fulgurant » (Boisvert, 2005) : le produit fait alors l’objet d’un vaste engouement en Europe et aux États-Unis où on l’utilise comme un substitut naturel aux anxiolytiques. Ce succès international sera toutefois de courte durée, la détection de cas d’hépatite fulminante chez des consommateurs occidentaux ayant rapidement entraîné l’interdiction des produits dérivés du kava sur ces marchés, interdiction qui semble aujourd’hui encore loin d’être levée, bien que la plante ait été mise hors de cause.
19 En dépit de ces difficultés qui rappellent la vulnérabilité des petites économies insulaires propulsées au niveau global et soulignent la nécessité de diversifier les sources de revenu, le kava a conservé une place importante dans les exportations de l’archipel, grâce à l’existence d’un marché régional de consommateurs : le revenu d’exportation oscille, en effet, depuis 1999 autour de 400 millions de vatus, soit la moitié du pic atteint en 1998 (figure 1). Si le Vanuatu, foyer de diversification de l’espèce, riche d’une culture millénaire du kava, est censé bénéficier d’un puissant avantage lié à la subtilité des produits cultivés sur ce marché, des voix s’élèvent pourtant pour dénoncer le sous-investissement de la puissance publique et des bailleurs de fonds dans la valorisation de la ressource (Island business, 2008). De manière paradoxale, la filière rencontre des problèmes de qualité à l’export, du fait notamment d’un manque de contrôle des services de l’État. En outre, en l’absence de législation appropriée pour protéger les variétés locales, des variétés vanuataises cultivées à l’étranger (par exemple à Fidji) viennent concurrencer le kava du Vanuatu. Le développement d’une stratégie fondée sur le développement d’instruments de labellisation (indications géographiques, appellations d’origine), dans le sillage des efforts déjà menés pour améliorer la qualité du kava exporté, apparaît donc aussi urgent que prometteur.
20 Enfin, les dernières décennies ont démontré le potentiel du marché local (intérieur) du kava en dépit de sa taille restreinte : la production destinée à la consommation domestique a été évaluée en 2001 à 7 500 tonnes de produit frais environ (Lebot, 2001), ce qui correspond en valeur à près de 500 millions de vatus (4 millions d’euros), une somme équivalente au revenu d’exportation procuré par la ressource. La capitale compte aujourd’hui plus d’une centaine de bars à kava ; ces derniers devraient encore proliférer compte tenu de la croissance urbaine. À nouveau cependant, l’action des pouvoirs publics fait défaut et c’est en l’absence d’aide extérieure que s’est constituée la filière. Les producteurs ont pourtant compris le potentiel commercial du kava ; en atteste le nombre des ménages investis dans cette culture, passé de 12 500 environ en 1990 à un peu plus de 20 000 en 2007, soit 70 % des ménages ruraux (VNSO, 2008b). La plante, déracinable après trois ou quatre cycles végétatifs, a l’avantage d’être parfaitement intégrée aux systèmes agraires traditionnels fondés sur les associations et la rotation des cultures, un atout supplémentaire par rapport aux cultures de rentes pérennes qui soustraient la terre à l’agriculture traditionnelle.
3.2 La valorisation des plantes à racines et tubercules : un enjeu pour le marché local ?
21 Les racines et tubercules constituent un autre enjeu important de valorisation de produits locaux. Parmi ces dernières, le taro (Colocasia esculenta) et l’igname (Dioscorea spp.) présentent dans l’archipel un nombre élevé de cultivars. Ces deux plantes millénaires ont probablement été domestiquées en Nouvelle-Guinée. Elles furent graduellement introduites dans les îles du Pacifique, le taro devenant la plante pilier des zones humides et l’igname, celle des zones plus sèches. Au Vanuatu, ces introductions eurent lieu il y a peut-être 3 000 ans avec les premières migrations. Le macabo (Xanthosoma sagittifolium), la patate douce (Ipomoeas batatas) et le manioc (Manihot esculenta) furent introduites par la suite dans le sillage du contact européen. Cultivées dans le cadre de systèmes horticoles particulièrement respectueux de l’environnement permettant, par l’entremise d’associations complexes, l’optimisation des rendements par unité de surface, ces plantes forment au Vanuatu un patrimoine culturel et biologique unique au monde (13 espèces, plus d’un millier de variétés, parmi lesquelles certaines présentent de grandes qualités organoleptiques et nutritives) qu’il convient de préserver (Sardos, 2008). Les systèmes horticoles du Vanuatu subissent en effet des pressions en raison de la croissance démographique et de l’extension des surfaces consacrées aux cultures commerciales pérennes
22 Cet atout reste cependant difficile à valoriser sur le marché international. D’abord, l’exportation des tubercules (frais, en farine ou surgelés) nécessite une standardisation des produits, difficilement compatible avec la mise en œuvre de stratégies fondées sur la spécification et l’exploitation de l’avantage différenciatif. Ensuite, le marché régional (essentiellement constitué par les populations mélanésiennes et polynésiennes d’Australie et de Nouvelle-Zélande) est difficile d’accès. L’Australie, par exemple, a adopté des normes sanitaires à l’importation très sévères qui constituent souvent des barrières à l’entrée pour les exportateurs océaniens. Sur ce marché, les exportateurs vanuatais font également face à la concurrence des entreprises fidjiennes qui pratiquent des prix jusqu’à 20 % inférieurs grâce à de meilleurs réseaux de communication et à une production moins dispersée. Enfin, si les tubercules du Vanuatu peuvent trouver un débouché certain en Nouvelle-Calédonie, ce territoire reste un marché fermé depuis l’adoption, en 1996, d’une mesure protectionniste interdisant l’importation de tubercules tropicaux pour protéger l’agriculture locale, et cela en dépit d’une demande de la part d’opérateurs économiques importants [12] (Lenfant, 2010).
23 En raison de ces difficultés, le marché extérieur ne semble pas le plus prometteur, du moins à court terme ; il paraît impératif, en revanche, de concentrer les efforts dans le développement d’une offre de produits vivriers marchands à destination du marché local. Le principal frein au développement de ce secteur, réside, on l’a vu, dans la concurrence exercée par les denrées alimentaires importées tel le riz. Comme le souligne Mc Gregor (1999), augmenter le prix du riz à travers des mesures protectionnistes serait une opération risquée étant donné le rôle qu’il joue aujourd’hui dans la sécurité alimentaire. L’alternative est alors de rendre l’offre en produits vivriers marchands plus compétitive.
24 Cela impose de s’atteler à la résolution de plusieurs problèmes, à commencer par celui du transport. Compte tenu des faibles quantités produites localement, les coûts de fret extrêmement onéreux se répercutent inévitablement sur les prix des produits vendus. Face à ce problème, l’amélioration des conditions du transport inter-îles devrait être une priorité du gouvernement. Si jusque-là ce secteur n’a jamais suscité grand intérêt, le lancement récent d’un projet de rénovation des infrastructures maritimes comportant un intéressant volet de soutien aux routes non économiques constitue une perspective encourageante [13]. En complément de ces actions, toute initiative permettant de hisser le niveau de la production et de lisser les coûts d’évacuation (détaxe du carburant/ subventions) devrait être encouragée. Étant donné la fragmentation et les faibles niveaux de production, il paraît nécessaire aussi de favoriser l’émergence d’intermédiaires (grossistes, négociants, coopératives) à même d’assurer le regroupement des produits et leur distribution vers les lieux de vente. Ici également des perspectives se dessinent. Suite à la publication des résultats alarmants du recensement agricole de 2007, le ministère de l’Agriculture a envisagé un ambitieux programme de soutien et de développement des filières de produits vivriers marchands (Food Crops Development Program). Ce programme dont la concrétisation demeure, hélas, hypothétique, vise notamment à la mise en place de 25 centres de collecte décentralisés coordonnés par des agents des Services de l’Agriculture dans les îles. À cela pourrait s’ajouter une centaine de petites unités de transformation villageoises visant la production de denrées à plus forte valeur ajoutée (production de farines, amélioration du packaging) (Japiot, 2009). À supposer qu’ils puissent être mobilisés pour accueillir ce genre d’infrastructures, les centres secondaires existants pourraient en tirer un regain de dynamisme.
25 À l’autre bout de la chaîne, les conditions de la vente sur les marchés devraient également être améliorées. Le grand marché de Port-Vila et celui de Luganville, par exemple, ne sont pas des lieux propices à l’affirmation de comportements concurrentiels. Les pratiques commerciales sont, en effet, encadrées par des règles implicites très puissantes, comme celle consistant à pratiquer des prix fixes, quels que soient les vendeurs, la saison ou l’année. Si les valeurs mélanésiennes de partage sont souvent évoquées pour expliquer cette pratique, cette situation semble refléter aussi, à Port-Vila, la volonté des marchands locaux bien établis de protéger leur monopole et les marges importantes réalisées sur les produits vendus. Ainsi, les marchés semblent-il devoir faire l’objet de certaines actions pédagogiques à destination des vendeurs, d’une part, et d’interventions ciblées de la part des municipalités pour en faciliter l’accès aux producteurs des îles, d’autre part.
26 D’après Schwantz (1999), le maraîchage constituait déjà en 1999 la principale source de revenu (devant les cultures de rente) pour les producteurs d’Éfaté ayant accès régulièrement au marché. Selon Greindl (2000), les produits de la vente excéderaient 6 000 vatus (environ 48 euros) par jour de marché pour 50 % des vendeurs : il s’agit donc d’une activité lucrative quand elle peut avoir lieu sur des bases régulières. À partir des données collectées par cette dernière, Mc Gregor (1999) s’est risqué à une extrapolation pour estimer à 250 millions de vatus par an la valeur des produits vendus sur le marché de Port-Vila. Par ailleurs, les quantités de racines et tubercules écoulées via les échanges intra-familiaux entre ville et village dépasseraient les volumes vendus sur le marché. S’il est difficile d’évaluer la part occupée par les transactions marchandes dans ces échanges, celles-ci ne sont assurément pas absentes (les réseaux familiaux en ville sont souvent mobilisés comme relais pour la vente dans le quartier ou dans les bars à kava). À supposer que les produits vivriers puissent s’affirmer comme des produits compétitifs, les bénéfices pour l’économie locale devraient donc se faire sentir et cela d’autant plus que la croissance urbaine est particulièrement vigoureuse (+4,5 % par an dans la zone de Port-Vila).
27 L’émergence de classes moyennes à même de constituer un marché pour des produits plus sophistiqués laisse aussi entrevoir de nouvelles perspectives. La récente montée en puissance de variétés nobles de tubercules, érigées en « spécialités locales insulaires », a été abordée en détail par Muller (2009). Dans les îles, des horticulteurs ont, en effet, compris les bénéfices qu’ils peuvent tirer de la commercialisation en ville des variétés les plus nobles de leurs terroirs. Ces variétés de taro ou d’igname localement utilisées dans le cadre des cérémonies coutumières présentent des qualités exceptionnelles étroitement associées au terroir, c’est à-dire à la combinaison d’un génotype [14], d’un milieu et de méthodes de culture qui permettent d’obtenir des tubercules somptueux. Acheminés en ville, ils y constituent des « produits de luxe » vendus au prix fort auprès d’une clientèle de connaisseurs : nos informateurs du nord-ouest de Mallicolo ont affirmé écouler un certain nombre de leurs longues ignames rituelles vers Port-Vila où leur prix peut atteindre 6 000 vatus (48 euros) par tubercule.
CONCLUSION
28 Cet article a permis d’illustrer le potentiel des produits issus de l’agriculture traditionnelle. Si l’accent a été mis sur les ressources les plus évidentes, l’archipel abrite d’autres produits typiquement océaniens (les fruits de l’arbre à pain, une grande diversité de noix) qui semblent à même d’être valorisés. Un enjeu important réside aussi dans la diversification des filières d’exportation classiques (coprah, cacao), objectif qui pourrait être atteint via la valorisation de « produits de niche ». L’abolition récente du monopole exercé par l’OCPB pour la commercialisation de ces produits a ouvert de nouvelles perspectives. Une association de petits producteurs de Mallicolo (VOCGA) appuyée par un projet franco-européen s’est déjà saisie de cette opportunité en s’initiant à la production de cacao biologique pour le compte d’une petite entreprise française (KAOKA) dont le projet est aujourd’hui de développer un chocolat d’origine unique (McGregor et al., 2009) : la qualité du terroir et les savoir-faire paysans peuvent donc être valorisés aussi dans le secteur des produits tropicaux classiques.
29 La poursuite de cette évolution en faveur de la diversification de l’économie requiert toutefois l’engagement des pouvoirs publics et des bailleurs de fonds internationaux. Cela nécessite que l’État se décide à jouer le rôle de guide et de traducteur de la mondialisation qui lui incombe, notamment en prenant en charge la construction des « maillons manquants » entre villes et campagnes et entre niveaux local et global. Loin d’assumer ce rôle, la classe politique a plutôt montré, ces dernières décennies, son inclination pour les profits de court terme et sa capacité à utiliser toute opportunité pour tirer quelque avantage de la mondialisation (accession du Vanuatu aux rangs de paradis fiscal et de pavillon de complaisance, non-reconnaissance de Taïwan contre avantage financier chinois, etc.). Ces orientations, sur fond de corruption, n’ont jusqu’à présent guère contribué qu’à l’enrichissement d’élites locales et à creuser le fossé entre la capitale et les îles périphériques. S’il incombe aujourd’hui à l’État de s’affirmer comme un intermédiaire solide, l’insertion dans le système international ne semble néanmoins pouvoir faire l’économie d’une intégration régionale, fondée sur une gouvernance démocratique remettant en cause les lobbies et le clientélisme local. De toute évidence, un certain nombre de stratégies doivent être pensées à ce niveau.
30 Enfin, au-delà de l’enjeu économique, on saisit la force de l’enjeu social et culturel qui se dessine derrière la mobilisation de produits locaux dans le cadre de stratégies économiques fondées sur la spécification et/ou visant le marché local. Dans un période marquée par le bouleversement des références traditionnelles (identitaires, territoriales) sous l’effet de l’ouverture au monde, l’occasion semble grande de se saisir des ressources spécifiques, porteuses d’identité et de culture, pour réconcilier culture et développement et injecter du sens dans la modernité à laquelle aspirent les Vanuatais. Un tel projet permet de concevoir la vigoureuse croissance urbaine comme l’ouverture d’un champ d’opportunités nouvelles : loin de condamner les campagnes en ouvrant le champ à l’érosion de la diversité culturelle et biologique, l’épanouissement d’une société urbaine, en accord avec son passé rural et convenablement arrimée à ses campagnes, pourrait insuffler le dynamisme dont ont besoin les îles périphériques de l’archipel pour tirer parti de la mondialisation.
ANNEXE : Données clés du Vanuatu
31 Archipel de Mélanésie (environ 80 îles) situé à 540 km au nord-est de la Nouvelle-Calédonie.
32 Population : 270 000 habitants, dont 76 % ruraux et 24 % urbains.
33 Capitale : Port-Vila (44 000 habitants, en 2009).
34 Langues officielles : anglais, français, bichelamar (langue véhiculaire commune à l’ensemble des habitants). À ces trois langues officielles s’ajoutent plus d’une centaine de langues vernaculaires.
35 Monnaie : Vatu (1vt = 0,008 $, en janvier 2014).
36 PIB (PPA)/habitant : 4 843 $ (2013).
37 Balance commerciale : solde déficitaire correspondant à un quart du PIB en 2012.
38 Indépendance et Constitution : 30 juillet 1980.
39 Nature de l’État : République parlementaire faisant suite à un « Condominium franco-britannique » sans partage de territoire institué en 1906.
40 Sources : (FMI, 2013) et Le Monde, Le bilan du monde, économie et environnement, Édition 2014.
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Mots-clés éditeurs : Pacifique insulaire, produits locaux, mondialisation, économie d'archipel, agriculture
Mise en ligne 02/04/2014
https://doi.org/10.3917/med.165.0133Notes
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[1]
Docteur en géographie, Université de Strasbourg. smullerxxi@gmail.com
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[2]
Des données clés de ce pays figurent en annexe.
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[3]
Albumen séché de noix de coco obtenu par fumage, séchage au soleil, séchage au four, ou combinaison des trois méthodes. Le coprah est utilisé dans l’industrie comme matière première pour produire de l’huile.
-
[4]
L’expression « produits de rente classiques » ou « filières d’exportation classiques », désigne, dans la suite de cet article, les exportations traditionnelles de produits de base tropicaux dont la culture est héritée de la colonisation.
-
[5]
Système européen de stabilisation des exportations des produits agricoles dans les pays pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) mis en place par la convention de Lomé en 1975, puis supprimé en 2000 par l’accord de Cotonou.
-
[6]
Créée en 1962 par un organisme français, l’Institut de recherche des huiles et les oléagineux (IRHO), cette station était initialement consacrée à la recherche sur le cocotier. Relevant du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) en 1985 (après la fusion de l’IRHO avec ce dernier), elle fut nationalisée en 2002 pour constituer le Centre technique de recherche agronomique du Vanuatu (CTRAV).
-
[7]
Lors du dernier recensement agricole, en 2008, il était estimé que 98 % des ménages ruraux pratiquaient l’agriculture, la pêche et la foresterie, ces activités procurant au total 65 % des revenus des ménages (VNSO, 2008b).
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[8]
La pomme de terre, rapportée en Espagne après la conquête de l’Amérique, ne fût-elle pas maudite par les prêtres espagnols, comme une « racine diabolique » (De Gubernatis, 1882) ; puis affublée en Russie du nom de « pomme du diable » (Harwich, 2000) ?
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[9]
Dans une logique de production de masse, il s’agit de produire, aux moindres coûts, des biens transférables car non liés au territoire.
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[10]
D’après Colletis et Pecqueur (1994 ; 2004, 6) une ressource spécifique est une ressource endogène, non transférable, qui résulte « d’une histoire longue, d’une accumulation de mémoire » et qui est inévitablement « ancrée dans un territoire ».
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[11]
Caractéristiques physico-chimiques associées à un cultivar.
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[12]
Opérateurs commerciaux, comme le Groupe Casino, qui souhaitent, notamment, compléter leur offre de contre-saison (Lenfant, 2010).
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[13]
« Vanuatu Inter-island Shipping Project » cofinancé par la Banque asiatique de développement, la Nouvelle-Zélande et l’État vanuatais ; projet visant à soutenir les liaisons maritimes situées à l’écart des grands axes de transport inter-îles.
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[14]
Composition génétique d’un individu. L’expression de ce génotype, i.e l’ensemble de ses propriétés morphologiques et organoleptiques, varie selon les caractéristiques du milieu et les techniques de culture. La notion de terroir souligne cette combinaison entre génotype, milieu local et savoir-faire qui contribue à la qualité spécifique d’un produit.