Couverture de MED_161

Article de revue

Partenariat public-privé et financement des PME : une étude de cas dans le secteur de l'agroalimentaire au Burkina Faso

Pages 129 à 139

Notes

  • [1]
    Unité de formation et de recherches en sciences économiques et gestion (UFR/SEG), Université Ouaga II, Burkina Faso. florent_songnaba@yahoo.fr
  • [2]
    Les recettes d’exportation du coton ont diminué de 305 millions de dollars en 2006 (soit 65 % de la valeur totale des exportations du pays) à 152 millions en 2010 (soit 20 % de la valeur totale des exportations).
  • [3]
    Les données sur la taille du marché mondial du sésame et sur les exportations du Burkina Faso sont extraites de la base de données de la Chambre de commerce internationale (www.trademap.org).
  • [4]
    La demande en sésame au Burkina Faso a été évaluée à 200 000 tonnes en 2010/2011, contre une offre inférieure à 60 000 tonnes.

1 Dans de nombreuses études, le fait que les sources de financement sont inaccessibles pour les PME (petites et moyennes entreprises) apparaît comme l’un des principaux obstacles à la création et au développement de cette catégorie d’entreprises dans les pays les moins avancés (PMA) africains. La faiblesse des garanties proposées par ces entreprises, leur fort taux de mortalité, l’incompétence supposée, ou avérée, de leurs dirigeants à gérer convenablement et à rembourser le crédit, sont autant de griefs habituellement cités par les établissements de crédit pour justifier leur aversion envers ces entreprises (Lefilleur, 2008 ; Régnier et Song-Naba, 2004 ; Balkenhol et Lecointre, 1996). La frilosité des établissements de crédit est encore plus grande envers les PME évoluant dans la production, la transformation et/ou la commercialisation d’aliments d’origine agricole. La forte dépendance de ces entreprises aux conditions agroclimatiques pour leur approvisionnement en matières premières, ainsi que le caractère périssable de ces matières, rendent ces entreprises hautement vulnérables et risquées aux yeux du banquier. La Société financière internationale (SFI) (International Finance Corporation, IFC) fait remarquer, dans le cas du Ghana, que malgré le passage du nombre total d’établissements de crédit de 176 à 202 entre 2001 et 2006, l’autofinancement est resté au cours de la période le moyen le plus utilisé par les PME pour satisfaire leurs besoins (IFC, 2007). Toujours selon la même source, le secteur agricole n’a bénéficié, dans son ensemble, que de 6,3 % seulement du volume total de crédits distribués en 2006 dans ce pays, alors que ce secteur représente 41 % du PIB (produit intérieur brut), 54 % des emplois et des revenus et 50 % des recettes d’exportation. Ce paradoxe incite certaines agences de coopération internationale à considérer le partenariat public-privé (PPP), longtemps utilisé dans le financement des infrastructures économiques (routes, télécommunications, énergie, barrages, adductions d’eau potable, aéroports, etc.), comme un outil alternatif susceptible d’être exploité pour faciliter le financement des PME.

2 Dans sa définition la plus large, le terme PPP couvre toutes les formes d’association du secteur public et du secteur privé destinées à mettre en œuvre, dans une logique gagnant-gagnant, un service public ou marchand (Marty et al. 2006 ; Aubert et Patry, 2004). Les investissements nécessaires à la fourniture du service sont financés pour tout ou partie par le partenaire privé. Le paiement est assuré par les usagers ou par une collectivité publique, permettant ainsi de couvrir l’amortissement des investissements et leur exploitation. Les intérêts du partenaire public et du partenaire privé sont, en général, divergents, mais les prestations de ces partenaires sont supposées se compléter de telle sorte que tous deux parviennent à mieux atteindre leurs objectifs respectifs. L’intérêt du partenaire public est d’ordre général. Il consiste à tirer profit de l’expertise du secteur privé pour améliorer l’efficacité et l’efficience du service fourni. L’intérêt du partenaire privé est plutôt d’ordre commercial et financier. Il consiste à profiter de l’apport financier du secteur public pour améliorer les résultats commerciaux et financiers de l’entreprise concernée.

3 Dans le but d’expérimenter un tel dispositif, les coopérations néerlandaise et allemande ont, entre 2008 et 2010, en partenariat avec deux entreprises néerlandaises d’importation et de commercialisation de produits agroalimentaires, entrepris de financer la création et l’exploitation d’une PME de collecte, de nettoyage et d’exportation de graines de sésame au Burkina Faso. Si le PPP est présenté comme un mécanisme innovant de financement du développement en ce qu’il permet de compenser la faiblesse des ressources publiques (Pinaud, 2007), de faire face à la baisse tendancielle de l’aide publique au développement (Warner and Sullivan, 2004), de résoudre le problème récurrent de la médiocre qualité du service public (Mazouz, 2009) et de désengager progressivement l’État de la sphère productive au profit du secteur privé (Ulrich et Wettstein, 2005), nombre d’auteurs relèvent les risques du modèle. La question fondamentale qui est posée est notamment, de savoir comment sauvegarder durablement les intérêts publics, surtout lorsque le partenaire privé est une firme multinationale au pouvoir considérablement plus élevé que l’État avec lequel il noue un partenariat. Eberlein (2005) note, à ce propos, que les vertus qui ont pu être associées à la promotion des PPP ont parfois été surestimées et les risques qu’elle comporte partiellement occultés. Se basant sur un certain nombre d’exemples dans le domaine des infrastructures, il aboutit à la conclusion que dans la grande majorité des pays en développement les conditions nécessaires au bon fonctionnement des PPP ne sont pas réunies. Il cite la faiblesse des autorités de régulation, l’absence de pressions concurrentielles et le transfert de la plupart des risques au partenaire public.

4 L’étude présentée ici tire les premiers enseignements de l’expérience de PPP conduite par les coopérations allemande et néerlandaise, et deux entreprises néerlandaises, au Burkina Faso. Il s’agit de voir dans quelle mesure il a été possible de concilier les objectifs de développement des agences de coopération (lutte contre la pauvreté, création d’emplois ruraux, génération de revenus pour les paysans, amélioration des conditions de vie des populations rurales) avec les impératifs de rentabilité commerciale et financière des entreprises privées.

5 L’article comprend quatre parties. La première résume la méthodologie de la recherche. La seconde présente l’objet du PPP et les rôles des partenaires. La troisième fait ressortir les principaux résultats obtenus de la mise en œuvre du PPP. La quatrième synthétise les acquis et les limites de l’expérience.

1. MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

6 La démarche de la recherche est qualitative. Il s’agit d’une étude de cas dont les données empiriques ont été collectées en utilisant essentiellement la méthode de l’entretien semi-directif.

1.1 L’étude de cas comme démarche de recherche

7 La démarche de la recherche consiste en une étude de cas portant sur l’opérationnalisation du concept de partenariat public-privé dans le domaine du financement des PME. Le choix de la méthode du cas unique se justifie par son objet qui est de révéler un phénomène complexe et aussi d’appréhender les enjeux du phénomène en question. En effet, cette méthode autorise des analyses fines et en profondeur, particulièrement en termes de processus. Le résultat recherché n’est pas une précision de type numérique mais plutôt une précision d’ordre qualitatif. La visée de la précision qualitative est d’expliquer le phénomène et de produire des systèmes d’interprétation complets et cohérents. Comme le note Hlady-Rispal (2002), tout phénomène observé au travers d’un cas unique a potentiellement une portée générale. En tant que phénomène récent, peu de sources de données secondaires se rapportent à notre objet d’étude. Si l’on peut facilement mobiliser de la littérature portant sur le financement par PPP des infrastructures économiques, les écrits portant sur le financement des PME en général, agroalimentaires en particulier, par l’utilisation de cet instrument, sont rares, voire inexistantes, ce qui ne permet pas, pour l’instant, de confronter nos observations aux données d’autres cas de même nature. La réalisation d’autres études de cas pourrait aboutir, à terme, à l’émergence de modèles d’analyse mieux élaborés, dans un cadre méthodologique plus rigoureux.

1.2 L’entretien semi-directif comme méthode de collecte des données

8 Les travaux de terrain ont été menés de juin à octobre 2011 à Ouagadougou et dans la Boucle du Mouhoun, l’une des treize régions du Burkina Faso. Ont été interrogés trois cadres du Bureau de la coopération technique allemande (GIZ), deux dirigeants de la PME créée, cinq prestataires locaux ayant fourni des services dans le cadre de la mise en œuvre du PPP, quinze producteurs de sésame et deux agents du ministère de l’Agriculture. Un guide d’entretien spécifique a été élaboré pour chacune de ces catégories d’interlocuteurs. Les questions, essentiellement de nature ouverte, ont visé à cerner les attentes et les perceptions des partenaires par rapport à la mise en œuvre du PPP, et aussi à appréhender le sens que ces partenaires donnent à leurs comportements et à leurs décisions. Des questions portant sur des données chiffrées, comme le volume des investissements réalisés, le nombre de producteurs, les superficies concernées, les quantités de sésame produites et exportées, l’évolution des prix sur le marché, le chiffre d’affaires, etc. ont été introduites afin d’évaluer avec beaucoup plus de précision les résultats du PPP. Le nombre et la variété des personnes interrogées ont favorisé le croisement des données, ce qui a permis de repérer facilement les dissonances et les incohérences, et donc de limiter les biais inhérents à l’exploitation des discours produits au cours des entretiens.

2. OBJET DU PPP ET RÔLE DES PARTENAIRES

9 Le développement du sésame coïncide avec le déclin du coton au Burkina Faso [2] (Bedossa, 2012). Dans ce contexte, le projet de création et d’exploitation d’une PME performante de collecte, de nettoyage et d’exportation de graines de sésame est apparu comme une véritable alternative en termes de création d’emplois ruraux et de génération de revenus au profit des populations de la Boucle du Mouhoun, région par excellence de production du coton et du sésame au Burkina Faso.

2.1 Objet du PPP : création et exploitation d’une PME performante de nettoyage du sésame

10 Contrairement au coton, la demande mondiale de sésame a crû continuellement ces dernières années pour atteindre 1 201 000 tonnes en 2011, pour une contrevaleur de $ 1 654 129 000. Au Burkina Faso, les quantités exportées sont passées de 15 000 tonnes en 2003 à 59 000 tonnes en 2011. Les recettes ont augmenté de 17 millions de dollars en 2008 à 57 millions en 2011 [3].

11 Le sésame burkinabé est exporté sous forme de graines ou d’huile végétale. L’exportation d’huile reste cependant très marginale. Les principales destinations de la graine sont l’Union européenne (UE), les États-Unis d’Amérique (USA), la Chine, le Japon, la Turquie, la Syrie et la Corée du Sud. Les graines sont commercialisées à l’état brut ou sous forme « dépelliculées ». Les exigences de pureté dans l’UE et aux USA sont respectivement de 99,5 % au moins pour le sésame brut et de 99,8 % à 99,9 % pour le sésame « dépelliculé ». Avant l’implantation de la PME, objet du PPP, aucune des cinq unités de nettoyage anciennement installées n’avait les capacités d’atteindre ces performances. Le taux de pureté ne dépassait guère 97 % (MAH, 2011), ce qui limitait les possibilités d’exportation sur les marchés fortement rémunérateurs que sont l’UE et les USA.

12 Outre les problèmes d’impuretés, la culture du sésame connaissait, selon les techniciens du ministère de l’Agriculture, de nombreuses insuffisances au Burkina Faso, notamment :

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  • une faible productivité due, d’une part à l’utilisation par les producteurs de variétés de semences à faible rendement (627 kg/hectare en moyenne, contre un potentiel de 1 000 à 1 500 kg/hectare pour les variétés améliorées), et d’autre part au non-respect des itinéraires techniques ;
  • une non-maîtrise des techniques de stockage, occasionnant l’apparition de moisissures (due à l’humidité) et de salmonelles (due au stockage mixte avec des animaux) ;
  • une faible organisation et une structuration des acteurs de la filière (producteurs, transformateurs, exportateurs, organismes d’appui technique et financier), avec comme conséquences des coûts de transaction très élevés.

14 Le PPP avait pour objet de contribuer à combler ces lacunes, grâce à l’expertise des entreprises néerlandaises. En effet, outre leur parfaite maîtrise du marché international, ces entreprises ont une bonne connaissance du marché local du sésame. L’accord de PPP prévoyait la création et l’exploitation au Burkina Faso d’une PME performante de collecte, de nettoyage et d’exportation des graines de sésame. Le capital de la PME devait être réparti comme suit : 60 % pour les entreprises néerlandaises et 40 % pour leur associé local, une entreprise familiale de négoce entretenant de longue date des relations commerciales avec les entreprises néerlandaises.

15 En sus de la construction de l’usine de nettoyage de la PME, les activités prévues couvraient quatre champs d’intervention :

16

  • L’organisation de 2 500 producteurs de sésame en groupements, associations ou coopératives.
  • Le renforcement des capacités techniques des producteurs (encadrement technique, formation, mise à disposition de semences améliorées).
  • La contractualisation de la production (fixation d’un prix d’achat minimum garanti).
  • La réalisation d’activités sociales au profit des populations de la zone de production du sésame (sensibilisation sur le VIH/Sida, construction d’infrastructures sociales de base).

17 L’exécution de ces activités devait aboutir, au terme du PPP, d’une part à une augmentation substantielle des quantités de sésame exportées, et d’autre part à un meilleur accès des populations de la zone de production à des services sociaux de base (eau potable, éducation, alphabétisation, soins de santé).

2.2 Rôle des partenaires : financier et technique

18 Les partenaires étaient censés jouer deux types de rôle : un rôle financier et un rôle technique.

19 Sur le plan financier, l’accord de PPP prévoyait que la coopération néerlandaise finance à hauteur de 750 000 € la construction de l’usine de nettoyage de la PME, et que la Coopération allemande contribue pour 200 000 € aux dépenses liées au renforcement des capacités des producteurs de sésame. La contribution financière des partenaires privés devait couvrir au moins 50 % des coûts, aussi bien pour la construction de l’usine que pour le renforcement des capacités des producteurs. En outre, les partenaires privés devaient financer la réalisation des infrastructures sociales de base, au titre de leur responsabilité sociale.

20 Sur le plan technique, la Coopération allemande devait mettre à la disposition des producteurs et des partenaires privés sa riche connaissance de la filière sésame. Elle devait, également, user de sa notoriété et de son influence pour susciter la pleine adhésion des producteurs et des autorités locales au projet. Les entreprises néerlandaises devaient apporter leurs méthodes éprouvées de management, leurs compétences techniques et leurs synergies internationales. L’associé local devait mettre à profit sa connaissance du terrain et celle du monde politico-administratif pour faciliter l’obtention d’informations fiables, d’autorisations administratives, ainsi que d’introductions et de recommandations utiles.

3. RÉSULTATS DU PPP

21 L’appréciation des résultats de la mise en œuvre du PPP varie selon que l’on interroge les partenaires publics ou les partenaires privés. Si les partenaires publics se disent globalement satisfaits, les partenaires privés jugent les résultats plutôt mitigés.

3.1 Des résultats globalement satisfaisants pour les partenaires publics…

22 Du côté des partenaires publics, les résultats du PPP peuvent s’analyser sous le quadruple angle économique, écologique, organisationnel et social.

23 Sur le plan économique, les résultats enregistrés sont, aux dires de la Coopération allemande, globalement positifs en ce sens qu’un total de 3 542 producteurs de sésame (dont 153 femmes) organisés en 162 groupements et coopératives ont directement bénéficié des prestations fournies dans le cadre de la mise en œuvre du PPP, contre un objectif initial de 2 500 producteurs. Quinze animateurs ont été recrutés par la PME pour former et encadrer les producteurs. Outre les emplois ruraux créés, l’arrivée de la nouvelle PME en tant qu’acheteur de taille importante et l’envolée des prix qui s’en est suivie ont largement profité aux producteurs. Sur le marché, le prix d’achat du sésame a connu une hausse significative, passant de 8 € la tine (unité de mesure locale équivalant à 15 kg) en 2008/2009 à 11 € la tine en 2010/2011, soit une hausse de 40 % en deux ans. Les prix des intrants étant restés constants durant la période, les producteurs ont enregistré, en conséquence, une amélioration de leurs revenus.

24 Sur le plan écologique, des terres fertiles traditionnellement consacrées à la culture du coton ont été utilisées pour la culture du sésame dans la zone de mise en œuvre du PPP. Les superficies totales consacrées au sésame dans la Boucle du Mouhoun sont ainsi passées de 3 000 hectares en 2008/2009 à 5 000 hectares en 2010/2011, soit une progression de 66 %. Étant donné que le sésame nécessite l’utilisation de très peu de pesticides, comparativement au coton, la Coopération allemande en déduit que cette mutation se traduit par une amélioration de l’état de l’environnement.

25 Pour ce qui est de la structuration et de l’organisation des producteurs, aussi bien les partenaires privés que la Coopération allemande reconnaissent que les producteurs sont globalement demeurés dans leur raisonnement « court termiste » (perspective de gain immédiat), malgré les efforts déployés. Le dispositif organisationnel mis en place par la PME pour assurer la régularité de ses approvisionnements n’a pas longtemps résisté aux conséquences de cet état d’esprit des producteurs. En effet, même s’ils reconnaissent qu’un éventuel retrait de la nouvelle PME du marché pourrait à nouveau faire baisser les prix d’achat, les producteurs n’ont pas hésité à violer les contrats signés avec l’entreprise lorsque d’autres acheteurs leur ont proposé de meilleurs prix.

26 Sur le plan social, enfin, en dehors des campagnes de sensibilisation sur le VIH/Sida menées par la Coopération allemande, aucune des activités prévues à ce sujet par les entreprises privées n’a été réalisée.

3.2… mais mitigés pour les partenaires privés

27 Du côté des partenaires privés, les résultats du PPP peuvent s’analyser en termes de participation financière des partenaires publics aux investissements réalisés, d’atteinte relative des objectifs commerciaux et financiers, et aussi de degré de fidélisation des producteurs de sésame.

28 En ce qui concerne les investissements réalisés, la satisfaction des entreprises néerlandaises est totale. Cette satisfaction se justifie surtout par la subvention non remboursable de 750 000 € reçue de la Coopération néerlandaise au titre de sa participation au financement de la construction à Ouagadougou de l’usine de nettoyage de la PME. Les activités de renforcement des capacités des producteurs de sésame (formation, encadrement, mise à disposition de semences améliorées, appui à l’organisation et à la structuration) financées à hauteur de 200 000 € par la Coopération allemande sont également citées par les partenaires privés comme un important investissement immatériel réalisé dans le cadre du PPP.

29 En revanche, les résultats commerciaux et financiers sont largement en deçà des objectifs initiaux. Le PPP n’a pas, contrairement aux attentes des entreprises néerlandaises, contribué à sécuriser leurs approvisionnements en sésame sur le triple plan de la quantité, de la régularité et du coût. En effet, leur filiale locale a dû faire face à une rude concurrence menée non seulement par les autres exportateurs formels, mais aussi par des acheteurs informels venus des pays de la sous-région, principalement du Nigéria et de la Côte d’Ivoire. La stratégie des concurrents a consisté à proposer systématiquement aux producteurs des prix d’achat supérieurs aux prix de la PME. Cette pratique s’est révélée particulièrement favorable aux concurrents, d’autant plus que ces derniers n’ont pas eu, contrairement à la PME, à supporter des coûts liés à l’encadrement des producteurs et au préfinancement de la production. Au cours de la campagne 2010/2011, le prix de la tine de sésame, qui a atteint le record de 11 €, a contraint la PME à limiter ses exportations à 2 800 tonnes, contre un objectif initial de 6 000 tonnes. Le même phénomène s’était produit durant la campagne précédente, obligeant l’entreprise à se contenter de 2 750 tonnes contre un objectif initial de 4 000 tonnes. Non seulement la filiale locale n’est pas parvenue à exploiter pleinement les capacités de son usine de nettoyage, compromettant ainsi sa rentabilité, mais aussi les maisons-mères, principaux clients de la filiale, n’ont pas réussi à honorer leurs engagements vis-à-vis de leurs clients. Les difficultés financières qui en ont résulté expliquent, aux dires des dirigeants de ces entreprises, les défaillances constatées dans la réalisation des infrastructures sociales.

30 Pour ce qui est de la fidélisation des fournisseurs que sont les producteurs de sésame, l’action des concurrents a également contribué à annihiler tous les efforts faits dans ce sens. L’idée d’octroyer des intrants (semences améliorées, pesticides, engrais) à crédit aux producteurs en début de campagne et de récupérer les sommes ainsi investies lors de la commercialisation s’est avérée périlleuse car les producteurs n’ont pas hésité à céder tout ou partie de leur production aux concurrents. Les rares producteurs à avoir honoré leurs engagements ont livré à la PME la quantité de sésame juste suffisante pour couvrir leur dette, ou ont versé de l’argent liquide en remboursement de leur dette après avoir cédé la totalité de leur production aux concurrents. Les groupements et les coopératives mis en place n’ont servi qu’à faciliter l’accès au crédit pour les intrants. La vente individuelle de la production a largement prévalu sur la vente collective. Les circuits officiels de commercialisation ont été contournés au profit de circuits parallèles. De ce fait, le taux de remboursement des crédits octroyés sur les deux années de PPP n’a guère dépassé 60 %. Or, l’innovation majeure apportée par la PME par rapport à ses concurrents a surtout consisté à encadrer des producteurs et à préfinancer la production. Maintenant qu’ils sont libérés du contrat de PPP qui les contraignait à fournir ces services, les partenaires privés n’envisagent plus de poursuivre l’expérience. Aux dires du directeur de la PME, son entreprise limitera désormais ses activités à l’achat et à la vente de sésame. Certains signes en provenance de la zone de production confirment ce changement de stratégie. Au moment de l’enquête, seul un animateur sur les quinze initialement recrutés a vu son contrat renouvelé pour la campagne 2011/2012 ; ce qui signifie que le crédit pour les intrants, bien apprécié des producteurs en ce qu’il apportait un tant soit peu une réponse au problème récurrent du financement de l’agriculture, est également suspendu. Ce retrait pourrait avoir pour conséquence le retour des vieux réflexes, notamment l’utilisation de variétés de semences traditionnelles, le non-respect des itinéraires techniques, le stockage mixte, etc.

4. ACQUIS ET LIMITES DU PPP

31 Cette expérience de PPP confirme le potentiel de cet instrument de financement, tout comme il met en évidence ses limites en ce qui concerne la réalisation des intérêts tant publics que privés.

4.1 Acquis et limites du PPP dans la réalisation des intérêts publics

32 Du point de vue des intérêts publics, cinq facteurs ont permis au PPP d’enregistrer des acquis substantiels. Il s’agit de :

33

  • la création d’une entreprise commune ;
  • la définition claire de l’intérêt des partenaires privés ;
  • la définition claire de l’intérêt des partenaires publics ;
  • la préservation de la concurrence du marché ;
  • la limitation de la participation financière des partenaires publics à 50 % maximum.

34 La PME a été l’entreprise commune qui a agrégé les intérêts des partenaires publics et privés. L’envolée des cours mondiaux du sésame s’est traduite sur le terrain local par une intense rivalité entre la PME et ses concurrents pour leur approvisionnement. Cette rivalité a largement profité aux producteurs qui ont vu les prix d’achat de leurs produits augmenter de 40 % en l’espace de deux années. La participation financière des partenaires privés aux coûts de construction de l’usine de nettoyage à hauteur d’au moins 50 % a traduit la confiance et l’engagement de ces derniers dans le projet, ce qui a considérablement accru les chances de pérennité de la PME, et, en conséquence, la durabilité de son impact positif sur le fonctionnement du marché local.

35 Toutefois, on peut légitimement s’interroger sur l’opportunité de signer ce type de contrat avec des entreprises installées à l’étranger et créant une filiale locale chargée de la mise en œuvre du PPP, partiellement financée par les partenaires publics. L’absence de références locales sur les pratiques commerciales des deux entreprises néerlandaises et aussi sur leur niveau d’engagement vis-à-vis de leur responsabilité sociale a constitué un gros risque pour le PPP. La non-réalisation par ces entreprises des infrastructures sociales et la coïncidence de la fin du contrat de PPP avec leur décision de mettre fin à l’accompagnement des producteurs pourraient laisser penser qu’une fois les financements publics obtenus, seuls les intérêts privés prévalent. Les partenaires privés semblent avoir accepté les exigences contractuelles de court terme des partenaires publics pour mieux assurer leur rentabilité à long terme. Parallèlement, les partenaires publics, qui se sont révélés incapables d’appliquer la moindre sanction aux manquements des partenaires privés au cours de la phase d’exécution, ont définitivement perdu tout moyen juridique (fin du contrat de PPP) et financier (déblocage de la totalité des fonds) pour exercer une quelconque pression sur les partenaires privés.

4.2 Acquis et limites du PPP dans la réalisation des intérêts privés

36 L’usine de nettoyage constitue sans nul doute l’acquis le plus important pour les partenaires privés. Les financements publics ont ainsi facilité l’implantation des entreprises néerlandaises au Burkina Faso. Toutefois, le manque d’anticipation par rapport à la réaction des concurrents et au raisonnement « court termiste » des producteurs a constitué un gros handicap pour ces entreprises. L’option d’encadrer les producteurs et de préfinancer leur production, dans un contexte concurrentiel où la demande de sésame a dépassé largement l’offre, s’est avérée hautement risquée [4]. La filiale locale, qui se voyait en faiseur de prix (price maker) est devenue en fin de compte un suiveur de prix (price taker) sous la pression de ses concurrents. Ce repositionnement stratégique a entravé la réalisation des objectifs commerciaux et sociaux immédiats des partenaires privés.

CONCLUSION

37 L’article s’est proposé de tirer les premiers enseignements d’une expérience de partenariat public-privé portant sur le financement d’une PME de collecte, de nettoyage et d’exportation de graines de sésame au Burkina Faso. Il s’est agi de voir dans quelle mesure il a été possible de concilier les objectifs de développement des partenaires publics avec les impératifs de rentabilité commerciale et financière des partenaires privés.

38 Si le PPP a effectivement facilité la création et l’exploitation de la PME, la question de la durabilité de l’équilibre entre les objectifs de développement des partenaires publics et les impératifs de rentabilité des partenaires privés reste posée. En effet, une fois libérés de leurs obligations contractuelles, les partenaires privés ont eu tendance à revenir à leur motivation première, à savoir la maximisation du profit. Le PPP s’est ainsi retrouvé assujetti à une logique purement marchande, étant donné que tous les mécanismes compensatoires par lesquels les partenaires publics cherchaient à atteindre leurs objectifs de développement sont devenus caducs. Ces constats rejoignent les conclusions de Ulrich et Wettstein (2005, 47) selon lesquelles : « Vouloir résoudre les goulets d’étranglement du secteur public en faisant jouer les intérêts privés, c’est bien souvent introduire le loup dans la bergerie. Poser qu’on obtiendra une croissance économique à long terme en acceptant des sacrifices à court terme est un paralogisme car les sacrifices à accepter sont inhérents à la logique économique ».

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Mots-clés éditeurs : partenariat public-privé, sésame, petite et moyenne entreprise, Burkina Faso, agroalimentaire

Mise en ligne 15/04/2013

https://doi.org/10.3917/med.161.0129

Notes

  • [1]
    Unité de formation et de recherches en sciences économiques et gestion (UFR/SEG), Université Ouaga II, Burkina Faso. florent_songnaba@yahoo.fr
  • [2]
    Les recettes d’exportation du coton ont diminué de 305 millions de dollars en 2006 (soit 65 % de la valeur totale des exportations du pays) à 152 millions en 2010 (soit 20 % de la valeur totale des exportations).
  • [3]
    Les données sur la taille du marché mondial du sésame et sur les exportations du Burkina Faso sont extraites de la base de données de la Chambre de commerce internationale (www.trademap.org).
  • [4]
    La demande en sésame au Burkina Faso a été évaluée à 200 000 tonnes en 2010/2011, contre une offre inférieure à 60 000 tonnes.
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