1 Les fonds propres bancaires sont souvent au centre de nombreux débats concernant la régulation financière. L’intérêt grandissant qu’on leur a porté, au cours de ces dernières années, est dû à la prise de conscience de leur rôle stratégique pour les banques. En effet, d’une part, les banques doivent satisfaire les normes internationales de rendement des fonds propres exigées par les actionnaires ; d’autre part, les normes prudentielles internationales obligent les banques à une stricte couverture en fonds propres de leurs risques (Plihon, Couppey-Soubeyran, Saïdane, 2006). La réglementation de Bâle vise à prévenir les faillites bancaires en imposant un niveau minimal de fonds propres pour couvrir les risques. Le premier accord de Bâle (1988) a défini un ratio de solvabilité, appelé « ratio Cooke », mis en œuvre à partir de 1992 dans les pays représentés au Comité de Bâle, puis étendu à l’ensemble des établissements de crédit des pays industrialisés. Dans l’Union européenne, la réforme des fonds propres dite « Bâle 2 » est entrée en vigueur dans sa totalité au premier janvier 2008. Aux États-Unis, en revanche, cette réforme n’a concerné que quelques grandes banques de dimension internationale ayant introduit le nouveau dispositif dans leur gestion. Les recommandations de Bâle 2 ont été appliquées, par ailleurs, dans les pays émergents dont les régulateurs nationaux ont considéré qu’elles étaient susceptibles de favoriser la stabilité financière et, par conséquent, une croissance régulière dans le cadre du développement durable. Même s’il est difficile de dresser un bilan définitif de cette nouvelle réglementation, il est possible, néanmoins, de tirer une leçon majeure d’une des causes de la crise des subprimes : l’insuffisance des fonds propres des banques. Cette dernière suscite deux interrogations. Pourquoi la régulation des fonds propres a-t-elle été remise en cause lors de cette crise, notamment dans les pays développés ? Est-il pertinent de compter sur l’État ou les capitaux étrangers pour satisfaire le besoin accru en capital des banques ? L’insuffisance des fonds propres a concerné les pays développés, directement touchés par la crise des subprimes, alors que les pays émergents l’ont été avec un certain décalage.
2 Nous préciserons, dans une première partie, le rôle des fonds propres bancaires et nous justifierons, au plan théorique, leur réglementation, s’appliquant déjà à la plupart des pays développés, ainsi qu’aux pays émergents, et susceptible, en outre, de s’appliquer à l’ensemble des autres pays du monde. Dans la deuxième partie, nous soulignerons les graves lacunes de la réglementation prudentielle actuelle, qui ont été révélées par la crise financière dans les pays développés ; elles rendent inévitable, à court terme, un renforcement des fonds propres bancaires. Dans cette perspective, des solutions possibles pour financer l’accroissement des fonds propres des banques, seront ensuite examinées dans la troisième partie, qu’il s’agisse d’un appel aux fonds souverains ou d’un recours provisoire au soutien de l’État. Enfin, la quatrième partie sera consacrée à la recherche d’une nouvelle gouvernance bancaire, avec de nouveaux systèmes de régulation, qui garantiraient une sortie de crise, tout en assurant également la durabilité du développement, notamment dans ses dimensions sociale et environnementale. Les enseignements que nous tirerons de cette analyse, menée principalement sur les pays développés, sont transposables, moyennant certaines adaptations, aux pays moins développés.
1. LE RÔLE DES FONDS PROPRES BANCAIRES
3 L’objectif de cette partie est de fournir un cadre analytique permettant d’examiner les raisons d’être des fonds propres bancaires et les justifications théoriques d’une réglementation des fonds propres.
1.1 Les raisons d’être des fonds propres bancaires
4 Dans le contexte de mondialisation actuel, l’existence de fonds propres en quantités suffisantes est déterminante pour plusieurs raisons. D’une part, elle permet aux banques d’avoir une position dominante sur le marché domestique pour préparer leurs futures acquisitions internationales. L’exemple de la prise de contrôle du Crédit commercial de France par le groupe HSBC qui possédait une capitalisation boursière trois fois plus forte que celle de BNP Paribas et quatre fois plus importante que celle de la Société Générale est révélateur à cet égard (Nekhili, Karyotis, 2008, 121). D’autre part, elle permet de protéger les banques contre les prises de contrôle hostiles (Delaite, 2009, 80).
5 Fondamentalement, la crise rappelle la nécessité d’une réglementation des fonds propres particulière aux banques, parce qu’elles ne sont pas des entreprises comme les autres. Devant être saines et sécurisées, elles doivent disposer des fonds propres en rapport avec les risques pris. Dans le système Bâle 2, elles sont soumises au ratio Mac Donough qui leur impose des fonds propres réglementaires d’au moins 8% de la somme des actifs pondérés en fonction des risques (risques de crédit, de marché et opérationnels). Les fonds propres réglementaires sont répartis en deux catégories : les fonds propres de base, à l’exclusion des titres de financement hybrides ou subordonnés et les fonds propres complémentaires (« quasi fonds propres »).
6 Quatre raisons justifient une réglementation des fonds propres :
- La protection des déposants contre la menace d’une perte complète de leurs avoirs en cas de faillite de la banque. Considérés comme des créanciers, les déposants, qui sont des agents dispersés et souvent peu compétents, n’ont pas toute l’information voulue sur la manière dont la banque est gérée. Ils ne sont pas en mesure de surveiller les banquiers. Étant asymétriquement informés sur la qualité des actifs bancaires, ils ont besoin de se faire représenter par le régulateur.
- La réduction des problèmes d’aléa moral associés à certaines formes d’assurance publique des dépôts. En présence d’un filet de sécurité de type garantie des dépôts, les incitations des banquiers à une prise de risque accrue peuvent augmenter. Le renforcement de contraintes réglementaires en capital serait alors une solution au moins partielle au problème d’aléa moral.
- La réduction des problèmes d’aléa moral associés au principe dit du « Trop important pour être en faillite » (Too big to fail). La garantie publique accordée par les gouvernements aux grandes institutions peut entraîner des prises de risques excessives, mais aussi une distorsion de concurrence par rapport à celles de plus petite taille. Certains économistes préconisent donc de renforcer la politique prudentielle à l’égard de l’ensemble des grandes institutions financières, en exigeant, par exemple, une augmentation de leur capital.
- La prévention des faillites et du risque de crise systémique qui en découle Les faillites bancaires peuvent se transmettre, parfois rapidement, d’une banque à l’autre en raison des craintes contagieuses de la clientèle ou du fait de l’importance des interdépendances bancaires. Les autorités doivent donc veiller à circonscrire les faillites au niveau local, afin qu’elles ne se propagent pas à l’ensemble du secteur. Pour les éviter, elles doivent obliger les établissements à conserver un matelas de protection susceptible d’absorber des pertes et donc de préserver leur solvabilité (Plihon, Couppey-Soubeyran, Saïdane, 2006).
1.2 Le débat sur les justifications théoriques d’une réglementation des fonds propres
8 Ces justifications font l’objet depuis plusieurs années de vifs débats qui opposent deux paradigmes, le premier d’inspiration libérale et le second d’inspiration néo-keynésienne.
1.2.1 La réglementation des fonds propres selon le paradigme libéral
9 Les partisans du libéralisme restent hostiles à toute forme de réglementation qui pourrait nuire au libre jeu du marché et de la concurrence, à toute forme de règle imposée de l’extérieur. Ils considèrent que les marchés libérés de leurs contraintes réglementaires s’équilibrent d’eux-mêmes et que les crises ne sont que le résultat de chocs exogènes ou d’erreurs de politique économique.
10 Les tenants de l’hypothèse d’efficience des marchés privilégient une régulation microprudentielle qui cherche à promouvoir la stabilité du système financier en assurant, d’une part, la solidité et la solvabilité des banques considérées individuellement et, d’autre part, la discipline du marché (Plihon, 2009). Ils mettent en avant deux recommandations : éviter que la réglementation crée des distorsions de concurrence et agir sur les comportements par des incitations.
11 Partant du principe que ce sont les banques qui connaissent le mieux leurs clients et le risque associé à chaque catégorie d’emprunteur, ils cherchent à promouvoir l’autorégulation ou l’autocontrôle, qui consiste à déléguer aux banques la détection des risques grâce à leurs modèles internes. Cette autorégulation fait référence à la capacité des acteurs financiers à se discipliner individuellement, par exemple en s’imposant des codes de bonne conduite internes. Ils défendent l’idée que les superviseurs n’ont pas à décider du niveau des fonds propres. Cette décision doit être prise par les banques elles-mêmes puisque, dans des marchés efficients, elles savent mieux que les autorités réglementaires quels doivent être les fonds propres pertinents (Aglietta, 2009). En faveur du laisser-faire, les libéraux avancent l’argument de l’harmonisation des règles qui induirait des comportements mimétiques de la part des agents. C’est, selon Salin (2010, 59), « parce que des règles et des comportements identiques sont imposés à tous les participants des marchés que l’on a l’impression de crises systémiques et que les crises deviennent systémiques. »
1.2.2 La réglementation des fonds propres selon le paradigme néo-keynésien
12 La mouvance néo-keynésienne, sensible aux effets négatifs des crises financières, prône un renforcement des dispositifs prudentiels, c'est-à-dire de l’ensemble des mesures réglementaires visant à limiter l’exposition des agents aux risques, et par là à diminuer la probabilité des crises bancaires ou financières (Boyer, Dehove, Plihon, 2004). Elle souhaite éviter les coûts d’une crise financière en termes de perte de croissance et d’implication budgétaire. Elle part de l’idée que les marchés sont instables, qu’ils présentent de nombreux dysfonctionnements (mouvement de panique, mimétisme des investisseurs, autoréférence, euphorie, autoréalisation des anticipations, contagion) et qu’ils nécessitent d’être mieux encadrés. Une telle instabilité des marchés ne peut être qu’endogène, car elle résulte des interactions entre les acteurs financiers (Plihon, 2009). C’est pourquoi cette mouvance néo-keynésienne préconise une régulation macroprudentielle destinée à stabiliser le système financier dans sa dimension globale et, par conséquent, à limiter le risque systémique qui n’est pas une simple addition de risques individuels. Elle montre que l’autorégulation, c'est-à-dire l’ensemble des normes qu’une banque est capable de s’imposer, est très insuffisante. À celle-ci doit se substituer la contrainte (avoir des règles auxquelles personne n’échappe), sans quoi les règles du jeu pourraient devenir trop hétérogènes entre acteurs financiers et, par ailleurs, inefficaces, car les engagements les plus coûteux ne seront jamais volontairement consentis par ces agents.
13 Stiglitz (2010, 299) propose de « blinder le système avec des règles transparentes qui laissent peu de marge de manœuvre à qui voudrait ne pas les appliquer ». Comme les acteurs financiers sont habiles et qu’ils chercheront les moyens de contourner les règles, il est nécessaire de mettre en place une réglementation exhaustive et dynamique. Selon Krugman (2009, 199) « tout ce qui doit être secouru pendant une crise financière parce qu’il joue un rôle essentiel dans les rouages financiers, devrait être régulé en dehors des crises, pour éviter la prise de risques trop grands. » Pour ces économistes, l’autorégulation s’avère inefficace si les banques se coalisent pour façonner des règles, à priori contraignantes, leur permettant de fonctionner sans véritable contrainte supplémentaire. Par ailleurs, les régulateurs sont souvent « capturés » par ceux qu’ils sont censés réglementer, particulièrement aux États-Unis où les liens entre les autorités politiques et les élites financières ont été dénoncés (Stiglitz, 2010). Soumis à la puissante pression des lobbies de l’industrie financière, les régulateurs sont contraints d’appliquer des régulations laxistes pour attirer l’activité bancaire sur le territoire national. La concurrence entre régulateurs au niveau mondial entraîne un nivellement par le bas de leur réglementation. En outre, l’autorégulation comporte un inconvénient majeur : l’asymétrie d’information entre la banque et son contrôleur. Celui qui contrôle ne peut pas avoir une connaissance aussi précise que celui qui est contrôlé.
14 La conclusion du débat est claire : les autorités doivent atteindre deux objectifs complémentaires : un objectif microprudentiel de contrôle des risques au sein de chaque banque et un objectif macroprudentiel de renforcement de la stabilité financière globale. Mais la question qui se pose est de savoir pourquoi les choix récents en matière de régulation ont été remis en cause par la crise ?
2. DES LACUNES DE LA RÉGLEMENTATION AU RENFORCEMENT DES FONDS PROPRES
15 La crise financière a mis en évidence de nombreuses failles dans le système de réglementation prudentielle des fonds propres conduisant inévitablement les autorités à établir de nouvelles exigences pour les fonds propres des banques.
2.1 Les failles de la réglementation prudentielle
16 Les failles dans la réglementation prudentielle des fonds propres sont variées. Une réglementation extrêmement permissive et une préférence marquée des autorités monétaires pour le contrôle interne des banques ont laissé à ces dernières une grande liberté d’action. Elles ont pu contourner la réglementation bancaire par la titrisation, augmentant de ce fait le risque systémique. Cette situation a été aggravée par les effets négatifs d’une procyclicité engendrée par l’application du ratio de Bâle, ainsi que par les effets pervers des règles de comptabilisation en valeur de marché.
2.1.1 Une réglementation extrêmement permissive
17 Depuis la fin des années 1990, trois grands types de preneurs de risque jouent, aux États-Unis comme en Europe, un rôle central : les banques d’investissement, les hedge funds et les véhicules hors-bilan. Ces entités échappent à l’imposition du capital réglementaire et ne sont pas sous la supervision des régulateurs bancaires. Bénéficiant d’une réglementation permissive (en 2004, aux USA, la Securities and Exchange Commission desserre, à leur demande, leurs contraintes de fonds propres), les banques d’investissement américaines sont apparues comme nettement sous-capitalisées au regard des engagements pris, ce qui leur a permis d’atteindre des niveaux de rentabilité exceptionnels, avec des taux de rentabilité financière proches de 40%. Elles ont porté leur endettement à des niveaux très élevés (Brender et Pisani, 2009).
2.1.2 La préférence marquée de Bâle 2 pour le contrôle interne ou l’autorégulation
18 La réglementation de Bâle 2 autorise les grandes banques à évaluer elles-mêmes leurs risques via des modèles internes complexes. Elle prévoit deux approches principales du risque de crédit. D’une part, l’approche standard : l’établissement applique un coefficient de pondération réglementaire à chaque actif avant de calculer par sommation la valeur totale de ses actifs ; ce coefficient est fonction de la note de crédit décernée à l’entreprise emprunteuse par l’agence de notation externe. D’autre part, l’approche par les modèles internes : elle est dite soit de base, lorsque l’établissement calcule uniquement les probabilités de défaut, la valeur des autres paramètres étant imposée par la réglementation, soit avancée, si la banque estime elle-même tous les paramètres (Sénat, 2009). En élaborant leur propre modèle d’évaluation des risques, en définissant leurs propres ratios de solvabilité, les banques en sont venues à sous-estimer gravement leurs besoins en capital. Elles ont profité de la démission des superviseurs pour prendre des risques excessifs.
2.1.3 Les effets de contournement des règles prudentielles par la titrisation
19 La réglementation est souvent suivie de stratégies de contournement qui passent par des innovations financières. Soumises à des contraintes de gestion des risques et d’adéquation du capital, les banques ont inventé la titrisation pour réduire leurs besoins en capitaux propres, et donc leur coût de financement (Artus et al., 2010). En y transférant le risque aux conduits ou véhicules, non soumis à la réglementation, elles ont pu échapper aux obligations d’information et au respect des normes de solvabilité. Ces véhicules ont d’ailleurs utilisé largement l’effet de levier, souvent dans des proportions énormes, pour améliorer leur rentabilité. La titrisation a permis aux banques de réduire leurs risques individuels sans pour autant réduire le risque systémique global.
2.1.4 La procyclicité du ratio Bâle 2
20 Dans la phase haute du cycle, on observe généralement une accélération de la distribution des crédits qui peut conduire au surendettement. À l’inverse, en phase basse, les banques ont tendance à freiner leur offre de crédit, d’où un impact négatif sur la conjoncture. Les exigences de fonds propres réglementaires peuvent amplifier ce cycle du crédit. En effet, s’il est facile pour les banques de satisfaire aux exigences de solvabilité en période d’expansion, en période de ralentissement, voire de récession, en revanche, la qualité de leurs actifs se dégrade, leurs pertes augmentent, leurs fonds propres s’amoindrissent, alors qu’elles font face à une contrainte en capital. Il leur faut alors, pour continuer de satisfaire à l’exigence réglementaire de solvabilité, restreindre leur crédit soit en en réduisant l’octroi à leur clientèle, soit en le faisant sortir de leur bilan par le biais de la titrisation (Plihon, Couppey-Soubeyran, Saïdane, 2006).
2.1.5 Les effets pervers des règles de comptabilisation en valeur de marché (juste valeur)
21 La comptabilité en valeur de marché, devenue la norme aux États-Unis et en Europe, satisfait les besoins d’information des actionnaires et des investisseurs. Évaluant les actifs au prix du marché, elle privilégie le court terme et la diffusion d’informations comptables en continu. Elle a pour objectif de refléter la situation financière des banques et le risque qu’elles font supporter à leurs actionnaires et à leurs créanciers. Pendant la crise, elle a aggravé le caractère procyclique du ratio de solvabilité. Une hausse de la valeur des actifs permet à la banque de mobiliser moins de fonds propres ou de prendre plus de risques. Une chute massive du prix des actifs contraint la banque à renforcer ses fonds propres, ce qui l’oblige à se recapitaliser et à vendre des titres, ce qui amplifie les dépréciations des actifs. La comptabilité en valeur est en cohérence avec la conception friedmanienne (Friedman, 1962) qui prône le pouvoir de contrôle exclusif des actionnaires sur les dirigeants et qui assigne, comme fonction objectif de la firme, la maximisation du profit. Au total, la crise a mis en lumière la sous-estimation des fonds propres, l’augmentation des effets de levier et le développement démesuré de la titrisation de gré à gré. Elle ne peut que conduire à de nouvelles exigences en fonds propres.
2.2 Vers de nouvelles exigences en fonds propres : le G 20 de Pittsburgh et Bâle 3
22 En septembre 2009, au sommet de Pittsburgh, le G20 s'est engagé à développer avant fin 2010 des règles internationales pour renforcer la quantité et la qualité des fonds propres bancaires.
23 Le 12 septembre 2010, le Comité de Bâle de la BRI a adopté de nouvelles règles concernant les fonds propres des banques (règles de Bâle 3). Elles visent cinq objectifs : renforcer la quantité et la qualité des fonds propres, améliorer la couverture des risques, limiter le risque de liquidité en obligeant les banques à détenir un volume plus important de ressources à long terme pour financer leurs prêts à long terme, à introduire un ratio de levier d'actifs (actifs divisés par le montant des fonds propres) et à réduire la procyclicité du système. D’une portée plus large que Bâle 2, Bâle 3 associe des réformes de nature micro et macroprudentielle afin de couvrir les risques au niveau des établissements individuels et du système dans son ensemble (BRI, 2012).
24 En novembre 2010, lors du G20 à Séoul, les nouvelles normes, dites de Bâle 3, ont été adoptées. Il a été décidé qu’à partir de 2013, les banques devront porter le ratio de leurs fonds propres purs à 4,5% contre 2% avec Bâle 2. Ce ratio correspond au rapport entre le montant des actions ordinaires augmenté des réserves et la somme des actifs pondérés par l’ensemble des risques (risque de crédit, risque de marché lié à la dévalorisation d’actif, et même risque opérationnel lié à des défaillances du fonctionnement de la banque).
25 À l’avenir, les banques devront constituer des stocks de capital supplémentaires pour améliorer leur ratio de fonds propres en toutes circonstances :
- lorsque le ratio de fonds propres se détériore, les banques devront constituer « un stock de capital de conservation », en limitant la distribution des dividendes, les sommes correspondantes venant augmenter les réserves et, par conséquent, les fonds propres ;
- lorsqu’au contraire la situation est favorable, elles devront néanmoins constituer un stock de capital contracyclique par une augmentation de la mise en réserves des bénéfices. Ce stock permettra de maintenir le ratio de fonds propres au niveau exigé si des périodes difficiles surviennent.
27 Les banques « d’importance systémique » devront, de plus, augmenter leurs fonds propres. Il s’agit de banques de grande taille dont la complexité et l’interdépendance de leurs activités sont fortes. La défaillance d’une seule banque peut entraîner celle d’une ou de plusieurs autres banques (BRI, 2012).
28 L’intensité de la crise des dettes souveraines dans la seconde moitié de l’année 2011 a contraint l’Autorité bancaire européenne à avancer la date d’application des nouvelles normes de solvabilité dites « Bâle 3 » dès la fin de 2012. Les banques de l’Union européenne devront atteindre un ratio de fonds propres purs de 9%, au-delà des exigences minimales de Bâle 3.
29 Pour renforcer la stabilité financière et rendre les systèmes financiers nationaux plus solides, des moyens spécifiques ont été déployés dans les pays émergents. Le ratio des fonds propres bancaires purs avait déjà été accru, depuis 2004, dans ces différents pays (BRI, 2012). En Chine, les régulateurs se sont conformés aux dispositions de Bâle 1. Ils intègrent progressivement le deuxième pilier de Bâle 2 (procédure de surveillance de gestion des fonds propres). Ils ont le droit d’imposer aux banques un ratio de fonds propres supérieur à 8% en fonction des risques encourus par la banque et de son mode de management (Brillant, 2011).
30 Entre 2008 et 2011, alors que le rythme de croissance des activités bancaires dans les pays avancés se ralentissait, il augmentait dans les pays émergents. On observe, en effet, à partir d’un échantillon de grandes banques mondiales, que la banque moyenne d’un pays émergent, bénéficiant d’une augmentation régulière de ses fonds propres purs, réalise, en termes de volume de prêts, des performances comparables à son homologue des États-Unis (BRI, 2012).
31 Avec Bâle 3, le problème du financement des fonds propres bancaires risque encore de se poser avec acuité pour les économies avancées dans l’avenir.
3. DES SOLUTIONS POUR FINANCER LES FONDS PROPRES BANCAIRES
32 Les pays émergents ont eu une faible exposition directe aux subprimes (BDF, 2012). Ils ont commencé à subir les conséquences de la crise financière et économique avec un décalage dans le temps. Des canaux de transmission de la crise sont apparus progressivement ; ces pays ont été affectés par un triple choc : un épuisement de la liquidité internationale, une baisse de la demande mondiale et le ralentissement du commerce international qui en a découlé (Ibid.). Ces pays émergents n’ont pas été frappés de la même manière par la crise financière et l’incidence n’a pas eu partout la même ampleur. Les premiers pays touchés par la crise furent ceux dont les banques s’étaient endettées auprès des banques occidentales pour assurer leur développement (Aglietta, 2010). Ce fut le cas des banques d'Europe de l’Est, qui ont eu des difficultés à obtenir des crédits.
33 Ces problèmes de financement ont été plus limités en Asie et en Amérique Latine, car ces régions disposaient de réserves de change plus élevées et de marchés de financement locaux plus importants. Les banques d’Asie et d’Amérique latine ont été plus épargnées que celles d’Europe, car elles étaient bien capitalisées et se finançaient en partie sur les marchés locaux (BDF, 2010). En raison de leur taille, la Chine et l’Inde ont un marché intérieur et des ressources financières qui leur ont permis d’adopter des politiques anticrises vigoureuses. Ces deux pays ont mené des politiques de relance efficaces qui ont amorti les chocs extérieurs (Lemoine, 2009). En 2011, le niveau de croissance économique dans les pays émergents est resté globalement très élevé par rapport à celui des pays développés, pour la plupart d’entre eux, néanmoins, en dessous du niveau de 2010 (BDF, 2012). L’influence de la crise souveraine paraît donc limitée mais plus rapide dans sa transmission qu’en 2008-2009.
34 Contrairement aux pays émergents, la crise des subprimes a affecté directement la situation des banques des pays avancés. Ces dernières ont été victimes, d’une part, de la hausse des défauts des emprunteurs immobiliers aux États-Unis et notamment au Royaume-Uni et en Espagne et, d’autre part, de moins-values en capital sur les créances titrisées (Artus et al., 2010). Les pertes ont grevé leurs fonds propres, les contraignant à procéder à de nouvelles augmentations de capital ou à préserver leurs fonds propres existants en réduisant leurs activités. Durant la crise, les banques se sont efforcées de maintenir leur capitalisation à un niveau jugé approprié par les marchés et les superviseurs. Pendant la première phase de la crise, de l’été 2007 à septembre 2008, elles ont fait appel à des financements de marché, apports d’investisseurs privés pour certaines, ou de fonds souverains pour d’autres. Dans la phase suivante, elles ont eu recours à des fonds publics qui se sont substitués aux sources privées.
3.1 Un appel aux fonds souverains
35 Au début de la crise des subprimes, les fonds souverains étrangers (fonds d’investissement publics gérés par les États et les Banques centrales) ont investi massivement dans les banques occidentales. Les plus actifs furent les fonds des pays du Golfe Persique et les fonds asiatiques (China Investment Corporation, Government of Singapore Investment Corporation Private Limited, State Administration of Foreign Exchange). Ils ont privilégié les plus grandes banques américaines (Citigroup, Morgan Stanley, Barclays Bank et Merril Lynch) et la banque suisse UBS. Cependant, leur caractère public a suscité de fortes craintes quant au développement de leurs prises de participations dans les pays industrialisés. Il convient de remarquer que les banques françaises, espagnoles ou italiennes n’y ont pas eu recours, même si elles ont eu aussi d’importants besoins de capitaux propres (Blancheton et Jégourel, 2009).
36 Ces craintes ont conduit, en mai 2008, à la création d’un groupe de travail international (GTI) sous l’égide du FMI. Ce groupe est parvenu, en octobre 2008, à Santiago du Chili, à adopter un ensemble de normes de bonne conduite. Il s’agit d’un système d’autorégulation dont la mise en œuvre repose sur la bonne volonté des fonds souverains et de leurs États d’origine. Ces normes, dites « Principes de Santiago », visent à garantir l’indépendance des fonds souverains par rapport au pouvoir politique (Bertin Delacour, 2009) et à améliorer le niveau de transparence des fonds souverains. Ces fonds ne sont pas intervenus dans la seconde vague de la crise financière, en septembre et octobre 2008 parce qu’ils étaient contraints d’investir plus prudemment à l’étranger, et parce qu’ils ont dû se recentrer sur le marché domestique ou régional, afin de soutenir la croissance. Par exemple, les fonds souverains asiatiques ont dû se tourner davantage vers leurs entreprises nationales ou se sont dirigés vers des pays frontaliers (Malaisie, Inde, Chine et Singapour, notamment).
3.2 Un recours provisoire aux fonds publics
37 Pendant la crise, les États ont renforcé les fonds propres des banques en les renflouant (injections de capital) ou en les nationalisant. La recapitalisation des banques s’est faite sans que l’État entre dans les conseils d’administration pour infléchir la politique de crédit. En France, la Société de prise de participation de l’État a dû lever des fonds sur les marchés de capitaux pour souscrire des titres subordonnés ou des actions préférentielles émises par les banques.
38 La solution la plus extrême consiste à nationaliser, au moins temporairement, la banque insolvable. Par le terme de nationalisation, l’OCDE (2009) désigne une opération à l’issue de laquelle les pouvoirs publics disposent d’une autorité de fait sur les orientations d’une banque. Pendant la crise, cette stratégie de nationalisation a été adoptée par les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Autriche, l’Islande, l’Irlande, les Pays-Bas et le Portugal. L’État britannique est entré de ce fait dans le capital des plus grandes banques, successivement Bradford & Bingley, Royal Bank of Scotland et Lloyds Banking Group. L’Islande a nationalisé Glitnir à hauteur de 75%. L’Allemagne a nationalisé Hypo Real Estate. La France s’est montrée moins interventionniste que ces pays qui ont eu recours à la nationalisation, dans la mesure où l’État s’est limité à recapitaliser les banques sans chercher à en prendre le contrôle.
39 Ainsi, les États disposent-ils, grâce à leur capacité d’emprunt et de levée d’impôt, d’une forte capacité de financement. L’actionnariat étatique peut remplacer la responsabilité limitée des actionnaires et l’absence d’obligation de fournir des capitaux propres en cas d’insuffisance. Mais faut-il pour autant accorder aux banques et à leurs actionnaires le privilège de recourir aux fonds publics dans les situations où leur prise de risque aboutit à une quasi-faillite ? Le rôle de prêteur en dernier ressort de l’État soulève un problème d’aléa moral. Quoi qu’il en soit, les apports de fonds par les États, conçus comme temporaires, ne pourront pas satisfaire indéfiniment le besoin en capital à venir des banques. Dès lors se pose la question de savoir comment les banques occidentales parviendront à couvrir leurs besoins en capitaux.
3.3 Une dépendance vis-à-vis des capitaux étrangers ?
40 Le besoin supplémentaire de capital dans les grands pays de l’OCDE ne peut pas être satisfait par l’épargne domestique pour plusieurs raisons : la baisse de la demande d’actions dans les pays occidentaux ; la réduction de la capacité des investisseurs individuels et institutionnels à prendre des risques ; l’ampleur des rachats d’actions, surtout aux États-Unis ; l’absence de fonds de pension dans certains pays. En particulier, la France a besoin de capitaux étrangers, car elle a trop peu d’investisseurs nationaux en actions. Bien que le taux d’épargne des ménages y soit élevé, l’assurance-vie s’oriente en grande partie vers les obligations émises par l’État plutôt que vers les actions (Bertin Delacour, 2009). Un grand nombre d’économistes, comme Artus, Betbèze, Capelle-Blancard, De Boissieu (2010) suggèrent de chercher l’épargne en actions là où elle se trouve potentiellement, c’est-à-dire dans les pays émergents et exportateurs de matières premières. Ils pensent que les fonds souverains (ou les autres fournisseurs de capital des pays émergents) apporteront un financement quasi permanent garantissant la stabilité du capital. Même si ce recours aux capitaux étrangers est en adéquation avec les logiques du capitalisme mondialisé, il n’en demeure pas moins fragile, pour plusieurs raisons. Premièrement, les gouvernements des pays émergents vont vouloir renforcer le capital de leurs propres banques. C’est le cas de la Chine, qui s’efforce de pallier les insuffisances de son système bancaire qui depuis ses débuts se caractérise par une faible capitalisation et une faible rentabilité. Il faut se rendre à l’évidence que les nouveaux groupes bancaires qui ont émergé en tête du classement mondial des principales capitalisations bancaires sont chinois (Aglietta, 2012). Deuxièmement, ces gouvernements vont également s’employer à accroître le capital de leurs propres entreprises afin de leur donner les moyens de devenir des multinationales, soit en achetant des firmes à l’étranger, soit en acquérant des technologies qui leur font encore défaut (Aglietta, 2008). Troisièmement, en 2012, les perspectives de croissance des pays émergents se sont affaiblies, réduisant leur capacité à faire face aux répercussions de la crise de la dette souveraine et à leurs propres vulnérabilités budgétaires et financières (FMI, 2012). Les pays dont les liens financiers et commerciaux avec la zone euro sont les plus importants sont particulièrement frappés par la crise (Chevalier, 2012). La Chine elle-même subit la crise, notamment la faiblesse de la demande des pays industrialisés. Il n’est pas sûr qu’elle décide d’investir dans des banques européennes, et donc directement dans l’économie européenne.
41 Fondamentalement, le recours aux capitaux étrangers pose un problème de souveraineté nationale pour les pays industrialisés. Il n’est guère possible pour un État de considérer les banques cotées comme de simples actifs financiers pouvant librement passer de main en main au gré de stratégies diverses d’investisseurs du monde entier ; de laisser la détermination des risques bancaires au seul arbitrage des actionnaires et des dirigeants bancaires ; d’assigner aux banques un simple objectif de maximisation de la valeur actionnariale. En outre, le principe de réciprocité, qui vise à instaurer la loyauté et l’équité dans les relations économiques, n’est pas toujours respecté au niveau mondial. Comme le rappelle Coeuré (2008, 159), « une banque étrangère ne peut pas prendre le contrôle d’une banque chinoise, alors que rien ne s’oppose en principe (sauf à identifier des risques présumés pour la stabilisation financière) à ce que le fonds souverain chinois prenne le contrôle d’une banque européenne ». Selon le scénario le plus pessimiste, Castel et Pastré (2010) prévoient, en 2019, que 40% environ du secteur bancaire français sera contrôlé par des capitaux étrangers, « et ce qui est vrai en France l’est aussi dans la plupart des autres pays européens (à l’exception de l’Allemagne) » (Ibid., 167).
4. UNE NOUVELLE GOUVERNANCE BANCAIRE POUR UNE SORTIE DE CRISE DURABLE
42 Au-delà des défaillances de la régulation des fonds propres, c’est le mode de gouvernance bancaire qui est en cause. La course effrénée à la rentabilité, initiée par les actionnaires des banques, conduit à une prise de risque excessive. Dès lors, pour éviter que les crises financières ressurgissent, il est nécessaire de transformer le capitalisme mondial déréglementé (Delaite, 2009). Pour être efficace, cette transformation devra remettre en cause la logique de la rentabilité financière (Plihon, 2009). Des moyens pour instaurer une régulation du capitalisme existent. Reste cependant que, pour être efficaces, ils exigent un minimum de consensus au plan international. Quel rôle nouveau doit-on donner aux autorités réglementaires et à l’État ?
4.1 Un nouveau rôle pour les autorités réglementaires ?
43 Les conseils d’administration des banques devraient pouvoir intégrer les représentants de toutes les catégories d’agents avec qui elles traitent, et tout particulièrement les autorités de réglementation. Le modèle canadien est intéressant à cet égard (Toka, 2012). Le régulateur local, le Bureau du surintendant des institutions financières, intervient une à deux fois par an dans les conseils d’administration des banques (Chavagneux, 2010). Il a certainement contribué à limiter l’exposition du secteur bancaire à la crise en plafonnant l’effet de levier depuis le début des années 1980. Les autorités réglementaires devraient, par conséquent, retenir la stratégie suivante à l’égard des banques.
- Favoriser un processus d’alimentation des fonds propres par les bénéfices. Une concurrence atone, des taux directeurs bas et des mesures publiques de soutien, y compris des garanties explicites et implicites, ont permis aux banques d’augmenter leurs marges (OCDE, 2009). La banque Goldman Sachs a annoncé 13,3 milliards de bénéfices pour 2009, six fois plus qu’en 2008. En Europe, plusieurs banques comme Deusche Bank, Santander ou, en France, BNP Paribas ont dégagé de confortables bénéfices. Étant donné que le renforcement des fonds propres est important pour favoriser la stabilité financière, il convient que les autorités encouragent les banques à utiliser leurs bénéfices pour reconstituer leurs fonds propres, au lieu de les affecter en versement de dividendes élevés et en rachats d’actions.
- Exiger un changement des équipes dirigeantes, si celles-ci ont failli à leurs missions.
- Établir un seuil (exprimé en pourcentages de fonds propres) au-delà duquel les activités à haut risque seraient interdites. Il est sans doute difficile de définir ce que sont des activités à haut risque et de déterminer un seuil quantitatif. Cependant, la fixation de limites mathématiques est le seul moyen efficace de réduire la menace que font peser sur la sphère financière les actions des grandes banques dont le poids peut entraîner un risque systémique.
- Moduler le ratio de capitalisation en fonction de l’usage des crédits. La mise en relation de ce ratio avec la qualité des projets, financés dans le cadre du développement durable, permettrait d’entraîner un cercle vertueux. Plus la part de l’actif de la banque intégrerait des créances durables, moins les autorités imposeraient une charge en fonds propres supplémentaires. Le capital étant onéreux, les banques seraient alors incitées à développer le financement de tels projets et à encourager les emprunteurs à adopter des comportements en conséquence (Cardebat et Figuet, 2009). Une différenciation de normes de fonds propres selon la destination des investissements pourrait être mise en place. En particulier, les exigences de fonds propres pourraient être plus fortes lorsque les risques sont liés à des placements étrangers (Bourguinat et Briys, 2009).
4.2 Un nouveau rôle pour l’État ?
45 Le choix de certaines grandes banques de préférer la recapitalisation, plus coûteuse, des fonds souverains, plutôt que celle des États, a révélé une volonté de contourner des normes étatiques plus rigides (Blancheton et Jegourel, 2009). Sur ces bases, la nouvelle régulation du capitalisme bancaire est appelée à venir directement des États et non de fonds souverains qui ont mené, pendant la crise, des stratégies d’acquisitions opportunistes, semblables à celles d’investisseurs institutionnels privés. Deux leviers sont à la disposition de l’État agissant en tant que stratège et actionnaire.
4.2.1 Le rôle de l’État stratège
46 L’État stratège devrait contraindre les actionnaires à être actifs dans le contrôle des dirigeants, sous peine d’expropriation par la mise en faillite de la banque (Aglietta, 2009). Il devrait aussi contribuer au renforcement des stratégies de long terme dans les banques, en obligeant ces dernières à respecter des règles d’éthique en matière de gouvernance et de rémunérations.
4.2.2 Le rôle de l’État actionnaire
47 En tant qu’actionnaire unique ou majoritaire, l’État peut intervenir dans quatre domaines.
- Il est capable de sécuriser le capital des banques, notamment dans un contexte de vulnérabilité capitalistique, compte tenu de la forte diminution des valorisations boursières ; il se donne le pouvoir d’empêcher les investisseurs étrangers de prendre le contrôle des banques. Par exemple, en limitant la participation des fonds souverains étrangers à 10%.
- Il a le devoir de contrôler les banques qui ne sont pas des entreprises comme les autres. Un grand nombre d’économistes, comme Fitoussi et Stiglitz (2009), considèrent que la nationalisation des institutions financières en difficulté représente une meilleure option que le renflouement. En contrôlant la banque, l’État peut influencer sa gestion et mener une stratégie patrimoniale plus orientée vers la profitabilité à moyen terme. Cette intervention publique peut faciliter l’octroi de crédits immédiats à l’économie, ce qui est plus utile pour l’ensemble des acteurs économiques que de conforter actionnaires et créditeurs. Plihon (2009) affirme que la nationalisation devrait permettre un contrôle social, c’est-à-dire une nouvelle gouvernance bancaire à laquelle doivent participer l’ensemble des parties prenantes : État, salariés, usagers. C’est la condition pour que les institutions financières retrouvent leur rôle au service de l’intérêt général et ne soient plus orientées par des impératifs purement financiers (Plihon, 2009).
- Il privilégie le long terme et laisse les banques réinvestir leurs bénéfices pour préparer l’avenir. Cette stratégie est nécessaire pour faire face au court-termisme et au comportement prédateur des investisseurs privés.
- Il préserve les compétences et les emplois nationaux. Il lutte contre les délocalisations provoquées par la recherche du plus grand profit par les actionnaires. Il peut, afin de stabiliser leurs fonds propres, prendre des participations minoritaires dans les banques. Ces participations peuvent avoir un rôle décisif bien au-delà de leur montant, car elles soulignent l’intérêt porté par l’État à ces banques.
CONCLUSION
49 La crise a révélé de graves carences dans la régulation prudentielle des banques mais, plus encore, l’impasse de l’approche de l’autorégulation. Une réponse immédiate à la crise consiste à réformer le système actuel de régulation : les exigences en matière de ratios de solvabilité devront être renforcées pour tenir compte du niveau de risque pris par la banque, de la taille de celle-ci et de la phase du cycle où se trouve l’économie. Cependant, cette microsurveillance des fonds propres est insuffisante ; elle devra être complétée par une surveillance macrofinancière, rendue indispensable par l’importance croissante du risque systémique et par l’interconnexion de plus en plus étroite entre les institutions et les marchés. Dès lors, les banques occidentales devront détenir à l’avenir davantage de fonds propres, ce qui serait susceptible de les rendre de plus en plus dépendantes de capitaux étrangers. Le rapport de force est désormais favorable aux pays où la liquidité est abondante. Ces pays souhaiteront, sans doute, dans l’avenir, contrôler les mouvements de capitaux. Dans un tel contexte, est-il possible pour les pays occidentaux de concilier renforcement des fonds propres bancaires et moindre dépendance à l’égard de ces capitaux étrangers ? La réponse aux défis actuels exige non seulement une nouvelle régulation des fonds propres, mais aussi une nouvelle gouvernance bancaire intégrant un rôle accru de l’État et des autorités prudentielles.
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