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Article de revue

Le tourisme dans l'outre-mer français face à la contrainte carbone

Pages 11 à 28

Notes

  • [1]
    Centre de Recherche en Droit de l’Environnement, de l’Aménagement et de l’Urbanisme (CRIDEAU-OMIJ), Université de Limoges. Ceron@numericable.com
  • [2]
    Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Ghislain.Dubois@yahoo.fr
  • [3]
    Forçage radiatif : différence entre l'énergie radiative reçue et l'énergie radiative émise par un système climatique donné. Le forçage radiatif, appliqué au réchauffement climatique, mesure la propension d’un facteur à perturber l’équilibre énergétique de la Terre. Les gaz à effet de serre ont un forçage radiatif positif ; ils augmentent la température au sol en empêchant les infrarouges de rayonner vers l'espace.
  • [4]
    Les trainées des avions en contribuant à la formation de cirrus (nuages) participent au phénomène global d’effet de serre.
  • [5]
    Une des spécificités du tourisme dans les départements et territoires d’outre-mer est la place prise par les vacances chez les parents et amis, ce qui minimise celle du tourisme d’affaires.
  • [6]
    EFT : enquête sur les flux touristiques, EDT : enquête sur les données touristiques, EFH : enquête sur la fréquentation hôtelière…
  • [7]
    À l’import en équivalent passager. À l’export (au départ en termes de tourisme), cette part est bien plus faible.

Un besoin de renouveler la doctrine sur le tourisme et le développement

1 Le tourisme est-il une chance pour les pays du Sud ? La question est débattue depuis quatre décennies au moins. Alors que dans les années 1960 ou 1970 les flux touristiques à destination des pays exotiques restaient très limités, certains marchands de rêve commençaient à y voir les destinations du futur, encouragés par la démocratisation relative de l'accès au transport aérien. Les pays nouvellement indépendants, en mal de développement (« l'Afrique est mal partie » écrivait René Dumont), pouvaient pour certains d'entre eux être tentés par cette perspective, laquelle se trouva aussitôt analysée, en France notamment, comme un avatar du colonialisme. Les avantages promis furent passés au crible de l'analyse critique : quel était l'apport économique net du tourisme (importations induites…) ? Ses effets de déstructuration des sociétés (effets d'imitation…) ? La thèse de Cazes (1992) constitue un point marquant de cette phase et d'une certaine façon son point d'orgue.

2 Pendant la même période, un ensemble d'acteurs cherchant à promouvoir le tourisme s'organisait au niveau mondial. L'Organisation mondiale du tourisme (OMT) fédérait les professionnels, les gouvernements et des milieux onusiens, véhiculant à la fois des options humanistes (liberté de voyager, échanges culturels…) et une vision économique libérale (OMT, 2001) ; elle a véhiculé un discours insistant sans trop de nuances sur les bienfaits du tourisme pour les pays du Sud (à l'exception notable du tourisme sexuel). Elle s'est coulée sans problème dans le moule du développement durable, en particulier au travers de guides des « bonnes pratiques » (UNWTO, 2010). Depuis les années 1990 ce discours est devenu hégémonique et l'OMT une agence des Nations unies.

3 Le tourisme est-il une chance pour l'environnement ? L'analyse critique appliquée aux pays du Nord et du Sud, marquée à ses débuts par le livre de Jost Krippendorf (1994), n'a, quant à elle, pas connu de reflux : le béton dévoreur de paysages, la pression sur les ressources rares comme l'eau etc. sont des thèmes plus que jamais d'actualité.

4 La prise en compte du changement climatique télescope avec force ces deux cadres d'analyse. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) avait déjà publié son troisième rapport d'évaluation quand l'OMT a organisé, en 2003, à Djerba, la première conférence mondiale sur le tourisme et le changement climatique (OMT, 2003). L'orientation des organisateurs était de présenter le tourisme comme potentiellement victime des changements climatiques (événements extrêmes…), dont le GIEC reconnaît qu'ils impacteront plus fortement les pays du Sud (IPCC, 2007). En face, les chercheurs présents ont fait valoir que le tourisme était également un contributeur non négligeable aux émissions de gaz à effet de serre (GES), et à la fois partie du problème et de ses solutions (Ceron et Dubois, 2003).

5 Il est pourtant de bon ton d'affirmer que les contradictions entre environnement (changement climatique inclus) et développement peuvent être résolues. Cette position de principe trouve sa source au début des années 1970 en réaction au rapport du club de Rome (Sachs, 1972). Dans les cercles onusiens, liés aux milieux tiers-mondistes, face à un discours considéré comme malthusien, on a mis en avant les notions d'harmonisation entre environnement et développement, d'écodéveloppement, tout en reconnaissant la nécessité d'autres modes de vie et d'autres trajectoires de développement (Sachs, 2008). Ceci a abouti, quelques années plus tard, à la notion de développement durable. Durant les 40 dernières années, on a pris exactement le chemin inverse de celui qui aurait pu conduire à un développement durable, le pari de l'harmonisation apparaît aujourd'hui beaucoup plus difficile à tenir. Il en résulte que les positions des organismes internationaux peuvent parfois apparaître comme schizophréniques. Par exemple, l'Organisation mondiale du tourisme affirme à la fois l'importance du tourisme dans la lutte contre la pauvreté (UNWTO, 2004), alors que, par ailleurs, dans la déclaration de Davos, elle admet « que le tourisme doit réagir rapidement aux changements climatiques… et progressivement réduire ses émissions de gaz à effet de serre pour contribuer à croître de manière durable » (UNWTO, UNEP et al., 2007). Cet article montre que la résolution d'une telle contradiction est rien moins qu'évidente.

6 En tout état de cause, le dilemme doit être documenté et évalué. Certains organismes de coopération l'ont bien compris et sont à la recherche d'une doctrine en la matière. Par exemple, le Fonds français pour l'environnement mondial constate qu'à la fois il développe des programmes d'efficacité énergétique dans les pays en développement et cherche à promouvoir le tourisme dans leurs parcs nationaux, ce qui induit des transports aériens et les émissions de gaz à effet de serre associées. Au final, quel est le bilan sur les émissions de GES ? Des interrogations de même type se retrouvent à l'Agence française de développement ou à l’Agence de coopération technique allemande (GTZ) qui interviennent dans le tourisme en réponse à la demande des pays, avec une présence forte du tourisme dans leurs programmes concernant la lutte contre la pauvreté, le changement climatique ou la biodiversité.

7 Il paraît nécessaire d'élaborer une stratégie sur cette question et une batterie de critères de choix des opérations, d'autant qu'il faut faire face à la pression des lobbys et que le danger est grand que l'argument de la lutte contre la pauvreté puisse être utilisé pour ne rien faire en matière de diminution des émissions.

Tourisme et changement climatique : les émissions de GES du tourisme

8 Si le tourisme contribue au changement climatique, il n’a toutefois jusqu’à très récemment fait l’objet dans les recherches, comme dans les politiques concernant le changement climatique, que d’une faible attention. Tout s’est passé comme si l’on pouvait se contenter des analyses portant sur les secteurs contribuant à l’activité touristique pour en tirer l’essentiel des informations nécessaires au traitement du lien entre le tourisme et le changement climatique, ce qui fait peu de cas des dynamiques propres à l’ensemble des pratiques sociétales particulières qui sous-tendent le tourisme et les loisirs. Le tourisme n’est jamais identifié en tant que tel dans les inventaires d’émissions et les mesures de limitation des émissions envisagées n’en font jamais explicitement une cible (Becken, Ceron et al., 2005). En particulier, le transport aérien, dont les voyages d’agrément représentent 80% du volume (DG Enterprise European Commission, 2004) a été exclu du champ d’application du protocole de Kyoto. La deuxième Conférence mondiale sur le tourisme et le changement climatique qui s’est tenue à Davos, en septembre 2007, a été l’occasion de la première tentative d’estimation des émissions de CO2 et du forçage radiatif [3] au niveau mondial pour le secteur touristique effectuée par plusieurs chercheurs, dont les auteurs de cet article (UNWTO, UNEP et al., 2008). Cette évaluation inclut les émissions des allers et retours dans la journée et considère les émissions du transport, de l’hébergement et des activités liées au tourisme. La contribution du tourisme aux émissions globales de CO2 se situe entre 4 et 6% du total mondial. En termes de forçage radiatif, méthode de mesure qui rend mieux compte des spécificités de l’aviation, la fourchette est de 4,4% à 14,3% si l’on inclut la contribution maximale des cirrus [4] (sur laquelle pèse une très forte incertitude). Les transports de l’origine à la destination représentent 75% de toutes les émissions de CO2 du tourisme, alors que l’hébergement rend compte de 21% et les activités de 4%. Pour le tourisme international, les voyages par air causent 86% des émissions de CO2 (Ibid.). La plus grande part du trafic aérien concerne les liaisons entre pays développés (exemple : Europe, Amérique du Nord) ; il n’en reste pas moins que, quelque soit le type de liaison, les émissions des trajets vers les destinations lointaines sont très élevées. À titre d’illustration, pour la France, un séjour touristique en métropole émet en moyenne 65kg de CO2-équivalent contre 3 270 kg vers la France d’outre-mer et jusqu’à plus de 4 tonnes pour les destinations aux antipodes (Dubois et Ceron, 2009).

9 D’une façon générale, les destinations lointaines sont un important sujet de préoccupation dans les discussions sur le tourisme et le changement climatique (Gössling, Peeters et al. 2008), vu l’importance de l’économie touristique dans certaines destinations excentrées (petites îles) et les espoirs que certains mettent dans le tourisme comme vecteur de développement (UNWTO, 2004).

10 La France d’outre-mer est concernée, mais de façon particulière. Le tourisme n’y revêt pas une importance aussi cruciale que pour des destinations plus pauvres. L’éloignement des clientèles y est tout aussi fort, voire renforcé par la surreprésentation de la clientèle métropolitaine, les liens de toute nature (politiques, linguistiques, affinitaires [5]…) amoindrissant l’importance accordée à la distance. Les entités territoriales sont concernées de façons diverses selon leur statut. Les émissions des départements sont intégrées dans le bilan de la France, en particulier les liaisons aériennes avec la métropole (considérées comme “nationales”) qui sont incluses dans les accords de Kyoto. Dans ce cadre, les autres territoires sont exonérés de leurs émissions.

L’avenir de la contrainte carbone : du cadrage scientifique aux engagements des États

11 S'inspirant des travaux du GIEC, l’Union européenne (UE), puis la communauté internationale, ont été conduits à fixer comme objectif de ne pas dépasser une hausse de 2°C par rapport à l’époque préindustrielle. On peut faire correspondre le respect de cet objectif à un budget d’émissions pour les décennies à venir. Le résultat des travaux récents montre que pour avoir une chance significativement supérieure à 50% d’atteindre l’objectif, il faut, au niveau mondial, diminuer les émissions de 80% d’ici 2050 (Hansen et al., 2008 ; Parry et al., 2008). Cette contrainte va largement au-delà des évaluations de naguère : une réduction de 50% au niveau mondial se traduisait pour un pays développé comme la France par une réduction de 75% ; à la lumière des développements scientifiques récents, l’objectif du facteur 4 (Radanne, 2004) paraît dépassé. Actuellement, les engagements de réduction des émissions des États relèvent du protocole de Kyoto. Cet accord fixe des objectifs de réduction des émissions différenciés par rapport aux émissions de 1990. Seule une partie des pays industrialisés (dits « de l’annexe 1 ») a pris des engagements (à l’exception des États-Unis, entre autres). Les pays émergents (Inde, Chine, Brésil…) et en développement n’ont pas pris d’engagements de réduction.

12 Préparant la conférence de Copenhague, l'Europe souhaitait l'extension du protocole de Kyoto aux pays industrialisés non signataires, et aux pays émergents. Il s'agissait de fixer des objectifs de réduction des émissions au niveau mondial et la part que chacun prendrait dans cette politique. Les pays du Sud (à l'exception des pays émergents) bénéficiant d'un traitement tenant compte de leur situation, ainsi que de dispositifs d'aide divers, n'y étaient pas hostiles. Les USA et les pays émergents on fait valoir une tout autre orientation. Les efforts de lutte contre le changement climatique se décideront souverainement au niveau national ; rien ne permet d'assurer que leur addition permettra de respecter la limite des 2°C. On aura donc affaire à un régime de coordination faible avec des accords internes des groupes de pays (Union européenne) ou éventuellement à des accords partiels au niveau international concernant des secteurs d'activité particuliers (Godard et Ponssard, 2011).

13 Eu égard à son importance dans le cadre de cette étude, le traitement de l’aviation dans ce processus de négociation mérite un développement particulier. Le transport aérien international (contrairement au transport aérien interne) n’a pas été pris en compte dans le protocole de Kyoto. La question de l’attribution des émissions (au pays d’origine du voyageur, à celui de destination ou aux deux, ou, enfin, à celui de la compagnie aérienne), et la complexité du processus de remise en cause des innombrables accords bilatéraux régissant le trafic ont été invoquées pour justifier cette exclusion. Les compagnies aériennes admettent maintenant le principe de leur inclusion dans le marché du carbone (UNWTO, 2009). Elles pourraient acheter des droits d’émissions aux autres secteurs, accéder aux mécanismes de compensation des émissions prévus au protocole de Kyoto (mécanisme de développement propre) et, sur la base du principe de « responsabilités communes mais différenciées », appliquer aux liaisons des régimes différents (exemptions ou mesures transitoires) si elles concernent des pays en développement, voire émergents. En tout état de cause, les compagnies escomptent que de tels mécanismes ne les empêcheraient pas de se développer, vu la latitude qu’elles ont de transférer le coût au consommateur (élasticité faible). En revanche, elles sont fermement opposées à un système de quotas et à un marché des droits internes à l’aviation (Ibid.), et à un marché mondial sectoriel concernant la seule aviation. Toutefois, on sait maintenant qu'il n'y aura pas de marché du carbone mondial ; l'inclusion ne pourra se faire que dans des marchés régionaux, telles que l'Union européenne, par exemple. Les développements pour l’avenir sont donc profondément incertains.

14 Face à ce contexte, cet article propose de dresser un état des lieux des émissions de GES du tourisme à destination de l’outre-mer français ; de mettre en regard les émissions et l’activité générée, ce que nous appelons “l’éco-efficacité” (EE), en comparant les clientèles touristiques entre elles et, dans la mesure du possible, l’activité touristique aux autres activités du territoire, pour discuter de la meilleure allocation possible d’un “budget carbone” donné pour un territoire, en fonction de différents critères (valeur ajoutée, emploi, bien-être…) ; d’amorcer une réflexion sur la réponse à la contrainte carbone, en identifiant les variables susceptibles d’atténuer les émissions (part relative des clientèles, durée du séjour, etc.) et en les articulant dans le cadre de scénarios à 2025.

15 L’outre-mer français présente des caractéristiques exemplaires pour aborder cette discussion : un tourisme important, à la fois en volume et dans l’économie des territoires concernés, une dépendance totale au transport aérien, et, enfin, une richesse de l’information statistique que l’on trouve rarement.

1. UNE MÉTHODOLOGIE BASÉE SUR LA RECHERCHE ET LA SCÉNARISATION

1.1 Les sources des données

Les flux touristiques

16 Pour les données touristiques, nous avons travaillé sur la base d’enquêtes de l’Insee [6] pour les départements d’outre-mer (DOM, Guadeloupe, Martinique et Réunion) ou avec les agences de statistiques locales pour la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, complétées avec des informations sur les flux aériens traitées par les Chambres de commerce et d’industrie. Les données économiques proviennent des rapports d’activité produits chaque année par l’Institut d’émission d’outre-mer (IEOM) et L’Institut d’émission des Départements d’outre-mer (IEDOM) pour chaque destination d’outre-mer.

Les émissions du tourisme

17 On a vu que pour les destinations lointaines l'essentiel des émissions de GES du tourisme était causé par le trajet origine-destination. En approchant les émissions du tourisme dans l’outre-mer français au travers du transport aérien qui lui est lié, nous appréhendons l’essentiel, quels que soient les segments du tourisme international, même quand le séjour comporte une part de croisière (moyen combiné de transport et d’hébergement fortement émetteur). Heureuse coïncidence, les données disponibles sur les flux aériens (origine, distance…) sont précises, de même que les coefficients d’émissions par passager/km.

18 Les émissions de GES prises en compte dans notre étude concernent le transport international lié aux déplacements des touristes, quel que soit leur motif (affaires, affinitaire, loisirs). Ne sont pas comptabilisés les déplacements des résidents (tourisme, sanitaire, affaires), les déplacements des touristes sur place, à l’exception de la Polynésie (archipel), ni les émissions de GES liées à l’hébergement, aux loisirs ou autres.

Les émissions des autres activités

19 La comparaison des émissions du tourisme avec celle des autres activités suppose que l’on dispose de données pour ces dernières. Faute de bilan explicite (comme pour la Réunion), des calculs occasionnels dans le cadre d’exercices de prospective ou d’état des lieux de l’énergie peuvent exister. Leur portée est très variable, les incertitudes sur les méthodes de calcul (coefficients d’émissions utilisés…) et sur le périmètre des activités sont nombreuses. Enfin, pour certaines entités territoriales, aucune donnée sur les émissions n’est disponible. Au total, les capacités d’analyse sont fortement limitées.

1.2 La notion d’éco-efficacité

20 L’éco-efficacité est une notion qui vise à mettre en rapport la richesse produite avec le dommage écologique lié à la production. Elle permet de comparer les différentes activités économiques, les choix de développement entre eux, et à l’intérieur d’une activité les produits, les filières, les techniques de production… Dans le domaine du tourisme, l’utilisation de la notion d’éco-efficacité a donné lieu à un article fondateur dans la revue Ecological Economics (Gössling, Peeters et al., 2005), où le ratio ne s’intéresse qu’à un seul aspect des dommages écologiques, à savoir les émissions de gaz à effet de serre. Dans notre approche, outre le classique rapport des émissions de gaz à effet de serre (CO2-e) à la valeur ajoutée, nous avons considéré des ratios CO2-e/nuitée ou CO2- e/habitant, ces derniers pouvant contribuer à nourrir des réflexions en termes de bien-être ou de diminution des émissions de GES par habitant.

1.3 Les calculs intermédiaires

21 La mise en forme des données est faite sous Excel. En ligne figurent les marchés d’origine. Ils sont plus ou moins détaillés suivant les données accessibles pour chaque entité. Les régions du monde fournissant les clientèles les plus importantes sont détaillées (avec une sélection ou la totalité des pays émetteurs) ; on peut descendre jusqu’aux régions de la métropole en France (Guadeloupe). La liste des lignes n’est pas identique pour les différentes destinations. Les lignes des sous-marchés émetteurs sont détaillées en fonction des motifs : agrément, affinitaire, affaires, nuptial… En colonne, on trouve :

22 Les tableaux bâtis pour situer le tourisme par rapport aux autres activités varient selon les territoires et témoignent des lacunes de l’information.

figure im1
les arrivées
les nuitées
les dépenses, par personne et par jour,
les dépenses totales
les distances
les coefficients d’émission
le CO2-e total pour chaque segment de marché
et ensuite les résultats des calculs d’éco-efficacité :
CO2-e par euro dépensé
CO2-e par séjour
CO2-e par nuitée

1.4 Un exercice de prospective

23 Pour réfléchir à l’avenir de la contrainte carbone pour le tourisme des territoires étudiés, nous avons élaboré des scénarios. Ces scénarios ont pour base les tableurs Excel décrits ci-dessus, éventuellement légèrement modifiés pour inclure des paramètres ne figurant pas dans les bases de données utilisées pour les construire. Nous faisons varier un certain nombre de paramètres reflétant un jeu sur des variables d’action en fonction :

24

  • d’hypothèses faites sur l’avenir de la régulation des émissions et de leur implication pour la France et pour l’outre-mer. Ces hypothèses sont informées par un regard sur les travaux récents de chercheurs de la mouvance du GIEC, par les engagements internationaux actuels (Union européenne) ainsi que par les échos des négociations internationales en cours (aviation notamment)
  • d’hypothèses sur les variables d’action pertinentes en fonction du tourisme de chaque territoire. Il s’agit donc d’un jeu sur les paramètres, à dire d’expert, avec une grande part de connaissances livresques, qui fournit un début d’éclairage pour l’avenir.

25 En ligne, avec le contexte réglementaire européen, nous avons proposé, avec une échéance à 2025 :

26

  • pour l’ensemble des territoires, un scénario de référence générant 40% de réduction des émissions sous contrainte d'une augmentation des revenus touristiques. Pour cela, chaque facteur constituant, les plus évidents comme la distance, la dépense, la durée de séjour, mais d’autres plus complexes comme le taux de remplissage des avions, le pré-acheminement ou encore les marchés émergents, a été analysé puis modulé afin d’atteindre les objectifs souhaités.
  • Dans deux cas, un scénario en fonction des spécificités du territoire : selon le Schéma d’aménagement et de développement touristique provisoire pour la Réunion, ou par rapport au développement de l’industrie du nickel pour la Nouvelle-Calédonie.

2. L'ÉCO-EFFICACITÉ DU TOURISME DANS LES DÉPARTEMENTS ET TERRITOIRES D'OUTRE MER

2.1 Des résultats divers

27 Le tourisme dans les départements et les territoires français d'outre-mer contribue de façon significative aux émissions de gaz à effet de serre. Les marchés émetteurs sont éloignés, ces destinations maintiennent des relations privilégiées avec la France métropolitaine (elle-même éloignée) et l'aviation est le mode de transport quasi exclusif. Cependant, les résultats varient considérablement selon les territoires et le profil de leur tourisme.

28 Le tourisme des Antilles a la plus mauvaise éco-efficacité. En dépit d'une proximité relative de la métropole, si on les compare aux autres destinations, l'éco-efficacité est compromise par une durée moyenne des séjours courte, la prédominance des touristes métropolitains (hébergés dans la famille ou chez les amis et dépensant peu), et par une part faible du tourisme d'affaires (en principe d'une meilleure rentabilité).

29 La Réunion, au milieu de l'océan Indien présente aussi une mauvaise écoefficacité. La métropole fournit 80% des touristes, dont la moitié hébergée dans la famille ou chez des amis. Les recettes du tourisme sont faibles et la situation est exacerbée par de médiocres liaisons aériennes (comparé à l'île Maurice).

30 En dépit de son isolement la Polynésie française présente une meilleure écoefficacité. Ceci est dû à une plus grande diversification des marchés émetteurs. La métropole fournit “seulement” 20% des touristes, contre 33% pour les États-Unis et 10% pour le Japon et l'Océanie. Le résultat tient également à l'importance du tourisme nuptial, un produit spécifique qui renforce l'image haut-de-gamme de la destination. Au final, des émissions élevées sont partiellement compensées par de fortes dépenses.

31 L'éco-efficacité du tourisme en Nouvelle-Calédonie est meilleure en raison de marchés émetteurs diversifiés, dont certains sont relativement proches (Asie ou Océanie). L'industrie du nickel génère un tourisme d'affaires source de revenus, avec des flux venant d'Australie, de Nouvelle-Zélande, et même du Canada. La durée moyenne des séjours, relativement longue prend sa part dans ce résultat.

2.2 Analyse comparative

2.2.1 L'éco-efficacité par euro et par nuitée dans les territoires et départements français d'outre-mer

Graphique 1

Éco-efficacité en kilos de CO2-e par euro dépensé

figure im2

Éco-efficacité en kilos de CO2-e par euro dépensé

(Ceron, Dubois et al., 2009).
Graphique 2

Éco-efficacité en kilos de CO2-e par nuitée

figure im3

Éco-efficacité en kilos de CO2-e par nuitée

(Ceron, Dubois et al., 2009).

32 Les graphiques 1 à 3 présentent les résultats pour les territoires et les départements français d'outre-mer, ainsi que pour la France métropolitaine. Ils expriment des ratios : l'efficacité par euro, par nuitée et par habitant. Ces différents ratios donnent des angles divers selon que l’on considère une volonté d’optimiser les retombées économiques de la tonne de carbone (par euro), le bien-être apporté aux touristes (par nuitée), ou l’empreinte carbone du territoire (par habitant). Sur une même barre, les graphiques montrent les marchés à la fois les plus et les moins efficaces et la moyenne. Pour tous les ratios, la métropole est bien plus éco-efficace que l'outre-mer. Ceci résulte de plusieurs facteurs, dont sa position au milieu de grands marchés émetteurs et de bons réseaux de transport routier et ferroviaire.

Graphique 3

Comparaison des GES du tourisme rapportées au nombre d’habitants en tonnes en 2007

figure im4

Comparaison des GES du tourisme rapportées au nombre d’habitants en tonnes en 2007

(Ceron, Dubois et al., 2009).

33 La Nouvelle-Calédonie est parmi les départements et territoires le marché le plus éco-efficace mais pour un marché touristique très réduit (100 000 arrivées). Le positionnement haut de gamme de la Polynésie la place en seconde position pour l'éco-efficacité par euro. Cependant, sa performance par nuitée est compromise par des séjours relativement courts. Comme la plupart des touristes à la Réunion visitent des amis et des parents, l'éco-efficacité par euro est mauvaise. Cependant l'éco-efficacité par habitant est meilleure étant donné l’importance de la population. Selon ce dernier critère, la Réunion se place juste derrière la France. L'éco-efficacité dans les Antilles est compromise par une dépense moyenne à faible : cette destination est la dernière en termes d'éco-efficacité par euro dépensé. Néanmoins le ratio en termes d'éco-efficacité par habitant, étant donné le volume de population, est plutôt favorable.

34 Ceci montre à quel point la situation est complexe. En conséquence les stratégies doivent être adaptées à chaque destination, prenant en compte leurs caractéristiques propres. Il est également intéressant d'élargir le point de vue en se livrant à des comparaisons avec les autres activités économiques.

2.2.2 La comparaison avec les autres activités

35 Pour les Antilles, comme le montre le tableau 1 ci-dessous, le tourisme contribue plus aux émissions que les autres activités.

Tableau 1

Éco-efficacité comparée du tourisme et des autres activités en Guadeloupe

Ratios Tonnes CO2/salarié Kg CO2/€ de CA Kg CO2/€ de VA Kg CO2/habitant
Entreprises 13 0,064 0,3 943
Tourisme 296 (CO2-e)
103 (CO2)
3,44 (CO2-e)
1,72 (CO2)
8,19 (CO2-e)
4,09 (CO2)
1 878 (CO2-e)
939 (CO2)
figure im5

Éco-efficacité comparée du tourisme et des autres activités en Guadeloupe

(Ceron, Dubois et al., 2009).

36 C'est également le cas pour la Réunion (graphique 4) où le tourisme à une écoefficacité de 8 kg de CO2-e par euro, alors que les autres activités restent en dessous d'un kilo.

Graphique 4

Éco-efficacité comparée des différents secteurs d’activité à la Réunion

figure im6

Éco-efficacité comparée des différents secteurs d’activité à la Réunion

(Ceron, Dubois et al., 2009).

37 Enfin, en Nouvelle-Calédonie, l'éco-efficacité du tourisme est meilleure que celle de l'industrie du nickel mais plus défavorable que celle des autres activités (graphique 5).

Graphique 5

Éco-efficacité comparée des différents secteurs d’activité en Nouvelle-Calédonie

figure im7

Éco-efficacité comparée des différents secteurs d’activité en Nouvelle-Calédonie

(Ceron, Dubois et al., 2009).

2.3 Des problèmes parfois communs mais des solutions potentielles différentes

38 Les quatre territoires sont à des degrés divers isolés géographiquement. Dans le cas des Antilles l'effet de l'éloignement est exacerbé par la dépendance de la destination au tourisme métropolitain. Les marchés émetteurs plus proches font l'objet d'une concurrence exacerbée, ce qui, pour les Antilles, rend la diversification difficile. En Polynésie française, le tourisme nuptial compense l'isolement extrême. L'ensemble des territoires comporte une forte proportion, quoique variable, de tourisme affinitaire caractérisé par de faibles dépenses. Le tourisme d'affaires est de moindre importance dans les Antilles et la Polynésie française qu'en Nouvelle-Calédonie (industrie du nickel) et à la Réunion (dynamisme économique relatif). Le profil touristique des destinations est variables : la Polynésie se focalise sur des produits hauts de gamme (non sans difficulté), le tourisme des Antilles est accessible à des couches sociales plus modestes, en Nouvelle-Calédonie, le tourisme de loisirs reste à un niveau faible. Par ailleurs, le profil des autres activités économiques doit être pris en compte pour l'élaboration des stratégies de chaque territoire. La prospective permet un exercice plus créatif de développement de visions alternatives.

3. DES SCÉNARIOS POUR PENSER L'AVENIR

39 Nous avons dressé une liste des variables d'action pouvant contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre du tourisme, puis identifié celles qui étaient les plus pertinentes pour chaque destination, et testé les stratégies pour réduire les émissions tout en maintenant les recettes.

3.1 Les leviers de changement

40 La diminution de l'intensité en transport aérien, par exemple en recherchant des marchés plus proches ou en diminuant les distances parcourues par avion grâce à un pré-acheminement par train ou car. Si l'Amérique du Nord prenait une part significative du marché des Antilles au détriment de la France métropolitaine, il y aurait beaucoup à gagner en utilisant une liaison ferroviaire à grande vitesse jusqu'au sud de la Floride, avant de recourir à l'avion.

41 Le développement du tourisme domestique. Trop souvent les destinations cherchent à attirer les visiteurs avec le plus fort pouvoir d’achat, en prenant peu en compte les spécificités territoriales ou en attribuant à la clientèle visée les attentes les plus communes. Cela se traduit par un produit banalisé, avec une concurrence sur les prix. Or, le développement d’un tourisme domestique peut permettre à une destination de se créer une base solide, avec un tissu entrepreneurial local, source d’un développement économique durable. C'est le cas pour la Réunion en raison de l'importance de sa population. Ce l'est également pour la Nouvelle-Calédonie, car le niveau de vie de ses habitants augmente rapidement et son territoire est assez étendu et dispose d’un nombre d’établissements suffisant.

42 L'amélioration des taux de remplissage des avions. Les flux se concentrent sur les périodes de vacances où les touristes d'agrément et ceux qui rejoignent leurs familles (en France métropolitaine ou outre-mer) voyagent en même temps (trois mois par an), alors que les taux d'occupation sont sensiblement plus faibles pendant le reste de l'année. La demande de tourisme affinitaire compromet également la possibilité d'offrir un transport aérien à bas prix pour les touristes aux périodes décisives. Les taux de remplissage moyens des compagnies françaises vers les territoires d’outre-mer sont faibles du fait de l’obligation de continuité territoriale, qui impose des rotations régulières alors même que le volume de la demande ne le justifie pas. Cette situation tout à fait hors norme dans un univers marchand conduit à suggérer une solution totalement exceptionnelle, mais logique, sans pour autant déroger à l’objectif de réduction des émissions. Il s’agit de remplir « à tout prix » les avions qui, quel que soit le nombre de passagers, émettent tout autant. Les billets invendus en période hors saison pourraient être cédés à un prix dégressif, voire à la limite gratuitement, à des publics particuliers, à condition, par exemple, de venir en hors saison pour les fonctionnaires natifs des territoires d’outre-mer et leur famille, de rester un minimum de deux mois sur place pour les retraités ou les étudiants, d’effectuer un très long séjour, supérieur à 6 mois…

43 L'accroissement de la durée des séjours. Elle est déjà relativement élevée pour les touristes affinitaires et pourrait encore augmenter avec une hausse des prix du transport qui les inciterait à venir moins souvent, mais pour des séjours plus longs. En ce qui concerne les marchés d'agrément, la longueur des séjours est plus faible, quoique selon les destinations et les marchés on constate aussi de fortes différences. Pour la Guadeloupe, la durée moyenne de séjour est de huit nuitées dans les hôtels, 15 dans les gîtes et 20 pour ceux qui séjournent chez les parents et les amis. En Polynésie française la durée moyenne du séjour et de 13,3 jours, seulement huit pour les Japonais, 18 pour les Français (tourisme d'agrément) et 26 pour ceux qui séjournent chez les parents et les amis. Pour cela, les territoires pourraient proposer une nouvelle gamme de produits plus longs, en prenant garde à favoriser des modes de tourisme moins polluants, et donc à limiter les nouveaux déplacements en avion, les croisières en ferry ou les circuits en 4x4 sur un territoire trop étendu, et, au contraire, en favorisant des modes de tourisme « doux » : hébergement en gîte ou dans des endroits qui n’utilisent pas la climatisation, déplacements à pied quand c’est possible…

44 L'accroissement de la dépense moyenne. En Polynésie française la dépense moyenne par jour est de 127 € avec une fourchette allant de 75 € pour les Français à 218 € pour les Japonais (dont les séjours sont bien plus courts). En Guadeloupe, où la dépense est relativement faible, les Européens autres que Français dépensent 30% de plus que les métropolitains. Dans tous les cas, l'activité touristique est fortement tributaire des importations (produits alimentaires transformés etc.). S’il est normal que les territoires cherchent à avoir un secteur lucratif, il nous semble important de rappeler que le développement durable ne vise pas à créer uniquement des destinations luxueuses s’adressant aux plus riches, mais bien à développer un tourisme ouvert à tous dans un cadre plus respectueux de l’environnement et d’une équité sociale. Augmenter les dépenses est souhaitable à certaines conditions, notamment en privilégiant le recours à l’économie locale : développement de gîtes ou de groupes d’hébergements ancrés localement, recours à des fournisseurs locaux pour la décoration, les services, la nourriture, etc., afin d’augmenter les retombées sur place. Ou encore, en se concentrant sur certains segments du marché touristique, comme les excursionnistes ou les résidents.

3.2 Stratégies

3.2.1 Optimiser

Des choix difficiles

45 Diminuer de 40% les émissions de GES implique des changements conséquents. En premier lieu, la métropole, qui occupe une part importante des arrivées et qui figure parmi les marchés les plus éloignés, verra sa part diminuer de manière importante. Dans le cadre du tourisme d’agrément, on peut imaginer une substitution des destinations : partir en Espagne ou en Afrique (Maghreb, Afrique du Nord, Sénégal) plutôt qu’aux Antilles ou à la Réunion. Dans le cas du tourisme affinitaire, en revanche, le compromis est plus problématique (Réunion, Polynésie française…).

L'éco-efficacité

46 Considérer le critère d’éco-efficacité dans la construction d’une stratégie touristique permet d’éviter de fausses évidences. Si les marchés de proximité sont incontestablement les moins polluants et ceux qui obtiennent les meilleurs résultats, les clientèles dépensières ne sont pas toujours aussi favorables qu’on pourrait l’imaginer. Par exemple, dans le Pacifique, les clientèles métropolitaines se comportent mieux que prévu par rapport aux clientèles asiatiques en raison de la courte durée de séjour de ces dernières et de leur propension aux circuits, source d'émissions de gaz à effet de serre supplémentaires.

3.2.2 Jouer sur la répartition du budget carbone

La part du tourisme dans l'aérien

47 On peut réduire les émissions de l’aérien de 40%, tout en variant la répartition des différents postes. Une première possibilité consiste à diminuer le fret au profit du tourisme. Cependant, le fret ne représente qu’environ 10% du volume transporté [7]. En Polynésie, par exemple, réduire le fret international permettrait de transporter 12% de passagers en plus ; cela pose le problème de l’approvisionnement et du mode de vie des habitants.

La part du tourisme dans le budget carbone du territoire

48 En considérant non plus le seul transport aérien mais l’ensemble du bilan carbone du territoire, on peut également envisager une attribution différenciée de l’effort de réduction des gaz à effet de serre. Doit-on, par exemple, développer conjointement agriculture et tourisme, ou plutôt favoriser le tourisme, ou alors, au contraire, davantage encourager l’agriculture ? Cette approche soulève, néanmoins, quelques limites. Ne serait-ce d’abord que pour explorer la question, peu de territoires d’outre-mer disposent d’un inventaire d’émissions détaillé. Il est donc difficile d’évaluer la part de chaque secteur dans le total des émissions ; cette difficulté est surmontable. Plus grave, tous les territoires ne disposent pas d’alternative économique au tourisme.

49 Chaque territoire a sa spécificité. Par exemple, la Nouvelle-Calédonie est un des lieux où le nickel est le plus efficacement extrait. Nous avons proposé deux scénarios, attribuant dans chacun des cas un poids différent au tourisme et au nickel. Comme leur éco-efficacité est très proche, il s’agit davantage d’une question sociale qu’économique. En effet, si l’on affecte l’essentiel du budget carbone à l’industrie du nickel au détriment du tourisme, on peut aller jusqu'à diminuer les émissions de ce dernier de plus de la moitié. Le tourisme résiduel sera centré sur les visites d’affaires liées au nickel en particulier (39%), du tourisme d’agrément haut de gamme et régional (44%), et enfin, une part minoritaire de tourisme affinitaire (13%). Dans le cas d’une répartition des émissions plus équilibrée, celles du tourisme ne baissent que de 40%, et les parts du tourisme d’agrément et affinitaire sont légèrement plus élevées.

3.3 Les leçons des scénarios

3.3.1 Une réduction des arrivées qui va à l’encontre des prévisions internationales

50 Pour les territoires étudiés, la baisse des émissions est associée à une diminution des arrivées, plus ou moins forte selon les marchés de substitution existants. La baisse la plus importante concerne La Réunion, avec une diminution de 20% du volume des arrivées (graphique 6). À l’inverse, les Antilles sont le territoire le plus épargné avec une baisse de seulement 5%. En moyenne, on observe une réduction de 14% des arrivées sur l’ensemble des territoires d’outre-mer.

51 Cette remarque met en lumière l’importance de prendre conscience aujourd’hui que le modèle de développement souhaité il y a une dizaine d'années ne sera pas forcément réalisable, et surtout que penser différentes façons d’envisager l’avenir du tourisme est décisif. Investir dans des capacités d’hébergement supplémentaires ne semble pas forcément pertinent et doit être très sérieusement justifié. Une rénovation, ou un remplacement, avec une montée en gamme, peuvent être, par exemple, plus opportuns.

Graphique 6

Comparaison des arrivées à 2025 selon le scénario de développement durable 2005 (foncé) - 2025 (clair)

figure im8

Comparaison des arrivées à 2025 selon le scénario de développement durable 2005 (foncé) - 2025 (clair)

(Ceron, Dubois et al., 2009).
Graphique 7

Arrivées des métropolitains en outre-mer 2007-2025

figure im9

Arrivées des métropolitains en outre-mer 2007-2025

(Ceron, Dubois et al., 2009).

3.3.2 Le marché métropolitain particulièrement touché

52 Le marché métropolitain est particulièrement affecté pour deux raisons. Tout d’abord, il représente aujourd’hui une part essentielle des arrivées en outre-mer. De plus, il fait toujours partie des marchés émetteurs les plus éloignés. Dans les scénarios, les réductions d’arrivées ont donc parfois dû être drastiques. Dans l’ensemble, les arrivées chutent d’un tiers. La diminution la plus importante concerne la Nouvelle-Calédonie en raison de l’existence de marchés de substitution d’une part, et de son possible éloignement institutionnel de la métropole d’autre part.

53 La diminution la moins importante concerne l’île de la Réunion, en raison de la dimension majeure du tourisme affinitaire (graphique 7). Ce second constat amène, lui aussi, des questionnements. Les possibilités d'adaptation seront plus aisées pour les touristes métropolitains que pour le tourisme affinitaire Par ailleurs, si l’on propose une substitution partielle des marchés métropolitains, on peut également se demander comment les territoires récepteurs vivront la perte de cette clientèle, avec laquelle des liens culturels forts existent ?

CONCLUSION

54 La vision pour 2025 s’écarte fortement d’une projection classique des tendances et d’une réflexion conventionnelle sur l’avenir du tourisme. Cependant, nos hypothèses restent entièrement dans le domaine du possible et le résultat final ne s’apparente pas à une catastrophe. La barrière la plus importante est l’acceptation du changement et la projection dans un avenir différent de ce que l’on connaît ou de ce que l’on a pu imaginer.

55 Si les scénarios préservent un développement économique associé à une diminution de la pression environnementale, les conséquences sociétales risquent d’être importantes, et la population peu préparée à des changements aussi radicaux. Parmi ceux-ci on peut citer :

56

  • Une baisse de la mobilité touristique, alors que la tendance aux courts séjours plus fréquents est engagée depuis plus d’une décennie. Cette baisse de la mobilité va à l’inverse de l’évolution actuelle. Si elle peut être acceptable pour le segment d’agrément, elle le sera moins pour le tourisme affinitaire. Dans les scénarios proposés, le segment affinitaire, malgré des revenus plus faibles, a été relativement maintenu, c’est une option qui paraît correspondre à un désir fort des populations de l’outre-mer (rendre visite à sa famille et à ses amis). D’autres choix sont possibles en théorie.
  • Une baisse du nombre de touristes, une fois encore, en opposition avec les prévisions internationales et les attentes des professionnels. Si les scénarios envisagent une augmentation des retombées, l’évolution de la contrainte carbone, modifiant la structure du secteur touristique aura des conséquences, dont une concurrence exacerbée, la modification de la demande et de la saisonnalité, la fermeture d’établissements en raison de la baisse des arrivées…

57 Accepter la contrainte carbone est urgent si l’on veut limiter les effets du changement climatique, et éviter de franchir des seuils irréversibles (mort des coraux, diminution de la ressource en eau potable…). Prévoir les mécanismes d’adaptation aujourd’hui est donc stratégique, si l’on veut rester compétitif car des régulations fortes sont inévitables, à moins d’accepter implicitement d'être confrontés à des ruptures soudaines et catastrophiques.

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Mots-clés éditeurs : scénarios, outre-mer français, changement climatique, tourisme

Date de mise en ligne : 13/04/2012

https://doi.org/10.3917/med.157.0011

Notes

  • [1]
    Centre de Recherche en Droit de l’Environnement, de l’Aménagement et de l’Urbanisme (CRIDEAU-OMIJ), Université de Limoges. Ceron@numericable.com
  • [2]
    Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Ghislain.Dubois@yahoo.fr
  • [3]
    Forçage radiatif : différence entre l'énergie radiative reçue et l'énergie radiative émise par un système climatique donné. Le forçage radiatif, appliqué au réchauffement climatique, mesure la propension d’un facteur à perturber l’équilibre énergétique de la Terre. Les gaz à effet de serre ont un forçage radiatif positif ; ils augmentent la température au sol en empêchant les infrarouges de rayonner vers l'espace.
  • [4]
    Les trainées des avions en contribuant à la formation de cirrus (nuages) participent au phénomène global d’effet de serre.
  • [5]
    Une des spécificités du tourisme dans les départements et territoires d’outre-mer est la place prise par les vacances chez les parents et amis, ce qui minimise celle du tourisme d’affaires.
  • [6]
    EFT : enquête sur les flux touristiques, EDT : enquête sur les données touristiques, EFH : enquête sur la fréquentation hôtelière…
  • [7]
    À l’import en équivalent passager. À l’export (au départ en termes de tourisme), cette part est bien plus faible.

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