Notes
-
[1]
Groupe Banque, équipe "Entreprises Familiales et Financières", Institut de Recherche en Gestion des Organisations (IRGO), Université Montesquieu Bordeaux IV et Université Yaoundé II (Cameroun). Des remerciements sont adressés aux Professeurs Robert Wanda et Roger Tsafack Nanfosso, de l’Université Yaoundé II, et aux rapporteurs anonymes pour leurs remarques qui ont permis d’améliorer cet article. tioumagneng@yahoo.fr
-
[2]
Sur ce point, lire, notamment, les analyses de A. Brender Option Finance n° 967, 2008, 18.
-
[3]
La Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) compte six pays : Cameroun, Congo, République Centrafricaine, Guinée équatoriale, Gabon, Tchad.
-
[4]
Le terme "comportement transactionnel" n’apparaît pas explicitement dans les travaux locaux portant sur la relation financière qu’entretiennent les banques avec les entreprises. Seules certaines des caractéristiques (taux d’intérêt élevés, forte valorisation des données quantitatives dans l’évaluation des emprunteurs etc.) de ce comportement y sont évoquées.
-
[5]
Les travaux dont les résultats sont favorables à l’idée que les entreprises évitent les crédits bancaires fondent implicitement leur raisonnement sur l’hypothèse d’"endogénéité" de la structure financière de ces entreprises (Alonzo, Lopez et Sanz, 2005), qui s’oppose à celle dite d’"éxogénéité" à laquelle se rattache la thèse de rationnement sus-évoquée. Suivant cette deuxième hypothèse, ce sont seulement les facteurs exogènes ou environnementaux, dont le comportement opportuniste des créanciers, qui déterminent la structure financière des entreprises. Elle repose sur la passivité des entreprises ou de leur des dirigeants vis-à-vis des créanciers, dont les banques, dans la conception de leur propre politique financière.
-
[6]
Les actionnaires (dirigeants) préfèrent sacrifier les investissements de long terme lorsqu’ils pressentent qu’à terme la plus grande partie de leur rentabilité bénéficiera au créancier ou à l’obligataire.
-
[7]
Myers (1977) considère que les opportunités de croissance de l’entreprise sont des options d’achat dont la valeur dépend de la probabilité de leur exercice de façon optimale, c'est-à-dire de la situation financière de l’entreprise.
-
[8]
Ici, le risque de liquidité se réfère au risque d’un emprunteur d’être contraint à la liquidation inefficace en raison du refus du créancier à lui renouveler le crédit (Diamond, 1991).
-
[9]
Il faut reconnaitre, toutefois, comme a souligné l’un des rapporteurs, la possibilité que les filiales se financent par des obligations émises hors du Cameroun par leurs maisons mères.
-
[10]
Le raisonnement privilégie la thèse suivant laquelle l’hypothèse "d’endogénéité" de la structure financière des entreprises telle que définie à l’introduction et suivant laquelle les dirigeants sont plutôt actifs dans la définition et conception de la politique financière de leur entreprise.
-
[11]
Les tableaux des résultats des tests d’Hausman, de Sargan et de Nakamura et Nakamura réalisés tant sur le modèle (1) que sur le modèle (2) ne sont pas présentés ici. L’auteur, dont l’adresse électronique est précisée dans la note de bas de page 1, est disposé à les fournir, à la demande, au lecteur intéressé.
-
[12]
Une relation négative, par exemple entre les dettes de long terme et l’investissement, peut être due à l’ajustement par l’entreprise de la maturité de ses dettes, compte tenu des opportunités d’investissement qu’elle anticipe (Aivazian, Ying et Quiu, 2005, 107).
-
[13]
L’information servant à opérationnaliser cette variable résulte de l’administration des questionnaires. Les données de cet article sont celles à la base de la conception de la thèse de Doctorat de l’auteur (Tioumagneng, 2009).
-
[14]
Suivant le modèle de Datta, Mai et Raman (2005), la participation des dirigeants au capital des entreprises à fortes opportunités de croissance a pour effet d’aligner leur comportement sur celui des actionnaires et de les inciter à choisir particulièrement les dettes de court terme.
-
[15]
En privilégiant la thèse alternative d’exogénèité ou de rationnement, qui domine la littérature sur la problématique du financement bancaire des entreprises au Cameroun, la relation négative entre X1 et Y1 peut s’expliquer comme traduisant le fait que les entreprises investissant en AI sont victimes d’un rationnement de crédit de long terme par les banques. Ce rationnement se conçoit d’autant plus qu’il est déjà très difficile pour les entreprises camerounaises d’obtenir le financement bancaire dont les crédits de long terme pour les investissements tangibles, et donc moins risqués. Je remercie les deux rapporteurs anonymes de l’article d’avoir attiré l’attention sur ce point.
-
[16]
En termes de coûts de transaction, on peut considérer que le fait d’éviter les dettes de court terme permet à l’entreprise de bénéficier des économies sur les taux d’intérêt exorbitants qu’appliquent les banques sur certains types de crédits, comme le crédit "revolving", au fur et à mesure de leur remboursement. Par ailleurs, les dettes de court terme ayant un fort pouvoir de contrôle ou de contrainte, leur évitement peut permettre aux dirigeants de faire l’économie des distorsions qu’opéreraient les créanciers dans la gestion de certains types d’AI comme la Recherche et Développement (R&D). On peut aussi considérer que cet évitement permettrait de faire l’économie des coûts de faillite, étant donné que les AI sont des investissements à délai de rentabilité long, alors que le délai de remboursement des dettes considérées est plus court.
-
[17]
Un des inconvénients des dettes fournisseurs est qu’elles conduisent l’entreprise à ne pas jouir des réductions qu’autorise le paiement au comptant. En outre, les taux d’intérêt (implicites, puisqu’étant liés au fait de ne pas bénéficier des réductions évoquées) qu’appliquent généralement les fournisseurs pour ce type de financement sont dans certains cas supérieurs à ceux en vigueur sur le marché du crédit bancaire (coûts d’opportunité).
1Une partie des réflexions sur les crises bancaires récentes (crise dessubprimes, affaire "Kerviel" de la Société Générale etc.) a porté sur les dommages causés à l’économie réelle. L’écho du débat a clairement mis en évidence la possibilité d’une prudence des banques en matière d’offre de financement aux entreprises [2]. Toutefois, un consensus s’est formé autour de l’idée que l’origine principale de cet attentisme est bien lointaine et se situe au plan réglementaire à deux niveaux : l’application des normes de fonds propres bancaires de 1988, dites Bâle I, qui lient ces fonds au montant des crédits distribués ; les nouvelles exigences de 2004, dites Bâle II, faisant dépendre le niveau du capital bancaire du risque du portefeuille de chaque emprunteur et dont l’application a conduit les banques à privilégier particulièrement l’offre des crédits de court terme (moins risqués) aux entreprises (Artus, 2005).
2Quoi qu’il en soit, le problème de prise de risque constitutif de la relation banque-entreprise s’est trouvé réactualisé. Cet article porte sur sa composante constituée de la distorsion dans la structure de la maturité des crédits bancaires proposés aux entreprises.
3La réticence des banques à offrir des crédits de long terme découle d’un comportement que la littérature spécialisée qualifie de transactionnel et dont les traits majeurs sont la faible implication dans le contrôle de l’emprunteur ; la forte exigence des garanties de nature tangible comme conditions de prêts ; la focalisation sur les éléments purement quantitatifs pour évaluer les emprunteurs ; la forte propension à la non-renégociabilité en cas de faillite de l’emprunteur ; le court-termisme ou le fort attachement aux investissements à rentabilité immédiate ; l’accroissement des taux d’intérêt sur les prêts (Parthiban, O’Brien et Toru, 2008).
4Ce type d’attitude des banques semble dénoter les pays de la CEMAC [3] en général. En effet, il y est largement défendu l’idée que les banques ont une forte préférence à accorder des crédits de court terme [4]. Ainsi, l’encours de l’offre des crédits bancaires de long terme a diminué entre 2004 et 2006, passant de 518 milliards de FCFA en 2004 à 514 en 2005 et 493 en 2006 (COBAC, 2006). Sur la même période est noté un accroissement de l’encours de l’offre des crédits bancaires de court terme, passant de 392 milliards de FCFA en 2004 à 476 en 2005 et 512 en 2006. Suivant la BEAC (2007), entre 2006 et 2007, les crédits bancaires de court terme à l’économie des pays de la CEMAC ont augmenté de 11,2% ; ceux de long terme ont régressé de l’ordre de 2,3%. Ces données tendent à confirmer simplement le phénomène décrit ; certains situent son origine vers la seconde moitié de la décennie 1980 et plus précisément dans le déclenchement de la crise bancaire de l’époque (Dinamona, 1996).
5À la confrontation des préoccupations liées à la distorsion sus-évoquée dans la maturité des crédits bancaires offerts, il s’observe une tendance à la stigmatisation du court termisme des banques et une croyance en l’idée que l’insuffisance des crédits de long terme est le principal facteur explicatif de la difficulté des entreprises en zone CEMAC à se développer (Andely, 1997). Ainsi, nombre des recommandations formulées à la suite des études menées sur le sujet partent d’une vision de l’accessibilité des entreprises aux crédits bancaires de long terme comme la condition majeure de leur croissance (MINEFI, 2007). Elles consistent notamment, pour certains auteurs, aux arguments favorables à la recréation des banques de développement liquidées au cours des années 80, à la suite de la crise bancaire évoquée supra.
6Si le lien causal qui existe entre la maturité des crédits bancaires, l’investissement et la performance des entreprises en Afrique centrale ne souffre d’aucun doute, il reste que la préoccupation dont fait l’objet ce rapport est essentiellement théorique et empreinte de dogmatisme.
7En effet, peu d’études empiriques semblent avoir été consacrées à l’analyse des conditions de l’efficacité de l’endettement à long terme des entreprises auprès des banques en termes d’amélioration de la performance. Par ailleurs, non seulement la thèse de rationnement des crédits domine les analyses existantes, les dettes bancaires de long terme y sont conçues comme constituant une panacée de financement et donc exemptes d’inconvénients pour les entreprises. Cette conception est pourtant loin d’être celle de l’économie bancaire en général pour laquelle, d’une part, les financements contractés par les entreprises auprès des banques doivent être analysés en termes d’enjeux (Guigou et Vilanova, 1999), et d’autre part, dans certaines circonstances, des entreprises enquête de financement peuvent [5] éviter de s’endetter auprès des banques à court comme à long terme (Datta, Mai et Raman, 2005). Pour tous ces motifs, le traitement de l’efficacité de la maturité des crédits offerts par les banques aux entreprises en tant qu’objet d’investigation en Afrique centrale nous paraît digne de reconsidération.
8L’objet de cet article est de déterminer l’impact des dettes bancaires de long terme sur la performance des entreprises. La problématique qui le sous-tend consiste au fait que, relativement à la performance, ce type de financement s’analyse en termes d’enjeux. Les résultats montrent que les dettes bancaires de long terme défavorisent la performance, le comportement transactionnel des banques dans l’aire d’expérimentation considérée en étant la cause.
1. ENJEUX DES CRÉDITS DE LONG TERME
9Sous l’hypothèse de perfection des marchés, il a été démontré qu’il n’existe pas de relation entre la politique financière de l’entreprise, y compris la maturité de ses dettes, et sa performance (Modigliani et Miller, 1958). Cette thèse de neutralité a été remise en cause au profit de celle dite de non-neutralité, avec la prise en compte des imperfections (Modigliani et Miller, 1963). Dés lors, l’endettement est considéré comme comportant à la fois des avantages et des inconvénients ou coûts susceptibles d’induire des problèmes dans l’entreprise : substitution d’actifs, sous-investissement, surinvestissement…
10Dans ce contexte, la maturité des dettes se conçoit comme un moyen permettant de minimiser ces coûts inhérents à l’endettement (Ozkan, 2000). Les dettes de long terme, comme celles de court terme, permettent à l’entreprise de réduire le risque de liquidation, les coûts d’agence ou de transaction et les problèmes de sélection adverse. Mais, relativement à ces problèmes, chacune de ces deux modalités de dettes comporte à la fois des inconvénients et des avantages. Les principaux modèles sur le sujet montrent que les entreprises choisissent une maturité quelconque des dettes en tenant compte de ces inconvénients et avantages. Ils suggèrent que l’objectif poursuivi par l’entreprise lors de son choix peut être la réduction du risque de liquidation (Diamond, 1991 ; Flannery, 1986 ; Morris, 1976), des coûts d’agence ou de transaction (Myers, 1977), des problèmes de sélection adverse ou des coûts de transaction (Datta, Mai et Raman, 2005 ; Goswami, 2000).
11Suivant le modèle dit de "matching" de Morris (1976), les entreprises sont confrontées à deux problèmes quand elles choisissent la maturité des dettes :choisir les dettes avec une maturité plus courte que celle des actifs à financer est risqué car les actifs peuvent n’avoir pas suffisamment généré de cash flow à l’échéance, fixée dans le contrat de dettes, pour faire face au service de la dette (risque de liquidité) ; choisir les dettes avec une maturité plus longue que celle des actifs à financer est risqué car ces actifs peuvent être devenus improductifs avant la date d’exigibilité de la dette (risque d’insolvabilité). Dans ce contexte, la solution pour se protéger contre ces deux risques consiste à choisir la maturité des dettes qui est la même que celle des actifs à financer.
12Le modèle de Myers (1977) considère que le problème du sous-investissement ("underinvestment problem") des actionnaires est plus ressenti dans les entreprises à fortes opportunités de croissance et que la solution à ce problème d’agence consiste à choisir la dette dont la maturité est plus courte que celle des investissements [6]. En effet, les dettes de court terme permettent à ces entreprises de rembourser la dette avant l’exécution [7] totale des opportunités d’investissements, et donc de capturer finalement toute la rentabilité résiduelle générée par ces investissements.
13Dans le modèle de Flannery (1986), il existe deux types de projets : ceux de mauvaise qualité et ceux de bonne qualité qui peuvent se financer par les dettes soit de court terme soit de long terme. Les dettes de court terme sont risquées pour les entreprises disposant des projets de mauvaise qualité. Ces entreprises courent un risque de rationnement du crédit (risque de liquidité [8]) à la fin de la première période par les créanciers informés de la qualité de leurs projets ou du fait de leur insolvabilité (risque de faillite). Le souci d’éviter le risque de faillite pousse ces entreprises à choisir les dettes de long terme, bien qu’elles soient à taux d’intérêt plus élevé. Le modèle montre, par ailleurs, que les entreprises disposant de bons projets préfèrent s’endetter à court terme (supporter le risque de faillite), puisqu’elles peuvent sans difficultés renégocier avec le créancier à la fin de la première période, pour signaler leur valeur et se distinguer de celles portant de mauvais projets sur le marché du crédit de long terme.
14La prédiction de Flannery est proche de celle du modèle de Diamond (1991) dans lequel les dirigeants disposent aussi d’une information privée sur la qualité de leur projet qui peut être soit à valeur actuelle nette négative soit à valeur actuelle nette positive. Le financement de ce projet exige des dettes de court terme ou de long terme. Le créancier n’observant pas dès le départ la qualité des projets est cependant capable d’assigner à chacun des projets un score de risque de crédit. Une fois de plus, les dettes de court terme sont contractées à des taux d’intérêt moins élevés que celles de long terme, mais elles induisent unrisque de liquidité élevé (éventualité de rationnement à la fin de la première période) pour les entreprises à score de crédit élevé (projet à valeur actuelle nette négative). Les implications du modèle sont au moins tridimensionnelles : les entreprises à faible risque (projet à valeur actuelle nette positive) choisissent les dettes de court terme à des taux d’intérêt moins élevés, en raison de leur certitude du renouvellement à l’échéance ; les entreprises à risque élevé choisissent les dettes de long terme à des taux d’intérêt plus élevés, afin de minimiser le risque de liquidité ; les entreprises à risque intermédiaire, par un comportement mimétique, s’endettent à court terme, comme les entreprises à faible risque, compte tenu de la contrainte des créanciers.
15La plupart des modèles théoriques précédents considèrent que c’est l’asymétrie informationnelle portant sur la qualité des actifs et le risque de crédit qui déterminent le choix de la maturité de la dette par l’entreprise. Ceux qui suivent expliquent généralement ce choix non pas par cette asymétrie elle-même mais plutôt par sa distribution temporelle, c'est-à-dire son degré relatif concernant lecash flow de court et de long terme.
16Goswami (2000) raisonne dans un contexte bipériodique où l’entreprise seule a l’information privée sur la maturité de ses actifs, la durée de son cash flow, alors que les créanciers n’en ont qu’une distribution de probabilité. Par conséquent, ils réagissent à toute émission des titres de dette par une tarification incorrecte, synonyme de coûts de transaction pour l’entreprise. L’auteur met en évidence, dans ce cas, que le choix d’une maturité de la dette différente de celle des actifs de l’entreprise s’explique par son souci de minimiser ces coûts de transaction et surtout qu’en toute circonstance, absence ou présence de coûts de transaction, l’émission des titres des dettes de maturité longue par l’entreprise est plus efficace pour minimiser les problèmes de sélection adverse (et donc les coûts de transaction) existant entre ses créanciers et elle.
17Enfin, dans le modèle de Datta, Mai et Raman (2005) les dettes de court terme sont évitées par les dirigeants par ce qu’elles sont plus contraignantes en termes de contrôle que les dettes de long terme. Contrairement au modèle de Diamond (1991), dans lequel les entreprises risquées choisissent les dettes à long terme du fait de leur risque relevé, celui-ci retient que les dirigeants d’entreprises à forts problèmes d’agence optent pour les dettes à long terme afin de s’affranchir du contrôle extérieur à court terme et de s’octroyer une marge de manœuvre considérable et durable.
18Ces développements suggèrent que les dettes bancaires de long terme, autant que celles de court terme, comportent non seulement des avantages mais aussi des limites. Elles peuvent donc favoriser ou défavoriser la performance des entreprises qui y recourent. Comme annoncé dans l’l’introduction, cette analyse en termes d’enjeux manque beaucoup dans la littérature portant sur la maturité des dettes bancaires offertes aux entreprises en Afrique centrale.
2. MÉTHODOLOGIE
19L’hypothèse de recherche, l’aire d’expérimentation, l’échantillon et la période d’étude, les variables, les modèles empiriques conçus et la méthode et le logiciel économétrique d’analyse sont détaillés dans cette partie.
2.1 Hypothèses
20Suivant les développements précédents, les entreprises recourent ou évitent les dettes bancaires de long terme en fonction des objectifs d’efficience (minimiser les coûts d’agence, de transaction ou de faillite) qu’elles se fixent. De tels objectifs sont poursuivis lors du financement des investissements en actifs intangibles (AI) (Houston et James, 1996). Dans cet article, par hypothèse de travail, les entreprises étudiées investissent en AI. Deux hypothèses, H1 et H2, sont formulées. Suivant H1, les dettes bancaires de long terme influencent positivement les dépenses d’investissement en AI. Cette hypothèse privilégie les vertus des dettes bancaires de long terme et donc que les entreprises investissant en AI y font recours. Suivant H2, le financement des AI par les dettes bancaires de long terme influence positivement la performance. L’idée qui fonde cette hypothèse est la suivante. Si les dettes bancaires de long terme permettent à l’entreprise de financer ses AI en minimisant effectivement les coûts qui les caractérisent, cette efficience est censée se manifester finalement par un accroissement de la performance de l’entreprise (Parthiban, O’Brien et Toru, 2008).
2.2 Aire d’expérimentation, échantillon et données
21L’échantillon est constitué de 99 entreprises. Le Cameroun est l’aire d’expérimentation. Les données proviennent des Déclarations statistiques et fiscales (DSF) consultées à l’Institut national de la statistique. Celles-ci sont quantitatives, portent sur la période 2001-2005 et ont été organisées en panel. L’étude porte donc sur 495 observations.
2.3 Variables
22Deux principaux types de variable sont définis : les variables dépendantes et les variables explicatives.
23Les variables dépendantes sont au nombre de deux : celle de l’investissement de l’entreprise en AI, notée Y1 et celle de performance, notée Y 2 . Y1 a été mesurée par le montant du ratio Immobilisations incorporelles/Actif total, puisque les AI forment "un élément majeur du capital productif, inscrit en tant qu’immobilisation incorporelle à l’actif du bilan" (Mouhoud et Plihon, 2007, 34). La performance (Y 2), conçue du point de vue des actionnaires, est mesurée à partir des données comptables par le montant du ratio Résultat net/Capitaux propres. En effet, au Cameroun où le marché boursier estfaiblement actif, seule la performance mesurée à partir des informations comptables peut être sensible à la structure financière (Wanda, 2003).
24Les variables explicatives sont, d’une part, celles considérées dans le modèle empirique (1) et, d’autre part, celles qui caractérisent le modèle (2).
25Les variables explicatives du modèle (1) concernent les dettes bancaires de long terme, les dettes bancaires de court terme et les dettes fournisseurs. La variable des dettes bancaires de court terme est notée X 0 et a été mesurée par le montant du ratio Concours bancaires courants/Actif total. Celle représentant les dettes bancaires de long terme est X1. Ces dernières sont difficiles à identifier dans les bilans des entreprises issus des DSF consultées. Le montant du poste"Dettes financières" au passif du bilan a été considéré comme correspondant à celui des dettes bancaires de long terme : le raisonnement est fondé sur l’idée que dans le contexte de l’étude, en raison de la faible activité du marché évoquée plus haut, les dettes financières ne peuvent provenir en grande partie que des banques [9]. X1 a donc été appréhendée par le ratio Dettes financières/Actif total.
26Les variables explicatives du modèle (2) sont des variables de comportement financier des entreprises étudiées : comportement vis-à-vis des dettes bancaires de court terme (X 01), comportement vis-à-vis des dettes bancaires de long terme (X 111) et comportement vis-à-vis des dettes fournisseurs (X 23).
27La création de ces variables est délicate. Sur la variable explicative d’intérêt (X111), des compléments sur plusieurs points sont nécessaires :
- X111 devrait être une variable qui résume les informations relatives, d’une part, au financement des AI par les dettes bancaires de long terme et, d’autre part, au non-recours à ces dettes quant au financement de ces actifs. Ainsi pourrait-on mesurer précisément, dans le modèle (2), l’influence de chaque comportement financier représentant chacune de ces deux catégories d’informations sur la performance et en déduire celui qui apparaît comme convenable pour l’investissement en AI ;
- pour que X111 ait ces caractéristiques, il faut créer une variable d’interaction. Cette méthodologie est adoptée dans des travaux empiriques spécialisés, et plus précisément ceux analysant la relation causale dettes bancaires/AI-performance de l’entreprise (O’Brien, 2003) ;
- une telle solution, en dépit de son intérêt, est inadaptée pour la présente étude. En effet, la variable d’interaction résultante serait de nature quantitative ou continue et, par conséquent, à contenu informationnel imprécis (relativement aux deux catégories d’informations sus-évoquées).
29Pour générer X111, la démarche consiste à distinguer deux situations opposées. La première est celle dans laquelle on peut vraisemblablement concevoir qu’unepartie au moins des dettes bancaires de long terme de l’entreprise a servi à financer ses AI : c’est le cas où le montant du poste Immobilisations incorporelles est inférieur à celui dettes financières. Elle correspond à la modalité 1 de X111. La situation inverse est celle où il est inconcevable que les AI aient été financés par les dettes bancaires de long terme : le cas où le montant du poste Immobilisations incorporelles est supérieur à celui des dettes financières. À celle-ci correspond la modalité alternative X111=0.
30Le même raisonnement a été adopté pour générer X 23 . X 23 =1 représente la modalité suivant laquelle peut se concevoir la possibilité que les AI aient été financés par les dettes fournisseurs et X 23 =0 traduit l’alternative.
31Pour garantir la qualité du modèle (2) et éviter que ses variables explicatives soient de nature qualitative, la démarche précédente n’a pas été retenue pour créer X 01. Pour cette variable qui doit idéalement être quantitative ou continue, l’option de l’interaction est retenue. Autrement dit, X01 est la variable d’interaction entre la variable des dettes bancaires de court terme (X 0) et celle de l’investissement en AI (Y1).
2.4 Modèles empiriques
32Deux modèles économétriques sont conçus, les modèles (1) et (2).
33Le modèle (1) étudie le comportement financier des entreprises (recours ou évitement) relativement au choix des dettes bancaires de long terme [10] pour financer les AI. Y1 est sa variable dépendante et X111 sa variable explicative d’intérêt. Les variables X 01 et X 2 y sont des variables explicatives de contrôle. Il est en effet considéré que les dettes bancaires de long terme et celles de court terme ne sont pas substituables ; que les dettes fournisseurs sont théoriquement concurrentes des dettes bancaires, surtout celles de court terme, puisqu’étant adaptées au financement des AI (Petersen et Rajan, 1997). Le modèle (1) est donc ainsi formalisé :
34Avec : i allant de 1 à 99 ; t allant de 2001 à 2005 ; ?1 , ? 2 et ?3 les coefficients des variables définies ; représentant la constante et le terme d’erreur du modèle.
35Le modèle (2) est conçu pour analyser l’effet sur la performance du comportement financier de l’entreprise, tel qu’il résulte de l’estimation du modèle précédent. Sa variable dépendante est donc Y 2 et sa variable explicatived’intérêt X111. Pour tenir compte des effets des deux autres comportements financiers potentiels, relatifs aux dettes bancaires de court terme et fournisseurs, sur la performance, X 23 et X 01 sont retenues comme des variables explicatives de contrôle. Dans ce modèle, Y1 est une autre variable explicative de contrôle. L’investissement en AI est, en effet, à la base de la création de valeur (Andrieux, 2008). Le modèle (2) est, en conséquence, ainsi formalisé :
(2)
36avec : ?1, ?2, ?3et ?4 correspondant aux coefficients des variables en présence ; représentant la constante et le terme d’erreur du modèle.
2.5 Méthode et logiciel économétrique d’analyse
37Stata version 9.0 est le logiciel économétrique utilisé. Elle utilise la méthodologie des données de panel. Le type de modélisation des effets individuels retenu pour l’estimation des régressions (1) et (2) est le modèle à effets aléatoires. Le choix de ce modèle est dicté par les résultats du test d’Hausman [11]. Pour le modèle (1), les résultats indiquent une différence non significative au seuil de 1% (p value=0.597) des deux estimateurs, ce qui implique que la modélisation à effets aléatoires est appropriée. Cette différence non significative (p value=0,344) est également observée en ce qui concerne le modèle (2) et autorise aussi l’usage du modèle à effets aléatoires.
38Le modèle à effets aléatoires est fondé sur l’hypothèse qu’il existe au moins une variable explicative endogène dans la régression. Pour déterminer les variables explicatives endogènes de chacun des deux modèles en présence, le test d’endogénéité de Nakamura et Nakamura est effectué sur chacune de ses variables explicatives. Les résultats conduisent à conclure à l’endogénéité des variables X 0 du modèle (1) et X 111 du modèle (2), puisque les résidus de la première étape sont significatifs et sont respectivement 0.049 et 0.036.
39L’endogénéité des variables explicatives du modèle (1), par exemple, signifierait qu’il est possible que, contrairement à la forme de cette régression, ce soit plutôt la variable d’AI (Y1) qui détermine les variables de la maturité des dettes bancaires que sont X0 et X1. Dans ce cas, la maturité de la dette n’est pas exogène à l’investissement [12]. L’existence des variables explicatives endogènes contraint à choisir une méthode d’estimation convenable pour garantir l’obtention des coefficients convergents.
40La présente étude a opté pour la méthode des variables instrumentales. Pour chacune des variables endogènes identifiées, la logique de cette méthode exige un instrument au moins. L’instrument de la variable endogène X 0 est la variable de discrétion managériale, notée X13 [13]. X13 est une variable dichotomique : la modalité de référence correspond à la présence des dirigeants dans le capital [14] de l’entreprise (X 13 =1), l’alternative traduit l’absence (X 13 =0). Les résultats du test d’exogénéité de Sargan sont favorables à la validité de cet instrument : il est, en effet, indicatif (p value égale à 0.500) dans l’explication du résidu du modèle (1). La même variable X13 a été considérée dans le modèle (2) comme étant l’instrument de X111 et les résultats du test de Sargan ont conduit à accepter sa validité. Sa p value de 0.258 n’explique pas significativement le résidu du modèle (2).
3. RÉSULTATS
41Les résultats des estimations sont indiqués dans les tableaux 1 et 2.Il ressort du tableau 1 que les entreprises évitent les dettes bancaires de long terme lorsqu’il est question de financer leurs investissements en AI. Suivant le tableau 2, le fait d’éviter ces dettes est défavorable à la performance.
Résultats de l’estimation du modèle (1)
G2SLS random -effects IV regression Number of obs = 495 Group variable : anne Number of groups = 5 R-sq : within = 0.0001 Obs per group : min = 99 between = 0.6637 avg = 99.0 overall = 0.0000 max = 99 Wald chi2 (3) = 0.01 corr (u_i, X) = 0 (assumed) Prob > chi2 = 0.5996 - ----------------------------------------------------------------------------- |
y1 | Coef. Std. Err. z P>|z| [95% Conf. Interval] |
- ------------ +---------------------------------------------------------------- X0 | -34.46571 844.3432 -0.04 0.067 -1689.348 1620.417 X1 | -.8517836 17.42845 -0.05 0.961 -35.01091 33.30734 X0 | (dropped) X2 | 11.53674 139.8046 -0.08 0.934 -285.5488 262.4753 _cons | 109229.4 108761 1.00 0.315 -103938.3 322397.1 |
- ------------ +------------------------------------ ---------------------------- sigma_u | 0 sigma_e | 2402844 rho | 0 (fraction of variance due to u_i) |
Résultats de l’estimation du modèle (1)
Résultats de l’estimation du modèle (2)
G2SLS random -effects IV regression Number of obs = 495 Group variable : anne Number of groups = 5 R-sq : within = 0.0200 Obs per group : min = 99 between = 0.0022 avg = 99.0 overall = 0.0090 max = 99 Wald chi2 (4) = 0.10 corr (u_i, X) = 0 (assumed) Prob > chi2 = 0.5600 |
- ----------------------------------------------------------------------------- Y2 | Coef. Std. Err. z P>|z| [95% Conf. Interval] - ------------ +--------------------------- ------------------------------------- |
X01 | -6.51e -07 .0000351 -0.02 0.985 -.0000696 .0000681 y1 | -1.49e -06 .0001215 -0.01 0.090 -.0002396 .0002366 X01 | (dropped) X23 | -5.22e -07 618.41 75 -0.08 0.029 -1261.76 1162.392 X111 | 9.42e -06 .000771 -0.01 0.093 -.0015171 .0015052 _cons | 98.06996 350.742 0.28 0.780 -589.3717 785.5116 - ------------ +--------------------------------------- ------------------------- |
sigma_u | 0 sigma_e | 6415.0828 rho | 0 (fraction of variance due to u_i) - ----------------------------------------------------------------------------- |
Instrumented : X01 |
Résultats de l’estimation du modèle (2)
3.1 Les entreprises évitent les dettes bancaires de long terme
42Il apparaît que les résultats contenus dans le tableau 1 sont globalement non significatifs quelque soit le seuil d’erreur parmi les trois généralement utilisés (1%, 5% et 10%). En effet, Prob > chi2= 0.59 est bien supérieure à chacun de ces seuils. La marge d’erreur à laquelle il faut considérer ces résultats est 59%. Le niveau de confiance est donc d’environ 99,41%.
43X1 explique négativement les dépenses en AI (Y1) avec un coefficient d’environ -0.85. Cette explication est toutefois non pertinente (p value est égale à 0.961). Ce résultat conduit à rejeter l’hypothèse H1. Conformément à la logique de la thèse d’endogénèité de la structure financière des entreprises privilégiée [15] dans ce travail et qui fait dépendre la structure d’endettement bancaire de l’entreprise exclusivement de la discrétion de ses dirigeants, les entreprises investissant en AI évitent de recourir aux dettes bancaires de long terme. Si l’on admet que les banques camerounaises ont un comportementtransactionnel dans leur relation de crédit avec les entreprises (Wanda, 2007), le fait pour ces dernières (investissant en sus en AI) d’éviter l’endettement bancaire peut se justifier et corroborer, notamment, un résultat de Houston et James (1996). Rappelons que l’investissement en AI est une catégorie d’investissement pour lequel l’entreprise a besoin d’un mode de financement de type relationnel ou des créanciers dotés de comportement relationnel (O’Brien, 2003).
44Par ailleurs, la variable X0 appréciant l’endettement bancaire de court terme influence négativement, et de façon significative au seuil de 10% (p value=0,067), la variable des dépenses d’investissement en AI notée Y1. On en déduit que, suivant la thèse d’endogénèité, les entreprises investissent en AI en évitant de recourir aux dettes bancaires de court terme. Trois principaux motifs peuvent expliquer cet évitement : les taux d’intérêt pratiqués par les créanciers, l’incertitude quant à la possibilité des créanciers à accepter le refinancement et le risque que ces créanciers s’engagent dans une liquidation précoce. Le comportement transactionnel peut justifier l’évitement constaté, d’autant plus que les entreprises étudiées (celles investissant en AI) ont plutôt besoins d’un financement provenant d’un créancier doté de comportement relationnel.
45X 2 est l’unique variable influençant Y 1 positivement, bien que cette influence ne soit pas significative. Le raisonnement consistant à "endogénéiser" la structure financière des entreprises conduit à interpréter ce résultat comme traduisant le fait que ces entreprises tendent à recourir aux crédits fournisseurs lorsqu’il s’agit d’investir en AI.
3.2 Les dettes bancaires de long terme défavorisent la performance
46Ce constat découle de l’estimation du modèle (2) dont les résultats sont contenus dans le tableau 2. À partir de la valeur de la p value du chi2, Prob > chi2 (0,56), on constate que ces tests ne sont significatifs à aucun des trois seuils d’erreurs généralement retenus. La marge d’erreur à laquelle il faut les considérer est donc de l’ordre de 56%. À celle-ci correspond un niveau de confiance d’environ 99,44%.
47L’investissement en AI (Y1) considéré isolément (sans considération de son mode de financement) influence négativement la performance de l’entreprise de manière significative. Une influence de cette nature est contraire à ce que prévoit l’ensemble des modèles théoriques valorisant l’immatériel et aux résultats des nombreux travaux empiriques événementiels (Nguyen, 2002). En soulignant que ce type d’investissement peut être entrepris par des dirigeants soucieux plutôt de leurs intérêts personnels (que de la valeur actionnariale), le présent résultat peut se justifier.
48La variable X111 influence positivement celle de la performance Y 2 . Cette influence est significative au seuil de 5% (p value=0.093). C’est la modalité deréférence notée X111=1 considérée dans le processus d’estimation. Ce n’est que sous cette modalité que la possibilité que les dettes bancaires de long terme aient été contactées pour financer spécifiquement les AI est envisageable. Le coefficient négatif entre Y 2 et X 111 traduit que c’est cette modalité de référence qui influence négativement la performance de l’entreprise.
49Il faut, en outre, souligner qu’en réalité, et conformément aux résultats du tableau (1) interprétés, les entreprises étudiées ne financent pas leurs AI en recourant aux dettes bancaires, mais les évitent plutôt. Cette situation d’évitement correspond à celle de la modalité alternative X111= 0 qui, par déduction de l’interprétation ci-dessus, influence positivement la variable de performance. Le fait pour les entreprises camerounaises d’éviter les dettes bancaires de long terme pour leurs investissements en AI est source d’efficiences conduisant à l’accroissement de leurs performances : de telles efficiences pouvant découler d’une économie des coûts de transaction (taux d’intérêt exorbitants) qu’auraient supporté les entreprises étudiées si elles s’étaient endettées auprès des banques camerounaises dont le comportement est transactionnel. Cette lecture conduit à rejeter implicitement l’hypothèse H2. En conséquence, les dettes bancaires de long terme apparaissent comme un mode de financement bancaire non convenable à l’investissement en AI des entreprises étudiées : les travaux spécialisés qualifient de convenable ("suitable") tout mode de financement qui, servant à financer les AI, accroît la performance de l’entreprise considérée.
50Quant à la variable X 01, elle influence négativement la performance Y 2 . Comme dans le cas précédent, ce coefficient s’analyse comme celui de la modalité X 01=1 (modalité de référence) correspondant à la situation considérée comme celle où peut se concevoir la possibilité que les dettes bancaires de court terme aient servi à financer les AI de l’entreprise. La situation correspondant à la modalité alternative X 01=0 est donc celle sous laquelle il faut associer le résultat présenté à la section 3.1 et selon lequel les entreprises étudiées évitent ces dettes en investissant en AI. Le lien négatif entre X 01 et Y 2 implique que cet évitement, favorable à la performance, est aussi source d’économie d’efficiences, notamment en termes de coûts de transaction, d’agence ou de liquidation [16]. Autrement dit, le recours aux crédits bancaires de court terme estdéfavorable à la performance des entreprises étudiées. Cette conclusion est cohérente avec celle de l’étude de Tioumagneng (2004) pour qui les (petites et moyennes) entreprises camerounaises préfèrent recourir à leurs fonds propres que de s’endetter (à court comme à long terme) auprès des banques aux fins d’éviter de partager avec ces dernières la rente créée ou de préserver leur autonomie. On constate, enfin, que le recours aux dettes fournisseurs pour financer les AI défavorise la performance des entreprises considérées. Ce type d’endettement est donc source d’inefficiences [17], contrairement à la théorie existante (Petersen et Rajan, 1997).
CONCLUSION
51L’offre insuffisante des crédits bancaires de long terme est souvent considérée comme la principale explication de la contrainte des entreprises à créer la valeur en Afrique centrale. Cet argument est soutenu sans que de véritables études empiriques aient été consacrées aux conditions d’efficacité du type de crédits considéré. L’article a cherché à déterminer l’impact des dettes bancaires de long terme sur la performance des entreprises. Le principal résultat montre que, contrairement à une idée très répandue, ces dettes sont défavorables à la performance. Étant donné le comportement transactionnel des banques camerounaises dans leur relation de crédit avec les entreprises, ce résultat est expliqué par le caractère transactionnel du type de dettes bancaires considéré, grâce auquel les entreprises étudiées se financent. Ces entreprises sont celles investissant en actifs intangibles (AI), lesquels n’induisent effectivement la performance que si les crédits ayant servi à leur financement sont de type relationnel.
52Nos résultats ne remettent donc pas en cause l’importance des dettes bancaires de long terme telle qu’elle est défendue par nombre de travaux locaux comme ceux de Wamba (2001), Andely (1997) et Dinamona (1996). Ils suggèrent simplement que ce type de dettes ne peut, dans certaines circonstances dont celle de l’investissement des entreprises en immatériel, être convenable qui si les banques prêteuses ont un comportement plutôt relationnel à l’égard des entreprises. Dans ce sens, la portée de l’article peut ainsi se concevoir : les entreprises devraient éviter de s’endetter auprès des banques lorsqu’il est précisément question de financer l’immatériel dans un contexte où celles-ci sont dotées de comportement transactionnel. Les autorités de régulation bancaire sont, en conséquence, interpellées sur le fait qu’une solution au problème de financement bancaire du développement au Cameroun ou en zone CEMAC consiste à rendre les banques relationnelles dans leur rapport de crédit avec lesentreprises. Cela suppose une identification des leviers d’actions nécessaires qui devrait préoccuper des travaux ultérieurs.
BIBLIOGRAPHIE
- AIVAZIAN V.A., YING G., QUIU J. (2005) Debt Maturity Structure and Firm Investment, Financial Management, Winter, 107-119.
- ALONZO P.D.A., LOPEZ J.F.I., SANZ R.A.J. (2005) Determinants of Bank Debt in a Continental Financial System : Evidence from Spanish Companies, The Financial Review, 40, 305-333.
- ANDELY R.R. (1997) Financement des investissements en Afrique Centrale : blocages actuels et stratégie de relance, BEAC, document interne, 63 p.
- ANDRIEUX M.-A. (2008) Vers une gouvernance de l’immatériel, Revue Française de Gouvernance, n°3, 189-196.
- ARTUS P. (2005) De Bâle 1 à Bâle 2. Effets sur le marché du crédit, Revue Economique,56, 1, 77-98.
- BEAC (2007) Monnaie, crédit, système bancaire et financier, réserves extérieurs, Rapport annuel, Titre II, 113-177.
- COBAC (2006) Rapport annuel, 117 p.
- DATTA S., MAY I.D., RAMAN K. (2005) Managerial Stock Ownership and the Maturity Structure of Corporate Debt, Journal of Finance, LX, 5, 2333-2350.
- DIAMOND D.W. (1991) Debt Maturity Structure and Liquidity Risk, Quarterly Journal of Economics, 709-737.
- DINAMONA L. (1996) Surliquidité bancaire et faiblesse des concours à l’économie : pourquoi un tel paradoxe ?, Bulletins de la COBAC, n°1, 51-65.
- FLANNERY M.J. (1986) Asymmetric Information and Risky Debt Maturity Choice,Journal of Finance, XLL, n°1, 19-37.
- GOSWAMI G. (2000) Asset Maturity, Debt Covenants, and Debt Maturity Choice,Financial Review, 35, 51-68.
- GUIGOU J.-D., VILANOVA L. (1999) Les vertus du financement bancaire : fondements et limites, Finance Contrôle Stratégie, Vol.2, n°2, juin, 97-133.
- HOUSTON J., JAMES C. (1996) Bank Information Monopolies and the Mix of Private and Public Debt Claims, The Journal of Finance, 51, n°5, 1863-1889.
- MINEFI (2007) Etude sur les coûts dans l’économie camerounaise, Décembre, 42 pages.
- MODIGLIANI F., MILLER M.H. (1958) The Cost of Capital, Corporation Finance and the Theory of Investment, American Economic Review, 48, 261-297.
- MODIGLIANI F., MILLER M.H. (1963) Corporate Income Taxes and Cost of Capital : A Correction, American Economics Review, 53, 433-443.
- MORRIS J.R. (1976) On Corporate Debt Maturity Strategies, Journal of Finance, XXXI, n°1, 29-37.
- MOUHOUD E.M., PLIHON D. (2007) Finance et économie de la connaissance : des relations équivoques, Innovations, n°25, 9-43.
- MYERS S.C. (1977) Determinants of Corporate Borrowing, Journal of Financial Economics, 5, 147-175.
- NGUYEN V.-D. (2002) Actifs immatériels et évaluation des nouvelles entreprises d’innovations technologiques : le cas du secteur de biotechnologie, Banques & Marchés, n°61, 51-60.
- O’BRIEN J. (2003) The Capital Structure Implications of Pursuing a Strategy of Innovation, Strategic Management Journal, 24, 415-431.
- OZKAN A. (2000) An Empirical Analysis of Corporate Debt Maturity Structure,European Financial Management, 6, n°2, 197-212.
- PARTHIBAN D., O’BRIEN J.P., TORU Y. (2008) The Implications of Debt Heterogeneity for R&D Investment and Firm Performance, Academy of Management Journal, 51, n°1, 165-181.
- PETERSEN M.A., RAJAN R.G. (1997) Trade Credit : Theories and Evidence, Review of Financial Studies, 10, 661-691.
- TIOUMAGNENG T.A. (2009) L’orientation relationnelle des entreprisses dans la relation banque/entreprise. Évaluation à partir de la politique de financement des actifs intangibles. Thèse de Doctorat en Sciences de Gestion, Université Montesquieu-Bordeaux IV, 365 p.
- TIOUMAGNENG T.A. (2004) Asymétrie de l’information financière sur le marché du crédit bancaire et compétitivité des entreprises : une analyse à partir d’un échantillon de 34 PME camerounaises, Mémoire de DEA en Sciences de Gestion, Université de Yaoundé II, 133 p.
- WAMBA H. (2001) La gestion bancaire en Afrique centrale à l’heure des grandes mutations, Gestion 2000, Vol.18, n°6, 123-140.
- WANDA R. (2007) Risques, comportements bancaires et déterminants de la surliquidité, Revue des Sciences de Gestion, n°228, 93-102.
- WANDA R. (2003) Structure financière et performance des entreprises dans un contexte sans marché financier : le cas du Cameroun, www.cybel.fr.
Mots-clés éditeurs : performance, entreprise, comportement transactionnel, crédits bancaires de long terme
Date de mise en ligne : 18/04/2011
https://doi.org/10.3917/med.153.0071Notes
-
[1]
Groupe Banque, équipe "Entreprises Familiales et Financières", Institut de Recherche en Gestion des Organisations (IRGO), Université Montesquieu Bordeaux IV et Université Yaoundé II (Cameroun). Des remerciements sont adressés aux Professeurs Robert Wanda et Roger Tsafack Nanfosso, de l’Université Yaoundé II, et aux rapporteurs anonymes pour leurs remarques qui ont permis d’améliorer cet article. tioumagneng@yahoo.fr
-
[2]
Sur ce point, lire, notamment, les analyses de A. Brender Option Finance n° 967, 2008, 18.
-
[3]
La Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) compte six pays : Cameroun, Congo, République Centrafricaine, Guinée équatoriale, Gabon, Tchad.
-
[4]
Le terme "comportement transactionnel" n’apparaît pas explicitement dans les travaux locaux portant sur la relation financière qu’entretiennent les banques avec les entreprises. Seules certaines des caractéristiques (taux d’intérêt élevés, forte valorisation des données quantitatives dans l’évaluation des emprunteurs etc.) de ce comportement y sont évoquées.
-
[5]
Les travaux dont les résultats sont favorables à l’idée que les entreprises évitent les crédits bancaires fondent implicitement leur raisonnement sur l’hypothèse d’"endogénéité" de la structure financière de ces entreprises (Alonzo, Lopez et Sanz, 2005), qui s’oppose à celle dite d’"éxogénéité" à laquelle se rattache la thèse de rationnement sus-évoquée. Suivant cette deuxième hypothèse, ce sont seulement les facteurs exogènes ou environnementaux, dont le comportement opportuniste des créanciers, qui déterminent la structure financière des entreprises. Elle repose sur la passivité des entreprises ou de leur des dirigeants vis-à-vis des créanciers, dont les banques, dans la conception de leur propre politique financière.
-
[6]
Les actionnaires (dirigeants) préfèrent sacrifier les investissements de long terme lorsqu’ils pressentent qu’à terme la plus grande partie de leur rentabilité bénéficiera au créancier ou à l’obligataire.
-
[7]
Myers (1977) considère que les opportunités de croissance de l’entreprise sont des options d’achat dont la valeur dépend de la probabilité de leur exercice de façon optimale, c'est-à-dire de la situation financière de l’entreprise.
-
[8]
Ici, le risque de liquidité se réfère au risque d’un emprunteur d’être contraint à la liquidation inefficace en raison du refus du créancier à lui renouveler le crédit (Diamond, 1991).
-
[9]
Il faut reconnaitre, toutefois, comme a souligné l’un des rapporteurs, la possibilité que les filiales se financent par des obligations émises hors du Cameroun par leurs maisons mères.
-
[10]
Le raisonnement privilégie la thèse suivant laquelle l’hypothèse "d’endogénéité" de la structure financière des entreprises telle que définie à l’introduction et suivant laquelle les dirigeants sont plutôt actifs dans la définition et conception de la politique financière de leur entreprise.
-
[11]
Les tableaux des résultats des tests d’Hausman, de Sargan et de Nakamura et Nakamura réalisés tant sur le modèle (1) que sur le modèle (2) ne sont pas présentés ici. L’auteur, dont l’adresse électronique est précisée dans la note de bas de page 1, est disposé à les fournir, à la demande, au lecteur intéressé.
-
[12]
Une relation négative, par exemple entre les dettes de long terme et l’investissement, peut être due à l’ajustement par l’entreprise de la maturité de ses dettes, compte tenu des opportunités d’investissement qu’elle anticipe (Aivazian, Ying et Quiu, 2005, 107).
-
[13]
L’information servant à opérationnaliser cette variable résulte de l’administration des questionnaires. Les données de cet article sont celles à la base de la conception de la thèse de Doctorat de l’auteur (Tioumagneng, 2009).
-
[14]
Suivant le modèle de Datta, Mai et Raman (2005), la participation des dirigeants au capital des entreprises à fortes opportunités de croissance a pour effet d’aligner leur comportement sur celui des actionnaires et de les inciter à choisir particulièrement les dettes de court terme.
-
[15]
En privilégiant la thèse alternative d’exogénèité ou de rationnement, qui domine la littérature sur la problématique du financement bancaire des entreprises au Cameroun, la relation négative entre X1 et Y1 peut s’expliquer comme traduisant le fait que les entreprises investissant en AI sont victimes d’un rationnement de crédit de long terme par les banques. Ce rationnement se conçoit d’autant plus qu’il est déjà très difficile pour les entreprises camerounaises d’obtenir le financement bancaire dont les crédits de long terme pour les investissements tangibles, et donc moins risqués. Je remercie les deux rapporteurs anonymes de l’article d’avoir attiré l’attention sur ce point.
-
[16]
En termes de coûts de transaction, on peut considérer que le fait d’éviter les dettes de court terme permet à l’entreprise de bénéficier des économies sur les taux d’intérêt exorbitants qu’appliquent les banques sur certains types de crédits, comme le crédit "revolving", au fur et à mesure de leur remboursement. Par ailleurs, les dettes de court terme ayant un fort pouvoir de contrôle ou de contrainte, leur évitement peut permettre aux dirigeants de faire l’économie des distorsions qu’opéreraient les créanciers dans la gestion de certains types d’AI comme la Recherche et Développement (R&D). On peut aussi considérer que cet évitement permettrait de faire l’économie des coûts de faillite, étant donné que les AI sont des investissements à délai de rentabilité long, alors que le délai de remboursement des dettes considérées est plus court.
-
[17]
Un des inconvénients des dettes fournisseurs est qu’elles conduisent l’entreprise à ne pas jouir des réductions qu’autorise le paiement au comptant. En outre, les taux d’intérêt (implicites, puisqu’étant liés au fait de ne pas bénéficier des réductions évoquées) qu’appliquent généralement les fournisseurs pour ce type de financement sont dans certains cas supérieurs à ceux en vigueur sur le marché du crédit bancaire (coûts d’opportunité).