Tapis neigeux, tapis volant. Un brusque revêtement de blanc, au seuil de l’hiver, sur un jardin, une cour, un parc, nous fait remonter le temps en vol plané, dans un dépaysement éclair qui tient des Mille et Une Nuits. C’est cadeau que l’émerveillement causé, au réveil, le ciel lavé des brouillasses de la veille, par le brasillement bleuté, les paillettes de mica qui font cligner des yeux sous le soleil, le crissement des pas dans la poudreuse. Probable que ce premier matin du monde doive beaucoup aux dorures gravées de Christmas et aux cartes postales stéréotypées des vacances au ski, mais les faux souvenirs sont aussi des souvenirs. Retrouvailles imaginaires ou non, cette neige naïve et rieuse épure l’air qu’on respire et nous refait enfant. Essoré de ses miasmes et microbes, le monde se met à briller comme un sou neuf. Alléluia ! En avant ! Liquidation des stocks ! Exaltation montagnarde et calviniste – l’arrière-plan théologique des grands froids – offerte à huit heures du matin, sans frais de port, aux indigènes des villes et des campagnes. Cette météo, c’est l’impromptu des possibles.
Le manteau blanc a aussi son noir envers. C’est la découverte d’une sourde indifférence qui plombe tous les envols. Celle qui nous saisit, en train ou en voiture, devant la morne plaine au blanc cassé, revêche, blafarde. Ce n’est plus ici un espace de jeu, de fête et d’insouciance, pas même de désolation, mais de renoncement. L’immuable d’une planète aux horloges vaines où remonte un temps d’avant l’histoire, comme un secret désenfoui, comme un à quoi bon ou un pied de nez à nos prurits interventionnistes…