Il faut attendre plus de vingt ans après la naissance du cinéma pour que soit comblé le no man’s land entre la fiction, héritée des spectacles de magie, et les actualités, enfantées par les frères Lumière. Le documentaire s’installe alors dans cet entre-deux, inconfortable mais privilégié, qui sépare l’imaginaire de la réalité. Plus encore, le documentaire fait frontière par sa double mission, restituer la vie et faire œuvre, fleurtant d’un côté avec l’empreinte de la réalité, de l’autre avec un langage cinématographique, donc du symbolique. Paradoxe que soulignera Pierre Miquel à propos du documentaire historique : « Quand vous faites de l’histoire, vous cherchez la vérité. Quand vous faites du spectacle, vous cherchez à plaire. Vous ne pouvez pas chercher à plaire en cherchant à être vrai ! » Pourtant si, le documentaire cherche à relever ce défi ! On évacuera toute tentative de définition du genre documentaire qui se veuille définitive. S’il puise sa légitimité étymologique dans le mot « document », il ne se définit certainement pas par sa conformité au réel, mais plutôt par une forme de justesse du projet de transposition de la réalité. D’ailleurs, en anglais, il est défini en creux : non fiction cinema. Pas plus de vérités en documentaire qu’en fiction, car l’image traduit autant qu’elle trahit. Nombre de fictions ont l’ambition de faire vrai (le cinéma de Cassavetes, Rosselini, Kiarostami, etc.), et, inversement, les documentaires empruntent à la fiction des formes de narration…