Nous conférons la valeur d’art à des objets autonomes soigneusement épinglés dans les non-lieux de la collection, de la galerie ou du musée, où nous leur demandons de rayonner isolément pour notre regard. Autoréférents, ces artefacts portent en eux-mêmes leur propre fin ; ils se recueillent dans leurs belles formes, et le musée, archi-cadre de ces œuvres autonomes ou qui le sont devenues par migration, se referme et se fonde lui-même sur le cercle des connaisseurs.
Mais si toute forme ferme, l’œuvre ouvre – et se propage. Dans quelle mesure cette autoréférence, passagère et historiquement datée, peut-elle faire abstraction des anciens paramètres du contexte, des usages ou des lieux de l’art ? Jusqu’à quel point une œuvre se laisse-t-elle détacher d’un territoire et de l’écosystème d’un site ?
Sous le bariolage infini de la terre, la géométrisation de l’étendue achevée par le rationalisme classique révéla un espace infini et sans qualités. Ce monde plat du calcul devient « inframince » au stade de la décomposition atomique ou de l’analyse numérique ; la technoscience, comme le capitalisme, ne veut connaître que l’espace isotope postulé par Euclide, partout semblable à lui-même. La physique d’Aristote était bien différente ; anthropomorphe, elle professait que tout corps a son lieu, et désire le rejoindre.
Le vertige né de l’ouverture appelée mondialisation, l’essor des industries culturelles autant que celui de la « reproduction technique » aiguisent cette nostalgie aristotélicienne, et remettent aujourd’hui à la mode quelques mots porteurs d’autres soucis : territoire, événement, lieux et milieux…