Notes
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Couple rendement/risque : l’investisseur veut maximiser l’utilité espérée de sa richesse finale, c’est-à-dire soit le rendement maximal pour un risque donné, soit le risque minimal pour une rentabilité donnée.
Introduction
1La communauté scientifique s’intéresse aux investisseurs particuliers essentiellement pour étudier leur biais de comportement, lors de la prise de décision liée à leurs investissements financiers, ainsi que la sous-performance (comparativement aux investisseurs institutionnels) qui en découle. L’ensemble des recherches consultées font référence aux investisseurs individuels et ne proposent pas (ou très rarement) de distinction au sein de ces derniers.
2Une première approche du terrain, via la réalisation d’entretiens, nous a permis de nous pencher sur une facette relativement méconnue de l’investisseur particulier : son vécu. Qu’est-ce qui l’a amené à investir en bourse ? Comment se perçoit-il et en quoi est-ce différent de la manière dont il pense être perçu par son entourage ? Quelle vision a-t-il du monde de la bourse ? Quel est son rapport aux intermédiaires financiers ? Comment s’opèrent ses choix d’investissements et la gestion de son portefeuille ? La rencontre avec ces épargnants, outre la richesse de la compréhension du phénomène vécu, nous a permis de soulever une question importante : peut-on parler de l’investisseur individuel avec un grand « I » ?
3Au fil des entretiens, des comportements, des réactions différentes nous laissaient croire que l’on pourrait considérer plusieurs types d’investisseurs. Notre question de recherche s’est alors précisée : existe-t-il des profils d’investisseurs individuels ? Cette question de recherche est issue du terrain, des résultats émergés de la première phase de recherche. Très peu d’articles scientifiques s’aventurent sur cette voie. Les distinctions faites parmi les individus sont essentiellement fondées sur leur fonction d’utilité ou sur le genre. À notre connaissance, aucune typologie des épargnants n’a été proposée à ce jour.
4L’étude présentée dans cet article poursuit l’objectif principal d’établir des profils d’investisseurs, et d’apporter sa pierre à l’édifice de la connaissance en abordant un thème presque absent de la littérature scientifique. Comme signalé, elle fait suite à une première étape de recherche qualitative, menée auprès de 17 ménages (en Belgique francophone entre juin et décembre 2015) et repose sur une enquête par questionnaire (administrée entre octobre 2016 et janvier 2017 en Belgique francophone et néerlandophone), complétée par 706 répondants.
1 – Contributions scientifiques
5Dans la littérature scientifique, nous pouvons relever deux champs de recherches qui s’intéressent aux investisseurs individuels : les études de leur sous-performance (comparativement aux investisseurs institutionnels) et la finance comportementale qui étudie leurs biais de comportement.
6La sous-performance des investisseurs particuliers est notamment illustrée par Barber et al. (2008) qui démontrent des performances annuelles de 3,8 points de pourcentage inférieures à la moyenne observée ; tandis que les investisseurs institutionnels profitent d’une performance annuelle de 1,5 point de pourcentage supérieure. Les résultats moyens inférieurs enregistrés par les épargnants s’expliquent en grande partie par leur biais de comportement, que nous présentons brièvement ci-après.
1.1 – Comportement non-conforme à la théorie classique
7Tout d’abord, les individus ont tendance à vendre trop tôt les investissements rentables et à garder trop longtemps les investissements en perte (Shefrin & Statman, 1985). Aussi appelé Disposition Effect (Odean, 1999 ; Kumar & Goyal, 2014), cette tendance est expliquée en partie par le fait que la satisfaction liée aux gains soit moins importante que la frustration liée aux pertes.
8Le biais d’auto-attribution (Mangot, 2008) est la tendance qu’ont les individus à attribuer la réussite à leur crédit et l’échec à des facteurs indépendants. Selon qu’une décision donne lieu à des rendements positifs ou négatifs, elle est attribuée à nos propres capacités ou à la malchance (Peteros & Maleyeff, 2013). Cette illusion du contrôle peut expliquer en partie l’excès de confiance en ses propres capacités d’analyse et la sous-estimation du facteur chance, le tout menant à trop de transactions (Barber & Odean, 2000).
9En outre, devant la quantité astronomique de titres disponibles, les individus éprouvent d’énormes difficultés à constituer leur portefeuille. Ils décident alors de se tourner vers les titres dont parlent les médias. Or, les titres dont les médias parlent le plus sont ceux dont le cours a subi une forte hausse ou une forte baisse (Odean, 1999).
10Le biais Momentum (Jegadeesh & Titman, 1993 ; Olsen, 2008) est la tendance des agents à croire que ce qui s’est passé est susceptible de se reproduire avec une probabilité plus élevée qu’en réalité (ex : la crainte de crash).
11Les épargnants ont une préférence pour la proximité ou la familiarité en termes de choix d’investissement. Ce biais de proximité, aussi appelé Home bias, implique par exemple qu’ils vont préférer investir dans une société proche de chez eux et négliger les aspects de diversification internationale. À cet égard, l’étude de Keloharju et al. (2012) démontre que les ménages sont moins enclins à vendre des titres d’entreprises dont ils sont également clients.
12Outre ces biais de comportement, dans la gestion de leur portefeuille, d’autres non-conformes à la théorie classique du portefeuille sont observés. Pour rappel, cette théorie (voir l’article fondateur de Markowitz, 1952), introduit deux principes essentiels : l’efficience du portefeuille est conditionnée par sa diversification ; le portefeuille d’actifs risqués est préféré à l’actif sans risque, dès lors que ce portefeuille risqué présente une rentabilité supérieure [1].
13Dans la réalité, bon nombre de ménages sont absents des marchés financiers. C’est ce que Campbell (2006) qualifie de Non-Participation Puzzle (NPP). À ce titre, Séjourné (2006) relève une absence de détention de titres en direct, dans le chef des épargnants français, ainsi qu’une diversification déficiente combinée avec un biais domestique. Les mêmes constatations sont faites dans bon nombres de pays européens (Guiso et al., 2002).
14Séjourné (2006) tente de comprendre pourquoi les ménages sont nombreux à se détourner des marchés financiers. Il met tout d’abord en avant une forte aversion au risque et introduit la notion de risque acceptable, au-delà duquel l’investisseur ne désire pas investir dans le portefeuille d’actifs risqués. Il identifie le manque d’informations mais aussi les coûts de participation qui freinent les ménages. Les coûts de participation englobent les coûts de transaction (ex : frais prélevés lors des opérations d’achats/vente) et les coûts non financiers tels que l’énergie et le temps consacrés à la recherche d’informations, l’apprentissage et la gestion du portefeuille. Il introduit la contrainte de liquidité selon laquelle « un agent confronté à une forte incertitude, concernant ses revenus du travail futurs, n’est pas incité à placer son patrimoine dans des actifs risqués et privilégiera l’actif sécurisé » (Séjourné, 2006 : 25). Il introduit également la notion d’aversion des individus pour l’ambiguïté et l’incertitude. Enfin, il mobilise la théorie des perspectives de Kakneman & Tversky (1979) qui illustre notamment l’aversion aux pertes des individus et la manière asymétrique avec laquelle ils évaluent les gains et les pertes (des fonctions d’utilités différentes pour les pertes et pour les gains).
1.2 – Hétérogénéité des investisseurs
15La littérature scientifique, avec pour illustration les recherches présentées ci-dessus, parle généralement de l’investisseur avec un grand « I ». Toutefois, une certaine hétérogénéité parmi les investisseurs est soulignée, notamment dans la relation au risque. La théorie de l’utilité espérée (EU) expose le fait que des individus différents, auxquels on soumet les mêmes options, opèrent des choix différents vu leur aversion au risque différente. Les fonctions d’utilité caractérisent cette relation au risque : convexe pour l’individu qui a le goût du risque et concave pour celui averse au risque. On distingue généralement 3 sous-classes : CARA (constant absolute risk aversion), DARA (decreasing absolute risk aversion) et IARA (increasing absolute risk aversion). De Palma et al. (2009) identifient l’effet du statut matrimonial sur l’aversion au risque : les plus averses au risque sont les couples mariés sans contrat de mariage, viennent ensuite les couples mariés avec contrat de mariage et finalement les célibataires.
16Ils relèvent également l’impact du montant investi : « lorsque le montant investi croît, le répondant perçoit un risque plus élevé, ce qui le rend plus averse au risque… » (De Palma et al. ; 2009 : 20).
17L’analyse d’une base de données de 35 000 ménages (entre 1991 et 1997) permet à Barber & Odean (2001) de découvrir que les hommes, parce qu’ils souffrent davantage d’excès de confiance, passent 45 % de transactions en plus que les femmes et voient ainsi leur rentabilité nette diminuée de 2,65 % (contre 1,72 % pour les femmes). Les résultats de De Palma et al. (2009 : 20) vont dans le même sens : « l’aversion relative au risque moyenne est de 11,4 pour les femmes contre 8,4 pour les hommes ».
18L’hétérogénéité des investisseurs est reconnue sous certains aspects (le genre, la fonction d’utilité), toutefois aucune typologie n’est proposée.
1.3 – Originalité de la présente recherche
19Notre recherche est originale à plusieurs égards. Tout d’abord, elle s’intéresse aux investisseurs individuels belges, jamais étudiés jusqu’alors. Ensuite, elle mobilise une approche quantitative faisant suite à une approche qualitative, jamais réalisée dans cette thématique. Enfin, elle utilise des données primaires, obtenues via une enquête propre, contrairement aux autres recherches qui mobilisent des données secondaires. En effet, Kumar & Goyal (2014) ont réalisé une revue systématique de la littérature disponible en octobre 2013 sur les biais de comportement lors des investissements financiers. Parmi les 117 articles scientifiques qu’ils analysent, aucun ne porte sur la Belgique, aucun n’utilise une approche conjointe qualitative et quantitative et plus de 82 % des articles exploitent des données secondaires. Les auteurs tirent d’ailleurs comme conclusion : “attention should be given to primary data-based empirical research to analyze the behavior of investors during investment decision-making” (Kumar & Goyal, 2014 : 102). La présente recherche se propose d’étudier un territoire inexploré et s’aventure dans l’établissement de profils d’investisseurs, tandis que la littérature existante fait très peu de distinction parmi ceux-ci.
2 – Méthodologies
20Dans cette section, nous allons tout d’abord présenter la genèse de cette recherche, ou comment une recherche qualitative préalable a enrichi la présente étude. Ensuite, nous évoquerons le questionnaire utilisé pour notre enquête, ainsi que son mode d’administration et de traitement. Enfin, nous discuterons de notre échantillon et du défi de la représentativité.
2.1 – Apports de la 1re phase de recherche mobilisant une approche qualitative
21Une première phase, menée entre juin et décembre 2015, a consisté en la réalisation d’entretiens de recherche qualitative (au sens de Gavard-Perret et al., 2008 ; Savoie-Zajc, 2009) auprès de 17 ménages en Belgique francophone. L’objectif était de mieux comprendre le vécu des investisseurs individuels et, de manière plus précise, comment ils vivent leur investissement en bourse, le regard des autres, la relation à l’intermédiaire financier et ce qui les a amenés à investir en bourse. Cette première approche du terrain nous a apporté deux éléments essentiels à la poursuite de notre recherche vers la phase quantitative par questionnaire.
22Tout d’abord, elle nous a permis de mieux comprendre le phénomène à l’étude et de cerner les différentes facettes liées à l’activité d’investissement des particuliers. Nous avons découvert que cette activité avait diverses origines : un environnement propice (les contacts, les réseaux…), une profession en lien avec la finance, une tradition familiale ou un élément déclencheur fort (le besoin de s’occuper à la retraite ou de faire fructifier une importante somme d’argent à la suite d’un héritage par exemple). Nous avons abordé leur perception de la bourse et discuté de leur façon d’investir (seul ou via intermédiaires, la recherche d’informations, le temps consacré au suivi du portefeuille, la sélection des titres, les opérations d’achat/vente…).
23Ensuite, elle nous a permis de construire un questionnaire issu, en grande partie, des propos tenus par les investisseurs rencontrés. Le fait que le questionnaire soit composé d’affirmations issues des verbatim des entretiens présente l’énorme avantage de proposer au répondant un questionnaire avec des éléments dans lesquels il se retrouve, se reconnaît (ou pas) car ils sont issus de ses pairs, issus du réel. Par exemple, les raisons invoquées par les interviewés pour expliquer leur mode d’investissement (seul ou via intermédiaires) ont clairement servis à formuler les propositions aux questions « je passe par un intermédiaire parce que… j’investis seul parce que… ». Ou encore, une proposition telle que : « quand le cours chute, je ne vends pas, car ça serait quitter le navire », laquelle, bien que faisant écho au biais de disposition, ne se retrouve pas formulée de cette manière dans la littérature scientifique. D’autres éléments, absents du discours des répondants mais issus de la littérature, ont été insérés dans le questionnaire, comme par exemple : « j’investis seul car je préfère garder le contrôle de mes avoirs », faisant référence à l’illusion du contrôle.
2.2 – Déroulement de la phase quantitative via une enquête à grande échelle
24Notre questionnaire comporte 40 questions structurées en plusieurs volets :
- La bourse et moi : l’origine des investissements en bourse (depuis quand ? quelles motivations) et la manière (seul, via intermédiaires, pour quelles raisons…).
- Mes investissements et moi : choix d’investissement en termes de secteur, produits financiers, produits de l’entreprise, valeurs, développement durable…
- Le risque et moi : vision du risque et appréhension du risque à travers le type d’ordre, le montant moyen des ordres, la fréquence des ordres…
- L’entreprise et moi : la relation à l’entreprise (visite, assemblée générale…).
- Les informations et moi : les informations recherchées et les sources d’informations de prédilection.
- Les caractéristiques du répondant : genre, tranche d’âge, niveau d’étude, activité professionnelle, régions de Belgique, profil d’utilisation d’Internet (de basique à intensif).
25Différents types de questions composent le questionnaire : des affirmations pour lesquelles il faut se positionner de « pas du tout d’accord » à « tout à fait d’accord » (échelle à 5 niveaux) ; des éléments pour lesquels il faut situer son intérêt, de « ça ne m’intéresse pas du tout » à « ça m’intéresse beaucoup », voire « c’est primordial » (échelle à 4 niveaux) ; des questions à choix multiples avec un seul choix possible ; des questions à choix multiples avec plusieurs choix possibles et des questions ouvertes.
26Le questionnaire, édité via l’interface de LimeSurvey, a été administré entre octobre 2016 et janvier 2017 en Belgique (francophone et néerlandophone). 706 questionnaires ont pu être récoltés.
2.3 – Echantillon
27Notre échantillon de 706 répondants est composé à 91,4 % d’hommes. Les trois régions de la Belgique sont représentées : 13 % Bruxelles, 28 % Wallonie et 59 % Flandre. Plus de la moitié des répondants sont retraités (56 %, contre 40 % qui travaillent et 4 % au chômage) et ont majoritairement plus de 50 ans (3 % de 20-35 ans, 4 % de 36-45 ans, 15 % de 46-55 ans, 31 % de 56-65 ans et 47 % de plus de 65 ans). Ils ont une expérience en bourse relativement longue (depuis plus de 20 ans, 58 % contre 25 % entre 10 et 20 ans ; 12 % entre 3 et 10 ans). Ils sont généralement détenteurs d’un diplôme universitaire (Bac+5, 26 %) ou d’un diplôme supérieur hors universitaire (Bac+3 et Bac+4, 40 %, contre 27 % diplôme du secondaire et 8 % diplôme du primaire).
28L’échantillon récolté est le fruit d’une diffusion large du questionnaire via diverses pistes : des clubs d’investisseurs ; les réseaux des participants à la phase qualitative ; une conférence (organisée par les auteures de cet article) dédiée aux investisseurs individuels (Mons, 19 Octobre 2016) ; la liste de contacts de l’Echo/De Tijd (journaux financiers belges) ; la tenue d’un stand lors de l’événement Finance Avenue dédié aux investisseurs individuels (Bruxelles, 19 novembre 2016). Notons toutefois que ces divers canaux induisent d’atteindre davantage d’investisseurs actifs que ceux qui délèguent la gestion de leur portefeuille. En effet, plus de 60 % des répondants affirment gérer leurs investissements seuls (voir 4.2).
29Un échantillonnage statistique n’était pas possible, étant donné la méconnaissance des caractéristiques de la population de référence. Nous pouvons cependant calibrer notre échantillon, comparativement aux données disponibles sur le ménage belge moyen, grâce à la Household Finance and Consumption Survey, réalisée par HFCSNetwork dans les pays de la zone euro (Du Caju, 2016). Cette étude nous apprend que le patrimoine des ménages belges se compose d’actifs réels, dont la part la plus importante est leur bien immobilier principal (19,3 % du patrimoine), et d’actifs financiers, dont la part la plus importante est constituée de comptes à vue (97 % des ménages en possède un) et de comptes épargnes (76,6 %).
30Nos répondants, à l’instar du ménage belge moyen, possèdent un ou des biens immobiliers qui constituent la part la plus importante de leur patrimoine (39 %). Toutefois, le poids de ces biens immobiliers, dans le patrimoine général, est beaucoup plus élevé pour nos répondants que pour le ménage belge moyen (39 % contre 19 %). Ensuite, soulignons le poids du portefeuille de titres au sein du patrimoine de nos répondants (35,63 % en moyenne).
Patrimoine de nos 706 répondants
Patrimoine de nos 706 répondants
31Par ailleurs, en termes de taux de détention, dans notre échantillon, presque 50 % des répondants affirment détenir essentiellement des actions (27,6 %) ou une majorité d’actions (21,5 %) dans leur portefeuille. Or, en 2014, dans la Household Finance and Consumption Survey, « seuls 11 % des ménages détiennent des actions d’entreprises cotées pour une valeur médiane n’excédant pas 9 500 € par ménage… moins de 8 % des ménages détiennent des obligations ou des bons de caisse, pour une valeur médiane de 12 100 € …les fonds communs de placement sont entre les mains de 21 % des ménages belges, valeur médiane 28 200 €… » (Du Caju, 2016 : 33). La faible participation des ménages aux marchés des actions fait référence à ce que les anglo-saxons appellent le Non-Participation Puzzle (NPP), mis en évidence notamment par Campbell (2006).
32Nos répondants se situent donc dans la petite partie des ménages belges qui détiennent des actions. Selon Guiso et al. (2003), la détention d’actions est influencée positivement par le revenu et les richesses. Dans le même ordre d’idée, la Household Finance and Consumption Survey, distingue les tranches de la population, en termes de revenus et de patrimoine. Cela s’opère en part de quantiles dans le total. Il s’avère que les ménages ayant les revenus les plus élevés sont aussi ceux qui ont un patrimoine important, et que « les revenus du capital se retrouvent principalement chez les ménages les plus nantis en patrimoine » (Du Caju, 2016 : 41). Nos répondants semblent correspondre à cette description et se situeraient donc parmi les ménages les plus nantis : « le patrimoine de la classe moyenne en Belgique se compose essentiellement du logement propre des ménages, auquel s’ajoutent principalement des dépôts… Les ménages plus aisés possèdent un logement d’une valeur plus élevée en moyenne que celui des ménages de la classe moyenne, mais ce logement représente, en termes moyens, moins de la moitié de leur patrimoine total. En effet, leur fortune englobe d’autres biens immobiliers, des sociétés propres (comme les activités indépendantes) et des actifs financiers autres que des dépôts (par exemple des actions, des obligations et des fonds de placement) que l’on ne retrouve presque exclusivement que chez ces ménages… » (Du Caju, 2016 : 45).
33Bien qu’un échantillonnage statistique n’ait pu être réalisé, faute d’informations précises quant à la population de référence, comparer nos répondants aux ménages belges moyens de la Household Finance and Consumption Survey, réalisée en 2014, permet de calibrer notre échantillon et de situer nos répondants, parmi le quantile des ménages les plus nantis.
34Enfin, nos répondants possèdent un niveau assez élevé d’éducation, vu que 66 % d’entre eux ont réalisé des études après leur bac (26 % détient un diplôme universitaire et 40 % un diplôme supérieur non universitaire). Guiso et al. (2003) démontrent que l’éducation a un impact positif fort sur la probabilité d’investir en bourse. Non seulement les ménages plus éduqués ont plus de chance d’entendre parler de la bourse, mais ils ont aussi plus de facilité à apprendre comment investir sur les marchés financiers et comment mesurer précisément les coûts et bénéfices qui en découlent.
35Nos répondants belges semblent proches du profil-type du détenteur français d’actions, proposé par Séjourné (2006). En effet, il s’agit d’un individu actif professionnellement, d’âge mûr, avec un niveau d’éducation élevé et appartenant aux quantiles supérieurs en termes de richesse.
36Il serait prudent de signaler que nos résultats seraient davantage représentatifs des ménages les plus nantis et éduqués, que du ménage belge moyen.
2.4 – Méthodes
37Les données ont été analysées à l’aide du logiciel IBM SPSS Statistics 25. Une analyse factorielle, en composantes principales, a permis de mettre en évidence les dimensions principales du phénomène. Ensuite, la méthode des nuées dynamiques, basée sur ces dimensions, a permis de faire émerger des profils d’investisseurs, proposés dans la section « résultats ».
3 – Résultats
3.1 – Origine des investissements en bourse
38Parmi les éléments qui ont amenés nos répondants à s’intéresser à la bourse, les plus cités sont :
- Je voulais m’intéresser à l’économie et au monde en général (52 %).
- Les comptes épargne ne rapportaient plus rien (30,5 %).
- J’avais une somme d’argent importante que je souhaitais faire fructifier (25,2 %).
- Les membres de ma famille investissaient (16 %).
- Je voulais soutenir les entreprises (14 %).
- C’est une tradition familiale (11,9 %).
39L’influence de la famille, émergée lors des entretiens, se confirme également dans l’enquête à grande échelle (16 % des répondants affirment investir en bourse car des membres de leur famille investissaient, et 11,9 % affirment qu’il s’agit d’une tradition familiale).
40Barnea et al. (2010) étudient les déterminants du comportement des investisseurs sur les marchés financiers. Ils observent 37 504 jumeaux afin de distinguer les variations de décisions induites par des facteurs génétiques et celles imputables à l’environnement. Ils découvrent que le facteur génétique explique plus d’un tiers de la variation ; c’est plus que tous les autres facteurs individuels combinés (tels que l’âge, le sexe, le niveau d’éducation, la richesse…). En outre, l’environnement familial a un effet significatif sur les jeunes investisseurs. Toutefois, cet effet tendrait à s’estomper avec le temps, lorsque l’investisseur acquiert sa propre expérience. Arrondel & Masson (2002) identifient une culture familiale du marché d’actions et son influence positive sur le taux de détention.
41L’influence des pairs, sur les décisions d’investissement des individus, est mise en lumière par plusieurs recherches (Madrian & Shea, 2000 ; Duflo & Saez, 2002 ; Brown et al., 2008). Cela rejoint les tendances observées lors de la phase qualitative : l’environnement professionnel et familial est un des éléments fort à l’origine des investissements en bourse.
42Ensuite, nous pouvons noter l’objectif de rentabilité comme motivation principale aux investissements en bourse. En effet, plus de 30 % des répondants affirment investir en bourse car « les comptes épargne ne rapportent plus rien ». Il y a donc vraisemblablement une recherche de rentabilité de leur part. Quant aux individus qui avancent avoir « une somme à faire fructifier » (25 % des répondants), ils mettent aussi en avant cette recherche de rentabilité.
43Ils sont nombreux à affirmer être tout à fait d’accord (24,9 %) ou d’accord (27 %) avec l’assertion « peu importe le secteur d’activité si l’entreprise me fait entrevoir des profits ». Cela corrobore tout à fait les éléments recueillis lors des entretiens.
44Au-delà de la rentabilité, certains investisseurs poursuivent des objectifs de soutien aux entreprises (14 %) et mettent en avant l’importance de l’éthique :
- Je suis sensible aux entreprises impliquées dans le développement durable (15,5 %).
- J’aime investir dans une entreprise dont le produit correspond à mes valeurs (23,6 %).
- Je choisis mes investissements en fonction de l’éthique de la société (10,1 %).
45(Pourcentage de répondants tout à fait d’accord avec l’affirmation proposée).
46Plus de la moitié des répondants affirment s’être intéressé à la bourse pour « s’intéresser au monde et à l’économie en général » (52 %). Et ils sont nombreux à affirmer être tout à fait d’accord (25,3 %) ou d’accord (27,5 %) avec l’assertion suivante :
- J’investis en bourse car ça me permet de rester informé et connecté avec le monde qui m’entoure.
3.2 – Investir seul ou via un intermédiaire financier
47Parmi les répondants, 61,5 % investissent seuls, 11,6 % investissent avec l’aide d’un intermédiaire et 21,8 % investissent seuls et via un intermédiaire.
48Les ménages interrogés font appel à des intermédiaires financiers pour diverses raisons :
- Mes compétences en gestion de portefeuille/finance sont limitées (15 %).
- Je connais et fais confiance à mon conseiller financier (13 %).
- Je manque d’informations pertinentes pour décider (9,5 %).
- Je n’ai pas le temps de m’en occuper seul (8,2 %).
- Je ne veux pas que mon conjoint doive gérer seul s’il m’arrivait quelque chose (4,1 %).
- Je préfère consacrer mon temps libre à autre chose (3,3 %).
- J’ai essayé seul par le passé et j’ai obtenu de mauvais résultats (3 %).
49Les motivations, invoquées par les répondants, pour expliquer le fait qu’ils gèrent seuls leurs investissements, font écho aux biais de comportement présentés auparavant :
- Je préfère garder le contrôle de mes avoirs (49,4 %).
50Cette affirmation fait référence au biais d’auto-attribution selon lequel un individu s’attribuerait le mérite des réussites et imputerait les échecs à des facteurs indépendants. Cette illusion du contrôle avait clairement été ressentie, lors de certains entretiens, et se confirme à travers cette enquête.
- Je trouve suffisamment d’informations pour investir seul (36,1 %).
- J’ai les compétences/connaissances pour gérer mon portefeuille seul (32,3 %).
51Ces deux affirmations illustrent l’excès de confiance des individus (Barber & Odean, 2000) qui surévaluent les informations en leur possession, ainsi que leur capacité à les analyser.
- Les intermédiaires veulent simplement vendre leur produit (28 %).
52La méfiance à l’égard des intermédiaires avait émergé lors de la phase qualitative de notre recherche. Cette vision, peu flatteuse des intermédiaires, se confirme pour 28 % des répondants investissant seuls, lesquels affirment agir de la sorte, après avoir constaté que les intermédiaires voulaient uniquement vendre leurs produits. « Les institutions financières sont prises entre l’objectif de vendre des actifs financiers les plus lucratifs, et celui d’offrir aux clients les produits qui leurs conviennent le mieux » (De Palma et al., 2009 : 2).
53Par ailleurs, 22,1 % des répondants passent plusieurs opérations d’achats/ventes par mois (1 % par jour ; 4,1 % par semaine), donnant ainsi raison à Odean (1998) : “Many investors trade too much because they are overconfident about the quality of their information”.
3.3 – Relation au risque
54Nos répondants présentent une relation au risque hétérogène. Ils sont près d’un tiers à privilégier les ordres à cours limité (29,3 %), témoignant d’une volonté de limiter les risques. Cependant, 16,3 % des répondants affirment avoir, dans leur portefeuille, des produits à fort effet de levier (type Forex, Turbo, etc.).
55La diversification est également une manière de réduire l’exposition au risque. Notre enquête ne nous permet pas de connaître la composition exacte du portefeuille de nos répondants. Toutefois, lors de la phase des entretiens, les informateurs nous ont confié « ne pas dépasser les 10 lignes, sinon c’est impossible à suivre », ce qui laisse craindre une faible diversification.
56Jain, Jain & Jain (2015) expliquent que les individus, étant incapables d’analyser l’entièreté des données à leur disposition, se basent sur un nombre limité de stratégies cognitives afin de simplifier la complexité des décisions possibles, ce qui aboutit à des décisions sous-optimales.
57Une diversification optimale doit s’opérer de manière sectorielle mais également géographique. Les coefficients de corrélations étant assez élevés entre les places européennes, il est opportun de se tourner vers d’autres zones géographiques (Asie, USA). Parmi nos répondants, ils sont seulement 46 % à détenir des titres US et 27,8 % à détenir des titres hors Europe et hors US. (Notre enquête ne nous permet pas de savoir si cette diversification internationale s’opère via des fonds ou s’il s’agit de titres détenus en vifs).
58Cette préférence pour les titres domestiques s’explique notamment par l’asymétrie d’information, les coûts de transaction, la liquidité des actifs et les barrières à l’investissement (Kumar & Goyal, 2014).
3.4 – Identification des dimensions principales du phénomène
59Une analyse factorielle, réalisée en composantes principales, a permis d’identifier 5 axes susceptibles d’expliquer le comportement des investisseurs individuels belges.
60Le premier axe F1 (12,840 %) est caractérisé par l’utilisation des sources d’information. Une corrélation positive indique que plus on se trouve à droite de cet axe, plus on utilise intensément les sources d’informations citées.
Contribution à l’axe F1 « Utilisation des sources d’information »
le site web de l’entreprise | ,488 |
le site web de la Banque Nationale Belge | ,553 |
les sites financiers | ,359 |
les sites spécialisés payants | ,584 |
le rapport annuel de l’entreprise | ,499 |
mes contacts personnels | ,574 |
le club d’investissement dont je suis membre | ,527 |
les événements dédiés aux investisseurs | ,547 |
les médias sociaux | ,633 |
les roadshows | ,705 |
Contribution à l’axe F1 « Utilisation des sources d’information »
61L’axe F2 (8,815 %) illustre les choix d’investissements. Plus on se dirige vers la droite sur cet axe, plus on est sensible aux investissements durables, à la nature des produits de l’entreprise et plus on hésite à vendre car cela correspond à « quitter le navire ». À l’opposé, on retrouve les investissements, quels qu’ils soient, du moment qu’ils génèrent du profit.
Contribution à l’axe F2 « Choix d’investissements »
Contribution à l’axe F2 « Choix d’investissements »
62L’axe F3 (7,339 %) est lié aux stratégies d’investissement. Plus on va vers la droite de cet axe, moins on n’a de stratégie prédéfinie et plus on essaye de saisir les opportunités, plus les investissements sont une question de feeling et plus on éprouve des difficultés à se séparer de ses titres. Vers la droite également, on dispose d’une part de capital sans risque pour les enfants, on détient un portefeuille peu risqué globalement et une partie pour le fun.
Contribution à l’axe F3 « Stratégies d’investissements »
je n’ai pas de stratégie prédéfinie, j’essaie de saisir les opportunités | ,626 |
pour moi, les investissements sont une question de feeling | ,514 |
une partie de mon capital est sans risque afin de préserver l’héritage de mes enfants | ,518 |
j’ai un portefeuille peu risqué globalement mais j’aime prendre des risques sur une petite partie, pour le fun | ,452 |
j’ai du mal à vendre mes titres, je me dis que cela va remonter | ,559 |
Contribution à l’axe F3 « Stratégies d’investissements »
63L’axe F4 (5,915 %) se penche sur les investissements dans l’immobilier. Un déplacement vers la droite implique une diversification de ses investissements via l’immobilier, la poursuite d’une valeur minimale de ses avoirs. À l’opposé, on retrouve ceux qui se détournent des investissements immobiliers car ils impliquent des soucis de gestion.
Contribution à l’axe F4 « Immobilier »
j’investis dans l’immobilier afin de diversifier mes avoirs | ,616 |
avec les investissements immobiliers, je m’assure une valeur minimale de mes avoirs | ,535 |
je n’aime pas les investissements immobiliers car ça implique des soucis de gestion | -,525 |
Contribution à l’axe F4 « Immobilier »
64L’axe F5 (5,160 %) est caractérisé par le manque d’intérêt pour un secteur particulier et l’utilisation des outils classiques de communication.
Contribution à l’axe F5
pour moi, il n’y a pas de secteur privilégié où je souhaite investir | ,538 |
la presse écrite | ,505 |
la presse en ligne | ,494 |
le site web de l’entreprise | ,484 |
Contribution à l’axe F5
3.5 – Les profils d’investisseurs
65Sur base de ces axes, nous avons ensuite réalisé une classification par nuées dynamiques qui nous a permis d’identifier 5 classes ou clusters (illustrés en Figure 2).
Profils d’investisseurs
Profils d’investisseurs
Profil 1 : les investisseurs dormants
66Ces investisseurs semblent ne pas vouloir se préoccuper de leurs investissements. Ils passent donc par des intermédiaires, auxquels ils délèguent la gestion de leur portefeuille. Ils n’ont que peu d’intérêt pour les sources d’informations. Ils n’ont pas de type d’investissement de prédilection, ils sont surtout intéressés par les profits. Dans la même logique, ils ne sont pas favorables aux investissements immobiliers, ils veulent éviter les soucis de gestion.
Profil 2 : les traditionnels
67Ils investissent essentiellement par le biais d’intermédiaires et sont marqués par une influence lourde des traditions familiales. Le fait qu’ils passent par des intermédiaires conduit à avoir peu d’intérêt pour les sources d’informations. Ils investissent de manière importante dans l’immobilier. Ils possèdent majoritairement des obligations et peu d’actions. On trouve dans ce cluster 100 % des 20-35 ans (« fils à papa »).
Profil 3 : les suiveurs
68On retrouve dans ce cluster des individus investissant seuls et via intermédiaires, qui n’ont pas de secteur ou d’investissement privilégiés. Leurs choix d’investissement sont orientés par la recherche du profit, peu importe la nature même de l’investissement. Ils investissement essentiellement au travers d’actions.
69Ils sont plus nombreux que les autres à s’être tournés vers la bourse, à la suite de contacts avec des collègues. Pour eux, plus que pour les autres individus, les informations relatives aux opérations d’achat/vente des investisseurs connus sont importantes.
70Ce type d’investisseurs est caractérisé par l’influence des pairs (Madrian & Shea, 2000 ; Duflo & Saez, 2002 ; Brown et al., 2008) et des médias (Keloharju et al., 2012 ; Hu et al., 2013). Leur comportement est en partie expliqué par l’étude de Barber & Odean (2008) qui déterminent que les individus sont confrontés à une quantité astronomique de titres accessibles et qu’il est très compliqué d’opérer un choix parmi ceux-ci. Lors des opérations de vente, la situation est plus simple car, généralement, les investisseurs individuels n’envisagent de vendre que les titres qu’ils possèdent (pas de vente à découvert). Les titres en portefeuille sont en nombre limité et peuvent être analysés un à un. Par contre, pour les opérations d’achats, les possibilités sont immenses. D’après ces auteurs, les investisseurs individuels sortent de cette situation compliquée en optant pour l’achat de titres qui ont récemment attiré leur attention.
Profil 4 : les joueurs
71Ils investissent seuls et via intermédiaires. On peut y retrouver une certaine tradition familiale. Ils s’intéressent au produit de l’entreprise, aux projections futures et aux opérations d’achat/vente des investisseurs connus. Ils n’aiment pas l’immobilier. Ils utilisent le site web de l’entreprise, la newsletter et les sites financiers. Ils veulent rester connectés, avec le monde économique qui les entoure, et sont un peu influencés par le développement durable et les entreprises locales. Ils n’ont pas de réelle stratégie et veulent saisir les opportunités. Ils dédient une partie de leur portefeuille à des investissements risqués, pour le « fun ». Pour eux, plus que pour les autres, investir est une question de feeling. Le comportement de ce type d’investisseur fait écho à différentes études qui démontrent que les individus aiment parier (Kumar, 2009) et se tournent vers la bourse pour l’amusement ou la recherche de sensation forte (Barber et al. (2008). “It’s possible that some investors set aside a small portion of their wealth with which they trade for entertainment, while investing the majority more prudently” (Barber & Odean, 2000). Ils admettent avoir, du mal à vendre leurs titres, souffrir ainsi de l’effet de disposition (Shefrin & Statman, 1985 ; Odean, 1999), la tendance à vendre trop tôt les investissements rentables et à garder trop longtemps les investissements en perte. Ils les gardent notamment pour obtenir des dividendes. Leurs choix d’investissement, qui peuvent sembler paradoxaux, répondent à des fonctions d’utilité différentes : une aversion pour la perte et le goût du risque (pour une petite partie de leur portefeuille).
Profil 5 : les experts
72Ils investissent principalement seuls et ce, en moyenne, depuis 10 à 20 ans. Ils ont un intérêt marqué pour l’économie Ils sont intéressés par des informations relatives au produit de l’entreprise, aux projections futures et aux opérations d’achat/vente des investisseurs connus ; informations qu’ils obtiennent au travers de multiples sources telles que la presse écrite et en ligne, le site web de la Banque Nationale Belge, les sites financiers, les sites payants, le rapport annuel, les clubs d’investisseurs et la newsletter.
73Leurs choix d’investissement sont en accord avec leurs valeurs et le développement durable. Ils privilégient par exemple les entreprises locales. Ce comportement pourrait faire écho au biais de proximité (Kumar & Goyal, 2014). Dans le chef des « experts », il s’agit davantage d’un patriotisme financier délibéré, que d’une tendance à opter pour la familiarité lors des choix d’investissement.
74En outre, ce profil présente les meilleures caractéristiques de diversification. Ils possèdent une majorité d’actions et peu d’obligations ou un équilibre entre celles-ci. Leur risque est mesuré puisqu’ils diversifient notamment dans l’immobilier pour s’assurer une valeur minimale de leur avoir et qu’ils utilisent, lors de leur opération en bourse, les ordres à cours limité. Ils ont principalement entre 36 et 55 ans, sont actifs à temps plein, de formation universitaire ou supérieure hors-universitaire, dans un domaine d’activité lié à la finance, ce qui influence leurs connaissances en gestion de portefeuille. La littérature scientifique affirme que tous les investisseurs souffrent du biais d’auto-attribution (Barber & Odean, 2000). Nos « experts » sont-ils épargnés ou leurs activités professionnelles liées au monde de la finance induisent-elles un excès de confiance en leurs propres capacités d’analyse ? Les résultats de cette étude ne nous permettent pas de trancher.
Conclusion
75La littérature scientifique s’intéresse aux investisseurs individuels essentiellement pour étudier leur biais de comportement et la sous-performance qui en découle. Les distinctions qui sont faites parmi ces individus reposent sur le genre ou le niveau d’aversion au risque. Cette recherche ambitionne d’aller plus loin et propose une typologie établie grâce à une enquête à grande échelle menée auprès de 706 ménages belges.
76Cinq profils ont pu être établis :
- Les investisseurs dormants, qui délèguent la gestion de leurs investissements à un intermédiaire financier.
- Les traditionnels, influencés par leur famille.
- Les suiveurs, sensibles aux médias et à leurs pairs.
- Les joueurs, caractérisés par l’effet de disposition et le goût du risque.
- Les experts, maîtres dans l’art de la diversification et soucieux d’investir aussi localement.
77L’originalité de cette recherche se situe à plusieurs niveaux : elle mobilise à la fois des approches méthodologiques qualitatives et quantitatives ; la phase quantitative relève d’une enquête propre et inédite ; les résultats offrent une typologie d’investisseurs dépassant la dichotomie classique reposant sur le genre ou la fonction d’utilité.
78La limite la plus importante de cette étude, à savoir son échantillonnage, découle de la difficulté à identifier les investisseurs individuels. La méthode de diffusion du questionnaire (journaux financiers, événements à destination d’investisseurs, conférence) a sans doute induit d’atteindre davantage d’épargnants actifs, que d’individus qui délèguent la gestion de leur portefeuille. La comparaison de notre échantillon, avec les données relatives au ménage belge moyen, nous a permis de situer nos répondants parmi les ménages les plus nantis et éduqués, limitant ainsi le spectre de nos résultats à cette portion de la population des investisseurs individuels belges. Afin de compléter cette recherche et de palier à ces limites, il serait bon d’étendre l’enquête à tous les quartiles des ménages belges, des plus modestes au plus nantis.
79Ensuite, la typologie proposée passe sous silence le Non-participation Puzzle, à savoir les épargnants qui ne participent pas aux marchés. Un 6e profil pourrait être dédicacé à ces investisseurs et mériterait d’être investigué davantage sous l’angle de la contrainte de liquidité (liée à l’incertitude inhérente aux revenus du travail), et à la lumière de la théorie des perspectives.
80Enfin, il serait intéressant d’approfondir l’investissement via les fonds collectifs. Est-ce que la faible diversification observée pour nombre de nos répondants est compensée par l’utilisation de fonds collectifs ?
Bibliographie
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Notes
-
[1]
Couple rendement/risque : l’investisseur veut maximiser l’utilité espérée de sa richesse finale, c’est-à-dire soit le rendement maximal pour un risque donné, soit le risque minimal pour une rentabilité donnée.