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Article de revue

Pourquoi la méthode de l’Action Learning offre-t-elle un double intérêt managérial ? Essai de réponse par une approche qualitative et opérationnelle

Pages 35 à 59

Introduction

1Un défi majeur des entreprises et des organisations, notamment françaises, pour améliorer de manière pérenne leurs performances est aujourd’hui de faire évoluer sensiblement leurs pratiques de management des hommes et de leadership. C’est tout particulièrement le cas en matière de travail et de réflexions en équipe. Dans un environnement complexe, volatil et en grande partie imprévisible, il apparaît nécessaire, pour gagner en agilité et en capacité à résoudre rapidement des problèmes complexes, d’avoir davantage recours à des pratiques d’intelligence collective. Celles-ci ont fait la preuve non seulement de leur efficacité, mais de leur supériorité par rapport aux approches traditionnelles fortement inspirées par les classiques logiques hiérarchiques (Surowiecki, 2004 ; Levi, 2005 ; Mandl et al., 2013).

2Certes, on observe depuis déjà de nombreuses années le développement de plusieurs formes et pratiques d’intelligence collective en matière managériale dans diverses entreprises et organisations qui ont pris conscience des dysfonctionnements et des effets pervers que génèrent le vieux modèle hiérarchique, pyramidal et bureaucratique encore largement dominant dans le paysage organisationnel français (Crozier, 1989 ; de Gauléjac, 2005 ; Dupuy, 2011, 2015).

3Au plan théorique, celles-ci s’inscrivent dans un nouveau courant des théories des organisations qualifié de « tournant processuel » (de Vaujany et al., 2016), mais aussi dans celui des théories de la connaissance dans les entreprises. Elles apparaissent comme un construit social et donc elles mettent au cœur des nouvelles formes d’organisation la question de l’action collective et l’importance de ses dimensions sociales (Dudezert, 2013), mais aussi celle de la diversité des acteurs (Desreumaux, 2013 ; Plane, 2013).

4Diverses pratiques d’intelligence collective sont apparues au niveau des équipes de travail depuis une dizaine d’années (Grezelle, 2007 ; Zara, 2008 ; Lenhardt et Bernard, 2009), mais avec des processus de fonctionnement et des objectifs assez différents. Parmi les principales, on peut citer : l’équipe semi-autonome ; l’équipe-projet ; l’équipe « peer to peer » ou d’échange d’expériences ; l’équipe de « co-développement » ; l’équipe apprenante ; l’équipe de réflexion stratégique coachée ; l’équipe de brainstorming ; l’équipe de design thinking ; le cercle « holacratique » ; l’équipe d’Action Learning ; etc.

5Dans le cadre limité de cet article, notre propos s’intéressera seulement à cette dernière méthode d’intelligence collaborative en équipe : l’Action Learning, encore très peu connue et encore moins pratiquée en France, du moins dans son sens originel. Elle présente, en effet, un double intérêt managérial : d’une part, elle permet d’apporter rapidement et efficacement des solutions opérationnelles à la plupart des problèmes complexes et relativement urgents auxquels sont confrontés les entreprises et organisations ; et, d’autre part, elle permet simultanément de développer les compétences de communication et de leadership des participants. De plus, sa pratique régulière et généralisée au sein d’une organisation permet de transformer progressivement sa culture managériale et d’améliorer nettement la qualité et la pertinence de ses pratiques de leadership avec un impact très positif sur ses performances, comme toutes les expériences de terrain le démontrent (Marquardt et Yeo, 2012).

6Après une brève présentation de la démarche de l’Action Learning, de ses origines, de ses caractéristiques méthodologiques et de l’état de l’art à son sujet, nous nous attacherons dans le cadre d’une démarche scientifique à comprendre les raisons de son double intérêt managérial face aux problématiques de la plupart des organisations en nous appuyant sur une démarche opérationnelle de nature qualitative. Pour cela, notre démonstration est fondée d’une part sur les résultats de mini-cas réels de son utilisation en entreprise, et d’autre part sur ceux d’expériences éducatives réalisées depuis quelques années dans le cadre de formations supérieures au management des hommes et au leadership dans une grande école de gestion. Puis, nous discuterons des résultats de cette méthode : ses avantages à court et à moyen terme, ses limites d’utilisation et ses conditions de succès, mais aussi de ses difficultés de mise en œuvre dans des contextes organisationnels traditionnels et de la façon de les surmonter. Nous conclurons en soulignant que de cette méthode permet d’améliorer l’efficience et la qualité des pratiques managériales et de leadership des organisations avec un impact positif à moyen terme sur ses performances, mais aussi qu’elle répond mieux aux attentes des jeunes générations en matière de mode de travail.

1 – Brève présentation de l’Action Learning

1.1 – Qu’est-ce que l’Action Learning ? Qu’est-ce que l’Action Learning n’est pas ?

7Il convient d’abord de souligner qu’il existe dans le contexte français une difficulté de traduction du terme « Action Learning » qui, mot à mot, signifie « l’apprenance par l’action ».

8Ce qui est suffisamment vague, voire peu compréhensible, pour expliquer que ce terme soit aujourd’hui employé à tort et à travers pour désigner diverses pratiques de formation-action qui n’ont souvent pas grand chose à voir avec la méthode originelle telle qu’elle a été inventée et conceptualisée par Revans (1980, 1982, 1983).

9On entend ainsi parler d’« Action Learning » à propos de séminaires fondés sur des exercices de plein air pour des managers, parfois encadrés par des organismes tels que l’armée ou des spécialistes de la survie en milieu difficile, d’institutions de formation mettant en avant la multiplication de stages et contrats de formation professionnelle en entreprise, ou encore de la part d’entreprises qui privilégient l’apprentissage sur le terrain ou qui ont mis en place une organisation fondée sur des équipes semi-autonomes, etc.

10Par ailleurs, il convient de ne pas confondre la méthode de réflexion collaborative de l’Action Learning avec des espaces de travail spécifiques facilitant les contacts et échanges entre les personnes tels que ceux que l’on qualifie aujourd’hui de lieux de « co-working », tant pour une même organisation que pour des locaux spécialement conçus pour accueillir diverses entreprises, notamment des start-up, avec pour objectif de faciliter les « fertilisations croisées ».

11Compte tenu des difficultés de traduction, nous conserverons donc le terme anglo-saxon d’« Action Learning » ainsi que son vrai sens originel. Il s’agit en réalité d’une méthode de résolution de problèmes réels et complexes en équipe fondée sur une logique de questionnement actif qui favorise les apprentissages individuels et collectifs (Marquardt, 2004 ; Ballé et al., 2014). Elle repose sur deux principes essentiels qui sont d’une part que les personnes apprennent plus rapidement et plus efficacement lorsqu’elles doivent agir pour résoudre des problèmes concrets réels et assez urgents, et d’autre part qu’une démarche de questionnement est une condition nécessaire et puissante pour toute forme efficace d’apprentissage.

1.2 – Origine et évolution de la méthode d’Action Learning

12La méthode de l’Action Learning a été inventée par Revans à la fin des années 1930 à l’Université de Cambridge lorsqu’il terminait ses études de physique, comme moyen pour résoudre rapidement des problèmes complexes. Il l’a utilisée et mise au point avec succès au sein d’une organisation lorsqu’en 1940 il a été nommé directeur d’une mine de charbon dans le Pays de Galles qui souffrait de problèmes sociaux et de productivité. Après la guerre, il l’a aussi appliquée avec succès dans les services de santé britanniques ainsi que dans d’autres organisations.

13Son origine empirique explique que pendant longtemps elle n’a guère retenu l’attention des sphères académiques de la pensée managériale car elle ne procédait pas d’une théorie et qu’elle soit est restée l’apanage de consultants britanniques tels que Pedler (1991, 1996), Boshyk (2000, 2010), Edmonstone (2003), Mc Gill et Beaty (2004), mais aussi américains (Yorks, O’Neil et Marsick, 1999 ; Marquardt, 1999).

14Mais c’est surtout depuis le début des années 2000 que plusieurs contributeurs, notamment aux États-Unis, ont repris, développé, perfectionné et complété le modèle initial (Marquardt 2004, 2011 ; Marquardt et al., 2009 ; Marquardt et Yeo, 2012 ; Leonard et Marquardt, 2010 ; Leonard et Freedman, 2013 ; O’Neil et Marsick, 2007, 2014).

15Ces avancées ont été stimulées par l’émergence et le développement dans les années 1990 et le début des années 2000 du concept d’organisation apprenante (Senge, 1990 ; Belet, 2002 ; Örtenblad, 2015). En effet la méthode de l’Action Learning apparaît comme une démarche particulièrement efficace pour développer des équipes apprenantes qui constituent les cellules de base des véritables organisations ou entreprises apprenantes (Marquardt, 2011), mais aussi une culture managériale d’apprenance.

16Plusieurs versions de la méthode sont apparues autour du concept de base de l’Action Learning. Mais elles ont toutes en commun deux caractéristiques essentielles :

  • des petits groupes de personnes souhaitant trouver une solution à un problème complexe et réel dans un temps limité à partir d’une démarche de questionnement et qui veulent agir concrètement pour la mettre en œuvre immédiatement, ce que traduit le terme « Action » ;
  • la volonté des participants du groupe d’apprendre et de développer leurs compétences individuelles de communication et de leadership mais aussi leurs compétences collectives en matière d’efficacité et de créativité afin d’en faire bénéficier leur organisation, ce que traduit le terme « Learning ».

17Une évolution et un perfectionnement majeur de cette méthode, dus notamment à Marquardt (2004), ont été l’introduction d’un coach spécialement formé. Cet ajout a permis de renforcer l’efficacité de la méthode en contribuant d’une part à faire respecter une nécessaire rigueur dans son déroulement très structuré, et d’autre part à assurer les apprentissages individuels et collectifs qui en résultent. Les rôles importants du coach contribuent notamment à différencier cette démarche d’intelligence collaborative d’autres méthodes d’apparence similaire, telle que, par exemple, le « co-développement » (Delaunay et Hoffner-Lesure, 2011) d’origine canadienne, avec laquelle elle est souvent en France confondue au premier abord, mais dont le processus et les finalités sont en réalité différents, comme nous le préciserons ultérieurement.

2 – Principales caractéristiques méthodologiques et modalités opérationnelles de l’Action Learning

2.1 – Les six composantes de la méthode

18Nous évoquerons ici la version de l’Action Learning qui est aujourd’hui considérée comme la plus élaborée, la plus complète et qui est la plus pratiquée au plan international (Marquardt, 2004, 2009 ; Belet et Cramier, 2014). C’est celle promue par le réseau mondial du World Institute for Action Learning (WIAL) présent aujourd’hui dans une trentaine de pays. Elle se caractérise par 6 composantes dont l’expérience depuis près d’une trentaine d’années a montré qu’elles doivent être présentes pour pouvoir optimiser sa puissance et ses bénéfices.

  1. Un sujet complexe à traiter (problème, défi, projet, tâche, opportunité, question…)

19On entend par sujet complexe un sujet ayant des aspects multidimensionnels et ne relevant pas d’une seule expertise technique (auquel cas la méthode ne s’applique pas). Cette méthode permet en effet de traiter rapidement des sujets complexes tant d’ordre stratégique qu’opérationnel, dont la solution est importante et relativement urgente pour un responsable, une équipe ou une organisation. Le « porteur » du sujet doit avoir une capacité de décision ou du moins une forte influence sur le décideur pour la mise en œuvre des solutions qui seront issues des réflexions du groupe puisque la finalité de la méthode est toujours de déboucher sur un plan d’actions concret.

  1. Un groupe ou une équipe de travail

20Sur la base de l’expérience, 5 à 8 personnes constituent l’effectif idéal pour un groupe de travail en mode Action Learning. La plus grande diversité des participants au plan des profils, des expériences, des fonctions est fortement recommandée pour faire en sorte que le groupe puisse analyser correctement le sujet sous tous ses angles et faire de suggestions d’actions selon des perspectives différentes. De plus, elle va favoriser l’originalité et surtout la créativité de la réflexion collective qui la caractérise.

  1. Un processus de réflexion collective fondé sur le questionnement

21Le questionnement est au cœur du processus de réflexion de l’Action Learning. Elle permet de se différencier des pratiques habituelles de débats fondées sur des confrontations d’affirmations et d’opinions. Ce principe central de questionnement et d’écoute active va non seulement permettre une approche systémique du sujet complexe traité, mais va susciter une forte cohésion du groupe, ainsi que l’engagement des participants. Car ceux-ci vont se sentir co-responsables des solutions ou stratégies proposées pour répondre au problème ou au sujet présenté.

22De plus, on constate qu’un dialogue fondé sur le questionnement génère de puissants effets d’apprentissages tant au niveau individuel que collectif pour les participants. L’intervention du coach spécialement formé à la méthode est très important à ce niveau pour s’assurer que le dialogue reste bien axé sur le questionnement et respecte les différentes phases du processus structuré de réflexion de la méthode.

  1. Un objectif d’action concrète pour répondre au problème ou au sujet présenté

23L’objectif principal à court terme de la démarche d’Action Learning est de produire un plan d’action opérationnel à la fin de chaque session en réponse à la problématique soumise à la réflexion du groupe. Pour que ce plan d’action puisse être mis en œuvre immédiatement, il est important que le porteur du sujet soit en capacité de prendre des décisions et d’agir ou du moins, qu’il ait une capacité forte d’influence sur le décideur qui l’a mandaté.

  1. Une volonté d’apprendre des participants pour progresser dans leurs compétences tant au niveau individuel que collectif

24Un avantage majeur, durable et décisif de la démarche d’Action Learning, est ce qu’apprennent les participants sur eux, sur les autres et sur la puissance et l’efficacité de cette méthode de réflexion collaborative fondée sur le questionnement. Sa pratique régulière leur permettra d’améliorer progressivement la qualité de leurs réflexions et de leurs processus de décision. Ce qui pourra les conduire à des pratiques de management d’équipe plus performantes et plus motivantes dans leurs domaines respectifs.

25De plus, il faut souligner qu’il ne pourra pas y avoir de forts apprentissages tant pour l’équipe que pour l’organisation, tant que l’action n’est pas réalisée et analysée, ce qui sera fait dès la seconde session en cas de sessions multiples nécessaires pour certains sujets. Or, il s’agit d’un bénéfice majeur de cette méthode qui s’appréciera à moyen terme puisque concernant la transformation progressive de la culture managériale de l’organisation.

  1. Un coach formé à la méthode d’Action Learning

26Le rôle du coach est essentiel pour pouvoir tirer tous les bénéfices de cette méthode de travail collaboratif. Son rôle consiste d’abord à faire respecter la méthode et à veiller au strict respect de ses règles opérationnelles issues d’une longue pratique dans divers pays et contextes. Il est aussi de stimuler le groupe par ses questions relatives au déroulement de la session et aux apprentissages individuels et collectifs. Mais il faut souligner qu’il n’est pas un « leader » ni un animateur du groupe. Celui-ci est autonome dans ses réflexions et le coach n’intervient pas sur le fond des échanges entre les participants. Le rôle de coach peut être attribué soit à une personne extérieure certifiée dans la pratique de cette méthode soit à une personne de l’organisation préalablement formée à la méthode.

2.2 – Les aspects opérationnels de la méthode

27Sans pouvoir ici entrer dans les détails et les modalités pratiques de la mise en œuvre de la méthode d’Action Learning, on peut en évoquer de façon succincte les principaux aspects opérationnels :

  • Il s’agit de sessions courtes et structurées en 4 phases qui durent de 60 à 90 minutes (ce qui permet des gains de temps importants et une meilleure efficacité par rapport aux réunions de travail classiques…). Après une brève présentation de la problématique par le porteur du sujet, un temps de réflexion est consacré à la compréhension commune par les participants du sujet puis à la recherche de pistes de solutions à partir d’un dialogue exclusivement fondé sur des questions. La session se conclut toujours par un plan d’actions concrètes, mais aussi par une réflexion sur les apprentissages individuels et collectifs et sur la façon dont ils pourront enrichir leurs pratiques tant professionnelles que personnelles. C’est la dimension « apprenante » qui est aussi une caractéristique essentielle de la méthode.
  • Sur des sujets importants et lourds, nécessitant des étapes ou des compléments d’informations, il peut y avoir plusieurs sessions consécutives d’Action Learning à des intervalles de temps variables qui sont à convenir avec les participants. Dans ce cas, chaque session donne lieu au départ à une réflexion sur les actions déjà mises en œuvre et sur les apprentissages individuels et collectifs qui peuvent en être issus.
  • Les sessions d’Action Learning sont animées par des coaches formés à cette méthode. Leurs rôles sont de faire respecter strictement ses règles afin de maximiser son efficacité pour apporter des réponses pertinentes au sujet présenté au groupe mais aussi de le stimuler et de favoriser les apprentissages collectifs et individuels qui sont susceptibles d’en résulter pour les participants.
  • L’Action Learning est donc à la fois une méthode de résolution de problèmes réels complexes en équipe, mais aussi simultanément un processus de réflexion collaboratif en équipe qui permet de développer à la fois des compétences individuelles et collectives, notamment en matière de communication et de leadership (Volz-Peacock et al., 2016).

28Cette double finalité de la démarche d’Action Learning vient parfois troubler les schémas mentaux traditionnels et les pratiques classiques des entreprises ou organisations, notamment en France, où ces deux aspects sont classiquement dissociés. Or, c’est là précisément non seulement l’originalité, mais la force de cette méthode dont la pertinence est aujourd’hui confirmée par des avancées scientifiques transdisciplinaires tant des sciences de l’éducation, des sciences du comportement humain que des sciences des organisations (Marquardt et al., 2009).

3 – Expérimentation de la méthode d’Action Learning : une démarche opérationnelle de nature qualitative

29Nous évoquerons ici deux domaines où la méthode d’Action Learning nous a permis d’expérimenter son efficacité et sa pertinence, tant pour trouver rapidement des solutions pertinentes à des problèmes complexes que pour développer les compétences des participants en matière de communication et de leadership :

  • celui d’entreprises (il s’agit exclusivement de cas réels) ;
  • celui de formations supérieures au management et au leadership.

30Ces expérimentations et illustrations sont issues de notre pratique de cette méthode depuis quelques années dans ces deux domaines. Compte tenu du format naturellement limité de cet article, nous ne pourrons naturellement présenter ceux relatifs aux entreprises que sous la forme de mini-cas.

31Ces expérimentations dans ces différents contextes ont eu le mérite non seulement d’apprécier sa puissance mais aussi de bien comprendre son caractère générique. En effet, elle est susceptible de nombreuses adaptations et applications partielles ou complètes en fonction des contextes, des participants et des problématiques en cause. C’est précisément un rôle majeur du coach, spécialement formé, d’apprécier chaque contexte spécifique et de préconiser la meilleure façon dont il conviendra de l’utiliser.

3.1 – Quelques mini-cas réels d’entreprises et organisations

3.1.1 – Une ETI du secteur agroalimentaire

32Cette entreprise engagée dans une politique de développement durable souhaitait mener une réflexion sur la meilleure manière d’intégrer la RSE à sa stratégie marketing pour en faire un atout concurrentiel. Deux équipes de son comité de direction ont fonctionné en parallèle avec cette méthode d’Action Learning sur une demi-journée. Les résultats de ces séances de réflexions collaboratives ont permis, d’une part, d’enrichir leurs plans d’actions par plusieurs idées créatives qui ont émergé de ces brèves sessions, et d’autre part, ils ont permis de préciser et confirmer des orientations stratégiques importantes pour permettre à l’entreprise d’assurer à l’avenir sa position de leader sur le marché de plusieurs gammes de produits. Les participants, dont la plupart ne connaissaient pas la méthode, ont été préalablement informés de ses règles. Ils ont apprécié son caractère novateur, son efficacité et sa créativité. À l’issue de cette expérience, le directeur général, convaincu de sa pertinence a déclaré qu’il souhaitait qu’elle puisse être à l’avenir pratiquée en interne pour la réflexion sur de nombreux problèmes et projets de l’entreprise. Les participants à ces séances ont tous reconnu et ont été étonné par la puissance d’une telle démarche de réflexion basée exclusivement sur du questionnement et compris ses avantages par rapport aux débats et échanges fondés sur des affirmations dans les réunions de travail traditionnelles.

3.1.2 – Une PME dans le secteur de l’édition

33Le dirigeant de cette entreprise, qui connaissait une bonne croissance, subissait la pression de son conseil d’administration qui souhaitait qu’elle élabore une stratégie de développement plus ambitieuse pour les cinq années à venir et qu’elle recherche des pistes de diversification de ses activités. Il n’était pas satisfait des résultats de nombreuses réunions qui s’étaient déjà tenues sur ce sujet depuis 2 ans. Aussi, après présentation de la méthode, a-t-il souhaité l’expérimenter en vue d’élaborer un plan stratégique à 5 ans, incluant des pistes de diversification adéquates. 3 sessions de 90 minutes d’Action Learning, avec la même équipe diverse de 5 personnes – dont lui-même et une personne extérieure à l’entreprise – à environ 1 mois d’intervalle, ont permis de déboucher sur ce plan d’action précis pour son développement et d’élaborer des pistes de diversification auxquelles il n’avait pas pensé auparavant, à sa grande satisfaction… Outre la puissance et l’efficience de cette méthode de réflexion collaborative qui l’ont étonné, il a reconnu l’impact très positif de la méthode sur l’état d’esprit d’ouverture et de bienveillance de ce mode de travail en équipe, fondé sur le questionnement, qui facilite la collaboration de participants aux fonctions et profils divers. Il a été aussi agréablement surpris par la nouvelle dynamique d’échanges entre les personnes amorcée lors de ces sessions qui s’en est suivie dans l’entreprise au cours des mois suivants…

3.1.3 – Une PMI dans le secteur de l’électronique

34Confrontés à une vive concurrence et à une certaine baisse d’image sur le marché par rapport à de nouveaux acteurs, les dirigeants de cette entreprise ont souhaité mener une réflexion collective en utilisant la méthode d’Action Learning. L’objectif était de trouver des pistes innovantes pour regagner en compétitivité et faire croître le chiffre d’affaires menacé de baisse, afin de pouvoir garder les effectifs actuels. Il était aussi question de repenser l’organisation actuelle afin d’être plus en phase avec les évolutions perçues de leurs principaux marchés et l’arrivée de concurrents plus agressifs et aux technologies novatrices.

35Une réflexion collective en mode Action Learning, ayant impliqué 7 participants de diverses fonctions de l’entreprise, a permis non seulement de faire rapidement le diagnostic des problèmes que rencontrait l’entreprise mais aussi de faire émerger des pistes d’action au niveau de la réorganisation de l’entreprise, notamment la nécessité de développer une nouvelle fonction d’innovation dans l’entreprise ainsi que ses modalités pratiques souhaitables. Les dirigeants ont tout de suite décidé d’agir dans ce domaine. Par ailleurs ils ont été frappés par l’efficacité de la méthode et la manière dont elle avait libéré le potentiel créatif des participants dont ils n’avaient pas conscience dans le schéma traditionnel de leur organisation. Ils ont non seulement souhaité l’expérimenter à nouveau pour un autre sujet, mais veulent aussi à l’avenir former leur personnel d’encadrement à celle-ci pour qu’il puisse la pratiquer comme nouveau mode de management d’équipe, car ils ont compris ses avantages par rapport aux modes de fonctionnement et d’échanges traditionnels, trop cloisonnés et hiérarchiques.

3.1.4 – Une Chambre de Commerce et d’Industrie

36Le comité de direction de cette CCI avait pour problème la nécessité de repenser le contenu et la forme d’une manifestation économique régionale de type « salon » orientée vers l’entrepreneuriat suite à un relatif échec d’une édition précédente. Deux séances de réflexion en mode Action Learning à quelques semaines d’intervalle ont permis de déboucher sur un nouveau projet correspondant nettement mieux à leurs objectifs et à leurs contraintes. Les participants ont découvert à cette occasion la puissance de cette méthode de réflexion collaborative, notamment en matière de potentiel de créativité et d’innovation. Ils ont compris à ce sujet le net avantage en termes d’efficience d’une conversation fondée exclusivement sur l’art du questionnement plutôt que sur celui traditionnel de l’affirmation lors des réunions de travail. Plusieurs des chefs de service, qui avaient été des participants à cette équipe, séduits par son efficacité et surtout par sa créativité, ont décidé de s’en inspirer à l’avenir comme mode de travail avec leurs propres équipes chaque fois que le sujet s’y prêterait de par son caractère à la fois complexe, important et relativement urgent.

3.2 – Quelques expériences d’Action Learning en matière éducative : l’exemple de formations supérieures en management des hommes et leadership

3.2.1 – En formation initiale : cours de management des hommes et de leadership dans des programmes Bachelor et MBA

37La méthode de réflexion collaborative d’Action Learning est aussi apparue comme particulièrement intéressante pour former des étudiants d’écoles supérieures de gestion à leurs futures responsabilités de manager-leader d’équipe. En effet, un aspect essentiel de la méthode a trait à sa capacité à développer d’une part un savoir-faire collectif pour améliorer l’efficacité et la créativité du travail et de l’apprentissage en équipe, et d’autre part, les compétences individuelles de communication et de leadership des participants. Aussi, ce bénéfice spécifique de la méthode a été privilégié dans ces expériences éducatives.

38Les exercices réalisés avec les étudiants se sont donc autant attachés à la dimension « résolution de problèmes complexes et relativement urgents » qu’à celle relative à l’apprentissage de compétences collectives (savoir réfléchir et travailler en équipe) et individuelles. Les sujets travaillés, toujours réels, ont été soit proposés par les étudiants, soit présentés par l’animateur du cours.

39Après trois années d’expérience de pratique de cette méthode en formation initiale avec des étudiants en fin d’étude, nous pouvons tirer un bilan extrêmement positif. Elle est fort appréciée par les étudiants qui y voient une démarche d’apprentissage très innovante, vivante et motivante.

40Certes, il y a au début une phase de compréhension qui nécessite quelques exercices d’entraînement et sessions respectant une progressivité, surtout pour la maîtrise d’un dialogue fondé sur le questionnement auquel ils ne sont ni formés, ni habitués dans le système éducatif traditionnel. Il est intéressant d’observer la façon dont ils découvrent avec un peu de pratique les avantages de la méthode, notamment pour leurs nombreux travaux en équipe. Celle-ci facilite l’efficience du travail collaboratif, mais aussi la cohésion et la solidarité des participants. Enfin, elle permet de leur faire prendre conscience de leurs faiblesses en matière de compétences de communication orale et de leadership et de les développer efficacement dans un contexte réel en face à face.

41Cette méthode s’avère donc particulièrement intéressante pour les établissements d’enseignement supérieur en gestion et commerce, et ce, dans n’importe quel contexte culturel, à condition qu’elle soit correctement et judicieusement mise en œuvre par des personnes spécialement formées et capables de jouer le rôle du coach qu’elle exige. Elle constitue une réponse pédagogique très innovante aux nombreux défis d’apprentissages auxquels ces organismes éducatifs doivent faire face aujourd’hui, avec le rejet croissant des modes traditionnels d’enseignement. En effet elle correspond très bien aux souhaits des nouvelles générations très friandes de modes collaboratifs de réflexion et d’action.

3.2.2 – En formation continue : séminaires de formation de consultants et coaches

42Cette méthode intéresse également de nombreux consultants et coaches d’entreprise qui doivent souvent accompagner la réflexion d’équipes sur des sujets complexes, importants et parfois urgents. Ainsi, nous avons eu l’occasion de faire découvrir et de former divers groupes de ces professionnels à l’Action Learning avec succès. Ils y voient une compétence supplémentaire à offrir à leurs clients pour leurs activités professionnelles.

43Les difficultés d’apprentissage au départ sont aussi relatives à la maîtrise de l’art du questionnement. Mais, elles sont en général vite surmontées après quelques exercices et aussi du fait de la proximité avec des pratiques courantes de leurs métiers qu’ils doivent seulement adapter.

44Ils reconnaissent tous la puissance et l’efficience de la méthode pour trouver rapidement des solutions opérationnelles et créatives aux problèmes complexes, importants et urgents de leurs clients.

45Leurs principales préoccupations ont surtout trait à sa mise en œuvre opérationnelle dans les entreprises ou organisations clientes, notamment à la façon de la communiquer et de la vendre. Car cette méthode originale et innovante et sa double finalité ne sont pas faciles à présenter de façon synthétique et à bien en faire comprendre les bénéfices. Par ailleurs, compte tenu de ses diverses possibilités d’application et des variantes possibles en fonction de chaque contexte spécifique, un certain savoir-faire est nécessaire. D’où l’intérêt d’une formation adéquate de coach en Action Learning pour pouvoir la mettre en œuvre correctement et efficacement, mais aussi, le cas échéant, savoir refuser son utilisation si les principales conditions de succès ne sont pas présentes : préparatifs nécessaires en amont de la mise en œuvre des sessions, support et engagement des dirigeants, constitution d’une équipe diverse, capacité de décision du présentateur du sujet à l’équipe, bonne compréhension des règles de fonctionnement par tous les participants, bonne posture du coach en Action Learning, organisation matérielle adéquate des séances, disponibilité et concentration des participants, etc.

4 – Discussion des résultats et interprétation

46Les discussions des résultats opérationnels de ces expérimentations de cette méthode se limiteront dans le cadre restreint de cet article à deux points :

  • ses bénéfices et avantages qui sont étroitement liés à la puissance de sa démarche centrale de questionnement ;
  • ses limites et ses conditions d’utilisation pour pouvoir s’assurer de sa pleine efficacité.

4.1 – Principaux avantages et bénéfices de la méthode…

4.1.1 – …pour les entreprises et organisations

47Il convient de distinguer les bénéfices de court terme et ceux de moyen terme qui vont résulter d’une pratique régulière et généralisée de cette démarche managériale de réflexion collaborative et d’apprentissage en équipe.

48À court terme, la méthode de l’Action Learning permet :

  • de résoudre efficacement et rapidement et de façon économique de nombreux problèmes et défis que rencontrent les entreprises et autres organisations qui sont réels, complexes, importants et relativement urgents. Sa formule de sessions courtes et structurées permet d’importants gains de temps et d’argent par rapport à beaucoup de réunions de travail de facture « classique » ;
  • d’élaborer des solutions opérationnelles ou des stratégies créatives souvent très innovantes et qui procèdent d’une approche systémique du sujet qui résulte de la diversité des membres de l’équipe et des points de vue qu’ils représentent ;
  • de déboucher toujours sur des plans d’actions opérationnels qui vont pouvoir être mis en œuvre rapidement par les acteurs concernés qui se sentent impliqués du fait de leur participation à la réflexion et de leurs sentiments de co-responsabilité de la solution ;
  • de créer un climat de confiance et de solidarité au sein de l’équipe qui favorise des échanges authentiques et une réelle coopération. Elle instaure un climat relationnel sain, authentique entre les personnes fondé sur une éthique managériale privilégiant les valeurs de respect, d’écoute, de dialogue, de tolérance et d’ouverture aux idées et points de vues des autres.

49À moyen terme, cette méthode permet :

  • de contribuer au développement de compétences de communication et de leadership des membres de l’équipe par la maîtrise de l’art du questionnement, de l’écoute attentive, de l’expression orale, de l’affirmation de points de vue différents facilité par un contexte de bienveillance et de respect de chaque personne ;
  • de créer des équipes soudées, solidaires et apprenantes, donc plus performantes dans leur mode de fonctionnement et plus ouvertes aux contributions de chacun, quelque soit par ailleurs son statut et sa fonction dans l’organisation ;
  • de susciter progressivement l’émergence d’une nouvelle culture managériale de nature apprenante favorable à la créativité et à l’innovation. Soulignons que cette culture participative s’avère particulièrement en phase avec les aspirations des nouvelles générations en matière de mode de travail en équipe.

4.1.2 – …pour les formations au management des hommes et au leadership

50Sur la base des expériences réalisées depuis quelques années avec des étudiants de programmes MBA et Bachelor, les principaux points positifs de cette méthode de réflexion collaborative perçus et exprimés par les évaluations des participants sont respectivement :

  • son caractère innovant et dynamique par rapport aux méthodes pédagogiques traditionnelles, y compris celle de la méthode des cas ;
  • la plus grande motivation des participants par la possibilité offerte à chacun de s’exprimer et de contribuer à la réflexion collective, soit par des questions, soit par des réponses aux questions posées, ce qui crée de l’énergie pour le groupe ;
  • l’efficacité de la réflexion dans une courte période et la créativité des solutions qui en résultent pour des problèmes réels et complexes ;
  • sa capacité à susciter de la cohésion au sein de l’équipe ainsi que de la solidarité entre les participants qui ont un sentiment de co-responsabilité des solutions apportées au présentateur du sujet ;
  • l’apprentissage particulièrement utile d’une méthode de travail en équipe structurée et efficace face à des problèmes fréquents qu’ont les étudiants pour organiser leurs travaux de groupe ;
  • sa capacité à développer un ensemble de compétences interpersonnelles ou « soft skills » telles que : l’écoute active, l’art du dialogue à partir du questionnement, un esprit de synthèse, un esprit créatif, le respect d’opinions différentes, la bienveillance, l’absence de jugement systématique, la capacité à exprimer clairement et à affirmer oralement son point de vue, l’art de la persuasion, savoir poser la bonne question au bon moment dans un échange, savoir s’enrichir d’autres façons de penser, etc.

51Il convient de souligner que l’originalité, le caractère innovant et les bénéfices de cette méthode de réflexion et de travail collectif qu’est l’Action Learning sont étroitement liés à la puissance d’une démarche exclusive de questionnement (Cottrell, 2013 ; Marquardt, 2014). Celle-ci permet non seulement d’aller rapidement au fond des problèmes et d’identifier leurs causes réelles mais aussi de favoriser la créativité et les solutions innovantes du fait de la démarche systémique issue de la diversité des participants. Elle se démarque de la culture managériale et organisationnelle traditionnelle toujours dominante de l’affirmation et de la confrontation des points de vue qui s’avère souvent stérile, avec en général une prééminence du point de vue de la hiérarchie et la faible écoute et prise en compte des avis différents qui peuvent s’exprimer au sein de l’organisation.

4.2 – Principales limites et difficultés d’utilisation de la méthode d’Action Learning

52Comme la plupart des méthodes d’intelligence collective, celle de l’Action Learning présente des limites quant à ses modes d’utilisation et, surtout, elle exige des conditions spécifiques pour sa mise en œuvre opérationnelle correcte, seule capable d’apporter les bénéfices évoqués.

53On distinguera également les deux principaux domaines d’application précédemment mentionnés : celui des entreprises et organisations et celui des formations supérieures et séminaires sur le développement des compétences de communication et de leadership.

4.2.1 – Entreprises et organisations

54La pratique de cette méthode au sein d’entreprises et organisations diverses depuis quelques années a permis de mettre en évidence les limites de son utilisation et aussi certaines conditions et difficultés de sa mise en œuvre pour qu’elle puisse produire les résultats escomptés.

55Parmi les limites, il faut rappeler que les promoteurs de cette méthode précisent bien qu’elle ne concerne que des problèmes ou sujets réels complexes sans solutions connues d’avance. Elle ne peut pas s’appliquer à des questions ou sujets ne relevant que d’une seule technique ou d’un seul domaine d’expertise, ni à la résolution d’énigmes. Seuls environ 60 % à 70 % des problèmes réels que connaissent les entreprises et les organisations sont susceptibles d’être résolus par celle-ci.

56Une difficulté initiale de cette méthode tient d’abord à sa communication et à sa compréhension par les responsables d’entreprise car elle sort des schémas mentaux habituels auxquels ils sont habitués. Cela est du notamment à sa double fonction de résolution de problèmes complexes ou multidimensionnels relevant du fonctionnement courant de l’organisation et sa dimension formative conjointe d’apprenance. En effet, dans le contexte français traditionnel des organisations, ces deux aspects sont disjoints.

57Soulignons cependant que ces deux objectifs de la méthode peuvent être séparés en fonction des contextes et de la nature des problèmes et objectifs prioritaires de leurs responsables.

58L’expérience de terrain montre qu’en général les entreprises sont d’abord intéressées par le volet « résolution de problèmes complexes » et par sa capacité à améliorer la collaboration et l’efficacité du travail en équipe de personnes diverses. Les aspect formatifs liés au développement des compétences individuelles de communication et de leadership ne sont souvent introduits que dans un second temps quand l’équipe maîtrise suffisamment la démarche réflexive fondée sur le questionnement et s’intéresse à ces aspects.

59La méthode a un caractère générique et elle doit être naturellement adaptée à la problématique et au contexte de chaque organisation en fonction d’une bonne compréhension de ses besoins et des circonstances. C’est une des fonctions majeures du coach, formé à la méthode. Il doit assurer une préparation adéquate en amont avec les responsables concernés de l’organisation pour sa mise en place correcte : formulation adéquate de la problématique, validation de la constitution de l’équipe avec une diversité suffisante, précision des règles de fonctionnement de la démarche de réflexion collaborative et engagement des participants à la respecter, organisation matérielle adéquate de la session, engagement des responsables sur le plan d’action produit par l’équipe, etc. Ce qui suppose au départ un temps préalable d’échanges avec plusieurs personnes en interne et parfois une courte séance préliminaire de démonstration pour montrer le fonctionnement pratique de la démarche et du déroulement d’une session.

60Enfin, il convient d’observer que l’absence de hiérarchie et la diversité de statuts et fonctions des participants qui sont une condition essentielle de succès de cette méthode ne vont pas sans poser souvent des difficultés au départ, tant les considérations hiérarchiques et les préjugés élitistes sont encore très profondément présents dans les schémas mentaux de nombreux dirigeants d’organisations en France. En général, l’expérience montre qu’elles peuvent être assez facilement surmontés par une démonstration de la méthode auprès des décideurs. Ceci dit, on s’abstiendra de la promouvoir auprès de dirigeants réticents ou dans des contextes trop difficiles pour éviter des pertes d’énergie inutiles et on recherchera prioritairement des interlocuteurs intelligents et ouverts à l’innovation managériale.

4.2.2 – Formations au management des hommes et au leadership

61Au niveau des étudiants ayant pratiqué la méthode, notre expérience montre que la principale difficulté au départ est de les entraîner à l’art du questionnement et à une forme de dialogue fondé sur des questions et pas sur des affirmations. Le système éducatif et culturel dominant ne les a pas préparé à cela. En effet, il se caractérise par une logique d’affirmations et de débats/confrontations souvent stériles. Or, le questionnement est un fondement essentiel de toute réflexion approfondie et surtout de tout apprentissage comme l’ont montré depuis longtemps les spécialistes des sciences de l’éducation.

62Aussi faut-il prévoir au départ un exposé sur l’art du questionnement et quelques exercices pratiques pour les y préparer. Il faut en général quelques séances d’Action Learning pour que les étudiants soient à l’aise avec la méthode. Mais ensuite, ils la plébiscitent en comprenant bien ses avantages et son caractère innovant et vivant par rapport aux approches pédagogiques traditionnelles.

63Les principales difficultés pour la diffusion et la pratique de la méthode dans une école supérieure de gestion tiennent essentiellement à l’attitude de la direction et du corps enseignant. Ce dernier fait parfois preuve de résistance vis-à-vis d’une méthode qu’il ne connaît pas et qui remet en cause les pratiques pédagogiques traditionnelles…

64De plus, lorsqu’il s’agit d’une discipline aux caractéristiques techniques, ce qui est le cas de certains enseignements en sciences de gestion, la méthode ne peut s’appliquer opportunément. En revanche, dès qu’on a affaire à des problématiques multidimensionnelles, comme la GRH et le management des hommes et des organisations, ou à des situations touchant plusieurs disciplines, comme des sujets stratégiques ou opérationnels relevant de la méthode des cas, des projets divers, des missions de terrain, etc., elle pourra être parfaitement utilisée avec profit.

65Il est donc nécessaire, pour sa diffusion au sein d’un établissement de formation aux sciences de gestion, d’avoir non seulement l’appui de la direction mais aussi celui d’un corps enseignant volontaire, en lui présentant au préalable la méthode et en l’y formant. Il s’avère opportun de faire des démonstrations pour qu’ils puissent bien la comprendre et jouer correctement le rôle fondamental du coach. Cette méthode s’avère particulièrement pertinente et efficace pour l’apprentissage des compétences de communication et de leadership, les fameuses « soft skills », dont on prend aujourd’hui conscience de l’importance fondamentale pour le bon exercice de la fonction de manager-leader. Or celles-ci ont été trop souvent négligées dans les enseignements traditionnels de gestion polarisés sur des approches disciplinaires de nature instrumentale (Mintzberg, 2004 ; de Woot, 2005).

66En formation continue de cadres, coaches et consultants, on observe que la maîtrise du questionnement est en général plus rapidement acquise, même si elle demande quelques efforts et exercices au début. La principale difficulté que rencontre ce public a trait à sa façon de présenter et d’expliquer cette démarche innovante à des clients ou prospects et de savoir les convaincre de l’expérimenter.

67Enfin, une autre difficulté pour ces professionnels concerne leur parcours de formation pour devenir coach certifié en Action Learning. Celui-ci nécessite la participation à quelques jours de formation avec de nombreux exercices pratiques ainsi que la rédaction d’un document faisant le compte rendu écrit détaillé d’une pratique personnelle suffisante de la méthode. On constate que cette dernière contrainte pose problème à beaucoup de personnes ayant suivi la formation au coaching en Action Learning et qui sont intéressées par sa pratique professionnelle et qu’elle constitue un frein à ce processus de certification.

4.3 – Quelques éléments de différenciation de l’Action Learning par rapport à d’autres méthodes d’apparence voisine

68Au premier abord, l’Action Learning est souvent confondue dans le contexte français avec d’autres méthodes de réflexion ou d’intelligence collective qui sont en réalité différentes tant par leur démarche que par leurs finalités. Sans pouvoir naturellement prétendre, dans le cadre restreint de cet article, à une quelconque exhaustivité sur ce vaste sujet, car il existe de fort nombreuses méthodes d’intelligence collective (Zara, 2008), il paraît intéressant dans un but de clarification, de souligner quelques différences existantes entre :

  • le coaching en Action Learning et le coaching classique ;
  • la démarche d’Action Learning et la méthode du « co-développement » ;
  • l’Action Learning et la méthode des cas couramment utilisée dans les formations en management.

4.3.1 – En quoi le coaching en Action Learning diffère-t-il du coaching classique ?

69D’abord, il faut souligner que le coaching classique est un coaching individuel tandis que le coaching en Action Learning est toujours un coaching d’équipe.

70Le coaching classique vise à aider une personne à titre professionnel ou personnel à atteindre des objectifs précis qu’elle s’est fixés, en général pour résoudre un problème ou pour progresser sur un sujet, source de difficultés, ou sur des compétences spécifiques. Cela passe naturellement d’abord par une écoute, puis le coach propose une démarche en vue d’atteindre cet objectif qui s’étale en général sur quelques semaines, voire quelques mois sous la forme d’un accompagnement adapté avec des séances de rencontre en face à face ou virtuelle ; ce qui permet de suivre les progrès réalisés et d’aider la personne à trouver des solutions à ses difficultés. Le coach, à la différence du mentor, n’a pas de compétence ou d’expérience professionnelle sur le sujet, mais propose seulement une méthode d’accompagnement de sa réflexion personnelle.

71Le coaching en Action Learning est fort différent. Il s’agit d’un coaching d’équipe mais innovant dans la mesure où il comporte à la fois une dimension collective et individuelle pour les participants. En effet, le coach en Action Learning joue un rôle assez complexe et capital puisqu’il doit préparer en amont les séances, créer le climat d’échanges adéquat avec l’équipe et faire respecter strictement les contraintes de temps de la méthode et les étapes de son déroulement en plusieurs phases. Il a aussi un rôle important d’apprentissage collectif pour inciter l’équipe à réfléchir à la façon dont elle fonctionne et comment elle peut améliorer son fonctionnement et son efficacité. Mais, il a aussi un rôle de « facilitateur » d’apprentissages individuels des participants puisque chaque participant dans la méthode complète doit travailler pendant la séance sur une compétence de communication ou de leadership qui fera l’objet d’un debriefing à la fin de chaque séance, non seulement du coach mais aussi des autres participants, et cela dans un esprit exclusivement positif et constructif. De plus, à l’issue de la séance, le coach en Action Learning interrogera le présentateur du problème ou sujet présenté au groupe sur son plan d’actions concrètes et l’aidera, le cas échéant, dans sa formulation et son contenu par des questions appropriées.

4.3.2 – En quoi la méthode de l’Action Learning est-elle différente de celle du « co développement » ?

72La méthode d’Action Learning est souvent confondue en France au premier abord avec la méthode canadienne du « co-développement » maintenant fort répandue dans ce pays depuis quelques années (Delaunay et Hoffner-Lesure, 2011). S’il existe certaines similarités, l’Action Learning est en réalité une méthode différente par ses processus, ses objectifs et ses bénéfices. Le Tableau ci-après présente les principales différences entre les deux méthodes.

Tableau 1

Comparaisons entre les méthodes de l’Action Learning et du « co-développement »

ThèmeAction LearningCo-développement
Nature des sujetsSujets complexes et importants urgents touchant l’organisation et le businessSujets personnels ou professionnels et problèmes à partager avec des pairs
Rôle des participantsQuestionnement exclusif et interactif au sein du groupe et approche systémiqueConseil et expertise des pairs, rôles de consultant
AnimationCoach spécialement formé à la méthode avec rôles majeurs mais pas d’animateurAnimateur familier de la méthode et de sa déontologie
BénéficesÉlaboration d’un plan d’action opérationnel
Développement des compétences de communication et leadership des participants
Aide et conseils pour la résolution du problème présenté par échange d’expériences entre pairs
Composition du groupe4 à 8 participants aux profils les plus divers possible5 à 8 participants aux profils voisins
Durée des sessionsSessions courtes de 60 à 90 minutes maximum divisées en 4 phasesSessions longues de 3 heures en général avec 6 phases
Apprentissages individuelsTous les participants concernés : forts et axés sur le développement des compétences de communication et de leadershipCentrés sur le présentateur du sujet
Apprentissages collectifsImportants et centrés sur l’efficacité de la réflexion et du travail d’une équipe diverseLimités car peu d’interaction à l’intérieur du groupe dont les membres sont dans un rôle de consultant
Impact sur la culture managériale de l’organisationFort à partir du moment ou la méthode se diffuse au sein de l’organisation. Favorise le développement d’équipes apprenantes et d’un management apprenantAssez faible car généralement démarche ponctuelle et basée sur le volontariat

Comparaisons entre les méthodes de l’Action Learning et du « co-développement »

4.3.3 – En quoi la démarche d’Action Learning se distingue-t-elle de la méthode des cas utilisée couramment en formation ?

73Il convient de souligner d’abord que l’Action Learning utilise toujours des problèmes ou sujets réels auxquels sont confrontés des acteurs d’une organisation. Ceux-ci ont pour caractéristiques d’être spontanés dans leur formulation qui reflète le ressenti de la personne, complexes, sans solutions connues d’avance, importants pour la personne qui le présente à l’équipe et relativement urgents. On est dans une vraie situation relationnelle, donc immergé avec un contexte comportant des dimensions émotionnelles. De plus, le présentateur du sujet ou du problème doit avoir une capacité de décision ou du moins une forte influence sur le processus de décision le concernant. Le groupe de participants est là pour l’aider à analyser et à trouver des solutions opérationnelles adéquates dans le cadre de sessions courtes d’un maximum de 90 minutes selon un processus de réflexion précis. Enfin, le coach n’intervient pas dans le fond des échanges avec les participants, mais fait suivre un processus précis de réflexion collaborative pour aboutir à un plan d’action et surtout il intervient pour faire progresser l’apprentissage collectif et individuel des participants.

74Dans la méthode des cas on a affaire à des « produits pédagogiques » souvent déjà fort élaborés et souvent scénarisés qui présentent certes une problématique d’entreprise mais souvent « arrangée », voire simplifiée pour sa meilleure compréhension par l’étudiant. On se situe à l’extérieur de l’organisation et de son contexte émotionnel et on ne dispose donc pas de tous les aspects de la problématique. La méthode des cas est en général destinée à illustrer des concepts théoriques de gestion à partir d’une problématique de terrain dont c’est le principal but. De plus l’animateur a un rôle différent puisqu’il va intervenir sur le fond du sujet et qu’il est censé aider les apprenants à élaborer des solutions en s’appuyant sur des concepts théoriques qui vont illustrer son cours.

75On voit donc qu’il s’agit de méthodes fort différentes ayant des contenus, des orientations, des processus et des finalités distinctes. Mais, remarquons cependant qu’on peut tout à fait utiliser l’Action Learning pour travailler sur des points précis dans le cadre d’une étude de cas réel, lorsque la nature du sujet s’y prête, avec par exemple un jeu de rôles.

Conclusion

76La démarche de l’Action Learning s’inscrit très opportunément dans l’émergence de la modernité managériale et organisationnelle. Elle offre des solutions pertinentes à la plupart des enjeux complexes liés à la transformation du management des hommes et des organisations face à un monde compliqué, peu prévisible et en rapide évolution. Elle donne véritablement une place centrale à l’humain et à son potentiel souvent mal exploité par les méthodes traditionnelles de management de nature encore fortement hiérarchique.

77L’expérience montre que sa pratique comme processus de travail en équipe conduit à faire évoluer les modes d’organisation et de fonctionnement courants vers des formes plus décentralisées, des équipes de travail plus autonomes se caractérisant par un climat de confiance accru, une plus grande responsabilisation et implication des personnes et des équipes et un affaiblissement de la hiérarchie. Elle est particulièrement bien ressentie par les participants qui se sentent respectés et apprécient de pouvoir contribuer à la solution de problèmes complexes et importants qui leur sont soumis, quelque soient leurs fonctions, statuts et leur niveau hiérarchique, car elle privilégie la diversité.

78Certes, comme toute méthode d’intelligence collective, elle comporte aussi des limites dans son utilisation, mais surtout, elle exige des conditions opérationnelles précises pour bien fonctionner, comme cela a été souligné. Les nouvelles pratiques de management d’équipe qui la caractérisent ont un impact très positif non seulement sur les perceptions des collaborateurs et sur le climat de travail, mais également, par voie de conséquence, sur les performances économiques durables de l’entreprise, car elles permettent une meilleure mobilisation de son potentiel humain.

79On remarque que cette méthode rejoint par certains aspects le courant managérial dit de la « libération d’entreprise » qui vise à atténuer sensiblement les modes de fonctionnement hiérarchiques, à responsabiliser des équipes autonomes afin de mieux exploiter leur potentiel en leur confiant plus de pouvoir de décision et de gestion, notamment pour celles proches du terrain, selon le principe de subsidiarité (Carney et Getz, 2009 ; Getz, 2016).

80Enfin, il faut souligner que cette méthode d’intelligence collective apparaît bien en phase avec les aspirations des jeunes générations qui souhaitent de nouvelles pratiques de management et de leadership plus collaboratives, plus démocratiques et moins hiérarchiques, fondées sur les compétences afin de faciliter leurs apprentissages professionnels mais aussi pour développer leurs compétences managériales, et notamment leurs soft skills dont l’importance est croissante aux yeux des entreprises, en particulier pour des fonctions d’encadrement.

81Au plan éducatif, notre expérience pédagogique très positive de cette méthode de réflexion collaborative en matière d’apprentissage des compétences de communication et de leadership s’avère fort encourageante pour l’avenir et ouvre des pistes particulièrement intéressantes pour l’innovation pédagogique, tant en formation initiale que continue, pour les formations au management des hommes et au leadership. Un défi majeur en formation initiale est en effet de mieux préparer les étudiants à leurs futures responsabilités de managersleaders et de combler des carences qui existent souvent chez des managers ayant suivi les cursus traditionnels, y compris ceux généralement considérés comme les plus prestigieux… (Mintzberg, 2005).

82On ne peut donc que souhaiter le développement de cette méthode humaniste dans les années à venir, car elle est juste émergente en France, tant pour contribuer à la modernisation managériale des organisations qu’à des modes d’apprentissage novateurs et plus efficients du management des hommes et du leadership dans le système éducatif spécialisé. Ce qui devrait ultérieurement ouvrir la voie à de nouveaux terrains pour de futurs travaux de recherche en management dans ces deux domaines d’application.

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