Couverture de MAV_094

Article de revue

Co-création de valeur et technologie digitale : quel design pour ces plateformes d’engagement ? Le cas du Photomaton 2.0

Pages 153 à 175

Notes

  • [1]
    Intissar ABBES : Docteur en sciences de gestion à l’IAE Lyon/IHEC Carthage et Maître assistante à l’IHEC-Carthage - abbesintissar@yahoo.fr
  • [2]
    Yossra TROUDY : Institut des Hautes Études Commerciales de Carthage, IHEC-Carthage.
  • [3]
    Née en février 2012, en Belgique, la Sharingbox s’est implantée dans 18 pays dans le monde et a accompagné plusieurs marques dans leurs événements (Mercedes Benz, Givenchy, Reebok, Coca Cola, Adidas, Dior, Cacharel) http://www.sharingbox.be/

1Le développement des nouvelles technologies et l’avènement du Web 2.0 ont favorisé la prise de pouvoir du consommateur et ont modifié son rapport avec l’entreprise (Cova, 2008). Un rapport plus égalitaire de partenariat et de collaboration confère au consommateur le statut d’acteur (Firat et Dholakia, 2006), co-créateur de valeur (Prahalad et Ramaswamy, 2004 ; Lusch et Vargo, 2006).

2La co-création est le processus par lequel les produits, services et expériences sont développés conjointement par les entreprises, leurs partenaires et le consommateur final aboutissant ainsi à un nouvel espace où la valeur créée serait partagée (Ramaswamy, 2009). De récentes recherches mettent en avant le rôle des « plateformes d’engagement » dans le processus co-créatif (Leclercq et al., 2016). Il s’agit d’espaces (on line/off line) où les acteurs de ce processus interagissent pour créer réciproquement mais aussi conjointement de la valeur (Ramaswamy et Ozcan, 2014). Qu’il soit question de co-innovation ou tout simplement de co-production de produit, service ou encore d’expérience (Cova, 2008), en amont ou en aval de l’offre de l’entreprise (Hamdi-Kidar, 2013), ces « plateformes d’engagement » permettent d’engager les acteurs du processus de co-création à interagir et à échanger leurs ressources (Ramaswamy et Ozcan,2014). Il sera entendu par « engagement », le degré de connexion qui existe entre les acteurs (Brodie et al., 2011 ; Kumar et al., 2010). Avec l’avènement du Web 2.0, le sens de l’engagement client (Customer Engagement) semble avoir évolué pour inclure « des manifestations comportementales envers une marque ou une firme, au-delà de l’achat, résultant de facteurs motivationnels et comprenant une large palette de comportements, incluant l’activité de bouche-à-oreille, les recommandations, l’aide aux autres clients, le blogging, la rédaction de commentaires » (Van Doorn et al., 2010).

3Cet engagement pourrait être de deux types : soit un engagement motivé par de simples objectifs de consommation (in-role) ou bien un engagement qui va au-delà, vers des comportements extraordinaires (extra-role) plutôt orientés vers l’entreprise, comme des activités de co-innovation, de co-promotion ou encore de bouche-à-oreille (Kumar et al., 2010 ; Van Doorn et al., 2010). Les nouvelles technologies en ligne semblent être des moyens facilitateurs de cet engagement (Prahalad et Ramaswamy, 2004). Soutenues par le développement des médiats sociaux et l’« hyper-connectivité » du consommateur, les entreprises démultiplient leur présence sur le net par la création de plateformes en espérant que leurs clients s’engagent à co-créer de la valeur. Cependant, la mise en place de tels dispositifs technologiques n’est pas dans tous les cas suffisante. Il faudrait penser le design de ces plateformes pour réussir à : (1) engager les participants dans des comportements extra-role avec l’entreprise, (2) interagir avec eux au cours du processus de co-création de valeur (Leclercq et al., 2016) et (3) maintenir leur engagement (connexion avec la marque/ entreprise) dans le temps (Nambisan et Baron, 2009). Comment alors attirer le client et l’inciter à s’engager sur ce type de plateforme pour co-créer de la valeur avec l’entreprise ?

4Les travaux antérieurs sur les communautés virtuelles de marques (exemple de plateformes d’engagement) considèrent que le type et l’intensité de participation des clients sur ces communautés influencent l’engagement envers la communauté et la fidélité envers la marque. Cet engagement envers la communauté est lui-même un antécédent à l’engagement envers la marque (Raies et Gavardperret, 2011). Ces résultats, illustrent bien tout l’intérêt de faire participer le client en l’engageant sur ce type de plateforme. À cet effet, plusieurs entreprises usent de tous types de moyens et d’arguments pour impliquer leurs clients dans un processus de co-création de valeur. Pour innover, améliorer son offre et se rapprocher de ses clients, Starbucks lance le programme « myStarbucksIdea » qui consiste à inviter des consommateurs sur une plateforme et à les inciter à participer et à communiquer leurs idées. De même, pour interagir avec ses clients et mieux les séduire, l’enseigne de prêt-à-porter Kiabi a digitalisé ses magasins en mettant en place le dispositif « KiabiConnect ». Ce dispositif permet aux clients, grâce à une borne digitale, de se renseigner sur le produit via les réseaux sociaux et de partager leurs coups de cœur directement du magasin, à l’aide d’un bracelet connecté. Ces exemples illustrent bien la volonté des entreprises à interagir avec leurs clients. Ils investissent lourdement dans tous types de dispositifs technologiques sans pour autant identifier leur potentiel engageant pour le client. En effet, peu de recherches ont étudié le rôle de ces outils à engager les individus dans un processus de co-création de valeur avec l’entreprise (Brodie et al., 2011). Descriptives, elles se sont limitées à identifier leurs caractéristiques plutôt qu’à évaluer leur impact sur l’engagement des acteurs. C’est ainsi que cette recherche se fixe pour objectifs d’évaluer le potentiel de l’usage des technologies digitales mobiles à l’intérieur du lieu de vente et d’identifier leurs caractéristiques requises pour accrocher le client et l’engager dans un processus de co-création de valeur avec l’entreprise.

5Vérifier le caractère engageant de ce type de dispositif technologique revient à vérifier les trois conditions théorisées par Leclercq et al. (2016) : engager les participants dans des comportements extra-role avec l’entreprise, interagir avec eux au cours du processus de co-création de valeur et maintenir leur engagement dans le temps. Afin de servir les objectifs de cette recherche, nous étudions le cas du Photomaton digital, comme exemple de nouvelle technologie susceptible d’engager les clients dans un processus de co-création de valeur avec l’entreprise. Devenu un des outils promotionnels incontournables des plus grands événements de marques de par le monde, le photomaton nouvelle génération (Photomaton 2.0), se révèle être un cas d’étude intrigant pour les entreprises en quête de stratégies promotionnelles novatrices.

6La première partie de cette recherche est dédiée à la revue de la littérature sur les apports des technologies digitales dans le processus de co-création de valeur client-entreprise et leurs caractéristiques requises pour engager le client dans ce type de processus. La deuxième partie s’attache à étudier le cas du photomaton 2.0 (la Sharingbox), comme exemple de plateforme d’engagement, en procédant à des entretiens semi-directifs aussi bien auprès d’utilisateurs de la Sharingbox que de managers de cette entreprise. La troisième partie présente la discussion des résultats en s’appuyant sur les caractéristiques requises par cette technologie pour engager le client dans un processus de co-création de valeur avec l’entreprise. Nous concluons avec les apports théoriques et managériaux ainsi que les limites et voies futures de la recherche.

1 – La technologie digitale : une plateforme d’engagement pour la co-création de valeur avec le client

7Co-créer de la valeur avec le client implique l’engagement des acteurs (clients et entreprises) dans un processus conjoint générateur de valeurs nouvelles pour chacune des parties. Les technologies digitales semblent être des moyens facilitateurs de cet engagement (Cova, 2008 ; Leclercq et al., 2016). Pour illustrer leur importance, nous présentons les valeurs perçues par chacun des acteurs (client et entreprise) lors de leur engagement dans un processus de co-création sur ce type de plateforme technologique.

1.1 – Le digital : une plateforme pour créer de la valeur pour le client

8La transformation digitale a révolutionné les comportements et les habitudes de consommation en instaurant de nouveaux modèles économiques, dématérialisés, interactifs et collaboratifs. Modifiant la relation entre le client et l’entreprise, les technologies digitales sont souvent perçues comme un moyen appuyant le nouveau rôle du consommateur (Cova, 2008). Un consommateur désormais, plus libre, acteur de sa consommation (Firat et Dholakia, 2006) et co-créateur de sa valeur (Prahalad et Ramaswamy, 2004 ; Lusch et Vargo, 2006). Consolidées par l’usage des nouvelles technologies, plusieurs types de valeurs, venant enrichir son expérience de consommation, peuvent être distinguées : fonctionnelle, monétaire, informationnelle, émotionnelle et sociale (Gonzalez et al., 2012). Le Tableau 1 ci-dessous présente des exemples chronologiques de travaux, des dix dernières années, sur les valeurs perçues par le client d’une expérience de co-création par la technologie, dans différents domaines.

Tableau 1

Synthèse de la littérature sur les valeurs perçues par le client d’une expérience de co-création par la technologie

Tableau 1
Auteurs Contexte Valeurs Dong et al. (2008) Co-production en SAV Auto-accomplissement, confiance dans les compétences, joie, indépendance Merle et al. (2008) Co-design de chaussures Hédonique et réalisation créative Pihlström et Brusch (2008) Services mobiles Sociale, émotionnelle, conditionnelle, monétaire, commodité, épistémique Kim et Han (2011) Services mobile Utilitaire et hédonique Gonzalez et al. (2012) Applications mobiles Optimisation du choix, situationnelle, utilitaire, économique, de commodité, informationnelle, hédonique, récréative, de réassurance, esthétique et du lien social. Yim et al. (2012) Co-production de services Économique, relationnelle, récréative Mencarelli et Rivière (2014) Selfs services technologies Bénéfices (valeurs perçues) : fonctionnel, temporel, ludique, d’autonomie. Coûts (valeurs détruites) : monétaire, fonctionnel, risque perçu, psychologique, temporel, éthique, relationnel, informationnel, d’équité Blazquez (2014) Co-création d’expérience de shopping Utilitaire et hédonique Ström et al. (2014) Mobile marketing Utilitaire, émotionnelle, sociale, monétaire Beck et Crié (2015) Nouvelles aides à la vente et à l’achat (NAVA) Récréative, de loisir, pratique, d’efficience Abbes et Hallem (2016) Co-création d’expérience de service Intrinsèque orienté vers soi : récréative, émotionnelle, esthétique, d’évasion, d’appropriation. Extrinsèque – orienté vers soi : de commodité, économique, informationnelle, d’optimisation, d’apprentissage, de réassurance. Extrinsèque – orienté vers les autres : du lien social.

Synthèse de la littérature sur les valeurs perçues par le client d’une expérience de co-création par la technologie

9Il semblerait ainsi que les valeurs perçues de l’expérience de co-création soient riches et diverses et qu’elles puissent être davantage consolidées par l’apport de la technologie, tout particulièrement, digital mobile (Abbes et Hallem, 2016).

10Cependant, l’ensemble de ces valeurs perçues par le digital semble se limiter à un engagement comportemental, individualiste et opportuniste de la part du consommateur qui cherche à atteindre ses objectifs de consommation (comportements in-role). De tels comportements s’avèrent insuffisants pour considérer la technologie digitale comme une plateforme d’engagement dans un processus de co-création de valeur.

1.2 – Le digital : une plateforme pour créer de la valeur pour l’entreprise

11La co-création de valeur implique la création réciproque et conjointe de valeurs aussi bien pour le client que pour l’entreprise (Ramaswamy, 2009) et donc l’engagement du consommateur dans des comportements dits ex-role (Leclercq et al., 2016). Ce type de comportement nécessite l’implication volontaire des clients dans une ou plusieurs étapes de la chaîne de valeur de l’entreprise allant de la conception du produit/service, à sa promotion (Dholakia et al., 2010) en passant par son évaluation (Prahalad et Ramaswamy, 2004). Les technologies digitales semblent favoriser la collaboration du client avec l’entreprise, aussi bien en amont, qu’en aval de son offre (Hamdi Kidar, 2013). En amont de son offre, l’entreprise peut avoir recours à ces technologies pour répondre à un problème donné (l’innovation ouverte, l’open-source, le crowdsourcing ou la co-innovation), créer ou personnaliser une offre (la customisation de masse, la personnalisation ou le co-design) ou la promouvoir (le crowdsourcing de compagnes publicitaires ou la sollicitation de leaders d’opinions). En aval de son offre, l’entreprise peut avoir recours à ces technologies pour coproduire son service (Self-Service Technologie), comprendre la valeur attribuée à son offre (Users Generated Content) ou faire remonter l’information sur l’usage de son produit en vue de l’améliorer (discussion en ligne au niveau du service après-vente).

12Ainsi, la technologie digitale semble offrir d’innombrables possibilités aux entreprises pour placer leur client au cœur de leur pensée stratégique et l’engager dans un processus de co-création de valeur. Le Web 2.0 se révèle être un outil incontournable et un nouveau relais, d’innovation mais également de promotion pour les entreprises (Dholakia et al., 2010). En effet, une nouvelle forme d’échange client-entreprise vit le jour avec le développement des médiats sociaux considérés comme une plateforme d’interaction et de création de contenu en ligne. Sur ces plateformes, les consommateurs interagissent entre eux et avec l’entreprise, font part de leur opinion et partagent du contenu (photos, vidéos, textes). Ils endossent ainsi le rôle de partenaires de l’entreprise ou de la marque en participant à la création de son image, de son identité et en relatant un contenu promotionnel, via ces réseaux sociaux (N’Goala et Morrongiello, 2014). Ceci va de pair avec le concept d’Users Generated Content (UGC) défini comme étant du contenu multimédia produit principalement par les consommateurs et non par des professionnels rémunérés, via Internet. Ces actions profitent aux entreprises/marques et leur permettent d’assurer une meilleure visibilité. Les consommateurs se sentent en général plus engagés envers la marque quand cette dernière leur permet de créer et de partager du contenu avec elle (N’Goala et Morrongiello, 2014). Cependant, l’engagement du client dans ce type de processus n’est pas systématique et dépend fortement du design de ces technologies (plateformes d’engagement) et de leur ancrage stratégique (Nambisan et Baron, 2009). Identifier les facteurs explicatifs de cet engagement pourrait nous renseigner sur le design de ces plateformes d’engagement et la stratégie dans lesquelles elles doivent s’inscrire.

2 – Comment engager les clients dans un processus de co-création avec l’entreprise ? Les caractéristiques requises des plateformes d’engagement digitales

13Impliquer les clients sur une plateforme d’engagement, se révèle être une condition sine qua non à l’efficacité du processus de co-création de valeur client-entreprise (Leclercq et al., 2016).

2.1 – Les facteurs explicatifs de l’engagement du client dans une activité de co-création en ligne

14Selon Van Doorn et al. (2010), la contribution des consommateurs sur les plateformes d’engagement en ligne est expliquée par trois principaux facteurs : des facteurs liés au consommateur, des facteurs liés au contexte de la co-création et des facteurs liés à l’entreprise. Nous détaillons, dans ce qui suit les facteurs liés au consommateur et ceux liés à l’entreprise. Les facteurs liés à l’environnement (politiques, juridiques, économiques, etc.) ne seront pas présentés puisqu’ils échappent au contrôle de l’entreprise.

15Pour les facteurs liés aux clients, Van Doorn et al. (2010) citent en premier lieu le degré de satisfaction du client envers la marque, ensuite la confiance ou encore la perception de la performance. D’autres facteurs liés aux motivations intrinsèques du consommateur peuvent prédire son engagement. Il s’agit de la recherche du profit (une offre spéciale ou l’obtention d’une récompense) ou encore du lien social. Le sens de la moralité qui se traduit par un désir d’aide à autrui, le désir de s’améliorer (faire évoluer ses connaissances, savoir-faire, etc.), ou encore le désir de reconnaissance par les autres, sont autant de caractéristiques psychologiques pouvant influencer l’engagement du client à co-créer avec la marque. Enfin, les ressources du consommateur, telles que le temps, l’effort et l’argent peuvent également influer sur son niveau d’engagement.

16Quant aux facteurs liés à l’entreprise/marque, susceptibles d’engager le client dans un processus de co-création, Van Doorn et al., (2010) considèrent la réputation ou le capital marque comme le principal déterminant. En effet, une bonne réputation et un niveau élevé de capital marque engendrent des niveaux élevés d’engagement de la part des clients. De plus, pour renforcer l’engagement de leurs clients, les entreprises développent des procédés et mettent en place des plateformes technologiques pour soutenir les actions de leurs clientèles en leur permettant d’exprimer leurs points de vue, suggestions et idées. Dans d’autres cas, les entreprises peuvent mettre en place des stratégies et fournir des plateformes pour faciliter l’engagement des clients entre eux : organiser des événements, des meetings ou encore mettre en place des forums de discussion en ligne permettant aux clients de partager leurs idées. Les entreprises peuvent également engager leurs clients en développant des processus d’apprentissage collectifs (ex. formations en ligne) ou encore en leurs fournissant des récompenses, certains privilèges et autres types d’incitations. À cette série de facteurs explicatifs de l’engagement du client dans une activité de co-création en ligne avec l’entreprise, une récente recherche attribue un rôle central à l’attachement et au désir d’apporter une aide altruiste à la marque (N’Goala et Morrongiello, 2014). Ils considèrent l’engagement du client sur le Web 2.0 comme une sorte d’activisme. Un comportement de défense et de promotion de la marque. Cet engagement peut être à la fois comportemental (défense et promotion de la marque) qu’attitudinal (attachement à la marque). L’ensemble des facteurs évoqués dans la littérature pour favoriser/expliquer l’engagement du consommateur dans une activité de co-création en ligne avec l’entreprise sont fortement imprégnés par le caractère contextuel de l’étude. En effet, face à une série de motivations, de variables psychologiques et situationnelles théorisées ou identifiées de façon exploratoire, seules quelques variables sont validées dans un contexte donné d’étude (N’Goala et Morrongiello, 2014). D’où la nécessité d’une tentative de formalisation pour dégager les caractéristiques génériques requises par ces plateformes pour engager le client dans une activité de co-création en ligne avec l’entreprise.

2.2 – Les apports de la théorie de l’engagement

17La théorie de l’engagement (Joule et Beauvois, 1998) peut constituer un cadre théorique intéressant permettant d’expliquer l’engagement du consommateur dans un processus de co-création avec l’entreprise. Il s’agit d’impliquer le consommateur sur des plateformes technologiques connectées qualifiées à cet effet de plateformes d’engagement. La théorie de l’engagement a été mobilisée dans certains travaux en marketing pour expliquer l’engagement du consommateur sur Internet, favoriser ses achats en ligne et le fidéliser (Helme-Guizon et Amato, 2004). Cette même théorie a été mobilisée par Yildiz (2007) pour rendre compte du processus de la permission lors de réception de courriels marketing, en considérant que l’acte de compléter un formulaire de permission en ligne, engage le client pour l’avenir.

18La théorie de l’engagement prédit « des effets d’influence sur le comportement d’autrui obtenus non pas par le recours à la persuasion, mais par l’obtention de comportements préalables » (Joule et Beauvois, 1998). Ce résultat peut être obtenu en adoptant deux principales techniques : la technique d’amorçage ou celle du pied-dans-la-porte. Pour expliquer la relation entre la mise en place de dispositifs technologiques et l’engagement du client dans un processus durable de co-création de valeur avec l’entreprise, nous mobilisons la technique du pied-dans-la-porte. Ainsi, une première action peut en préparer une seconde, celle de co-créer de la valeur avec l’entreprise/marque. Cependant, pour que cette première action soit engageante, elle doit réunir un certain nombre de conditions : (1) le sentiment de liberté associé à l’acte ; (2) le manque de justifications ; (3) les conséquences de l’acte ; (4) le caractère public de l’acte ; (5) le caractère coûteux de l’acte ; et (6) le caractère irréversible de l’acte. À titre d’exemple, obtenir la participation d’un client en contrepartie d’une récompense ne constitue pas un acte d’engagement durable envers l’entreprise dans la mesure où la première condition de liberté est violée (Yildiz, 2007).

3 – Terrain d’étude et méthodologie de recherche

19Pour vérifier le rôle des technologies digitales mobiles à engager les consommateurs dans un processus de co-création de valeur avec l’entreprise et afin d’identifier leurs caractéristiques requises, nous inscrivons cette recherche dans une démarche exploratoire. Nous étudions ainsi le cas du Photomaton 2.0, comme exemple de technologie digitale mobile, en nous intéressant à la marque pionnière : la Sharingbox. Deux types d’entretiens semi-directifs sont menés : des entretiens auprès des utilisateurs de la Sharingbox à l’occasion d’événements de marques et des entretiens auprès des managers responsables d’une filiale de cette entreprise. Le premier type d’entretien permet d’identifier les valeurs perçues par les utilisateurs de la Sharingbox, les répercussions de cette expérience sur la marque hôte de cet événement ainsi que la nature de la relation qu’ils comptent entretenir avec cette dernière. En vue de mieux approfondir nos connaissances sur les valeurs perçues par ces entreprises et afin d’évaluer les retombées stratégiques de ce type de dispositif, nous procédons à des entretiens auprès des membres de l’équipe Sharingbox et nous nous aidons d’une interview filmée par TV5 Monde, auprès du co-fondateur de l’entreprise Sharingbox internationale.

3.1 – Description du terrain

20Cette recherche porte sur la digitalisation éphémère d’un événement de marque par le biais du Photomaton 2.0 : le cas de la Sharingbox. Il s’agit de la marque pionnière de ce service en Europe. La Sharingbox [3] est un appareil photo connecté permettant aux participants de se prendre en photo ou d’enregistrer des mini-séquences vidéos griffées par la marque/l’événement, de les imprimer et de les partager instantanément sur les réseaux sociaux. Ce type de dispositif a pour fonction d’animer tout genre d’événements et d’assurer une communication virale efficace pour les marques et les enseignes qui y recourent.

21Une fois devant la Sharingbox, le client de la marque hôte a la possibilité de se prendre en photo individuellement ou en groupe. Grâce à l’effet miroir dont dispose la Sharingbox, il peut aisément tester différentes poses avant d’adopter la pose qui lui convient. L’utilisateur de la Sharingbox a également la possibilité de refaire la photo autant de fois qu’il le juge nécessaire pour n’imprimer que la meilleure. Des photos exclusivement créées par les invités et griffées par la marque hôte sont ainsi envoyées aux adresses mails respectives de leurs auteurs avec la possibilité de les partager instantanément sur leurs réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Twitter), s’ils le désirent. Les photos ainsi collectées par la marque seront publiées sur le site web et les médiats sociaux de la marque hôte.

3.2 – Méthode de collecte des données

22En vue d’évaluer le rôle de la Sharingbox, comme exemple de technologie digitale mobile, susceptible de favoriser l’engagement des clients participants à un événement de marque, dans un processus de co-création de valeur avec l’entreprise, nous procédons à deux types d’entretiens semi-directifs. En effet, trente-deux entretiens semi-directifs sont menés, auprès d’invités à trois événements de marques : le lancement de la nouvelle Audi A4 ; le lancement du rouge à lèvres Interdit Vinyl de Givenchy ; et le lancement de la 4G d’Orange. Cet échantillon se compose de 20 femmes et de 12 hommes d’âges (20 ans et 50 ans) et de CSP assez variées. Certains ont déjà testé le concept de la Sharingbox, d’autres, l’expérimentent pour la première fois. Les entretiens semi-directifs se sont déroulés après avoir expérimenté la Sharingbox, pour une durée moyenne de trente minutes. Les participants ont été interviewés autour de six thématiques majeures : l’appréciation globale de la présence de la Sharingbox dans l’événement, la description de leur expérience avec la Sharingbox, l’ensemble des pensées et des émotions ressenties lors de cette expérience, leur perception de la marque hôte et enfin leurs intentions de comportement envers cette dernière. Pour compléter ces entretiens, six entretiens semi-directifs sont menés auprès de managers et de responsables d’une filiale de l’entreprise Sharingbox. Les interviewés ont été interrogés, pour une durée moyenne de quarante-cinq minutes, autour de trois thèmes : l’activité et la stratégie de l’entreprise Sharingbox ; les motivations des marques qui font appel à leur service ; et enfin leurs valeurs ajoutées.

3.3 – Méthode d’analyse des données

23Les deux types d’entretiens ont été intégralement retranscrits. Des outputs de 135 pages pour les entretiens auprès des clients et d’une quarantaine de pages pour les entretiens auprès des managers, complétés par la retranscription de l’interview filmée par TV5 Monde avec le co-fondateur de l’entreprise Sharingbox internationale, ont fait l’objet d’une analyse de contenu thématique. En effet, conformément aux recommandations de Miles et Huberman (2003), nous avons établi une liste de pré-codes inspirée des éléments identifiés dans la littérature, affinée et complétée à partir des codes émergents des données collectées. Ensuite chaque chercheur a procédé d’une façon indépendante à l’analyse et au classement des verbatim par thèmes, puis ils ont travaillé conjointement afin d’aboutir à une seule et même codification.

4 – La Sharingbox : une plateforme d’engagement dans un processus de co-création de valeur ?

24Vérifier le caractère engageant de l’acte de se prendre en photo par la Sharingbox à l’occasion d’un événement de marque revient à identifier les valeurs perçues par les clients et celles perçues par l’entreprise (Ramaswamy et Ozcan, 2014).

4.1 – La Sharingbox : une plateforme de création de valeur pour le client

25L’analyse des discours recueillis auprès des clients a permis d’identifier huit types de valeurs perçues par les utilisateurs de la Sharingbox : récréative, émotionnelle, psychologique, d’évasion, de commodité, d’optimisation, d’expression de soi et du lien social.

4.1.1 – La valeur récréative

26L’expérience de se prendre en photo par la Sharingbox renferme une forte valeur récréative comme l’amusement et le divertissement. Souvent, devant l’objectif de cet appareil, les gens se lâchent et se prêtent au jeu. La valeur récréative perçue de l’expérience de la Sharingbox parait fortement corrélée au caractère interactif de la technologie digitale mobile (Gonzalez et al., 2012) et s’apparente aux bénéfices ludiques évoqués par Mencarelli et Rivière (2014) dans le cas des Self-Services Technologies (SST). Les répondants s’accordent sur le bon temps passé lors de l’événement et saluent cette initiative prise par la marque. La valeur récréative est unanimement évoquée par tous les interviewés participants aux différents événements de marque (Audi, Givenchy et Orange). « Nous faisions des grimaces en nous prenant en photo avec la Sharingbox. C’était très drôle, nous nous amusons beaucoup » (Lynda, 21 ans, événement Orange).

4.1.2 – La valeur émotionnelle

27La valeur émotionnelle renvoie à la composante hédonique de l’expérience qui décrit le degré de plaisir et de joie perçus par le client de l’expérience de se prendre en photo par la Sharingbox (Pihlström et Brush, 2008). L’aspect émotionnel de l’expérience surgit dans les différents propos des répondants, participants aux différents événements. Ces derniers s’accordent sur le plaisir, l’excitation, la joie et la bonne humeur perçus de l’expérience Sharingbox. « Je prends beaucoup de plaisir en me prenant en photo avec la Sharingbox, je ressens beaucoup de joie et d’excitation » (Maya, 35 ans, Audi) ; « Me photographier avec la Sharingbox me met de bonne humeur, ça stimule mes sens et me permet de passer un moment agréable » (Lyn, 23 ans, Givenchy).

4.1.3 – La valeur psychologique

28La valeur psychologique fait référence à la capacité d’une technologie digitale à procurer de la détente, voire du bien-être au client (Abbes et Hallem, 2016), avec la présence d’un lexique où l’on parle de détente et de lâcher prise dans la plupart des discours des participants aux différents événements. « À chaque fois que j’utilise la Sharingbox, je me sens bien, je me détends et je me laisse aller devant l’objectif de l’appareil » (Amel, 26 ans, Givenchy) ; « D’habitude je suis très anxieuse devant l’objectif d’un appareil photo. Grâce à la Sharingbox, je suis plus détendue, plus à l’aise. Je me sens vraiment bien » (Kenza, 28 ans, Audi).

29Cependant, certains utilisateurs ne cachent pas leur mal-être et leur anxiété devant l’objectif de la Sharingbox. Cette réaction émane du discours de certains répondants de l’événement de la marque Orange (3 individus sur les répondants d’Orange). « Je me suis sentie mal à l’aise devant l’objectif de la Sharingbox, tout le monde me regardait, je n’ai même pas pu poser pour la photo, j’étais crispée » (Marie, 24 ans, Orange).

4.1.4 – La valeur d’évasion

30La valeur d’évasion dans le cas d’une expérience digitale renvoie à un aspect fantastique lié à des images imaginaires, recouvrant l’aspect fantasmatique de la consommation (Abbes et Hallem, 2016). Cet état émotionnel ressenti durant l’expérience de se prendre en photo par la Sharingbox, va au-delà du sentiment de bien-être, de plaisir ou encore d’amusement puisque nous avons constaté la récurrence de certaines expressions métaphoriques en relation avec l’évasion et le fantasme. Une immersion totale dans l’expérience de la Sharingbox qui s’apparente à un état de « flow » caractéristique des expériences dites optimales. Cette valeur se révèle exclusive aux participants aux événements des marques Givenchy et Audi. « Poser devant la Sharingbox m’a permis de me sentir comme une star, défilant sur le tapis rouge, avec tous les yeux rivés sur moi » (Anais, 20 ans, Givenchy) ; « En me prenant en photo avec la Sharingbox, je m’oublie, je m’imagine comme l’égérie de Givenchy » (Lilia, 25 ans) ; « Je me suis imaginé comme un pilote de Formule 1 au volant d’une Audi posant pour célébrer sa victoire » (Samy, 42 ans, Audi).

4.1.5 – La valeur de commodité

31La commodité fait allusion à la facilité d’usage et au gain de temps et d’effort perçus par l’utilisateur d’un produit, d’un service ou d’une technologie (Gonzalez et al., 2012 ; Ström et al., 2014, Abbes et Hallem, 2016). La commodité traduit dans le cas de la Sharingbox, le fait de se prendre en photo et de se l’envoyer par mail en plus de la recevoir en format papier, sur place, tout en étant libre de la partager instantanément ou pas sur les réseaux sociaux. Cette valeur apparaît dans la plupart des récits des participants aux différents événements de marques. « Je trouve que c’est important de pouvoir s’envoyer la photo directement par mail, et de pouvoir la garder en version numérique, en plus du format papier que je reçois sur place » (Lina, 28 ans, Givenchy) ; « La Sharingbox fait le boulot à ma place : plus besoin de me fatiguer à essayer de faire des selfies ratés » (Victoria, 34 ans, Audi).

4.1.6 – La valeur d’optimisation

32La valeur d’optimisation souligne le rôle des technologies digitales à répondre aux besoins d’efficacité (Gonzalez et al., 2012 ; Ström et al., 2014 ; Abbes et Hallem, 2016) traduisant le souci de l’utilisateur de la Sharingbox à obtenir un résultat esthétiquement optimal en termes de qualité, de clarté et de bonne résolution de la photo mais aussi en termes de pose. En effet, grâce au caractère interactif et à l’effet miroir fourni par la Sharingbox, l’utilisateur peut se prendre en photo plusieurs fois, expérimenter plusieurs poses avant de choisir la meilleure. La prise de photo étant optimisée par l’effet miroir qui permet à l’utilisateur de se voir pendant la prise, sans oublier, que chaque photo serait griffée avec la marque de l’événement (insérée dans un cadre ou portée une signature) chose qui la rendra unique et encore plus belle. Cette valeur est exprimée dans le discours des participants aux différents événements. « La Sharingbox me permet de recevoir une belle photo griffée par le nom/logo de la marque, de très bonne qualité et avec une bonne résolution » (Sarah, 23 ans, Givenchy) ; « La Sharingbox est un appareil interactif magique qui me permet d’avoir la meilleure apparence possible. Grace à son effet miroir, je peux arranger mes cheveux, redresser le col de ma chemise, changer d’expression, me photographier et me re-photographier jusqu’à obtenir la photo parfaite » (Adan, 27ans, Audi).

4.1.7 – La valeur d’expression de soi

33La valeur d’expression de soi correspond à la pratique de se montrer à travers la consommation, les possessions ou même l’expérience vécue. Reflet de l’identité, la consommation est souvent considérée comme un moyen de se distinguer socialement. Fortement évoquée dans les discours des répondants des événements des marques Givenchy et Audi, cette valeur fait référence au concept d’exhibitionnisme en psychologie qui considère la consommation comme moyen d’expression et d’affirmation d’un soi idéal aux yeux de la société. Se prendre en photo par la Sharingbox à l’occasion d’un événement de marque et montrer la photo à ses amis ou la partager sur les réseaux sociaux est un moyen de s’exprimer comme étant une personne branchée et importante. « Je me sens important en voyant ma photo griffée Audi. Je suis très fier de la partager sur ma page et de voir tous ces “j’aime” et ces commentaires » (Mehdi, 26 ans, Audi) ; « Partager ma photo signée Givenchy c’est m’affirmer en tant que personne classe et chic » (Emma, 36 ans, Givenchy).

4.1.8 – La valeur du lien social

34La valeur du lien social souligne les interactions sociales survenues lors de l’expérience de se prendre en photo par la Sharingbox. Le recours à la technologie digitale lors d’événements de marques parait comme un moyen de communion, de partage et d’interactions sociales (Gonzalez et al., 2012 ; Abbes et Hallem, 2016). Se réunir devant l’objectif de la Sharingbox crée une vraie occasion de tisser des liens et d’apprécier des moments de convivialités et de partage avec les amis, les autres participants et même avec l’équipe de la Sharingbox. Cet aspect convivial est soulevé par tous les répondants participants aux différents événements de marques. « J’ai pris du plaisir à me prendre en photo avec des amis, nous n’avons pas cessé de nous photographier, avec à chaque fois une pose différente et plein de grimaces et de fous rires » (Cyrin, 26 ans, Orange) ; « Devant l’objectif de la Sharingbox j’ai sympathisé et fait la connaissance d’autres invités. Un vrai moment de convivialité et de partage » (Anis, 37 ans, Orange) ; « Le personnel de Sharingbox était très chaleureux et patient, nous étions nombreux, et assez exigeants » (Camélia, 25 ans, Audi).

4.2 – La Sharingbox : une plateforme de création de valeur pour l’entreprise

35Outre les valeurs perçues par le client, de l’expérience Sharingbox, son engagement dans ce type d’expérience se révèle source de valeurs pour l’entreprise également. Le Tableau 2 présente des extraits de discours des clients utilisateurs, responsables et managers de l’entreprise Sharingbox, illustrant cinq valeurs perçues par les marques qui recourent à ce dispositif :

  1. collecter des informations sur le client : disposer d’une information fiable sur ses clients, permet aux entreprises de mieux les cibler par des offres personnalisées et ainsi de mieux les satisfaire ;
  2. interagir avec le client : maintenir le contact avec le client au cours mais aussi après l’expérience de la Sharingbox présente un fort intérêt pour l’entreprise et constitue la deuxième condition théorisée par Leclercq et al. (2016) pour considérer la Sharingbox comme une plateforme d’engagement dans un processus de co-création de valeur avec la marque ;
  3. créer un lien affectif avec le client : offrir à ses clients une photo signée par la marque, leur permet de se rappeler de l’événement et par voie de conséquence de se souvenir de la marque. Ce souvenir peut constituer le début d’un lien affectif précurseur d’attachement (N’Goala et Morrongiello, 2014) ;
  4. améliorer l’image de la marque : faire appel à ce type de dispositif technologique pour animer un événement de marque semble affecter la perception des clients de cette dernière et déteindre sur son image (N’Goala et Morrongiello, 2014). Elle sera ainsi perçue comme étant une marque moderne, créative et innovante mais surtout une marque intentionnée qui sait se rapprocher de ses clients ;
  5. engager le client : faire l’expérience de la Sharingbox est susceptible d’influencer d’une certaine façon les intentions de comportement des utilisateurs de la marque et donc leur engagement envers cette dernière (Van Doorn et al. 2010). Cette influence peut prendre plusieurs formes et aller d’une intention de partager sa photo marquée sur les réseaux sociaux à des intentions d’achat et un véritable engagement envers la marque. En effet, avec l’évolution des TIC, les manifestations de l’engagement du client envers une marque/enseigne ont également évolué d’un comportement d’achat à des comportements de bouche-à-oreille électronique, de recommandations et de partage en ligne, d’aide aux autres clients, de blogging et de rédaction de commentaires (Van Doorn et al., 2010 ; N’Goala et Morrongiello, 2014).

Tableau 2

Les valeurs perçues par l’entreprise de l’usage de la Sharingbox

Tableau 2
Valeur Verbatim Collecter des informations sur le client « Au-delà du fun et de l’animation de l’événement, des actions post événement sont possibles. Il s’agit de fournir une base de données à nos clients (marques) contenant des numéros de téléphones, des mails, noms et prénoms et même des cv, dans le cas d’un événement professionnel » (Directeur général filiale Sharingbox). Interagir avec le client « Le deuxième avantage avec la Sharingbox est que même l’e-mail est personnalisable. Si l’entreprise a un nouveau produit, elle peut incorporer le lien au mail de la photo. Ça peut être aussi un bon de réduction. Votre photo vaut X euros, montrez votre photos dans nos stores et recevez X % de réduction. Donc ce dispositif génère du trafic et du revenu… » (Cofondateur de l’entreprise Sharingbox internationale, Sydney Valenta)
Tableau 2
Valeur Verbatim Créer un lien affectif avec le client « Le premier intérêt de cette machine est le lien émotionnel qu’on va créer entre l’utilisateur et la marque : l’utilisateur va repartir chez lui avec une photo personnalisée avec la marque, le lien émotionnel est établit. La photo va se retrouver sur son frigo, sera utilisée comme marque page… » (Cofondateur de l’entreprise Sharingbox internationale, Sydney Valenta) ; « Cette photo est comme un cadeau souvenir de Givenchy. Un cadeau personnalisé, unique et avec une forte valeur émotionnelle » (Rachel, 30 ans, Givenchy) Améliorer l’image de la marque « La Sharingbox est un outil marketing et communicationnel, une box festive et personnalisable qui sert à prendre des photos et se base sur ces photos pour soigner l’image de la marque. Elle permet de véhiculer une image de joie et de bonne humeur associée à la marque » (Directeur marketing Sharingbox) ; « Audi se modernise, à l’image de sa nouvelle A4… » (Adan, 27 ans, Audi). Engager le client « 75 % des personnes qui se prennent en photos avec la Sharingbox, les diffusent directement sur les réseaux sociaux » (Responsable community manager) ; « … ses fonctionnalités génèrent des comportements et des retombées stratégiques importantes. En diffusant sa photo sur les réseaux sociaux, ce dernier s’engagera dans une activité de co-promotion avec la marque » (Directeur marketing Sharingbox) ; « Je ne vous cache pas qu’une fois qu’on a participé à ce genre d’événement et qu’on s’est déclaré membre de la communauté Audi en exhibant sa photo prise par la Sharingbox sur Facebook, il me semble plus logique d’en conduire une ! » (Maryline, 40 ans, Audi) ; « Ma photo Givenchy ! J’adore ! J’aimais bien cette marque auparavant mais là c’est différent. Je ressens que je suis l’ambassadrice de cette marque… je n’hésiterai pas à partager mon expérience de ses produits avec mes amies. D’ailleurs je viens de partager ma photo Givenchy, portant le nouveau rouge à lèvre Vinyl, sur Facebook et Instagram » (Nadia, 30 ans, Givenchy)

Les valeurs perçues par l’entreprise de l’usage de la Sharingbox

4.3 – La contingence de l’engagement en ligne au type de l’expérience

36Les témoignages recueillis aussi bien auprès des managers que des utilisateurs de la Sharingbox laissent penser que l’acte de se prendre en photo par la Sharingbox est un acte engageant dans un processus de co-création en ligne mais aussi hors ligne avec l’entreprise. Les conditions de la théorie d’engagement semblent s’appliquer à l’expérience de la Sharingbox (la liberté de l’acte de se prendre en photo, son manque de justifications, son caractère public, ses conséquences, son caractère couteux et irréversible en termes d’image) Cependant, nous constatons que le type et l’intensité de l’engagement des participants ne sont pas tous les mêmes. En effet, les participants à l’événement Givenchy semblent avoir le plus fort taux/d’intention de partager leurs photos marquées sur les réseaux sociaux, suivie d’Audi et enfin d’Orange. Il en est de même pour les intentions d’achat et de bouche-à-oreille sur les produits de la marque en question. Cette variation pourrait être expliquée par la diversité des expériences vécues (valeurs perçues clients). En effet, l’analyse de contenu des discours recueillis permet de constater que tous les participants à l’expérience Sharingbox ont perçu un ensemble de valeurs tout particulièrement de nature émotionnelle et/ou récréative. Cependant, une analyse de contenu verticale en fonction du type de participation (partager sa photo/absence d’intention de partager sa photo sur les réseaux sociaux) permet de constater que tous ceux qui affirment partager ou avoir l’intention de partager leur photo sur les réseaux sociaux évoquent des valeurs de commodité, d’optimisation, sociale, d’évasion et dans une moindre mesure d’expression de soi. En revanche, tous ceux qui affirment ne pas avoir l’intention de partager leur photo, se révèlent appartenir essentiellement aux clients d’Orange et dans une moindre mesure aux clients d’Audi. Ces derniers justifient leur position par le fait de ne pas être particulièrement actifs sur les réseaux sociaux ou bien parlent de leurs convictions personnelles de ne pas vouloir exhiber leur vie privée sur les réseaux sociaux : « À vrai dire, je n’aime pas trop partager du contenu sur mes réseaux, ni exposer ma vie » (Cyrin, 26 ans, Orange). Ce qui ne les empêche pas de parler directement à leur entourage de leur expérience avec la marque (BAO) : « …. par contre je n’hésiterais pas à parler de cet événement à mon entourage » (Cyrin, 26 ans, Orange). Cependant, nous constatons que certains d’entre eux, et qui sont exclusivement des clients d’Orange, parlent d’anxiété devant l’objectif de la Sharingbox : « Le regard froid de cet appareil m’angoissait, une photo sans âme c’est ce que j’ai obtenu ! » (Baya, 30 ans, Audi) ; ou bien ne semblent pas satisfaits de leur photo : « J’ai dû refaire la photo à plusieurs reprises pour avoir soit disant la bonne photo et finalement, elle n’était pas réussie. Je me suis lassée vers la fin ! » (Lydia, 28 ans, Orange). Ainsi, la valeur psychologique, d’optimisation ou encore de commodité peuvent être détruites par l’expérience de la Sharingbox. Ce constat pourrait expliquer pour certains, l’absence d’intention de comportement favorable envers la marque d’une façon générale et d’intention de partager leur photo d’une façon plus spécifique.

5 – Discussion

37Les résultats ainsi obtenus permettent de considérer la Sharingbox comme une plateforme d’engagement dans un processus de co-création de valeur client-entreprise. En effet, la littérature préconise trois caractéristiques pour considérer les dispositifs technologiques comme des plateformes d’engagement : (1) engager les consommateurs dans des comportements extra-role orientés vers l’entreprise, (2) interagir avec eux au cours du processus de co-création de valeur et (3) maintenir leur engagement dans le temps (Leclercq et al., 2016).

5.1 – Engager le client dans des comportements extra-role

38Les discours recueillis témoignent du pouvoir de cette technologie à engager le client dans un processus de création de sa propre valeur mais aussi de création de valeur pour l’entreprise hôte de l’événement. Au-delà de la recherche de divertissement, d’amusement, d’évasion ou même de commodité et d’optimisation (in-role), les participants à l’expérience Sharingbox semblent aussi adopter des comportements orientés vers l’entreprise (extra-role) tels que des actions de partage de leur photo griffée par le nom de la marque sur les réseaux sociaux (Kumar et al., 2010 ; Van Doorn et al., 2010). Ce comportement a été fortement constaté chez les participants aux événements Givenchy et Audi, sans doute en raison de leur forte image de marque synonyme de prestige et de glamour. Bien que ce type d’actions semble servir de prime abord à son auteur (valeur d’expression de soi), il permet une forme de promotion pour la marque. En effet, partager sa photo signée par la marque sur les réseaux sociaux est une forme de bouche-à-oreille (BAO) dit électronique. Ce type de contenu généré par les utilisateurs et les fans de la marque (UGC : User Generated content) représente une réelle opportunité pour les entreprises afin d’améliorer leur notoriété et atteindre une cible plus large. Plus crédible et fiable que les sources traditionnelles, ce contenu généré par les clients influence les intentions et les comportements des autres clients utilisateurs exposés à ce contenu (Kumar et al. 2010). Adopter ce type de comportement, fait du consommateur un partenaire à part entière de l’entreprise, co-acteur de sa stratégie de communication et co-promoteur de son image (Cova, 2008).

5.2 – Interagir avec le client au cours du processus de co-création

39Le concept du Photomaton 2.0 s’inscrit dans les stratégies de digitalisation du lieu de vente considérées comme un moyen de promotion de l’offre de l’entreprise (N’Goala et Morrongiello, 2014) et de valorisation de l’expérience vécue par leurs clients (Abbes et Hallem, 2016). Dans la sphère marchande de la consommation (à l’intérieur du lieu de vente ou à l’occasion d’événement de marque), l’entreprise cherche à interagir avec ses clients et à personnaliser son offre au cours et même après leur expérience de visite. Le commerce connecté offre cette alternative avec à titre d’exemple, l’usage de Beacons dans les points de vente et les centres commerciaux (des balises de proximité). Outre ces stratégies de digitalisation permanente des points de vente, des actions de digitalisation plus éphémères sont susceptibles d’assurer ces mêmes avantages. L’usage du photomaton nouvelle génération (Photomaton 2.0) en est un exemple. En effet, convier le client au stand de la Sharingbox, permet d’interagir avec lui (se photographier), de l’impliquer dans un processus de création de valeur avec l’entreprise (partager sa photo sur les réseaux sociaux) et de collecter de l’information fiable sur ce dernier (ex. adresse mail, questions ciblées, etc.). Cette information collectée permettra à l’entreprise de maintenir l’échange et l’interaction avec le client, au-delà de cette expérience. Cependant, la question sur la capacité de tous ces dispositifs technologiques à maintenir l’engagement du client, demeure sans réponse (Nambisan et Baron, 2009).

5.3 – Maintenir l’engagement du client dans le temps

40Maintenir dans le temps l’engagement des clients à co-créer avec l’entreprise/ la marque constitue la troisième condition sine qua non soulevée par la littérature pour pouvoir considérer la Sharingbox comme une plateforme d’engagement (Leclercq et al., 2016). Notre analyse des discours recueillis a permis de constater que l’expérience de la Sharingbox est susceptible d’agir sur les intentions de comportement des utilisateurs, bien au-delà de l’expérience de l’événement. En effet, les utilisateurs de la Sharingbox lors d’événements de marques, manifestent leur engagement à l’égard de ces dernières en exprimant leurs intentions de : partager leur expérience avec la marque (photos prises avec la Sharingbox) sur les réseaux sociaux (e-BAO), recommander la marque et ses produits à leur entourage (BAO) et même acheter cette marque quand l’occasion se présentera. Vivre l’expérience Sharingbox et percevoir des valeurs récréatives, émotionnelles, psychologiques et d’évasion, favorisent l’immersion du participant dans l’univers de la marque. Elle lui donne envie de partager son expérience avec ses proches et ses amis. En plus de ce désir de socialisation, exhiber une belle photo prise par la Sharingbox (valeur d’optimisation et de commodité), griffée par la marque est un moyen de s’affirmer comme membre de cette communauté de marque et d’endosser le statut d’une personne mondaine et branchée (valeur d’expression de soi).

41C’est ainsi, que l’acte de se prendre en photo par la Sharingbox semble enclencher des actes ponctuels d’autopromotion pouvant également servir à promouvoir la marque (N’Goala et Morrongiello, 2014) et à engager l’individu dans une relation à plus long terme avec cette dernière (Raies et Gavard-Perret, 2011). Ce résultat peut être expliqué par la théorie de l’engagement et plus précisément par la technique du pied-dans-la-porte. Mobiliser cette théorie permet d’établir, à travers la vérification de ces conditions (op.cit.), le design requis par ces plateformes. Cependant, le caractère engageant de l’acte de se prendre en photo semble varier en fonction des individus (ex. conviction personnelle par rapport aux réseaux sociaux), de l’image de la marque et de la catégorie du produit qu’elle représente mais surtout en fonction de l’interprétation de chacun de son expérience Sharingbox et de la nature des valeurs qu’il perçoit.

5.4 – Les facteurs de contingence de l’engagement en ligne

42La contingence du caractère engageant de l’expérience Sharingbox peut être constaté à partir des résultats de notre analyse. En effet, lors de l’analyse de contenu, nous avons remarqué que les valeurs d’expression de soi et d’évasion n’apparaissent pas chez les participants interviewés à l’événement Orange. De même, certains des participants à cet événement ont été insatisfaits par leur photo prise par la Sharingbox et ont éprouvé une sorte de mal-être et d’embarras suite à cette expérience (destruction des valeurs d’optimisation, de commodité et psychologique). Ces constats pourraient expliquer la faible intention de partage (engagement en ligne), de bouche-à-oreille et peut être d’achat de la marque Orange. De même, nous avons noté que toutes les personnes affirmant ne pas vouloir partager leurs photos sur les réseaux sociaux pour des convictions personnelles sont essentiellement des clients de la marque Orange et quelques clients de la marque Audi. Ce résultat permet de constater la contingence de l’engagement en ligne au profil des clients de la marque et donc à son positionnement (Beck et Crié, 2015). En effet, les clients de Givenchy, une marque synonyme de glamour, de beauté et de luxe, sont les plus prédisposés à partager leurs photos sur les réseaux sociaux. Ces derniers semblent les plus à l’aise et les plus actifs sur les réseaux sociaux et donc les plus à même de s’engager en ligne.

Conclusion

43Cette recherche a pour objectif d’identifier la prédisposition des plateformes technologiques à engager le consommateur dans un processus de co-création de valeur avec l’entreprise, tout particulièrement en ligne et de déterminer leurs caractéristiques requises. Les trois conditions avancées par Leclercq et al. (2016) pour qualifier une technologie de plateforme d’engagement, ont ainsi été vérifiées. Nous avons également mobilisé la théorie psychologique de l’engagement pour formaliser les caractéristiques requises par ces technologies en vue de prédire leur prédisposition à engager le client dans une activité de co-création en ligne avec l’entreprise. Cependant, nous avons constaté que le caractère engageant de ces technologies est contingent aux types de valeurs perçues de l’expérience et au positionnement stratégique de la marque qui adopte ce dispositif. En effet, dans le cas où le consommateur ne perçoit pas une valorisation personnelle et sociale (valeur d’expression de soi), ne s’évade pas en s’immergeant dans l’expérience (valeur d’évasion), ne ressent pas un certain bien-être (valeur psychologique) de son expérience de la technologie et n’apprécie ni le déroulement de l’expérience (valeur de commodité) ni son output (photo) (valeur d’optimisation), ce dernier ne peut s’engager pour la marque. L’acte de partager sa photo signée sur les réseaux devient peu probable. En effet, les travaux en psychologie et en neuropsychologie ont établi une relation entre le processus affectif qui donne lieu à des émotions et le circuit motivationnel du cerveau qui commande les actions. C’est ainsi que nous pouvons souligner tout l’intérêt d’inscrire ces plateformes technologiques dans une perspective expérientielle. Les résultats de notre recherche témoignent du caractère fortement expérientiel du Photomaton 2.0 en vue des multiples valeurs perçues par son utilisateur. Cependant, l’adoption de ce type de stratégie promotionnelle à forte valeur expérientielle devrait être congruente avec l’image de la marque et aux profils de ses clients. Si le produit de la marque correspond à un produit utilitaire à faible valeur expérientielle (ex. Orange), l’usage d’une technologie expérientielle (ex. la Sharingbox) comme tremplin pour engager les clients, peut se révéler inutile. Incapable de se projeter dans l’expérience et d’éprouver certaines valeurs, le consommateur ne s’engagera pas dans un acte de co-promotion même ponctuel avec l’entreprise (création de contenu en partageant sa photo sur les réseaux sociaux). La co-promotion implique un processus de valorisation mutuelle de l’image où le consommateur sera valorisé en s’identifiant à la marque et la marque valorisée par ce dernier. Si cet échange de valeurs n’a pas lieu, il serait difficile de voir le client s’engager de façon altruiste et durable avec l’entreprise (N’Goala et Morrongiello, 2014). Ces pistes nous permettent d’affiner nos connaissances sur les caractéristiques requises par les plateformes technologiques pour engager le consommateur dans un processus de co-création de valeur avec l’entreprise. Des recommandations peuvent ainsi être fournies aux managers sur la primauté d’assurer la congruence entre le type de valeurs perçues par les utilisateurs de la technologie, leurs objectifs, le positionnement stratégique de leur marque et le profil de leurs clients.

44Bien que notre recherche soit porteuse d’éclairages aux managers sur les caractéristiques à prendre en compte pour bien choisir le dispositif technologique qui leur permet de réaliser leurs objectifs (ex. engager leurs clients dans un processus de co-création de valeur, en ligne), demeure purement exploratoire, exclusive à un seul cas d’étude (le Photomaton 2.0 : la Sharingbox) et donc donnant lieu à des résultats non généralisables. À cet effet, il conviendrait dans des recherches futures de valider empiriquement nos résultats afin de :

  • confirmer les valeurs les plus stratégiques que l’entreprise devrait travailler pour engager ses clients dans un processus de co-création en ligne mais aussi hors ligne ;
  • et confirmer le rôle modérateur de la catégorie de produit objet de l’événement et de l’image de la marque, dans la relation entre les valeurs perçues de l’expérience et l’engagement envers la marque.

45Il conviendrait également dans de futures recherches de vérifier nos résultats sur d’autres types de plateformes et de dispositifs technologiques ainsi que dans d’autres types de contextes d’usage (co-production de produit/service, co-innovation, etc.).

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Notes

  • [1]
    Intissar ABBES : Docteur en sciences de gestion à l’IAE Lyon/IHEC Carthage et Maître assistante à l’IHEC-Carthage - abbesintissar@yahoo.fr
  • [2]
    Yossra TROUDY : Institut des Hautes Études Commerciales de Carthage, IHEC-Carthage.
  • [3]
    Née en février 2012, en Belgique, la Sharingbox s’est implantée dans 18 pays dans le monde et a accompagné plusieurs marques dans leurs événements (Mercedes Benz, Givenchy, Reebok, Coca Cola, Adidas, Dior, Cacharel) http://www.sharingbox.be/
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