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Article de revue

Le « capital golfique » : un utile investissement professionnel et humain ?

Pages 119 à 138

Notes

  • [1]
    Patrice BOUVET : Université de Poitiers, Centre de Droit et d’Economie du Sport - Patrice.bouvet@univ-poitiers.fr
  • [2]
    Sur ce point voir la thèse de C. Cabane (2011).
  • [3]
    Pourcentage de réussite, comportement décisif, temps de jeu…
  • [4]
    Préparation physique et mentale, entraînement…
  • [5]
    Entraînement spécifique, préparation physique et mentale, régime alimentaire…
  • [6]
    Leçon, entraînement, vidéo…
  • [7]
    Vieillissement, changement technique, blessure…
  • [8]
    Le golf n’apparaît que de façon marginale.
  • [9]
    L’autre exemple souvent cité étant la voile.
  • [10]
    Tennis, escrime…
  • [11]
    Football, basket-ball…
  • [12]
    Gymnastique, patinage artistique…
  • [13]
    Compétition où dans une même équipe sont réunis un joueur professionnel et trois joueurs amateurs.
  • [14]
    Olivier Rouillon, médecin de la Fédération Française de Golf.
  • [15]
    La proportion des graisses dans l’organisme.
  • [16]
    En psychologie, capacité à rapidement passer mentalement d’une activité à une autre.
  • [17]
    Il s’agit là de la conception dite transactionnelle du stress que l’on doit à Lazarus et Folkman (1984).
  • [18]
    Sur ce point voir Missoum et Minard (1990).
  • [19]
    De nombreuses études cherchent à apprécier les effets de la pratique d’une activité physique et sportive sur le stress. Sur ce point voir notamment : Roth & Holmes (1987) et Long (1993).
  • [20]
    Etat de forme générale, aptitudes mentales, caractère préventif de certains symptômes…
  • [21]
    Olivier Rouillon et Alain Michel, auteurs du livre Golf et santé.
  • [22]
    En 2013 par exemple, les Etats-Unis comptaient 27,1 millions de pratiquants (8,6 % de la population) alors que la France n’en comptait que 422 000 (0,64 % de la population).
  • [23]
    Améliorer son niveau de jeu.
  • [24]
    Parcours, club house, practice…
  • [25]
    Sur ce point voir également : Rojot (2006).
  • [26]
    Dans ce cas les participants aux négociations partagent certaines valeurs, l’état d’incertitude et l’impact du stress inhérent à la négociation est limité et l’environnement est agréable.
  • [27]
    Sur ce point, voir : Jancke et al. (2009).
  • [28]
    Certains parlent même de secte…
  • [29]
    Idée selon laquelle les sportifs, et donc ici les golfeurs, ayant pratiqué un sport durant leurs études s’insèrent mieux sur le marché du travail que les non sportifs.
  • [30]

1Le capital humain peut-être défini comme l’ensemble des connaissances, compétences, savoir-faire, expériences... accumulés par un agent économique à des fins productives. Selon de nombreux auteurs seules l’éducation, la formation et les expériences professionnelles permettent d’accroître ce capital. Nous ne partageons pas ce point de vue. De toute évidence, les pratiques sportives permettent aux individus de développer des compétences spécifiques (Eber, 2002) parfois aussi utiles dans d’autres domaines. Dans les travaux abordant ce sujet [2], les pratiques sportives sont en général considérées globalement. Même si l’idée semble pertinente (Eber, Ibid., Long et Caudill, 1991), à notre connaissance, aucun travail ne s’intéresse à un sport en particulier. Certains sports se prêtent bien à ce type d’investigation, d’autres moins. Du fait de ses caractéristiques, sport individuel pouvant être pratiqué à tout âge, en compétition ou en loisir, le golf constitue à nos yeux un excellent « cas d’école ». En conséquence, après avoir défini le capital golfique comme une forme particulière de capital humain (première partie), nous présenterons deux fonctions hypothétiques de ce capital (deuxième partie) et verrons si celles-ci peuvent être empiriquement validées à une modeste échelle (troisième partie).

1 – Capital humain, capital sportif et golf

1.1 – La théorie du capital humain

1.1.1 – Former du capital humain : « cristalliser » du temps à des fins productives

2En 1961, Schultz fut le premier à utiliser le terme de capital humain dans le sens qui est aujourd’hui le sien. À la même époque, Weisbrod (1961) développa une théorie permettant d’estimer la valeur d’un actif de type « capital humain ». Mincer et Becker développèrent pour leur part les premières applications de la théorie du capital humain en économie (1958, 1962 et 1964). Dans cette optique, lorsque l’homo-economicus examine une opportunité de formation, il raisonne en investisseur. Il évalue rationnellement en quoi cette opportunité pourrait lui permettre d’accumuler un capital supplémentaire et/ou de valoriser son stock de capital et donc de rentabiliser son investissement.

3En première instance, former son capital humain revient donc à « cristalliser » du temps à des fins productives. Directement, ce capital est plus facile à valoriser lorsqu’il existe un marché pour cela (Hall et Johnson, 1980). Indirectement, il peut également être source de bénéfices s’il est utilisé de façon spécifique.

1.1.2 – Dépenser du capital humain : utiliser à bon escient le temps « cristalliser »

4Fruit d’un investissement coûteux en temps, parfois en énergie (dépense physique) et en sacrifice (coût d’opportunité), le capital humain a pour vocation d’être valorisé. Pour se faire deux alternatives sont envisageables : la consommation et l’investissement. « Consommer » son capital humain revient à utiliser les connaissances, compétences, savoir-faire… acquis pour satisfaire un besoin individuel. Investir son capital humain équivaut à l’utiliser dans l’espoir d’obtenir un surplus de valeur matérielle ou immatérielle.

5Le capital humain correspond à un temps cristallisé individuellement dans des contextes variés : familial, scolaire, professionnel, sportif… De nombreuses opérations permettent de l’augmenter, de l’amortir ou de le dépenser. Il peut donc croître, se réduire, voire même devenir obsolète. Pour le mesurer on s’attache le plus souvent à observer ce que les individus « apportent » à leur entreprise ou de façon plus générale à l’économie. Il peut cependant également se constituer par des périodes d’apprentissage non exclusivement motivées par des fins professionnelles. Au niveau théorique, cet élargissement du concept et la prise en compte de son caractère protéiforme ont conduit à plusieurs extensions.

1.2 – Les extensions de la théorie du capital humain

1.2.1 – Les théories du filtre et du signal

6Sur le marché du travail, de nombreuses relations interpersonnelles se caractérisent par une assymétrie de l’information. Les employeurs sont donc à la recherche de certifications permettant d’avoir des garanties relatives aux compétences des employés. Si l’on en croit Arrow (1973), sur le marché du travail, le niveau de formation et plus précisément le diplôme qui atteste de la validation du processus d’apprentissage, jouent ce rôle de filtre. Dans le domaine sportif les sélections nationales et/ou internationales, les titres, les récompenses individuelles… jouent un rôle similaire. Au-delà des abondantes statistiques individuelles [3] aujourd’hui disponibles, ces reconnaissances institutionnelles apportent des informations sur la qualité des individus et leurs aptitudes à les mettre en œuvre dans des conditions précises. Dès lors, dans une entreprise, un club ou dans un processus sélectif, les individus peuvent être « filtrés », sélectionnés, en fonction des attentes des payeurs. Pour les sportifs amateurs, les résultats obtenus et/ou la place occupée dans une hiérarchie jouent, notamment lorsqu’une valorisation sociale y est associée, le même rôle.

7La théorie du signal est un prolongement de celle du filtre. D’après Spence (1973), les études ne sont pas seulement un investissement source d’augmentation du capital humain mais aussi un moyen de sélection. Selon cette théorie, l’éducation n’a pas pour effet principal d’augmenter la productivité des individus mais de sélectionner les plus productifs. Dans cette optique, pour les sportifs professionnels, les phases d’apprentissage [4] auraient pour vocation principale de révéler les compétences des athlètes.

8Au niveau empirique ces théories sont difficiles à distinguer. Elles présentent néanmoins l’intérêt de poser la question de la diversité des formes du capital humain. En outre, elles montrent bien que son accumulation est un processus continu, pouvant prendre des formes variables selon les activités pratiquées.

1.2.2 – Le capital sportif comme forme spécifique du capital humain

9Dans ses premiers travaux (1964) Becker proposa très tôt une distinction entre une forme générale et une forme spécifique du capital humain. À ses yeux, la distinction devait reposer sur les conditions de mise en œuvre (dépense) du capital humain. Dans sa forme générale, le capital humain a pour vocation d’être utilisé dans n’importe quelle situation professionnelle ; dans sa forme spécifique, uniquement dans le cadre de l’emploi occupé par le salarié. Une autre possibilité consiste à distinguer les activités sources d’apprentissage permettant à un individu d’augmenter son stock de capital humain. En tant qu’activité spécifique, le sport se prête bien à cette démarche (Eber, Ibid.).

10Pour les joueurs professionnels, il n’est pas difficile d’accepter l’idée selon laquelle les investissements consentis lors des phases de préparation [5] constituent des investissements leur permettant de réaliser des performances exceptionnelles et d’obtenir un très haut niveau de rémunération. Il en va de même pour les amateurs. Même si leur niveau de jeu n’est pas comparable à celui des joueurs professionnels, les motivations des « compétiteurs » amateurs sont similaires : progresser, améliorer leur classement, gagner des compétitions… Là encore leurs investissements peuvent donc être considérés comme des dépenses ayant pour but d’accroître leur capital humain. Les motivations (détente, convivialité, santé…) des adeptes du « golf loisir » différent de celles des compétiteurs. Le temps consacré aux pratiques sportives peut cependant également être considéré comme un investissement en lien social.

11Quel que soit le niveau de pratique, le sport apparaît donc comme un investissement dont il est possible de tirer de nombreux bénéfices. Ses caractéristiques permettent de quantifier les sacrifices effectués et les résultats obtenus assez précisément. Les travaux empiriques portant sur les sports collectifs sont toutefois difficiles à mener à bien, notamment à cause du difficile problème de la mesure de la productivité individuelle des joueurs évoluant dans une équipe. La focalisation sur un sport individuel permet en revanche de contourner cette difficulté.

1.3 – La notion de capital golfique

1.3.1 – Définition

12« Jouer au golf » n’est pas une activité envisageable sans un investissement préalable. Avant d’aller découvrir les plus beaux parcours du monde, il faut, non seulement maîtriser certaines techniques, grand jeu, petit jeu, putting, mais aussi développer un sens tactique et apprendre les principes éthiques fondamentaux qui régissent ce sport : les règles de « l’étiquette ». Autrement dit, apprendre à jouer au golf nécessite d’investir en temps, énergie, économie… pour former un capital spécifique. Le capital golfique peut donc être défini comme l’ensemble des connaissances, des compétences, des savoir-faire, des aptitudes… nécessaires à la pratique de cette activité. Plus formellement, en reprenant l’hypothèse selon laquelle les apprentissages golfiques [6] augmentent la productivité future du joueur à travers une production de capital humain qui est une fonction f du stock de capital humain détenu par le joueur [K0 (t)], du temps consacré à la pratique golfique (λ) ie l’investissement dans le capital golfique et de l’efficacité de ce temps (θ), on peut écrire :

13

equation im1

14où δ mesure le taux de dépréciation du capital golfique [7]. L’intérêt de ce type de formulation est de permettre une évaluation du capital accumulé. D’après Samier (1999), trois méthodes d’évaluation du capital humain peuvent être distinguées. La première a pour objectif de mesurer les compétences, connaissances, savoirs… acquis par les individus. Pour les golfeurs : les aptitudes techniques, leurs connaissances théoriques, leurs capacités physiques… La seconde cherche à évaluer l’investissement en capital humain en faisant l’inventaire des actions mises en œuvre en ce sens. Pour les golfeurs : les leçons, la lecture d’ouvrages techniques, les discussions au club house… Enfin la troisième méthode cherche à apprécier la rentabilité de l’investissement en capital humain, c’est-à-dire la valeur des services rendus par le capital humain d’un individu.

1.3.2 – Mesure

15En golf, l’évaluation de l’évolution des compétences d’un joueur, et donc la détermination de son « index », n’est pas aisée puisque les performances des joueurs sont très largement conditionnées par la difficulté du parcours sur lequel ils évoluent. L’index est donc, au mieux, un indicateur permettant d’apprécier un niveau de performances moyen. Si l’on accepte l’idée selon laquelle les performances réalisées en compétition sont le fruit de l’ensemble des investissements réalisés par le joueur jusqu’au jour de la compétition, il peut malgré tout être considéré comme une appréciation synthétique de son capital golfique. Comme beaucoup d’indicateurs synthétiques celui-ci est partiel, il ne prend pas en compte des éléments comme la culture golfique des joueurs, ses connaissances théoriques, les expériences vécues sur et à l’extérieur d’autres parcours… Il constitue néanmoins souvent un « signe » pouvant être mis à profit à des fins diverses.

2 – Deux fonctions hypothétiques du capital golfique

2.1 – Le capital golfique comme facteur d’insertion professionnel

16Dans le monde de l’entreprise les références au sport et à ses valeurs sont à présent fréquentes (Baqué, 2007). L’intérêt de l’introduction des pratiques dans le monde professionnel est plus discuté. Certaines entreprises n’hésitent cependant plus à offrir la possibilité à leurs salariés de pratiquer sur leur lieu de travail pour conserver une « bonne forme morale et physique ». L’opinion des salariés sur ces pratiques n’est pas facile à recueillir. Que ce soit en matière de recrutement ou d’activité, l’enquête réalisée en France par l’Association Pour l’Emploi des Cadres (APEC) auprès de 1300 cadres du secteur privé constitue à nos yeux un intéressant point de départ pour aborder ce sujet.

2.1.1 – Capital golfique et recrutement

17L’étude de l’APEC ne s’intéresse pas de façon spécifique au golf mais au sport en général. Outre les réponses apportées aux personnes interrogées, l’étude des 1000 CV de cadres permet d’avoir une idée de la façon dont les cadres présentent leurs pratiques sportives et donc de formuler une hypothèse concernant l’éventuelle « mise en avant » du capital golfique. D’après l’étude de l’APEC le sport est le loisir le plus cité par les cadres, 74 % des personnes interrogées disent pratiquer une activité sportive. Ce pourcentage atteint même 85 % pour les cadres de moins de 30 ans. Le niveau de pratique n’est pas l’élément le plus souvent mentionné. Les activités citées sont classiques : natation, cyclisme, course à pied [8]… Les personnes interrogées jugent légitimes de mentionner le sport dans leur CV pour de multiples raisons : dynamisme, équilibre, recherche de la performance, aptitudes personnelles, solidarité… D’après eux, la pratique sportive peut être perçue comme un système sémiologique permettant de métamorphoser en compétences professionnalisables ce qui relève a priori du loisir ou du hobby. Dans cette perspective la pratique du golf peut jouer un rôle précis. Elle peut être considérée comme un indicateur traduisant :

  • une aptitude à maîtriser une activité complexe,
  • une capacité à s’investir durablement dans un processus d’apprentissage,
  • une certaine aisance sociale,
  • la possession d’un réseau social étendu.

18Pour les détenteurs d’un capital golfique ces attributs sont assez évidents, en va-t-il de même pour les recruteurs ? Grâce à deux séries de deux entretiens réalisés auprès de chargés de recrutement et de professionnels de ce secteur, nous essayerons de le vérifier dans ce qui suit. Quoi qu’il en soit, au-delà du système de signes pouvant lui être associé, le golf est également une activité professionnellement parfois utile.

2.1.2 – Capital golfique et activité professionnelle

19Dans l’enquête de l’APEC, au-delà des pratiques elles-mêmes, c’est la rhétorique sportive qui est le plus souvent mentionnée par les personnes interrogées. Dans la majorité des cas, les cadres ont une bonne image du sport et une perception positive de son instrumentalisation managériale. Néanmoins, excepté pour les entreprises qui décident d’investir dans le « sport d’entreprise », les salariés ont rarement l’occasion de faire du sport pendant leurs activités professionnelles. Le golf se distingue donc radicalement de la plupart des autres sports pour plusieurs raisons. La première tient aux caractéristiques mêmes de l’activité. Comme très peu d’autres sports le permettent [9] de nombreux échanges sont possibles pendant la pratique. En effet, contrairement au golf, les sports d’opposition [10], les sports collectifs [11] et les sports où les joueurs se succèdent sur le terrain [12] - dans lesquels aucune véritable interaction n’est envisageable entre les acteurs - lors d’une partie de golf les déplacements effectués entre les différents coups offrent une multitude d’occasions de nouer des relations avec les partenaires de jeu animés de la même passion. La deuxième réside dans la possibilité de jouer avec des partenaires d’âges, de conditions, de sexes et de niveaux différents. Cette opportunité trouve son point d’orgue dans les « Pro- Am » [13] où des amateurs ont la possibilité de jouer en équipes avec des joueurs de niveau national ou international. Participer à une opération de relations publiques avec les meilleurs joueurs de football du monde est envisageable. Se retrouver sur le terrain à leur côté lors d’une véritable compétition l’est moins… En golf c’est possible ! Une autre particularité d’une partie de golf réside dans sa durée : 4 à 5 heures pour une compétition se déroulant sur un seul tour, plusieurs fois ce laps de temps pour les compétitions comportant plusieurs tours. Là encore, rares sont les activités sportives permettant d’envisager des interactions aussi prolongées avec ses partenaires de jeu.

20Du fait de ces particularités les détenteurs d’un capital golfique peuvent utilement le mettre à profit comme « business tool » (Anderson, 1997) de plusieurs façons.

21– Une partie de golf peut être utile pour nouer des contacts permettant d’initier de nouvelles relations professionnelles (networking).

22– Une partie de golf peut permettre de rencontrer des cadres dirigeants difficilement accessibles dans d’autres circonstances (employee development).

23– Comme le golf est pratiqué de façon identique dans le monde, une partie de golf peut être un bon moyen de s’affranchir de spécificités culturelles nationales (internationalisation).

24– Une partie de golf présente la particularité de générer des émotions et des expériences communes fortes (relationship).

25– Une partie de golf est une excellente occasion pour observer, et donc recueillir des informations, sur un éventuel collaborateur, notamment si on souhaite le recruter (recruting).

26– L’atmosphère propre à une partie de golf permet d’aborder et bien souvent de résoudre des problèmes concrets (resolving problems).

27– Une partie de golf, notamment lorsqu’elle est organisée dans ce but, peut utilement se substituer à des opérations de relations publiques (public relations).

28Dans les pays anglo-saxons, l’organisation de parties à vocation professionnelle est fréquente. Pour certains managers, l’accumulation d’un capital golfique peut donc être assimilée à un investissement professionnel. Selon toute vraisemblance, ces pratiques sont encore peu généralisées dans d’autres pays. C’est un autre point qu’il nous faudra aborder dans nos entretiens.

29Le golf, du fait même des conditions de la pratique et de l’organisation des compétitions amateurs, est source d’investissement en lien social. En d’autres termes, dans certains univers professionnels, en mobilisant l’une des possibilités mentionnées précédemment, le golf peut constituer un excellent moyen de constituer ou d’étoffer un réseau. À un niveau plus personnel, peut-il également être considéré comme un investissement en « capital physique personnel » : forme, santé, bienfaits psychologiques ? Les constats présentés dans le point suivant permettent d’ouvrir le débat.

2.2 – Le golf une source de bienfaits personnels ?

30La santé, les loisirs, l’aisance sociale, la participation à la vie politique, la sécurité, la qualité de l’environnement… sont autant de domaines potentiellement sources de bienfaits physiques et moraux. Dans cette perspective, il n’est pas illogique de se demander si l’accumulation d’un capital d’une nature particulière est source de tels bienfaits. Deux catégories de bienfaits sont généralement associées à la pratique du golf.

2.2.1 – Capital golfique et bienfaits physiques

31« Sport de toute une vie », le golf peut être pratiqué de 6 à 90 ans. Au niveau physique, trois vertus lui sont aujourd’hui reconnues.

32Le golf permet une meilleure prévention des risques cardio-vasculaires. « Faire un parcours » revient à effectuer une marche fractionnée d’environ dix kilomètres. Une pratique régulière, deux fois par semaine en moyenne, permet d’augmenter le HD cholestérol, le « bon cholestérol » et donc indirectement de réduire les risques cardio-vasculaires. C’est d’ailleurs pourquoi cette activité est souvent prescrite aux personnes sujettes à des problèmes cardiaques.

33Force, souplesse, équilibre et concentration sont des qualités requises pour « swinger ». Or, pour prévenir l’arthrose, il faut rester « actif, souple et fort » [14]. Jouer au golf participe donc à l’entretien du système ostéo-articulaire. En outre, la pratique du golf permet de diminuer l’index de masse corporelle [15].

34Plus globalement, l’étude menée par Farahmand et al. (2008) conduit à un résultat intéressant. L’espérance de vie des golfeurs serait de 5 ans supérieurs à celle des non-golfeurs. Même si ce résultat a été obtenu sur la base d’un très large échantillon (300 818 personnes), il doit être considéré avec prudence. Plus que les chiffres annoncés, ce sont les explications avancées qui méritent l’attention. Selon les auteurs de cette étude, au-delà des deux points mentionnés précédemment, les détenteurs d’un capital golfique cristalliseraient des éléments bénéfiques pour la santé. En effet, jouer au golf régulièrement :

  • augmente les facultés anaérobiques de certaines fonctions musculaires,
  • limite la prise de poids,
  • va de pair avec un style de vie où une place importante est associée à l’hygiène,
  • notamment pour les « seniors », permet de maintenir des relations sociales, utiles pour rester en forme, mais surtout,
  • requiert un état de forme dont la disparition constitue un signe avant coureur permettant une prise en charge rapide de certains problèmes de santé.

35Individuellement, il est relativement difficile de prendre conscience des bienfaits physiques liés à la pratique du golf. Tout comme pour les bienfaits mentaux, dans notre investigation empirique (3.), nous avons donc choisi de poser des questions plus générales aux personnes interrogées.

2.2.2 – Capital golfique et bienfaits mentaux

36Au niveau mental, deux autres bienfaits du golf sont communément admis. D’une part, la pratique du golf garantit une immersion sociale, préventive si l’on en croit Farahmand et al. (Ibid.). D’autre part, dans la mesure où le golf nécessite concentration et stratégie, elle constitue un bon moyen de lutter contre le vieillissement cérébral. Selon nous (Bouvet, Ibid.), elle peut également conduire à un renforcement de la confiance en soi, à un développement de la capacité à « switcher » [16] et permettre une meilleure gestion du stress. Par ailleurs, les détenteurs d’un capital golfique peuvent également voir leur confiance en eux se renforcer pour trois autres raisons :

  • Dans nos sociétés, le golf étant une activité socialement valorisée, une identification du sujet à ce groupe d’appartenance peut être synonyme d’un renforcement de la racine psychosociologique de la confiance en soi (Muchielli, 1980).
  • Ce sport est accessible sans obligatoirement être un véritable athlète, ce qui participe à l’acceptation de son corps, source psychobiologique d’augmentation de la confiance en soi (Muchielli, Ibid.).
  • Le golf nécessite une grande humilité et peut donc permettre d’éviter les altérations de la confiance en soi par excès (Bellanger, 1994).

37Une autre des particularités du golf est de conduire les pratiquants à incessamment passer d’une activité à l’autre. Lors d’une partie de golf le joueur est tour à tour amené, lorsqu’il marche pour se rapprocher de sa balle à être sensible aux stimulations extérieures et donc à traiter une information large, puis, au moment de la réalisation du coup à jouer, à restreindre son champ de perception pour focaliser son attention sur le traitement étroit d’informations techniques précises. L’aptitude à switcher est une aptitude fondamentale des sportifs et des golfeurs en particulier. Bien maîtrisée, elle traduit une importante flexibilité mentale, c’est-à-dire une grande capacité d’adaptation à son environnement permettant d’éviter de percevoir celui-ci comme une source d’obstacles générateurs de stress.

38Aujourd’hui le stress est le plus souvent défini comme le fruit d’un jugement doublement subjectif porté par l’individu sur lui-même [17]. En golf, selon l’appréciation portée sur la situation rencontrée, certaines actions familières, voire même anodines peuvent devenir stressantes. Pour y faire face, suivant leur tempérament, les golfeurs mettent en œuvre différentes techniques [18]. Ces techniques peuvent se révéler très riches dans la vie de tous les jours. Qui plus est, les temps de décompression offerts par le golf peuvent se révéler très utiles. Ils peuvent permettre au joueur de revenir à un niveau plus objectif de traitement des problèmes ou lui donner la possibilité de les oublier momentanément [19].

39De nombreux travaux mettent aujourd’hui en évidence les apports du sport au niveau professionnel (Long et Caudill, Ibid. ; Ewing, 1995, 1998 ; Barron et al., 2000 ; Rooth, 2011) et personnel (Huang et Humphreys, 2010 ; Forrest et McHale, 2011 ; Kavetsos, 2011 ; Rodriguez et al., 2011). En fonction de ce qui précède, le golf ne devrait pas déroger à la règle. Son statut particulier – dans l’esprit d’un grand nombre de personnes il ne s’agit pas d’un sport ! – justifie néanmoins à lui seul à nos yeux l’investigation empirique suivante.

3 – Etude empirique

3.1 – Le protocole

3.1.1 – Choix et justification du protocole de recherche

40Dans le cadre de la démarche retenue, les hypothèses formulées l’ont été sur la base d’observations préalables. Lorsque celles-ci étaient le fruit d’études qualitatives, il nous a paru préférable de privilégier une démarche quantitative et réciproquement. Ainsi, pour faire suite à l’étude réalisée par l’APEC auprès d’un large échantillon de cadres du secteur privé, nous avons choisi d’interroger deux spécialistes du recrutement travaillant dans des sociétés impliquées dans le domaine du golf puis deux golfeurs ayant eu différentes expériences en relation avec notre objet d’étude. Pour ce qui est de la question des bienfaits de la pratique du golf, l’exploitation d’un questionnaire nous a permis de tester les résultats à présent couramment présentés dans la littérature. Son objectif était de savoir si les bienfaits individuellement ressentis par certains golfeurs [20] étaient plus généralement perçus par les pratiquants.

3.1.2 – Matériaux utilisés pour recueillir les données nécessaires à l’étude des problématiques choisies

41L’intérêt d’une étude comme celle de l’APEC présentée supra est de fournir un cadre général d’analyse pouvant servir de point de départ à des investigations empiriques plus ciblées. Nous l’avons ensuite mise en perspective avec les travaux de doctorat de C. Cabane (2011) selon lesquels :

  • tous sports confondus, il existe un effet de sélection important à l’égard des sportifs,
  • une pratique sportive régulière favorise la réinsertion des hommes sur le marché du travail,
  • une telle pratique pendant l’adolescence contribue à la réussite sur le marché du travail à l’âge adulte.

42Partant, nous avons pu formuler notre première interrogation : le capital golfique peut-il être considéré comme un facteur d’insertion professionnelle ? Pour répondre à cette question deux séries de deux entretiens semi-directifs centrés (ESDC) ont été menées. Les quatre experts choisis l’ont été en fonction de leur expérience en la matière. Il s’agit de :

  • Monsieur Alain Ghibaudo, fondateur et directeur associé du cabinet de recrutement spécialisé dans le sport : sportcarrière.com,
  • Monsieur Michael Platen, manager de la société « Sport Recruitment International » spécialisé dans la recherche de talents souhaitant travailler dans le secteur du sport,
  • Monsieur Robert Carrot, président de la ligue de Bourgogne de golf ayant lors de sa période d’activité professionnelle dirigé plusieurs entreprises en France et aux Etats-Unis,
  • Monsieur Fernando Debastos, licencié de la Fédération Française de Golf depuis plus de 20 ans (index 4,4), ayant, de son propre aveu, obtenu différents emplois grâce à son capital golfique.

43Dans la même perspective, nous avons souhaité formaliser notre interrogation concernant les bienfaits personnels du golf sur la base de travaux scientifiques et d’entretiens avec les spécialistes de ce domaine [21]. À partir de ces lectures et premiers échanges, sur leurs conseils, nous avons choisi de privilégier une interrogation générale – le capital golfique peut-il être source de bienfaits personnels ? – et d’interroger des pratiquants, aucune investigation de ce type n’ayant été menée en France à leur connaissance. D’un point de vue purement statistique notre échantillon ne peut pas être considéré comme représentatif. Dans la mesure où notre ambition n’est pas de faire émerger des représentations mais de les tester cela ne nous semble pas rédhibitoire. Plus concrètement nos investigations ont pris la forme suivante.

3.1.3 – Conditions pratiques des investigations

44En ce qui concerne les entretiens. Formellement nos échanges ont tout d’abord pris la forme d’entretiens ciblés nous permettant d’établir un guide d’entretien puis de quatre entretiens semi-directifs centrés réalisés à Paris puis au club house du golf du Château d’Avoise (71). Ces entretiens, réalisés à l’automne 2012 et en février 2015 ont duré approximativement 1 heure.

45Concernant le questionnaire. Le questionnaire a été passé auprès de 110 golfeurs habitant Poitiers et ses environs pour la majorité d’entre eux membres des golfs de « Chalons », « Haut Poitou » et « St Cyr ». Dans les deux cas, les échantillons respectaient la « pyramide des âges » des licenciés de la fédération française de golf et la répartition hommes (70 %) – femmes (30 %). Ces questionnaires ont été passés par les étudiants de Master 2 Management du Sport de l’Université de Poitiers dans les clubs house des deux golfs.

3.2 – Résultats

3.2.1 – Golf et insertion professionnelle

46Culturellement, il existe une différence entre la perception du golf dans les pays anglo-saxons et dans le reste du monde. Dans les pays anglo-saxons le taux de pratique est élevé [22]. Plusieurs éléments permettent de l’expliquer. Historiquement ce sport est né puis s’est développé dans les îles britanniques. Il s’est implanté de longue date dans ces pays où son image n’est pas comparable à celles d’autres pays où le golf est souvent perçu comme une activité réservée à une population aisée, favorisée et âgée. L’offre d’équipement est également différente. Aux Etats-Unis notamment, une gamme de parcours allant de parcours publics très bon marché, passant par des parcours de grande qualité facilement accessibles, complétée par des parcours prestigieux totalement privés et/ou réservés à une clientèle internationale fortunée, permet à toutes les catégories de golfeurs de s’adonner à leur passion. Il n’en va pas de même dans les pays de moindre tradition golfique où l’offre d’équipement est plus haut de gamme et uniquement accessible en s’acquittant d’un droit de jeu annuel ou journalier élevé. Enfin, du fait de la différence du nombre de joueurs, la taille des marchés des produits et des services associés à la pratique diffère également. C’est pour l’ensemble de ces raisons qu’il nous a semblé indispensable d’interviewer des experts travaillant ou ayant travaillé dans différents pays. De façon générale, les résultats sont conformes aux intuitions. Selon eux, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, « jouer au golf » est une activité appréciée des recruteurs non seulement parce qu’elle véhicule des signes positifs mais aussi parce qu’elle est considérée comme une compétence pouvant utilement être mise à profit dans de nombreuses activités professionnelles. L’expert français interrogé est pour sa part beaucoup moins affirmatif. Selon lui, dans les pays où il n’existe pas une forte tradition golfique, la pratique de ce sport n’est pas perçue différemment de celles des autres pratiques sportives. Par ailleurs son « utilité professionnelle » semble très peu évidente. Les experts interrogés se rejoignent même sur un point. Le sport en général et le golf en particulier (pays anglo-saxons) sont perçus de façon plus positive lorsque le chargé de recrutement pratique (ou a pratiqué) la même activité sportive que le candidat ! À ce niveau les spécificités du golf lui permettent néanmoins de jouir d’un statut particulier. La connaissance de lieux communs (parcours), le partage d’expériences communes (compétitions) et même d’un vocabulaire spécifique constituent autant de points communs ou de possibilités d’échanges futurs.

47Dans ces conditions « baisser son index » [23] peut-il être considéré comme un investissement professionnel, notamment pour les personnes souhaitant travailler au niveau international ? Paradoxalement, non. Avoir un bon index peut même se révéler être un handicap ! Pourquoi ? Parce que, sauf capacité exceptionnelle, un bon niveau de jeu nécessite une pratique très assidue risquant potentiellement de limiter l’investissement professionnel du joueur. Symboliquement, la frontière semble même se situer à un index de 9 - 10. Quels que soient les pays, l’association golf-réseau social étendu semble se vérifier. En revanche, seules les personnes qui pratiquent cette activité (ou ont essayé de la pratiquer) mesurent les difficultés liées à son apprentissage pouvant ensuite être transférées à d’autres niveaux. Finalement, au-delà de l’intérêt de la pratique, et donc de l’accumulation d’un capital golfique, en matière d’insertion professionnelle, les quatre experts se rejoignent sur un autre point : les équipements golfiques [24] sont à leurs yeux des lieux propices à la négociation [25]. D’après eux, il est possible d’initier, de préparer ou de mener une négociation sur un site golfique, à l’occasion d’une manifestation golfique ou même en jouant [26]. Dans ce cas, une partie de golf peut même se révéler riche d’enseignements pour les négociateurs. Dès lors, l’organisation d’une partie de golf à des fins de négociation nécessite de choisir le parcours, la formule de jeu et même éventuellement le profil de la personne chargée de la négociation avec soin.

3.2.2 – Golf et bien-être

48Le graphique suivant présente de façon synthétique les réponses obtenues auprès de l’échantillon des golfeurs interviewés habitant la région de Poitiers.

Graphique 1

Golf et aptitudes mentales

Graphique 1

Golf et aptitudes mentales

49Dans cet échantillon pour 57 % des personnes interrogées la pratique du golf influe positivement sur leur aptitude à se concentrer [27]. L’autre aptitude assez largement associée à la pratique de ce sport est la gestion du stress. Les personnes interrogées mettent également en avant les vertus sociales de la pratique de cette activité. De leur avis, le golf leur permet de tisser des liens sociaux puis d’entretenir un réseau social source d’opportunités personnelles et professionnelles.

50Le deuxième graphique présenté ci-dessous donne une indication sur la perception des bienfaits physiques pouvant être associés à la pratique du golf.

Graphique 2

Golf et bienfaits physiques

Graphique 2

Golf et bienfaits physiques

51Un constat clair se dégage. Si une majorité de personnes interrogées attribuent des bienfaits physiques au golf (« se sentir mieux dans sa peau »), ils ont une certaine difficulté à les caractériser et encore moins à les quantifier. Il est aujourd’hui couramment admis qu’une pratique sportive régulière est propice à l’entretien du capital humain. Dans cette perspective, pour conclure cette présentation des résultats obtenus, deux spécificités du golf méritent d’être signalées.

52– Le golf est une pratique où les traumatismes graves sont rares.

53– En conséquence, le golf est une pratique idéale pour les adeptes d’une autre activité sportive souhaitant continuer à avoir une activité physique régulière sans prendre le risque de se blesser plus ou moins sérieusement.

3.2.3 – Discussion et perspectives

54Trois principaux enseignements peuvent être tirés de cette recherche.

55– Sous certaines conditions, la détention d’un capital golfique peut se révéler utile professionnellement. En fonction de ce qui précède citons : évoluer dans un univers professionnel où cette activité n’est pas connotée négativement socialement. Etre capable de la valoriser en exploitant la richesse de ce sport. Eviter certains comportements contraires à l’étiquette. Plus généralement, les bienfaits physiques et mentaux procurés sont accessibles à la majorité des pratiquants. En effet, si le golf nécessite un investissement technique initial non négligeable, à la différence d’autres sports, sa pratique ne requiert pas une préparation physique très poussée. Elle est donc accessible à un très grand nombre et peut même parfois servir de thérapie pour certaines pathologies.

56– La façon dont sont perçus les golfeurs (golfeuses) est étroitement liée à la pratique. En d’autres termes, un recruteur golfeur aura le plus souvent une image positive d’un candidat golfeur pour trois raisons 1) les exigences de l’activité lui sont familières, 2) parfois elles traduisent un niveau de performance difficile à atteindre, 3) la nature des investissements effectués font sens pour lui. De même, un golfeur (golfeuse) attribuera spontanément de nombreuses qualités à un autre golfeur (golfeuse), puisqu’il appartient à la « grande famille des golfeurs » [28]. Ainsi, nul n’est besoin de vanter les bienfaits associés à cette pratique aux golfeurs. Le reste de la population les perçoit en revanche assez rarement, le plus souvent du fait d’une méconnaissance de ses exigences.

57– L’image du golf est très différente d’un pays à l’autre. Indirectement, son implantation détermine donc les possibilités de valorisation du capital golfique, les pays anglo-saxons étant, rappelons-le, ceux ou l’égalité golf = instrument de management a le plus de signification.

58Comme de nombreuses autres activités sportives, le golf permet de cultiver des compétences utiles dans d’autres domaines. De surcroît, il permet aux jeunes golfeurs de facilement rencontrer des joueurs plus âgés qu’ils peuvent ensuite contacter lors des périodes clés de leur entrée dans la vie active. Ce résultat est doublement intéressant. Tout d’abord parce qu’il permet de mettre l’accent sur un avantage spécifique à certaines activités sportives : les opportunités engendrées par des pratiques effectuées conjointement par des personnes d’âges différent. Ensuite, parce qu’il conduit à s’interroger sur le sens de la causalité. En d’autres termes, le golf est-il un facteur d’insertion professionnelle ou, au contraire, former un capital golfique n’est-il pas réservé aux personnes socialement favorisées ? Pour les adultes, comme nous l’avons vu, la réponse dépend très largement du pays d’origine. Pour les étudiants-golfeurs, même si la pratique parentale est un élément déterminant dans le choix de cette activité, cette hypothèse ne peut pas être retenue puisque par définition la pratique précède l’insertion. Comme pour d’autres sports (Eber, 2006) l’idée d’une « prime golfique » [29] est donc acceptable. Les spécificités des conditions de pratique offrent cependant des possibilités de valorisation élargies. Socialement par exemple, comme les sports collectifs, il permet d’avoir de multiples contacts mais beaucoup plus diversifiés puisque ceux-ci peuvent se nouer « autour » du parcours mais aussi « sur » le parcours. Comme d’autres sports individuels, il offre de nombreuses possibilités de rencontres mais avec des horizons temporels et géographiques radicalement différents : une partie de golf dure longtemps et les règles sont identiques partout dans le monde !

59Les constats précédents ont deux implications principales. L’étude de « l’effet santé » du capital golfique mériterait très certainement d’être approfondie pour définir avec précision les conditions d’une pratique raisonnée, voire même « préventive » pour les « seniors ». À ce niveau les initiatives impulsées par la Fédération Française de Golf [30] ne peuvent donc qu’être encouragées. Pour les pays où le golf n’est pas implanté de longue date le développement de la pratique dans l’ensemble de la population est un long chemin. Les actions ponctuelles ne peuvent guère être couronnées de succès. L’essentiel du travail doit porter sur l’image de ce sport et les conditions d’accès à la pratique pour les plus jeunes. À ce niveau, en France, une étude menée dans les clubs de l’hexagone se révélerait donc certainement très instructive.

60Le protocole de recherche mis en œuvre doit néanmoins nous inviter à la prudence. Des investigations économétriques ou des études mobilisant les outils de l’économie expérimentale pourraient utilement le compléter. Ces études pourraient même être étendues dans trois directions. À des fins de comparaison, il pourrait être intéressant de les mettre en œuvre à une plus grande échelle, en opposant plus nettement la population des golfeurs à celle des non-golfeurs. Le sens de la causalité détention d’un capital golfique – insertion professionnelle pourrait également être testé. Par ailleurs, il pourrait être fructueux de faire le même type d’étude pour des sports dans lesquels les conditions de pratique sont différentes.

Conclusion

61Jerry Lewis avait une définition assez particulière des businessmen américains : « Le businessman américain est un monsieur qui toute la matinée parle de golf à son bureau et qui, le reste de la journée, discute affaires sur le terrain de golf ». Sans doute un peu caricaturale… cette citation atteste des opportunités professionnelles dont peuvent tirer profit certains détenteurs d’un capital golfique.

62La notion de capital golfique (et même plus généralement de capital sportif) est encore peu répandue. À partir de la théorie du capital humain, si l’on accepte l’hypothèse selon laquelle celui-ci peut-être formé hors de la sphère professionnelle, il est cependant possible de le définir comme une composante du capital humain correspondant à l’ensemble des connaissances, compétences, savoir-faire, aptitudes… nécessaires à la pratique de cette activité sportive. À l’instar d’autres formes de capitaux, celui-ci peut-il être valorisé ? En d’autres termes, peut-on considérer que le capital golfique est un facteur d’insertion professionnelle (recrutement et activité) ? Une source de bienfaits (physiques et mentaux) ? Les investigations empiriques qualitatives et quantitatives entreprises pour répondre à ces interrogations conduisent à des résultats contrastés. Fondamentalement, les réponses sont fonction de l’implantation du golf dans le pays considéré, de la connaissance de l’activité par les personnes rencontrées et des capacités des golfeurs à transférer les investissements réalisés dans d’autres domaines. L’utilité du capital golfique reste donc en partie subjective. Néanmoins, elle n’est pas nulle : le golf est une activité où le taux de rendement des investissements est positif. Maîtriser ses subtilités engendre des coûts mais les « retombées » envisageables ne se limitent très certainement pas au chemin allant du tee au green, l’un des experts interrogés nous ayant même suggérer de nous demander dans quelle mesure le golf pouvait également être considéré comme un « outil de séduction »…

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Date de mise en ligne : 26/07/2016

https://doi.org/10.3917/mav.086.0119

Notes

  • [1]
    Patrice BOUVET : Université de Poitiers, Centre de Droit et d’Economie du Sport - Patrice.bouvet@univ-poitiers.fr
  • [2]
    Sur ce point voir la thèse de C. Cabane (2011).
  • [3]
    Pourcentage de réussite, comportement décisif, temps de jeu…
  • [4]
    Préparation physique et mentale, entraînement…
  • [5]
    Entraînement spécifique, préparation physique et mentale, régime alimentaire…
  • [6]
    Leçon, entraînement, vidéo…
  • [7]
    Vieillissement, changement technique, blessure…
  • [8]
    Le golf n’apparaît que de façon marginale.
  • [9]
    L’autre exemple souvent cité étant la voile.
  • [10]
    Tennis, escrime…
  • [11]
    Football, basket-ball…
  • [12]
    Gymnastique, patinage artistique…
  • [13]
    Compétition où dans une même équipe sont réunis un joueur professionnel et trois joueurs amateurs.
  • [14]
    Olivier Rouillon, médecin de la Fédération Française de Golf.
  • [15]
    La proportion des graisses dans l’organisme.
  • [16]
    En psychologie, capacité à rapidement passer mentalement d’une activité à une autre.
  • [17]
    Il s’agit là de la conception dite transactionnelle du stress que l’on doit à Lazarus et Folkman (1984).
  • [18]
    Sur ce point voir Missoum et Minard (1990).
  • [19]
    De nombreuses études cherchent à apprécier les effets de la pratique d’une activité physique et sportive sur le stress. Sur ce point voir notamment : Roth & Holmes (1987) et Long (1993).
  • [20]
    Etat de forme générale, aptitudes mentales, caractère préventif de certains symptômes…
  • [21]
    Olivier Rouillon et Alain Michel, auteurs du livre Golf et santé.
  • [22]
    En 2013 par exemple, les Etats-Unis comptaient 27,1 millions de pratiquants (8,6 % de la population) alors que la France n’en comptait que 422 000 (0,64 % de la population).
  • [23]
    Améliorer son niveau de jeu.
  • [24]
    Parcours, club house, practice…
  • [25]
    Sur ce point voir également : Rojot (2006).
  • [26]
    Dans ce cas les participants aux négociations partagent certaines valeurs, l’état d’incertitude et l’impact du stress inhérent à la négociation est limité et l’environnement est agréable.
  • [27]
    Sur ce point, voir : Jancke et al. (2009).
  • [28]
    Certains parlent même de secte…
  • [29]
    Idée selon laquelle les sportifs, et donc ici les golfeurs, ayant pratiqué un sport durant leurs études s’insèrent mieux sur le marché du travail que les non sportifs.
  • [30]

Domaines

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