Notes
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[1]
Cet article s’appuie en partie sur les deux références suivantes :
- Vitry C., Chia E. (2014), « Enrôlement et contextualisation d’un SCOT : quelles implications pour les apprentissages de gouvernance ? », 51ème colloque de l’ASRDLF, 7 au 9 juillet 2014, Marne-la-Vallée, France. 22 p.
- Vitry C. (2014), « Vers une théorie des apprentissages de gouvernance : une exploration en territoire périurbain », Thèse de doctorat, Montpellier, Montpellier SupAgro, 482 p.
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[2]
Chloé VITRY : Research Associate, School of Business and Economics, Loughborough University - c.vitry@lboro.ac.uk
-
[3]
Eduardo CHIA : Directeur de Recherche, UMR Innovation, INRA, Montpellier - chia@supagro.inra.fr
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[4]
Les alliés sont les acteurs humains et non-humains qui vont participer (partager, soutenir une action, un projet spécifique…) à un moment donné au processus de changement, d’innovation, de co-conception. Ils peuvent par la suite être enrôlés devenant ainsi des acteurs de la situation, disparaître ou devenir des opposants (Latour, 1993).
-
[5]
HUANG R. (2014), RQDA : R-based Qualitative Data Analysis. R package version 0.2-7. http://rqda.r-forge.r-project.org/
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[6]
Les textes entre guillemets et en italique sont des extraits des entretiens d’acteurs, réalisés entre 2013 et 2014.
-
[7]
Par soucis d’anonymat, les noms des élus ont été remplacés par « Elu1 » à « Elu X » et leurs communes ont respectivement été remplacées par « Com1 » à « ComX ». Les employés sont désignés par « Emp1 » à « Emp3 » ou par leur fonction (« animatrice »).
1 – Introduction
1Les instruments n’ont pas seulement envahi la vie des organisations et des territoires mais ils prolifèrent de manière considérable (De Vaujany, 2006). Ils structurent les comportements des acteurs et modifient leur système. Comprendre la façon dont les acteurs s’approprient ou fabriquent les instruments devient un enjeu pour la recherche en gestion et les décideurs privés et publics. Lorsque les acteurs d’un territoire font face à des instruments d’action publique (SCOT, PLU...), ils doivent produire de nouvelles connaissances pour s’approprier ces instruments ou les détourner. Si de nombreuses études signalent l’importance des outils et instruments dans la conduite et le fonctionnement des organisations (Aggeri et Labatut, 2010 ; Berry, 1983 ; Boussard et Maugeri, 2003 ; Moisdon, 2007) on trouve, ces dix dernières années, moins de travaux qui s’intéressent aux apprentissages générés par ces instruments et outils.
2En gestion publique, la question du rôle des instruments dans l’action collective se retrouve au cœur du paradigme de gouvernance territoriale (Lascoumes et Simard, 2011 ; Chia et al., 2008). Ils deviennent des auxiliaires indispensables (Berry, op. cit.) pour explorer des mondes possibles, évaluer leurs actions et négocier avec l’extérieur. La gouvernance a pour objectif de faire participer aux décisions et à leur mise en place un ensemble disparate d’acteurs, avec des logiques et ressources différentes. Les acteurs ont ainsi besoin de se coordonner pour non seulement se fixer des objectifs communs mais aussi pour mettre en place leurs décisions et en évaluer les résultats. Ce sont ces instruments, qu’ils peuvent fabriquer ou s’approprier, qui vont leur permettre de se coordonner.
3Nous avons souhaité étudier les rôles des instruments et outils dans une « situation de gestion » (Girin 1990) territoriale produite par la mise en place d’un schéma de cohérence territoriale (SCOT) par une intercommunalité. Nous avons porté un regard particulier sur les apprentissages issus de la contextualisation du SCOT et qui vont structurer le mode de gouvernance de cette situation de gestion. Après avoir présenté en première partie notre grille d’analyse, nous présenterons en deuxième partie notre terrain d’étude et notre méthodologie. La troisième partie sera consacrée à la présentation des résultats en portant un regard particulier sur la façon dont les acteurs contextualisent les instruments, et l’impact de ces instruments dans les comportements des acteurs et sur la nature des apprentissages. En conclusion nous reviendrons sur l’importance des instruments et des apprentissages dans la gouvernance, des territoires dans notre cas et nous préciserons certaines pistes pour continuer ce type de travaux dans des situations de gestions diverses.
2 – Un cadre d’analyse de la contextualisation et des apprentissages pour éclairer les processus de gouvernance
4Les territoires sont devenus depuis quelques années de véritables organisations et représentent des enjeux majeurs pour les pouvoirs publics, et des objets de recherche pour les sciences de gestion. La question de la coordination dans ces territoires étant centrale, nous avons souhaité comprendre comment les acteurs peuvent apprendre à se coordonner et coopérer lorsqu’ils sont confrontés à des instruments d’action publique, c’est-à-dire comment l’action collective peut se construire par les apprentissages et instruments. Hatchuel affirme que « le principe fondamental d’une théorie de l’action collective est l’inséparabilité des savoirs et des relations » (2000, p.33). Parler d’action collective en analysant les apprentissages revient donc à analyser d’une manière spécifique les liens entre ces savoirs et ces relations, à savoir comment l’un produit l’autre – et réciproquement. Cette question nous a amené à mobiliser deux cadres théoriques : l’instrumentation, et les apprentissages organisationnels.
2.1 – Un cadre théorique articulant instruments et apprentissages
2.1.1 – Les apprentissages organisationnels pour l’étude de la gouvernance
5Si les apprentissages intéressent plusieurs disciplines depuis les sciences de l’éducation à l’économie, c’est à partir des travaux de sciences de gestion sur les apprentissages que nous allons nous appuyer. De nombreuses définitions de l’apprentissage existent, et de nombreux auteurs choisissent de le comprendre comme un processus soit strictement cognitif, soit strictement comportemental (Leroy, 1998). Nous préférons penser l’apprentissage à la fois comme un changement cognitif ou comportemental produit par les individus. Dans la lignée des auteurs constructivistes (Örtenbald, 2001) nous pouvons distinguer trois catégories de « sujet » apprenant : individuel, lorsque l’individu apprend seul ; collectif, lorsque le groupe produit ensemble des apprentissages ; et enfin organisationnel, lorsque l’apprentissage est ancré non plus dans les individus qui l’ont produit, mais dans les routines de l’organisation. Argyris et Schön (2001) proposent une typologie de « boucle » : l’apprentissage en première boucle fait référence à un changement dans la stratégie, alors que l’apprentissage en seconde boucle se réfère à un changement dans les buts ou les valeurs qui dictent ces derniers. D’autres chercheurs se sont focalisés sur le processus de création et transmission de la connaissance produite par les apprentissages.
6De nombreux auteurs ont fait le rapprochement entre apprentissages organisationnels et gouvernance. La tendance est plutôt à regarder la gouvernance comme vecteur de l’apprentissage et non l’inverse (Berkes, 2009 ; Lamari, 2011 ; Newig, Günther et Pahl-Wostl, 2010 ; Young, 2010). L’originalité de l’article tient dans le fait que nous cherchons à comprendre comment les apprentissages peuvent structurer l’action collective, et donc dans notre cas particulier la gouvernance territoriale. Nous montrerons dans l’analyse des résultats qu’un de ces apprentissages s’apparente à la notion de sensemaking (Weick et al., 2005), c’est-à-dire un processus de construction du sens commun de l’action collective, qui consiste à « transformer des circonstances en situation qui est explicitement formulée et qui sert de tremplin à l’action ».
2.1.2 – Notions d’instrumentation
7Nous postulons que les apprentissages sont « activés » par les instruments (Moisdon, 2007) dans l’organisation, à la fois parce que les individus s’emparent de l’instrument et le modifient, mais également parce que cet instrument va provoquer des changements, donc des apprentissages dans cette organisation. L’originalité de cette proposition est double. Elle explore, tout d’abord, un aspect mis en évidence par les travaux récents sur l’instrumentation de l’action publique, qui soulignent l’importance de comprendre les apprentissages (Halpern, Lascoumes et Le Galès, 2014). Deuxièmement, elle participe aux recherches sur les rôles des instruments de gestion dans le fonctionnement des organisations avec des études des cas dans le domaine de la gouvernance de territoires, cas particulièrement intéressants puisqu’il s’agit de phénomènes complexes avec de nombreuses interactions entre différents acteurs. Or, se focaliser sur l’analyse des « intentions » des acteurs demanderait un travail trop important pour séparer les « théories d’action » des « théories d’usage » (Argyris et Schön, op. cit.), alors que l’analyse des instruments permet d’accéder directement aux faits (Aggeri et Labatut, 2010).
8Dans le champ des recherches sur l’instrumentation, de nombreux termes sont employés pour désigner des concepts proches sous certains aspects mais dont les nuances en font tout l’intérêt : technique gestionnaire, outil de gestion, innovation managériale, artéfact, dispositif… en sont quelques exemples. Dans nos recherches, nous avons séparé ces nuances en trois catégories : les outils, les instruments (ou innovations managériales) et les dispositifs. Ces catégories sont résumées dans le Tableau 1.
Différenciation entre outil, instrument et dispositif
Différenciation entre outil, instrument et dispositif
9Nous pouvons définir simplement l’outil comme le « prolongement de la main », un auxiliaire « utile » à visée opérationnelle (Aggeri et Labatut, op. cit.). Son but n’est pas ancré dans son fonctionnement mais dans l’utilisation qu’en font les individus. Ainsi le marteau peut tout aussi bien planter des clous que briser une vitre ! En ce sens, les outils de gestions sont autant les réunions que les tableaux de bord. L’instrument en revanche est « le produit d’une opération de pensée supérieure » (ibid.). Il est ce porteur du dessein managérial, de cette philosophie gestionnaire, et cette « opération de pensée intellectuelle » qu’est la vision simplifiée des relations. Enfin, l’instrument est constitué d’un certain nombre d’outils qui constituent son « substrat technique » (Hatchuel et Weil, 1992). Certains auteurs, notamment en sociologie et sciences politiques, donnent à l’instrument une dimension sociale et politique (Oiry, 2003 ; Boussard et Maugeri, 2003 ; Chiapello, Gilbert et Baud, 2013). En ce sens, leur définition se rapproche fortement de l’idée de dispositif tel que défini par Foucault : « un ensemble de règles, lois, propositions, énoncés scientifiques,… bref, un ensemble d’outils et d’instruments qui, mis en relations les uns avec les autres, constituent un réseau que l’on nomme dispositif » (Foucault, 2001). Pour nous, la dimension politique du dispositif qui est mise en avant n’est pas celle portée dans l’instrument à travers sa philosophie gestionnaire et sa vision simplifiée des relations, mais est le produit de la transformation que subit l’instrument aux mains des acteurs qui s’en emparent. Ainsi, l’instrument de gestion par sa vision simplifiée des rapports et sa philosophie gestionnaire porte les rapports de domination tels qu’ils sont perçus et voulus par ceux qui produisent ce processus. Les instruments sont ensuite transformés en dispositifs au sein de l’organisation, et les phénomènes de régulation autonomes alors opérés transposent la conception du pouvoir telle que perçue à l’origine en illustration réelle de ce que sont les rapports dans l’organisation. C’est l’interprétation que nous faisons du processus que David (1998) appelle contextualisation.
2.2 – Etudier les relations entre acteurs et instruments : éléments d’analyse
10Pour analyser la manière dont les acteurs peuvent apprendre à coopérer par les instruments, nous proposons de construire un cadre d’analyse mobilisant deux approches : une approche par le « consensus », et une approche par les « controverses ». Dans la première approche, nous utilisons la théorie de la contextualisation des instruments de David (1998), qui nous permet d’analyser l’évolution des rapports du collectif avec l’instrument. Dans la deuxième approche, nous utilisons la sociologie de la traduction initiée par Callon et Latour, ce qui nous permet de comprendre les mécanismes sous-jacents d’enrôlement et de controverses au sein du collectif. Nous pensons que la recherche qualitative, en particulier lorsqu’il s’agit d’étude de cas, doit recourir à des théories différentes pour expliquer un même phénomène. Cela permet entre autre de gérer partiellement le « risque de méconnaissance du phénomène d’équifinalité » (Dumez, 2013), et enrichit l’étude de cas en multipliant les angles d’analyse. Ce cadre d’analyse a été construit dans le cadre d’une recherche abductive, faite d’aller-retours entre analyse bibliographique, collecte des données et analyses de celles-ci : les théories ont été choisies pour leurs capacités à éclairer les phénomènes observés sur le terrain.
2.2.1 – Contextualisation d’un instrument : approche par le « consensus »
11Pour illustrer le chemin que prend l’instrument dans l’organisation, certains auteurs utilisent le terme d’adoption, ce qui limite l’intégration de l’instrument dans l’organisation à un choix binaire entre adoption et rejet. De Vaujany (2006) approfondit le modèle, dépassant ce diptyque conception-usage pour parler d’appropriation et illustrer le chemin de la conception à l’usage dans toute sa richesse. Dans cette approche ce qui est attendu de l’instrument est avant tout une transformation. En revanche, nous pensons que les théories qui se rattachent à ce modèle limitent trop le processus à une modification de l’instrument par les acteurs qui se l’approprient, et ne rend pas compte avec assez de détails de son caractère transformatif sur les acteurs. Or, c’est bien cette relation qui nous intéresse pour comprendre la manière dont les instruments peuvent produire des apprentissages chez ces acteurs. Ainsi nous préférons utiliser la notion de contextualisation (David, 1998), qui prend à la fois en compte la possibilité des acteurs de modifier et s’emparer de l’instrument, mais également la manière dont l’instrument, parce qu’il porte une « vision simplifiée » des rapports et une « philosophie gestionnaire », peut modifier les comportements et la connaissance qu’ont les agents de la situation et d’eux-mêmes : en bref, leur permettre de réaliser des apprentissages.
12Dans la Figure 1, nous avons représenté les modifications fortes ou faibles subies par les instruments (ordonnées) dans l’utilisation que les acteurs en font, avec les modifications subies par les acteurs au niveau de leur comportement lorsqu’ils utilisent l’instrument (abscisses). L’une des quatre situations possibles nous paraît impossible : nous faisons l’hypothèse qu’une modification forte de l’instrument par les acteurs n’est pas possible sans que ceux-ci se soient a priori familiarisé avec son substrat technique, et donc aient été eux-mêmes ’transformés’ par de nouveaux apprentissages. Nous nous intéresserons alors dans cet article à analyser les trois autres situations en termes d’apprentissages et dans le temps. Dans la situation 1, l’instrument est accepté ou utilisé par peu d’individus et a peu d’influence sur la conduite de l’action collective. Dans la situation 2, il est utilisé et provoque des changements importants dans les comportements des acteurs. Enfin dans la situation 3, l’instrument est transformé par les acteurs en dispositif, lui attachant un rôle supplémentaire à son rôle originel. En appliquant cette grille à notre étude de cas, nous montrerons que chaque étape peut produire des apprentissages différents.
Cadre d’analyse du processus de contextualisation
Cadre d’analyse du processus de contextualisation
2.2.2 – Sociologie de la traduction : approche par les « controverses »
13La « sociologie de la traduction » ou « théorie de l’acteur-réseau », initiée par Callon et Latour, propose une lecture des interactions entre acteurs d’un réseau basée sur la manière dont ce réseau se construit par étapes de « traduction » pour arriver, s’il réussit, à n’entendre plus que « des voix parlant à l’unisson et se comprenant mutuellement » (Callon, 1986, p. 204). De fait, ce processus de traduction ressemble fortement aux situations de gouvernance : la construction d’un réseau qui permet à des acteurs aux identités et intérêts multiples de coopérer pour agir collectivement. Une des notions clés de cette approche est la controverse, qui désigne le plus simplement une « situation dans laquelle les acteurs sont en désaccord » (Venturini, 2010). La notion de controverse est au cœur de la sociologie de la traduction, qui considère que les savoirs et techniques sont rarement stables (sous forme de « boîte noire ») mais sont multiples : c’est autour de ces controverses que vont se constituer et se construire les « réseaux » d’acteurs. Ceux-ci vont se construire par des processus d’« intéressement » : certains acteurs vont tenter d’enrôler d’autres acteurs dans la situation, c’est-à-dire convaincre ces acteurs de participer à la controverse. Une fois ces acteurs enrôlés, ils peuvent devenir des « alliés », c’est-à-dire des acteurs qui renforcent une position ou une autre dans la controverse.
14Oiry (2003) reprend les concepts de la sociologie de la traduction pour analyser la construction et la contextualisation des instruments. Il simplifie la théorie de l’acteur-réseau en reprenant les concepts-clés et les appliquant au contexte de l’instrument. Il définit alors le processus de traduction de l’instrument par un acteur comme composé de trois éléments : l’objectif que cet acteur donne à l’instrument, le rôle que cet acteur se donne pour que l’objectif soit atteint, et le rôle qu’il donne aux autres acteurs du « réseau », dans ce cas l’organisation. Le processus de traduction de l’instrument passe alors par quatre phases : la problématisation, la création de dispositifs d’intéressement, l’enrôlement et la mobilisation des alliés [4]. Nous retrouvons, dans la phase de problématisation, des phénomènes et des comportements qui sont à l’origine de la composante « vision simplifiée des rapports dans l’organisation » d’un instrument. Ainsi le concepteur de l’instrument, ou celui qui l’introduit dans l’organisation effectuerait une « problématisation » de la situation initiale. Le concept peut-être le plus intéressant est celui du « porte-parole », qui va mettre en place des dispositifs d’intéressement pour enrôler les autres acteurs et les encourager à accepter leur rôle tel qu’il est défini par l’instrument dans la situation de gestion.
3 – Terrain d’étude et méthode utilisée
3.1 – Présentation de l’étude de cas
15La Communauté de Commune étudiée, que nous appellerons ComCom, est un territoire périurbain composé de 13 communes. Son taux de croissance annuel moyen (1999-2005) est de 2,51 %, un des plus forts de France (INSEE), principalement dû à l’afflux de nouveaux habitants venant des deux aires urbaines adjacentes entre lesquelles ComCom se situe. Ce territoire est très hétérogène à la fois en termes d’urbanisation (contraste de communes à forte urbanisation et de communes plus rurales) et de type de production agricole. Il est situé entre deux grandes zones urbaines majeures de la région. En 2002, le conseil communautaire a décidé de créer son Schéma de Cohérence Territorial (SCOT). Cet instrument d’action publique national a été conçu dans le but de guider les acteurs publics locaux dans l’organisation du territoire en respectant les principes de gouvernance. Son objectif principal est d’assurer la cohérence des Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) à l’échelle de l’intercommunalité ou plus. Le processus de création du SCOT doit se réaliser avec la participation des services publics concernés, mais également des citoyens et autres parties prenantes. Concrètement, le bureau de la ComCom, composé de 13 élus parmi le conseil de communautés, est chargé de son élaboration ; le conseil quant à lui vote sur les décisions majeures (périmètre, orientations, etc.). C’est également une première expérience pour la ComCom : c’est le premier instrument d’action publique que les élus du bureau doivent mettre en place collectivement. Au lancement de la démarche, la ComCom a été parmi les premiers à adopter cet instrument, et aucun SCOT n’était encore abouti en France. C’était également la première fois que les élus de la communauté de commune étaient invités à travailler ensemble pour réfléchir à leur avenir à l’échelle du territoire. Cet instrument constitue donc une véritable première expérience de gouvernance territoriale pour eux.
3.2 – Méthodologie
16Nous avons choisi pour répondre à notre question de recherche la méthode de l’étude de cas, adaptée à une recherche visant la compréhension d’un problème (pourquoi/comment). À partir d’un cas unique, la politique agricole de cette ComCom, nous avons étudié le cas encastré (Yin, 2009) du processus d’élaboration de son SCOT. Dans une démarche de recherche abductive, nous avons d’abord procédé par une étude préliminaire comportant l’analyse de documentation (numéros de magazine de la ComCom, site Internet, études et travaux de recherche passés, documents officiels) et 11 entretiens semi-directifs (agriculteurs et employés de la ComCom) autour de la politique agricole et de ses actions collectives. Cela nous a permis d’identifier le SCOT comme « fait remarquable » à étudier. Pour l’étude de ce cas encastré nous avons par la suite effectué 14 entretiens semi-directifs avec les membres du bureau de la ComCom (maires ou conseillers municipaux) ainsi que l’analyse d’archives (compte-rendu de séance, rapports de réunion…). Aussi, cette étude de cas suit un exemple de gouvernance territoriale spécifique : la coopération entre élus au sein d’une intercommunalité – en opposition à d’autres formes de gouvernance territoriale, comme les espaces de concertation citoyenne ou les partenariats public-privé. Par coopération, nous entendons l’action collective des élus malgré des intérêts qui peuvent être différents, voire divergeant – notamment compte tenu des contrastes entre communes urbaines et communes rurales, dans l’objectif d’atteindre un objectif commun.
17L’analyse des données qualitatives a mobilisé deux méthodes. Nous avons tout d’abord procédé à l’analyse séquentielle des évènements de l’élaboration du SCOT, produisant une « analyse de chronique » (Rey-Valette et al., 2011), qui permet en rapprochant des données de rendre visibles des liens entre évènements, facilitant l’analyse (Dumez, 2013). Nous avons par la suite procédé au codage multithématique des entretiens retranscrits à l’aide de RQDA [5] (équivalent libre Nvivo). Ces thèmes venaient des théories générales mobilisées mais également du matériau même, ce qui permet de gérer le risque de circularité dans le processus de codage (Dumez, ibid.). Ainsi, nous avons créé une catégorie « apprentissage » pour identifier des éléments dans le corpus relevant des théories sur l’apprentissage organisationnel, avec par exemple les codes première_boucle et seconde_boucle. À l’opposé, le thème « SCOT », dans lesquels les codes servant à décrire le processus d’élaboration ont été regroupés, a émergé du matériau, avec par exemple les codes espace_respiration ou efficacité_SCOT. Nous avons ensuite, à l’intérieur des thèmes, procédé à une analyse des ressemblances et différences pour faire émerger des relations que nous avons interprété à l’aune des théories mobilisées.
3.3 – La situation de gestion, une notion pour cadrer l’étude de cas
18Les instruments en eux-mêmes ont parfois des limites trop floues pour pouvoir scientifiquement les délimiter comme objets de recherche. Aussi, l’objet de recherche adéquat semble plutôt être la situation de gestion qui « se présente lorsque des participants sont réunis et doivent accomplir, dans un temps déterminé, une action collective conduisant à un résultat soumis à un jugement externe » (Girin, 1990). Les situations de gestion sont donc des moments qui impliquent justement l’implication d’un certain nombre d’acteurs autours d’instruments. D’ailleurs, ces situations de gestion ont une dimension territoriale (Raulet-Croset, 2008) puisqu’ils se définissent à travers trois composantes : des participants, une dimension temporelle (un début et une fin) et une dimension spatiale. Ainsi l’on retrouve la notion du territoire à la fois comme déterminant de la situation (territoire prescrit : l’espace entier est pris en compte dans la situation parce qu’il existe comme tout) mais également comme déterminant des acteurs (territoire construit : les acteurs interviennent dans la situation de gestion parce qu’ils font partie du territoire). Étudier la gouvernance territoriale par ses situations de gestion nous offre donc un cadre concret qui permet de délimiter l’unité d’analyse du cas.
4 – Construction d’un SCOT : de l’instrument au dispositif
4.1 – Présentation de la situation de gestion
19La situation de gestion débute le 20 décembre 2001 lorsque la procédure de construction du SCOT s’est officiellement enclenchée. Elle s’achève le 11 juillet 2006, date du vote d’approbation du document écrit du SCOT au conseil de communautés. La dimension spatiale de la situation de gestion a été officiellement déterminée le 24 juillet 2002, lorsque le préfet du département a approuvé le périmètre du SCOT (identique au périmètre de la ComCom). Cette dimension spatiale définit en partie les acteurs impliqués dans la situation de gestion : les 13 communes de la ComCom sont en effet impliquées dans le processus. C’est donc la ComCom en tant qu’institution qui est chargée de l’élaboration du SCOT, toutes les municipalités étant représentées au bureau communautaire. D’autres acteurs participent à l’élaboration du SCOT notamment par les processus participatifs (agriculteurs, habitants), mais n’ont pas de réel pouvoir décisionnel concernant la situation (ils ne la « gèrent » pas), et ne seront pas non plus le fruit du « jugement externe » caractéristique de la situation de gestion. C’est pour cette raison que nous les considérons comme extérieurs à la situation de gestion. Des acteurs externes au territoire peuvent faire partie de la situation de gestion (par exemple, un bureau d’étude qui accompagne ComCom). Cependant, dans un souci de simplification, et puisque nous ne discutons pas du rôle des consultants éventuels dans cet article, nous considérerons que tous les acteurs prenant part à la situation de gestion font partie du territoire. La Figure 2 illustre les différentes étapes.
Chronique de l’élaboration du SCOT
Chronique de l’élaboration du SCOT
4.2 – Construction de la coopération dans la situation de gestion : enrôlement et controverses
20La situation de gestion mettant en jeu l’acceptation d’un instrument, nous avons analysé, en suivant la théorie de l’acteur-réseau, les processus de problématisation et enrôlement. Les employés et élus ont peu d’expérience quant aux nouveaux modes de gouvernance – et leurs instruments – qu’impose la construction d’une Communauté de Communes. Aussi, la construction de ce réseau se cristallise justement pendant la situation de gestion, autour du SCOT. Celui-ci va devenir, par une série d’actions ou travail de traduction un point de passage obligé : il apparaît incontournable. Notons que de nombreux territoires français attendront plusieurs années pour entamer les procédures de création de leur SCOT. À la ComCom, le processus de problématisation produit dans les premiers temps a permis de définir quels sont les acteurs impliqués dans la situation de gestion, identifier leurs relations et stratégies et définir le périmètre d’action et la limite géographique de la situation de gestion.
21Lorsque les employés et élus de la ComCom commencent à aborder l’idée d’établir un SCOT en 2001, de nombreux élus remettent en cause l’utilité de l’instrument, celui-ci paraissant se superposer aux instruments d’urbanisme déjà existant à l’échelle des communes (PLU). Il est d’abord vu comme un gaspillage de moyens et de temps, et surtout comme une menace, supprimant aux élus la prérogative de choisir les modes d’urbanisation sur leur commune. D’ailleurs, les différences de pratiques d’urbanisation sur les communes de la ComCom à l’époque sont en contradiction avec l’idée d’un instrument communautaire de type SCOT :
« Ça a été un des freins au départ : un certain nombre de maires avaient mis en place depuis 10 à 20 ans des pratiques d’urbanisation en contradiction… Donc c’était difficile pour eux d’accepter le regard d’une autre commune sur la leur. » [6]
23Ces décalages entre pratiques anciennes et nouvelles règles d’aménagement génèrent une série de controverses. Elles apparaissent déjà au moment de la problématisation, lorsqu’il s’agit de délimiter le périmètre du SCOT, qui fixe également le réseau. Plusieurs élus souhaitent tout d’abord créer un SCOT interdépartemental avec quelques communes du département voisin. Le projet de périmètre est soumis à l’avis de la Communauté d’Agglomération voisine, du Département dont fait partie la ComCom, et de la Région. D’après Emp2 [7], la Région aurait émis un avis favorable au projet de SCOT interdépartemental, alors que le Département et la Communauté d’Agglomération auraient émis un avis défavorable. Contrairement à l’usage, le préfet du département aurait alors choisi de suivre l’avis du Département plutôt que de la Région et demande à la ComCom de modifier le périmètre « compte tenu des incertitudes existantes sur la situation à l’ouest côté [département de ComCom], et à l’est, côté [département voisin] » (extrait du registre des délibérations de la séance du conseil communautaire du 20 décembre 2001). Le conseil procède alors au vote pour approbation du nouveau périmètre, lors duquel Elu4 et Elu2 votent contre, exprimant ainsi leur désaccord avec la décision de la préfecture. Cette controverse sera réinterprétée plus tard par un des élus, qui accusera le bureau élu de la ComCom d’avoir choisi un périmètre « vide de sens » en ignorant les communes du département voisin !
24En tant qu’acteur « non-humain », le SCOT nécessite bien un ou des porte-paroles pour l’intégrer au sein du réseau. Le président de la ComCom (Elu5), le vice-président en charge de l’élaboration du SCOT (Elu8) et un « jeune » maire (Elu4) vont jouer ce rôle de porte-paroles et vont tenter d’intéresser puis enrôler les autres acteurs de la situation de gestion. Ils mobilisent tout d’abord deux employés : le directeur de la ComCom (Emp2) et l’animatrice recrutée spécifiquement pour la situation de gestion, de 2003 à 2006 (Emp1). Ces derniers vont mettre en place des dispositifs d’intéressement et des alliances pour enrôler les autres acteurs dans le processus. Tout d’abord, un avocat spécialisé dans les pratiques d’urbanisation est invité pour présenter aux élus les limites du PLU en termes de projets de développement du territoire. Puis l’animatrice conduit des entretiens individuels avec chaque élu du Conseil de Communauté, ainsi que d’autres élus municipaux, pour discuter avec eux sur l’identité de leur territoire (municipal et intercommunal). Ces entretiens individuels donnent suite à des discussions collectives. Celles-ci sont appuyées par une campagne de photographies aériennes du territoire, permettant de mettre en évidence la réalité de l’urbanisation du territoire (zones urbanisées, zones cultivées, zones en friche). Ces photographies aériennes représentent à ce titre des investissements de forme qui simplifient la complexité du territoire et de son urbanisation. Autour de ceux-ci se créent des débats entre élus, qui permettent la co-construction d’une définition du territoire, qu’ils voient comme « espace de respiration » entre les deux grandes agglomérations. Dans ce sens, ces instruments – et notamment les photographies aériennes – sont des véritables objets intermédiaires qui permettent aux acteurs non seulement d’aboutir à un projet commun mais aussi de « fabriquer » un langage commun !
25D’autres actions sont mises en place pour officiellement « lancer » le processus de concertation avec la population, inhérent à l’élaboration du SCOT, notamment une enquête sur l’alimentation auprès de la population de la ComCom. Ces outils de concertation sont spécifiquement choisis par l’animatrice pour éviter la confrontation directe entre élus et citoyens, qui pourrait « effrayer » les élus à une période où justement leur intéressement au processus est en jeu. La concertation est donc organisée autour d’un concours qui vise à faire photographier le territoire par les citoyens pour connaître leur point de vue et la manière dont ils se représentent son identité. Ainsi, l’utilisation d’intermédiaires est fréquente, à la fois sous formes d’outils ou d’acteurs humains, les employés jouant le rôle de médiateur entre citoyens et élus. Elu7, par exemple, qui était initialement en opposition à l’idée de créer un SCOT, s’est « laissé convaincre » à l’idée de définition collective d’une identité territoriale commune (malgré le caractère fortement urbain de sa commune, éloigné de l’idée de « territoire rural ») par la mobilisation de ces outils. La première enquête à la population en 2003, qui a reçu plus de mille réponses, a montré que cette idée d’espace de respiration était présente également dans l’esprit des habitants. L’enquête a alors servi « d’argument de poids » pour le convaincre : s’il avait une légitimité à se poser en opposition aux autres élus, s’opposer à l’opinion des citoyens qui l’avaient élu était beaucoup moins légitime :
« [Elu7] a senti qu’il ne pouvait pas faire vraiment autrement que se rallier à [l’idée d’espace de respiration] parce qu’il l’a senti quand il a vu l’enquête de la population. […] Le vrai, le gros effet de masse c’est quand même plus de mille questionnaires retournés ».
27Cette consolidation de l’enrôlement de certains élus par l’enquête publique se retrouve également dans d’autres formes de concertation mises en place. L’exposition photo organisée à partir du concours « tirez-lui le portrait » a également joué ce rôle de « convaincre » ou tout du moins « rassurer » les élus dans leur ressenti :
« Pas mal avaient pris des images qui parlaient de la banalisation des territoires urbains. Ça avait aidé les élus à partager un ressenti du territoire ».
29À l’issue de ce processus, plusieurs élus sont moins vocaux dans leur refus de participer à l’élaboration du SCOT. Certains élus sont même enrôlés, et se joignent aux porte-paroles initiaux. L’élaboration du SCOT se poursuit, avec le recrutement de bureaux d’étude. Après deux réunions publiques, notamment pour la restitution du concours photo, la ComCom organise un « conseil d’habitants », groupe d’habitants volontaires qui se réunira cinq fois. Là encore, les employés jouent le rôle d’intermédiaires, de traducteur, rapportant les débats et discussions de ce conseil aux élus du territoire, pour éviter toute confrontation entre élus et habitants.
30Alors que les réunions de toutes sortes dans cette phase se multiplient (réunions du conseil plus fréquentes, création de commissions thématiques, réunions publiques), le véritable tournant vient non pas du fruit de ce travail mais du contexte et des controverses qu’il produit. D’une part, une succession d’inondations, liées au fleuve qui délimite la frontière Est de la ComCom, pousse à la mise en place d’un dispositif « Plan [Fleuve] » de consolidation des berges. Sont notamment intégrées dans ce dispositif les communes Com6, Com7 et Com8. Des conflits importants naissent alors entre Elu8 (en charge du SCOT) et Elu6 et Elu7. Ces conflits se répercuteront dans l’arène des débats de la ComCom sur le SCOT, deux maires s’opposant oralement au SCOT à cette époque, avec des stratégies différentes. À la même époque, le président de la Communauté d’Agglomération voisine annonce publiquement l’intention de créer une « mégalopole » le long de la Région, incluant de facto la ComCom dans sa vision. Cette déclaration, qui a lieu sans concertation préalable avec les territoires intéressés, déclenche de vives réactions d’opposition, notamment dans la presse :
« Pour [Elu5], il ne saurait être question d’épousailles, ni même de concubinage. Chacun reste chez soi ».
32Cette controverse achève le processus d’intéressement, modifiant les rapports de force et alliances. Les élus du territoire deviennent en apparence unifiés face au président de la Communauté d’Agglomération voisine, et imaginent le SCOT comme un dispositif permettant d’afficher leur désaccord. Il n’est plus un simple instrument, mais devient un véritable dispositif politique au sens de Foucault qui donne corps à l’expression « espace de respiration » : la protection des espaces naturels est affichée comme priorité. Parallèlement, la question de l’agriculture à la ComCom se consolide avec la création d’un comité de pilotage agriculture, des questionnaires aux agriculteurs et à la population sur l’alimentation, un groupe de réflexion sur les circuits-courts, etc. Le SCOT en tant que dispositif politique permet d’élaborer une véritable stratégie territoriale et poser les jalons pour fabriquer un projet territorial.
33Le SCOT est rédigé en interne à la ComCom. Le processus d’élaboration du SCOT est arrêté en Conseil Communautaire le 19 janvier 2006, puis soumis à validation des partenaires institutionnels (intercommunalités voisines, département, région, etc.). Enfin, le SCOT dans sa version finale est validé par vote au Conseil Communautaire du 11 juillet 2006.
4.3 – Contextualisation du SCOT : apprentissages individuels et collectifs
34Si l’analyse des processus de coopération, en mobilisant les notions d’enrôlement, point de passage obligé et traduction, permet de comprendre les processus à l’œuvre au sein du réseau et les jeux d’acteurs, il ne nous permet pas d’éclairer les relations fortes entre acteurs « humains » (élus du bureau) et « non-humains » (SCOT), et en particulier les modifications que les uns produisent sur les autres. En réalité, c’est bien un processus de contextualisation de l’instrument qui s’est opéré, c’est-à-dire un ajustement mutuel entre d’une part la philosophie gestionnaire et la vision simplifiée des relations contenues dans l’instrument et d’autre part la philosophie gestionnaire et vision simplifiée telles que perçues ou souhaitées par les acteurs. Les apprentissages sont au cœur de ces ajustements, puisqu’ils nécessitent des changements cognitifs et comportementaux chez les acteurs, à la fois pour appréhender l’instrument et l’utiliser, mais également pour s’en saisir et le transformer en dispositif ancré dans l’organisation. Ces changements cognitifs et comportementaux sont à la fois individuels et collectifs. On doit apprendre à dialoguer avec les autres acteurs, explorer des situations nouvelles, défendre le projet à l’extérieur et gérer son évolution.
35La situation peut donc être analysée par les apprentissages successifs qui ont permis une forte contextualisation du SCOT : résistances initiales (1), enrôlement (A), sensemaking (2), instrument-seizing (B), et création d’un but commun (3). Le chemin suivi par le processus de contextualisation est linéaire pendant la situation de gestion. Tout d’abord, en situation initiale, peu de membres du bureau sont ouverts à l’idée d’un nouvel instrument d’action publique. Les résistances sont fortes, ce qui se traduit en apprentissages limités à des routines défensives (1). Le processus d’intéressement décrit dans la section précédente permet cependant d’enrôler ces acteurs (A) et permet la production du premier apprentissage collectif (2) : le sensemaking.
Chemin de contextualisation du SCOT et apprentissages
Chemin de contextualisation du SCOT et apprentissages
36Les dispositifs d’intéressement mis en place par l’animatrice mettent en débat l’identité collective du territoire et une vision ou un sens commun de l’action collective se définissent lors de ces débats. Cet apprentissage a donc produit de la connaissance nouvelle (au sens d’innovation) puisqu’il s’agît de la première expérience de réflexion collective sur l’identité territoriale. L’apprentissage est collectif et organisationnel, de type deuxième boucle, puisqu’il est co-élaboré par les élus et institutionnalisé par l’expression « d’espace de respiration ». Il est déclenché par les outils mobilisés par l’animatrice, notamment la réunion de mise en discussion des photographies aériennes :
« Dès qu’on parlait de leur conception de leur commune par rapport aux [Communautés d’Agglomération voisines], là, ils avaient tout de suite une volonté de se démarquer, de se positionner différemment. À chaque fois c’était l’identité rurale et villageoise qui revenait ».
38Cet apprentissage de construction d’une identité collective est ce qui a permis à l’action d’avancer. L’effet de l’apprentissage est la création d’un sentiment de cohésion et de cohérence dans le choix du territoire, alors que celui-ci avait été sujet à controverses au début de la situation de gestion :
« On a fait un séminaire et quand on répondait aux visions de nos territoires, on a tous répondu dans le même sens. Donc quand on occulte tout ce qui est autour, on s’est mis d’accord. C’est cette réunion qui nous a permis d’avancer. Le plus dur après c’était les petits détails, mais sur la vision on était tous dedans ».
40Cette définition collective de l’identité territoriale est matérialisée par l’expression « espace de respiration » qui prend naissance lors de cette phase et sera mobilisée par de nombreux acteurs et documents. Au cours de cette phase de contextualisation, l’instrument devient non plus une figure imposée, mais l’opportunité de réfléchir à l’avenir souhaité du territoire. Cette création de sens commun n’est en rien une construction artificielle de définition du territoire. D’après l’animatrice, la mise en débat n’a en fait que permis de révéler un sentiment de l’identité territoriale déjà commun, mais non discuté, non partagé :
« En fait c’était vraiment un consensus dès le départ : le rural est dans les mentalités, dans la manière de vivre le territoire… ».
42En apprenant à donner une définition collective à leur territoire, et lors de ce processus de construction du’réseau’, les membres de la situation de gestion apprennent donc à reconstruire une vision des rôles de chacun dans la situation : c’est la première étape de la contextualisation, c’est-à-dire une modification des acteurs provoquée par l’instrument. D’autres types d’apprentissages sont produits, de nature plus technique : il s’agit de se familiariser avec le substrat technique de l’instrument. Ces apprentissages se produisent notamment lors du processus d’intéressement, grâce aux investissements de forme.
43La deuxième phase de contextualisation se produit par un apprentissage que nous avons nommé instrument-seizing (B), soit littéralement la capacité des acteurs à se « saisir » d’un instrument pour le transformer. Cet apprentissage a lieu lorsque les acteurs de la situation de gestion détournent le SCOT pour le transformer en dispositif politique, en réponse aux déclarations du président de la Communauté d’Agglomération voisine :
« Quand [les élus] ont réussi à partager ce positionnement, qui est arrivé en même temps que l’envie du [président de la Communauté d’Agglomération] de créer une mégalopole, c’est là que ça a commencé à prendre. Ils ont porté le projet de SCOT politiquement ».
45Il est collectif et organisationnel par son caractère partagé, institutionnalisé et coproduit par les élus dans la situation de gestion. Il produit à la fois une transformation cognitive (manière dont les élus appréhendent l’instrument et la situation de gestion) et un changement de comportement (manière dont les élus agissent dans la situation de gestion). Comme précisé précédemment, l’effet de l’apprentissage est la transformation de l’instrument en dispositif politique, et l’apparition de l’expression « espace de respiration » dans l’arène publique. Si l’expression a été créée et déjà était un produit du sensemaking, elle n’était alors qu’un terme de référence, une manière d’exprimer l’identité commune. À l’issue de l’instrument-seizing, les élus commencent à mentionner le SCOT et cette expression dans les articles de presse, dans la justification de certaines dépenses (projet de protection du foncier agricole, projets de la politique agricole en général).
46L’instrument-seizing est en fait inscrit dans un processus plus global, qui déborde de la situation de gestion. L’apprentissage qui transforme l’instrument en dispositif politique provoque une réflexion plus profonde à la ComCom. Il ne s’agit pas seulement de détourner l’instrument en réaction à la politique du territoire voisin, mais d’utiliser cet instrument détourné pour créer un projet alternatif :
« On savait qu’il y avait un enjeu, celui de limiter la consommation de l’espace, pour […] être cohérent avec notre logique d’espace de respiration. Le but c’est de trouver une logique de développement différente avec des limitations physiques, la consommation de l’espace… C’est pour ça qu’il y a eu plusieurs étages dans la fusée, le SCOT a été le premier, puis une politique de valorisation des espaces ».
48Ce processus produit donc un nouvel apprentissage, la création d’un but commun (3) : la protection des espaces naturels. Les membres de la situation de gestion peuvent alors s’approprier la philosophie gestionnaire du SCOT (une urbanisation cohérente, décidée en concertation) et l’adaptent à leur philosophie gestionnaire propre : la construction d’un territoire en opposition aux territoires voisins. Cela leur a également permis d’intégrer de nouveaux aspects de la gouvernance territoriale dans leur fonctionnement. Alors que les méthodes participatives étaient encore imposées par l’État dans la mise en place du SCOT (modalités de concertation imposées), les élus ont appris à utiliser ce dialogue avec les habitants et agriculteurs pour alimenter leur réflexion et construire de nouvelles stratégies qui illustrent un but commun. Les effets de cet apprentissage se trouvent après la situation de gestion : de nombreux nouveaux espaces de concertation ont été mis en place juste après la situation de gestion. L’inclusion d’autres acteurs dans leur processus de construction d’une politique n’est alors plus une obligation, mais un outil pour atteindre leur objectif.
4.4 – Quelle durabilité de la contextualisation et des apprentissages ?
49L’analyse de la situation de gestion, en portant un regard particulier au processus de traduction et de contextualisation du SCOT, nous a permis respectivement de comprendre les jeux d’acteurs en place et les processus d’apprentissage amenant à un alignement de l’instrument et des acteurs par la contextualisation. Pourtant, s’arrêter à ces analyses, et au cadre de la situation de gestion, dissimule un phénomène important, que la théorie de l’acteur-réseau révèle déjà concernant la fin du processus de traduction : les réseaux ne sont pas stables, et les apprentissages sont des processus continus. En particulier, ils peuvent être réinterrogés, remis en question, et réappropriés. Si l’idée « d’espace de respiration » en opposition à l’agglomération voisine apparaît comme un consensus dans l’analyse, tous les élus n’ont pas nécessairement partagé ce positionnement politique. Elu6 par exemple rejette cette idée. Il déclare pendant la situation de gestion sa volonté de rejoindre la Communauté d’Agglomération. Elu3 également rejette encore aujourd’hui l’idée du SCOT comme un instrument fédérateur :
« Ils peuvent marquer ce qu’ils veulent dans le SCOT, ce n’est pas le SCOT qui va me dire quoi faire, il n’en est pas question… ».
51Le caractère collectif des apprentissages dans la situation de gestion est donc fortement influencé par le poids du groupe. Travailler ensemble crée des dynamiques de groupe, forcément asymétriques, qui vont influencer la manière dont telle ou telle vision (et donc tel ou tel apprentissage) sera privilégiée. L’apprentissage collectif – voire organisationnel – a donc ici un caractère a minima négocié, peut-être même imposé, dans le contexte de ces dynamiques d’action collective.
52Enfin, le processus de contextualisation peut être réinterprété, remis en cause au-delà de la situation de gestion. On observe notamment un changement de discours dans les documents et chez les élus, qui passent d’une opposition « forte » contre la Communauté d’Agglomération voisine à une vision de « complémentarité ». D’autres élus remettent même en question aujourd’hui dans leur entretien l’idée de protection des espaces par rapport à d’autres problématiques territoriales à leurs yeux plus « urgentes » :
« Je me rappelle avant on parlait que d’« espace de respiration ». Maintenant le chômage s’est généralisé, et ils en parlent un peu moins ».
54Par ailleurs, la situation de gestion est vécue de manière contrastée par les employés et les élus. S’il y a bien eu contextualisation de l’instrument, ce processus n’a pas eu les mêmes résultats chez tous les acteurs de la situation. Il s’agit à la fois d’une opinion personnelle (envie d’un SCOT plus ou moins contraignant), mais également d’interprétations divergentes d’évènements, certains acteurs affirmant que le SCOT a été « adopté » par tous alors que d’autres pensent que le SCOT a finalement intéressé peu de monde. Malgré les apprentissages produits et les jugements positifs, certains élus reviendraient donc sur leur « adoption » :
« Finalement le SCOT les gens se disent que ça n’a servi à rien ».
5 – Conclusion
56De l’analyse de la mise en place du SCOT de cette Communauté de Communes, il ressort que sa contextualisation a permis aux acteurs de s’emparer de l’instrument et le transformer en dispositif politique (« instrument seizing »), créant un véritable projet de territoire. Ce projet de territoire a été condensé dans un mythe organisationnel, l’« espace de respiration » ou « poumon vert ». Si ce mythe est revisité, remis en question, réinterprété, il n’en est pas moins un guide pour l’action collective, le support de ces apprentissages, permettant à des apprentissages collectifs produits dans une situation particulière de devenirs de véritables apprentissages organisationnels. En retour, ce processus a également produit des apprentissages chez les acteurs (en particulier les élus), notamment des apprentissages fondamentaux pour la gouvernance territoriale : le sensemaking permettant aux élus de créer un langage commun, ainsi qu’un modèle mental partagé.
57Regarder le territoire au prisme des sciences de gestion nous permet notamment de comprendre les processus sous-jacents à la « fabrique » des projets de territoire, des mécanismes de gouvernance et le rôle des outils, instruments dans le fonctionnement du territoire. Nous contribuons à éclairer le rôle des technologies invisibles dans le territoire, à les rendre moins invisibles ! En nous focalisant sur la contextualisation, nous avons pu également comprendre les conditions de mise en place des instruments organisant cette gouvernance. De futures recherches analysant les différences de contextualisation interne en fonction de la contextualisation externe pourront par exemple permettre de comprendre le lien entre apprentissages produits dans la situation de gestion (par contextualisation interne), apprentissages importés produits hors du territoire (par contextualisation externe), et la nature du lien entre les deux. Enfin, il nous reste à explorer dans nos travaux futurs la nature des apprentissages individuels produits par le processus de contextualisation. Il est cependant évident que les apprentissages collectifs produits par les controverses de la situation de gestion sont en fait la résultante des stratégies individuelles des acteurs de cette situation de gestion.
58Compte tenu du statut de l’étude de cas et de la méthodologie choisie, la limite principale de ce travail est la difficulté de pouvoir généraliser. Les résultats produits sont avant tout valables pour cette étude de cas. Aussi, les implications managériales sont elles aussi limitées à l’étude de cas. Pour autant, nous avons montré que les controverses sont centrales à l’action collective et aux apprentissages, et permettent de produire du sens pour les acteurs. Nous espérons que ces résultats pourront modifier la perception que les acteurs du développement territorial ont de ces controverses, et que ceux-ci apprendront non plus à les éviter – notamment en évitant systématiquement les espaces de dialogues entre élus et citoyens – mais à les accepter comme des situations possibles d’apprentissages.
Remerciements
Cette recherche a été financée par l’Agence nationale de la recherche (ANR) via le projet DAUME (Durabilité des Agricultures Urbaines en Méditerranée) n° ANR-2010-STRA-007-01. Nous tenons à remercier particulièrement les relecteurs pour la qualité, quantité et pertinences de leurs remarques.Bibliographie
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Notes
-
[1]
Cet article s’appuie en partie sur les deux références suivantes :
- Vitry C., Chia E. (2014), « Enrôlement et contextualisation d’un SCOT : quelles implications pour les apprentissages de gouvernance ? », 51ème colloque de l’ASRDLF, 7 au 9 juillet 2014, Marne-la-Vallée, France. 22 p.
- Vitry C. (2014), « Vers une théorie des apprentissages de gouvernance : une exploration en territoire périurbain », Thèse de doctorat, Montpellier, Montpellier SupAgro, 482 p.
-
[2]
Chloé VITRY : Research Associate, School of Business and Economics, Loughborough University - c.vitry@lboro.ac.uk
-
[3]
Eduardo CHIA : Directeur de Recherche, UMR Innovation, INRA, Montpellier - chia@supagro.inra.fr
-
[4]
Les alliés sont les acteurs humains et non-humains qui vont participer (partager, soutenir une action, un projet spécifique…) à un moment donné au processus de changement, d’innovation, de co-conception. Ils peuvent par la suite être enrôlés devenant ainsi des acteurs de la situation, disparaître ou devenir des opposants (Latour, 1993).
-
[5]
HUANG R. (2014), RQDA : R-based Qualitative Data Analysis. R package version 0.2-7. http://rqda.r-forge.r-project.org/
-
[6]
Les textes entre guillemets et en italique sont des extraits des entretiens d’acteurs, réalisés entre 2013 et 2014.
-
[7]
Par soucis d’anonymat, les noms des élus ont été remplacés par « Elu1 » à « Elu X » et leurs communes ont respectivement été remplacées par « Com1 » à « ComX ». Les employés sont désignés par « Emp1 » à « Emp3 » ou par leur fonction (« animatrice »).