Notes
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[1]
Une partie de ce travail est soumise à la 23ème conférence de l’AIMS.
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[2]
Yacine HANNACHI : Docteur en sciences de gestion de l’Institut Supérieur de Management - université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, email : yachannachi@gmail.com
Introduction
1L’enrichissement de la base des compétences d’une entreprise (Métais et Moingeon, 1999), renvoie au processus de l’apprentissage organisationnel (AO), c’est-à-dire à la capacité de l’entreprise à acquérir, transférer, et exploiter de nouveaux savoirs et savoir-faire. En ce sens, « la théorie des ressources fait de la capacité à activer les phénomènes d’apprentissage collectif le fondement de la performance stratégique » (Grimand, 1999, p.2). Dans ce cadre, la réflexion sur l’entreprise apprenante (EA) a pour ambition de fournir un cadre organisationnel propice à l’apprentissage permanent à tous les niveaux. Le temps que l’axe de l’EA soit investi par les partisans de l’approche prescriptive (Moingeon et Ramanantsoa, 1995), de l’organisation de l’apprentissage (Argyris, 1995), celui de l’AO est investi par les tenants de l’approche processuelle, descriptive et par les théoriciens de l’apprentissage. Jacob et Turcot (2000, p. 50) voient que « ces deux perspectives sont complémentaires, l’une s’intéressant davantage aux processus alors que l’autre met davantage l’emphase sur l’identification des caractéristiques des contextes qui déclenchent, canalisent et renforcent les processus d’apprentissage organisationnel ». Ici, nous considérons, à la manière de Mbengue et Sané (2013) que l’EA est un antécédent de l’AO. Plus spécifiquement, l’EA est un potentiel dont l’AO est la réalisation.
2Les liens entretenus entre le fonctionnement en EA, la performance et l’innovation ont fait l’objet de plusieurs études. La tendance des résultats montre que le fonctionnement en EA affecte positivement l’innovation et la performance (Calantone et al., 2002), et affecte positivement la performance via l’innovation (Jiménez et Sanz-Valle, 2011).
3L’innovation, est considérée dans plusieurs domaines comme le moteur le plus déterminant du succès concurrentiel. Plusieurs entreprises réalisent plus d’un tiers de leurs profits grâce à des produits de moins de cinq ans (Schilling, 2005). Cette dernière rapporte que Baxter, un leader de l’équipement et des fournitures médicales, a réalisé 37% de ses ventes en 2002 avec des produits introduits les cinq années précédentes. Toutefois, le nombre des entreprises qui échouaient à atteindre leurs objectifs de performance de nouveaux produits est alarmant (Evanschitzky et al., 2012). Plus de 95% des projets de développement de nouveaux produits ne produisent aucun retour sur investissement (Schilling, 2005). Plusieurs projets ne sont jamais achevés, et pour ceux qui le sont, nombreux sont ceux qui échouent à être commercialisés avec un seul produit réussi sur quatre selon Cooper (2011). En Europe, le taux d’échec des lancements de nouveaux produits de grande consommation est de l’ordre de 90 % (Gotteland et al., 2009). De ce fait, un nombre considérable de recherches a été consacré à la façon de rendre les processus de développement de nouveaux produits plus efficaces et plus efficients. À cet effet, et étant donné que plusieurs auteurs considèrent l’innovation comme le résultat de l’AO (Baker et Sinkula, 1999) il est recommandé que les entreprises fonctionnent en EA et ce afin de générer des innovations performantes (Alegre et Chiva, 2008). Le postulat de base étant que l’apprentissage joue un rôle clé en permettant aux entreprises de rendre leurs processus d’innovation plus flexibles, plus rapides et plus efficaces (Jiménez et Sanz-Valle, 2011). Bien que les développements théoriques présumant l’existence de liens positifs entre le fonctionnement en EA et la Performance des Innovations des Produits (PIP) soient nombreux, les études empiriques en la matière sont non seulement rares mais ne décrivent pas de manière claire les effets de chaque dimension de l’EA sur la PIP. De même, bien qu’on postule dans la littérature managériale que l’intérêt porté à l’AO trouve une explication dans la turbulence de l’environnement, cette notion de turbulence n’est que peu prise en considération dans l’étude du lien EA-PIP (Tsai et Huang, 2008). Partant, nous nous sommes posé les questions suivantes : quels sont les liens entre le fonctionnement en EA et la PIP, notamment dans un environnement turbulent ? Dans quelle mesure les dimensions de l’EA impactent-t-elles la PIP ?
4Dans la première section de ce papier, les concepts : entreprise apprenante, performance des innovations des produits et turbulence de l’environnement seront respectivement présentés. La deuxième section sera réservée au modèle conceptuel. La méthodologie mobilisée ainsi que la présentation des résultats et des discussions feront successivement l’objet de la troisième et de la quatrième section.
1 – Définitions des variables de recherche
1.1 – Entreprise apprenante : logique et modélisation
5Bien que le concept de l’EA trouve ses racines dans la pensée managériale des années soixante-dix et quatre-vingt (Belet, 2003), son apparition explicite n’était qu’au début des années quatre-vingt-dix avec l’américain Peter Senge (1990). Avec l’importance accrue accordée aux actifs immatériels, les méthodes classiques de management, fondées sur des approches tayloriennes ont montré leurs limites dans le traitement des problèmes posés. Ceci était à l’origine de développement de nouveaux principes de gestion ayant pour principal fondement l’AO. Dès lors, on considère que « les seules approches de management qui peuvent s’avérer pertinentes dans un tel contexte, sont des solutions privilégiant l’AO » (Belet, 2003, p. 23). Une analyse des définitions de l’EA montre qu’il s’agit d’une organisation qui se base sur une logique de fonctionnement favorisant l’apprentissage individuel et collectif dans une vision globale de développement continu. Cet apprentissage aura lieu dans un climat que l’entreprise nourrit. De cette manière, les individus acquièrent plus d’efficacité et plus de créativité ce qui serait à l’origine de deux phénomènes. D’une part, les connaissances et les compétences de chaque individu deviennent meilleures et plus larges. D’autre part, l’entreprise développe la capacité à se remettre en cause et à se transformer de façon permanente. L’EA ne peut être considérée ni comme une technique de gestion, ni comme une configuration organisationnelle idéale qu’il conviendrait d’adopter (Belet, 2003). Elle est plutôt un mode d’organisation dynamique caractérisée par des principes généraux (Fillol, 2006) et constitue un paradigme de management de nature multidimensionnelle impliquant une évolution continue et conjointe des hommes, des équipes et de l’organisation (Belet, 2003). Plusieurs travaux de modélisation de l’EA ont été proposés. On cite ceux de Zarifian (2001) et de Belet (2003) dans le monde francophone et ceux de Senge (1990), Pedler (1991), Goh et Richards (1997) dans le monde anglo-saxon. Un des modèles les plus répandus dans la littérature (Moilannen, 2001 ; Ortenblad, 2004 ; Song et al., 2009) est celui développée par Watkins et Marsick (1996). Ces derniers, ont identifié sept dimensions de l’EA. Ce sont l’apprentissage continu (AC), le dialogue et le questionnement (DQ), le travail en équipes (TE), l’acquisition et le partage des connaissances (APC), la vision commune et partagée (VCP), l’ouverture sur l’environnement (CE) et le leadership stratégique pour l’apprentissage (LS). C’est ce dernier modèle, synthétisé par le tableau suivant, que nous avons choisi comme cadre de référence de notre étude.
Les dimensions de l’entreprise apprenante selon Watkins et Marsick (1996)
Les dimensions de l’entreprise apprenante selon Watkins et Marsick (1996)
6Ce choix est motivé par plusieurs raisons. D’abord, ce modèle intègre les dimensions d’apprentissage touchant tous les niveaux : les niveaux de l’individu, du groupe et celui organisationnel. En fait, Redding (1997) après avoir évalué quelques modèles d’EA affirmait que ce modèle est le seul à couvrir tous les niveaux d’apprentissage. Ensuite, Song et al. (2009) indiquent que ce modèle englobe la plupart des attributs de l’EA décrite par la littérature puisqu’il prend en considération les modèles de Senge (1990), de Pedler (1991), de Garvin (1993) et de Goh et Richards (1997). Puis, Ortenblad (2002) a proposé sa typologie des travaux d’EA se basant sur quatre perspectives. Ce sont l’apprentissage organisationnel, l’apprentissage par le travail, la structure apprenante, et le climat d’apprentissage. Les deux premières s’intéressent au processus d’apprentissage et les deux autres s’intéressent aux formes d’organisation. Deux ans après, Ortenblad (2004) considère que ces perspectives sont complémentaires et qu’elles présentent ensemble les traits distinctifs d’une EA. Parmi les onze modèles évalués par ce dernier auteur, le seul à couvrir toutes ces perspectives est celui de Watkins et Marsick (1996). Enfin, Moilanen (2001) a évalué huit outils de mesure d’EA développés par divers auteurs par rapport à quatre critères : l’archétype du modèle, l’holisme, la profondeur et la validation scientifique. Cet auteur a montré que le modèle de Watkins et Marsick (1996) a obtenu la meilleure note. À l’exception de l’archétype, ce modèle répond positivement au reste des critères.
1.2 – Performance des innovations des produits : quels outils de mesure ?
7« Une innovation de produit correspond à l’introduction d’un bien ou d’un service nouveau ou sensiblement amélioré sur le plan de ses caractéristiques ou de l’usage auquel il est destiné » (OCDE, 2005, p. 56). Le concept de performance signifie à la fois l’exécution d’une action, et le résultat qui en découle ou le succès que l’on peut y attribuer (Aliouat et Besbes, 2013). Comprendre la relation entre l’innovation et la performance dans tout type d’organisation était longtemps le sujet d’intérêt des chercheurs et des managers. L’innovation contribue à améliorer la performance de l’entreprise notamment via l’atteinte de ses objectifs de profitabilité et l’augmentation de sa part de marché (Alegre et Chiva, 2008). L’objectif du travail d’évaluation de la PIP met en question le lien ressources-résultats. À cet effet, aussi bien les académiques que les praticiens mettent en relief l’importance d’avoir un bon instrument de mesure de ce concept (Alegre et al., 2006). La performance d’un nouveau produit peut être approchée d’un point de vue commercial, financier, technique, ou global, etc. Bien que les indicateurs financiers et commerciaux soient les plus mobilisés dans la littérature, il y a un appel de plus en plus insistant pour adopter d’autres types d’indicateurs tels que l’amélioration de l’image de l’entreprise, l’ouverture de nouveaux marchés, la satisfaction des clients, etc. Plusieurs auteurs (Storey et Easingwood, 1999 ; Alegre et al., 2006) suggèrent que les différentes facettes de la PIP sont mieux reflétées par une mesure multidimensionnelle plutôt qu’unidimensionnelle.
8Nous avons retenu trois terminologies représentatives des mesures adoptées par différents auteurs en vue d’évaluer la PIP. La première terminologie est proposée par Storey et Easingwood (1999), Hsu et Fang (2009) et s’articule autour de la performance commerciale (englobe celle relative à la clientèle au sens de Hsu et Fang), la performance financière, la performance technique (ou de produit selon Hsu et Fang), et la performance globale (« enhanced opportunities » selon Cooper et Kleinschmidt, 1995 et « company benefits » selon Storey et Easingwood, 1999). La deuxième terminologie est proposée par Alegre et al., (2006) et consiste en deux dimensions : efficacité et efficience des nouveaux produits. La troisième terminologie est adoptée par l’OCDE (2010). Elle s’articule autour des impacts en lien avec le marché, la demande, la concurrence et autres.
1.3 – La turbulence de l’environnement
9L’environnement d’une entreprise est composé de l’ensemble des facteurs extérieurs à ses frontières et qui influencent, ou peuvent influencer, sa structure, ses objectifs et son efficacité (Gotteland et al., 2008). La notion de l’environnement est centrale en management, puisque ses caractéristiques notamment sa turbulence peuvent affecter la valeur des compétences de l’entreprise. La turbulence résulte selon Gervais et Thenet (1998) de l’incertitude des comportements des acteurs (clients et concurrents), de l’imprévisibilité de leurs actions, de la complexité et du dynamisme du système dans lequel ils opèrent (technologie, législation). Un environnement incertain se caractérise par la rapidité des changements et la rareté des informations. La complexité renvoie au degré de diversité des agents composants l’environnement, et le dynamisme désigne le degré de variation dans le temps des éléments constitutifs de l’environnement. Ainsi, le nouvel environnement est caractérisé par l’accélération des changements technologiques, l’accroissement et l’imprévisibilité des exigences des clients, la réduction de la durée de vie des produits, la présence d’une concurrence acharnée et imprévisible, et l’existence des réglementations compliquées et parfois oppressives.
10On distingue dans la littérature les mesures objectives de la turbulence de l’environnement et les mesures subjectives se basant sur les perceptions des dirigeants (Gotteland et al., 2008). Ici, ce qui nous intéresse est la seconde approche de mesure puisque c’est la perception qu’ont les dirigeants de cette turbulence qui conditionnera les décisions, les actions et les stratégies.
2 – Modèle conceptuel
2.1 – Entreprise apprenante et performance des innovations des produits
11Mintzberg (1982) et Inkpen et Crossan (1995) voient que les performances réalisées ne sont que le reflet de l’efficacité et de l’efficience des processus d’apprentissage au sein de l’entreprise. Il a été montré que plus une entreprise tendait vers le modèle de l’EA, plus elle était en mesure d’améliorer non seulement sa capacité d’innovation mais aussi sa performance globale (Calantone et al., 2002). Plusieurs travaux ont stipulé que cette dernière est affectée positivement par le fonctionnement en EA et ce via l’innovation (Jiménez et Sanz-Valle, 2011). Partant de ce qui précède et sous l’angle de l’innovation des produits, quelques auteurs (Baker et Sinkula, 1999 ; Alegre et Chiva, 2008 ; Hsu et Fang, 2009) ont indiqué que l’EA est un cadre propice à la génération des innovations performantes des produits. À ce niveau d’analyse, on passe de l’étude de l’impact de l’EA sur la performance et sur l’innovation à l’étude de cet impact sur la performance des nouveaux produits. Dans ce qui suit, nous nous contenterons de visualiser l’impact du fonctionnement en EA selon le modèle développé par Watkins et Marsick sur la PIP.
12L’importance de l’apprentissage individuel réside dans le fait que l’individu est la première entité apprenante dans une entreprise et que c’est de cet apprentissage qu’émergent l’innovation et l’AO. Watkins et Marsick (1996) proposent deux dimensions à ce niveau à savoir la création d’opportunités d’apprentissage continu et le dialogue et le questionnement. En considérant que l’apprentissage individuel est censé améliorer le capital humain de l’entreprise, l’on peut considérer que l’entreprise qui se dote d’un personnel compétent pourra générer des innovations performantes et ce comme montré par Hsu et Fang (2009). Alegre et Chiva (2008) ont indiqué pour leur part que le dialogue contribuait à générer des innovations performantes des produits. L’apprentissage en équipe est le second niveau proposé par Watkins et Marsick (1996). Les analyses des entreprises performantes aussi bien au plan de la productivité qu’au plan de l’innovation, ont montré que la transition d’une structuration du travail dont l’unité de base est l’individu dans un poste à une autre dont l’unité de base est l’équipe, se confirme comme un des plus importants enjeux à maîtriser par les entreprises (Jacob et Turcot, 2000). La quatrième dimension de notre modèle est la création d’une vision commune et partagée. Une des pratiques courantes suscitant l’adhésion des acteurs est leur participation à la prise des décisions. La mise en œuvre d’une telle démarche favorise la motivation, la satisfaction et l’engagement au travail. Cette participation nécessite un meilleur accès à l’information et améliore donc la qualité des résultats des décisions (Mbengue et Sané, 2013).
13La création des systèmes pour capturer et partager l’apprentissage est la cinquième dimension du modèle de l’EA. Il s’agit de mettre en place un ensemble de structures, de procédures et d’outils en vue de capturer et faire partager les informations et les connaissances. Le partage des connaissances apprises est un moyen fondamental par lequel les employés peuvent échanger mutuellement leurs connaissances pour contribuer à leur mise en pratique, à l’innovation (Zarifian, 2001) et finalement à l’avantage concurrentiel de l’entreprise (Corbel et Simoni, 2012). Le partage intra-organisationnel des connaissances peut mener à répondre plus rapidement aux besoins des clients et avec des coûts moins élevés (Baker et Sinkula, 1999). Wang et Wang (2012) ont montré que les pratiques relatives au partage des connaissances explicites influençaient positivement la qualité et la rapidité de mise sur le marché des innovations. Ils ont montré également que les pratiques relatives au partage des connaissances tacites étaient positivement reliées à la qualité des innovations produites. La sixième dimension s’intéresse à la pensée systémique et aux actions censées connecter l’entreprise à ses environnements internes et externes. La pensée systémique renvoie à la prise en compte de la part de l’entreprise de tous ses partenaires comme les fournisseurs, les clients, les distributeurs, les investisseurs, etc. Ceci est de nature à favoriser une compréhension pertinente des besoins de toutes ses parties prenantes et en cherchant à les satisfaire, l’entreprise sera amenée naturellement à améliorer la performance de ses produits. Yang et al. (2004) ont montré que cette dimension était la plus déterminante de ce qu’ils appellent « the knowledge performance ». Cette dernière mesure l’amélioration apportée aux produits et aux services destinés aux clients et l’amélioration des aptitudes intellectuelles des employés. La dernière dimension est le leadership stratégique pour l’apprentissage. Il s’agit de susciter des processus d’apprentissage généralisés et permanents, au service des performances globales, dans le cadre du projet stratégique de l’entreprise (Belet, 2003). Plusieurs auteurs (Garcia-Morales et al., 2012) voient que le leadership transformationnel est le plus convenable pour la dynamique de l’AO. Pour Privé (2009), le leadership transformationnel est le fruit de l’interaction de quatre composantes à savoir : l’influence charismatique, l’inspiration et la motivation, la stimulation intellectuelle et la considération individualisée. Chen et al. (2012) ont étudié l’impact du style de leadership transformationnel sur l’innovation technologique et ont conclu à l’existence d’un lien direct positif entre ces deux dimensions. Yang et al. (2004) ont montré lors d’une étude empirique que le leadership stratégique avait un impact positif direct sur la performance financière de l’entreprise.
14Les dimensions de l’EA sont interdépendantes et chacune d’elles influe les autres directement ou indirectement. Par conséquent, l’action sur le processus d’apprentissage à partir de l’une de ces dimensions implique nécessairement les autres (Yang et al., 2004). Alegre et Chiva (2008) ont montré que plus l’entreprise tend vers le modèle de l’entreprise apprenante plus elle est susceptible de réaliser des innovations performantes des produits.
15À l’issue de ce qui précède nous proposons l’hypothèse suivante : H1 : le fonctionnement en entreprise apprenante affecte positivement la performance des nouveaux produits.
2.2 – Effet modérateur de la turbulence de l’environnement
16La compréhension de l’environnement étant fondatrice de la création des innovations, sa turbulence pourrait affecter négativement la PIP (Gotteland et al., 2008). Mais, le fait de fonctionner en EA permet aux entreprises de disposer d’une certaine compréhension, d’une vision de la réalité qui va leur permettre d’interpréter les signaux de leur environnement et ainsi de déterminer les stratégies adéquates à suivre (Leroy, 1998). Ainsi, cette turbulence agit en tant que stimulant des processus de l’AO, qui à son tour affecte positivement la performance de l’entreprise (Pesamaa et al., 2013). Dans cet ordre d’idées Hanvanich et al. (2006, p. 604) indiquent : “Strong learning orientation also signifies firms’ strategic intent to succeed, which most likely motivates them to remain attentive to changes in market and technological environments (Hamel and Prahalad, 1989). As a result, such firms are likely to uncover useful new knowledge and ideas that are appropriate for addressing changes in highly turbulent environments”. Kim et Atuahene-Gima (2010) ont montré que le lien EA-PIP est positivement modéré par la turbulence de l’environnement et surtout lorsque les entreprises axent le fonctionnement en EA sur les pratiques d’apprentissage d’exploration. Dès lors, nous pensons que plus l’environnement de l’entreprise est turbulent, plus celle-ci est amenée à adopter le modèle de l’EA et plus le lien entre le fonctionnement en EA et la PIP est établi. Ainsi, nous proposons la deuxième hypothèse : H2 : La turbulence de l’environnement modère positivement la relation entre le fonctionnement en EA et la PIP.
3 – Méthodologie de recherche
3.1 – Instruments de mesure des variables du modèle
17L’échelle de mesure de l’EA que nous retenons est celle adoptée par Watkins et Marsick (1996). Cette échelle se compose de sept dimensions mesurées par trois items chacune. La validité et la fiabilité de cet instrument de mesure se sont révélées solides après les tests empiriques effectués par quelques auteurs (Yang et al., 2004 ; Song et al., 2009). Il a été demandé aux répondants à l’enquête finale de notifier leur accord avec les items au niveau de chaque dimension sur une échelle de 1- en complet désaccord à 5- complètement d’accord. L’échelle de mesure de la PIP a été développée après avoir soumis notre conception élargie de ce concept à un pré-test qualitatif auprès de sept dirigeants d’entreprises. Au final, cet instrument de mesure, largement inspiré de la première terminologie de la PIP citée ci-dessus, englobe cinq dimensions à savoir les performances financière (PIF = 3 items), commerciale (PIC = 5 items), technique (PIT = 4 items), clientèle (PICL = 3 items), et stratégique (PIS = 3 items). Nous avons demandé aux répondants à l’enquête d’apprécier la PNP réalisée entre début 2009 et fin 2011 sur ces cinq dimensions via une échelle allant de 1- résultat non produit, à 5- résultat parfaitement réalisé. En ce qui concerne la turbulence de l’environnement (TURB), nous nous sommes inspirés de Pédon et Schmidt (2002) afin de développer l’échelle de mesure en question. À cet effet, il a été demandé aux répondants d’apprécier la turbulence de leur environnement sur une échelle allant de 1- pas de tout turbulent à 5- très turbulent. Cette appréciation concerne les environnements technologique, concurrentiel, légal et commercial. Au final, notre modèle conceptuel se présente comme suit :
Le modèle conceptuel
Le modèle conceptuel
3.2 – Structure de l’échantillon
18Après avoir soumis notre questionnaire à un pré-test qualitatif, nous l’avons administré en sa version finale par Internet aux entreprises visées. Ces dernières sont celles actives dans le secteur de la biotechnologie en France. Ce secteur constitue un terrain convenable pour notre problématique puisque la survie des entreprises intensives en connaissances et en technologie dans des secteurs turbulents repose sur leurs capacités d’AO, c’est-à-dire leurs capacités de créer, d’améliorer, de transformer et d’exploiter les connaissances (Lamari et al., 2001). En plus, ces entreprises sont innovantes par essence et leur survie est tributaire de la performance des innovations qu’elles produisent. Donc, la question du fonctionnement en EA et son impact sur la PIP s’y trouve pertinemment posée et justifiée. Nous avons ciblé les entreprises de biotechnologie situées en France et qui ont généré au moins une innovation de produit entre 2009 et 2011. Notre échantillon final se compose de 100 entreprises. Cet échantillon comprend des entreprises jeunes (51 % au-dessous de 10 ans), de tailles plutôt petites (77 % au-dessous de 50 employés) et qui œuvrent en majorité dans des activités de biotechnologie rouge, c’est-à-dire dans le domaine de santé et de médecine (76 %). Bien que nous nous sommes adressés aux responsables R&D pour répondre aux questionnaires, car ils sont les mieux placés comme le stipulent Alegre et al. (2006) pour répondre aux questions se rapportant à l’innovation, ces responsables n’ont répondu que dans 25 % des cas. Pour le reste des cas, les répondants se répartissent entre PDG ou directeurs généraux (58 %) et responsables marketing, responsables financiers, responsables production et autres (17 %).
3.3 – Outil de l’analyse empirique
19La présence de variables latentes à plusieurs dimensions dans notre modèle de recherche nous amène à utiliser la méthode d’équations structurelles de second ordre. Les techniques d’estimation les plus utilisées dans ce cadre (Fernandes, 2012) sont Linear Structural Relationship (LISREL) et Partial Least Square (PLS). La première technique, la plus connue, (LISREL) est fondée sur l’analyse des covariances et la technique du maximum de vraisemblance. La deuxième technique est basée sur l’analyse de la variance et l’optimisation du pouvoir explicatif des variables manifestes, basée sur un algorithme appelé PLS. Nous avons choisi la seconde méthode d’estimation. Ce choix est motivé par plusieurs raisons ; on en cite l’aptitude de PLS : (1) à résoudre les modèles complexes avec l’assurance d’obtenir une solution admissible, (2) à mieux résoudre les modèles complexes avec variables modératrices, (3) à s’affranchir des conditions de la normalité de la distribution des données et (4) de la taille de l’échantillon classiquement requise.
4 – Résultats et discussion
4.1 – Validation des échelles de mesure
20Les modèles de mesure de l’EA et de la PIP ont été conçus comme des variables latentes de second ordre. En d’autres termes, l’EA et la PIP mesurées respectivement par les sept et les cinq dimensions sont appelées variables latentes de second ordre et les dimensions représentant l’EA et la PIP sont appelées des variables latentes de premier ordre. L’EA est modélisée dans un sens réflexif-formatif alors que la PIP est modélisée dans un sens réflexif-réflexif. Les relations entre les variables latentes et leurs indicateurs de mesure peuvent être de différentes natures : mixte, réflexive ou formative. Dans le modèle réflexif, le concept latent est expliqué comme la cause des variables mesurables. Dans le modèle formatif, les rapports de causalité sont inversés et vont des variables manifestes pour arriver au concept latent. L’évaluation de la qualité psychométrique de l’EA et de la PIP passe par deux étapes : évaluation du modèle de premier ordre et évaluation du modèle de second ordre.
4.1.1 – Evaluation des modèles de mesure de premier ordre
21Les résultats illustrés par les Tableaux 2 et 3 (premier ordre) montrent que la condition de la fiabilité, évaluée au moyen de la fiabilité composite (composite reliability : CR.), est remplie puisque toutes les mesures sont supérieures aux limites recommandées de 0,70 (Fernandes, 2012). Après avoir supprimé un item au niveau de la première dimension de l’EA et un autre item au niveau de la dimension performance commerciale de la PIP et ce pour cause d’incohérence avec leurs construits, la validité convergente est vérifiée. En fait, toutes les contributions factorielles (ou loadings) des mesures avec leurs construits respectifs sont supérieures au seuil recommandé de 0,70 et sont statistiquement significatives (Fernandes, 2012). En plus, la moyenne des variances entre le construit et ses mesures, appelée variance moyenne extraite (Average Variance Extracted : AVE), est supérieure à 0.5 (Hair et al., 2013) pour toutes les dimensions. La validité discriminante est remplie lorsque les racines carrées des AVE sont supérieures aux corrélations entre différents construits (Fernandes, 2012). Comme le montrent les Tableaux 2 et 3, cette condition est bien remplie.
Propriétés psychométriques de l’échelle de mesure de l’EA
Propriétés psychométriques de l’échelle de mesure de l’EA
22Les nombres en gras se trouvant en diagonale sont les valeurs des racines carrés de l’AVE pour chacun des construits et chacune de ces valeurs est supérieure à toutes les autres valeurs se trouvant dans la même colonne (corrélations).
Propriétés psychométriques de l’échelle de mesure de la PIP
Propriétés psychométriques de l’échelle de mesure de la PIP
4.1.2 – Evaluation des modèles de mesure de second ordre
23Etant donné que la relation entre les facteurs de premier ordre et le facteur latent de second ordre de l’EA est de nature formative, les critères habituellement mobilisés afin de s’assurer de la fiabilité et de la convergence ne s’appliquent pas (Hair et al., 2013). Dans le cadre de l’analyse PLS, Diamantopoulos et al. (2001) proposent d’évaluer la pertinence des construits formatifs en s’assurant que les indicateurs de mesure (les sept sous dimensions de l’EA) contribuent significativement au construit formatif (EA), ce qui revient à mesurer la significativité des coefficients de régression et à étudier le risque de multi-colinéarité. Cette dernière est mesurée par des ratios dénommés « facteurs d’inflation de variance » (Variance Inflation Factor ou VIF), qui signalent la part de variance d’une variable expliquée par les autres variables : « un ratio de VIF supérieur à 10 indique une probable colinéarité pour la variable examinée » (Lacroux, 2009, p. 17). Le Tableau 2 (second ordre) résume les résultats obtenus de cette étape. Aucun problème de multi-colinéarité n’est détecté. De même pour les dimensions de l’EA, elles présentent toutes des contributions positives et significatives (t > 1,96). Afin de s’assurer de la fiabilité et de la validité convergente concernant le second ordre de la PIP, nous avons mobilisé les mêmes tests adoptés pour le premier ordre (Tableau 3, second ordre). Les résultats obtenus sont satisfaisants puisque tous les critères excèdent largement les seuils requis.
24L’échelle de mesure de la turbulence de l’environnement a été réduite à une variable mono-item. Ainsi, nous avons calculé pour chaque entreprise un score présentant la note moyenne obtenue par rapport à tous les types de turbulence.
25Au terme de cette section, et étant donné que l’AVE pour l’EA n’a pas de sens et n’est pas calculable puisqu’il s’agit d’un concept formatif, nous nous limitons pour l’étude de la validité discriminante de toutes les variables de notre modèle de recherche à la lecture du tableau des contributions croisées (non reporté ici pour des raisons de place) et ce comme stipulé par Hair et al (2013). L’absence de corrélations entre les items des différents construits est généralement considérée comme un indicateur de l’existence d’une validité discriminante ce qui était notre cas.
26Après avoir obtenu des spécificités psychométriques satisfaisantes du modèle de recherche, nous pouvons maintenant vérifier les hypothèses.
4.2 – Vérification des hypothèses
4.2.1 – Impact de l’EA sur la performance des innovations des produits
27Le coefficient structurel (?) mesurant le lien entre l’EA et la PIP est de l’ordre de 0,509. Ce résultat est considéré comme très important puisqu’il est supérieur à 0,3 (Chin, 2008). En faisant recours à la technique de bootstrapping, il s’est avéré que ce lien est significatif (t = 5,971 > 2,57) avec un seuil de risque « p » inférieur à 0,01. La capacité prédictive de notre modèle vérifiée via le coefficient de détermination R2 est significative (R2 = 26,2 %) puisque supérieur à 0,1 (Hair et al., 2013). La pertinence prédictive du modèle évaluée par le coefficient Q2 de Stone-Geisser permet de vérifier dans quelle mesure les coefficients obtenus sont reproduits par le modèle quand on en retire quelques observations. Ce coefficient de Q2 est égal à 0,199. Ce résultat est satisfaisant puisqu’il est supérieur à 1 (Hair et al., 2013). Tous les critères de l’évaluation du modèle structurel sont satisfaits. De même, tous les liens émanant des facteurs de premier ordre vers le facteur de second ordre de l’EA, des facteurs de premier ordre vers le facteur de second ordre de la PIP, de facteur latent de second ordre de l’EA vers le facteur latent de second ordre de la PIP, ne sont pas seulement dans les sens postulés par les développements théoriques mais ils sont également significatifs. Ceci dit que l’hypothèse H1 est confirmée : Le fonctionnement en EA affecte positivement la PIP.
4.2.2 – Impacts des dimensions de l’EA sur la performance des innovations des produits
28Pour visualiser l’impact de chaque dimension de l’EA sur la génération de la PIP, nous avons mobilisé la technique de la matrice importance-performance comme instrument d’analyse complémentaire. L’IPA (Importance Performance Analysis) est une technique largement répandue en Marketing et qui est généralement mobilisée pour la formulation des stratégies. L’IPA met en relation pour une variable dépendante deux dimensions qui sont l’importance et la performance. L’importance représente l’impact d’un indicateur donné sur la variable dépendante et elle est mesurée directement par le logiciel que nous avons mobilisé : Smart PLS. L’importance est indiquée par « total effect ». La performance est définie par la valeur moyenne du score factoriel de la variable indépendante (Hair et al., 2013). Elle est indiquée par le logiciel mobilisé par « Index Values ».
Matrice importance-performance de la PIP
Matrice importance-performance de la PIP
29La lecture de ce graphique est interprétée en positionnant chaque facteur par rapport à ses deux dimensions (importance-performance). En prenant en compte la moyenne de chaque dimension que sont 0,095 pour l’importance et 65 points pour la performance, on obtient quatre zones de décisions. Les facteurs connexion à l’environnement (CE) et travail en équipe (TE), se caractérisent par une bonne performance et par un impact élevé. Autrement dit, ces deux facteurs ont l’impact le plus déterminant pour la PIP et sont bien adoptés par les entreprises de notre échantillon. Ces deux facteurs se situent dans la meilleure zone et la stratégie qui leur correspond est « maintenir ». Les facteurs création d’opportunités d’apprentissage continu (AC) et création des systèmes permettant l’acquisition et le partage des connaissances (APC) se caractérisent par des impacts importants pour la PIP, mais ils ne sont que faiblement cotés par les entreprises de notre échantillon avec 60 points pour l’AC et 59 points pour l’APC. La stratégie qui convient pour ces deux facteurs est « améliorer la performance ». En d’autres termes, il serait mieux que les entreprises veillent à s’investir davantage dans l’adoption des pratiques censées améliorer ces facteurs. Dans la troisième zone de décision se situent les facteurs ayant une performance élevée mais avec une faible importance quant à la génération de la PIP. Ces facteurs sont LS, VCP et DQ. La stratégie correspondant à cette zone est « pas d’action particulière ».
4.2.3 – Effet de la turbulence de l’environnement sur le lien EA-PIP
30Quand l’échelle de mesure d’une variable est continue, son effet modérateur est estimé en se basant sur les effets d’interaction entre cette même variable et la variable indépendante sur la variable à expliquer. De façon pratique, Chin (2008) préconise que pour mesurer l’effet modérateur d’une variable M sur le lien entre une variable exogène X et une variable endogène Y, il faut construire une variable multiplicative (X*M) représentant l’effet d’interaction entre X et M. Deux équations de régressions sont à tester : (1) Y = a + b1.X + b2.M (2) Y = a + b1.X + b2.M + b3. (X*M)
31Dans le cas où le coefficient b3 est significatif et R2 de la seconde régression est supérieur à celui de la première, l’effet modérateur est confirmé. Nous avons commencé par tester la première équation (1) ou ce qu’on appelle le modèle à effets principaux. Autrement dit, nous avons testé les effets de la turbulence de l’environnement sur la PIP. Les résultats de ce test ont montré que la variance expliquée (R2) est passée de 26,2 % à 26,8 %. De même, le coefficient structurel liant l’EA et la PIP est passé de 0,509 à 0,535. Mais, on note que l’effet de la turbulence de l’environnement sur la PIP est très faible (? = -0.088) et non significatif (t < 1,96). Les résultats du test de la seconde équation (modèle à effets additionnels) ont montré que l’impact de la variable multiplicative EA*TURB sur la PIP était très faible (? = 0,028) et non significatif (t < 1,96). Par ailleurs, la prise en compte de cet effet d’interaction n’améliore ni la variance expliquée (R2 = 26,8 %) ni la pertinence prédictive (Q2 = 20,2 %) de la PIP. Par conséquent, nous pouvons conclure au rejet de l’hypothèse H2 stipulant que la turbulence de l’environnement modère la relation entre le fonctionnement en EA et la PIP.
4.3 – Discussion des résultats
32Les résultats de notre étude ont montré que le modèle de l’EA, originellement développé par Watkins et Marsick (1996), est bien approprié dans le contexte français. Ce résultat est en ligne avec les résultats du test de ce même modèle effectué par Watkins et Marsick (1996) ; Yang et al. (2004) aux Etats-Unis, Song et al. (2009) en Corée de Sud. L’échelle de mesure de la PIP que nous avons développée, conçue comme un concept multidimensionnel, est empiriquement validée et il s’est avéré qu’elle est bien appropriée au contexte des entreprises de biotechnologie en France. Ce résultat est en ligne avec celui d’Alegre et Chiva (2006) qui ont montré que ce concept peut être modélisé en tant que concept latent de second ordre composé de deux dimensions à savoir l’efficacité et l’efficience. Les résultats de notre modèle sont à rapprocher de ceux de Griffin (1997) qui a prouvé que la PIP est un concept multidimensionnel avec trois sous-dimensions à savoir la performance financière, la performance technique et celle se rapportant à la clientèle. Cet auteur a intégré les performances financière et commerciale en une seule sous-dimension. Ce qui distingue notre modèle par rapport à ces modèles est l’ajout d’une cinquième dimension « la performance stratégique » et ce, suite à la prise en compte des remarques et des critiques de divers auteurs à l’encontre des divers modèles.
33La confirmation de la première hypothèse va dans le sens des développements théoriques de plusieurs auteurs (Baker et Sinkula, 1999 ; Hsu et Fang, 2009) voyant que le fonctionnement en EA et l’activation de la capacité d’apprentissage sont des pratiques déterminantes et incontournables pour le développement des innovations performantes de produits.
34L’analyse IPA a montré que les dimensions de l’EA ont des comportements différents par rapport à la PIP. Les dimensions qui avaient le poids le plus déterminant étaient la création d’opportunités d’apprentissage continu, le travail en équipes, la connexion à l’environnement interne et externe de l’entreprise et l’acquisition et le partage des connaissances. Ce résultat est en ligne avec ceux de Hsu et Fang (2009), Alegre et Chiva (2008), Yang et al. (2004) et Wang et Wang (2012). Ceci montre aussi la validité des propos stipulant que la montée en puissance de l’EA était dictée par l’importance accrue du capital humain, par la turbulence de l’environnement et la nécessité de bonnes capacités d’adaptation et par le caractère devenu de plus en plus stratégique de la ressource connaissance. Le reste des dimensions, à savoir : la vision collective et partagée, le leadership stratégique pour l’apprentissage et le dialogue et le questionnement n’avaient pas des poids déterminants pour la PIP. Ceci n’empêche pas de dire que ces dernières dimensions pourraient jouer un rôle important pour le fonctionnement des autres dimensions de l’EA. Dans ce sens, Yang et al. (2004) ont conclu que les facteurs du niveau des individus (AC, DQ, TE et VCP) agissent positivement sur la performance financière de l’entreprise via les facteurs organisationnels (LS, CE et APC). L’analyse IPA a montré aussi que notre modèle est consistant avec les propos de Peter Senge (1990) stipulant que la pensée systémique est le moteur qui fait fonctionner les autres disciplines. Selon Watkins et Marsick (1996), la pensée systémique englobe l’interaction avec l’environnement (CE) et la création des systèmes pour l’acquisition et le partage des connaissances (APC), or ces deux facteurs avaient bien un impact important sur la PIP dans notre modèle.
35Bien que la turbulence de l’environnement des entreprises de biotechnologie fût perçue comme assez élevée, les résultats de notre étude montrent que cette variable n’exerce pas un effet modérateur sur le lien EA-PIP. Quelques explications pourraient être avancées pour ce résultat. D’abord, il se peut que ces entreprises aient déjà atteint un niveau d’EA leur permettant d’intégrer la turbulence de l’environnement à leur processus quotidien d’affaires, au point que cette variable ne constitue plus un handicap pouvant contraindre leurs activités d’innovation et leurs performances. Puis, notre instrument de mesure de la turbulence de l’environnement évoque deux remarques susceptibles d’affaiblir sa portée empirique. Primo, nous avons conçu cet instrument en tant que variable unidimensionnelle, or l’appel de plusieurs auteurs (Gotteland et al., 2008) est de plus en plus insistant afin de mobiliser un instrument multidimensionnel reflétant de la sorte une réalité plus complexe. Secundo, cet instrument de mesure n’a pas pris en compte l’effet individualisé de chaque type de turbulence (commerciale, technologique, etc.) sur le lien étudié, ce qui pourrait empêcher l’obtention des résultats pertinents. Enfin, le test des effets modérateurs avec la présence des variables latentes (EA et PIP), et/ou un échantillon réduit, induit un risque élevé de rejeter à tort l’hypothèse modératrice (Hair et al., 2013). Par exemple, Chin (2008) suggère, pour un test de modération, un échantillon de taille comprise entre 100 et 150 observations, or la taille de notre échantillon se situe juste à la borne inférieure avec 100 entreprises.
Conclusion
36Au terme de ce papier, il est important de dresser un bilan. Nous commençons à cet effet par les apports de notre étude. Sur le plan théorique, la validation du modèle de l’EA proposé par Watkins et Marsick (1996) pour la première fois dans le monde francophone ajoute du poids au corpus des évaluations faites de ce modèle dans divers contextes et pays et indique la validité de la théorie de l’EA proposée par ces auteurs. Puis, concernant l’instrument de mesure de la PIP, s’il convient de vérifier la stabilité de sa structure sur d’autres échantillons, l’échelle proposée montre, à ce stade de développement, des qualités psychométriques satisfaisantes. Ensuite, ce travail de recherche apporte la confirmation de l’impact positif du fonctionnement en EA sur la PIP. Autrement dit, lorsque les dimensions de l’EA sont mises en œuvre ensemble, elles sont susceptibles de générer un bon niveau de la PIP. Dans le cadre de l’approche par les ressources, nous confirmons que le fonctionnement en EA et l’AO qui en découle, en tant que capacités organisationnelles combinant des ressources tangibles et intangibles revêtent un aspect stratégique pour la performance de l’entreprise. Au final, la survie des entreprises intensives en connaissances et en technologie - œuvrant dans un environnement se caractérisant par une rapidité et une complexité technologique et scientifique, par une concurrence acharnée et par plusieurs pressions d’ordre éthique, réglementaire et économique, par une grande incertitude et donc par les risques multiples - repose sur leurs capacités d’AO. Un autre apport théorique réside dans la précision des pratiques constitutives d’une EA et susceptibles d’impacter la PIP. Pour les apports méthodologiques, l’appropriation de la technique PLS au traitement d’un modèle aussi complexe que le nôtre avec un échantillon relativement petit, témoigne de sa flexibilité et plaide pour un usage plus fréquent de cette technique dans l’estimation des modèles d’équations structurelles en sciences de gestion. Un autre apport méthodologique réside dans la démonstration de l’utilité de la technique IPA (Importance Performance Analysis) pour la détermination des stratégies à adopter en vue d’améliorer l’impact de l’EA sur la PIP. Ce travail présente également des apports managériaux. L’instrument de mesure de l’EA pourrait construire un outil de diagnostic organisationnel pragmatique, qui représente les traits distinctifs de l’EA et qui permette ainsi d’évaluer le mode de fonctionnement d’une entreprise qui chercherait à tendre vers ce modèle. Pour la PIP, l’instrument validé pourrait être mobilisé par les entreprises dans la fixation des objectifs en rapport avec les nouveaux produits, ou dans une perspective postérieure d’évaluation des résultats. Les managers sont invités à être plus conscients que la génération des innovations performantes est dépendante, du moins en partie, de la capacité de leurs entreprises à améliorer leurs processus d’AO. Cette amélioration serait possible en recourant au modèle de l’EA. L’analyse importance performance (IPA) donne des résultats qui pourraient être utiles aux preneurs de décision sur une échelle sectorielle, notamment, pour pouvoir agir stratégiquement en faveur de la réalisation des innovations performantes. Pour notre cas, les responsables du secteur de la biotechnologie sont censés sensibiliser les entreprises actives dans ce secteur à être plus performantes dans les points se situant dans la zone de la stratégie « améliorer la performance » à savoir : AC et APC. Cette recherche présente un certain nombre de limites cependant. S’agissant des limites théoriques, nous citons la non prise en compte des facteurs de contingence tels que le profil des dirigeants, l’intensité de la R&D, et le soutien financier de l’Etat, etc. La généralisation des résultats reste relative puisque cette étude est faite dans un même contexte environnemental et culturel. Sur le plan empirique, une première limite vient de la perspective perceptuelle de mesures mobilisées dans cette recherche avec un seul répondant ce qui pourrait être à l’origine d’un biais de subjectivité. Une seconde limite est induite par la qualité de l’ajustement du modèle avec l’approche PLS. Même l’indice mobilisé pour remédier à ce problème (GOF) est encore sujet de controverse (Hair et al., 2013). Ces limites ouvrent les perspectives pour les recherches futures. D’abord, dans un souci de généralisation des résultats, on peut tester ce modèle en se basant sur des mesures plutôt objectives surtout en relation avec la PIP, sur des échantillons plus larges et dans d’autres contextes. Ensuite, l’étude du lien EA-PIP serait plus pertinente si on introduit l’effet modérateur de la trajectoire de croissance dans laquelle se situe l’entreprise surtout que les entreprises de biotechnologie sont majoritairement à fort potentiel de croissance. Puis, nous avons supposé que la génération des innovations par les entreprises est une activité inhérente à leur existence-même surtout qu’elles œuvrent dans un secteur aussi intensif en connaissances et en technologie que celui des biotechnologies. Dans d’autres secteurs traditionnels, il serait mieux de tester l’aptitude de l’EA à influencer l’innovativité et le taux d’innovation avant de tester son effet en termes de performance. Ensuite, l’instrument de mesure de la turbulence de l’environnement gagnerait à être plus approfondi et mieux opérationnalisé. Enfin, étant donné que le fonctionnement en EA et l’AO requièrent du temps pour avoir lieu, et dans la mesure où l’innovation n’affecte la performance qu’après un certain moment, nous pensons qu’une étude longitudinale serait d’une portée éclairante de ce modèle de recherche.
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Notes
-
[1]
Une partie de ce travail est soumise à la 23ème conférence de l’AIMS.
-
[2]
Yacine HANNACHI : Docteur en sciences de gestion de l’Institut Supérieur de Management - université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, email : yachannachi@gmail.com