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Article de revue

La gestion du risque : de l'approche juridique à l'ébauche d'une méthodologie managériale

Pages 191 à 209

Notes

  • [1]
    Pierre-Yves CHARPENTIER : Maître de Conférences en droit privé, IUT de Bourges Université d’Orléans - Pierreyves.charpentier@akeonet.com
  • [2]
    Les assureurs encouragent désormais leurs clients à identifier et traiter leurs risques afin de mieux connaître et réduire la part qui leur est transférée.
  • [3]
    Loi du 13 juillet 2002, Loi Sarbanes-Oxley, Pub. L. n°107-204, 116 Stat. 745.
  • [4]
    Loi n° 2003-706 du 1er août 2003, dite loi de sécurité financière, JORF n°177 du 2 août 2003.
  • [5]
    La démarche d’analyse des risques permet de mieux maîtriser les projets de l’entreprise, de réduire sa vulnérabilité et est un vecteur positif de communication externe vis-à-vis des partenaires financiers, des assureurs, des clients et des collectivités locales.
  • [6]
    Hazard Analysis Critical Control Points.
  • [7]
    La composition de l’étude d’impact est prévue par l’article R. 122-5 du Code de l’environnement, qui se trouve complété sur certains points par l’article R. 512-8 dudit code.
  • [8]
    Notamment, pour le risque professionnel : Circulaire N° 6 DRT du 18 avril 2002 prise pour l’application du décret n°2001-1016 portant création d’un document relatif à l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs. Pour les études de danger : Circulaire du 28 décembre 2006, non publiée, NOR : DEVP0700019C.
  • [9]
    Dans le domaine de la sécurité alimentaire, les règlements européens encouragent l’élaboration de guides de bonnes pratiques d’hygiène, documents de référence élaborés par les secteurs professionnels et validés par les autorités compétentes. Règlement CE 852/2004, article 5 point 4.
  • [10]
    Notamment en matière de risque sanitaire. Manuel de certification des établissements de santé V2010 ; HAS, Direction de l’Amélioration de la Qualité et de la Sécurité des Soins, Juin 2009 ACC01-T052-C.
  • [11]
    Comittee Sponsoring Organization of Treadway Commission.
  • [12]
    Article R 512-3 du code de l’environnement.
  • [13]
    Article R 122-5 du code de l’environnement.
  • [14]
    Circulaire n°6 DRT du 18 avril 2002 prise pour application du décret n° 2001-1016.
  • [15]
    Article R. 122-5 du Code de l’environnement.
  • [16]
    Articles L. 4121-1 et suivants du code du travail. Son omission constitue une contravention de cinquième classe. Article R. 4741-1 du code du travail.
  • [17]
    Une insuffisance conduit à un refus de validation du guide par les autorités publiques. Avis défavorable de l’AFSSA relatif au guide des bonnes pratiques d’hygiène « conservateur », avis du 20 décembre 2007.
  • [18]
    Arrêté du 29 septembre 2005, NOR : DEVP0540371A.
  • [19]
    Circulaire n°6 DRT du 18/4/2002, prise pour application du décret du 05/11/2001 portant création d’un document relatif à l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, JO du 07/11/2001.
  • [20]
    L’approche probabiliste permet de définir des seuils à partir desquels toute exigence supplémentaire en matière de prévention devient superfétatoire, voire dangereuse (cf. Barthelemy & Courrege, 2004).
  • [21]
    Article R. 512-29 du code de l’environnement.
  • [22]
    Plan Particulier d’Intervention, (article L 746-1 du code de la sécurité intérieure) ou Plan de Prévention des Risques Technologiques, plans introduits en droit Français, suite à la catastrophe de l’Usine AZF, par la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels, JO, 31 juillet 2003, p. 13021 et s. (articles 515-15 et suivants du code de l’environnement).
  • [23]
    Article L. 122-3 du code de l’environnement.
  • [24]
    Article R. 122-5 du code de l’environnement.
  • [25]
    Article L.1413-2 du code de la santé publique.
  • [26]
    Article L.1313-1 du code de la santé publique.
  • [27]
    Tel le cas de l’ANSM, article L.5312-1 du code de la santé publique.
  • [28]
    Il est tenu de produire une étude de danger et une étude d’impact, études qui relèvent de sa responsabilité. Articles L. 512-1 et R. 512-6 du code de l’environnement.
  • [29]
    Obligation, limitée à l’étude d’impact Articles L. 122-1 et R. 122-1 du code de l’environnement.
  • [30]
    Article L 4121-1 du code du travail.
  • [31]
    Article 3 Règlement CE 852/2004 et article 3 Règlement CE 853/2004.
  • [32]
    Loi n°20163-316 du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte, JORF du 17 avril 2013 P 6465.
  • [33]
    Services de l’État chargés de l’urbanisme, de l’agriculture, de la sécurité civile, des milieux naturels et de la police de l’eau, de l’inspection du travail et l’architecte des Bâtiments de France. Article R. 512-21 du code de l’environnement.
  • [34]
    Article R. 512-20 du code de l’environnement.
  • [35]
    Administration qui a en charge de l’instruction du dossier.
  • [36]
    Article R. 512-25 du code de l’environnement.
  • [37]
    Article R. 512-26 du code de l’environnement.
  • [38]
    Article L. 515-22 du code de l’environnement.
  • [39]
    Concertation et implication obligatoire depuis l’entrée en vigueur de la convention d’Aarhus du 25 juin 1998 imposant la participation du public à la prise de décisions ayant des incidences sur l’environnement. Convention d’Aarhus 25 juin 1998, publié par D. n° 2002-1187, 12 sept. 2002 : JO, 21 sept.
  • [40]
    Les procédures d’instruction des demandes d’autorisation et d’élaboration des plans de prévention sont toujours soumises à enquête publique. Procédures d’instruction des demandes d’autorisation : article L. 512-2 du code de l’environnement. Procédures d’élaboration des plans : articles L. 562-3 et L. 515-22 du code de l’environnement.
  • [41]
    Article R.4121-4 du code du travail.
  • [42]
    En sens, Circulaire n°6 DRT du 18 avril 2002, précitée.
  • [43]
    Convention d’Aarhus 25 juin 1998, précitée.
  • [44]
    L. const. n° 2005-205, 1er mars 2005 : JO, 2 mars.
  • [45]
    Tels les Comités de suivi des sites ou la Commission nationale du débat publique.
  • [46]
    Article L. 123-9 du code de l’environnement.
  • [47]
    Article R. 125-11 du Code de l’environnement.
  • [48]
    - www.prim.net - et - http://cedricdgpr.developpement-durable.gouv.fr.
  • [49]
    Article R. 4121-4 du code du travail.
  • [50]
    Article R. 4141-2 du code du travail.
  • [51]
    Article R. 4141-3-1 du code du travail.
  • [52]
    Article 10 du règlement CE n°178/2002 du 28 janvier 2002.
  • [53]
    La démarche d’analyse des risques permet de mieux maîtriser les projets de l’entreprise, de réduire sa vulnérabilité et est un vecteur positif de communication externe vis-à-vis des partenaires financiers, des assureurs, des clients et des collectivités locales (voir Barthelemy et Courrege, 2004, p. 34).

1A en croire certains observateurs, nous vivons désormais dans une civilisation du risque (Lagadec, 1981), dans une société du risque (Beck, 2001). Même si l’on ne partage pas pleinement cette approche du XXIe siècle, force est néanmoins d’admettre que le risque est, aujourd’hui, un sujet majeur du débat public, une préoccupation constante des populations, des pouvoirs publics (World Health Organization, 2002), mais également des entrepreneurs (Brockhaus, 1980).

2Pour le juriste, le risque se présente comme une situation, un ensemble d’événements dont l’occurrence est incertaine et dont la réalisation porte atteinte à la santé des populations, à l’intégrité de l’environnement ou à l’efficacité du tissu économique. Il résulte de la conjonction d’un aléa et de la vulnérabilité des enjeux humains, environnementaux ou économiques exposés (World Health Organization, 2002). Pour l’entrepreneur, le risque se situe dans tout événement incertain ayant un impact négatif sur la réalisation des objectifs de l’organisation, événement susceptible de freiner la création de valeur, de détruire la valeur existante et de remettre ainsi en cause la pérennité de l’entreprise (Brockhaus, 1980).

3Son appréhension par le droit est relativement récente, sa perception ayant longtemps été celle d’une fatalité attribuable aux dieux. Il faudra attendre le XVIIIe siècle pour que, progressivement, les risques soient vécus comme une menace. Ce changement de perception, ramenant le risque à un simple fait créant un désordre, va contraindre les pouvoirs publics, garants de l’ordre public, à mettre en œuvre des actions de prévention (Sanseverino-Godfrin, 2008).

4La prise en compte des risques pour l’entreprise, risques liés à l’activité, semble également relativement récente, les industrielles ayant préféré, pendant longtemps, en transférer la gestion aux assureurs (Barthelemy et Courrege, 2004). Cette problématique est, aujourd’hui, de plus en plus fréquemment au cœur des préoccupations des gestionnaires, que ce soit de gré [2] ou de force.

5Les scandales financiers et comptables aux Etats-Unis, tel Enron et Worldcom, et la défaillance spectaculaire d’entreprises en Europe ont montré l’utilité d’une maîtrise des risques liés à la stratégie de l’entreprise et justifié l’intervention du législateur. Aux USA, la loi du 13 juillet 2002, dite loi Sarbanes-Oxley [3] oblige les sociétés faisant appel à l’épargne publique à mettre en place et à évaluer un contrôle interne. En France, la loi de sécurité financière, loi du 1er août 2003 [4], applicable à toutes les sociétés anonymes et aux sociétés faisant appel à l’épargne publique, repose également sur un renforcement du contrôle interne. Plus généralement, les industries, autrefois porteuses d’espérance d’un monde meilleur, sont aujourd’hui ressenties comme une menace, comme source de risques collectifs, subis et intolérables (Barthelemy et Courrege, 2004, pp. 34 et suivantes). Sous la pression populaire, elles doivent intégrer les contraintes sociétales dans leur système de management en s’imposant comme objectif une maîtrise raisonnable et transparente des risques. Enfin et surtout, l’entreprise en elle-même est de plus en plus fréquemment confrontée à de multiples risques, risques « classiques » comme les risques technologiques, politiques, économiques ou socioculturels, et risques « nouveaux » tels les risques physiques, moraux et informationnels. Leur gestion est devenue une réelle nécessité pour l’entreprise en termes de compétitivité, de pérennité et d’image [5]. En dehors de toute obligation légale, les entreprises doivent mettre en place une politique de management du risque visant à assurer par tous les moyens la sécurité industrielle et la préservation des éléments clef de son fonctionnement et de son développement (Sabathier et al., 2008).

6Reste, évidemment, à définir, à partir de ces objectifs, la méthode et les outils permettant d’atteindre le plus haut degré de maîtrise des risques. Cette problématique ayant déjà été abordée, à de multiples reprises, par le législateur, l’approche juridique de la gestion des risques constitue certainement une base de réflexion pour l’élaboration d’un modèle, d’une méthodologie de gestion pour le manager.

7L’arsenal réglementaire est, en effet, imposant et cette densification normative (Charpentier, 2013) soulève la question de la reconnaissance d’un droit commun du risque. Existe-t-il aujourd’hui, un ensemble cohérent et complet de règles visant à régir toutes les situations potentiellement porteuses de danger ? De prime abord, la réponse semble négative, le législateur ayant fait le choix de privilégier la généralisation d’approches spécifiques, adaptées aux conditions particulières des différents secteurs d’activité. Pour autant, malgré l’hétérogénéité apparente de la règlementation, l’analyse approfondie de la législation révèle l’existence de principes généraux susceptibles de constituer une ébauche de droit commun, principes de prévention et de précaution qui montrent la manière dont le droit entend voir traiter le risque et principes qui reflètent une véritable méthodologie de la gestion du risque susceptible de trouver sa place au sein d’une politique de management du risque pour l’entreprise. Quel que soit le domaine, l’approche juridique se fonde sur des concepts, sur des méthodes au centre desquelles on retrouve systématiquement une démarche raisonnée d’analyse et de traitement (1) démarche qui s’intègre toujours dans un même processus finalisé (2).

1 – Une démarche raisonnée d’analyse et de traitement du risque

8Afin de promouvoir la maîtrise des risques, les législations qui se sont succédées ont rendu obligatoire un certain nombre d’outils qui se déclinent en étude de danger et d’impact, plan de prévention, document unique d’évaluation, méthode HACCP [6]. Tous ces outils, qui peuvent inspirer un processus de contrôle interne au sein de l’entreprise, traduisent la même approche de la gestion des risques, développent la même méthodologie d’analyse et de traitement, reproduisent la même démarche. Assise sur le postulat simple et d’une grande logique qui veut que seule la connaissance approfondie du risque permet d’élaborer des mesures de prévention et de protection efficace (Prieur, 2001), cette démarche repose sur une analyse exhaustive et probabiliste des risques potentiels (1.1.), analyse qui sert de fondement à un traitement proportionné de ces risques (1.2.).

1.1 – L’analyse exhaustive et probabiliste des risques

9Réalisée autant que faire se peut en amont, l’analyse privilégie toujours la connaissance des risques. Reste qu’hormis pour l’étude d’impact [7], les textes se révèlent souvent imprécis sur son contenu. Cette imprécision, présentée comme un gage de souplesse, est atténuée par l’existence de circulaires [8], de guides, tels les guides de bonnes pratiques d’hygiènes [9], ou de manuels [10], véritables documents de références qui recommandent des méthodes et des procédures permettant d’atteindre les objectifs de maîtrise posés par la réglementation.

10Il existe également, un référentiel pour les entreprises, un cadre de référence, propre au contrôle interne. Connu sous le nom de COSO, acronyme abrégé d’une commission indépendante [11] qui a établi en 1992 ce standard (COSO I Report, 1994), il présente le contrôle interne comme un processus destiné à fournir une assurance raisonnable quant à la réalisation des objectifs de l’organisation. En 2004, le COSO a édité un nouveau référentiel (COSO II Report, 2005), axé sur le risque de l’entreprise.

11L’analyse prônée par toute cette documentation débute nécessairement par un recensement des risques, de tous les risques, avérés ou simplement potentiels, susceptibles d’être générés par l’activité, le projet ou la situation particulière de l’entreprise. Pour en assurer l’exhaustivité, ce recensement suit le même schéma.

12En premier lieu, l’environnement et les composantes de l’activité ou du projet doivent être exposés. Les études de danger présentent ainsi la nature et le volume des activités exercées, les procédés de fabrication mis en œuvre et les produits et matières fabriqués et utilisés [12]. Les études d’impact décrivent les projets et comportent une analyse de l’état initial du site [13]. Le document unique d’évaluation des risques professionnels décrit, pour chaque poste, l’environnement de travail, les procédés de fabrication et les substances et préparations chimiques employées [14]. Les guides de bonnes pratiques d’hygiène présentent les produits, les productions et les procédés utilisés.

13Pour le risque de l’entreprise, cette première étape repose certainement sur une description de l’environnement externe, mais également interne. Elle implique une présentation des objectifs de l’organisation, objectifs stratégiques reflétant les choix de la direction en termes de création de valeur et de tolérance aux risques (COSO II Report, 2005, pp.

1453 et suivantes), et une analyse de la sensibilité des dirigeants aux risques, de la compétence des personnels, des mécanismes de contrôle et de délégation de pouvoirs (COSO II Report, 2005, pp. 39 et suivantes).

Etape 1

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Etape 1

15Sur la base de ces exposés préliminaires, sorte d’état des lieux avec description de tout ce qui peut être source de danger, l’analyse se poursuit par la présentation des risques inhérents à l’activité, au projet, à l’environnement ou aux objectifs.

16L’étude de danger comporte un exposé des accidents possibles, que leur origine soit interne à l’installation ou externe, et la description consécutive des dangers pour l’environnement et la population. L’étude d’impact décrit les effets du projet sur l’environnement [15] et plus précisément la nature, l’intensité, l’étendue et la durée des impacts qu’il risque d’engendrer (Boivin, 2003, p. 162). Le document unique dresse un inventaire des risques dans chaque unité de travail [16] en identifiant tous les dangers (Andeol et al., 2010). Les guides de bonnes pratiques d’hygiène présentent une identification de tous les dangers liés à l’activité, qu’il s’agisse de dangers microbiologiques, chimiques ou physiques [17].

17Transposée aux risques pour l’entreprise, la description des risques se doit de comporter une identification de tous les événements potentiels, internes ou externes, pouvant affecter l’organisation et qui sont susceptibles de nuire à sa capacité à mettre en œuvre sa stratégie et à atteindre ses objectifs (COSO II, 2005, pp. 63 et suivantes). La gestion du risque pour l’entreprise présente, ici, une spécificité. La survenance d’un événement d’origine interne ou externe peut également avoir une incidence positive sur la réalisation des activités permettant d’atteindre les objectifs. On parlera alors d’opportunité (COSO II, 2005, pp. 23 et suivantes). La démarche d’analyse doit donc permettre à la direction d’identifier risques et opportunités pour prévenir les premiers et pour saisir les secondes.

Etape 2

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Etape 2

18Une fois recensés, les risques sont évalués puis hiérarchisés en fonction de leur degré de dangerosité pour la santé des populations, pour l’intégrité de l’environnement ou pour les objectifs de l’entreprise. Aux fins de pertinence, l’évaluation repose toujours sur l’appréciation des deux composantes du risque, à savoir l’aléa et la vulnérabilité.

19Aux termes de l’article L.512-1 du code de l’environnement, dans les études de danger, les risques d’accidents sont gradués selon leur probabilité d’occurrence et leur gravité. L’évaluation, particulièrement rigoureuse et encadrée [18], conduit à un classement suivant une grille d’appréciation, appelée grille de criticité, qui va du risque tolérable au risque inacceptable. L’étude d’impact détermine la nature, l’intensité, l’étendue et la durée des impacts que le projet est susceptible d’engendrer. Elle en évalue donc nécessairement la probabilité. Et cette première évaluation doit être complétée par une appréciation de leur importance en fonction de l’irréversibilité de leurs effets et de la vulnérabilité des milieux concernés, autrement dit par une évaluation de leur gravité. On aboutit ainsi à une classification des impacts selon leur criticité.

20Cette forme d’évaluation est également présente dans les autres outils de gestion préventive. En matière de risque professionnel, le document unique comporte un classement des dangers et donc une évaluation des risques répertoriés sur la base de critères telle la probabilité d’occurrence et la gravité [19]. Dans le cadre de la mise en œuvre de la méthode HACCP, les dangers liés aux matières premières et aux opérations effectuées sur l’aliment sont identifiés et hiérarchisés. Les guides de bonnes pratiques présentent toujours une évaluation des risques, risques dont ils précisent la portée, c’est-à-dire la probabilité de leur survenue et la gravité des effets néfastes qu’ils engendrent eu égard à leur importance en termes de santé.

21Appliquée aux risques pour l’entreprise, l’évaluation consistera à déterminer la probabilité que l’un des évènements précédemment répertoriés survienne et son impact sur la réalisation des objectifs définis initialement (COSO II, 2005, pp. 73 et suivantes). L’évènement sera classé en fonction d’une grille propre à l’entreprise, grille hiérarchisant les risques en fonction de leur acceptabilité pour les dirigeants, au regard de l’appétence de l’organisation pour le risque (COSO II, 2005, p. 28).

Etape 3

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Etape 3

22En définitive, quel que soit le risque, la démarche d’analyse, prônée par la législation et qui mérite certainement d’être reprise dans le cadre de politique de management des risques pour l’entreprise, relève d’une approche probabiliste, exhaustive et pertinente. Elle dépasse la simple prévention et s’inscrit dans une dynamique de précaution. Elle s’efforce d’explorer tous les dangers raisonnablement envisageables pour l’activité, la situation considérée ou les objectifs de l’entreprise, puis de procéder à l’évaluation de leurs effets et conséquences potentiels et à l’estimation de la probabilité de leur survenance. Le classement qui en résulte, classement selon une grille de criticité, permet de définir logiquement et rationnellement des seuils à partir desquels seront mise en œuvre des mesures de préventions et de précautions adaptées [20], des mesures efficaces, raisonnées et proportionnées de maîtrise des risques. A priori, seuls lui échappent les risques indécelables ou impossibles à évaluer au regard, notamment, de l’état des connaissances scientifiques. Si on ne saurait s’en offusquer pour les risques imaginaires, cette mise à l’écart semble plus préoccupante pour des risques simplement non quantifiables en termes de gravité. Elle n’est, toutefois et fort heureusement, qu’apparente. En application du principe de précaution, ces risques font également l’objet d’un traitement proportionné.

1.2 – Un traitement proportionné

23Si la connaissance du risque est indispensable, elle ne constitue pas une fin en soi mais trouve sa raison d’être, sa justification, dans les actions de prévention qu’elle va susciter. C’est sur la base de l’analyse, de la connaissance qu’elle procure, que la législation impose qu’il soit procédé au traitement du risque et que la manager pourra déterminer des parades efficaces.

24Concrètement, ce traitement, qui passe par l’adoption ou l’élaboration de mesures aptes à répondre aux dangers répertoriés, consiste à intervenir sur l’une des composantes du risque, l’aléa ou la vulnérabilité. L’objectif est de ramener le risque à un niveau acceptable, de le ramener en deçà d’un seuil de tolérance déterminé, pour le risque de l’entreprise, par la direction en considération de l’appétence de l’organisation pour le risque (Coso II, 2005, pp. 83 et suivantes), ou mieux encore, de l’éliminer en supprimant cet aléa ou cette vulnérabilité. L’évitement constitue certainement le premier mode de traitement du risque prôné par la réglementation, la solution incontournable face à un risque intolérable et la solution privilégiée en présence d’un risque pour la santé ou la sécurité des populations. Reste que l’évitement n’est pas toujours possible, ni même envisageable, sauf à renoncer à toute activité. Le risque zéro n’existe pas. Ce constat est parfaitement intégré par la réglementation sur le risque qui, faute de pouvoir le faire disparaître, rend obligatoire l’élaboration et la mise en œuvre d’autres mesures : mesures de prévention, qui visent à réduire l’aléa, mesures de protection, qui ont pour finalité de réduire la gravité du risque, mesure de compensation, qui permettent de remédier, par défaut, aux nuisances et dommages liés à la réalisation du risque et mesures de précaution qui tendent à encadrer les risques simplement douteux au plan de leur existence ou de leurs conséquences. Mais quelle que soit la nature des mesures, elles doivent toutes être mises en relation avec l’analyse du risque.

25Pour le risque industriel, l’étude de danger expose les effets potentiels des accidents et précise toutes les dispositions prises par l’exploitant pour en empêcher la réalisation et en maîtriser les effets. Elle comporte, notamment, un examen technico-économique visant à supprimer ou remplacer les procédés et les produits dangereux par des solutions présentant moins de danger. L’étude doit également dresser un état de la nature et de l’organisation des moyens de secours privés disponibles en vue de combattre les effets d’un éventuel sinistre [21], et elle sert de base à l’élaboration, par les autorités publiques, des plans de protection obligatoire en présence d’une installation qui présente de graves dangers pour les populations avoisinantes [22]. C’est bien à chaque fois en fonction de la gravité du risque, tel qu’identifié et évalué dans le cadre de l’étude de danger, que des mesures sont arrêtées. Le lien est incontestable.

26Cette corrélation entre l’analyse et le traitement est également patente en matière de risque environnemental. A partir des informations inventoriées, informations concernant l’analyse de l’état initial du site et la typologie des effets sur l’environnement, l’étude d’impact, après avoir justifié que les choix retenus, par rapport aux autres options offertes, sont ceux qui comportent le moins de risque pour l’environnement [23], expose les mesures envisagées par le demandeur pour limiter et si possible compenser les inconvénients résiduels de l’installation [24]. Le lien est tout aussi fort pour le risque professionnel, le document unique devant contenir, pour chaque risque identifié, évalué et qui n’a pas pu être évité à la source, des propositions d’action de prévention et pour le risque alimentaire, la méthode HACCP, développée par les guides de bonnes pratiques, conduisant à mettre en place des outils de maîtrise des risques en relation avec les points critiques précédemment déterminés dans le cadre de l’identification et de la hiérarchisation des dangers.

27Transposé dans le domaine du risque pour l’entreprise, le traitement va consister à définir les différentes solutions possibles, les mesures à prendre pour chacun des risques identifiés. On relèvera, ici encore, une spécificité. Toute mesure comportant une mobilisation de ressources, une comparaison coût/bénéficie doit nécessairement être menée pour déterminer la mesure la plus adaptée, étant entendu qu’un même événement peut constituer, pour l’entreprise, un risque sous certains aspects et une opportunité sous d’autres aspects (Coso II, 2005, pp. 86 et suivantes). Dès lors et au regard des particularités propres à chaque situation d’entreprise, le traitement pourra prendre classiquement la forme d’un évitement, en renonçant à une activité, ou d’une réduction, en jouant sur la probabilité ou sur la gravité. Mais il pourra également passer par une mutualisation du risque, en transférant tout ou partie de celui-ci par externalisation de l’activité ou par achat de produits d’assurance, ou enfin refléter une acceptation du risque, en ne prenant aucune mesure.

Traitement du risque

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Traitement du risque

28En définitive, quel que soit le domaine, quels que soient les outils, c’est toujours en considération du risque identifié et évalué que doivent et peuvent être définies des mesures adaptées de prévention. Et c’est dans cette même optique de proportionnalité que des mécanismes de précaution répondent aux risques, a priori, indécelables ou impossibles à évaluer. Ces mécanismes prennent essentiellement la forme de dispositifs de vigilance et de veille scientifique permettant un suivi des produits et des activités.

29Les autorités publiques, sur qui pèse l’obligation de respecter le principe de précaution, ont ainsi élaboré des mécanismes de veille scientifique. L’institut de Veille Sanitaire (IVS) a pour mission de collecter et de traiter l’information en matière de santé [25]. Ce rôle est confié à l’Agence Nationale chargée de la Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail (Anses) en matière de risque alimentaire, environnemental et professionnel [26]. Certaines de ces agences disposent d’un pouvoir de police leur permettant d’interdire toute activité présentant un danger grave pour la santé ou la sécurité [27]. Les autres ont pour vocation de fournir des informations au gouvernement et peuvent l’inviter à prendre des mesures proportionnées de prévention ou de précaution face à un risque nouveau. Rien n’interdit, bien au contraire, de transposer un tel mécanisme de veille au sein d’une politique de management du risque de l’entreprise.

30Structurée, raisonnée, l’approche juridique de la gestion des risques repose sur une démarche qui vise l’exhaustivité de l’identification, la pertinence de l’analyse et la proportionnalité du traitement. Véritable méthodologie de maîtrise des risques, elle présente d’incontestables vertus, comme en atteste son extension progressive à toutes les activités potentiellement porteuses de dangers, vertus auxquelles les managers ne resteront pas insensibles. Mais pour garantir son efficacité, face aux enjeux économiques et sociaux de la maîtrise des risques, encore convient-il d’en imposer une mise en œuvre rigoureuse et réfléchie. C’est ce qu’a fait la législation, et ce que doit faire le manager, en intégrant la démarche au cœur d’un processus finalisé.

Démarche d’analyse et de traitement

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Démarche d’analyse et de traitement

2 – Un processus finalisé de maîtrise et d’acceptabilité du risque

31Gérer le risque, dans l’esprit de la législation, c’est parvenir à le maîtriser dans toutes ses dimensions, scientifique, économique, managériale, administrative, sociologique, sociétale, sociale…, afin de répondre à un impératif de sécurité publique (Sanseverino-Godfrin, 2008). La gestion du risque pour l’entreprise paraît moins ambitieuse en ce qu’elle vise essentiellement à fournir une assurance raisonnable quant à la réalisation des objectifs de l’organisation. Elle n’en est pas moins fondamentale en termes de performance, de rentabilité et de minimisation des pertes, sa finalité étant de garantir la pérennité de l’entreprise.

32En outre, cette gestion permet de favoriser une acceptation du risque. La vie moderne, l’entreprise moderne, fait peser sur le citoyen des risques nouveaux, risques qui lui font peur et risques qu’il refuse. Or, s’il est incontestable que l’amélioration de la protection des populations reste la priorité, elle ne doit pas, pour autant, paralyser tout projet ou toute entreprise présentant des dangers. Un équilibre est à trouver entre le développement technique et économique et la protection contre les risques qu’il engendre, entre la nécessité de favoriser l’avenir industriel et les impératifs de sécurité de nos sociétés modernes (Sabathier et al., 2008). Cette recherche d’équilibre entre deux aspirations a priori contradictoires s’est manifestée par l’émergence, au sein de toute la réglementation, d’une véritable culture de vigilance et de sécurité (Essig, 2001). Elément certainement indispensable d’une politique efficiente de management du risque pour l’entreprise, la culture du risque se définit comme la façon de penser, de ressentir et d’aborder le risque dans toute ses dimensions, comme un ensemble de connaissances et de comportements caractéristiques de la manière dont le risque est appréhendé depuis son identification jusqu’à la mise en œuvre de mesures permettant sa maîtrise (COSO II, 2005, p. 7). Partagée par tous ceux qui sont impliqués par le risque, qu’ils en soient à l’origine, qu’ils aient la charge des mesures permettant sa maîtrise ou qu’ils y soient simplement exposés, cette culture s’exprime au travers d’une large concertation (2.1.) et d’un renforcement de l’information (2.2.).

2.1 – Une analyse concertée

33Sur la question des personnes chargées de la mise en œuvre de la démarche, la réglementation sur le risque fait preuve d’un grand pragmatisme en distinguant toujours deux temps forts : le temps de l’analyse et de l’évaluation par la personne ou l’autorité responsable de la maîtrise du risque, et le temps de la consultation et de l’évaluation par les tiers, services administratifs déconcentrés, conseils ou commissions spécialisées, collectivités locales et personnes intéressées parce que directement exposées au risque. Ce schéma est aisément transposable dans l’entreprise où le dispositif de management des risques est élaboré et mis en œuvre par la direction en concertation avec l’ensemble des collaborateurs de l’organisation, sous la supervision du Conseil d’administration ou de surveillance (COSO II, 2005, p. 5).

34L’obligation de procéder à l’analyse du risque pèse ainsi en priorité sur celui qui en est à l’origine, ou qui a la charge d’en assurer la maîtrise. Il s’agit du pétitionnaire, pour les installations soumises à autorisation [28], du porteur de projet susceptible d’avoir des effets notables sur l’environnement [29], de l’employeur, tenu d’assurer la santé et la sécurité des salariés sur les lieux de travail [30] ou encore des professionnels du secteur alimentaire, sur qui pèse l’obligation de ne mettre sur le marché que des produits ne présentant aucun danger [31]. Au sein de l’entreprise, elle relève évidemment de la responsabilité du ou des dirigeants, même s’ils en délèguent la mise en œuvre à des collaborateurs (COSO II, 2005, pp. 132 et suivantes).

35Cette implication, prioritaire et systématique, est d’une grande logique. Qui mieux que le professionnel, le porteur du projet ou le gestionnaire peut recenser et évaluer les risques issus de l’activité, du projet ou de la situation dont il a la charge ou la maîtrise ? Qui est mieux placé qu’eux pour concevoir les systèmes de prévention et de protection les plus sûrs permettant d’atteindre l’objectif de sécurité maximum ? Les mesures qu’ils élaborent, sont des mesures de terrain, adaptées aux spécificités de chaque secteur, de chaque activité, de chaque domaine, de chaque entreprise, ce qui en garantit l’effectivité et leur confère une véritable force dans la pratique.

36Pour autant, un tel mécanisme, une telle primauté donnée aux professionnels, aux porteurs de projets, aux dirigeants et même à une autorité administrative, n’est pas exempt de toute critique. On peut craindre des dérives, une instrumentalisation, voir une dissimulation volontaire de dangers pourtant décelés et il apparaît surtout difficilement concevable de leur laisser, de leur abandonner, une question aussi délicate que celle de la maîtrise des risques. Un contrôle de l’analyse effectuée et des recommandations proposées s’imposait.

37Au sein de la législation sur le risque, ce contrôle prend la forme d’une intervention des pouvoirs publics dans la procédure d’élaboration, lorsque ceux-ci n’en n’ont pas directement la charge. La réglementation impose également et systématiquement, toujours dans le but d’améliorer la pertinence de l’analyse et l’efficacité des mesures associées, une véritable concertation avec tous ceux qui sont impliqués par le risque et auxquels la loi accorde aujourd’hui un véritable droit d’alerte en matière de santé publique et d’environnement [32].

38Dans le cadre de la procédure d’instruction des demandes d’autorisation, les études d’impact et de danger sont soumises, pour avis, à de nombreux services administratifs déconcentrés [33], et les conseils municipaux sont consultés sur les projets susceptibles de s’implanter sur le territoire de la commune [34]. Les avis recueillis pourront influencer une modification ou un renforcement des mesures de prévention ou de protection proposées par le pétitionnaire. Ils sont transmis à l’inspection des installations classées [35] qui, en tenant compte des observations formulées [36], établit un rapport sur la demande d’autorisation et formule des propositions au préfet, notamment sur les prescriptions à prendre dans l’hypothèse d’une autorisation [37]. Dépassant la simple consultation, les conseils municipaux sont aujourd’hui directement associés, avec les établissements publics de coopération intercommunale, à l’élaboration des plans de prévention des risques technologiques [38]. Une concertation et une implication directe des citoyens dans la démarche d’analyse [39] est favorisée par le renforcement des enquêtes publiques [40]. Ces enquêtes fournissent aux personnes intéressées les éléments d’information sur l’opération projetée, afin que celles-ci puissent émettre une opinion éclairée avant la prise de décision par l’autorité administrative compétente. Le rapport du commissaire enquêteur destiné à l’autorité administrative doit contenir une analyse des observations du public, une synthèse de toutes les observations écrites et orales.

39Contrôle et concertation sont également de mise face aux risques professionnels et alimentaires. Le respect de l’obligation de transcrire dans un document les résultats de l’évaluation des risques professionnels est contrôlé par l’inspection du travail [41], et les instances représentatives du personnel sont associées à toutes les étapes de l’élaboration de ce document unique [42]. Les guides de bonnes pratiques d’hygiène sont soumis à une stricte procédure de validation par les pouvoirs publics, procédure qui associe contrôle et concertation.

40La transposition d’un tel mécanisme au sein de l’entreprise est souhaitable et, peut-être, à inventer. Il est certain que le Conseil d’administration ou de surveillance, s’il en existe un, devra assurer la supervision du processus en définissant la stratégie et en fixant des objectifs aux managers, managers qui devront lui en rendre compte. Mais comme la gestion des risques relève de la responsabilité de tous les collaborateurs (COSO II, 2005, p. 138), elle doit faire intervenir toutes les parties prenantes (Igalens, Point, 2009). On peut attendre des managers qu’ils apportent leur soutien à la culture de l’entité en matière de gestion de risque. Les employés doivent également être impliqués. Chargés de la gestion quotidienne des problèmes opérationnels majeurs, ils sont souvent les mieux placés pour identifier les difficultés lorsqu’elles surgissent (COSO II, 2005, p. 112). Enfin, un certain nombre de tiers peuvent aussi contribuer à la réalisation des objectifs de l’organisation. Auditeurs externes, clients, fournisseurs, partenaires, tous sont susceptibles de fournir des informations importantes (COSO II, 2005, pp. 139 et suivantes).

Processus d’analyse

figure im6

Processus d’analyse

41Indissociables de la démarche d’analyse, les mécanismes de contrôle et de concertation favorisent le partage d’une culture de vigilance et de sécurité, partage entre tous ceux qui participent de près, comme les collaborateurs, les représentants du personnel et les conseils municipaux, ou de plus loin, comme les riverains ou les partenaires, à la démarche d’analyse. Ils concourent ainsi à une meilleure gestion du risque. C’est lorsque la culture du risque est bien développée, comprise et remporte l’adhésion du personnel, que l’organisation peut effectivement identifier et gérer les risques et les opportunités. Ce partage répond également à un objectif d’acceptabilité du risque par les personnes concernées (Charbonneau, 1989), objectif qui est à l’origine du renforcement de l’information.

2.2 – Une information renforcée

42Grâce à l’information, la législation aborde une autre dimension du risque, sa dimension psychologique. Même soumis à une démarche d’analyse raisonnée et rigoureuse, le risque peut subsister. Et cette simple perspective est souvent jugée insupportable par tous ceux qui y sont exposés. Pour combattre ce sentiment d’insécurité et développer des comportements responsables face au risque, sur le postulat que c’est l’ignorance qui fait peur, toute la réglementation tend à garantir l’information des personnes potentiellement menacées afin de leur permettre de connaître les dangers auxquels elles sont exposées, les dommages prévisibles, ainsi que les moyens de prévention, de protection et de secours mis en œuvre.

43Au sein de l’entreprise, l’information sur le risque et sur le processus de management, également destinée à jouer sur les comportements, semble fondamentale. Des informations pertinentes doivent être communiquées afin de permettre à chacun des collaborateurs de s’acquitter de ses responsabilités et de comprendre l’importance du management des risques et son rôle dans le dispositif (COSO II, 2005, p. 103).

44Dans tous les cas, cette information se doit d’être la plus claire et la plus large possible. Elle porte sur le risque et les mesures associées et consiste à rendre publique, de la manière la plus compréhensible possible, le contenu de la démarche d’analyse.

45En matière de risque technologique et environnemental, l’accès à l’information est un droit fondamental du citoyen, droit reconnu par la convention d’Aarhus [43] et droit auquel l’article 7 de la charte de l’environnement [44] a conféré une valeur constitutionnelle. Très concrètement, l’information peut être obtenue par l’intermédiaire de structures institutionnelles [45]. Elle peut aussi être recherchée en consultant les arrêtés d’autorisation d’ouverture ou d’approbation des plans de prévention, ou encore en participant à l’enquête publique, les projets de plans, les études d’impact et de danger étant mis à la disposition du public.

46L’information est aussi directement apportée, ponctuellement ou de manière permanente, aux populations les plus exposées. Ponctuellement, dans le cadre de l’enquête, le commissaire enquêteur peut organiser une réunion d’information et d’échanges avec le public et en présence du maître de l’ouvrage [46]. De manière permanente, une information sur les risques est consignée dans un Dossier départemental sur les risques majeurs (DDRM) établi par le préfet, ainsi que dans un Document d’information communal sur les risques majeurs (DICRIM) établi par le maire [47]. Le dossier départemental et le document communal sont consultables à la mairie. Enfin, plusieurs sites officiels sont dédiés à l’information sur le risque [48].

47Fortement développée pour les risques industriels, environnementaux et naturels, certainement en raison du nombre de personnes exposées à ces risques majeurs, l’information paraît moins étendue dans les autres domaines porteurs de risques. Elle reste, néanmoins, renforcée à l’égard de ceux qui sont concernés.

48Dans l’entreprise, le document unique d’évaluation des risques peut être consulté par les salariés et un avis indiquant les modalités d’accès à ce document doit être affiché sur les lieux de travail [49]. L’employeur a l’obligation d’informer les travailleurs sur les risques pour leur santé et leur sécurité. Cette information, délivrée lors de l’embauche et chaque fois que nécessaire [50], porte sur les modalités d’accès au document unique et sur les mesures de prévention des risques identifiés dans ce document [51]. En matière de sécurité alimentaire, lorsqu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’une denrée puisse présenter un risque pour la santé humaine, les pouvoirs publics doivent en informer la population, en identifiant le plus complètement possible la denrée incriminée, le risque qu’elle peut présenter et les mesures qui sont prises ou sur le point d’être prises pour prévenir, réduire ou éliminer ce risque [52].

49Appliquée à la gestion des risques de l’entreprise, la communication pourra certainement prendre de multiples formes et s’inspirer des modèles prônés par la législation sur le risque. Au fond, la direction devra communiquer de façon directe et ciblée sur ses attentes en termes de comportement et de responsabilité. La communication doit exposer clairement la culture de l’organisation en matière de management des risques, son appétence et sa tolérance pour le risque, le rôle et les responsabilités de chacun, et véhiculer l’importance et la pertinence du dispositif et les objectifs de l’organisation (COSO II, 2005, pp. 110-111). La circulation d’information devra être multidirectionnelle. Ascendante, descendante et transversale, afin de permettre aux collaborateurs de faire remonter des informations, elle sera également interne et externe afin de répondre aux besoins des partenaires en leur permettant de comprendre les circonstances et les risques auxquels l’organisation est exposée.

Processus d’information

figure im7

Processus d’information

50Suite logique, élément indissociable de la démarche d’analyse des risques, démarche raisonnée qui en fournit les éléments, l’information porte toujours sur le risque en lui-même et sur les moyens mis en œuvre pour le maîtriser. Associée à l’implication, soit des populations et des collectivités exposées, soit des collaborateurs, dans les différentes étapes de la démarche, elle contribue à l’émergence et au partage d’une culture de vigilance et de sécurité, d’une culture du risque, qu’il soit industriel, environnemental, professionnel, alimentaire ou propre à l’entreprise. Cette culture, finalité du processus élaboré par la réglementation et vecteur privilégié d’une maîtrise des risques, favorise la prise en compte de tous les intérêts en jeu, intérêts des exploitants, des entreprises, des pouvoirs publics et des populations, afin de parvenir, en dépassant l’utopie de la sécurité absolue, à une forme de socialisation du risque pour en déterminer les seuils d’acceptabilité.

Conclusion

51Arrivé au terme de cette réflexion, il est possible de dessiner les grandes lignes de l’approche juridique de la gestion des risques et de dresser l’ébauche d’une méthodologie juridique de gestion des risques. Face à l’impérative nécessité sociale de parvenir à un haut degré de maîtrise et avec un triple objectif de prévention, de protection et d’adaptation des comportements envers le risque, le législateur a élaboré un régime juridique qui repose sur des mesures techniques axées sur une démarche d’analyse, et sur des mesures sociales de concertation et d’information des populations exposées. La gestion juridique du risque s’articule autour d’un recensement exhaustif, d’une évaluation probabiliste, d’un traitement proportionné et s’intègre dans un processus d’analyse concertée et d’information renforcée. Cette approche globale, cette méthodologie, qui s’adapte aux conditions particulières des différents secteurs d’activités, porteuse d’une culture de vigilance et de sécurité, transcende la simple maîtrise du risque pour asseoir des principes et des comportements en adéquation avec les défis du XXIe siècle.

52Cette méthodologie a déjà pénétré la sphère de l’entreprise et comme la problématique du risque est de plus en plus fréquemment au cœur des préoccupations des gestionnaires, la gestion des risques devenant une réelle nécessité pour l’entreprise en termes de compétitivité, de pérennité et d’image [53], on peut raisonnablement penser qu’elle trouvera sa place au sein d’une politique de management des risques. On peut même le souhaiter.

53Bien évidemment, il appartiendra aux managers d’en définir, plus précisément, les modalités de mise en œuvre. Les développements qui précèdent, n’ont pas pour ambition d’offrir un modèle unique ou des outils spécifiques de gestion des risques de l’entreprise. S’inspirant de l’approche juridique pour proposer l’ébauche d’une méthodologie managériale, ils invitent, plus modestement, les gestionnaires à s’emparer de cette problématique. De nouvelles réflexions devront être menées afin d’en adapter les composantes aux différentes situations d’entreprise. Mais le rôle du juriste semble s’arrêter à ce stade, ce dernier étant souvent peu enclin à franchir la porte du manager. On peut certainement le regretter.

Bibliographie

Bibliographie

  • ANDEOL B., GUILLEMY N. & LEROY A. (2010), Evaluation des risques professionnels, INRS ED 887, 2e ed.
  • BARTHELEMY B. & COURREGE P. (2004), Gestion des risques, Méthode d’optimisation globale, Editions d’Organisation, 2ème éd.
  • BECK U. (2001), La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Flammarion, Paris.
  • BOIVIN J.-P. (2003), Traité pratique de l’environnement industriel, Le Moniteur, 2e ed.
  • BOURGEOT S. & BLATMAN M. (2009), L’état de santé du salarié, Editions Laisons, 2ème éd.
  • BROCKHAUS R. (1980), “Risk taking propensity of entrepreneurs”, Academy of Management Journal, vol. 23, n° 3, pp. 509-520.
  • CHARBONNEAU S. (1989), « L’acceptabilité du risque d’accident technique majeur », RJE, n°3, p 269.
  • CHARPENTIER P.-Y. (2013), La densification normative de la démarche d’analyse des risques, dans La densification normative – Découverte d’un processus, Ed. Mare et Martin.
  • COSO I (1994), La nouvelle pratique du Contrôle Interne, Edition d’Organisation, Paris.
  • COSO II (2005), Le management des risques de l’Entreprise. Cadre de référence – Technique d’application, Eyrolles., Ed. d’Organisation, Paris.
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  • LAGADEC P. (1981), La civilisation du risque. Catastrophe technologique et responsabilité sociale, Seuil, Paris.
  • PRIEUR M. (2001), Droit de l’environnement, Dalloz, Paris, 4e ed.
  • SABATHIER S., BLIN M.-P., CROUZATIER F. & DESBARRATS I. (2008), Guide juridique du risque industriel, Ellipses, Paris.
  • SANSEVERINO-GODFRIN V. (2008), Le cadre juridique de la gestion des risques naturels, Lavoisier, Paris.
  • WORLD HEALTH ORGANIZATION (2002), The World health report : Reducing the risks, promoting healthy life, rapport, Genève.

Notes

  • [1]
    Pierre-Yves CHARPENTIER : Maître de Conférences en droit privé, IUT de Bourges Université d’Orléans - Pierreyves.charpentier@akeonet.com
  • [2]
    Les assureurs encouragent désormais leurs clients à identifier et traiter leurs risques afin de mieux connaître et réduire la part qui leur est transférée.
  • [3]
    Loi du 13 juillet 2002, Loi Sarbanes-Oxley, Pub. L. n°107-204, 116 Stat. 745.
  • [4]
    Loi n° 2003-706 du 1er août 2003, dite loi de sécurité financière, JORF n°177 du 2 août 2003.
  • [5]
    La démarche d’analyse des risques permet de mieux maîtriser les projets de l’entreprise, de réduire sa vulnérabilité et est un vecteur positif de communication externe vis-à-vis des partenaires financiers, des assureurs, des clients et des collectivités locales.
  • [6]
    Hazard Analysis Critical Control Points.
  • [7]
    La composition de l’étude d’impact est prévue par l’article R. 122-5 du Code de l’environnement, qui se trouve complété sur certains points par l’article R. 512-8 dudit code.
  • [8]
    Notamment, pour le risque professionnel : Circulaire N° 6 DRT du 18 avril 2002 prise pour l’application du décret n°2001-1016 portant création d’un document relatif à l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs. Pour les études de danger : Circulaire du 28 décembre 2006, non publiée, NOR : DEVP0700019C.
  • [9]
    Dans le domaine de la sécurité alimentaire, les règlements européens encouragent l’élaboration de guides de bonnes pratiques d’hygiène, documents de référence élaborés par les secteurs professionnels et validés par les autorités compétentes. Règlement CE 852/2004, article 5 point 4.
  • [10]
    Notamment en matière de risque sanitaire. Manuel de certification des établissements de santé V2010 ; HAS, Direction de l’Amélioration de la Qualité et de la Sécurité des Soins, Juin 2009 ACC01-T052-C.
  • [11]
    Comittee Sponsoring Organization of Treadway Commission.
  • [12]
    Article R 512-3 du code de l’environnement.
  • [13]
    Article R 122-5 du code de l’environnement.
  • [14]
    Circulaire n°6 DRT du 18 avril 2002 prise pour application du décret n° 2001-1016.
  • [15]
    Article R. 122-5 du Code de l’environnement.
  • [16]
    Articles L. 4121-1 et suivants du code du travail. Son omission constitue une contravention de cinquième classe. Article R. 4741-1 du code du travail.
  • [17]
    Une insuffisance conduit à un refus de validation du guide par les autorités publiques. Avis défavorable de l’AFSSA relatif au guide des bonnes pratiques d’hygiène « conservateur », avis du 20 décembre 2007.
  • [18]
    Arrêté du 29 septembre 2005, NOR : DEVP0540371A.
  • [19]
    Circulaire n°6 DRT du 18/4/2002, prise pour application du décret du 05/11/2001 portant création d’un document relatif à l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, JO du 07/11/2001.
  • [20]
    L’approche probabiliste permet de définir des seuils à partir desquels toute exigence supplémentaire en matière de prévention devient superfétatoire, voire dangereuse (cf. Barthelemy & Courrege, 2004).
  • [21]
    Article R. 512-29 du code de l’environnement.
  • [22]
    Plan Particulier d’Intervention, (article L 746-1 du code de la sécurité intérieure) ou Plan de Prévention des Risques Technologiques, plans introduits en droit Français, suite à la catastrophe de l’Usine AZF, par la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels, JO, 31 juillet 2003, p. 13021 et s. (articles 515-15 et suivants du code de l’environnement).
  • [23]
    Article L. 122-3 du code de l’environnement.
  • [24]
    Article R. 122-5 du code de l’environnement.
  • [25]
    Article L.1413-2 du code de la santé publique.
  • [26]
    Article L.1313-1 du code de la santé publique.
  • [27]
    Tel le cas de l’ANSM, article L.5312-1 du code de la santé publique.
  • [28]
    Il est tenu de produire une étude de danger et une étude d’impact, études qui relèvent de sa responsabilité. Articles L. 512-1 et R. 512-6 du code de l’environnement.
  • [29]
    Obligation, limitée à l’étude d’impact Articles L. 122-1 et R. 122-1 du code de l’environnement.
  • [30]
    Article L 4121-1 du code du travail.
  • [31]
    Article 3 Règlement CE 852/2004 et article 3 Règlement CE 853/2004.
  • [32]
    Loi n°20163-316 du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte, JORF du 17 avril 2013 P 6465.
  • [33]
    Services de l’État chargés de l’urbanisme, de l’agriculture, de la sécurité civile, des milieux naturels et de la police de l’eau, de l’inspection du travail et l’architecte des Bâtiments de France. Article R. 512-21 du code de l’environnement.
  • [34]
    Article R. 512-20 du code de l’environnement.
  • [35]
    Administration qui a en charge de l’instruction du dossier.
  • [36]
    Article R. 512-25 du code de l’environnement.
  • [37]
    Article R. 512-26 du code de l’environnement.
  • [38]
    Article L. 515-22 du code de l’environnement.
  • [39]
    Concertation et implication obligatoire depuis l’entrée en vigueur de la convention d’Aarhus du 25 juin 1998 imposant la participation du public à la prise de décisions ayant des incidences sur l’environnement. Convention d’Aarhus 25 juin 1998, publié par D. n° 2002-1187, 12 sept. 2002 : JO, 21 sept.
  • [40]
    Les procédures d’instruction des demandes d’autorisation et d’élaboration des plans de prévention sont toujours soumises à enquête publique. Procédures d’instruction des demandes d’autorisation : article L. 512-2 du code de l’environnement. Procédures d’élaboration des plans : articles L. 562-3 et L. 515-22 du code de l’environnement.
  • [41]
    Article R.4121-4 du code du travail.
  • [42]
    En sens, Circulaire n°6 DRT du 18 avril 2002, précitée.
  • [43]
    Convention d’Aarhus 25 juin 1998, précitée.
  • [44]
    L. const. n° 2005-205, 1er mars 2005 : JO, 2 mars.
  • [45]
    Tels les Comités de suivi des sites ou la Commission nationale du débat publique.
  • [46]
    Article L. 123-9 du code de l’environnement.
  • [47]
    Article R. 125-11 du Code de l’environnement.
  • [48]
    - www.prim.net - et - http://cedricdgpr.developpement-durable.gouv.fr.
  • [49]
    Article R. 4121-4 du code du travail.
  • [50]
    Article R. 4141-2 du code du travail.
  • [51]
    Article R. 4141-3-1 du code du travail.
  • [52]
    Article 10 du règlement CE n°178/2002 du 28 janvier 2002.
  • [53]
    La démarche d’analyse des risques permet de mieux maîtriser les projets de l’entreprise, de réduire sa vulnérabilité et est un vecteur positif de communication externe vis-à-vis des partenaires financiers, des assureurs, des clients et des collectivités locales (voir Barthelemy et Courrege, 2004, p. 34).
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