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Article de revue

La communication sociale, un levier de performance organisationnelle ? Le cas des politiques de santé publique en matière de nutrition

Pages 146 à 167

Notes

  • [1]
    Leila Messaoudène, Doctorante, ATER, Aix Marseille Université, Institut de Management Public et Gouvernance Territoriale, CERGAM (EA 4225), leila.messaoudene@univ-amu.fr
  • [2]
    Solange Hernandez, Maître de Conférences HDR, Aix Marseille Université, Institut de Management Public et Gouvernance Territoriale, CERGAM (EA 4225), solange.hernandez@univ-amu.fr
  • [3]
    Le taux d’obésité correspond au pourcentage de la population avec un indice de masse corporelle supérieur à 30. Les taux de surpoids correspondent au pourcentage de la population avec un indice de masse corporelle compris entre 25 et 30. L’indice de masse corporelle est un chiffre rapportant le poids d’un individu à sa taille (poids/taille2, le poids étant exprimé en kilogrammes et la taille en mètres) (Eco-Santé OCDE, 2005).
  • [4]
    Dans cet article, « communication sociale » et « communication institutionnelle » seront employés indifféremment.
  • [5]
    Pour les organisations privées et commerciales, la communication institutionnelle ne serait finalement qu’un outil de la communication commerciale. Selon Audigier et Decaudin (1990), la première est « axée sur l’entreprise dont l’objectif est la promotion de l’image et par conséquence, la promotion de ses produits ».
  • [6]
    Enquêtes bisannuelles réalisées auprès d’un échantillon représentatif de la population française d’environ 1 000 personnes. D’une part, à la question générale de la légitimité des pouvoirs publics à communiquer sous la forme de campagnes de publicité, les avis favorables (« tout à fait » et « plutôt ») l’emportent largement : ils oscillent entre 63% et 67%. D’autre part, l’utilité de ces mêmes campagnes de publicité des pouvoirs publics est affirmée par 66% à 69% des personnes interrogées (« très » et « assez utiles »).
  • [7]
    Le marketing social a été défini dès 1971 par Kotler et Zalman : « Social marketing is (…) the design, implementation, and control of programs calculated to influence the acceptability of social ideas and involving considerations of product planning, pricing, communications and marketing research ».
  • [8]
    Circulaire DIV/DGS du 13 juin 2000 et DGS/SP2, PRAPS institués par l’article 71 de la loi d’orientation n°98-657 du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions.
  • [9]
    Dans ce paragraphe, les éléments de présentation des ASV sont adaptés de la publication de la Délégation interministérielle à la ville (2007), Politiques de la ville et de santé publique. Atelier santé ville, une démarche locale pour la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé, Collection « Repère », septembre, 287 pages.
  • [10]
    La Délégation interministérielle à la ville (2007), op. cit. p. 163, évoque ainsi le « brouhaha diététique » et la « cacophonie des messages » confus et contradictoires, portés par « l’Etat, le mouvement consumériste, les médecins de diverses disciplines, les industriels, les médias (…). (…) Partout montent de la prescription et de la prohibition, des modèles de consommation et des mises en garde : dans cette cacophonie, le « mangeur » désorienté, à la recherche de critères de choix, trouve surtout à nourrir son incertitude ».
  • [11]
    Le CoDES 13 intervient dans le cadre du Pôle de compétences régional d’éducation pour la santé, financé par l’Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé (INPES). Il agit aussi dans le cadre des volets santé de la politique de la ville. Existant depuis une trentaine d’années, cette structure propose un accompagnement méthodologique et des actions de promotion d’une alimentation équilibrée et d’une activité physique pour les moins de 25 ans. Composée d’une équipe de 25 personnes, elle agit avec plusieurs collaborateurs aux niveaux central et local. Elle coordonne ainsi ses actions avec l’INPES, le Centre Régional d’Education pour la Santé (CRES) et l’Observatoire Régional pour la Santé (ORS). Elle met en œuvre des actions participatives avec les centres sociaux, les Instituts Médicaux Educatifs (IME), ainsi qu’avec les missions locales. Ces actions interviennent à la suite de la réalisation d’un diagnostic local de santé élaboré par ASV avec les habitants. Les initiatives définies par le CoDES des BdR sont relayées par les ASV dont émane le diagnostic.
  • [12]
    Centre de ressources pour la politique de la ville, Provence Alpes Côte d’Azur : consulté le 26 Avril 2012.
  • [13]
    Il s’agit de raffermir les connaissances des adultes-relais (enseignants, infirmières scolaires, personnels de cantines) sur l’alimentation des populations cibles en accord avec les différents objectifs du PNNS.
  • [14]
    Verbatim suite : « On communique sur le manger équilibré. On utilise une brochure [du PNNS] » (E3), « Nationalement oui, via les médias, la radio, il me semble qu’il y a des messages (…). Il y a des principes, des codes qui permettent de raccrocher au PNNS », « Travailler avec eux [les populations cibles] sur la base de supports de ‘com’ nationaux » (E4).
  • [15]
    Le code de niveau 2 « Regard négatif ou limite du PNNS » rassemble 14% du total des occurrences.
  • [16]
    Verbatim suite : « On n’est pas un service qui prône ‘l’orthorexie’ le manger droit », « Quand je dis le PNCS, c’est un lapsus volontaire (…). Cet espèce d’hygiénisme, d’obligation, de ça c’est bien, ça ce n’est pas bien, faut faire comme ci, faut pas faire comme ça, ça me paraît complètement contre productif par rapport aux gens », « Vous savez ce que c’est les recommandations, quand on ne se sent pas bien dans sa vie, les recommandations [du PNNS], ce sont des injonctions » (E3), « Ce qui ne va pas dans le bon sens, c’est le modèle unique. Et le PNNS est un modèle unique. Et nous, on n’est pas du tout sur cette ligne-là » (E4).
  • [17]
    Verbatim suite : « On ne veut surtout pas que plus les gens savent ce qu’il faut faire, plus ils se sentent coupables quand ils n’arrivent pas à faire ce qu’il faut faire. Il me semble que la culpabilité ne va pas du tout dans le bon sens », « On est toujours pris en faute avec le PNNS. On ne fait jamais tout bien, donc si on est gros, c’est bien fait pour nous (…). Ça met les gens le nez dans le caca » (E3), « Quand on met les gens face à leurs fautes, c’est un frein. Leur dire que ce qu’ils font, ce n’est pas bien. De plus, les parents, tout ce qu’ils font ce n’est pas bien. L’école leur dit qu’ils couchent leur enfant trop tard. Ils ne s’occupent pas assez des devoirs. Dans le quartier, on leur dit qu’ils ne les surveillent pas assez (…), quand ils doivent aller chez l’orthophoniste, ils mettent six mois pour avoir un rendez-vous, on leur dit qu’ils ne prennent pas du tout soin de leurs enfants. Sans arrêt, on dit aux gens qu’ils ne font pas bien les choses » (E5).
  • [18]
    Verbatim suite : « Il y a une partie du public pour qui c’est plus compliqué. Ces politiques leur sont destinées, mais ce sont eux qui ont l’alimentation la moins diversifiée, qui font le moins d’activité physique, qui sont les plus sédentarisés, et en même temps, qui s’en saisissent le moins. Le plus souvent car spontanément, ils n’ont pas les moyens de le faire » (E4).
  • [19]
    Citons les CoDES, le CRES, l’INPES, l’ORS PACA, les ARS, les travailleurs sociaux, les techniciens en économie sociale et familiale, les médecins de la PMI, les enseignants (en primaire et secondaire), des médecins généralistes et scolaires, les caisses primaires er régionales d’assurance maladie, les missions locales, etc.
  • [20]
    Suite des verbatim : « Ce sont les travailleurs sociaux, en économie sociale et familiale, qui ont repéré tout ça [l’augmentation des problèmes liés à l’alimentation chez les enfants] » (E3), « L’ASV doit avoir une bonne vision analytique des problématiques du territoire (…). Le public est souvent fragilisé, la population vulnérable. L’analyse des besoins se fait quantitativement et qualitativement » (E4).
  • [21]
    Verbatim suite : « La performance… optimiser ? Quand vous optimisez, vous êtes sur l’axe de la performance, mais nous ne sommes pas sur ce registre-là » (E2), « C’est dur de répondre de manière générale » (E3), « La performance va avec tous les concepts, comme la rationalisation ou l’évaluation. Mais ce sont des méthodologies que tous les acteurs locaux ne maîtrisent pas nécessairement » (E6).
  • [22]
    « Quand on est allé manger mercredi dernier avec des mamans et des enfants qui ont travaillé avec le CODES dans un centre social, (…). J’étais assez étonnée d’entendre une maman dire que sa principale motivation était l’état de santé de ses enfants, qu’elle avait bien pris conscience de l’importance de l’alimentation (…) (E4).
  • [23]
    « Quand vous avez un groupe de jeunes qui mènent des actions auprès d’autres jeunes » (E1), « Les habitants peuvent être des relais d’information. Les mamans en parlent entre elles : ça peut être tout aussi efficace » (E4).
  • [24]
    « Le bonus, c’est l’adéquation entre la difficulté d’une famille, d’un enfant et d’un service proposé » (E2).
  • [25]
    « Qu’ensuite la réponse [au problème de nutrition et de santé] soit pensée ensemble. On la construit, on la co-construit. On utilise des outils qui soient cohérents avec le public, qui soient en phase avec leurs besoins particuliers » (E1), « L’idéal, c’est de partir des supports de communication nationaux, de les proposer à des groupes d’habitants, d’en discuter avec eux et de les laisser élaborer leur propre communication » (E4).
  • [26]
    « On ne met pas en place les mêmes actions auprès de deux milieux scolaires présentant des caractéristiques sociales, économiques, culturelles différentes. (…) On n’utilise pas les mêmes outils, ni le même langage. Voilà une action bien pensée » (E6).
  • [27]
    Par exemple, « quand il s’est passé quelque chose entre la mère et l’enfant, je me dis c’est vachement bien. Ce n’est peut être pas suffisant. Mais ce n’est pas chiffrable. Dans le cadre d’ateliers cuisine, ils ont appris quelque chose, oui c’est satisfaisant, mais ce n’est pas quantifiable » (E2).
  • [28]
    « J’espère que ça marche ! Les évaluations de nos actions le montrent, après… » (E1), « L’originalité de la prise en charge a été récompensée. (…) parce qu’on a vraiment aidé les familles à faire des choix plus éclairés (E2), « Les chiffres, c’est vrai que c’est nécessaire. Et puis même pour nous : parfois, on se dit combien de fois sont-ils venus ? (E3), « Chez nous, chaque projet est évalué. Pour chaque public, pour chaque groupe de population » (E5).
  • [29]
    « L’objectif, c’est quand même que les gens bricolent avec le plus de billes possibles [des connaissances en matière nutritionnelle]. Au lieu de ça, on veut en faire des gestionnaires de leur santé. Moi, ça me hérisse le poil. Des acteurs oui, mais pas des gestionnaires, gérer son capital santé et être performant » (E7).
  • [30]
    Nous utilisons le terme en « version originale », aucune traduction française ne nous paraissant satisfaisante.

1En neuf ans (1999-2007), le taux d’obésité [3] en Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) a augmenté de plus de 70%. Or l’obésité et le surpoids causent chez l’adulte des pathologies graves, telles que les maladies cardio-vasculaires, le diabète et certains cancers. Au quotidien, ils sont souvent synonymes de mal-être psychologique, mais aussi social. Par ailleurs, l’obésité représente également un coût financier pour la collectivité. En 2002, les coûts médicaux directs dus à l’obésité et aux facteurs de risque associés étaient estimés entre 2,6 et 5,1 milliards d’euros pour les assurés adultes des trois principaux régimes de sécurité sociale (presse médicale, 2002). Face au constat des coûts humains et économiques engendrés par les pathologies résultant d’une mauvaise alimentation, les pouvoirs publics ont élevé la nutrition au rang de politique de santé publique. Dans cette perspective, le Programme National Nutrition Santé (PNNS) a été mis en place en 2001. La France devient ainsi le premier pays européen à disposer d’une telle stratégie d’ensemble. Le PNNS peut alors être considéré comme un véritable plan de santé publique, visant des objectifs chiffrés et programmés dans le temps. Il repose sur des mesures nationales et territoriales, et des actions précises et ciblées.

2Après une première évaluation en 2006, un deuxième PNNS (PNNS 2) est déterminé et court sur la période 2006-2010. En réaction aux limites du premier volet, de nouvelles modalités d’actions sont retenues, à l’image de la création d’un dispositif de soutien, notamment financier, aux collectivités locales. Pour les concepteurs du programme, il s’agit alors de multiplier et d’accentuer les actions territoriales. Un de leurs outils privilégiés est la communication sociale [4]. Aujourd’hui, elle fait partie des pratiques courantes des organisations, au service du bien-être des citoyens. Dans le cadre du PNNS, elle se décline à travers des campagnes nationales. Elle doit aussi servir de support aux interventions locales.

3Cet article propose de revenir sur cette notion, pour comprendre dans quelle mesure la communication institutionnelle est appréhendée comme un levier de la performance organisationnelle par les managers territoriaux, dans le domaine de la politique nutritionnelle.

4Au-delà de l’approfondissement du lien conceptuel entre communication institutionnelle et performance organisationnelle, nous ambitionnons aussi de définir le rôle de la première dans la quête de la seconde. En d’autres termes, d’un point de vue opérationnel, comment utiliser la communication sociale pour maintenir ou renforcer la performance d’une organisation ? Pour répondre, nous menons une étude empirique sur trois ateliers santé ville (ASV) menant des actions en matière de nutrition dans le cadre de la lutte contre le surpoids et l’obésité.

5Notre analyse s’organise très classiquement. D’abord, nous revenons sur les notions de communication institutionnelle et de performance organisationnelle, pour les définir et repérer les liens existants entre elles d’après la littérature. Ensuite, nous présentons la méthodologie qualitative de la recherche et les terrains investigués. Enfin, nous détaillons nos résultats et les discutons dans une perspective plus globale.

1 – La communication sociale au service de la performance, l’apport de la littérature

6Aujourd’hui, la communication institutionnelle fait partie des pratiques courantes des organisations. Elle revêt cependant des sens différents en fonction des contextes et des interlocuteurs. Nous nous attachons ici à la compréhension de son usage et de ses liens avec la performance d’organisations publiques.

1.1 – La communication sociale dans les organisations publiques, une pratique légitimée

7D’après Brochand et Lendrevie (1999), il est courant de distinguer deux types de communication selon le contenu de leur message : la commerciale et la « corporate », aussi appelée communication institutionnelle ou sociale. La première a trait aux produits et aux marques et elle est souvent considérée comme une offensive de l’entreprise dans l’esprit des consommateurs. La seconde porte sur l’Institution elle-même. Son message se veut plus informatif et vise à diffuser les valeurs fondamentales de l’entreprise, son identité ou encore sa culture. Elle élargit l’échange à la société dans son ensemble en établissant des liens avec les « tiers concernés » (fournisseurs, actionnaires, écoles et universités, etc.), les « réseaux de pouvoir » (les administrations et les politiques) ou « les réseaux d’influence » (les leaders et l’opinion publique). L’objectif est bien de les « séduire » [5].

8Parallèlement à son essor dans la sphère entrepreneuriale, la communication sociale désigne aussi la communication développée par des institutions, c’est-à-dire des organismes évoluant dans la sphère publique ou parapublique. Elle s’applique autant aux structures communales et intercommunales (Fourdin, Poinclou, 2000), que gouvernementales et ministérielles (Berthelot-Guiet, Ollivier-Yaniv, 2001). De fait, la communication institutionnelle désigne un mode d’expression symbolique, verbal ou iconique, par l’intermédiaire duquel s’articulent une politique publique, le ou les groupes sociaux et territoriaux qu’elle vise et l’institution qui lance la première et représente les seconds (à l’image d’un gouvernement par exemple). Elle correspond aux politiques publiques mises en œuvre, ainsi qu’à la médiatisation qui les accompagne et les prolonge (Fourdin, Poinclou, 2000). Elle désigne un processus de diffusion de messages du pouvoir exécutif et des institutions publiques, par des moyens diversifiés de communication de masse, en particulier par la télévision, dont la prépondérance s’affirme au cours des années quatre-vingts.

9Ces pratiques managériales sont aujourd’hui jugées légitimes par une grande partie de l’opinion publique, comme en témoignent les résultats d’enquêtes [6] menées depuis 1995 (Berthelot-Guiet, Ollivier-Yaniv, 2001, pp.167-168).

10Une partie de cette légitimité est probablement liée aux finalités même de la communication institutionnelle, qui rejoignent ici celles du marketing social. Ce dernier désigne en effet l’ensemble des méthodes utilisées pour susciter le changement et le progrès social au niveau de la santé [7]. Ces deux pratiques managériales s’attachent à rechercher un certain bonheur pour le plus grand nombre de concitoyens, en d’autres termes un certain bien-être généralisé à l’ensemble de la société (Bergadaa, Urien, 2006, p.135). Elles reposent donc sur le principe de l’intérêt général, en permettant idéalement aux pouvoirs publics de proposer, à défaut d’imposer, certains changements de mentalités et de comportements que le récepteur-citoyen doit intégrer et adopter.

11La communication sociale vise à exercer des pressions à deux niveaux de prise de conscience : celui du risque individuel (par exemple, « si je mange mal, je risque de faire un arrêt cardiaque ») et de la morale collective (« l’obésité coûte cher à la sécurité sociale »).

1.2 – Des contraintes de mise en œuvre exacerbées dans le champ d’application particulier de la nutrition

12Malgré sa légitimité, la communication institutionnelle doit faire face à un certain nombre de contraintes (Berthelot-Guiet, Ollivier-Yaniv, 2001, pp.170 et s.).

13Tout d’abord, le caractère institutionnel du message en limite les créativités linguistiques. En effet, l’Etat est, à cet égard, conçu comme le garant d’une certaine pureté de la langue française, jusque dans ses efforts de communication gouvernementale. Après, la communication sociale est soumise aux aléas de la vie politique. Le calendrier politique et électoral est susceptible de bousculer la temporalité d’une telle campagne. Enfin, cette forme de communication se situe dans une dialectique entre logique de séduction et logique de coercition. En effet, traditionnellement, cette pratique managériale use de mécanismes de persuasion, souvent fondés sur la séduction. Concernant les campagnes de communication gouvernementale, tout se passe comme si la relative gravité des sujets abordés par l’émetteur étatique français l’avait souvent et longtemps conduit à adopter un registre de langage qui atténue l’intensité dramatique de questions touchant parfois à la vie et à la mort des personnes. Les campagnes de sécurité routière avant 1999 en sont un exemple. Néanmoins, en la matière, l’Etat dispose aussi d’un arsenal de sanctions juridiques et policières susceptibles de contribuer concomitamment à imposer et intérioriser des normes. Ici, la communication est complémentaire de ces dispositifs coercitifs. Mais ce n’est pas le cas en matière d’alimentation et de nutrition des citoyens, quand la communication se substitue au dispositif de coercition, car ce domaine fait partie de la vie privée des individus. La nutrition est bien un secteur d’intervention spécifique de ce point de vue.

14Nous avons constaté que dès qu’un risque est jugé trop important en matière de santé et de sécurité publique, marketing social et communication institutionnelle entrent en action pour tenter de modifier les comportements des citoyens. Ses champs d’application de prédilection sont les produits intrinsèquement nocifs, licites ou pas : l’alcool, le tabac, les drogues. Mais l’alimentation est un cas singulier : se nourrir est une nécessité vitale et souvent une source de plaisir, en particulier dans la culture française.

15Impossible donc d’appliquer les mêmes principes à la communication sociale dans ce domaine. Les initiateurs des politiques publiques nutritionnelles se doivent alors de faire preuve de créativité. Comment faire quand le législateur est dans l’impossibilité matérielle, financière ou éthique, de contrôler, au sens répressif du terme, l’application d’une mesure ? Si la coercition ne peut être mobilisée, la communication institutionnelle se doit d’être d’autant plus convaincante. Dacheux (2001, p.413) n’hésite pas à évoquer à ce propos la notion de « communication persuasive ». Elle désigne la « volonté humaine d’établir des relations sociales non violentes dont l’objectif premier est de provoquer un changement dans la manière de penser ou dans le comportement d’autrui ». Cette forme de communication sociale est fondamentalement instrumentale et passe par des registres divers (éducation, expérimentation personnelle, convivialité, construction identitaire, élaboration de normes, transmission d’informations, etc.).

16La communication sociale en matière nutritionnelle contribue au bien-être de la population. L’objectif dès lors est de s’attacher au concept de performance organisationnelle afin de savoir si la communication institutionnelle peut-être appréhendée comme un de ses leviers?

1.3 – Une approche multidimensionnelle de la performance organisationnelle

17Depuis vingt à trente ans, la performance s’insère progressivement et massivement dans la sphère publique. Le champ médico-social ne fait pas exception. Plusieurs recherches, ou expertises émergent pour tenter de définir la performance des organisations dans ce domaine (Sicotte, 1999). Mais cette définition est tout aussi mal aisée que dans d’autres, aucune ne faisant consensus. En effet, la définition de la performance organisationnelle serait étroitement liée à la conception de l’organisation retenue, en plus de son secteur d’activité (Teil, 2001). Cette diversité étant posée, est-il possible de distinguer des éléments récurrents dans les modèles traitant de cette question ?

18Nous nous appuyons ici sur deux modèles principaux : ceux de Sicotte, Champagne et Contandriopoulos (1999) et Giauque, Barbey et Duc (2008). Le premier s’efforce de mettre en tension et d’équilibrer entre elles les différentes dimensions de la performance. Celles-ci sont au nombre de quatre : l’accomplissement de la mission de l’organisation, l’acquisition et le contrôle des ressources et capacités (en interaction avec l’environnement), la délivrance de services de qualité et productifs, le développement et le maintien d’une culture et de valeurs communes. A partir des travaux des seconds, nous pouvons retenir trois facteurs aboutissant à la performance organisationnelle. Nous trouvons ici l’efficience et la productivité, la décentralisation et la flexibilité, la qualité ou la recherche de l’excellence. Ensemble, ils participent à la performance organisationnelle.

19Cette approche multidimensionnelle de la performance induit la possibilité pour une organisation d’être à la fois performante selon un déterminant ou une vision de la performance et non performante selon d’autres éléments de performance (Sicotte, 1999). De fait, les pratiques et les expériences de terrain font émerger une sollicitation simultanée ou successive de ces différents facteurs de performance organisationnelle plutôt qu’une utilisation distincte entre les uns et les autres (Giauque et al., 2008). La Figure 1 ci-dessous en propose une synthèse.

Figure 1

Les facteurs de la performance organisationnelle dans le secteur médico-social

Figure 1

Les facteurs de la performance organisationnelle dans le secteur médico-social

(adapté de Sicotte et al., 1999 et Giauque et al., 2008)

20Dans cette recherche, nous analysons dans quelle mesure la communication sociale contribue à mettre en action ces leviers et ainsi participe à l’essor de la performance organisationnelle.

2 – Une analyse qualitative et exploratoire pour comprendre la communication sociale au service de la performance organisationnelle

2.1 – Les ateliers santé ville, à l’articulation de politiques sectorielles et d’actions territoriales

21La performance organisationnelle est une notion complexe qui évolue en fonction des acteurs, des organisations et des secteurs d’action. Dans le cadre de la politique nutritionnelle de santé, comment une structure telle qu’un atelier santé ville peut-elle gérer sa performance ? Dans cet article, nous analysons dans quelle mesure la communication institutionnelle contribue à la performance organisationnelle selon les managers de ces mêmes structures. Nous avons opté pour une approche reposant sur la complémentarité et la recherche d’un équilibre négocié entre les différentes dimensions de cette performance.

22Les ateliers santé ville (ASV) sont institués par une circulaire du 13 juin 2000 [8]. Ils ont pour but de mener une réflexion qui permette la mise en œuvre d’un Programme-Santé, répondant à la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour qui « la santé, c’est non seulement l’absence de maladie ou d’infirmité mais un état complet de bien-être physique et mental, social » (Constitution de l’OMS).

23Les ASV [9] sont envisagés par les pouvoirs publics comme des outils devant favoriser l’articulation de politiques sectorielles (politique de santé et politique de la ville) et d’actions territoriales (politiques conduites par les collectivités territoriales). Ce sont des constructions locales qui ciblent en priorité les publics démunis et fragilisés, afin de leur permettre un accès à la prévention et aux soins. Elles incarnent ainsi un dispositif singulier et innovant de discrimination positive en matière d’accès à la santé. Pour autant, elles ne doivent pas être une « structure de plus, mais bien le lieu de la coordination des acteurs en vue de l’élaboration d’un diagnostic partagé des problèmes à traiter, de l’adoption et de la mise en œuvre d’un programme d’actions concertées, de leur réalisation et d’une évaluation régulière des résultats obtenus ». Les ASV ont vocation à améliorer la cohérence et la pertinence des actions destinées aux populations prioritaires des territoires de la politique de la ville : les méthodes de travail en réseaux de santé de proximité et les projets transversaux sont vivement encouragés, tous devant être développés en fonction des spécificités des territoires. Cela vise à rendre les habitants acteurs de leur santé en développant davantage leur participation et leur implication. Dans cette perspective, les ASV doivent associer aux enjeux sanitaires, la prise en compte des préoccupations économiques et le bien-être des citoyens.

24Les ASV s’appliquent à des territoires infra-communaux (les quartiers), communaux ou intercommunaux et doivent répondre à des problématiques locales spécifiques identifiées comme telles par les acteurs locaux, publics, privés et associatifs. Les interventions en faveur de la nutrition se placent parmi celles-ci. Dans cette perspective, les actions des ASV se fondent majoritairement sur les outils de la communication institutionnelle. Il s’agit de communiquer des messages sans ambiguïté afin de permettre aux individus de faire des choix éclairés dans ce domaine dans un contexte « cacophonique [10] ». Grâce à ces outils, les ASV ambitionnent de donner aux citoyens-consommateurs davantage de maîtrise de leur propre santé par une autre approche de la nutrition, tout en tenant compte de leurs contraintes socioéconomiques et de leurs habitudes socioculturelles. Ici, la communication est utilisée à des fins d’éducation nutritionnelle. Cette dernière désigne un ensemble d’expériences et de situations qui, dans la vie d’une personne, d’un groupe ou d’une collectivité, peut renforcer ou modifier des connaissances, des attitudes et des pratiques dans le domaine de l’alimentation et de la nutrition. Concrètement, les ASV mêlent la mise en œuvre de la politique nationale du PNNS et des initiatives locales.

2.2 – La présentation des trois terrains d’étude

25Notre analyse exploratoire, porte sur des ASV de Marseille (ASV 15e-16e arr., ASV 13e-14e arr., ASV Centre Ville), Vitrolles (13) et St-Martin-d’Hères (38). Nous avons choisi ces structures, car les diagnostics montrent une prévalence du surpoids et de l’obésité des enfants et des jeunes, supérieure pour toutes les tranches d’âge (2 à 25 ans) aux chiffres des Bouches-du-Rhône (BdR) et de l’Isère. Afin d’optimiser les actions des ASV, d’autres structures publiques en charge de missions d’éducation pour la santé peuvent relayer leurs actions. Ainsi, nous intéressons-nous aussi au comité départemental d’éducation pour la santé des BdR (CoDES 13 [11]), et ce pour deux raisons : ses missions se concentrent essentiellement sur la communication sociale et c’est une organisation déterminante pour la mise en œuvre de la prévention contre le surpoids et l’obésité des ASV de Vitrolles et de Marseille.

26À Marseille, les acteurs territoriaux ont rapidement mis en place des Ateliers Santé Ville. En 2002, ces structures ont été initiées sur les 1er, 2e et 3e arr. du centre ville. En 2004, des ateliers ont été définis sur les 13e, 14e, 15e et 16e arr. [12]. En 2011, Marseille a soutenu 8 actions associatives soit un montant de 60 000 €. A Vitrolles, l’ASV a été créé en 2005. Sur ces territoires, les actions de prévention contre le surpoids et l’obésité se concentrent essentiellement autour de la communication sociale (formations sur la communication, l’information et la sensibilisation de professionnels ayant en charge des groupes de jeunes [13], interventions auprès de parents, interventions auprès des moins de 25 ans).

27À St-Martin-d’Hères (38), les acteurs du service santé de la ville ont été distingués par le Prix de la Fondation Pfizer France pour sa campagne de prévention contre le surpoids et l’obésité. Ici, l’ASV, créé en 2008, collabore avec d’autres structures dont les actions se veulent complémentaires (santé scolaire, protection maternelle et infantile - PMI, service d’hygiène et de santé communal, réseau de prévention et de prise en charge de l’obésité pédiatrique, Agence Régionale de Santé - ARS Rhône-Alpes). La Figure 2 présente des actions menées dans ces structures.

Figure 2

Des exemples d’actions de prévention nutritionnelle sur les terrains étudiées

Figure 2
Structures Actions Enquête de terrain auprès des ASV CODES 13 Elaboration d’un plan local en santé publique Aide pour la mise en œuvre des actions auprès des ASV ASV Marseille (3 structures) Interventions en écoles maternelles, primaires, collèges et lycées - Réunions avec les parents en début et fin de projet - Animation par classe du module « Je mange, je bouge, je vais bien » dans 16 établissements Organisation d’un rallye en fin d’année scolaire sur le thème de l’alimentation et de l’activité physique Education par les pairs au collège et lycée ASV Vitrolles Animations de groupes : cours de cuisine organisés avec une diététicienne ASV St-Martin- Consultations diététicienne/psychologue et infirmière/services des sports d’Hères Atelier cueillettes Parents/enfants

Des exemples d’actions de prévention nutritionnelle sur les terrains étudiées

2.3 – La présentation des modalités d’investigation

28Nous rappelons que cette recherche vise à comprendre dans quelle mesure la communication institutionnelle est appréhendée comme un levier de la performance organisationnelle par les managers territoriaux, dans le domaine de la politique nutritionnelle. La méthodologie retenue nous permet de comprendre quels regards portent les acteurs publics territoriaux sur la performance organisationnelle. Et l’analyse qualitative nous permet de définir le rôle de la communication institutionnelle dans la quête de performance.

29Nous avons construit un cadre d’analyse classique qualitatif (Miles, Huberman, 1991). Cette méthode est particulièrement répandue dans le domaine des sciences sociales (Yin, 1989). Elle est cohérente avec notre objectif de recherche visant à appréhender la communication sociale comme facteur de la performance organisationnelle.

30Nous avons investigué les terrains présentés ci-dessus au cours du premier semestre 2011. L’accumulation des données s’est faite essentiellement au travers de trois des six sources d’évidence identifiées par Yin (1989, p.85) : l’entretien, la documentation et la présence. Cette diversification des sources d’évidence répond au principe de triangulation (Denzin, 1978), car elle permet l’enrichissement, la mise en question, le contrôle et la vérification des données. La multiplicité des sources d’évidence permet la validation du construit (Yin, 1989, p.41).

31Des données secondaires ont été recueillies, tels des documents officiels (documents du PNNS, textes juridiques relatifs aux ASV, CoDES), d’autres publiés dans la presse généraliste ou spécialisée. Des entretiens semi directifs (durée moyenne d’une heure) ont été réalisés auprès des responsables d’ateliers santé ville, personnes en charge de la déclinaison du PNNS. D’autres ont été également menés auprès de responsables de la prévention contre l’obésité du CoDES. Le guide d’entretien s’articule autour de plusieurs axes principaux : l’articulation entre la mise en œuvre territoriale du PNNS et les actions locales spécifiques, les outils de la communication mobilisés et leur appréciation, le regard porté sur la performance organisationnelle, les liens entre communication institutionnelle et performance organisationnelle. Les entretiens ont été retranscrits.

32Ensuite, à partir des matériaux collectés, nous avons mené une analyse de contenu (Grenier, Josserand, 2003) suivant une méthode qualitative de traitement des données (Miles, Huberman, 1991). Nous avons codé de manière thématique les données collectées grâce aux techniques de codage ouvert et axial (Strauss, Corbin, 1990). Nous avons effectué le même codage pour l’ensemble des entretiens (Miles, Huberman, 1991) avec le logiciel NVIVO 8.

3 – La communication sociale, un levier de la performance organisationnelle en manque de reconnaissance

3.1 – La présentation des données (modalités de codage)

33Les données collectées ont été codées par des variables issues à la fois de la littérature (en gras dans le tableau) et du terrain (codage « in vivo »).

Figure 3

Le codage des données

Figure 3
Codes de niveau 1 Codes de niveau 2 (X.X.) et niveau 3 (X.X.X.) 1. Communication institutionnelle 1.1. Outils de la communication institutionnelle 1.2. Appréciation négative/ limite des ces outils 1.3. Appréciation positive de ces outils 2. Territorialisation du PNNS 2.1. Regard négatif ou limite du PNNS 2.1.1. PNNS = injonctions 2.1.2. PNNS = culpabilisation 2.1.3. Connaissances alimentaires/ nutritionnelles insuffisantes 2.1.4. Ne tient pas assez compte des spécificités des populations cibles 2.2. Regard positif sur le PNNS 2.3. Modalités de la territorialisation du PNNS 3. Actions locales spécifiques ascendantes 3.1. Modalité d’écoute du terrain 3.2. Tradition d’intervention publique en matière alimentaire 4. Référents et partenaires 5.1. Recherche productivité et efficience 5.2. Délivrance services de qualité (excellence) 5.3. Acquisition/ contrôle des ressources et capacités 5.4. Fonctionnement décentralisé et flexible 5.5. Développement/ maintien culture et de valeurs communes 5.6. Accomplir sa mission : 5.6.1. Valoriser savoirs des populations par rapport à la nutrition 5. Performance 5.6.2. Population ait accès à savoirs, connaissances, informations organisationnelle 5.6.3. Aider les personnes à être acteurs de leur santé (définition) 5.6.4. Mettre en cohérence informations parvenant aux individus 5.6.5. Multiplicité des buts - objectifs 5.6.6. Accès aux soins 5.7. Satisfaire les besoins des populations/ usagers cibles : 5.7.1. Adhésion et participation citoyenne, citoyen = relais 5.7.2. Répondre aux besoins des populations 5.7.3. Co-contruction de l’action de prévention nutritionnelle 5.7.4. Segmentation des populations cibles y compris pour respecter leur culture alimentaire 6. Contrôle de la performance organisationnelle (évaluation) 7. Performance organisationnelle (réticences/ difficulté de définition)

Le codage des données

34Nous obtenons ainsi sept codes de niveau 1, dont trois traitant de la performance organisationnelle et un de la communication institutionnelle. Ces quatre-là rassemblent 60% de l’ensemble des occurrences relevées. Les trois autres traitent du contexte de la politique nutritionnelle de santé, dans ses dimensions nationale, locale et partenariale, ce qui nous permet de mieux appréhender dans quelle mesure la communication institutionnelle contribue à la performance organisationnelle selon les managers des ASV. Certains codes de niveau 1 se déclinent en codes de niveau 2, voire de niveau 3 afin d’affiner notre analyse. A partir de ces codages prédéfinis, plusieurs variables ont émergé des discours des répondants.

3.2 – L’analyse des données : des outils managériaux méconnus, à la fois décriés et plébiscités

Les appréhensions biaisées de la communication institutionnelle

35La communication sociale est la boîte à outils managériale privilégiée en matière de nutrition, bien que cela ne soit pas toujours perçu comme tel par les acteurs eux-mêmes. Pour autant, les modalités de la communication mobilisées présentent des limites. Si une partie est imputable à la méconnaissance conceptuelle des managers territoriaux, d’autres invitent ces derniers à en adapter la mise en œuvre aux problématiques locales.

36Tous les outils du PNNS mobilisent la communication : cette dernière est vraiment un des socles de la politique en matière de santé nutritionnelle. Néanmoins, les personnes interrogées distinguent nettement la communication sociale descendante et les autres formes de communication, fabriquées localement, et qualifiées d’écoute, de dialogue, de consultation, d’information, d’éducation, de prévention.

37La communication concerne ainsi exclusivement les modalités de territorialisation du PNNS (chez les trois quart de nos interlocuteurs) : « Oui, [la communication] du point de vue des outils du PNNS, c’est les affiches, les dépliants, les spots publicitaires » (E2) [14]. La communication sociale élaborée par les pouvoirs publics nationaux est jugée positivement sur certains aspects : « C’est un support ludique, visuel, coloré, assez attractif, donc je pense qu’une certaine partie du public va être plus sensible et va prendre l’information » (E5). Mais dès lors que nos interlocuteurs abordent les modalités de la communication institutionnelle qu’eux-mêmes créent, le terme « communication » disparaît ou est prononcé avec une certaine défiance. En effet, dans l’appréciation des professionnels de terrain, la communication désigne forcément la communication de masse, descendante. Dans d’autres contextes, ils utilisent des termes jugés plus interactifs et plus respectueux de l’interlocuteur. Citons par ordre de fréquence décroissante : consultation, information, éducation, rencontre, prévention, écoute, dialogue. Chacun est cité par au moins la moitié des répondants. Pour eux, échanger avec les populations cibles de la politique et des actions en matière de nutrition, les recevoir en petits groupes dans des ateliers ou en consultation individuelle ou familiale, ce n’est plus communiquer : « La communication est un support. Mais le pilier central, c’est la rencontre. Que ce soit en petit groupe ou lors des consultations » (E6).

38Cet effacement dans le discours révèle plusieurs difficultés, à la fois d’acquisition et d’acceptation d’un vocabulaire managérial. Nous retrouverons ces réticences, peut-être même plus fortes face à la performance organisationnelle. Ainsi, la communication de masse, descendante du PNNS n’est pas exempte de défauts et de critiques selon les personnes interrogées [15]. Elles témoignent d’une méfiance ancrée vis-à-vis de notions cataloguées « managériales », encore suspectées de dissimuler des intentions condamnables par rapport aux actions de service public. Dans cette perspective, les critiques de la communication de masse et des principes du PNNS se mêlent. Quatre tendances se distinguent.

39La première indique que les modalités de la communication institutionnelle choisies sont vécues comme des injonctions par les acteurs de terrain et les populations-cibles : « Il faut qu’il [le PNNS] ne s’appelle plus programme. Dans le mot ‘programme’ il y a tout un programme, vouloir quelque chose pour les autres, pour le bien d’autrui (E2) [16]. Ensuite, l’usage d’une communication sociale de masse est jugé culpabilisant à l’égard de citoyens usagers : « L’homme est libre de son destin. Mais en santé publique aujourd’hui, l’homme est responsable de son outil corps. Donc, il ne faut pas qu’il fume, pas qu’il boive, il faut qu’il marche vite, qu’il mange comme il le faut sinon, ce n’est pas un bon citoyen et cette conception-là, me pose beaucoup de question à terme » (E2) [17]. La troisième critique concerne l’inefficacité relative de cette communication sociale, car elle requiert pour produire ses effets une conscience alimentaire que tous les citoyens consommateurs n’ont pas intégrée. A de nombreuses reprises, l’absence ou l’insuffisance de connaissances en matière alimentaire et nutritionnelle est ainsi pointée du doigt par les personnes interrogées. « Il y a beaucoup de dépliants par famille alimentaire, trop d’écrits. Suivant les personnes avec lesquelles on travaille, ce n’est pas exploitable », « La communication, oui, il y a de l’idée. Mais ce n’est pas utilisable, il faut avoir une certaine conscience alimentaire, et là, ça bloque » (E2) [18]. Le dernier reproche précise que le PNNS, dans son volet communicationnel, ne tient pas suffisamment compte des spécificités (culturelles, financières, sociales, etc.) des populations-cibles : « Ce plan ne prend absolument pas en compte les traditions et les cultures différentes des gens (…). Manger moins gras, c’est nier une partie d’eux, une partie de leur culture. Surtout que la nourriture est associée à des signes extérieurs de réussite » (E2), « Dans le PNNS, il faut manger plusieurs fruits et légumes. Cinq. Mais cinq, c’est impossible avec la population que l’on a (…) » (E7).

40Ces différents points insistent sur l’idée que la communication sociale est uniquement descendante, unilatérale et rigide. Elle ne serait après en mesure de délivrer des messages adaptés aux capacités de compréhension du récepteur, ni à ses demandes spécifiques.

41Ces limites expriment, pour certaines, une méconnaissance conceptuelle de la communication et de la performance. Mais d’autres révèlent la nécessité de définir localement les modalités de la communication institutionnelle, dans une perspective préventive ou correctrice, afin de contribuer toujours plus à la performance organisationnelle : « La communication, oui, mais de là à modifier les comportements, il y a un bémol. (…) Une autre partie du public dont on s’occupe plus spécifiquement a besoin de relais locaux » (E4).

La communication sociale, définition locale et actions en réseau pour une (meilleure ?) performance organisationnelle

42Une partie des limites de la communication institutionnelle utilisée dans le PNNS peuvent être corrigées selon les acteurs de terrain. Il s’agit en effet d’adapter les modalités de cette communication aux besoins et aux attentes des populations-cibles et des citoyens usagers, définis territorialement. Pour eux, de telles démarches sont nécessaires afin de remplir les objectifs de la politique et des actions en matière nutritionnelle : en d’autres termes, elles sont indispensables pour qu’eux-mêmes et leur organisation soient performants. Pour ce faire, les managers territoriaux mobilisent un réseau partenarial leur permettant de couvrir leurs périmètres de référence par un maillage territorial serré. Un grand nombre d’organisations, très variées, composent ces réseaux [19]. L’ensemble des partenaires dispose ainsi de la complémentarité de leurs compétences et des informations qu’ils collectent auprès des publics-cibles, afin d’agir de la façon la plus efficace possible sur ces derniers.

43Grâce à ce maillage en réseau, les acteurs de terrain ont d’abord les moyens d’être à l’écoute des populations-cibles et des professionnels qui agissent en matière alimentaire, parfois indépendamment de la politique nationale (PNNS). Par exemple, « Selon les territoires, les agents territoriaux mettent en place des actions pour faire remonter les demandes du terrain. C’est la première étape. Ensuite, on rencontre les partenaires sur les territoires pour mieux cerner leurs demandes par des entretiens semi directifs, des questionnaires (…). Il y a aussi des partenaires qui viennent directement vers nous pour nous faire part de leur demande. Ils viennent des centres sociaux, des maisons de quartier » (E1) [20].

44Ensuite, des actions répondant étroitement aux besoins repérés sont mises en place, et coordonnées au sein d’un projet global : « A partir de là, on élabore un plan local en santé publique : on part des problématiques, des besoins, on se donne de grands objectifs d’intervention jusqu’à la traduction des actions en projet. Et cela de manière partenariale, je ne fais pas ça toute seule dans mon coin ! » (E4), « On est dans l’élaboration d’un plan local en santé publique, dans son animation, sa coordination et sa mise en œuvre » (E7).

45Ainsi, les outils de la communication institutionnelle nationale sont le socle de la politique de santé en matière de nutrition. Pour autant, ceux-ci ne peuvent pas se contenter d’être définis à cette échelle pour être pleinement efficaces. Pour garantir une réelle efficacité de l’application de cette politique, une réorientation intégrant les spécificités des populations cibles est nécessaire pour les acteurs de terrain : « Un public se sent concerné à partir du moment où on part de ses réalités » (E1), « Les moyens locaux doivent être déployés par des animations de groupe, à partir de leurs réalités. On ne peut pas plaquer des connaissances sans se soucier des réalités de vie des usagers » (E3), « C’est une méthodologie de terrain qui permet de modifier les comportements des usagers » (E8). Plus précisément, les interventions pluri-compétentes, voire pluri-organisationnelles, sont plébiscitées, car elles sont jugées les plus efficaces. Par exemple, dans l’un des ASV étudiés, la communication prend la forme de consultations permettant un accompagnement par un binôme diététicienne et psychologue. D’autres actions sont conduites par des infirmières et des membres des services communaux des sports pour proposer aux enfants des activités qui leur soient adaptées. L’originalité de cette prise en charge pluridisciplinaire locale a d’ailleurs été récompensée par le prix Pfizer en 2010.

La performance organisationnelle, la finalité latente des acteurs territoriaux de la prévention nutritionnelle

46La performance organisationnelle n’est pas une notion allant de soi pour les acteurs territoriaux de la santé. En nous basant sur les entretiens, nous constatons que cette notion est réellement difficile à définir pour les répondants. Néanmoins, quand la question n’est pas directement posée, émergent dans les discours les composantes de cette performance organisationnelle qui ne dit pas toujours son nom. Cette méconnaissance, alliée aux difficultés de contrôle de cette performance, sont probablement en grande partie à l’origine des réticences unanimes des répondants à l’usage de ce concept dans leur contexte professionnel.

47Nous abordons ces quatre points successivement.

48Premièrement, nous constatons que les personnes interrogées ont de réelles difficultés à définir directement la performance organisationnelle. Face à cette question directe, elles avouent en avoir une connaissance partielle et lacunaire : « La performance organisationnelle, ce sont des termes que l’on n’utilise pas du tout (…). Je ne connais pas » (E1) [21]. Beaucoup d’acteurs intervenant dans ce secteur ne sont pas gestionnaires. Ils n’ont en outre jamais été sensibilisés au cours de leur formation et de leur parcours professionnel à des thématiques, problématiques et méthodes de travail managériales.

49Deuxièmement, même si la question de la définition de la performance organisationnelle n’est pas directement posée, l’analyse des discours des répondants fait émerger les facteurs de cette performance tels que développés dans la littérature. Ainsi, nous retrouvons dans les entretiens les six facteurs mentionnés dans la Figure 1.

50Si les six axes sont mentionnés, le seul à être réellement développé est « accomplir sa mission » (code de niveau 2). En effet, quand les cinq autres rassemblent à peine moins de 15% des occurrences du code de niveau 1 « performance organisationnelle (définition) », « accomplir sa mission » en représente 43%. L’accent est mis sur les fins de l’organisation beaucoup plus que sur les moyens, dès lors que les répondants abordent même implicitement la question de la performance organisationnelle.

51En quoi consiste la réalisation de la mission des organisations étudiées d’après les répondants ? Six éléments émergent des entretiens (code de niveau 3). Nous les citons par ordre de fréquence de citations décroissantes : valoriser les savoirs des populations par rapport à la nutrition, permettre à la population d’accéder à des savoirs, connaissances et informations (toujours en matière de nutrition), aider les citoyens à être acteurs de leur santé, mettre en cohérence les informations qui leur parviennent (dans le domaine qui nous intéresse), concilier les buts précédemment cités et pour finir permettre l’accès aux soins.

52Enfin, à côté de ces six facteurs de la performance organisationnelle, un septième émerge. Il s’agit de la « satisfaction des besoins des populations » (code de niveau 2), qui atteint 44% des occurrences du code de niveau 1 « performance organisationnelle (définition) ». Comment atteindre cette satisfaction des besoins des populations ? De quatre manières, citées par ordre de fréquence décroissantes. Tout d’abord, il s’agit de susciter l’adhésion et la participation citoyenne aux actions proposées localement [22]. Dans cette perspective, le citoyen devient un relais des pouvoirs publics [23]. Ensuite, pour que leurs besoins soient satisfaits, le plus simple est encore de répondre spécifiquement, précisément à ces besoins [24]. Un autre moyen pour y parvenir consiste à co-contruire les actions nutritionnelles [25]. Enfin, il s’agit de segmenter les populations cibles, y compris pour respecter les cultures alimentaires [26].

53Troisièmement, les répondants ont tous souligné les difficultés de mesurer et contrôler la performance organisationnelle, même s’ils s’efforcent, souvent au moyen de « bricolages » d’évaluer la portée de leurs actions. Ainsi, sont mises en avant les difficultés de chiffrer les progrès en matière de santé et de nutrition et la nécessité de prendre en compte des périodes de temps assez longues pour voir les résultats émerger dans ces domaines. Le facteur temporel est également mobilisé pour justifier la lenteur des changements en matière alimentaire, puisque les mentalités et les comportements doivent évoluer [27].

54Néanmoins, au-delà de ces difficultés, voire réticences, affichées, la mesure des résultats se révèle être un besoin, une demande importante des répondants [28].

55Quatrièmement, même si les répondants reconnaissent, ne serait-ce qu’indirectement, qu’il leur est utile de pouvoir appréhender « leur » performance organisationnelle, beaucoup de réticences demeurent face à cette notion, comme face à la communication sociale. Ce vocabulaire ne leur est pas familier : « Nous, on n’est pas du tout sur la performance (…). On parle de compétence psychosociale, de savoir-faire, de savoir-être, mais pas de performance organisationnelle » (E1) [29].

4 – Discussion et conclusion : comment améliorer l’appropriation des outils de gestion par les acteurs de terrain dans le domaine de la nutrition ? L’empowerment en question

56Nous finalisons cet article en discutant de deux éléments émergeants de nos résultats.

57Le premier concerne les réticences et le malaise des acteurs intervenant dans le domaine de la santé publique et la nutrition par rapport à des notions en provenance des champs gestionnaire et managérial. Le second revient sur le concept d’empowerment, soulevé sans le nommer par les répondants, et son intérêt dans le champ de l’action publique qui nous occupe ici.

58Revenons en premier lieu sur l’incompréhension par de nombreux acteurs dans le domaine de la santé publique et de la nutrition de termes appréhendés comme managériaux. Cette méconnaissance se traduit, nous l’avons vu, par un malaise, des réticences, voire de l’hostilité vis-à-vis d’outils gestionnaires, tels la communication, y compris institutionnelle, et la performance (ici organisationnelle et non pas individuelle). La méfiance et le refus d’un certain vocabulaire managérial révèlent des difficultés, à la fois d’acquisition et d’acceptation d’outils pourtant par ailleurs jugés indispensables (comme l’évaluation de la performance organisationnelle d’après les résultats des entretiens). Ceux-ci sont souvent suspectés de vouloir introduire de la rentabilité et de la rationalisation sur des bases comptables et financières au détriment des objectifs de santé publique.

59Cette défiance n’est pas spécifique aux acteurs du champ de la santé publique, ni à l’usage de la communication et de la performance : on le retrouve encore par exemple chez les professionnels de l’éducation, la culture, etc. vis-à-vis du marketing (y compris territorial). Ainsi, dans un article plus que trentenaire, Kotler (1979) présentait-il déjà des études de cas mettant en scène ce type de réactions lorsque des démarches de marketing étaient introduites dans des organisations intervenant dans ces domaines. Finalement, ce qu’il observait à l’époque aux États-Unis demeure partiellement exact, comme en témoigne notre étude. Plus récemment, Alaux et al. (2012) ont étudié l’utilisation de stratégie marketing dans des structures territoriales responsables de l’organisation d’une Capitale européenne de la culture en parvenant à des conclusions très proches.

60Si une partie de ces réticences prennent leurs racines dans la culture organisationnelle et sectorielle du secteur de la santé publique et de la nutrition, une autre partie provient à notre sens d’un défaut d’information. Cela pourrait être comblé de deux façons : grâce à la formation initiale et continue. Pour beaucoup de professionnels de la santé, la gestion dans leur champ d’activité se résume à l’introduction de réformes (relativement) récentes visant à faire des économies, quelquefois même au détriment de la qualité du service rendu. Nous ne développerons pas ici les causes de ces réformes, ni leurs conséquences effectives sur le fonctionnement des organisations de ce secteur. Nous soulignerons simplement le fait que cette vision est partielle. Les outils managériaux peuvent être utilisés avec d’autres fins que la réduction des coûts. Judicieusement choisis et mis en œuvre, ils sont susceptibles d’aider efficacement les professionnels à être plus performants, non pas d’un point de vue comptable ou financier, mais au regard de la qualité de leur travail, et donc de la satisfaction des besoins des citoyens. L’introduction de module de management en formation initiale dans les cursus formant les acteurs de la santé de demain, et la possibilité pour les professionnels déjà en place d’avoir accès à ce type de formation permettraient de faire reculer un certain nombre de préjugés vis-à-vis des outils managériaux. L’objectif, nous le répétons, est d’éviter les malentendus afin d’être plus efficace dans la délivrance des politiques publiques en matière de santé et de satisfaire au mieux les besoins des populations-cibles de ces politiques.

61Dans un second temps, nous proposons de revenir sur la notion d’empowerment[30], évoquée, voire revendiquée implicitement par les répondants de notre étude empirique. Selon Jouve (2006), cela désigne un ensemble de transformations majeures à la fois dans la manière de mener et d’analyser les politiques. En effet, l’empowerment vise à renverser les rapports classiques de domination entre l’Etat et la société civile, par le biais de transfert de ressources politiques et de capacité d’organisation. L’empowerment renvoie à la capacité des personnes de mieux comprendre et mieux contrôler les forces personnelles, sociales, économiques et politiques qui déterminent leur qualité de vie, dans le but d’agir pour améliorer celle-ci (Israel, 1994).

62Nous avons constaté à l’occasion de cette recherche à quel point, selon les répondants, il est essentiel de construire les actions publiques à partir de la « réalité » et des besoins des populations-cibles, voire avec elles. Ainsi, quand les objectifs à atteindre sont préalablement définis (Sicotte, 1999) et sur cette base, les initiatives mises en œuvre sont jugées plus efficaces, plus performantes. Cette appréciation est identifiée grâce à deux codes (de niveau 3) en particulier : « co-contruction de l’action de prévention nutritionnelle » et « aider les gens à être acteurs de leur santé ». Derrière l’empowerment, tel qu’il est envisagé implicitement ici, il y a trois notions : la participation, l’autonomisation et la responsabilisation.

63D’abord, l’action publique doit dans l’idéal faire l’objet d’une co-construction entre les acteurs locaux et les usagers, « que la réponse [à un problème de santé publique] soit pensée ensemble. (…) et que les outils utilisés soient en phase avec le public » (E1). L’empowerment désigne alors une « méthodologie de terrain permettant à une structure d’être performante » (E5). La participation citoyenne définit une communication sociale locale à même de capter l’attention d’une population-cible au quotidien. Mais au-delà de la participation, la politique de santé nutritionnelle, telle qu’elle est idéalement conçue par les acteurs de terrain, doit surtout permettre aux populations-cibles de devenir autonomes par rapport à leurs choix alimentaires. Il s’agit au final de les responsabiliser. C’est de ça dont il est question avec le code « aider les gens à être acteurs de leur santé » : « Encore une fois, on est là pour permettre à des gens de trouver des repères avec lesquels ils pourront se débrouiller. Leur permettre de trouver des petites choses afin d’être plus libres par rapport à leur santé et par rapport à l’alimentation en particulier » (E3).

64Nous retrouvons ces étapes dans deux études traitant des stratégies d’empowerment dans la lutte contre les comportements « antisociaux » au Royaume-Uni (Flint, 2006) et contre l’exclusion sociale en Allemagne (Mayer, 2006) : l’État cherche par des stratégies d’autonomisation à recomposer les rapports entre structures de l’État, collectivités locales et citoyens. La responsabilisation des citoyens dans les quartiers sert alors à reconfigurer la gestion urbaine.

65Par ailleurs, dans le champ de la santé, certains voient d’autres vertus à l’empowerment. D’abord, celui-ci inclut l’analyse du contexte médico-social afin de permettre une évolution des moyens et des capacités individuelles et collectives nécessaires à l’action sociale. Ensuite, une organisation fonctionnant selon ces principes intègre des déterminants démocratiques : ses membres partagent l’information et utilisent des processus coopératifs (ateliers, groupes de travail) pour prendre les décisions. Ils sont ainsi impliqués dans le choix et la mise en œuvre des efforts à fournir pour atteindre des buts définis en commun. Ces éléments seraient transposables à une communauté de citoyens, noyau essentiel de l’empowerment. Dans ce cas, les citoyens usagers auraient recours collectivement à leurs compétences et leurs aptitudes pour œuvrer à la réalisation de la satisfaction de leurs besoins collectifs. Ils seraient alors en capacité d’exercer une influence sur les décisions et les changements au sein du système social auquel ils appartiennent. Ils accroîtraient ainsi leur influence sur la qualité de vie de leur communauté. Dans le cadre de la politique de nutrition qui touche un élément personnel de la vie quotidienne (l’alimentation), le passage par l’empowerment, qui impose une organisation intrinsèquement liée à l’implication du citoyen-consommateur, semble intéressante pour atteindre une forme de performance organisationnelle.

66Pour cette raison, notamment d’après la Délégation interministérielle à la ville (2007), un certain nombre d’ASV se réfèrent ainsi à la notion d’empowerment, pour permettre à « un groupe de prendre des responsabilités individuelles et collectives (les unes nourrissant les autres) et de parler ainsi aux côtés de spécialistes, en toute légitimité » (p.239).

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Date de mise en ligne : 08/07/2013

https://doi.org/10.3917/mav.061.0146

Notes

  • [1]
    Leila Messaoudène, Doctorante, ATER, Aix Marseille Université, Institut de Management Public et Gouvernance Territoriale, CERGAM (EA 4225), leila.messaoudene@univ-amu.fr
  • [2]
    Solange Hernandez, Maître de Conférences HDR, Aix Marseille Université, Institut de Management Public et Gouvernance Territoriale, CERGAM (EA 4225), solange.hernandez@univ-amu.fr
  • [3]
    Le taux d’obésité correspond au pourcentage de la population avec un indice de masse corporelle supérieur à 30. Les taux de surpoids correspondent au pourcentage de la population avec un indice de masse corporelle compris entre 25 et 30. L’indice de masse corporelle est un chiffre rapportant le poids d’un individu à sa taille (poids/taille2, le poids étant exprimé en kilogrammes et la taille en mètres) (Eco-Santé OCDE, 2005).
  • [4]
    Dans cet article, « communication sociale » et « communication institutionnelle » seront employés indifféremment.
  • [5]
    Pour les organisations privées et commerciales, la communication institutionnelle ne serait finalement qu’un outil de la communication commerciale. Selon Audigier et Decaudin (1990), la première est « axée sur l’entreprise dont l’objectif est la promotion de l’image et par conséquence, la promotion de ses produits ».
  • [6]
    Enquêtes bisannuelles réalisées auprès d’un échantillon représentatif de la population française d’environ 1 000 personnes. D’une part, à la question générale de la légitimité des pouvoirs publics à communiquer sous la forme de campagnes de publicité, les avis favorables (« tout à fait » et « plutôt ») l’emportent largement : ils oscillent entre 63% et 67%. D’autre part, l’utilité de ces mêmes campagnes de publicité des pouvoirs publics est affirmée par 66% à 69% des personnes interrogées (« très » et « assez utiles »).
  • [7]
    Le marketing social a été défini dès 1971 par Kotler et Zalman : « Social marketing is (…) the design, implementation, and control of programs calculated to influence the acceptability of social ideas and involving considerations of product planning, pricing, communications and marketing research ».
  • [8]
    Circulaire DIV/DGS du 13 juin 2000 et DGS/SP2, PRAPS institués par l’article 71 de la loi d’orientation n°98-657 du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions.
  • [9]
    Dans ce paragraphe, les éléments de présentation des ASV sont adaptés de la publication de la Délégation interministérielle à la ville (2007), Politiques de la ville et de santé publique. Atelier santé ville, une démarche locale pour la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé, Collection « Repère », septembre, 287 pages.
  • [10]
    La Délégation interministérielle à la ville (2007), op. cit. p. 163, évoque ainsi le « brouhaha diététique » et la « cacophonie des messages » confus et contradictoires, portés par « l’Etat, le mouvement consumériste, les médecins de diverses disciplines, les industriels, les médias (…). (…) Partout montent de la prescription et de la prohibition, des modèles de consommation et des mises en garde : dans cette cacophonie, le « mangeur » désorienté, à la recherche de critères de choix, trouve surtout à nourrir son incertitude ».
  • [11]
    Le CoDES 13 intervient dans le cadre du Pôle de compétences régional d’éducation pour la santé, financé par l’Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé (INPES). Il agit aussi dans le cadre des volets santé de la politique de la ville. Existant depuis une trentaine d’années, cette structure propose un accompagnement méthodologique et des actions de promotion d’une alimentation équilibrée et d’une activité physique pour les moins de 25 ans. Composée d’une équipe de 25 personnes, elle agit avec plusieurs collaborateurs aux niveaux central et local. Elle coordonne ainsi ses actions avec l’INPES, le Centre Régional d’Education pour la Santé (CRES) et l’Observatoire Régional pour la Santé (ORS). Elle met en œuvre des actions participatives avec les centres sociaux, les Instituts Médicaux Educatifs (IME), ainsi qu’avec les missions locales. Ces actions interviennent à la suite de la réalisation d’un diagnostic local de santé élaboré par ASV avec les habitants. Les initiatives définies par le CoDES des BdR sont relayées par les ASV dont émane le diagnostic.
  • [12]
    Centre de ressources pour la politique de la ville, Provence Alpes Côte d’Azur : consulté le 26 Avril 2012.
  • [13]
    Il s’agit de raffermir les connaissances des adultes-relais (enseignants, infirmières scolaires, personnels de cantines) sur l’alimentation des populations cibles en accord avec les différents objectifs du PNNS.
  • [14]
    Verbatim suite : « On communique sur le manger équilibré. On utilise une brochure [du PNNS] » (E3), « Nationalement oui, via les médias, la radio, il me semble qu’il y a des messages (…). Il y a des principes, des codes qui permettent de raccrocher au PNNS », « Travailler avec eux [les populations cibles] sur la base de supports de ‘com’ nationaux » (E4).
  • [15]
    Le code de niveau 2 « Regard négatif ou limite du PNNS » rassemble 14% du total des occurrences.
  • [16]
    Verbatim suite : « On n’est pas un service qui prône ‘l’orthorexie’ le manger droit », « Quand je dis le PNCS, c’est un lapsus volontaire (…). Cet espèce d’hygiénisme, d’obligation, de ça c’est bien, ça ce n’est pas bien, faut faire comme ci, faut pas faire comme ça, ça me paraît complètement contre productif par rapport aux gens », « Vous savez ce que c’est les recommandations, quand on ne se sent pas bien dans sa vie, les recommandations [du PNNS], ce sont des injonctions » (E3), « Ce qui ne va pas dans le bon sens, c’est le modèle unique. Et le PNNS est un modèle unique. Et nous, on n’est pas du tout sur cette ligne-là » (E4).
  • [17]
    Verbatim suite : « On ne veut surtout pas que plus les gens savent ce qu’il faut faire, plus ils se sentent coupables quand ils n’arrivent pas à faire ce qu’il faut faire. Il me semble que la culpabilité ne va pas du tout dans le bon sens », « On est toujours pris en faute avec le PNNS. On ne fait jamais tout bien, donc si on est gros, c’est bien fait pour nous (…). Ça met les gens le nez dans le caca » (E3), « Quand on met les gens face à leurs fautes, c’est un frein. Leur dire que ce qu’ils font, ce n’est pas bien. De plus, les parents, tout ce qu’ils font ce n’est pas bien. L’école leur dit qu’ils couchent leur enfant trop tard. Ils ne s’occupent pas assez des devoirs. Dans le quartier, on leur dit qu’ils ne les surveillent pas assez (…), quand ils doivent aller chez l’orthophoniste, ils mettent six mois pour avoir un rendez-vous, on leur dit qu’ils ne prennent pas du tout soin de leurs enfants. Sans arrêt, on dit aux gens qu’ils ne font pas bien les choses » (E5).
  • [18]
    Verbatim suite : « Il y a une partie du public pour qui c’est plus compliqué. Ces politiques leur sont destinées, mais ce sont eux qui ont l’alimentation la moins diversifiée, qui font le moins d’activité physique, qui sont les plus sédentarisés, et en même temps, qui s’en saisissent le moins. Le plus souvent car spontanément, ils n’ont pas les moyens de le faire » (E4).
  • [19]
    Citons les CoDES, le CRES, l’INPES, l’ORS PACA, les ARS, les travailleurs sociaux, les techniciens en économie sociale et familiale, les médecins de la PMI, les enseignants (en primaire et secondaire), des médecins généralistes et scolaires, les caisses primaires er régionales d’assurance maladie, les missions locales, etc.
  • [20]
    Suite des verbatim : « Ce sont les travailleurs sociaux, en économie sociale et familiale, qui ont repéré tout ça [l’augmentation des problèmes liés à l’alimentation chez les enfants] » (E3), « L’ASV doit avoir une bonne vision analytique des problématiques du territoire (…). Le public est souvent fragilisé, la population vulnérable. L’analyse des besoins se fait quantitativement et qualitativement » (E4).
  • [21]
    Verbatim suite : « La performance… optimiser ? Quand vous optimisez, vous êtes sur l’axe de la performance, mais nous ne sommes pas sur ce registre-là » (E2), « C’est dur de répondre de manière générale » (E3), « La performance va avec tous les concepts, comme la rationalisation ou l’évaluation. Mais ce sont des méthodologies que tous les acteurs locaux ne maîtrisent pas nécessairement » (E6).
  • [22]
    « Quand on est allé manger mercredi dernier avec des mamans et des enfants qui ont travaillé avec le CODES dans un centre social, (…). J’étais assez étonnée d’entendre une maman dire que sa principale motivation était l’état de santé de ses enfants, qu’elle avait bien pris conscience de l’importance de l’alimentation (…) (E4).
  • [23]
    « Quand vous avez un groupe de jeunes qui mènent des actions auprès d’autres jeunes » (E1), « Les habitants peuvent être des relais d’information. Les mamans en parlent entre elles : ça peut être tout aussi efficace » (E4).
  • [24]
    « Le bonus, c’est l’adéquation entre la difficulté d’une famille, d’un enfant et d’un service proposé » (E2).
  • [25]
    « Qu’ensuite la réponse [au problème de nutrition et de santé] soit pensée ensemble. On la construit, on la co-construit. On utilise des outils qui soient cohérents avec le public, qui soient en phase avec leurs besoins particuliers » (E1), « L’idéal, c’est de partir des supports de communication nationaux, de les proposer à des groupes d’habitants, d’en discuter avec eux et de les laisser élaborer leur propre communication » (E4).
  • [26]
    « On ne met pas en place les mêmes actions auprès de deux milieux scolaires présentant des caractéristiques sociales, économiques, culturelles différentes. (…) On n’utilise pas les mêmes outils, ni le même langage. Voilà une action bien pensée » (E6).
  • [27]
    Par exemple, « quand il s’est passé quelque chose entre la mère et l’enfant, je me dis c’est vachement bien. Ce n’est peut être pas suffisant. Mais ce n’est pas chiffrable. Dans le cadre d’ateliers cuisine, ils ont appris quelque chose, oui c’est satisfaisant, mais ce n’est pas quantifiable » (E2).
  • [28]
    « J’espère que ça marche ! Les évaluations de nos actions le montrent, après… » (E1), « L’originalité de la prise en charge a été récompensée. (…) parce qu’on a vraiment aidé les familles à faire des choix plus éclairés (E2), « Les chiffres, c’est vrai que c’est nécessaire. Et puis même pour nous : parfois, on se dit combien de fois sont-ils venus ? (E3), « Chez nous, chaque projet est évalué. Pour chaque public, pour chaque groupe de population » (E5).
  • [29]
    « L’objectif, c’est quand même que les gens bricolent avec le plus de billes possibles [des connaissances en matière nutritionnelle]. Au lieu de ça, on veut en faire des gestionnaires de leur santé. Moi, ça me hérisse le poil. Des acteurs oui, mais pas des gestionnaires, gérer son capital santé et être performant » (E7).
  • [30]
    Nous utilisons le terme en « version originale », aucune traduction française ne nous paraissant satisfaisante.

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