Notes
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[1]
Laurence Harribey, BEM - Bordeaux Management School, laurence.harribey@bem.edu
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[2]
Jean-Marie Cardebat, Université Montesquieu Bordeaux IV, Larefi, jean-marie.cardebat@u-bordeaux4.fr
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[3]
La première étude a fait l’objet d’une communication au 3ème Congrès du Réseau International de recherche sur les Organisations et le Développement Durable, Lyon, juin 2008 et a été publiée dans les Actes. La seconde étude a été menée dans le cadre du programme de recherche ADAGE, Conseil régional d’Aquitaine, 2010-2012.
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[4]
Un tel travail de suivi présente bien entendu des intérêts scientifiques évidents. Il sera conduit par ailleurs dans le cadre d’une étude de suivi.
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[5]
Cet outil permet de repérer la présence d’ensembles d’énoncés, appelés classes, qui se ressemblent du point de vue de la cooccurrence significative (Chi2) du vocabulaire qui les compose. Les classes d’énoncés décrivent ainsi des profils différents qui se distinguent par leurs unités de contexte représentatives et les variables illustratives qui leur sont attachées. Rappelons que toute cette méthodologie repose en amont sur des analyses factorielles. Les explications techniques pourront notamment être trouvées dans Gavard-Perret et al. (2008) et sur le site Internet d’Alceste (http://www.image-zafar.com/index_alceste.htm).
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[6]
L’analyse globale mettant en perspective à la fois la perception du développement durable et le lien au territoire a fait l’objet d’un texte en cours de publication et auquel le lecteur pourra utilement se référer (Musson and al., 2012).
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[7]
La loi du 6 février 1992 dite loi Chevènement, crée notamment les communautés de communes et communautés de villes en leur donnant la compétence du développement économique et favorise ainsi le développement des intercommunalités. La loi LOADT (Loi d’Orientation pour l’Aménagement et le Développement durable des Territoires) du 25 juin 1999 dite loi Voynet, crée deux entités nouvelles avec le Pays et l’agglomération. Ni échelon administratif ni collectivité territoriale, ces entités ont vocation à devenir des territoires de projet et des lieux de définition des choix en matière de développement économique et d’aménagement du territoire avec notamment les PADD (Plans d’Aménagement et de Développement Durable).
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[8]
Pour des éléments plus détaillés se reporter à Musson et al. (2012).
1Les mutations du territoire issues des lois de décentralisation comme des politiques territoriales de l’Etat, associées à celles de l’Union européenne, ont favorisé à la fois les enchevêtrements territoriaux (Pays et communautés de communes venant s’ajouter aux communes, départements et régions) et la recherche de système locaux de gouvernance impliquant de plus en plus les acteurs de la société civile. Le système d’acteurs dans lequel s’insèrent les entreprises d’un territoire a été ainsi modifié au point souvent d’une vision confuse des interlocuteurs en matière de développement économique.
2C’est dans ce contexte que les politiques territoriales se sont inscrites dans la revendication d’un développement durable du territoire. L’avènement d’une économie locale forte appuyée sur les ressources du territoire sans occulter un développement solidaire et responsable, devient un enjeu majeur. Appliqué aux collectivités locales, le développement durable contribue à l’attractivité des territoires et constitue un avantage concurrentiel pour les collectivités (Berger-Douce, 2006). Les collectivités locales vont ainsi déclencher un processus de territorialisation (Fourcade et Marchesnay, 1998) dont les entreprises constituent des acteurs incontournables. Ainsi, les chartes de Pays comme les agendas 21 initiés par les collectivités cherchent à impliquer les entreprises dans une démarche de développement durable du territoire.
3Parallèlement, de plus en plus d’entreprises s’engagent en faveur du respect des communautés et du développement des territoires où elles sont implantées, obéissant en ceci à des attentes croissantes de leurs différentes parties prenantes, mais également à de très forts enjeux stratégiques. Une étude de l’Orse a ainsi montré cette progressive prise en compte des enjeux locaux par les grandes entreprises (Orse, 2006). La question reste posée pour les PME qui composent l’essentiel du tissu économique local. En 2002 une lettre ouverte des jeunes dirigeants aspirait à une coresponsabilité par rapport au développement des territoires en défendant l’idée que les PME durablement implantées sur un territoire ont intérêt à s’ouvrir et s’impliquer dans leur environnement (ANTE, 2002).
4Ce double processus, à savoir l’affichage par les collectivités locales de leur volonté de s’inscrire dans des démarches de développement durable d’une part, et la prise en compte par les entreprises de leur ancrage territorial d’autre part, amène à s’interroger sur la concordance entre les deux. C’est plus particulièrement la relation stratégique entre les PME et les collectivités locales qui nous semble devoir être au centre de l’interrogation. La question qui sous-tend l’analyse renvoie notamment au degré de maturité des PME sur la question du développement local durable.
5Dans cette perspective, l’objectif de cette contribution est de rendre compte d’une double étude terrain menée auprès de chefs d’entreprise, PME, pour tenter de mesurer la manière dont ils appréhendent cette question du développement local durable et si un lien peut être établi ou non entre développement durable et leur ancrage territorial. A cette fin, cette contribution s’appuie sur deux études empiriques successives, menées à trois ans d’intervalle [3] auprès de deux échantillons de PME aquitaines pour l’essentiel. La méthodologie que nous décrivons plus bas, repose sur des entretiens approfondis traités ensuite avec les outils statistiques de l’analyse linguistique. L’objectif est d’analyser la maturation ou non de la perception des enjeux du développement durable du territoire par l’entreprise avant et après les Grenelle 1 et 2. Par cette double étude nous voulions mesurer s’il y avait une évolution ou non de la perception du lien entre « développement durable et territoire » et mettre en perspective la question de la dynamique « Entreprise/Collectivité locale » comme facteur de développement territorial durable.
6Dans un premier temps nous précisons quels types de questions théoriques pose le duo « Territoire/Entreprise » dans la question du développement durable. Dans un deuxième temps nous présentons le cadre méthodologique de notre double étude. Dans un troisième temps nous mettons en perspective les résultats de ces deux études. Au terme de cette présentation, nous nous interrogeons au vu des résultats sur un modèle possible de gouvernance locale durable.
1 – Le duo « entreprise/territoire » face à la question du développement durable : un débat théorique marqué par la pluralité des approches
7Notre recherche a l’ambition de poser le triptyque « ancrage territorial de l’entreprise / développement territorial durable / action publique locale » comme objet de recherche appliquée à un territoire régional. Cela nous a amenés à préciser le registre théorique de trois questions :
1.1 – La question d’une approche territoriale du Développement Durable
8Elle pose une première difficulté théorique dans la mesure où le développement durable fait essentiellement appel à une dimension temporelle (solidarité intergénérationnelle) et à une dimension a-spatiale (développement durable de la planète). De fait, les normes relatives au développement durable sont élaborées à un niveau global et a-spatial sans articulation avec la réalité du territoire (Torres, 2002). Pourtant nombre de travaux ont montré que la dimension territoriale s’impose de manière assez évidente (Camagni, Capello, Nijkamp, 1997 ; Laganier, Zuindeau, 2000). En effet, les décisions internationales, pour avoir une traduction concrète, ne peuvent que s’inscrire à une échelle territoriale quel qu’en soit le niveau. Si la déclaration de Rio interpelle les Etats, premier échelon du local, le rôle des collectivités locales dans la mise en œuvre des programmes Agendas 21 est largement évoqué. Le territoire devient ainsi la « brique de base » du développement durable selon l’expression de J. Theys (2002). Dans le cadre français, les réformes liées à la décentralisation font de la Région, des pays et des communautés de communes, des terrains d’études particulièrement intéressants. Cependant si l’approche territoriale du développement durable semble de plus en plus admise, il convient de cerner le concept même de territoire, concept éminemment polysémique.
9Notre approche du développement durable sous l’angle territorial s’est fondée sur les travaux de Laganier, Villalba et Zuindeau (2002) reprenant eux-mêmes la définition plurielle du territoire qu’offre la géographie et retenant trois dimensions complémentaires du territoire : identitaire, matérielle et organisationnelle. Pour notre part, nous nous inscrivons dans une approche systémique du territoire le considérant comme une organisation spatialisée d’acteurs et nous intéressant de fait plus au fait territorial qu’au fait régional (Pecqueur, Peyrache-Gadeau, 2010). Nous appréhendons ainsi le territoire en nous appuyant sur le cadre analytique proposé par Fabienne Leloup (2010) mettant en exergue quatre dynamiques propres au développement territorial : la coordination d’acteurs, la mise en œuvre d’un projet, la structuration spatiale et la création de régulation.
1.2 – La question de l’entreprise comme partie prenante d’une stratégie de développement durable du territoire
10Les entreprises sont indispensables à un territoire et à son développement apportant richesse économique, emplois, revenus et donc ressources fiscales. Mais comme le souligne Zimmermann (2005), le propre de l’entreprise est plus le nomadisme que la fidélité au territoire. Sites de production et de consommation sont aujourd’hui largement dissociés. Les entreprises se doivent de rechercher pour chaque élément de leurs chaînes de valeur, les sites présentant les meilleures caractéristiques (Cardebat, 2003). Comme la théorie des choix de localisation le montre (Colletis et Pecqueur, 1993 ; Gilly J.-P. et Wallet, 2001), la recherche des avantages comparatifs ne se fait plus simplement à l’échelle des pays, mais plus finement à l’échelle des régions et des localités. La pérennité de la firme, voire sa compétitivité dépendra précisément de sa capacité à préserver son nomadisme (Zimmermann, 2005).
11Si l’entreprise se caractérise par le nomadisme, elle n’en est pas moins, là où elle est implantée, demandeur de main d’œuvre qualifiée, de matières premières, d’infrastructures et de marchés. Ainsi, la mondialisation ne met pas seulement des entreprises en concurrence, mais elle exacerbe la concurrence entre les territoires (Perrat, Zimmermann, 2003). Comme le souligne encore Zimmermann (2005), c’est le nomadisme des entreprises qui requiert une problématique de l’ancrage territorial. Le territoire constitue bien une partie prenante de l’entreprise en amont du processus de production. Mais il l’est aussi en aval. En effet, les entreprises répercutent à leur environnement immédiat, les pressions extérieures auxquelles elles sont soumises. Leur fonctionnement peut avoir des effets positifs mais aussi négatifs sur le territoire ; de fait elles peuvent représenter des nuisances et constituer des risques pour la collectivité. Leur responsabilité sociétale ne peut se départir des territoires sur lesquels elles sont implantées. Dans ce contexte, poser la question de l’intégration de l’entreprise à une stratégie de développement durable conjuguée sur un territoire donné, c’est s’interroger sur ce qui peut fonder ou non une dynamique commune de la firme et du territoire. Ainsi nous cherchons à nous interroger sur les jeux d’acteurs et les relations entreprises/collectivités locales qui favorisent ou non un développement territorial durable. Dans ce sens il s’agit autant de s’interroger sur le rôle de l’acteur entreprise que de celui de l’acteur collectivité locale et donc de l’approche publique locale.
1.3 – Le troisième questionnement est celui de l’approche publique locale du développement durable et de la gouvernance induite
12L’implication des collectivités locales dans des politiques en faveur du développement local permet-elle de parler d’une offre publique en matière de développement durable et cette offre publique a-t-elle un impact sur l’appropriation de la dimension territoriale du développement durable par l’ensemble des parties prenantes d’un territoire, notamment les entreprises ? L’engagement sur la voie du développement durable des collectivités locales (de la région aux communes) devrait se renforcer à terme. Mais comment analyser cet engagement, de quelle nature est-il ? Comme le montrent Aggerri et Pallez (2005), la montée de l’ancrage sur le territoire des entreprises conduit à une transformation du modèle d’action publique territoriale. Pour ces auteurs on tendrait vers un modèle dont l’enjeu principal est l’ancrage et le développement d’entreprises existantes. Cet ancrage et développement non automatiquement créateurs d’emplois, s’appuierait sur des coopérations avec les acteurs locaux en fonction des besoins de chaque entreprise. Une des caractéristiques essentielles en serait le renforcement ou la création de réseaux pour co-agir en faveur d’un développement du territoire durable appelant ainsi à une proximité organisée (Torre, 2010) notamment en ce qui concerne les relations collectivité/entreprises (Asselineau et Comarias, 2010). Dans cette perspective, l’action publique locale doit s’adapter à ce nouvel environnement dans lequel les entreprises ne cherchent pas spécifiquement des ressources relevant des allocations traditionnelles en matières premières ou en gisements de main d’œuvre, mais des dynamiques en lien avec le milieu local (Aydalot, 1984). Les collectivités locales vont être ainsi amenées à se poser la question des lieux de concertation possibles entre les acteurs économiques privés et les décideurs publics. Cette question appelle à s’interroger sur les types de gouvernance locale, point d’articulation d’une démarche territorialisée de développement durable. Nous reprendrons ici la définition de la Commission européenne pour qui la gouvernance est « la somme des voies et moyens à travers lesquels les individus et les institutions publiques ou privées, gèrent leurs affaires communes » (Commission européenne, 2002). La démarche de développement durable s’appuie alors sinon sur un nouveau mode de décision, au moins sur de nouveaux modes d’élaboration des actions faisant plus largement appel à la concertation.
13En définitive, pour résumer l’approche qui a gouverné notre recherche, nous dirons que s’interroger sur le duo Entreprise/territoire face à la question du développement durable suppose une approche territoriale du développement durable ce qui induit de considérer le territoire non pas comme une entité géographique mais comme un système d’acteurs. Comprendre alors le rôle de l’entreprise dans ce système au regard du développement durable suppose d’analyser la manière dont le chef d’entreprise appréhende le territoire d’une part, le développement durable d’autre part, et enfin le lien qu’il établit ou non entre les deux. C’est ce que nous avons tenté de faire par deux études successives et ceci à partir d’un même cadre méthodologique qu’il convient à présent de préciser.
2 – Une méthodologie identique appliquée à deux périodes différentes
14Ce travail repose sur l’application d’une même méthodologie empirique à deux groupes d’entreprises similaires mais à trois ans d’intervalle. Le fait de travailler sur deux groupes différents d’entreprises plutôt que sur un même groupe suivi longitudinalement renferme à la fois des avantages et des inconvénients.
15En effet, le suivi d’un groupe d’entreprises dans le temps semble intuitivement logique. Pour autant, nous avons rejeté cette idée assez rapidement. La principale raison tient au biais de sélection. Retourner interroger ces entreprises que nous avions déjà interpellées sur ces questionnements et qui avaient été de fait sensibilisées à une démarche de développement local durable, ainsi qu’à leurs liens avec les collectivités locales, aurait forcément induit des réponses complètement biaisées. Cette option de suivre ce groupe nécessitait alors de faire évoluer notre questionnaire en profondeur [4]. Or, notre optique était de comparer les perceptions des PME sur la base d’un même outil d’analyse afin d’apprécier l’évolution des réponses. Cela impliquait donc de choisir un groupe d’entreprises non sensibilisées par une précédente enquête à ce type de questionnement.
16Mais les problèmes posés par ce genre de démarche apparaissent alors. Les caractéristiques des entreprises étant naturellement uniques, la comparabilité des résultats ne peut pas être parfaite. Seuls des échantillons de très grandes tailles (plusieurs milliers) assurent statistiquement une convergence forte des résultats, gage d’une excellente comparabilité. Toutefois, mener des entretiens approfondis sur de tels échantillons n’est guère envisageable. Dès lors, pour réduire les problèmes statistiques de comparabilité nous avons choisi des entreprises aux caractéristiques très proches (taille, localisation, secteur, etc.) et en nombre suffisant dans les deux cas pour qu’un niveau acceptable de convergence soit atteint (nous dépassons dans les deux échantillons le seuil statistique traditionnel de trente individus).
17Précisons également que les biais liés au rôle des enquêteurs, inhérents aux enquêtes par entretiens, ont été limités au maximum. En effet, nous avons testé la grille d’entretien sur trois entreprises tests (non réinterrogées ensuite) afin de rôder notre grille et de débuter l’enquête avec un guide précis duquel nous n’avons pas dérogé au fil de l’enquête. D’autre part, un entretien semi-directif nécessite de la relance mais nous avons veillé à ce qu’elle reste la plus neutre possible sans sous-entendre certaines réponses. Signalons enfin, que les réponses sont enregistrées et ne donnent pas lieu à une interprétation de l’enquêteur. En outre, les enquêteurs étaient des chercheurs avertis à l’existence de ce type de biais et donc vigilants à ne pas influencer les réponses. Nous restons toutefois conscients que ce type de biais ne peut jamais être totalement éradiqué.
18Si la première étude réalisée en 2006 sur un panel d’une trentaine d’entreprises, s’est appuyée sur une communauté de communes dotée d’une mission économique et qui a mis en place une politique volontariste de consultation des entreprises, la seconde étude a été volontairement plus généraliste ne se limitant pas à des dispositifs spécifiques d’intégration de l’entreprise au territoire. L’étude a été ainsi élargie à la région Aquitaine (au deux tiers) et à celle de Pays de la Loire (pour un tiers), deux régions souvent rapprochées pour leurs caractéristiques similaires.
19Les panels d’entreprises ont été par contre construits pour les deux études de manière similaire. Concernant la première étude, le panel des trente entreprises a été sélectionné sur une base de trois cents entreprises implantées sur la Communauté de communes étudiée. Pour le second panel ce sont une trentaine d’entreprises qui ont été sélectionnées mais sur une base géographique élargie. Pour l’une comme pour l’autre étude, le matériau essentiel a été constitué d’entretiens semi-directifs avec les chefs d’entreprise, réalisés dans les locaux de l’entreprise sur des durées d’une heure environ. Ces entretiens ont été retranscrits et ont donné lieu à une triple analyse.
20Dans un premier de temps, une analyse de contenu thématique a été réalisée de manière itérative avec un classement des verbatim. Le deuxième niveau a été celui d’une analyse textuelle (Reinert, 1993) permise par un traitement quantitatif statistique des entretiens effectué avec le logiciel ALCESTE [5]. Nous avons ainsi établi des cartes perceptuelles, ce qui nous semblait convenir aux situations mal structurées, mal définies, en permettant une clarification issue d’une structuration des problèmes apportés par la construction ou la re-constructuration de représentations.
21Par cette méthode nous avons cherché à identifier en quoi les caractéristiques de l’entreprise et de son dirigeant influencent la constitution des classes. Nous avons également discriminé les entreprises en fonction de leur attitude par rapport au développement durable sur la base d’une considération, ou non, du cycle de vie du produit dans le processus productif. Si cette double étude est structurée sur deux thématiques - perception du développement durable et approche territoriale du développement durable - l’objet de cette contribution est plus particulièrement centrée sur l’analyse des résultats concernant le lien entre entreprise et territoire local au regard d’une stratégie de développement territorial durable [6] avec une progression sur la délimitation du territoire concerné entre les deux études : communauté de communes dans la première étude, région dans la seconde.
22Pour les deux enquêtes, la conduite des entretiens a respecté une même logique en procédant chaque fois en trois temps : nous avons d’abord cherché à questionner les chefs d’entreprise sur leur manière d’aborder la question du territoire, qu’est ce que le terme de territoire évoquait pour eux, ont-ils une connaissance des découpages territoriaux et les réseaux d’acteurs qui s’y déploient ? Dans un second temps, nous nous sommes intéressés à la manière dont les chefs d’entreprise abordaient le thème du Développement Durable ? Établissaient-ils un lien entre leur propre action et le territoire sur lequel leur entreprise était implantée ? Jusqu’à quel point l’entreprise se considérait-elle comme partie-prenante de ce territoire ? Enfin, un dernier volet des entretiens visait à mesurer la capacité des chefs d’entreprise à s’impliquer dans une stratégie de développement du territoire local, dans quels types de réseaux innovateurs, type de gouvernance pouvaient-ils s’impliquer. L’objectif était d’établir une typologie d’acteurs selon les degrés d’implication sur le territoire en tentant de différencier ces acteurs selon leur degré d’internationalisation ; typologie qui pourrait permettre d’analyser les écarts de perception entre les politiques territoriales actuellement mises en place et les propres stratégies des entreprises.
3 – Des résultats qui reflètent un lien toujours distendu entre PME et territoires
23La superposition des résultats des deux enquêtes montre que les PME n’ont guère évolué dans leur faible prise en compte des enjeux territoriaux. Le premier résultat est que la représentation du territoire reste floue et diversement appréhendée (1). Le second réside dans le fait que la question du développement durable si elle est de plus en plus appropriée par les chefs d’entreprise, reste peu liée à la dimension territoriale (2). Enfin dans la continuité de ces deux premiers enseignements, la question d’une stratégie de développement territorial durable est certes entendue par les chefs d’entreprise mais cette stratégie devrait être initiée principalement par les collectivités locales (3).
3.1 – Le Territoire : la permanence d’une représentation confuse
24En engageant l’entretien sur la manière dont les chefs d’entreprise considèrent leur territoire, notre objectif était de savoir dans une étude comme dans l’autre si les entreprises avaient une vision claire du territoire, des découpages territoriaux et des réseaux d’acteurs s’y rattachant.
25La première étude révèlait déjà une définition du territoire très élastique. Du « territoire commercial, zone de chalandise », au « territoire administratif, nœud des relations institutionnelles », en passant par le territoire apatride, « le territoire c’est nulle part et partout à la fois », la référence au territoire ne s’appuie pas sur une référence précise. Le concept reste vague, sans accroche concrète dominante : la commune pour certains, la région pour d’autres, la communauté urbaine ou encore un ensemble de régions bien au-delà du territoire local. Le territoire apparaît pour la majorité des chefs d’entreprise comme un concept vide de traduction concrète. Le terme de territoire ne qualifie rien. De fait cette première étude révèle un degré d’appropriation du territoire et de ses composantes relativement faible. Les entretiens montrent que les chefs d’entreprise sont peu au fait des enjeux de territorialisation et des recompositions du territoire français mises en chantier par les lois dites Chevènement et Voynet [7]. Certes, nombre d’interviewés connaissent les termes de « communautés de communes » et de « Pays » par exemple, mais au-delà des termes, il leur est difficile, à quelques exceptions près, d’être plus précis, même si l’approche des communautés de communes semblent plus perceptible que celle des Pays. Sur la totalité des entretiens, un seul chef d’entreprise donne une définition complète de la communauté de communes et du Pays.
26Cette première enquête étant concentrée sur le territoire d’une communauté de communes, les entretiens se sont arrêtés logiquement sur cette question de l’intercommunalité et de ce qu’elle pouvait évoquer pour les chefs d’entreprise. Sur ce point les chefs d’entreprises ont des réactions qui se répartissent en trois groupes relativement inégaux : ceux qui admettent (40%) qu’il doit bien y avoir des raisons objectives, une recherche de cohérence, mais qui considèrent que ça ne les concerne pas et que leur activité n’en est pas impactée. Ceux qui y voient une logique de rationalité organisationnelle (40%), appliquant leur raisonnement de rationalité économique au territoire et qui considèrent qu’il s’agit d’une évolution intéressante. Et enfin, les moins nombreux (20%), ceux qui sont critiques à tout ce qui touche le politique et l’administration territoriale et qui voient dans cette nouvelle organisation du territoire une strate de plus à une organisation peu probante pour le développement économique. D’une manière générale les interviewés voient peu ou pas l’impact de la réorganisation territoriale sur la vie de l’entreprise. Leurs références territoriales sont plus larges qu’une communauté de communes. S’ils ne se désintéressent pas du territoire sur lequel ils sont implantés, c’est ce que le territoire plus large peut offrir qui prime.
27Cette perception est largement confirmée par la seconde étude. A trois ans d’intervalle, on aurait pu supposer une meilleure prise en compte des modifications de l’organisation territoriale. Or si les chefs d’entreprise révèlent clairement une meilleure connaissance des découpages territoriaux, ils persistent dans une perception plurielle du territoire. La représentation du territoire reste floue et n’est pas figée. A la question : « qu’est-ce que le territoire pour vous ? », les chefs d’entreprise aiment à préciser : « Il y a le territoire social, ça, c’est la proximité, là où sont nos salariés, le bassin d’habitation. Après, il y a le territoire géographique et économique, c’est là où l’entreprise s’exprime ». Cette approche confirme bien en quelque sorte de manière empirique l’ambiguïté du terme « Territoire » et sa charge cognitive.
28Cette seconde étude nous a cependant permis de dégager de manière plus fine que dans la première étude, trois grands types de perception du territoire et représentant près de 70% de l’échantillon. Le schéma ci-dessous, issu du traitement de cette seconde étude, illustre les trois types de discours et le vocabulaire associé à ces trois familles de perception [8]. A partir du traitement lexical produit par le logiciel Alceste, les termes utilisés ont été répartis de part et d’autre de deux axes de différenciation : le premier axe tend à échelonner les perceptions de la plus politico-administrative à la plus communautaire (liée à la vie de la collectivité) tandis que le second échelonne les perceptions de la plus abstraite à la plus concrète.
Représentation du Territoire
Représentation du Territoire
29Nous avons qualifié la première grande famille de perceptions de « Représentation politico-administrative ». Cette famille représente le tiers des énoncés classés. Les dirigeants associés à ce discours et dont l’âge majoritaire se situe entre 50 et 65 ans, utilisent le vocabulaire lié aux échelons politico-administratifs : « Conseil Régional », « Département », « Echelon », « Politique », « Communauté de Communes », etc. On trouve alors des verbatim de ce type : « Aujourd’hui, on vient s’implanter sur des communautés-de-communes, qui sont pour moi un territoire » ; « Un territoire, pour moi c’est une région. Alors ce territoire, je demande à nos élus locaux et régionaux d’essayer de le rendre le plus attractif possible ». Les dirigeants membres de cette classe, qui par ailleurs sont en général positionnés stratégiquement en faveur du développement durable c’est-à-dire citent des enjeux de développement durable (enjeux environnementaux et sociaux) comme déterminants de leur stratégie propre, conçoivent d’abord le territoire comme une entité politico-administrative.
30La seconde famille dite « Représentation Communautaire » et rassemblant 23% de l’échantillon, regroupe des discours qui marquent l’importance d’une vision à la fois plus collective et plus active du territoire. Ce discours est plutôt représentatif de jeunes chefs d’entreprises. Le territoire est vu comme le lieu de rencontre entre administration, entreprises et population. Ces trois acteurs doivent coopérer, travailler ensemble pour dynamiser le territoire, le tout organisé par les collectivités locales, comme l’expriment ces chefs d’entreprise : « la collectivité locale, quelle qu’elle soit, a un rôle de garant, de mobilisateur, d’initiateur, d’innovateur » ; « Je crois que dans le développement durable, il y a le travailler ensemble, et là je pense qu’on a, nous tous [i.e. les entreprises et les administrations], encore beaucoup, beaucoup de progrès à faire ». Le vocabulaire dominant est celui qui évoque à la fois la dimension collective ainsi que le vocabulaire lié au développement durable et à ses trois axes. Les termes qui reviennent le plus souvent sont ainsi : « Collectif », « Développement durable », « Territorial », « Partenariat », « Vie », « Economie ». Les entreprises associées à ce type de discours ont pour beaucoup, le projet de développer une stratégie en faveur du développement durable.
31La troisième famille dite « Représentation Performatrice », est le fait de chefs d’entreprises plutôt jeunes (entre 35 et 50 ans) et rassemble près de 42% des énoncés. Le vocabulaire dominant est celui lié à l’action, notamment des verbes : « Prendre », « Mettre », « Faire », « Compter », « Passer », « Payer », « Polluer », « Aider ». C’est dans cette famille que revient souvent le thème d’une organisation politico-administrative trop lourde et trop complexe. Presque tous les chefs d’entreprises pensent qu’il existe en France trop d’échelons administratifs et qu’il faut en regrouper. A la question de l’échelle ou des échelles du territoire qu’ils jugent la ou les plus pertinentes dans la vie de l’entreprise, le niveau étatique comme l’entité communale ou le niveau intercommunal restent en retrait dans les propos des chefs d’entreprise. C’est la région avant le département qui est le plus souvent évoquée à l’image de ce verbatim assez caractéristique : « Le niveau de la Région me plaît assez bien car il y a une proximité avec les administrés et en même temps, un éloignement suffisant pour éviter un niveau de corruption trop élevé. Il est sûr qu’on a beaucoup, beaucoup trop de collectivités aujourd’hui, et ce qui est également certain, c’est qu’il faut leur donner du pouvoir et de l’argent pour faire avancer les choses ».
32Ainsi, ces deux études successives semblent démontrer que si les découpages territoriaux ne sont pas inconnus, le degré d’appropriation du territoire et de ses composantes par les chefs d’entreprise reste faible. Les recompositions du territoire si elles sont mieux perçues en l’espace des trois années qui séparent les deux panels, n’impactent pas pour autant la vision du territoire de référence pour le développement économique. Plus que les délimitations territoriales c’est ce que peut offrir un territoire qui est important. En effet, le deuxième point de convergence des deux études réside dans le fait que les chefs d’entreprise ont une perception vivante du territoire plutôt que politico-administrative. L’analyse lexicale montre en effet que pour les deux panels, le vocabulaire utilisé relève beaucoup plus des registres économiques et démographiques que du registre politico-administratif. Si les interviewés ne savent pas très bien définir le territoire administratif et politique et ne se retrouvent pas dans les différentes strates qui le composent, c’est aussi parce que pour eux, les premières caractéristiques d’un territoire sont la population qui y habite, qui y travaille et que le territoire se définit avant tout par des activités et des emplois. Le territoire c’est avant tout des hommes, des activités et des flux. Les chefs d’entreprise semblent être essentiellement des consommateurs d’un territoire qu’ils ne s’approprient pas et dont ils ont du mal à s’imaginer partie prenante. Il n’est que peu étonnant alors que la définition qu’ils donnent du développement durable reste peu liée au territoire et qu’ils aient du mal à percevoir une stratégie territoriale en matière de développement durable.
3.2 – Une définition du développement durable peu liée au territoire local
33Le second questionnement de nos entretiens cherchait à comprendre comment les chefs d’entreprise appréhendaient la question du développement durable et s’ils reliaient cette question à une dimension territoriale locale.
34Dès la première étude, les entretiens avaient déjà révélé que la question du développement durable n’était pas une question repoussoir puisqu’une très faible minorité des chefs d’entreprise s’était déclarée rétive au thème du développement durable alors que 80% se déclaraient réellement concernés. Le traitement textuel du premier panel avait dégagé trois grands types de perception du développement à peu près équilibrés. Un premier groupe dit « perception individuelle » dans laquelle les chefs d’entreprise donnaient d’abord une définition personnelle du développement durable sans y voir de lien avec leur entreprise. Dans ce groupe la tendance des chefs d’entreprise était d’abord de répondre en tant que citoyen et, lorsque mention était faite du territoire, c’était en tant que responsabilité citoyenne de l’individu plutôt qu’en tant que chef d’entreprise. Le second groupe dit « environnementaliste » regroupait les discours mettant majoritairement en avant la dimension environnementale du développement durable. Dans ce groupe, la définition était moins personnelle et plus liée à la réalité de l’entreprise avec notamment la référence aux normes et à la réglementation en matière d’environnement. Le troisième groupe dit « perception globale », regroupait les chefs d’entreprise donnant effectivement une définition des trois volets du développement durable. Le vocabulaire est autant de type économique, qu’environnementaliste ou sociétal. Ce groupe était le seul qui faisait une référence au territoire local à l’image de ce verbatim caractéristique : « La problématique de ce territoire, effectivement c’est la qualité environnementale, les entreprises viennent pour cette raison et ne veulent pas forcément des entreprises polluantes à côté… il faut essayer de préserver ce territoire et aussi répondre à des besoins sociaux. C’est essayer d’allier la réussite des entreprises tout en préservant les paysages et tout en apportant des réponses économiques aux gens ».
35Le second panel conforte très largement cette cartographie des trois familles et ceci dans les mêmes proportions. D’autre part, les deux panels mettent en exergue de manière intéressante que si les définitions relatives au développement durable restent encore partielles, le développement durable semble être beaucoup plus qu’un simple concept et se traduit concrètement au sein de l’entreprise. Dans l’analyse des entretiens quelques points forts dominent : les actions relatives au traitement des déchets (30% des interrogés les citent), les mesures relatives au personnel (25%), les économies d’énergie (20%), le contrôle de la relations clients/fournisseurs (20%), le respect de la réglementation (10%), la recherche de certification (10%). D’une manière générale ce sont les chefs d’entreprise qui considèrent le développement durable comme un facteur de compétitivité qui citent le plus grand nombre de réalisations. De même, parmi ceux qui agissent, peu se réfèrent à la réglementation comme contrainte qui obligerait à agir. A contrario ceux qui sont relativement sceptiques à l’égard de la démarche, demandent un renforcement de la législation qui serait selon eux, un moyen d’obliger toutes les entreprises à aller dans le même sens tout en restant réservés sur le risque de perte de compétitivité. Dans leur grande majorité, loin de renvoyer la responsabilité du développement durable à des autorités publiques, les chefs d’entreprise se sentent partie prenante : « Le développement durable, je pense que c’est la meilleure des solutions qu’il faut mettre en place… je pense que lorsqu’il y a un développement réfléchi inscrit dans le temps, ça ne peut que favoriser d’abord l’emploi, ensuite la création de valeur pour les entreprises, troisièmement la création de richesse, créer des emplois… le reste on n’a pas le temps de s’en occuper… par contre on respecte les normes… ».
36Ce qui est frappant également dans nos résultats comparés, c’est la similarité même de ces résultats. La perception du développement durable n’a pas évolué dans le laps de 3 ans séparant les deux études. Cet état de fait nous étonne dans le sens où la politique de développement durable du pays s’est sensiblement accentuée entre 2006 et 2009. La forte médiatisation des différents Grenelle et les lois qui en sont issues nous faisaient attendre un approfondissement des connaissances autour du développement durable de la part des chefs d’entreprise. La prise de conscience et l’investissement cognitif dans le développement durable restent donc limités dans les PME. La question du développement durable territorial autour du tandem entreprise-collectivité reste en particulier peu présente, les exemples pour illustrer les démarches de développement durable au sein de l’entreprise prenant peu en compte l’implication sur le territoire.
3.3 – Du développement durable à la stratégie de territoire durable : une relation peu évidente
37Un autre paradoxe apparaît dans ces résultats : l’analyse des entretiens conclut d’une part à la difficulté de considérer que les chefs d’entreprise ancrent leur stratégie de développement durable au territoire où elles sont implantées mais en même temps, les chefs d’entreprise sont en attente de la part des collectivités pour une démarche de développement territorial durable.
38Le cadre de la première étude se limitait à une communauté de communes qui avait pour projet de mettre en place un dispositif de concertation spécifique à l’intention des entreprises du territoire. L’un des enjeux avait été de sonder la capacité des entreprises à s’impliquer dans un tel dispositif et d’en définir les formes. L’analyse des entretiens a révélé qu’il n’y avait pas d’opposition rédhibitoire à une implication plus forte de la part des chefs d’entreprise ; beaucoup y voyaient même un certain intérêt. Les principales motivations étaient très classiques : favoriser l’émergence d’un lieu d’échanges et de réflexion ouvert, se fédérer sur des besoins communs et créer des synergies, favoriser les relations d’affaires encore que ce dernier élément restait très marginal. Mais ce volontarisme des chefs d’entreprise pour une implication plus forte sur le territoire restait mesuré et conditionnel. La formule récurrente qui revenait dans les entretiens se résume en trois mots « Pourquoi pas, mais… ». Quant aux conditions qui auraient permis d’envisager une implication plus forte, elles conjuguaient à la fois des aspirations très généralistes comme « la création de lieux d’échange et de réflexion sur des grands thèmes » et des aspirations plus pragmatiques et utilitaristes résumées par la formule suivante : « Concret, Utile, Constructif, Cadré, pas trop souvent ». Pour ce premier panel environ 40% des chefs d’entreprise pouvaient être considérés comme susceptibles de s’impliquer au niveau local s’ils étaient sollicités et si un certain nombre de conditions étaient respectées : « C’est évident que la Communauté de communes peut avoir un dialogue avec les entreprises de façon à pouvoir soit envisager certains développements, soit la possibilité de faire des prévisions un peu plus pointues dans les mois ou années à venir. De notre point de vue, il est important de savoir quelles sont les décisions qui peuvent être prises, quelles orientations donner au territoire. Mais ce dialogue a des limites : nous, on est concentré sur nos problèmes de base, purement égoïstes qui consistent à développer notre activité… on peut participer à une réflexion, mais en être le moteur, ça je n’en suis pas sûr… ».
39Ce dernier verbatim est révélateur de l’attente des entreprises vis-à-vis des collectivités locales perçues comme les nécessaires initiatrices et coordinatrices. Cette première étude mettait ainsi en exergue le renvoi de l’initiative du développement durable du territoire aux autorités locales.
40Nous avons donc pour le second panel, à la fois élargi les références concernant les acteurs territoriaux et élargi la notion d’acteurs, ne le limitant pas aux collectivités, en posant la question suivante : « selon les chefs d’entreprise, dans quelle mesure les différents acteurs doivent-ils contribuer à la construction d’un développement local durable ? » et en proposant de situer l’importance relative de chacun des trois acteurs : entreprises, citoyens et collectivités.
41Le résultat des entretiens, illustré par le graphique ci-dessous, montre que d’après les chefs d’entreprise, les trois acteurs de la vie locale proposés (entreprises, citoyens, collectivités) doivent jouer un rôle dans la construction d’un développement local durable. Il apparaît nettement sur le graphique qu’en grande majorité, les chefs d’entreprise attribuent la plus grande importance (soit une note de niveau 7 sur une échelle de 1 à 7) à la contribution de chacun des trois acteurs à la construction d’un développement durable local. Ce qui est intéressant, c’est que les chefs d’entreprise attribuent un rôle aussi important à ces trois acteurs, y compris eux.
Le triptyque « Collectivités, citoyens, entreprises » dans la construction d’un développement durable
Le triptyque « Collectivités, citoyens, entreprises » dans la construction d’un développement durable
42La question qu’il conviendrait donc d’approfondir à présent c’est l’articulation de ce triptyque dans un modèle de gouvernance locale. En effet la question se pose de savoir si cette responsabilité partagée peut ou non se traduire par une implication collective des trois acteurs dans une stratégie commune de développement durable ou s’il s’agit plutôt de simplement ajouter des stratégies différenciées mais complémentaires.
Conclusion
43Nous avons souligné en introduction, la nécessité de repenser le lien entre l’entreprise et son territoire d’implantation selon un modèle d’ancrage territorial (Zimmermann, 1995). Les deux terrains d’études à trois ans d’intervalle montrent cependant que l’acteur « entreprise » s’il est conscient de l’importance d’une stratégie de développement durable ne fait pas pour autant le lien entre cette stratégie et le territoire local. En même temps l’acteur « entreprise » considère le triptyque « collectivité/citoyens/entreprises » comme également responsable d’un développement local durable. Se pose alors la question de la traduction de l’ancrage territorial dans les modes de gouvernance du territoire. C’est bien la question d’un éventuel nouveau modèle de gouvernance locale qui est posée et, dans son prolongement, la question de savoir qui doit prendre l’initiative de cette gouvernance. Si l’on se réfère aux éléments précédemment exposés, ce serait aux collectivités locales de dessiner ce nouveau modèle et d’y associer les autres acteurs. La dimension locale du développement durable appellerait une recomposition du système d’acteurs local quitte à favoriser un processus de « fabrication de territoires par des acteurs qui s’y identifieraient et gouverneraient ensemble des mutations » (Mollard et Pecqueur, 2007). Ce travail de recherche doit donc immanquablement se poursuivre par l’étude de la manière dont les collectivités locales s’approprient elles-mêmes la question du développement durable territorial et la place qu’elles envisagent pour l’acteur entreprise.
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Notes
-
[1]
Laurence Harribey, BEM - Bordeaux Management School, laurence.harribey@bem.edu
-
[2]
Jean-Marie Cardebat, Université Montesquieu Bordeaux IV, Larefi, jean-marie.cardebat@u-bordeaux4.fr
-
[3]
La première étude a fait l’objet d’une communication au 3ème Congrès du Réseau International de recherche sur les Organisations et le Développement Durable, Lyon, juin 2008 et a été publiée dans les Actes. La seconde étude a été menée dans le cadre du programme de recherche ADAGE, Conseil régional d’Aquitaine, 2010-2012.
-
[4]
Un tel travail de suivi présente bien entendu des intérêts scientifiques évidents. Il sera conduit par ailleurs dans le cadre d’une étude de suivi.
-
[5]
Cet outil permet de repérer la présence d’ensembles d’énoncés, appelés classes, qui se ressemblent du point de vue de la cooccurrence significative (Chi2) du vocabulaire qui les compose. Les classes d’énoncés décrivent ainsi des profils différents qui se distinguent par leurs unités de contexte représentatives et les variables illustratives qui leur sont attachées. Rappelons que toute cette méthodologie repose en amont sur des analyses factorielles. Les explications techniques pourront notamment être trouvées dans Gavard-Perret et al. (2008) et sur le site Internet d’Alceste (http://www.image-zafar.com/index_alceste.htm).
-
[6]
L’analyse globale mettant en perspective à la fois la perception du développement durable et le lien au territoire a fait l’objet d’un texte en cours de publication et auquel le lecteur pourra utilement se référer (Musson and al., 2012).
-
[7]
La loi du 6 février 1992 dite loi Chevènement, crée notamment les communautés de communes et communautés de villes en leur donnant la compétence du développement économique et favorise ainsi le développement des intercommunalités. La loi LOADT (Loi d’Orientation pour l’Aménagement et le Développement durable des Territoires) du 25 juin 1999 dite loi Voynet, crée deux entités nouvelles avec le Pays et l’agglomération. Ni échelon administratif ni collectivité territoriale, ces entités ont vocation à devenir des territoires de projet et des lieux de définition des choix en matière de développement économique et d’aménagement du territoire avec notamment les PADD (Plans d’Aménagement et de Développement Durable).
-
[8]
Pour des éléments plus détaillés se reporter à Musson et al. (2012).