1La nécessité pour les enseignes de se différencier de leurs concurrentes et de fidéliser les clients en leur offrant des conditions de shopping agréables a érigé l’environnement du point de vente en variable stratégique. Dès lors, les facteurs d’ambiance (musique, odeurs, lumières, couleurs) et le design des points de vente deviennent des outils à la disposition du distributeur pour déployer une atmosphère propice à l’achat (Kotler, 1973). Conscients du potentiel des facteurs d’ambiance, les distributeurs sont de plus en plus nombreux à proposer des environnements combinant différentes variables d’atmosphère – musique, odeurs, lumières, couleurs. L’enseigne Nature & Découvertes, par exemple, diffuse des senteurs de cèdre et des chants d’oiseaux au sein de ses magasins afin d’exprimer son positionnement et de faire vivre au consommateur une expérience d’immersion proche de la nature. D’autres magasins comme Jennifer ou Abercrombie & Fitch cherchent au contraire à attirer et stimuler leur clientèle grâce à la diffusion d’odeurs et de musiques qui présentent des niveaux d’intensité élevés (Lemoine et Badot, 2008).
2Les facteurs d’ambiance composant l’atmosphère du point de vente affectent néanmoins les processus cognitifs de l’individu. Ce dernier, en effet, les utilise pour procéder à des inférences, et ceci dans le but de se créer une représentation du magasin. Ainsi, la musique diffusée dans un point de vente peut permettre au consommateur d’évaluer la qualité des produits qui y sont vendus (North et Hargreaves, 1998). L’utilisation de différentes odeurs est, elle aussi, susceptible d’influencer le consommateur dans l’idée qu’il se fait d’un magasin (Parsons, 2008).
3Parallèlement, les consommateurs possèdent une certaine connaissance des pratiques marketing dont certains acteurs les rendent également de plus en plus conscients. Ainsi, des magazines télévisuels comme « Capital » fournissent à leurs publics des informations régulières et des outils de décryptage des pratiques mises en place par les distributeurs pour atteindre leurs objectifs commerciaux. Centrés sur cet apprentissage, les travaux issus du Persuasion Knowledge Model (PKM) étudient la manière dont les consommateurs parviennent à identifier les tentatives de persuasion dont ils font l’objet. En situation d’influence, les individus cherchent à adapter leur comportement en vue d’atteindre et de maintenir leurs propres objectifs et non ceux que l’on voudrait qu’ils atteignent (Friestad et Wright, 1994). Appliqué à l’environnement d’achat, ce modèle a permis d’apporter un premier éclairage sur le décodage que font les consommateurs de l’atmosphère des points de vente. Cottet et Vibert (2004) font ainsi ressortir que certains consommateurs procèdent à un décodage cynique de l’atmosphère, laquelle est appréhendée comme un outil capable de les influencer d’une façon profitable à l’enseigne. Prolongeant cette étude, Lunardo et Mbengue (2011) montrent l’influence néfaste de telles inférences de contrôle sur l’attitude du consommateur envers l’atmosphère et le distributeur. Néanmoins, ces recherches demeurent insuffisantes puisqu’aucune ne précise par quel processus et quels déterminants le consommateur en vient à procéder à des inférences de contrôle. Quatre questions restent alors en suspens : A quels types d’inférences de contrôle le consommateur procède-t-il en regard des variables d’atmosphère ? Quelles conditions sont à l’origine de ces inférences ? Quelles stratégies d’ajustement met-il en place face à ces tentatives de contrôle perçu via les variables d’atmosphère ? Comment les stratégies d’ajustement varient-elles en fonction du profil du consommateur ?
4Cet article propose donc, à partir d’une étude qualitative exploratoire, d’étudier les inférences de contrôle perçu à travers l’atmosphère du point de vente et leurs déterminants. Dans un premier temps, une revue de la littérature souligne la capacité des éléments de l’atmosphère à susciter des inférences. Le concept de contrôle y est introduit en vue de montrer comment l’environnement d’achat peut conduire le consommateur à percevoir cet environnement comme un outil utilisé à dessein par le distributeur pour influencer ses comportements. Dans un second temps, la méthodologie de l’étude qualitative destinée à explorer ces phénomènes d’inférences est décrite. Dans un troisième temps sont présentés les résultats de l’analyse du corpus issu des entretiens avec 21 répondants. Les résultats fournissent quatre niveaux de compréhension portant sur i/ les inférences que font les individus quant à l’utilisation par les distributeurs des variables d’atmosphère à des fins de contrôle, ii/ les caractéristiques de l’atmosphère à l’origine de ces inférences de contrôle, iii/ les stratégies d’ajustement mises en place par les consommateurs face à leur perception d’une tentative de contrôle, et iv/ les modérateurs de leur résistance variable aux tentatives de contrôle. Enfin, des conclusions et implications managériales sont proposées, ainsi que des voies de recherche permettant de prolonger les perspectives ouvertes par cette étude.
1 – Cadre théorique
1.1 – Les inférences du consommateur face à l’atmosphère
5Les modèles proposés dans la littérature pour expliquer le comportement du consommateur face à l’atmosphère du point de vente se fondent majoritairement sur le modèle Stimulus-Organisme-Réponse (Mehrabian et Russell, 1974). Dans ce modèle, le processus d’inférence mis en place par le consommateur intervient simultanément aux émotions, à la suite de son exposition aux stimuli de l’environnement, et en amont de sa réponse comportementale ou attitudinale.
6La littérature souligne ainsi la capacité de l’atmosphère à influencer l’évaluation que font les consommateurs de l’environnement d’achat. Par exemple, les clients soumis à une odeur plaisante tendront à l’évaluer de manière positive (Spangenberg, Crowley et Henderson, 1996). Plus encore, quand le consommateur reçoit des stimuli de l’environnement, il procède à des inférences qui opèrent un transfert des attributs de ces stimuli vers les attributs de l’enseigne (Daucé et Rieunier, 2002 ; Kardes, Posavac et Cronley, 2004 ; Schlosser, 1998). De fait, la littérature souligne la capacité de l’atmosphère à influencer la qualité perçue des produits vendus en magasin (Baker, Grewal et Parasuraman, 1994). De la musique classique connotant le prestige conduira par exemple à inférer que les produits sont de bonne qualité (North et Hargreaves, 1998). A l’inverse, de la musique pop et des éclairages au néon reflèteront a priori une atmosphère moins luxueuse et conduiront les consommateurs à juger les produits comme étant de qualité moindre.
7La capacité de l’atmosphère à générer des inférences est un sujet d’importance, celles-ci jouant un rôle de médiateur entre l’atmosphère et le comportement de l’individu. Il est donc essentiel pour les distributeurs de comprendre comment l’environnement d’achat peut influencer le décodage qu’en font les consommateurs, et comment ils y réagissent. Le rôle crucial de telles inférences dans le lien entre atmosphère et comportement induit une question qui à ce jour n’a pas reçu de réponse : celle de l’existence d’une perception de contrôle. Autrement dit, l’environnement d’achat peut-il amener le consommateur à se percevoir influencé par le distributeur ? Si tel est le cas, quelles caractéristiques de l’atmosphère provoquent de telles inférences ? Comment le consommateur y réagit-il ? Et en en fonction de quelles caractéristiques ?
1.2 – Environnement d’achat et contrôle
8Les recherches menées en distribution sur la perception de contrôle adoptent majoritairement une vision affective de la manière dont le consommateur se sent « capable d’influencer ou de contrôler la situation dans laquelle il se trouve » (Yani-de-Soriano et Foxall, 2006, p. 404). Cette réponse émotionnelle, appelée dominance, met cependant davantage l’accent sur le pouvoir que l’individu se sent posséder dans ses interactions avec l’environnement (Mehrabian et Russell, 1974), que sur celui exercé par des acteurs ou facteurs qui chercheraient à le contrôler.
9De fait, pour faire pendant aux approches kotlériennes de l’atmosphère comme outil marketing (Kotler, 1974 ; Bitner, 1992) et notant les limites des logiques positives issues de la psychologie environnementale, les chercheurs du courant expérientiel (Holbrook et Hirschman, 1982) ont cherché à appréhender, par le biais d’approches phénoménologiques, les expériences subjectives et holistes vécues par les individus dans les environnements commerciaux (Bonnin, 2002 ; Filser, 2002 ; Gentric, 2005). Dans ce cadre, l’étude du contrôle perçu conduit à renoncer aux approches trop centrées soit sur la notion de dominance (du côté du consommateur), soit sur celle de l’influence (du côté des distributeurs). Le contrôle n’est plus appréhendé sous le seul angle intra-individuel où le consommateur se sentirait en position de toute puissance sur son environnement, ou au contraire totalement contraint par lui, mais dans une perspective interactionniste apte à cerner les échanges qui s’opèrent entre les deux. Cette perspective interactionniste qui donne une vision plus nuancée des notions de pouvoir et de résistance (Foucault, 1975) présente d’autant plus d’intérêt que les situations de « guidage » des comportements ou de « canalisation » des trajectoires des individus sont fréquemment observables. Par exemple, si dans les administrations publiques, le client est invité à se tenir au-delà d’une ligne de confidentialité, les contextes commerciaux tendent, eux, à encourager leur liberté de mouvement, comme par exemple la FNAC où le client peut librement choisir un livre et s’installer pour le feuilleter. Cependant, analysant plus particulièrement les réactions aux dispositifs de gouvernementalité que constituent les environnements commerciaux, Aubert-Gamet (1996) et Bonnin (2003) montrent que si l’espace de vente est décodé par les consommateurs comme un outil mis en place pour contrôle leur comportement, ils sont susceptibles de s’y dérober et de s’en affranchir pour exercer leur autonomie au travers d’une manipulation, d’un détournement et d’une (ré-)appropriation des lieux.
10Malgré l’intérêt de telles approches, l’appropriation renvoie davantage à l’exercice d’un contrôle, qu’à sa perception par le consommateur. Notre perspective s’intéresse précisément à la perception qu’il se fait du contrôle qu’exerce le distributeur sur son comportement au travers de l’atmosphère. Le contrôle fait référence à un construit cognitif, où percevoir l’environnement comme contrôlable consiste à penser que l’on peut décider et agir sur lui de façon à en obtenir les résultats souhaités (Rotter, 1966 ; Skinner, 1995). Ainsi, dans le contexte de la relation consommateur-entreprise, le contrôle représente la perception qu’a le consommateur d’une influence qui s’exercerait sur son interaction avec l’entreprise (Van Raaij et Pruyn, 1998). Il contrôle celle-ci lorsque cette intercation aboutit à l’obtention de ce qu’il en attend, alors que l’entreprise contrôle le consommateur lorsque l’interaction le conduit à agir de la façon qu’elle souhaite.
11Sous l’angle cognitif, le modèle PKM développé par Friestad et Wright (1994) fournit un éclairage très pertinent de ce double mécanisme de décodage propre aux interactions. En effet, il repose sur le principe que si les marketers disposent de connaissances sur les consommateurs et sur la manière de les influencer, ces derniers construisent en retour un ensemble de connaissances sur les marketers et leurs dispositifs d’influence. Ce repérage des techniques d’influence dépend néanmoins de l’efficacité qu’ils leur prêtent et de leur propre sensibilité à ces dispositifs. Malgré l’intérêt d’une telle approche, il reste surprenant de constater qu’en dehors des travaux de Cottet et Vibert (2004) et Lunardo et Mbengue (2011), le modèle PKM reste sous-employé pour explorer le lien entre environnement d’achat et inférences de contrôle. Cette lacune théorique est d’autant plus surprenante que les connaissances accumulées par le consommateur sur les dispositifs marchands peuvent précisément lui servir à décoder les mécanismes utilisés pour le contrôler (Roux, 2007a). Dès lors, le modèle PKM s’est révélé particulièrement pertinent, à l’issue de la démarche d’exploration qualitative décrite ci-dessous, pour éclairer les liens entre environnement d’achat et inférences de contrôle.
2 – Choix méthodologiques
12Les recherches fondées sur le paradigme causal S-O-R ont majoritairement adopté des approches quantitatives du contrôle visant à en identifier les antécédents et les conséquences (Hui et Bateson, 1991 ; Ward et Barnes, 2001), de même que les modérateurs de son influence sur les comportements (Lunardo et Mbengue, 2009). Dans la lignée de l’approche suivie par Gentric (2005), notre volonté d’analyser la manière et les raisons pour lesquelles les consommateurs décodent l’environnement d’achat comme un outil de contrôle, a conduit à retenir une approche compréhensive. Des entretiens semi-directifs en profondeur ont été menés sur la façon dont les consommateurs vivent leur expérience de fréquentation des magasins et lui donnent un sens (Thompson, Locander et Pollio, 1989). En suivant un principe de saturation sémantique, l’échantillon comprend au final 21 répondants dont le recrutement a été opéré sélectivement. Il a été guidé par une recherche de variance en termes sociodémographiques, mais aussi en matière d’expériences de shopping (Tableau 1). L’échantillon interrogé se révèle relativement hétérogène (8 hommes et 13 femmes, âgés de 23 à 61 ans, de professions variées. En matière de citation d’enseignes, huit secteurs de la distribution (magasins de bricolage, magasins spécialisés dans le bien-être et la parfumerie, magasins alimentaires, magasins de prêt-à-porter, magasins de luxe, hypermarchés et supermarchés, boucheries-charcuteries et concessions automobiles) et 51 marques ressortent des entretiens.
Description de l’échantillon
Description de l’échantillon
13Les entretiens ont été menés par deux chercheurs sur une période de six mois entre la fin de l’année 2010 et la fin du premier trimestre 2011. Ils ont été réalisés en face à face au domicile des répondants ou sur leur lieu de travail afin de créer un climat favorisant leur libre expression dans un cadre naturel. Des précautions ont été prises visant à faire preuve de bienveillance, d’une écoute attentive et du respect de leur anonymat. La consigne de départ les informait que l’entretien traitait de leurs « expériences de shopping dans les magasins », et pour minimiser les risques de biais par les enquêteurs, le véritable sujet de l’étude, c’est-à-dire le décodage de l’environnement d’achat comme potentiel outil de contrôle, ne leur était jamais dévoilé. Chaque entretien commençait par une question générale quant à leur intérêt pour le shopping. Au-delà, les participants étaient libres de guider l’entretien et le contenu de la discussion dans le sens qu’ils souhaitaient. Respectant les principes de l’étude exploratoire semi-directive, les chercheurs se sont assurés que des questions prédéterminées n’étaient posées que lorsque des coupures se produisaient dans le fil de la conversation (quel est le magasin que vous préférez ? Pourquoi est-ce celui que vous préférez ? Quel est celui que vous aimez le moins? Pourquoi ? Pour vous, à quoi ressemble le magasin idéal ? Et le pire ? Pourquoi ?). Les chercheurs sont ainsi restés aussi neutres que possible pour ne pas induire de changement d’attitude chez les répondants et/ou éveiller de quelconques questionnements sur l’objet de l’étude (Rosenthal et Rosnow, 1997).
14Tous les entretiens ont été enregistrés et retranscrits pour produire au final un corpus de 20 heures et de 71 pages en interligne simple. Ces entretiens ont été analysés manuellement et séquentiellement en faisant ressortir les thèmes abordés par chaque répondant, puis transversalement en recherchant les thèmes communs à plusieurs individus. Pour garantir une plus grande objectivité de l’analyse, un double codage a été réalisé sur les dix entretiens les plus longs. Le taux de fiabilité (nombre d’accords / nombre total d’unités à coder) a été de 78% entre les chercheurs. Chaque désaccord a été systématiquement discuté puis résolu de manière collective.
3 – Résultats
15L’étude exploratoire fait émerger quatre thèmes principaux. Les trois premiers reflètent chacun un concept et une phase-clé du modèle PKM de Friestad et Wright (1994).
16Le premier thème renvoie au contenu même des cognitions et des représentations des consommateurs à propos de l’utilisation des variables d’atmosphère comme outils de contrôle. Le deuxième reflète ce que Friestad et Wright (1994) appellent le « principe de changement de signification », c’est-à-dire le moment ou l’événement à partir duquel une perception d’influence est encodée par les répondants et contribue à modifier au-delà leur compréhension de l’usage des variables d’atmosphère par le distributeur. Le troisième thème concerne les stratégies d’ajustement des consommateurs pour contrer les tentatives de contrôle dont ils pensent faire l’objet. Le quatrième thème illustre les modérateurs de leur résistance face aux tentatives de contrôle qu’ils perçoivent au travers des environnements d’achat.
3.1 – Ce que le consommateur pense savoir du rôle de contrôle des variables d’atmosphère
17Bien que conduits sur le thème général des expériences de shopping, les entretiens livrent de manière assez spectaculaire dans leur caractère spontané des schémas cognitifs construits et aboutis sur le rôle de contrôle attribué aux variables d’atmosphère. Plus encore, ces inférences de contrôle ne sont pas relatives à une enseigne ou à un type d’enseigne en particulier, mais à une pluralité de marques évoquées.
18La principale inférence de contrôle renvoie au caractère manipulatoire de l’ambiance et au degré de stimulation par les variables d’atmosphère utilisées par le distributeur. Cette inférence résulte de la perception par le consommateur de la volonté et de l’intentionnalité du distributeur de le mettre dans un état de bien-être qui le rende enclin à acheter. L’ensemble des répondants a ainsi évoqué le niveau de stimulation produit par les facteurs d’ambiance comme un « outil de mise en condition ».
« Mais je ne suis pas dupe, ils font des magasins où on se sent bien pour qu’on revienne, pour influencer le comportement du client. Ils savent très bien que plus on s’y sentira bien, plus on risque de venir. »
« Le but c’est que le client se sente mieux pour qu’il reste plus longtemps et qu’il achète plus. »
21Les répondants sont également nombreux à souligner que la séquence liant atmosphère, mise en condition et acte d’achat, qu’ils imaginent être l’objectif souhaité par les distributeurs, trouve son application dans l’influence inconsciente que les variables d’atmosphère exercent sur les comportements. Parmi les différents facteurs d’ambiance, les odeurs sont nettement décrites comme un des moyens les plus efficaces pour agir sur les individus sans que ces derniers en aient réellement conscience.
« Ce magasin, ça modifie certainement mon comportement, mais malgré moi. Ca doit le modifier, mais sans que je m’en rende compte. C’est malgré moi. »
« Et puis, Abercrombie, tout ce qu’ils font dans le magasin, l’odeur sur chaque vêtement, la lumière tamisée au possible, au point d’ailleurs que tu ne sais plus si la chemise ou le maillot que tu as acheté est vraiment de la couleur que tu l’as vu dans le magasin, je me demande si ça ne peut pas jouer sur l’inconscient des gens, tu vois, les mettre dans un état tel qu’ils sont plus disposés à acheter. »
24Dans leurs discours, les répondants reconnaissent l’influence que ces dispositifs exercent directement sur eux, mais signalent également, via un haut degré de généralisation, qu’ils perçoivent les intentions de contrôle du distributeur comme une pratique coutumière. Ce glissement du particulier au général souligne l’encodage d’une tactique clairement identifiée dans son caractère constant et systématique.
« Ce genre de choses dans les magasins, ça [les consommateurs] peut les mettre un peu dans un état second, et ça les amène à acheter alors qu’en réalité, ils n’ont pas les moyens par exemple, enfin parce qu’ils sont conditionnés dans une approche très favorable et finalement, ils n’ont pas l’aplomb de résister. »
« De toute façon ils nous prennent pour des idiots, ils arrivent à nous avoir, parce qu’ils utilisent des subterfuges dont on n’est pas toujours conscients et ils savent que ça marche. »
27Les discours proposent ainsi une vision « savante » des distributeurs qui disposeraient de connaissances pointues leur permettant de cibler les consommateurs, en adoptant un paramétrage précis des facteurs d’ambiance. Les discours mentionnent en particulier le rôle de l’âge sur l’ajustement des formes et des niveaux de stimulation, ceux-ci accroissant le niveau de plaisir jusqu’à un seuil au-delà duquel ce plaisir décroît (Raju, 1980). Le caractère stimulant de l’environnement devient ainsi un moyen que le distributeur utilise à dessein pour toucher une clientèle précise dont il pense qu’elle réagira dans le sens attendu. En cela, de telles démarches, loin d’être perçues comme des adaptations « naturelles » à sa clientèle, sont analysées comme des démarches « artificielles » visant à l’influencer. Les deux extraits ci-dessous illustrent la façon dont la musique des années 1980 est conçue comme un outil de contrôle particulièrement efficace d’une cible d’un âge et d’un style donné, la notion de contrôle étant perceptible dans le caractère instrumentalisé de l’utilisation des variables d’atmosphère et dans la gouvernementalité recherchée par les distributeurs.
« Ils savent quel est l’âge de la clientèle selon les tranches d’heures et ils mettent la musique en fonction. Enfin, j’ai l’impression. Par exemple, à 19 heures, les trentenaires qui quittent du travail, ils ont de la musique des années 80. Je ne sais pas si c’est fait exprès ou quoi, mais à Leclerc, à chaque fois que j’y allais entre 19 h et 20 h, c’était le même genre de musique. »
« Par exemple dans des magasins pour adolescentes, ils mettent toujours les musiques tendances, les machins qui passent à la radio, parce que justement c’est ce qu’elles écoutent, donc elles vont entendre le début d’une chanson, elles vont dire : « Oh, bah je reste pour l’écouter », ou des choses comme ça. »
30Une atmosphère particulièrement stimulante est vue alors non seulement comme un moyen efficace de capter une cible, mais aussi de la maintenir le plus longtemps possible dans le magasin pour des objectifs de profit implicitement ou parfois explicitement évoqués (Cochoy, 2004).
« Tu penses bien qu’ils savent que dans tel magasin, c’est des gens qui ont tel âge qui viennent. Ils sont pas cons. Ils vont tout y mettre, les produits, la musique et les vendeuses, pour que tu y reviennes. Tu penses bien que s’ils veulent que t’achètes, à ton âge, ils vont te mettre quelque chose qui te fasse sentir bien chez eux, une petite musique qui te plaît, que t’entends peut-être même pas mais qui joue quand même sur ton inconscient. C’est des malins les mecs. »
3.2 – Le principe de changement de signification : quand l’authenticité de l’environnement déclenche l’inférence de contrôle
32Si les consommateurs sont spontanément capables d’évoquer des inférences de contrôle via la manipulation des variables d’atmosphère, c’est bien parce qu’ils en sont venus, à un moment donné, à faire preuve de réflexivité sur leurs expériences de shopping et à percevoir certains éléments comme dissonants (Holt, 2002 ; Roux, 2007b). Plusieurs répondants, à l’instar de Jimmy dans l’extrait ci-dessous, expliquent qu’à partir de certains épisodes, ils ont modifié la lecture qu’ils faisaient de l’environnement d’achat pour le décoder comme un outil de contrôle.
« Au départ, je ne faisais pas attention. Et puis, au fur et à mesure tu te dis « quand même ! »
34Ce « changement de signification » (Friestad et Wright, 1994) se manifeste en particulier lorsque la musique, les couleurs, les odeurs d’ambiance ou l’atmosphère globale du magasin ne sont plus perçues comme des facteurs visant uniquement à accroître le bien-être du consommateur, mais bien comme des variables étudiées pour agir in fine sur son comportement. Le « changement de signification » est alors trahi par une découverte « visuelle » des éléments « fabriqués » à dessein pour séduire le client, aboutissant à l’interprétation de l’intention sous-jacente du distributeur.
« Parce qu’à partir du moment où ça se voit que c’est étudié, c’est fini. L’effet, pour marcher, il ne doit pas être vu. S’il est vu, c’est fini. Parce qu’on sait que c’est fabriqué, on sait que c’est étudié… À partir du moment où on voit la chose… On pourrait se dire que le distributeur, il est sympa, il essaye de rendre son magasin plus agréable… Il faut être naïf pour dire ça. Il essaye juste de se faire de la tune. De toute façon c’est un supermarché. S’il fait en sorte que le client il se sente bien, pourquoi ? Pour acheter ! C’est qu’un moyen le fait qu’il se sente bien, ce n’est pas une fin. La finalité, c’est l’acte d’achat. Bah oui ! »
36Ce qui est découvert, en réalité, à la source du déclenchement d’inférences de contrôle, c’est le manque d’authenticité de l’environnement. La centralité de la notion d’authenticité dans les discours en fait une véritable « heuristique de reconnaissance de tactiques » (Friestad et Wright, 1994), c’est-à-dire une méthode intuitive et plus ou moins raisonnée d’identification des éléments qui caractérisent la tentative de contrôle du consommateur par le distributeur.
37L’évaluation de l’authenticité se manifeste sous trois angles distincts. Premièrement, elle s’exerce sur l’environnement d’achat pris dans sa globalité. La manipulation trop soigneusement maîtrisée des différents facteurs d’ambiance est, pour certains répondants, fatale à la perception d’une démarche réellement dénuée d’arrière-pensées. Lorsque dépeint comme le fruit d’un long travail de la part de l’enseigne ou comme trop « parfait » pour être naturel, l’environnement d’achat n’est plus alors envisagé que comme un décor artificiellement étudié, capable d’attirer le consommateur et de le conduire à développer les réponses souhaitées par l’enseigne. En usant d’illusions, d’artifices et de simulacres (Baudrillard, 1981), il conduit les consommateurs à ne plus faire la différence entre le vrai et le faux et fabrique en conséquence de l’authenticité là où il n’y en a pas (Graillot, 2005). Agissant de la sorte, l’enseigne risque en fait d’induire chez les consommateurs un décodage des variables d’atmosphère utilisées à des fins mercantiles et instrumentales. Pour certains répondants, cette mise en scène de l’authentique est contre-productive et leurs réactions à ce genre de pratiques se révèlent particulièrement critiques.
38La perception d’authenticité résultant de l’intensité des stimuli représente une deuxième façon d’évaluer le rôle de contrôle de l’atmosphère du magasin. Lorsque le consommateur sent que le niveau des stimuli, notamment celui des odeurs, vient surcoder l’offre et devient plus prégnant que ce qu’il devrait être, il se met à douter de leur authenticité et procède à des inférences de contrôle. A ce titre, les boulangeries sont les enseignes les plus citées (14 répondants sur 21) car certaines utilisent des odeurs artificielles pour tenter de déclencher l’achat.
39Enfin, la troisième « heuristique de reconnaissance de tactiques » liée à l’authenticité renvoie à la cohérence (ou incohérence) perçue entre les variables d’atmosphère et la réalité de l’offre. Les critiques sont d’autant plus sévères que l’usage des variables d’atmosphère tend à faire paraître l’offre comme plus avantageuse ou de meilleure qualité qu’elle ne l’est en réalité.
40Sur ce point, l’enseigne L’Occitane est particulièrement stigmatisée par les femmes qui la fréquentent (8 répondantes sur 13), car l’atmosphère y connote un style de produits – bio en l’occurrence – que l’enseigne n’offre pas. Dans ce cas, le problème dépasse le simple surcodage des caractéristiques de l’offre, l’habillage marchand étant potentiellement trompeur sur la nature même des produits (Filser, 2002).
41Le Tableau 2 présente une synthèse des différentes dimensions de l’authenticité de l’atmosphère constituant pour le consommateur des heuristiques de reconnaissance du contrôle exercé par le distributeur.
Heuristiques de reconnaissance de tactiques découlant de l’inauthenticité perçue de l’atmosphère du point de vente
Heuristiques de reconnaissance de tactiques découlant de l’inauthenticité perçue de l’atmosphère du point de vente
42Les discours mettent donc en lumière le rôle prépondérant de l’authenticité perçue dans l’effet de « changement de signification » et dans le processus de production d’inférences de contrôle. Cette prégnance de l’authenticité dans les discours corrobore les propositions de Rémy (2004) pour qui les distributeurs doivent faire face à des consommateurs de plus en plus exigeants en matière d’authenticité et de cohérence entre positionnement et atmosphère.
3.3 – Les stratégies d’ajustement aux inférences de contrôle : entre indifférence, rationalisation et résistance
43Le décodage, par le consommateur, de l’usage intentionnel des variables d’atmosphère aboutit au déploiement de trois stratégies d’ajustement à ce qu’il perçoit comme une tentative de contrôle. Chacune renvoie à une intensité réactionnelle différente.
44La première consiste à ne pas accorder d’importance à l’influence qui s’exerce sur lui à travers l’environnement d’achat. Certains consommateurs se révèlent en effet capables de repérer cette démarche de contrôle attribuée à l’atmosphère, mais lui accordent une importance minimale car d’autres facteurs revêtent une importance bien plus grande dans le choix des magasins qu’ils fréquentent (temps de trajet ou familiarité développée envers le magasin par exemple).
45La seconde consiste à se projeter à la place distributeur pour analyser et comprendre ce rôle de contrôle. Certains répondants affirment alors concevoir les démarches de manipulation des variables d’atmosphère comme partie intégrante des tâches et des objectifs que le distributeur doit nécessairement mettre en place pour capter les clients.
46« Moi, personnellement, le petit jet de vapeur sur les poissons ou les légumes, là moi c’est pas le truc qui me choque, ça me fait rien du tout. Je dis « là, c’est bien pensé ». Parce qu’il faut bien regarder le système, et c’est bien vu » (Christian). Cette forme de rationalisation d’une tentative d’influence perçue mais acceptée s’apparente en fait à un type de stratégies de coping identifié par Lazarus et Folkman (1984). Donner sens à cette perception de perte de contrôle en justifiant son utilité pour le distributeur relève en effet d’une stratégie centrée sur le problème.
47Inversement, la condamnation brutale de telles pratiques ou la minimisation de leur impact sur l’individu semble davantage témoigner d’une stratégie centrée sur l’émotion découlant de la peur d’être manipulé et de perdre son autonomie.
« Tu as vraiment l’impression qu’ils veulent nous avoir. Ca sent trop fort. Ca me dérange, parce que c’est vraiment prendre les gens juste pour des clients quoi. On cherche juste une chose, c’est à ce qu’ils achètent. »
49Ainsi, lorsque les émotions encodées par les répondants sont trop intenses face à ce qu’ils ressentent comme une supercherie et qu’ils ne trouvent aucune forme d’apaisement du risque qui pèse sur leur autonomie, certains expriment clairement la volonté de résister à des environnements de vente conçus comme des structures de domination (Peñaloza et Price, 1993). Ces répondants adoptent alors une « stratégie de sentinelle » (Kirmani et Campbell, 2004) qui les rend vigilants et peu coopératifs vis-à-vis des distributeurs. Chez les plus affectés par la perception de perte de contrôle, cet ajustement résistant se manifeste en particulier par l’évitement des enseignes trop théâtralisées, au profit de points de vente où l’atmosphère est perçue comme plus naturelle. Un environnement où l’on note une utilisation modérée des facteurs d’ambiance, associée à des niveaux d’intensité acceptables est vu comme n’ayant fait l’objet d’aucun travail de la part du distributeur qui est alors réputé construire une relation plus authentique avec le client.
« Pour moi, les magasins, ils en font déjà largement assez, et puis, il y a des choses qui me hérissent un peu. Quand tu rentres et que tu en prends de tous les côtés… Ca ça arrive souvent ! Tu vois, à l’Intermarché, il n’y a pas tout ça. Alors j’y vais plus facilement. Parce que je me dis qu’ils sont plus proches du client. C’est pareil chez mon boucher, il y a pas tout ça, et j’y vais plus facilement. »
51D’autres répondants affirment finalement résister à l’usage des variables d’atmosphère à des fins de contrôle en se tournant vers des formes de vente, comme les marchés, d’où ce genre de pratiques est banni.
« C’est pour ça aussi que de temps en temps je vais au marché, que j’adore, parce qu’alors là en termes de… J’en prends plein les yeux, tout ce qui est fruits et légumes. Alors je fais toujours le tour, je fini toujours par aller au même endroit mais je fais toujours le tour ne serait ce que pour voir les couleurs et tout, parce que je trouve ça génial. En plus, tu as pas cet aspect « c’est fait exprès », tu vois bien que c’est authentique. C’est pas fait exprès pour t’attirer. »
53Le Tableau 3 présente une synthèse, illustrée par des verbatims, des stratégies d’ajustement employées par les consommateurs pour faire face à la tentative de contrôle qu’ils perçoivent au travers de l’utilisation de variables d’atmosphère.
Les stratégies d’ajustement aux inférences de contrôle
Les stratégies d’ajustement aux inférences de contrôle
3.4 – Les modérateurs de la résistance aux inférences de contrôle induites par l’atmosphère
54L’analyse des discours révèle l’apparition de stratégies de résistance se manifestant sous des intensités différentes (Fournier, 1998), tantôt à travers des discours très critiques envers les enseignes, tantôt à travers la volonté d’éviter les magasins perçus comme contrôlant. Cette résistance plus ou moins intense ne semble pas tant modérée par les caractéristiques sociodémographiques des répondants que par : i/ leur tolérance à la perception de manipulation, découlant elle-même du profil de résistance du répondant, et ii/ de facteurs situationnels comme l’implication dans la tâche « faire les courses ».
55Comme la littérature sur la résistance le souligne (Roux, 2007, b), le consommateur est plus ou moins enclin à développer des stratégies de résistance à des actions qu’il juge dissonantes par rapport à son système de valeurs. Pour autant, deux types de profils résistants peuvent être identifiés (Banikéma, 2011). L’un est confiant dans sa capacité à s’opposer aux sources potentielles d’influence. Il ne craint pas de s’y confronter et dispose d’une bonne aptitude à contrôler ses émotions et ses décisions afin de ne pas se laisser influencer. L’autre, au contraire, n’est pas totalement confiant dans sa capacité à maintenir ses objectifs dans un contexte d’influence. Il est davantage enclin à adopter des stratégies d’esquive pour s’en protéger. Cette différence de profils est perceptible entre des répondants comme Matthieu qui ne se sentent pas « dupes » de l’usage des variables d’atmosphère à des fins de contrôle, sans nécessairement en craindre l’effet, et d’autres répondants (comme Emmanuelle) qui décident de ne plus fréquenter les enseignes utilisant ce genre de pratiques pour en éviter les effets.
« Moi, tu me mets des relents de voiture neuve quand je vais acheter une voiture d’occas’, je vais dire : « me prends pas pour un dupe. »
« Je peux certainement me faire bien avoir, parce que j’imagine que ça fait partie des techniques… Pourtant j’ai beaucoup aimé, j’aimais bien ce côté voilà provençal [chez l’Occitane], on cherche le terroir, etc… mais voilà, quand je me suis aperçue qu’ils étaient pas plus bios que… eh et bah je n’y suis plus allée…. »
58La résistance des individus à la perception de contrôle par les variables d’atmosphère est également liée au degré de dissonance perçu entre ce type de pratiques et leur système de valeurs ou, pour reprendre les termes de Boltanski et Thévenot (1991), du degré de légitimité ou d’illégitimité des logiques déployées par le « monde marchand ». Ainsi, la personne ayant exprimé les plus vives critiques envers la manipulation des variables d’atmosphère est Louis, un retraité de 61 ans vivant partiellement en marge des circuits conventionnels et consacrant une large partie de son temps à des activités d’autosuffisance alimentaire (travail régulier dans son potager ou pratique de la chasse). Au contraire, le répondant qui semble avoir manifesté la plus faible résistance par rapport aux inférences de contrôle est un ancien vendeur, Christian, dont l’évaluation de ces pratiques résonne de manière consonante avec celles qu’il a lui-même exercées au cours de sa vie professionnelle.
« Moi ça me choque pas, bien au contraire. Comme le gars qui vend ses fringues et qui montre l’atelier de fabrication où c’est fait ces fringues, sur un écran dans son magasin, ça me choquerait pas du tout. Je me dirais : « au moins ça bosse, c’est fait comme ça, il y a des métiers ». Non ça me choquerait pas. J’aurais un commerce à moi, c’est des choses que je ferais. »
60Enfin, des variables situationnelles comme l’implication dans les courses modèrent également la réaction des individus à la perception de contrôle par les variables d’atmosphère. Au cours de la tâche pénible que représente pour certains consommateurs la fréquentation des points de vente (Barth et Anteblian, 2010), l’aspect négatif que revêt le sentiment d’être contrôlé peut se trouver atténué par une stimulation sensorielle et expérientielle positive. En d’autres termes, peu importe que l’atmosphère soit perçue comme obéissant à une logique commerciale favorable au distributeur, si elle permet de rendre la « corvée » moins désagréable (Rémy, 2007). Ainsi, bien que de nombreux répondants aient tourné en ridicule « les cris de mouettes au rayon poissonnerie » ou « les petits jets sur les fruits et légumes qui conduisent le client à acheter », peu estiment cela suffisant pour déclencher leur résistance. D’autres stimuli perçus comme « contrôlants » peuvent alors être appréciés pour le confort qu’ils procurent.
« L’ambiance qui est apportée… au final c’est fait pour optimiser le confort d’achat dans le but qu’il [le client] achète plus, donc forcément par définition c’est pour l’entreprise et pas pour le consommateur. En revanche, par ce biais là, effectivement ça améliore son confort. »
62Une profonde ambivalence anime donc la perception des tentatives de contrôle, une fois décodées. Ce constat invite les distributeurs à mesurer le très délicat dosage qu’ils peuvent opérer dans la manipulation des variables d’atmosphère, lesquelles peuvent autant contribuer à améliorer les conditions d’achat, qu’apparaître comme une tentative de tromperie insupportable au consommateur. Ainsi, à la suite de Cochoy (2004) offrant une relecture métaphorique du Petit Chaperon Rouge et du travail de travestissement qu’opèrent les dispositifs marchands, nos résultats suggèrent d’emprunter à Blanche Neige l’idée que la pomme qui se révélerait trop belle et trop artificiellement tentante risque d’empoisonner le consommateur, et par contrecoup le distributeur.
63De l’ensemble de ces résultats, fournis par les répondants ressort une parfaite application du modèle PKM à l’étude de l’influence de l’atmosphère du point de vente sur les inférences de contrôle. La capacité du modèle à expliquer comment les tentatives de persuasion d’un agent sur une cible peuvent mener cette dernière à identifier cette tentative et adapter son comportement en conséquence, a ici permis de comprendre comment le consommateur décode l’environnement comme un outil de contrôle et développe des stratégies d’ajustement à ces inférences, allant de l’indifférence à la résistance. Afin d’obtenir une vision synthétique des résultats obtenus, la Figure 1 propose une application du modèle PKM au processus d’inférences de contrôle du consommateur face à l’atmosphère du point de vente.
Le moedèle PKM apliqué aux inférences de contrôle face à l’atmosphère
Le moedèle PKM apliqué aux inférences de contrôle face à l’atmosphère
Conclusion
64Cet article met en évidence les phénomènes d’inférences de contrôle que peut opérer le consommateur à partir de l’atmosphère du point de vente. Malgré les limites inhérentes à une démarche qualitative menée sur de petits échantillons, il confirme l’intérêt qu’il convient de porter à ces réponses cognitives, indispensables à la compréhension de l’influence de l’atmosphère. Par ailleurs, par le biais des inférences de contrôle, cet article intègre un spectre de réponses plus large que celui généralement envisagé par les chercheurs. Notre travail montre que l’utilisation de facteurs d’ambiance n’est pas toujours positivement perçue par les consommateurs, ce qui doit alerter les distributeurs persuadés que leur déploiement entraîne l’adhésion.
65Plus précisément, cet article permet d’identifier la façon dont l’atmosphère induit des inférences de contrôle chez le consommateur, et notamment le rôle prédominant de l’authenticité dans le processus de formation des heuristiques de reconnaissance de tactiques (Friestad et Wright, 1994). Ces dernières se développent lorsque l’environnement d’achat est perçu comme inauthentique, lorsque l’intensité des stimuli fait douter le consommateur du caractère naturel de ce qui lui est proposé et lorsqu’il existe une inadéquation patente entre les caractéristiques réelles des produits et les attributs suggérés par l’environnement.
66Au vu des résultats, il semble prudent de fournir trois principales recommandations aux distributeurs dans la mise en place d’atmosphères. La première suggère d’éviter que les facteurs d’ambiance donnent au consommateur l’impression d’avoir été l’objet d’une réflexion lourde visant à leur proposer des contextes d’achat trop maîtrisés. Cette nécessité de proposer des environnements plus naturels, où l’adéquation entre les différents éléments de l’environnement ne cherche pas à produire une impression de perfection, correspond par exemple au choix de Wal-Mart dont les magasins « ordinaires » parient au contraire sur une impression de « laisser-aller » (Badot, 2005).
67La deuxième recommandation concerne l’intensité des stimuli. Elle suggère de ne pas utiliser les facteurs d’ambiance à des niveaux d’intensité trop élevés qui laissent à penser que cette diffusion vise à surévaluer la qualité réelle de l’offre-produits. Par exemple, la diffusion d’une odeur de pain frais peut, dans un simple dépôt de pain, conférer une qualité supérieure à celle de ce qui est réellement vendu. En procédant ainsi, le distributeur risque d’être perçu comme cherchant à tromper le consommateur, en lui donnant l’impression que ses produits sont de qualité comparable à ceux d’une authentique boulangerie.
68Sur la base des deux premières recommandations et au vu de nos résultats, la troisième recommandation propose que les environnements d’enseignes soient développés sur la base d’une segmentation des consommateurs selon leurs motivations à fréquenter le point de vente. En effet, une segmentation selon une approche dichotomique des consommateurs, distinguant ceux guidés par une motivation utilitaire de ceux guidés par une motivation hédonique, semble de nature à expliquer leur comportement envers le rôle de contrôle qu’ils attribuent aux variables d’atmosphère. En effet, dans la mesure où la fréquentation d’enseignes comme Abercrombie et Fitch, l’Occitane, ou encore les marchés repose principalement sur une motivation expérientielle et la volonté de vivre une expérience hédonique au sein du point de vente, l’aspect contrôlant des variables d’atmosphère peut être mieux accepté par les consommateurs. Le plaisir apporté par ces facteurs d’ambiance vient ici compenser l’aspect négatif du rôle de contrôle qui peut leur être attribué. En revanche, dans un magasin dont la fréquentation repose essentiellement sur des motivations utilitaires et la nécessité de satisfaire un besoin d’achat précis, comme une poissonnerie ou une grande surface, le contrôle dont le consommateur pense être l’objet au profit du distributeur peut être vu comme nuisible et engendrer de la résistance. Ainsi, il ressort de cette proposition de segmentation que, s’il peut être compréhensible, quoique critiqué, qu’Abercrombie et Fitch ou l’Occitane saturent de stimuli leurs environnements d’achat, il est nettement moins pertinent de le faire au rayon poissonnerie d’un hypermarché.
69Cette étude exploratoire appelle cependant d’autres voies de recherche. Tout d’abord, elle suggère d’évaluer le biais de désirabilité sociale dont un tel sujet peut être entaché. En effet, un protocole qualitatif favorisant la libre expression des répondants, leur volonté de dénonciation de la manipulation des variables d’atmosphère est susceptible de les surévaluer ou d’en accentuer le caractère négatif. D’autre part, le degré d’influence réelle de ces dernières est difficile à estimer par des approches déclaratives, surtout pour les profils sensibles aux facteurs contextuels. Des expérimentations permettraient alors de confirmer ou non la réalité de leurs perceptions et de leurs réactions, non seulement en fonction des différents facteurs d’ambiance mais aussi de leurs niveaux d’intensité.
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