Couverture de MAV_040

Article de revue

L'affectation des ressources aux associations partenaires : la nécessaire politisation des outils de gestion

Pages 254 à 274

1Les mairies constituent un partenaire incontournable des associations en terme d’apport de ressources, ceci d’autant plus qu’avec le désengagement de l’Etat on assiste à une montée en charge des financements locaux (Barzasi et Braemer, 2008). Cet apport de ressources est soumis à une triple rationalité caractéristique des organisations publiques (Cellier et Chatelain-Ponroy, 2005) :

  • rationalité politique car les associations en tant que groupes de pressions peuvent peser de façon non négligeable sur le choix des électeurs ;
  • rationalité opérationnelle car elles peuvent également constituer un levier très efficace pour la mise en œuvre des politiques publiques locales ;
  • rationalité économique enfin car les moyens qui leurs sont alloués peuvent s’avérer tout à fait considérables dans un contexte financier de plus en plus contraint.
On mesure alors la difficulté de l’exercice consistant à concilier des logiques souvent contradictoires. En particulier les rationalités économiques et opérationnelles semblent entrer assez fréquemment en conflit avec la rationalité politique. Les exigences de la contrainte financière et/ou les impératifs d’efficacité des politiques publiques se heurtent alors à la nécessité de tenir compte des rapports de forces et d’arbitrer entre des intérêts antagonistes. Ainsi il n’est pas rare qu’une municipalité continue à subventionner une association dotée d’un poids politique non négligeable malgré une activité faible et des résultats décevants ou qu’elle disperse des moyens importants entre un trop grand nombre d’associations malgré une contrainte financière forte.

2On mesure également l’importance de ce triple enjeu, à la fois politique, économique et opérationnel, ce qui a amené de nombreuses collectivités à mieux structurer cette attribution de moyens en faisant appel à une instrumentation de gestion parfois très originale. En effet, lors d’une recherche précédente (Fabre, 2005) nous avons déjà pu constater une utilisation assez fréquente d’outils de mesure des moyens alloués dans une optique de négociation avec les partenaires associatifs. Nous y avons remarqué, en outre, une formalisation accrue dans l’attribution des moyens, formalisation qui d’après les entretiens réalisés, semblait à même de diminuer la conflictualité, fréquente dans les rapports entre associations et collectivités. Cette formalisation allait jusqu’à l’introduction de normes d’attribution des couts dans le cadre d’un processus formalisé de contrôle de type cybernétique tranchant ainsi avec un modèle traditionnellement plus répandu de répartition politique des ressources largement décrit par Hofstede (1978).

3Mais comment analyser cette utilisation d’outils de gestion dans le cadre d’un processus de répartition des ressources qui d’après Hofstede (au moins dans les mairies auquel il fait explicitement allusion) est essentiellement du ressort d’un contrôle de type politique, mené de façon informelle, en face à face, en fonction des rapports de force ? Et de façon plus générale en quoi cette triple rationalité déjà évoquée par Gibert (2000), en particulier dans sa dimension politique, impacte-t-elle la définition, l’utilisation et la diffusion d’outils de gestion classiques tels que la comptabilité de gestion, les indicateurs ou les couts standards ?

4Ces points d’interrogation nous ont amené à procéder à une relecture des données obtenues ainsi qu’à des investigations supplémentaires notamment à l’occasion de plusieurs recherches actions visant à la mise en place de tels outils de gestion. Nous avons ainsi pu relever, d’une part, une « politisation » des outils soit qu’ils soient adaptés pour prendre en compte les contraintes politiques ou utilisés par les politiques pour la communication et la négociation avec des parties prenantes internes ou externes à l’organisation. Nous avons pu relever, d’autre part, dans certaines circonstances, une utilisation de ces outils comme supports à la création d’environnements négociés en substitution du contrôle politique. Nous n’avons pu que constater la relative rareté des travaux académiques ou même professionnels consacrés à cette utilisation perçue par nous comme « atypique » des outils de gestion. En particulier, les travaux des chambres régionales des comptes consacrés aux évolutions du pilotage et de contrôle de gestion dans les collectivités locales (2008) n’abordent que très marginalement la problématique de l’affectation des ressources aux associations partenaires et de l’optimisation de celle-ci. Au niveau académique, peu de travaux ont été consacrés à la « politisation des outils de gestion » ce qui nous a été confirmé lors de la participation à un séminaire sur l’analyse des couts dans le secteur public (Gibert, 2007).

5Il s’agit donc ici d’examiner l’intérêt de l’instrumentation de gestion (indicateurs, comptabilité de gestion) pour les collectivités dans le cadre de l’affectation des ressources aux associations partenaires mais aussi de cerner les limites de tels types d’outils ainsi que leur nécessaire adaptation à un environnement politique. Les données (verbatim et statistiques) sur lesquelles sont basées cet article sont issues d’une recherche précédente plus large déjà évoquée (Fabre, 2005) et consacrée au contrôle des associations subventionnées par les mairies françaises dans les secteurs du Sport, de la Culture et de l’Insertion des Jeunes et de la Prévention de la Délinquance. Mais cette étude portait également sur les modes d’attribution des subventions aux associations partenaires ainsi que sur l’instrumentation de gestion utilisée à cet effet, thème qui sera plus spécifiquement développé dans cet article. Les données évoquées y avaient été recueillies sur la base d’une enquête par entretiens semi-directifs portant sur 54 services opérationnels et financiers suivie d’une enquête par questionnaires auto-administrés portant sur 251 services opérationnels. Nous rappellerons dans une première partie les principales failles des formes traditionnelles de répartition des ressources ainsi que l’effort de formalisation et d’introduction de normes fait par les collectivités. On examinera dans une deuxième partie l’intérêt (et les limites) de l’instrumentation de gestion pour la répartition des ressources dans le cadre d’un environnement politique, qu’il s’agisse de valoriser l’effort fourni et d’aider à la négociation ou de permettre la création d’un cadre normé aboutissant à une affectation en apparence dépolitisée des ressources.

1 – Des systèmes d’allocation des ressources de plus en plus complexes

6Le contrôle politique est un mode fréquent d’attribution des ressources dans des organisations publiques locales telles que les mairies (Hofstede, 1978). Subventions et mises à dispositions sont alors accordées sans réelles règles, en fonction des rapports de forces, des paramètres relationnels et politiques et du lobbying local. Ce système n’en présente pas moins de graves failles amenant ainsi les équipes dirigeantes à mettre en place des procédures plus formalisées mais également à définir des critères de répartition sur la base de normes techniques ou de couts standards.

1.1 – Les principales failles des formes traditionnelles de répartition des ressources

7Les principales faiblesses relevées sont relatives à l’absence de réels choix politiques, à des mécanismes d’attribution des subventions clientélistes et finalement peu efficaces ainsi qu’au mauvais suivi des avantages en nature.

1.1.1 – Une absence d’axes prioritaires affaiblissant l’ensemble du processus de contrôle

8Au niveau des mairies, la vérification de l’adéquation des projets associatifs aux politiques publiques locales est théoriquement un élément clé du contrôle de la performance des associations. Dans cette optique, l’existence d’axes prioritaires, définis par les politiques, rend beaucoup plus facile, d’une part, le choix des actions à financer et, d’autre part, la fixation des objectifs et la mesure des résultats (cette dernière n’ayant de sens que par rapport aux objectifs implicites ou explicites dévolus au partenariat associatif). Pourtant, d’après l’étude menée, les difficultés engendrées par l’absence de lignes directrices ou d’axes forts ont souvent été soulignées par les directions opérationnelles interrogées (en particulier dans le domaine de la Culture). Ceci se traduit d’abord dans les villes concernées par la pratique du « saupoudrage ». Faute de critères de sélection l’enveloppe de subventions est partagée entre de nombreuses associations, aboutissant à une dispersion des efforts de la collectivité. « Si on avait des axes forts en disant on va aider tel secteur, tel secteur. Mais ce n’est pas le cas du tout. Alors c’est compliqué de refuser et c’est aussi un éparpillement des subventions… » (une directrice de la Culture). On finit donc par subventionner des associations pour des activités déjà proposées par les services municipaux ou par d’autres associations déjà subventionnées et ayant fait leurs preuves. Outre le gaspillage financier, la dispersion des moyens nuit à la qualité des prestations rendues. « On a quatre clubs de foot avec un niveau minable alors qu’on pourrait en avoir un seul avec un niveau correct… » (un directeur des sports). L’absence de tels axes s’avère relativement fréquente au sein de notre échantillon d’étude (près de 40 % des services n’en sont pas dotés). La proportion s’élève à 50 % pour les services culturels répondants (voir tableau 1). Cette absence mérite une tentative d’analyse. En premier lieu, il peut être tentant pour les élus de ne pas faire de choix et de favoriser la pluridisciplinarité pour d’une part, satisfaire une large gamme de public (Kponton, 2001) et d’autre part, éviter les conflits. En deuxième lieu, définir quelles disciplines artistiques ou sportives on souhaite privilégier, nécessite une compétence (en matière culturelle ou sportive ou autre) qui n’est sans doute pas à la portée de tous les élus, tout particulièrement en début de mandature, ainsi qu’une réflexion approfondie et une prise de décision sur le positionnement à adopter par la commune sur les champs concernés.

Tableau 1

Taux de présence d’axes prioritaires clairement définis au niveau des politiques publiques locales

Tableau 1
Type d’outil utilisé ou non Moyenne des secteurs Culture Insertion Prévention Sport freq % freq % freq % freq % oui 149 59,4 % 45 50 % 37 67,3 % 67 63,2 % Axes d’actions prioritaires clairement définis au niveau de la politique publique projet 22 8,8 % 8 8,9 % 6 10,9 % 8 7,5 % non 80 31,9 % 37 41,1 % 12 21,8 % 31 29,2 % total 251 100 % 90 100 % 55 100 % 106 100 %

Taux de présence d’axes prioritaires clairement définis au niveau des politiques publiques locales

9Une autre difficulté engendrée par l’absence d’axes prioritaires est relative à la fixation d’objectifs réellement quantifiables, au moins pour les associations les plus importantes (les textes légaux prévoyant d’ailleurs l’établissement de conventions d’objectifs au-delà de 23 000 € de subvention). La fixation d’objectifs quantifiables implique, en effet, une idée assez précise des buts assignés à la coopération ville associations. Ceci passe, en particulier, par des politiques publiques locales clairement définies et suffisamment détaillées pour être déclinables au niveau opérationnel, or cette condition n’était pas toujours remplie dans les villes que nous avons étudiées. Il faut dire que les services et les élus n’ont pas toujours la volonté ni les moyens d’assurer un réel contrôle formalisé comme l’illustre ce témoignage d’un directeur financier d’une grande ville: « Nous on assure le contrôle financier. Si on fixe des objectifs trop précis, il faudra que les associations nous justifient l’utilisation des fonds et nous on devra vérifier ! C’est pour ça qu’on a intérêt à faire le plus large possible pour éviter les contrôles sinon on ne s’en sort plus ! ».

10Enfin il apparaît clairement, à la lumière de l’enquête qualitative, que la multiplication du nombre d’associations subventionnées (conséquence fréquente de l’absence d’axes directeurs précis au niveau de la politique publique locale) engendre des problèmes accrus de contrôle en rendant inopérants les mécanismes de supervision directe dont une étude précédente avait montrée toute l’importance (Fabre, 2005) comme l’illustre l’exemple suivant : « La liste des associations qui ont reçu une subvention, c’est quinze pages. En plus dans notre fichier une association peut apparaître sous différents noms A.S.S Machin, Club Machin etc…C’est la difficulté des grosses organisations. Dans les petites collectivités tout le monde se connaît ! » (une directrice des finances). En dispersant les efforts des fonctionnaires territoriaux partagés entre un grand nombre d’associations, elle nuit à la fréquence et donc à l’efficacité des contrôles terrain effectués par ceux-ci.

1.1.2 – Un système de répartition des subventions contestable, inefficace et inflationniste

11Concernant les communes, la fixation des objectifs et l’allocation de moyens adéquats, phase essentielle du processus de contrôle a longtemps été très peu formalisée dans beaucoup de communes observées (objectifs implicites ou non précisés, procédure d’attribution des subventions opaque pour les tiers). Le processus « classique » d’attribution des subventions consiste, grosso modo, en un arbitrage politique opéré par les élus sur la base des dossiers de demande de subvention et de l’avis des services opérationnels concernés. Il est précédé de nombreux contacts, discussions et négociations entre élus, fonctionnaires territoriaux et responsables associatifs. Le débat, quand il a lieu, porte le plus souvent sur l’indexation à la hausse ou le maintien de la subvention de l’année précédente, dans le cadre d’une enveloppe globale.

12Comme le montre le tableau 2, cette procédure traditionnelle est très largement utilisée, mais de façon beaucoup plus importante en Culture et en Insertion Prévention, par rapport au Sport. Dans ce dernier secteur, d’autres systèmes de répartition tels que les grilles de répartition de subvention (que nous évoquerons ultérieurement) semblent l’avoir partiellement supplantée. Un tel système de répartition a souvent été critiqué pour son caractère opaque et inflationniste (très proche dans l’esprit de la budgétisation des centres de coût discrétionnaires). En effet l’attribution des ressources, dans une logique de type « contrôle politique », présente plusieurs inconvénients notables. Elle est d’abord par essence porteuse de conflictualité. Souvent perçue comme non légitime car non justifiée en l’absence de tout critère d’attribution, elle peut engendrer de forts ressentiments envers l’équipe dirigeante mais aussi envers les autres associations concernées par cette répartition. Elle va aussi générer des coûts de transaction importants liés à la lourdeur du processus de négociation ainsi qu’à son caractère récurrent. En fonction des pratiques de l’équipe municipale, elle risque également d’aboutir à un saupoudrage des subventions sur l’ensemble des associations demanderesses, quelque soit le niveau d’activité réel, puis à une reconduction tacite des subventions à l’identique, solution qui s’avère peu équitable et peu motivante. Faute de critères « objectifs », il est, en effet, très difficile de justifier la baisse ou l’arrêt d’une subvention. Pour la même raison, il est également très délicat de refuser un nouveau subventionnement (en particulier dans le cas d’une nouvelle association ou d’un nouveau projet). Les inconvénients induits par cette méthode de répartition des subventions sont d’ailleurs souvent amplifiés par l’absence fréquente d’axes prioritaires précédemment évoquée, aboutissant ainsi à une dispersion accrue des efforts de la collectivité sur une multitude d’associations. Le résultat en est soit une inflation du poste subvention soit une dispersion des efforts de la collectivité (une multitude d’associations bénéficiant de subventions de plus en plus réduites). Une répartition de type politique peut finir également par entraîner des disparités importantes dans l’attribution des moyens, en fonction de la capacité de lobbying des associations. Ces disparités sont souvent extrêmement difficiles à justifier au niveau opérationnel d’où la nécessité de ne pas communiquer sur l’état exact des ressources attribuées à chacun (en particulier pour ce qui est des mises à disposition et prestations gratuites en faveur des associations). Ce manque de transparence peut alors à son tour grandement contribuer à augmenter la conflictualité entre les associations bénéficiaires mais également vis-à-vis de l’équipe dirigeante. L’absence de critères formalisés et la gestion au cas par cas de la répartition des ressources peuvent également poser des problèmes spécifiques aux nouveaux élus (comme nous avons pu le constater lors de nos enquêtes en collectivité qui se sont déroulée après des élections caractérisées par une forte alternance politique). Il leur est alors difficile de reprendre à leur compte un système qui s’assimile pour eux à une véritable boite noire comme l’illustre le témoignage suivant « En fait cette organisation assez informelle fonctionnait relativement bien quand même, parce que il y avait cette forme de confiance et de connaissance du terrain. Aujourd’hui on arrive avec des nouveaux qui n’ont pas de connaissance personnelle des dirigeants d’associations. C’est l’occasion pour nous de mettre en place ces formes de contrôle qui nous sont nécessaires et c’est l’occasion pour eux de mettre en place des outils parce que eux ils ne connaissent pas… » (Un responsable de la cellule étude et conseil aux associations). Il y a alors, apparemment de la part des nouveaux élus une réelle demande pour des outils formalisant et rationnalisant la répartition des ressources. Outre une conflictualité accrue et une dispersion des efforts, au niveau opérationnelle, l’attribution des ressources sur un mode politique prive enfin l’organisation d’un levier d’action significatif. L’utilisation de critères ou de normes de financement correspondant aux objectifs de l’équipe dirigeante permet, en effet, d’agir de façon incitative sur le comportement des entités financées dans le sens de la politique de l’organisation. Leur mise en œuvre dans de tels types d’organisation n’a cependant rien d’une évidence et implique de remplir un certain nombre de conditions que nous examinerons ci-après. Toutefois il convient auparavant d’examiner un autre volet important et méconnu de l’aide consentie par les collectivités aux associations, celui de l’aide « en nature ».

Tableau 2

Taux d’utilisation de l’arbitrage global comme mécanisme d’attribution de subvention

Tableau 2
Type de mécanisme d’attribution de subvention utilisé ou non Moyenne des secteurs Culture Insertion Prévention Sport freq % freq % freq % freq % Arbitrage entre la subvention antérieure, la subvention demandée et l’enveloppe globale pour tous oui 203 82,2 % 85 94,4 % 47 90,4 % 71 67,6 % non 44 17,8 % 5 5,6 % 5 9,6 % 34 32,4 % total 247 100 % 90 100 % 52 100 % 105 100 %

Taux d’utilisation de l’arbitrage global comme mécanisme d’attribution de subvention

1.1.3 – Une prise en compte insuffisante des mises à disposition et prestations gratuites

13Outre les subventions, les mairies apportent une aide matérielle, souvent très importante, principalement par le biais de mises à dispositions gratuites d’équipements sportifs ou culturels ou de locaux, mais également par des mises à disposition de personnels ou des prestations diverses et non tarifées (transport, imprimerie, secrétariat…). Ces mises à disposition et aides diverses sont vitales pour les associations, en particulier les associations sportives dont l’activité implique souvent l’utilisation d’équipements lourds. C’est également le cas des associations culturelles, au moins dans certains domaines. Ces aides en nature ne passent pas par le filtre annuel du conseil municipal (contrairement aux subventions) et de plus concernent souvent plusieurs services (techniques, financiers ou opérationnels) d’où une dispersion de l’information. Il est alors difficile pour les élus et les cadres territoriaux d’apprécier l’effort total consenti par la collectivité pour chacune des associations. Ceci passe théoriquement par la mise en place d’un fichier (très généralement informatisé) permettant une centralisation et une valorisation des informations relatives à la fois aux mises à dispositions mais aussi aux prestations effectuées à titre gratuit par les services de la mairie. D’après l’enquête quantitative menée par nous (voir tableau 3) un peu moins des deux tiers des responsables interrogés disposent de cet outil. Il est particulièrement présent dans le secteur sportif, ce qui semble cohérent, vu l’importance des mises à disposition d’équipements dans ce domaine. « Nous possédons des tableaux de bord ou l’ensemble des aides de la collectivité pour toutes manifestations ou clubs apparaît : coût des équipements, du personnel, du matériel, subvention directe..). C’est un très bon outil… » (Directeur des sports, ville de plus de 50 000 habitants). Les projets de mise en place d’un tel outil y semblent également relativement nombreux, devant aboutir à terme à une présence quasi générale de tels types d’états, au moins au niveau de l’échantillon consulté. La situation est différente dans le secteur Insertion Prévention avec des projets de mise en place pour un cinquième des répondants mais un taux de présence significativement inférieur au secteur sportif.

Tableau 3

Taux de présence des outils de suivi des mises à disposition et prestations gratuites

Tableau 3
Type d’outil disponible ou non Moyenne des secteurs Culture Insertion Prévention Sport freq % freq % freq % freq % Etat centralisé des mises à disposition et des prestations gratuites accordé à chaque association oui 157 62,5 % 54 60 % 28 50,9 % 75 70,8 % projet 47 18,7 % 14 15,6 % 12 21,8 % 21 19,8 % non 47 18,7 % 22 24,4 % 15 27,3 % 10 9,4 % total 251 100 % 90 100 % 55 100 % 106 100 % Système de chiffrage du coût pour la collectivité de ces mises à disposition et prestations en nature oui 127 50,6% 49 54,4 % 24 43,6 % 54 50,9 % projet 61 24,3% 17 18,9 % 10 18,2 % 34 32,1 % non 63 25,1% 24 26,7 % 21 38,2 % 18 17 % total 251 100% 90 100 % 55 100 % 106 100%

Taux de présence des outils de suivi des mises à disposition et prestations gratuites

14L’analyse secteur par secteur doit toutefois être effectuée avec prudence. En effet de tels outils ne semblent, le plus souvent, pas mis en place au niveau du secteur mais au niveau de l’ensemble de la collectivité : « Les données sur les mises à disposition et les prestations gratuites pour toutes les associations subventionnées sont disponibles dans un autre service : Animation et vie associative » (Chef de projet politique de la ville, ville de plus de 20 000 habitants). Ils le sont, semble-t-il, le plus souvent, sous forme d’une base de données utilisable par les différents responsables concernés. « On prévoit la mise en place d’un logiciel concernant toute les associations (culturelles, sportives…) au niveau de la ville et consultable par tous les directeurs ». (Directrice de la culture, ville de plus de 130 000 habitants). La ville est en train de se doter d’un logiciel spécifique pour centraliser toutes les informations et tous les dossiers concernant les associations afin de mieux les connaître, les suivre et contrôler les aides attribuées » (Directeur général adjoint, ville de plus de 20 000 habitants). Mais comme l’a évoqué Henriet (1997), les mises à disposition posent le problème de l’appréciation du coût réel des moyens alloués. Si l’enquête quantitative montre que près de la moitié des collectivités répondantes disposent d’un système de chiffrage, un examen approfondi issu de l’enquête qualitative ainsi que de nombreux contacts avec les collectivités mettent en évidence que ce chiffrage des couts reste très souvent partiel, en particulier du fait de nombreuses difficultés techniques. Il est en particulier difficile de prendre en compte les interventions des services techniques soit directes au service des associations, soit indirectes pour l’entretien des bâtiments mis à disposition (ceci impliquant la mise en place de systèmes de suivi main d’œuvre très lourds). Malgré les faiblesses soulignées, l’effort des collectivités pour assurer un meilleur suivi des avantages en nature semble toutefois réel. Il s’accompagne également d’un effort de rénovation des procédures d’attribution de subvention.

1.2 – Un système de répartition hybride

15De par le resserrement de la contrainte financière, de l’augmentation des contraintes légales et des exigences croissantes en terme de transparence, il semble que l’on assiste, dans une certaine mesure, à une formalisation accrue des procédures d’attribution des subventions et parallèlement à une indexation des subventions sur la base des résultats obtenus, ou au moins sur celle de l’activité réellement déployée.

1.2.1 – Un effort de formalisation par le biais de la contractualisation

16Outre l’arbitrage global, l’allocation des moyens peut également être réalisée sur la base d’une négociation directe entre dirigeants associatifs et élus, négociation qui débouche sur la signature d’une convention ou d’un contrat d’objectif. Dans ce cadre, l’association s’engage à réaliser certaines actions, en cohérence avec les axes de la politique publique locale et en contrepartie la commune s’engage à lui apporter le soutien nécessaire en terme financier, matériel et humain. Les moyens alloués sont également amenés à évoluer à la hausse ou à la baisse en fonction du degré de réalisation des activités ou projets négociés, ce qui permet d’après Carles (1994) de limiter l’inflation du poste subvention.

17Cette méthode est très utilisée, au global et sur l’ensemble des secteurs (voir tableau 4). Toutefois d’après Dupuis (1996), la lourdeur de la procédure d’établissement de tels contrats ou conventions, qui nécessitent de longues négociations et un travail administratif non négligeable, semble réserver l’usage de cet outil aux associations les plus importantes ou les projets les plus importants. L’établissement de tels contrats se heurte également à la difficulté déjà évoquée de fixer des objectifs clairs et quantifiables dans le contexte des collectivités publiques locales. D’ailleurs d’après l’enquête menée, ce mécanisme d’attribution des subventions n’est que rarement utilisée de façon systématique, ceci quelque soit le secteur. Il s’applique le plus souvent (dans trois quart des cas) de manière sélective. Les champs d’application les plus fréquemment évoqués sont les associations les plus importantes, en volume, en budget ou par leur envergure locale (en particulier le haut niveau sportif). Mais sont aussi concernés les nouveaux projets, qu’ils soient portés par de nouvelles associations ou des partenaires déjà financés et ce d’autant plus que le montant sollicité est élevé et que l’ampleur du projet est considérable. Il en est de même pour les manifestations exceptionnelles. D’autres réponses, plus marginales font référence aux affinités politiques ou à la personnalité de certains présidents d’association.

Tableau 4

Taux d’utilisation de la négociation directe élus / dirigeants comme mécanisme d’attribution de subvention

Tableau 4
Type de mécanisme d’attribution de subvention utilisé ou non Moyenne des secteurs Culture Insertion Prévention Sport freq % freq % freq % freq % Négociation directe entre élus et dirigeants d’associations sur la base d’objectifs négociés oui 181 73,3 % 73 81,1 % 33 63,5 % 75 71,4 % non 66 26,7 % 17 18,9 % 19 36,5 % 3 28,6 % total 247 100 % 90 100 % 52 100 % 105 100 %

Taux d’utilisation de la négociation directe élus / dirigeants comme mécanisme d’attribution de subvention

1.2.2 – L’utilisation croissante de normes de financement

18Une autre évolution se traduit d’abord par une utilisation, semble-t-il, croissante de grilles de répartition de subvention. En effet, le conseil municipal décide souverainement du montant des subventions mais comme on l’a précédemment souligné, en l’absence de critères d’attribution, les décisions prises par le conseil municipal sont facilement contestables et les accusations de favoritisme ou de clientélisme peuvent s’avérer dommageables pour l’image de l’équipe municipale. De plus les systèmes de répartition précédemment évoqués : l’arbitrage global et la négociation directe sont, tous les deux, fortement consommateurs de temps. Ceci peut expliquer l’utilisation plus fréquente de grilles ou barèmes permettant une répartition transparente sur la base de critères traduisant les priorités de la politique publique locale tels ceux présentés dans ces deux exemples : « Selon ce système, les principaux faits et gestes des associations donnent lieu à l’attribution d’un certain nombre de points, déterminé en fonction du type d’activité que l’on souhaite encourager. Tel secteur vaut 3 points ; tel autre 4 points ; la prise en charge des jeunes apporte un bonus de 2 points ; le fait de compter plus de 50 membres vaut un point supplémentaire, etc. On fait ensuite le décompte des points de toutes les associations et on divise le montant total des subventions… » (Belorgey, 2001, p 265) ; Sont ainsi pris en compte d’abord le nombre d’adhérents, mais surtout la progression des adhésions, le rayonnement de l’association (qui peut être mesuré par le nombre de kilomètres parcourus), l’évolution de la part d’autofinancement dans les dépenses de fonctionnement, l’appartenance ou non à une fédération nationale ou internationale. Chaque association se voit ainsi attribuer une note. Le montant global des subventions attribuables est divisé par le nombre de point obtenus par les différentes associations : on obtient ainsi la valeur du « point- subvention ». Chaque association recevant ensuite une quote-part équivalente à sa note. » (Tricot, 2000, p 66).

19Cette solution présente de nombreux avantages car les grilles de répartition sont, à la fois, un système d’incitation qui peut permettre d’orienter les associations vers certaines activités jugées prioritaires mais aussi un système de contrôle complet qui permet une fixation implicite des objectifs à atteindre, un calcul automatique des moyens à allouer et par la suite une évaluation « objective » des réalisations sur la base des critères retenus. Elle permet en outre d’après Henriet (1999, p 426) « De répondre au souci d’équité et de transparence, d’obliger les tiers à fournir les informations nécessaires pour obtenir les soutiens demandés, d’être mieux armé pour faire face aux pressions tant internes qu’externes ». Toutefois, l’étude de la littérature professionnelle confirmée par notre enquête, semble montrer que ces grilles, si elles semblent très utilisées dans le domaine sportif, ne le sont que peu pour la détermination des subventions dans les autres domaines, objets de notre étude : Culture et Insertion des jeunes et Prévention de la délinquance (voir tableau 5). Sur l’échantillon consulté et concernant la mise à disposition de cet outil, les statistiques mettent en évidence des différences très significatives entre les services des sports d’une part et les services chargés de la Culture et de l’Insertion Prévention d’autre part. Plus des deux tiers des services des sports disposent déjà de cet outil et un pourcentage notable envisage sa mise en place. « Une étude est en cours pour une répartition des subventions par critères tant sur la méthode que sur la validation politique » (responsable des sports et des grandes manifestations, ville de plus de 130 000 habitants).

Tableau 5

Taux de présence des grilles de répartition de subvention

Tableau 5
Type d’outil utilisé ou non Moyenne des secteurs Culture Insertion Prévention Sport freq % freq % freq % freq % Grilles de répartition de subvention oui 108 43,2 % 26 28,9 % 14 25,9 % 68 64,2 % projet 23 9,2 % 5 5,6 % 2 3,7 % 16 15,1 % non 119 47,6 % 59 65,6 % 38 70,4 % 22 20,8 % total 250 100 % 90 100 % 54 100 % 106 100 %

Taux de présence des grilles de répartition de subvention

20Il n’en est de même que pour un peu plus d’un quart des autres services et les projets de mise en place semblent beaucoup moins fréquents. Ces grilles semblent surtout utilisées pour déterminer le montant des subventions de fonctionnement mais elles constituent en fait un système complet de contrôle facilitant la fixation des objectifs et l’évaluation des moyens ainsi que le contrôle de l’activité : « La subvention de fonctionnement est critérisée. Le dispositif facilite le contrôle de l’activité des associations » (responsable des sports et adjoint au sport, ville de plus de 20 000 habitants).

21L’ensemble de l’étude met donc en relief un réel effort des collectivités pour se doter d’outils ou de systèmes de gestion à même de les aider dans la répartition des ressources. Si leur cohérence avec les logiques de rationalité financière et opérationnelle précédemment évoquées ne semble pas poser problème, leur utilisation doit également intégrer la dimension politique inhérente aux organisations publiques.

2 – Les outils de gestion à l’épreuve de la politique

22Nous nous focaliserons d’abord sur l’utilisation de la comptabilité de gestion comme instrument de valorisation de l’effort fourni mais également comme outil d’argumentation politique rejoignant ainsi l’analyse de Burchell et al (1980). Nous examinerons ensuite la possibilité d’introduire des normes techniques ou des couts standards pour la répartition des moyens, dans des organisations ou le contrôle politique est considéré comme le mode habituel de répartition des ressources (Hofstede, 1978 ; Mintzberg, 1982)

2.1 – La valorisation de l’effort fourni : une machine au service de l’argumentation politique

23En collectivité, nous avons pu constater l’utilisation fréquente des outils de contrôle de gestion, en particulier la comptabilité analytique, comme outils d’aide à la négociation mais également comme instrument de valorisation de l’effort fourni. On retrouve ici le concept « d’Ammunition Machine » développé par Burchell et al (1980). Dans le cas ou les objectifs de l’organisation sont complexes, incertains ou s’il n’y a pas de consensus sur ces objectifs (ce qui correspond souvent à des contextes où les décisions sont fortement politiques) les informations de gestion vont être utilisées de façon sélective, afin de défendre les intérêts d’une des parties prenantes. D’où l’intérêt pour les mairies de disposer d’outils de gestion permettant la mesure de l’effort fourni à la fois pour aider à la négociation avec les associations mais également pour mieux valoriser l’effort fourni auprès de ces mêmes associations. Mais l’utilisation de tels outils soulève deux problèmes adjacents, l’un relatif à la pertinence limitée des informations utilisées, l’autre relatif aux dangers supposés ou réels de la diffusion des informations obtenues.

2.1.1 – La valorisation de l’effort fourni : un intérêt limité pour le politique ?

24Nous avons pu remarquer l’utilisation d’outils de consommation des ressources souvent simplifiés (absence de valorisation, non prise en compte des charges indirectes) pour faciliter la négociation avec les associations (en particulier pour l’attribution de ressources) mais également pour mieux valoriser l’effort fourni par la collectivité. Concernant les communes, nous avons ainsi constaté que l’objectif des systèmes d’informations centralisés relatifs aux ressources allouées aux associations (en termes de subventions, mises à disposition et prestations gratuites) est essentiellement de faire prendre conscience aux associations de l’effort réel de la commune et de son coût pour elle. En rendant possible des comparaisons inter-associations, ils permettent aussi aux politiques de mieux gérer les demandes toujours croissantes des partenaires associatifs. Ce type de démarche dont on a du mal à trouver l’équivalent dans le secteur privé n’est guère évoqué par les articles de référence sur l’analyse des coûts dans les collectivités (Gibert, 1995 ; Demeestère 2007). Toutefois concernant la pertinence des informations produites, nous avons précédemment relevé, au niveau des mairies, les nombreuses carences des systèmes de suivi des mises à disposition et des prestations gratuites (en particulier leur absence de valorisation qui rend plus difficile les comparaisons inter-associations). En effet cette valorisation permet la détermination d’un cout par participant, ce qui a pour avantage de mettre en évidence les disparités entre associations et de mesurer plus clairement le rapport cout efficacité des moyens alloués (en général par le biais d’un cout par participant). Mais faute d’outils analytiques adaptés, les responsables se contentent souvent d’informations non valorisées (nombre d’heures d’intervention, nombre d’heures d’équipement mis à disposition) ou bien d’informations simplifiées de type « cout direct » ne prenant pas en compte les charges indirectes ou les prestations interservices. Toutefois, d’après les propos recueillis, ceci n’est pas forcément un handicap pour le politique. D’une part, si les informations sont non consolidables, faute de valorisation, elles présentent l’avantage d’être moins contestables (car il faut être à même de justifier les couts auprès des associations partenaires). D’autre part, une approche en cout direct n’est pas réellement problématique car il s’agit moins d’évaluer l’effort de façon absolue que de pouvoir comparer les associations entre elles sur la base d’un cout par participant ou par inscrit.

2.1.2 – La transparence de l’information : un danger potentiel pour le politique

25De tels systèmes une fois mis en place, l’équipe municipale doit déterminer si elle doit largement diffuser l’information obtenue ou s’en servir de façon plus sélective, en face à face, en laissant volontairement les autres parties prenantes dans l’ignorance. En effet comme on l’a vu précédemment, le contrôle politique comme mode d’attribution des ressources peut engendrer des disparités importantes entre les allocataires. Dès lors, révéler de telles disparités implique de pouvoir les justifier, exercice particulièrement difficile qui risque en cas d’échec d’augmenter la conflictualité au sein de l’organisation. Le risque est évidemment de devoir faire face à des demandes multiples d’alignement sur le mieux doté. Ainsi la transparence dans l’allocation des moyens peut apparaître non souhaitable à l’équipe de direction municipale. C’est ce que nous avons pu constater dans la partie de notre étude sur les mairies consacrée aux systèmes de suivi centralisé des moyens alloués aux partenaires associatifs. Concernant les municipalités interrogées, d’après les renseignements recueillis, lorsque l’information existe à ce niveau, il semble qu’il y ait une certaine réticence à l’utiliser de façon systématique et plus encore à rendre cette information publique. Ceci s’explique, car à cette occasion, il est effectivement souvent mis en évidence des disparités importantes dans les moyens alloués, par rapport à l’activité déployée. En effet, les mises à disposition ne repassant pas par le filtre du conseil municipal, ceci favorise la prime à l’antériorité et le maintien des avantages acquis. « Les aides indirectes, potentiellement on a les éléments… Donc on s’en sert quand l’élu reçoit un club… Ça lui permet d’avoir une vision globale de l’aide apportée…La position de l’élu c’est de dire au club de ne pas trop les claironner ces aides indirectes. Parce que si on ne fait pas attention, les soixante clubs sont susceptibles de diffuser l’information. Et si c’est diffusé, il faudra justifier et il n’y a pas forcément une explication très cartésienne sur la répartition de ces aides indirectes ». (Un responsable Sport Jeunesse). Les informations collectées sont donc généralement utilisées de façon ciblée lors des face à face entre élus et responsables associatifs pour valoriser au plus juste l’effort consenti par la municipalité en intégrant les mises à dispositions et prestations gratuites et pouvoir ainsi diminuer les exigences des partenaires associatifs, notamment en matière de subvention. Mais, comme nous allons le voir, même dotés d’outils comptables permettant une plus juste mesure de la consommation de ressources des différentes parties prenantes et de son adéquation à l’activité déployée (souvent mesurée en nombre de bénéficiaires) voire du résultat obtenu, les élus et fonctionnaires territoriaux restent confrontés à la perspective de négociations longues et difficiles avec les associations qui disposent d’un certain nombre de moyens d’influence et de pressions. Dès lors, pour éviter cette phase, il est tentant pour les dirigeants de déterminer des normes de financement qui vont s’imposer à tous, celles-ci permettant, en outre, d’une part d’évaluer la « normalité » de la consommation de ressources, d’autre part de fixer des objectifs de coût mais aussi des objectifs « opérationnels » aux associations (par exemple en terme d’effectif à atteindre).

2.2 – L’introduction de normes pour la répartition des moyens : une nécessaire prise en compte des contraintes politiques

26Comme on l’a vu précédemment, l’utilisation de normes pour la répartition des ressources (qu’il s’agisse de grilles de répartition ou de coûts moyens) semble assez largement généralisée en collectivité. Mais ce système semble réservé à des situations particulières du fait d’un certain nombre de contraintes dont notamment les paramètres politiques. De plus, du fait des mêmes paramètres, son implantation en collectivité semble beaucoup plus ressortir d’une logique de négociation entre les parties prenantes que d’une logique purement managériale.

2.2.1 – Des conditions d’utilisation restrictives du fait des contraintes politiques et opérationnelles

27Comme on a pu le constater précédemment, l’analyse statistique met en évidence une utilisation beaucoup plus fréquente des grilles de répartition par les services des sports. Cette utilisation contingente d’un mode de répartition mérite d’être éclairée. A cet effet, le modèle d’Hofstede (1981) semble particulièrement pertinent, celui-ci ayant élaboré un modèle de choix des modes de contrôle spécialement conçu pour être utilisable également pour des organisations publiques et, de plus, particulièrement adapté aux problématiques de contrôle des coûts et d’allocation des ressources. Notons qu’Hofstede fait fréquemment référence aux cas des collectivités locales pour illustrer l’applicabilité de son modèle. C’est ainsi qu’Hofstede insiste particulièrement sur le caractère ambigu des objectifs pour ce qui est du gouvernement des villes. Cette ambiguïté résulte, d’après lui, du partage du pouvoir entre des groupes et individus poursuivant des objectifs différents, inhérent à ce type d’organisation et elle est encore amplifiée dans les villes par les divergences pouvant exister entre élus et fonctionnaires territoriaux. Il remarque également le caractère peu quantifiable des outputs produits par la plupart des services municipaux et associations. Le modèle de contrôle d’Hofstede s’exprime par le biais d’un arbre de décision qui distingue six modes de contrôle possibles à partir de quatre critères de différenciation évoqués :

  • Les objectifs sont-ils ambigus ou non ?
  • Les résultats sont-ils quantifiables ou pas ?
  • Les effets des actions entreprises sont-ils prévisibles, le processus de transformation est-il connu ?
  • L’activité est-elle répétitive ou au moins peut-on capitaliser une certaine expérience ?
Sur les six modes de contrôle proposés, trois sont à processus cybernétique (Chiapello, 1996). Ils impliquent la référence à une norme, qu’elle soit issue d’un calcul technico-économique (contrôle routinier) d’un rapport coûts / avantages (contrôle par essais et erreurs) ou de l’expérience d’un expert (contrôle par expert). Ils impliquent également l’ajustement des résultats ou de la norme au moyen de boucles de rétroaction. Les trois autres sont des modes de contrôle à processus non cybernétique. Il peut en effet être impossible de se référer à une norme, en l’absence d’objectifs clairs (contrôle politique). Il peut être également impossible d’établir une boucle de rétroaction, faute de pouvoir mesurer le résultat (contrôle par jugement) ou du fait du caractère non répétitif de l’activité contrôlée (contrôle intuitif).

28Concernant les mairies, à la lumière de ce modèle et à l’analyse des caractéristiques du partenariat villes-associations, il apparaît que pour qu’un contrôle routinier (auquel on peut rattacher les grilles de répartition de subvention) puisse être mis en œuvre, certaines conditions doivent être réunies :

  • Les objectifs assignés aux associations par la collectivité doivent être clairement définis or ceci peut s’avérer particulièrement délicat surtout en l’absence d’axes prioritaires (ce qui est fréquemment le cas dans le domaine culturel) mais aussi du fait du contexte politique (divergences entre les parties prenantes, objectifs non communicables sans risque politique…)
  • Les outputs doivent être mesurables or il semble par exemple plus facile de mesurer les outputs dans le domaine sportif et même culturel que dans le domaine social (particulièrement pour des champs tels la prévention de la délinquance ou l’insertion sociale) ;
  • Les effets des actions, le processus de servuction, doivent pouvoir être appréciés or ceci semble beaucoup plus évident pour des activités codifiées comme le sport de masse ou les activités éducatives (musique ou danse). Inversement le haut niveau sportif ou les activités de création culturelle, par exemple, s’y prêtent beaucoup moins ;
  • L’activité doit être répétitive ce qui n’est pas toujours le cas car la ville finance des activités courantes mais aussi des projets (nouveau spectacle, nouvelle manifestation sportive, nouvelle activité) donc sans référence.
On remarquera donc que les conditions pour un contrôle routinier (incluant donc le contrôle de gestion mais également les systèmes de grille de répartition de subvention) sont très restrictives mais peuvent toutefois être réunies pour certaines activités (en particulier pour les associations sportives mais également plus largement pour les activités éducatives). Toutefois, en admettant même que les conditions d’utilisation des normes techniques ou financières soient réunies, il reste à définir des modalités de mise en œuvre dans un contexte a priori peu favorable. En effet, en collectivité, malgré le pouvoir hiérarchique du maire renforcé par sa légitimité démocratique, il est également nécessaire de composer avec les parties prenantes et de tenir compte des rapports de force.

2.2.2 – Les modes d’introduction des normes et leurs limites

29Une première possibilité consiste tout simplement à tenter d’imposer aux associations partenaires un système de grilles de répartition de subvention ou des coûts moyens par licencié ou participant. Ceci implique toutefois que les dirigeants disposent d’une autorité suffisante et que le rapport de force soit en leur faveur. C’est particulièrement le cas pour les dirigeants nouvellement élus et bénéficiant donc d’une forte légitimité. Ce sont ces dirigeants dont on a pu noter précédemment l’intérêt pour une démarche plus formalisée de répartition des ressources. Ainsi, concernant les mairies, les grilles de répartition de subvention sont souvent imposées par les équipes dirigeantes, particulièrement suite à une alternance politique. Toutefois les associations peuvent refuser ces normes imposées, soit globalement, si on a affaire à une équipe dirigeante en position de faiblesse (à la veille d’une consultation électorale par exemple), soit individuellement, si elles disposent d’une puissance de négociation suffisante. C’est ainsi que, d’après notre étude, les normes ne s’imposent pas pour le sport de haut niveau ou les manifestations importantes qu’elles soient culturelles ou sportives. Dans ce cadre le contrôle semble rester essentiellement de type politique, du fait d’objectifs multiples et non formulables (importance des enjeux en terme de satisfaction des électeurs et d’image de la ville et de l’équipe municipale) mais aussi parce que les enjeux sont tels que le rapport de force n’est pas forcément favorable aux élus. De plus la mise en œuvre de telles procédures peut se heurter à l’influence des paramètres relationnels, dont on a signalé l’importance au niveau local (Fabre, 2006) ; l’exemple ci-dessous étant, à cet égard, très significatif : « Certains élus locaux arriveront à faire avaliser par leur conseil municipal une grille d’analyse plus ou moins objective grâce à laquelle, d’une année sur l’autre, la subvention accordée à telle association sera susceptible d’évoluer selon des critères à peu près cohérents : résultats obtenus durant l’année écoulée, nombre de licenciés, projets développés et envisagés, situation de trésorerie, présence prépondérante ou pas d’administrés, etc. Mais l’attribution d’une subvention à telle structure associative ne relève pas toujours d’éléments strictement rationnels. L’élu, en ne subventionnant pas -ou moins qu’auparavant- telle association, peut donner le sentiment « d’abandonner » telle structure collective… Il va venir voir le directeur général des services afin de trouver « une queue de crédit » permettant à la collectivité de « faire un geste »… Ou bien faudra t’il recevoir le responsable associatif afin de lui faire comprendre, en présence de l’élu concerné, que si cette année la subvention diminue, les décideurs politiques et administratifs sont prêts à revoir leur position dès l’amorce d’un projet nouveau défendu par nos bénévoles ?… » (Landot, 2002, p 7). Une autre option utilisée par les mairies consiste a contrario à négocier la norme. Elle correspond à une possibilité évoquée par Hofstede du recours à la négociation de façon à obtenir le consensus entre les parties prenantes et donc des objectifs partagés. Dans ce dernier cas, les outils de gestion vont être utilisés comme supports à la création d’environnements négociés en substitution du contrôle politique. C’est ainsi que concernant les grilles de subvention, quelquefois celles-ci sont imposées mais la plupart du temps elles font l’objet d’une intense négociation préalable avec les parties-prenantes ou sont conçues pour être acceptables par tous. La conception de ces grilles est souvent du ressort de l’office municipal des sports (organisme de coopération réunissant des représentants de la ville et du monde associatif reconnus pour leur expertise). Les offices municipaux des sports semblent, en effet, jouer assez fréquemment un rôle important dans le processus de répartition des subventions. « Pour les subventions de fonctionnements, les répartitions sont faites sur proposition de l’O.M.S et validées par l’élu en charge des sports » ; (Responsable du service des sports, Ville de plus de 25 000 habitants). Ils constituent, en effet, une structure facilitant la concertation, sans doute perçue comme plus objective et pouvant, le cas échéant, jouer un rôle de tampon entre la mairie et les associations : « Pour la mise en place des grilles et critères, on est passé par l’O.M.S. L’élu ne voulait pas le faire en direct, pour ne pas se faire désintégrer ! » ; (Directeur des sports, Ville de plus de 30 000 habitants). Une norme doit être sans doute être négociée et adaptée au contexte local pour pouvoir être pleinement acceptée ou au minimum les contraintes et situations spécifiques doivent être prises en compte de façon à ce qu’elle devienne acceptable par tous (Bernard, 2005). Dans ce sens, on peut dire que paradoxalement une politisation des outils de gestion (ou au moins une prise en compte des contraintes politiques) permet de passer d’un mode d’attribution des ressources «politique » et non cybernétique à un mode de répartition des ressources « routinier » et de type cybernétique. On est ici très proche de la notion « d’environnement négocié » développé par Pfeffer et Salancik (1978), dont le principe est de réduire l’incertitude née de la dépendance en structurant les relations d’échange par le biais de liens formels ou semi-formels, autrement dit d’œuvrer dans le sens d’une formalisation des rapports de façon à aboutir à un environnement plus prévisible sinon plus stable. L’avantage pour tous les parties prenantes est d’offrir un cadre normé à la répartition des ressources tout en prenant en compte les spécificités de chacun et en générant d’importantes économies en termes de coûts d’influence.

Conclusion

30Globalement cette étude remet en lumière l’intérêt de disposer d’outils comptables et de gestion, même dans des organisations où le contrôle politique (au sens d’Hofstede) est le mode classique de répartition des ressources. Ces outils présentent en effet l’avantage de permettre un diagnostic partagé par les différentes parties prenantes et semblent donc pouvoir, dans certains cas, réduire la conflictualité, voire même aboutir à une certaine homogénéisation des objectifs ouvrant la voie à un contrôle de type « routinier ». Ils offrent également une certaine protection aux décideurs contre les pressions politiques internes et facilitent, dans une certaine mesure la prise de décision dans l’affectation des ressources. Si les outils évoqués sont souvent adaptés pour tenir compte des contraintes politiques, on peut constater également que cette adaptation facilite la diffusion de ces mêmes outils ainsi que leur acceptabilité par les entités contrôlées et parallèlement permet la mise en place d’une démarche de contrôle de gestion dans des organisations constituant a priori des environnements peu favorables. Ceci n’a rien de surprenant si l’on considère avec Chapet (2007) que les outils de gestion ne pénètrent dans l’action publique que pour servir le politique. Mais les constatations faites au cours des recherches précédemment évoquées vont à l’encontre d’autres conclusions de l’auteur. Pour lui l’évaluation de politique publique et le contrôle de gestion représentent un risque de mettre en évidence des écarts importants entre résultats et objectifs affichés ainsi qu’une pression envers le décideur pour expliciter les éventuelles incohérences entre objectifs et moyens, ce qui explique une diffusion difficile en collectivité. La fréquence d’utilisation des grilles de répartition montre qu’une démarche complète de contrôle de gestion peut pourtant s’implanter en collectivité et être largement diffusée. Cette dernière constatation va également à l’encontre des constatations faites par Chatelain Ponroy (2008) lors de ces recherches sur les universités et les musées, celle-ci constatant que les outils de gestion dans les organisations publiques ont surtout pour vocation à faire remonter des informations aux autorités de tutelle. Il faut toutefois noter que les situations étudiées bien que relatives aux mêmes organisations ne sont absolument pas comparables. Dans un cas, l’outil est mis en place par l’équipe dirigeante pour satisfaire avant tout à une demande externe à l’organisation. Dans l’autre cas, des outils sont mis en place par l’encadrement intermédiaire pour mieux gérer la répartition des ressources à destination des unités opérationnelles que sont de fait les associations partenaires. Finalement ces deux visions s’avèrent complémentaires et montrent toute la difficulté d’une approche globale du contrôle des organisations publiques ainsi que la nécessité de définir précisément lors de chaque étude la strate organisationnelle que l’on souhaite appréhender.

Bibliographie

Bibliographie

  • Barzasi S., Braemer N. (2008), « Elections : des associations qui pèsent ! », La Lettre du Cadre Territorial, N° 353, février, 13-16.
  • Belorgey J-M, (2001). « Elus locaux et associations : Visions croisées », La gazette des communes, n° 1607, 30 juillet 2001, pp. 263- 277.
  • Bernard B. (2005), « Les paradoxes des indicateurs émergents », Gérer et Comprendre, N° 80, juin, 23-31.
  • Burchell S., Clubb C., Hopwood A., Hughes J. Et Nahapiet J. (1980), « The Roles of Accounting in organizations and Society », Accounting, Organizations and Society 5 (1): 5-27.
  • Carles J. (1994), « Externalisation de la gestion de services », Editions techniques, Juris-classeurs, Collectivités territoriales, Fascicule 2130.
  • Chapet J-M. (2007), « Le système de gestion des collectivités territoriales : entre performance et délibération », Politiques et management public, volume 25, n° 4, décembre, 1-19.
  • Cellier F., Chatelain-Ponroy S. (2005), « Les objectifs de performance et l’objectivité de la notion de performance », Workshop Ville Management : les objectifs de performance et l’objectivité de la notion de performance.
  • Chatelain-Ponroy S. (2008), « Les bureaucraties professionnelles non lucratives, une proposition de modélisation », Note de synthèse des activités de recherche, Habilitation à Diriger des Recherches, Université Paris Dauphine
  • Chiapello E. (1996), « Le contrôle de gestion dans les typologies des modes de contrôle et leurs facteurs de contingence : un essai d’organisation de la littérature », Comptabilité Contrôle Audit, Tome 2, septembre, 51-74.
  • Cour des comptes. (2008), « les évolutions du pilotage et du contrôle de la gestion des collectivités locales, disponible sur www.ccomptes.fr
  • Demeestère R. (2007), « L’analyse des coûts : public et privé », Politiques et management public, volume 25, n° 3, septembre, 101-114.
  • Dupuis J, Carlier B, Letartre J-P, Vanvliet N. (1996), La gestion des satellites : pilotage et contrôle, Dossiers d’experts, la lettre du cadre territorial.
  • Fabre P. (2005), « Le contrôle des associations par les villes françaises : étude comparative portant sur les secteurs sport, culture et prévention de la délinquance » Doctorat en Sciences de Gestion, Université d’Orléans.
  • Fabre P. (2005), « L’évaluation de la performance des associations dans les villes françaises, entre proximité et contingence », Comptabilité Contrôle Audit, Volume 1, tome 11, juin 2005, 55-78.
  • Fabre P. (2006), « Mairies et associations partenaires : l’impact des relations interpersonnelles sur le processus de contrôle » Humanisme et entreprise, N° 279, octobre 2006.
  • Gibert P. (1995), « La difficile émergence du contrôle de gestion territorial », Politiques et management public, volume 13, n°3, décembre, 203-224.
  • Gibert P. (2000), « Mesure sur mesure », Politiques et management public, volume 18, n°4, décembre, 60-89.
  • Gibert P. (2007), « L’analyse des coûts dans le public : un équilibre impossible ? », Journée d’étude de l’Institut de management public, Paris ESCP-EAP, novembre.
  • Henriet A. (1997), « Politique sportive et management communal », Cahier de recherche n°1 Management public local, Laboratoire collectivités locales, Université d’Orléans, mai, 27-51.
  • Henriet A. (1999), « L’impartition opportuniste : une spécificité du management public local », Actes du colloque : Deuxièmes Rencontres Ville Management, Dalloz, 413-431.
  • Hofstede, G. (1978). The Poverty of Management Control Philosophy. Academy of Management Review. Juillet : 450-461.
  • Hofstede G. (1981), « Management Control of Public and Not-for-profit Activities », Accounting, Organizations and Society, Vol 6, n° 3, 193-211.
  • Kponton E. (2001), Conception et mise en œuvre d’une saison culturelle, Dossiers d’experts, la lettre du cadre territorial.
  • Landot E, Narcyz A. (2002), Communes et associations : quelles relations ? Dossiers d’experts, la lettre du cadre territorial.
  • Mintzberg, H. (1982), Structure et dynamique des organisations. Les Editions d’Organisation.
  • Pfeffer J, Salancik G. (1978), the External Control of Organization, New York, Harper & Row Publishers.
  • Tricot H. (2000), « Associations, un monde en pleine croissance pour fêter un centenaire», Maires de France, novembre, 63-67.

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.88

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions