Notes
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[1]
Nabila Jawadi, Professeur assistante, Groupe Sup de Co Amiens, HuManiS, nabila.jawadi@supco-amiens.fr
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[2]
Cité par Denison et al., (1995).
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[3]
Nous reprenons ici les termes utilisés par différents membres d’équipes virtuelles interviewés lors de notre étude empirique.
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[4]
Le choix de ce module est expliqué par la facilité d’y accéder dans la mesure où il est dispensé par le directeur de thèse de l’auteur de cet article.
1Les TIC ont facilité l’apparition des équipes virtuelles, un nouveau mode d’organisation du travail permettant l’accès aux compétences indépendamment de leur localisation (Townsend et al., 1998). Les équipes virtuelles permettent aux organisations la réduction des coûts de fonctionnement, une flexibilité accrue et le développement des partenariats et alliances inter-organisationnels (Coat et Favier, 1998 ; Kalika, 2006). En ce sens, la notion de coprésence n’est désormais plus indispensable puisque la virtualité « permet d’envisager un travail 24 heures sur 24 tout autour de la planète » (Coat et Favier, 1998 : p. 194). Cependant, ces avantages ne doivent pas occulter les problèmes découlant des spécificités des équipes virtuelles et les défis qu’elles posent (Cascio, 2000 ; Langevin et Picq, 2001 ; Montoya-Weiss et al., 2001).
2La délocalisation des membres, leur diversité culturelle, les nouveaux paramètres de la communication, de l’espace et du temps constituent autant de facteurs poussant à une remise en cause des modèles de gestion habituellement appliqués au travail en équipe (Dameron et Joffre, 2007 ; Montoya-Weiss et al., 2001). Il devient alors impératif de repenser les pratiques managériales traditionnelles et de les intégrer dans une logique globale du e-management adaptée au contexte virtuel afin d’assurer la performance des équipes virtuelles. Identifier les facteurs de performance des équipes virtuelles devient alors une problématique qui intéresse plusieurs chercheurs dans différents domaines (systèmes d’information, gestion des ressources humaines, stratégie). Dans ce cadre, on peut noter des recherches théoriques et empiriques sur la prise de décision, sur la supervision et le contrôle, sur la communication et la coordination, sur la confiance et sur le leadership (Avolio et al., 2001 ; Henderson et McAdam, 2001 ; Langevin et Picq, 2001 ; Kanawattanachaï et Yoo, 2002 ; Montoya-Weiss et al., 2001). Les deux derniers concepts constituent le centre d’intérêt de la présente recherche.
3En dépit de l’importance des résultats des études antérieures, aucune recherche, à notre connaissance, ne s’est exclusivement intéressée au rôle joué par l’e-leader dans le processus de construction et de développement de la confiance dans son équipe ainsi que les effets des interactions entre la confiance et le leadership sur la performance. Pourtant, un tel sujet présente un intérêt particulier aussi bien pour les chercheurs que pour les praticiens. En effet, selon Jarvenpaa et al., (1998) et Jarvenpaa et Leidner (1999), l’existence d’un leader constitue une source d’établissement de la confiance et un facteur renforçant son niveau. Cependant, ni le style de leadership, ni les mécanismes par lesquels il influence la confiance n’ont été précisés et analysés. Par conséquent, rares sont les travaux qui proposent des leviers d’actions permettant aux responsables des équipes virtuelles de mieux les gérer et de garantir leur succès. Dès lors, il est légitime de se poser la question suivante : Dans quelle mesure l’e-leadership contribue-t-il à la gestion de la confiance dans les équipes virtuelles ? Quels sont les effets de l’interrelation entre le leadership et la confiance sur la performance de l’équipe ?
4L’étude de cette problématique cherche combler les lacunes de la littérature existante sur les équipes virtuelles. Pour ce faire, nous nous intégrons dans une approche de la complexité comportementale du leadership qui présente les comportements et les actions d’un leader efficace. Nous mobilisons les apports de cette théorie pour analyser la contribution des e-leaders à la gestion de la confiance et de la performance dans leurs équipes dans l’objectif de construire le modèle théorique de notre recherche (section 1). Ensuite, nous confrontons, les développements théoriques au terrain au travers d’une étude qualitative longitudinale basée sur l’observation de dix équipes virtuelles (section 2). Les résultats de cette étude seront présentés et discutés afin de montrer les spécificités des processus de gestion de la confiance et de la performance dans les équipes virtuelles (section 3). Nous concluons avec les contributions de ce travail à la littérature et au management des équipes virtuelles ainsi que ses limites et les voies futures de son extension.
1 – Fondements théoriques de la recherche
1.1 – L’e-leadership et la complexité comportementale
5L’approche de la complexité comportementale a été récemment introduite dans le domaine du leadership. Elle offre un cadre théorique intégrateur dans la mesure où elle prend en considération les traits du leader, sa personnalité, ses comportements ainsi que les facteurs de contingence (Lischtenstein et al., 2006; Uhl-bien et Marion, 2009). Cette approche est enracinée dans la théorie de la complexité développée pour étudier les systèmes complexes adaptatifs (Schneider and Sommers, 2006). Elle présente, de ce fait, une perspective dynamique de l’étude du leadership organisationnel (Hogue and Lord, 2007; Hunter et al., 2009; Uhl-Bien et al., 2007).
6L’application de la théorie de la complexité dans le domaine du leadership implique que le leader doit avoir les compétences cognitives et comportementales lui permettant de gérer des situations complexes et contradictoires. En ce sens, « les leaders doivent avoir la capacité, à la fois, de concevoir et d’accomplir plusieurs rôles contradictoires » (Denison et al., 1995, p : 525). La théorie de la complexité du leadership repose ainsi sur la complexité cognitive et comportementale du leader (Hooijberg, 1997). La première se réfère à la capacité individuelle de confronter un ensemble de facteurs ambigus et contradictoires (Carmeli et Halevi ; 2009). La seconde désigne la capacité du leader à développer et accomplir simultanément plusieurs rôles pouvant être conflictuelles. Elle se base, alors, sur deux concepts : le répertoire de comportements et la différentiation (Wu et al., 2009). Alors que le premier désigne le portefeuille de comportements développés par le leader, le second décrit la capacité de changer d’un comportement à un autre pour gérer des situations paradoxales. A cet effet, la différenciation est fortement reliée à la complexité cognitive dans la mesure où elle implique l’adoption de comportements contradictoires tout en en restant intègre et crédible (Hooijberg et al., 1997).
7Pour identifier les comportements composant le portefeuille d’un leader efficace, Denison et al. (1995) se sont basés sur le modèle des rôles du leadership de Quinn (1984, 1988) [2]. Ils ont classé les 8 rôles proposés par Quinn au sein de 4 catégories en se basant sur deux dimensions : la stabilité versus la flexibilité et l’orientation interne versus l’orientation externe. Ces deux dimensions sont censées exprimer la contradiction et le paradoxe dans les comportements du leader. Les catégories de rôles ainsi identifiées sont :
8a- Les rôles d’adaptation à l’environnement de l’organisation : Cette catégorie englobe les rôles d’innovateur et de médiateur. Un leader innovateur est un leader créatif et visionnaire qui encourage et facilite le changement (Lawrence et al., 2009). Le deuxième rôle concerne le développement et le maintien des réseaux et des relations externes permettant à l’équipe de rester à l’écoute de son environnement externe.
9b- Les rôles de poursuite et d’atteinte des objectifs : Il s’agit de la définition et du suivi des objectifs d’efficacité et de performance à travers les rôles de directeur et de producteur. Le rôle de production implique la définition des objectifs, la clarification des tâches et des attentes. Le rôle de direction est orienté vers la gestion et l’encouragement des comportements permettant d’accomplir de ces tâches.
10c- Les rôles relatifs aux processus internes : Il s’agit particulièrement des rôles de contrôle et de recherche de stabilité à travers la coordination et le monitoring. Le leader coordinateur cherche à maintenir les structures de travail, à fixer et à faire respecter le planning d’exécution des activités et à assurer le respect des normes de comportements et de travail. Le leader moniteur gère la collecte et la distribution des informations et contrôle la réalisation des objectifs de performance.
11d- Les rôles relatifs à la gestion des relations humaines : Cette catégorie s’intéresse aux interactions et aux processus humains en assurant les rôles de facilitateur et de mentor. La facilitation se base sur l’encouragement de la liberté d’expression, sur la recherche de consensus et sur la négociation de compromis. Le leader mentor donne l’exemple de conduite en prenant en considération les besoins, en soutenant les demandes légitimes et en facilitant le développement individuel de ses subordonnés.
12La théorie de la complexité comportementale devient de plus en plus pertinente dans le contexte virtuel où les conditions habituelles de développement des relations interpersonnelles font défaut. Les contacts face-à-face sont remplacés par les interactions électroniques et la proximité est remplacée par la dispersion et la séparation physique des membres (Lipnack et.Stamps, 1997). L’ambigüité est aussi accentuée par le manque d’information et de connaissance entre les membres et l’absence d’histoire passée des relations. Dans ces conditions, il est intéressant de voir comment les comportements et actions des e-leaders contribuent-ils à la construction des relations de confiance (Pauleen, 2003-04; Purvanova and Bono, 2009).
1.2 – La confiance instantanée dans les équipes virtuelles
13Le concept de confiance instantanée a été introduit dans la littérature sur les équipes virtuelles pour exprimer les changements subis par la confiance sous l’effet de la dématérialisation des relations interpersonnelles (Aubert et Kelsey, 2003 ; Kanawattanachaï et Yoo, 2002). Elle a été développée par Meyerson et al., (1996) pour expliquer le développement des relations interpersonnelles dans les systèmes temporaires particulièrement utilisés dans le cadre de réalisation de films ou de pièces de théâtre. Les spécificités des systèmes temporaires ont poussé Meyerson et al., (1996) à admettre que la confiance qui s’y développe est une confiance instantanée puisque les conditions habituelles de sa constitution et de son maintien ne sont pas vérifiées. Elle se définit comme suit : « Accorder sa confiance et être digne de confiance dans le cadre des systèmes temporaires signifie que les membres doivent s’impliquer dans des relations de confiance sans attendre que l’expérience montre graduellement qui mérite cette confiance. La confiance est présumée ex ante » (Meyerson et al., 1996 : p. 177).
14Les ressemblances entre les systèmes temporaires et certaines configurations des équipes virtuelles ont poussé certains chercheurs à assimiler la confiance qui se construit dans les équipes virtuelles à la confiance instantanée (Chen et al. 2008 ; Daassi et al., 2006 ; Greenberg et al. 2007 ; Iacono et Weisband, 1997 ; Jarvenppa et al., 1998). En effet, la majorité des équipes virtuelles sont composées d’individus qui ne se connaissent pas et dont la collaboration se limite à la tâche qui leur est assignée. De même que les systèmes temporaires, les membres d’une équipe virtuelle sont choisis sur la base de leurs compétences indépendamment de leur localisation (Bell et Kozlowski, 2002). Au sens de Meyerson et al., (1996), ce sont les caractéristiques du contexte de travail rassemblant des « étrangers » qui favorisent l’apparition de la confiance instantanée.
15Ce concept a été largement étudié dans la littérature sur les équipes virtuelles. Les résultats des travaux réalisés à ce sujet ont montré que la confiance instantanée a les mêmes antécédents que la confiance traditionnelle. Elle est influencée par la capacité, la bienveillance et l’intégrité de la partie en qui on fait confiance ainsi que la propension à faire confiance (Aubert et Kelsey, 2003 ; Greenberg et al., 2007 ; Hung et al., 2004 ; Jarvenpaa et al., 1998 ; Zolin et al., 2004). Ces antécédents s’intensifient sous l’effet d’actions à caractère proactif, d’interactions focalisées sur le travail, d’un esprit d’équipe optimiste, d’un leadership dynamique et positif, d’objectifs et de rôles clairs, d’interactions fréquentes et régulières et d’un feedback rapide (Iacono et Weisband, 1997 ; Jarvenpaa et al., 1998). En ce sens, le développement de la confiance instantanée est fondé sur des actions et des réalisations plutôt que sur des sentiments. L’évolution de son niveau dans le temps varie en fonction des informations collectées par les membres sur les comportements des uns et des autres. (Newell et al., 2007 ; Piccoli et Ives, 2003 ; Zolin et al., 2004).
16Par ailleurs, Jarvenpaa et al., (1998) ont montré que les équipes développant un haut niveau de confiance ont un leader adoptant un style dynamique, positif et optimiste alors que les équipes à faible niveau de confiance n’ont pas de leader ou que leur leader est statique, négatif et destructif. Etant donnés les facteurs de développement de la confiance instantanée d’un côté et les actions et comportements énoncés par la théorie de la complexité comportementale, de l’autre, comment l’e-leader arrive-t-il à construire des relations de confiance entre les membres de son équipe ?
1.3 – La complexité comportementale pour la gestion de la confiance dans les équipes virtuelles
17La théorie de la complexité comportementale fournit une approche d’analyse en termes de rôles et de fonctions du leader lui permettant de gérer son équipe et d’assurer son efficacité (Denison et al., 1996). Nous nous insérons dans cette approche en essayant d’associer les rôles énoncés par cette théorie aux facteurs et mécanismes influençant la confiance. Or, étant donnée ne suit pas un mode graduel et cumulatif de développement et son niveau n’évolue pas dans le temps comme dans les équipes présentielles, il est primordial de distinguer deux phases de sa gestion : la construction durant les premières phases de la vie de l’équipe puis le développement et le maintien pendant les phases ultérieures.
18Les pratiques de construction de la confiance
19La confiance instantanée se construit par la création de stéréotypes importés d’autres situations de travail. Elle se base considérablement sur les impressions initiales qui se forment lors de la constitution de l’équipe (Zigurs, 2003). L’enjeu est alors de favoriser des impressions positives et le recours à des stéréotypes positifs afin de garantir un haut niveau de confiance. L’analyse des travaux réalisés sur les nouveaux rôles du e-leader et de leur croisement avec les facteurs de construction de la confiance fait apparaître les pratiques suivantes :
- Assurer la visibilité des membres les uns par rapport aux autres et permettre une meilleure connaissance à travers une réunion en face-à-face au démarrage du travail (Cascio et Shurygailo, 2003). Cette rencontre facilite les échanges ultérieurs dans la mesure où les membres connaissent leurs interlocuteurs et arrivent à « coller un visage sur les e-mails ou sur la voix transmis par les outils de communication » [3].
- Etablir des règles de conduite, de comportement, de communication et de travail. L’objectif est de créer des relations de collaboration et de coopération débouchant sur des relations de confiance.
- Répartir clairement les activités du travail, expliciter la contribution de chaque membre et les attentes par rapport à sa tâche et fixer les mécanismes de coordination (Jarvenpaa et al., 1998).
20A ce niveau, la contribution de leader est d’une importance particulière puisqu’il va « routiniser » certaines pratiques pour renforcer le niveau de confiance et assurer son maintien. Les fonctions du leadership en relation avec le développement de la confiance et validées dans la littérature sur les équipes virtuelles concernent :
- La gestion de la cohésion de l’équipe à travers la gestion de la diversité culturelle et à la gestion des conflits (Avolio et Kahai, 2003 ; Jawadi et al., 2007). L’objectif est de construire une identité collective de l’équipe considérée comme facteur favorable au développement de la confiance. La cohésion de l’équipe est également assurée par une gestion efficace des conflits en identifiant leurs sources et en adoptant le style approprié pour leur résolution (Paul et al., 2004 ; Shin, 2005).
- La gestion des problèmes technologiques en s’assurant de la disponibilité des outils de communication pour les membres ainsi que la maîtrise de leur utilisation par ces derniers.
- La gestion des ressources humaines en motivant les membres de l’équipe et en leur évitant les effets de l’isolement résultant de la séparation géographique (Sarker et Sahay, 2004).
1.4 – La performance des équipes virtuelles
21La performance d’une équipe est rattachée aux résultats du travail collectif réalisé par les membres. Elle se mesure également par les attitudes et les comportements des membres. Selon Piccoli et al.,( 2004) la performance d’une équipe peut se définir par « les résultats produits par un groupe et les conséquences qu’un groupe peut avoir sur ses membres » (p. 362). Cohen et Bailey (1997) ont dressé une revue de la littérature pour identifier les facteurs influençant la performance des équipes ainsi que ses mesures. Elles ont classé les mesures de la performance au sein de trois catégories : la performance du travail, les attitudes et les comportements des membres. Concernant les équipes virtuelles, une récente méta-analyse réalisée par Lin et al., (2008) a montré que la performance des équipes virtuelles est généralement mesurée par la performance du travail et la satisfaction des membres qui constitue une mesure de la performance des attitudes selon Cohen et Bailey (1997). Dans ce travail, nous combinons les résultats des deux recherches et nous analysons les effets de la virtualité sur trois mesures de la performance :
- La performance du travail traduit son niveau de conformité par rapport aux normes et aux standards d’évaluation (Lin et al., 2008). Elle peut être évaluée par plusieurs indicateurs tels que la qualité du résultat, le processus de réalisation du travail, l’efficience, les profits, l’innovation, la créativité et la création de valeur (Aubert et Kelsey 2003 ; Furumo et Pearson, 2006 ; Gibson et Gibbs, 2006 ; Lurey et Raisinghani, 2001; Maznevski et Chudoba, 2000 ; Kratzer et al., 2006; Paul et al., 2004).
- Les attitudes des membres peuvent être mesurées par leur satisfaction, le consensus concernant les décisions prises et le niveau de participation au travail collectif (Lin et al., 2008). Elle est également mesurée par le niveau de participation dans les activités du travail (Cohen et Bailey, 1997).
- La performance des comportements est évaluée par la motivation et l’engagement des membres à l’égard de l’équipe. Geister et al. (2006) ont noté que la motivation des membres des équipes virtuelles est influencée par les feedbacks réguliers et immédiats.
Modèle conceptuel de la recherche
Modèle conceptuel de la recherche
2 – Méthodologie
22Nous avons observé dix équipes virtuelles sur une période de 5 mois répartis en 3 mois d’observation intensive et deux mois de conduite d’entretien avec leurs membres. Nos données avaient alors plusieurs sources : les e-mails échangés, les entretiens, un questionnaire distribué aux membres des équipes et l’observation. Nous décrivons dans ce paragraphe notre échantillon et les procédures de collecte et d’analyse des données.
23Concernant l’échantillon, et face aux multiples refus que nous avons affrontés pour accéder aux équipes virtuelles travaillant dans des sociétés internationales, nous nous sommes orientés vers les équipes estudiantines. Les équipes observées sont alors composées de 3 à 5 étudiants inscrits dans une formation continue à distance dans une université française pour obtenir une maîtrise en sciences de gestion. Tous les membres des équipes observés avaient une activité professionnelle en plus des études. En outre, la formation est accessible à tout inscrit quelle que soit sa localisation à travers une plate forme collaborative à distance. Par conséquent, plusieurs équipes comportaient des membres situés en dehors de la France.
24Nous avons choisi d’intervenir dans le cadre du module « Stratégie et Organisation » [4]. Dans le cadre de ce module, les étudiants sont amenés à travailler à distance au sein d’équipes composées de trois à quatre participants pour la réalisation de deux études de cas qui sont notées à raison de 50% de la moyenne générale du module. Les équipes ont été composées à travers des messages d’appel à constitution d’équipe ou à rejoindre 2/3 personnes déjà ensemble. Les messages sont publiés sur le forum de la plate-forme. Une semaine après la constitution des équipes, nous avons demandé aux membres de désigner un leader qui assurera l’organisation du travail, la répartition des tâches, la communication avec le tuteur, etc. Cependant, certaines équipes ne se sont pas conformées à notre demande malgré nos multiples relances. Les leaders de ces équipes étaient alors émergents et nous avons pu les identifier grâce aux questionnaires que nous avons distribués à la fin de l’étude.
25Nous avons pu suivre les dix équipes en ayant accès à leurs échanges de courriers électroniques que ce soit à travers la plate-forme (messagerie et forum) ou leurs adresses personnelles. Ceci nous a permis de collecter 791 e-mails. Cette première phase a été suivie par la distribution d’un questionnaire comportant des questions sur les caractéristiques démographiques des participants (âge, sexe, niveau d’étude) et des questions ouvertes sur leurs perceptions de la dynamique de la confiance, la contribution du leadership à son évolution et l’évaluation de la performance des équipes. 39 questionnaires ont été alors restitués par les membres des équipes. La troisième procédure de collecte des données consistait en la conduite d’entretiens avec les membres des équipes observées. Vingt entretiens au total ont été réalisés selon trois modes : en face-à-face, par téléphone et par Internet via la téléphonie gratuite Skype. Ils ont été enregistrés et intégralement retranscrits.
26Le tableau suivant présente les principales caractéristiques des équipes de notre échantillon et les données collectées.
caractéristiques des équipes observées
caractéristiques des équipes observées
27Toutes les données collectées ont été codées et analysées à la fin du travail et de l’observation des équipes. La principale méthode utilisée est celle de l’analyse de contenu. Les codes utilisés sont issus de la littérature ou ont émergé du terrain. Nous avons adopté une méthode de double codage effectué à deux moments séparés pour assurer la fiabilité des résultats. Le taux de fiabilité obtenu à ce titre est de 92%. Ce taux peut être considéré comme satisfaisant selon Miles et Hubermann (1994).
28D’autres méthodes ont été également utilisées telles que la note obtenue aux études de cas pour l’évaluation de la performance au travail, les réponses aux questionnaires pour les perceptions de la dynamique de la confiance, l’évolution des échanges d’e-mails à travers le temps, etc. L’attitude et les comportements des membres ont été évalués à travers les perceptions individuelles des membres collectées par le questionnaire. Nous avons également caractérisé les styles d’interaction des membres et en particulier celui du leader en appliquant la grille développée par Potter et Balthazard (2002) distinguant les styles constructifs des styles agressifs et passifs.
29Cette démarche nous a permis de déterminer la dynamique d’évolution de la confiance dans l’équipe, d’identifier les rôles réalisés par les leaders et d’évaluer la performance de chaque équipe. Les résultats de l’étude sont présentés dans la section suivante.
3 – Leadership, confiance et performance : quels liens pour quels effets ?
30Pour confronter nos développements théoriques au terrain, nous avons analysé la dynamique d’évolution de la confiance en évaluant son niveau à trois dates différentes : à la constitution de l’équipe, à la fin de la première étude de cas et à la fin de la deuxième étude de cas (marquant la fin du travail). Ensuite, pour chaque équipe, nous avons identifié les fonctions assurées par les e-leaders et les comportements caractérisant leurs styles. Enfin, nous avons évalué la performance des équipes observées par différentes mesures (moyenne des notes des études de cas, processus de réalisation du travail, respect des délais). Les résultats de ces trois étapes sont résumés dans le tableau 2.
31Nous notons à ce niveau que nous avons éliminé les effets des rôles d’adaptation à l’environnement externe. En effet, nous estimons que cette catégorie de rôles est orientée vers la représentation externe de l’équipe et n’a aucune orientation interne en lien avec la construction des relations interpersonnelles. En outre, étant donnée la spécificité des équipes observées (contexte estudiantin), nous avons estimé que ces rôles n’auront pas un effet pertinent.
Confiance, leadership et performance des équipes observées
Confiance, leadership et performance des équipes observées
32L’analyse de ce tableau sera réalisée en deux temps. D’abord, nous analysons le rôle du leadership dans la gestion de la confiance. Ensuite, nous expliquons le niveau de performance par la qualité des relations et par les rôles et styles des leaders.
3.1 – Contribution du e-leadership à la gestion de la confiance
33L’examen des résultats relatifs à la confiance et au leadership montre que certains rôles ne peuvent pas aider à différencier les équipes selon la dynamique de la confiance qui s’y est installée. Il s’agit précisément des rôles de production. En effet, ces rôles ont été assurés par tous les leaders observés quel que soit le niveau de confiance. Il en résulte que la répartition des tâches, la planification du travail et l’organisation des réunions de travail ne peuvent pas être rattachées au maintien des relations de confiance ni à leur détérioration. Toutefois, deux facteurs peuvent être associés au niveau de la confiance. Il s’agit des rôles de coordination, de monitoring et de facilitation d’un côté et des styles du leadership de l’autre.
34Dans les équipes 2, 6, 7 et 8, le climat de confiance s’est détérioré alors qu’il s’est affaibli dans l’équipe 5. Nous remarquons dans ces équipes (à l’exception des équipes 5 et 6) que le rôle de coordination et de monitoring n’ont pas été assurés, tandis que les rôles de facilitation ont été perçus négativement. Or, les deux premiers rôles portent exclusivement sur le travail à rendre. La coordination permet de débattre sur le contenu des études de cas, de comprendre collectivement les questions posées, d’enrichir le travail par des informations externes, etc. Le monitoring permet de contrôler le travail effectué, de corriger les fautes, d’assurer une cohérence globale et d’harmonier les contributions individuelles. L’absence de ces deux fonctions dans les équipes à faible niveau de confiance et leur validation dans les équipes à haut niveau de confiance nous permet de conclure à leur contribution au maintien des relations de confiance. Ce résultat confirme encore une fois le rôle central du travail dans les relations entre les membres des équipes virtuelles et explique les fondements cognitifs de la confiance instantanée.
35Quant aux rôles de facilitation, ils ont été perçus négativement dans la mesure où ils n’ont pas contribué à apporter des solutions aux problèmes rencontrés (tels que le retard dans l’avancée du travail, l’absentéisme, etc.) et n’ont pas permis de gérer efficacement les conflits. Nous citons ici l’exemple du leader de l’équipe 6 qui n’était pas conscient des effets négatifs de ses remarques sur les autres membres et qui a ignoré le conflit généré par son comportement jusqu’à ce que la situation ait dégénéré et les relations se soient détériorées. En outre, son leadership a été qualifié par les autres membres de l’équipe comme autoritaire et négatif. Ce même leader ainsi que celui de l’équipe 5 ont été relativement absents dans la gestion de l’équipe dans la seconde étude de cas. En dépit de leur participation au travail final, ils étaient peu présents dans les échanges et dans le fonctionnement de l’équipe. Ceci peut également expliquer la baisse du niveau de confiance enregistrée durant l’élaboration du deuxième cas.
36Les équipes qui ont pu renforcer les relations de confiance ou maintenir leur niveau initial (équipes 1, 3, 4, 9 et 10) avaient des leaders qui ont assuré les rôles de coordination et de contrôle du travail final. Notons que le leader de l’équipe 3 s’est aussi distingué par les rôles de direction et de mentoring. Il s’est largement intéressé à la mobilisation des comportements pour l’atteinte des objectifs par l’encouragement et par la motivation. En outre, nous avons remarqué que dans certaines équipes le contrôle du travail a été partagé entre le leader et un autre membre.
37Par ailleurs, les équipes ayant développé de bonnes relations de confiance ont des leaders caractérisés par un style positif, dynamique et partagé. Cependant, les équipes à faible niveau de confiance ont été caractérisées par un leadership négatif, autoritaire, passif et statique. Le premier style a permis une ambiance de travail positive et enthousiaste qui a favorisé les relations de coopération et de confiance alors que le second style a généré un climat pessimiste et a favorisé la défiance. Dans l’équipe 6, les membres interrogés s’accordent sur le fait que c’est à cause du style excessivement autoritaire du leader que la confiance qu’elles avaient envers lui et envers l’équipe s’est détériorée.
38Ces résultats nous permettent de conclure que l’établissement de la confiance et son maintien durant la vie de l’équipe requièrent une focalisation sur le travail et un style de leadership favorable au climat de confiance. L’e-leader doit, en plus des rôles d’organisation et de planification du travail, s’assurer de la richesse de son contenu et de sa conformité aux critères d’évaluation et de performance. Il doit en outre, développer un style positif encourageant la prise d’initiative et la contribution active et efficace au travail collectif.
39Concernant les liens entre le leadership et la confiance, les réponses recueillies à travers les entretiens sont divergentes. Certains membres estiment que la contribution du leader est très importante pour la gestion de la confiance. Les réponses recueillies à ce sujet étaient :
- « Il me semble que la primeur pour la performance c’est d’abord la confiance plutôt que le leadership parce que si on n’a pas confiance en son leader de toute façon ça ne peut pas marcher ».
- « La condition minimum pour être leader c’est d’avoir la confiance des autres et pour avoir la performance il faut un leader ».
40Dans d’autres équipes, le développement de la confiance a été attribué à l’équipe plutôt qu’au leader.
- « Non, personnellement je pense que ça [le leadership] n’a rien à voir avec la confiance. Dès le départ on avait confiance, on avait un travail à faire en groupe et on a fait un travail de très bonne qualité et ça a renforcé la confiance ».
41Ce résultat peut s’expliquer par deux raisons. D’un côté, les membres interviewés n’établissent pas de relation claire entre les rôles du leadership et la confiance. Cette dernière est considérée comme une variable indépendante qui existe par les personnes et non pas par leurs actions et comportements. D’un autre côté, dans certaines équipes, l’existence d’un bon niveau de confiance dès le départ rend l’association entre sa gestion et les rôles du leader difficile. De ce point de vue, l’existence de la confiance est antérieure à l’existence du leader et même de l’équipe.
3.2 – Le leadership et la confiance : facteurs explicatifs de la performance
42L’analyse des données collectées montre qu’une bonne performance est associée à un haut niveau de confiance et un style de leadership positif et dynamique. Toutefois, une faible performance est issue d’un déclin du climat de confiance et d’un leadership négatif.
43Dans les équipes 2, 5, 6, 7 et 8, la performance a été faible ou modérée. L’examen de la dynamique de la confiance dans ces équipes montre qu’elle s’est affaiblie ou détériorée. Le leadership est qualifié de négatif, autoritaire et passif. Les leaders de ces équipes ont assuré des rôles de production, de direction et de mentoring. Cependant, dans les équipes 1, 3, 4, 9 et 10, où la performance a été forte, la confiance s’est renforcée à travers le temps ou a gardé son bon niveau de départ et le leadership était positif, dynamique et participatif. Les fonctions des leaders de ces équipes se sont focalisées sur la coordination et le contrôle du travail.
44Les propos recueillis par les entretiens corroborent ces résultats : les membres interviewés confirment la relation positive entre la confiance et la performance d’une part, et le leadership et la performance, d’autre part.
- « Je pense que confiance et performance ça va de soit. On ne peut pas travailler et être performant sans avoir confiance l’un dans l’autre. Ça c’est sûr ».
- « La confiance est vraiment primordiale pour le leadership et pour la performance ».
- « L’établissement de la confiance, ensuite de cette confiance émerge un leader ou des personnalités qui vont être complémentaires sur un sujet, un contenu, une organisation et là on aboutit à la performance ».
- « C’est pour ça il est très important d’avoir un leader. Je pense que c’est très important. Je pense que dans notre cas c’était une des raisons de l’échec de l’équipe ».
45Ces résultats confirment les résultats obtenus par les études antérieurs et apportent une réponse à nos questionnements. Le leadership joue un rôle très important dans la construction et le développement de la confiance dans les équipes virtuelles à travers ses rôles et ses comportements. En outre, les relations de confiance associées à un style de leadership approprié (positif, dynamique, optimiste, enthousiaste) assurent une bonne performance globale de l’équipe.
4 – Discussion
46Certaines limites de la littérature existante sur le leadership et la confiance dans les équipes virtuelles ne nous permettent pas de discuter les résultats globaux des analyses. A l’exception de l’étude de Jarvenpaa et al., (1998), aucune autre recherche n’a été faite sur les liens entre la complexité comportementale du leader et le développement des relations de confiance. En outre, l’étude mentionnée ne s’est pas exclusivement intéressée à ce lien. Elle a analysé les facteurs de développement de la confiance. Ses résultats ont montré, entre autres, l’importance du leadership et ont identifié les caractéristiques permettant d’établir la confiance.
47Dans notre étude, les résultats de l’analyse de la confiance confirment sa nature instantanée dans la mesure où toutes les équipes observées ont démarré le travail avec un bon niveau de confiance (Meyerson et al., 1996). Toutefois, l’évolution a suivi différentes directions en fonction des spécificités et processus des équipes.
48D’autres facteurs qui ne sont pas directement rattachés aux fonctions du leadership mais qui peuvent y être liés ont été également découverts dans les études sur la confiance. Jarvenpaa et al., (1998) et Jarvenpaa et Leidner (1999) ont trouvé que les équipes ayant développé un haut niveau de confiance sont caractérisées par l’existence d’un leader assurant certaines activités. Il s’agit de la clarification des objectifs, la répartition des tâches et la mise en place de normes de communication garantissant la régularité des échanges, la richesse des feedbacks et la fréquence des interactions. Ces résultats soulignent les rôles de production formulés par la théorie de la complexité comportementale (Denison et al., 1995) même si aucune référence directe n’a été faite à cette théorie par les autres études antérieures. Ces résultats contredisent les nôtres concernant la relation entre les rôles d’atteinte des objectifs et la confiance puisque nous avons trouvé que les rôles de production ne peuvent pas être considérés comme une variable discriminante permettant de distinguer les équipes selon leur niveau de confiance.
49Dans son étude des effets de la formation aux relations interpersonnelles sur le développement de la confiance, Beranek (2000) a montré l’importance du leadership pour les relations de confiance. Elle a trouvé que pendant les premières phases de constitution des équipes, les membres expriment le besoin d’avoir un leader pour organiser l’équipe, clarifier les règles de travail et fixer les mécanismes de fonctionnement. Avec l’émergence d’un leader, le maintien des relations de confiance est assuré par un leadership positif, compétent et détenant les connaissances nécessaires pour la réalisation du travail. Le leader doit également gérer efficacement les conflits et éviter les situations de crise. Ce résultat désigne indirectement les rôles de production, de coordination et de facilitation pour mettre en place un climat de confiance dans une équipe. A l’exception des fonctions de production, les liens des deux autres fonctions avec la confiance ont été également prouvés dans notre étude. Selon notre étude, les rôles relatifs aux processus internes et à la gestion des relations humaines exercent aussi un effet significatif et positif sur la confiance.
50Piccoli et Yves (2003) ont étudié les effets du contrôle des comportements des membres des équipes virtuelles sur la dynamique de la confiance. Ils ont trouvé que la mise en place de mécanismes de contrôle des comportements a induit le déclin de la confiance. Ces mécanismes ont rendu saillants et visibles à tous les membres de l’équipe les comportements aberrants (absentéisme, manque d’implication et de participation dans le travail). De ce fait, les relations se sont détériorées. Nos résultats valident partiellement ceux de Piccoli et Yves (2004) dans la mesure où nous avons trouvé que dans les équipes 3, 4 et 10 où la confiance s’est renforcée, les leaders ont assuré le contrôle du travail et le monitoring. Toutefois, dans l’équipe 6 où les relations se sont dégradées, le leader a exercé un rôle de mentor en adoptant un style négatif et un leadership destructif.
51Concernant la théorie de la complexité comportementale et à l’instar de Kayworth et Leidner (2001-2002) et de Yoo et Alavi (2004), notre recherche apporte une validation de la théorie dans les équipes virtuelles. Nos résultats appuient l’existence de la contradiction, du paradoxe et de la complémentarité des leaders des équipes observées. La vérification des catégories de rôles dans l’échantillon étudié permet de conclure que la complexité comportementale est vérifiée dans le contexte virtuel. Toutefois, le lien entre ces rôles et la gestion de la confiance n’a pas été clarifié dans ces travaux.
52Kayworth et Leidner (2001-2002) ont montré que l’efficacité d’un e-leader est influencée par ses fonctions de mentoring et de coordination. L’étude quantitative menée dans cette recherche a révélé que dans les équipes ayant un leader efficace, ce dernier a montré un haut niveau d’empathie envers les membres de son équipe. En outre, il a réparti et clarifié le travail et a mis en place des mécanismes de communication régulière et satisfaisante. Les résultats ont également mis en relief les rôles de gestion des relations humaines favorisant la cohésion de l’équipe et le développement de la confiance. Ce résultat confirme bien le lien significatif et positif que notre travail a révélé entre, d’une part, les fonctions relatives aux processus internes et celles de la gestion des relations humaines et d’autre part, la confiance.
53Dans leur étude sur les pratiques favorisant le succès et la performance des équipes virtuelles, Larsen et McInerney (2002) soulignent les rôles de mentoring pour gérer les problèmes de détérioration des relations de confiance. Les auteurs expliquent que les leaders doivent être des modèles de conduite pour les membres de leurs équipes et doivent favoriser des communications synchrones entre les personnes rencontrant des problèmes de confiance. Ce résultat n’est pas validé par notre étude puisque, à l’exception de l’équipe 3, aucune référence dans les différentes données collectées n’a été faite aux rôles de mentoring du leader.
54Les comportements de communication ont été également analysés par Sudweeks et Simoff (2005) qui se sont intéressés au leadership émergent. Ils ont montré que les leaders émergents envoient des messages plus longs que les autres membres. Mais c’est la nature, la fréquence et la régularité des messages qui permettent de distinguer les comportements de communication des leaders émergents qui envoient beaucoup de messages portant sur le travail, son avancement, son contenu, les réponses aux questions qui y sont rattachées, etc. En ce sens, ce résultat souligne le rôle de coordination tel qu’énoncé par la théorie de la complexité comportementale et vérifiée dans notre étude.
55Concernant les styles du leadership, Kayworth et Leidner (2001-2002) et Hoyt et Blascovich (2003) ont montré que l’efficacité du leadership est liée à un style positif, dynamique, directif mais pas forcément autoritaire. Dans les deux études, ce style de leadership a été associé à une amélioration de la performance des équipes à travers le renforcement de la cohésion et de la satisfaction des membres. Ce résultat a été également prouvé par notre étude.
Conclusion
56Le travail d’analyse et de validation entrepris dans cette recherche a été guidé par une problématique s’intéressant aux rôles et comportements permettant aux e-leaders de développer la confiance entre les membres de leurs équipes et d’assurer leurs performances. A ce titre, d’importantes contributions peuvent être formulées à partir des résultats des analyses théoriques et empiriques effectuées. Des limites doivent être également signalées pouvant faire l’objet d’améliorations futures de ce travail.
57Apports de la recherche
58Sur le plan théorique, l’analyse des relations entre la confiance et le leadership ainsi que leurs effets sur la performance à travers le modèle de la recherche a permis d’atteindre un double objectif. D’un côté, nous avons mieux cerné la nature instantanée de la confiance dans les équipes virtuelles à travers les facteurs influençant sa mise en place et son développement. Nous avons montré que la confiance instantanée évolue dans le sens de l’affaiblissement ou du renforcement en fonction des spécificités de l’équipe. En outre, l’adoption d’une approche de la complexité comportementale du e-leadership a mis en relief les fonctions exercées par les e-leaders dans l’objectif d’assurer la performance de l’équipe. Ces fonctions concernent l’adaptation à l’environnement externe, l’atteinte des objectifs, les processus internes et la gestion des relations humaines.
59D’un autre côté, l’analyse simultanée des facteurs de développement de la confiance et des rôles du e-leader a permis d’identifier la contribution du leadership à la gestion de la confiance. Etant donné que la confiance instantanée se développe plus sur des bases cognitives qu’affectives, nous avons estimé que les fonctions d’atteinte des objectifs, celles relatives aux processus internes et celles de gestion des relations humaines favorisent un climat de coopération et de confiance dans l’équipe. En outre, une association positive entre les relations de confiance et les fonctions du leadership permettrait un effet positif sur la performance en contribuant à une bonne qualité du travail, à la satisfaction des membres et à leur motivation.
60Le travail d’analyse et de justifications des relations entre le leadership, la confiance et la performance constitue un premier essai dans la littérature sur les équipes virtuelles. Il permet ainsi d’associer simultanément deux variables importantes du fonctionnement des équipes virtuelles et de leur performance contrairement aux études antérieures qui les ont analysées séparément.
61Sur le plan méthodologique, l’étude qualitative menée à travers l’observation des échanges d’équipes virtuelles composés d’étudiants et la conduite d’entretiens a permis une première opérationnalisation des liens entre les concepts étudiés. L’analyse de contenu des données collectées en suivant une démarche scientifique rigoureuse a fourni une première validation de notre modèle de recherche. Cette perspective qualitative a permis d’intégrer la logique des acteurs et les spécificités du contexte estudiantin dans l’analyse et la génération des résultats. En outre, le caractère longitudinal de cette étude nous a offert la possibilité d’intégrer le temps dans la validation du modèle. Ainsi, la dynamique d’évolution des concepts a été envisagée et a permis de prendre en considération les effets des changements des niveaux de confiance et des caractéristiques du leadership sur la performance. Une telle démarche constitue une originalité de notre travail dans la mesure où les études longitudinales habituellement menées dans le cadre des équipes virtuelles sont quantitatives. En plus les études qualitatives se sont uniquement basées sur la conduite d’entretiens sans observation des dynamiques des équipes. En ce sens, notre recherche fournit une approche longitudinale qualitative de l’étude de la confiance, du leadership et de la performance.
62Sur le plan managérial, l’un des principaux objectifs de ce travail était de déterminer les pratiques managériales innovantes et efficaces qui s’adaptent aux changements introduits par la virtualité au travail en équipe. Les résultats de l’étude empirique nous ont permis de formuler des implications managériales rattachées aux fonctions du leadership favorisant le développement de la confiance et les conditions nécessaires pour assurer la performance des équipes virtuelles.
63Concernant les liens entre le leadership et la gestion de la confiance, nos résultats ont souligné l’importance des fonctions de coordination et de contrôle du travail et de facilitation pour la construction des relations de confiance. La nature instantanée de la confiance dans les équipes virtuelles explique l’importance des actions relatives au travail pour son développement. Cette relation découle de la raison d’être des équipes virtuelles constituées pour réaliser une tâche généralement de courte durée de vie. Les intérêts sont orientés vers le travail à réaliser et laissent peu de place aux relations affectives et socio-émotionnelles. De ce fait, le leader de l’équipe doit développer la confiance en mettant en place des normes de comportements et de communications permettant l’application et le respect des mécanismes de coordination et des critères de performance. Les normes développées doivent prendre en considération les différences de cultures et de compétences pour assurer leur acceptation par tous les membres de l’équipe.
64En outre, le développement des relations de confiance est assuré par un style de leadership positif, constructif, dynamique et partagé. En ce sens, l’autoritarisme excessif, les remarques destructives et la forte centralisation du pouvoir et des décisions ne peuvent que détériorer les relations entre les membres d’une équipe virtuelle. Le manque d’histoire des relations et d’information sur les attitudes et les comportements des membres en plus de leur isolement par la distance fragilise la confiance et facilite son déclin. Il est alors très important pour l’e-leader de développer des compétences virtuelles liées à la collaboration, à la communication et à la socialisation afin d’éviter la frustration des membres et la dégradation des relations interpersonnelles. Il serait intéressant à ce niveau de conduire des actions de formation au travail virtuel pour les e-leaders afin de leur permettre d’acquérir les compétences nécessaires.
65Limites et voies futures de recherche
66Une première limite d’ordre conceptuel concerne les mesures de la performance. Les mesures utilisées dans notre étude peuvent sembler réductrices dans la mesure où elles sont d’une part, relatives au contexte de l’étude qualitative et d’autre part, inspirées des études antérieures. Il aurait été plus intéressant d’utiliser des mesures plus riches et générales pouvant être appliquées dans tous les domaines. Toutefois, cette limite se justifie par la complexité du concept de performance et les difficultés d’en établir les mesures qui peuvent être objectives et subjectives, tangibles et intangibles.
67Sur un plan méthodologique, les équipes observées relève d’un domaine particulier qui est le domaine estudiantin. En dépit de la contribution de nos résultats, ce contexte reste différent du contexte professionnel où les enjeux, les règles de gouvernance et les objectifs du travail en équipe sont différents. La validité de nos résultats reste rattachée aux équipes composées d’étudiants bien que les membres des équipes que nous avons observées exercent une activité professionnelle.
68Par ailleurs, une limite majeure de notre travail réside dans le mode de désignation du leader. En effet, au début de l’observation, nous avons demandé aux membres des équipes de désigner un leader une semaine après leur constitution. Toutefois, certaines équipes ne se sont pas conformées à notre demande. Dans ces dernières, le leader était émergent. A ce niveau, il aurait était intéressant d’analyser les effets de l’émergence ou de la désignation du leader sur ses comportements et sa contribution à la gestion de la confiance et de la performance de son équipe.
69Concernant les voies futures de recherche, plusieurs pistes sont envisageables. La première consisterait à analyser l’effet de la diversité culturelle pour mieux clarifier la dynamique de la confiance. Cette variable n’a pas été vérifiée sur le terrain étant donné que les membres des équipes observées partageaient la culture française. L’étude d’une équipe virtuelle globale pourrait rendre compte d’une dynamique différente de la confiance et des relations différentes avec le leadership et la performance. Une deuxième piste s’orienterait vers la durée de vie des équipes. La courte durée de vie des équipes observées nous a poussés à nous interroger sur la nature des processus et de la performance dans les équipes virtuelles permanentes. Ces questions deviennent de plus en plus importantes avec la généralisation du recours aux équipes virtuelles dans toutes les activités de l’entreprise et non seulement pour les activités ponctuelles. Une réponse à ces interrogations pourrait être fournie par une étude englobant des équipes à longue durée de vie. A cet effet, une étude quantitative longitudinale pourrait être envisagée.
70Une troisième piste pourrait aborder la problématique du leadership et de la confiance à travers une approche par les styles du leadership, différente de l’approche comportementale adoptée dans notre travail. Cette nouvelle perspective permettrait de tester les différents styles dichotomiques tels que le style transformationnel versus le style transactionnel, le style autocratique versus le style participatif, etc., et d’évaluer la contribution de chaque style à la gestion de la confiance et de la performance. Une approche par les traits de personnalité, bien qu’évacuant les effets des facteurs de contingence, pourrait également être pertinente dans l’évaluation des effets du charisme du e-leader sur le fonctionnement de l’équipe et de ses capacités à faire face aux contraintes imposées de la virtualité.
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Notes
-
[1]
Nabila Jawadi, Professeur assistante, Groupe Sup de Co Amiens, HuManiS, nabila.jawadi@supco-amiens.fr
-
[2]
Cité par Denison et al., (1995).
-
[3]
Nous reprenons ici les termes utilisés par différents membres d’équipes virtuelles interviewés lors de notre étude empirique.
-
[4]
Le choix de ce module est expliqué par la facilité d’y accéder dans la mesure où il est dispensé par le directeur de thèse de l’auteur de cet article.