1Si la Prospective des Métiers peut se défi nir comme une démarche d’anticipation des futurs possibles en termes de compétences, d’activités, de responsabilités d’un métier, elle permet ainsi d’imaginer les possibles savoirs et qualifi cations, expertises ou savoir-faire professionnel, comportements et savoir-être, qui seront demain les plus à même de servir l’individu et l’organisation. Elle nécessite pour cela une co-construction par les acteurs-experts du ou des métiers analysés et du devenir possible de ce ou ces métiers. Elle englobe ainsi une réfl exion prospective sur le métier individuel et sur l’organisation du travail. Dans la continuité des manifestations précédentes organisées à l’Université Paris Dauphine en partenariat avec l’IAE de Caen et la Revue Management α Avenir, l’objectif de ce colloque était de faire un état des recherches en sciences de gestion intégrant une orientation prospective appliquée aux problématiques de management et de GRH. Le renouveau de la prospective, de ses méthodes et de ses applications aux situations organisationnelles fait depuis peu écho dans les recherches académiques. La réfl exion initiée sur le devenir des métiers, des compétences au sein du groupe thématique de l’AGRH et de la Revue Management α Avenir en est une illustration. En cohérence avec la posture prospective de Gaston Berger, il nous a semblé utile de rassembler des chercheurs s’intéressant à l’apport d’une prospective appliquée au management et la gestion des ressources humaines et de confronter leurs recherches avec les praticiens : tel était l’objectif de cette journée thématique.
2Il est à noter que depuis une dizaine d’années environ, en fait depuis que la GPEC - outil pédagogique dont nous apprécions l’ef? cacité - a montré ses limites opérationnelles, du fait même de l’incertitude des politiques managériales à court terme, l’intérêt de la prospective appliquée à l’entreprise et à ses diverses fonctions n’a fait que croître. Cela a semblé à plus d’un paradoxal, alors même que l’Economie semblait paralyser par une myopie court-termiste. Nous sommes de ceux qui ont été rapidement convaincus que derrière cette polarisation apparente existait un réel besoin d’essayer d’éclairer en amont de la stratégie - ne serait-ce que par des scénarios - les devenirs possibles pour s’efforcer, pour une part, de co-construire cet avenir incertain et au moins d’ envisager les conséquences de différentes hypothèses.
3Certes, tout naturellement, nos colloques ont un peu privilégié la prospective RH, la prospective des métiers, parce que sans doute c’était un des domaines les plus sensibles mais aussi parce que la prospective (du moins dans son acception française) est une aventure humaine, sociale autant, voire plus, que technologique.
4Plus nous avons avancé, ensemble, dans nos recherches ou ré? exions, plus il est apparu évident que la prospective avait - ou se devait d’avoir - un lien avec la stratégie et sa déclinaison le management. A la demande de nos partenaires, nous avons étudié beaucoup de disciplines qui constituent les fondamentaux du management et des matières que nous enseignons.
5Ouvrant donc plus largement le champ des appels à communications, nous avons voulu faire de cette journée à l’ESSEC une approche plus globale de la prospective. C’est sans doute pour cette raison mais aussi surtout à cause du développement rapide des recherches que nous avons reçu un grand nombre de communications. Déjà, à ce stade, la sélection du Comité n’a pas été simple tant le niveau des propositions étaient de qualité. Une autre épreuve, encore plus dif? cile nous attendait : sélectionner - heureusement avec l’aide nos collègues - les articles à faire paraître dans notre revue académique. Nous comprenons parfaitement l’éventuelle déception de tous ceux dont nous n’avons pu retenir les articles (ils verront le fruit de leur travail dans les actes) : leurs papiers étaient le plus souvent d’une qualité comparable à ceux que nous publions : nous en avons retenu ? nalement huit (au lieu de six) avec la conviction que nous aurions pu en retenir d’autres….
6Jean-Louis Thamain, à partir d’une étude de cas analyse les logiques de l’anticipation : la prévision s’inscrivant dans le champ de la continuité tandis que la prospective est dans celui de la rupture. Le DRH peut ou doit devenir un manager stratégique dans la mesure où il adopte une posture prospective.
7Les enjeux et prospectives dans la fonction hospitalière constitue le champ de recherche de Florence Noguera et Jérome Lartigau. Le contexte est en particulier l’évolution démographique qui affecte les personnels hospitaliers. Une recherche exploratoire au sein de trois établissements permet de mettre en valeur le nouveau management de la fonction publique hospitalière. Les auteurs souhaitent démontrer en quoi l’articulation prospective métier et gestion prévisionnelle des métiers et des compétences peut permettre l’introduction d’une nouvelle GRH centrée sur le management des compétences et des savoirs.
8L’article présenté par quatre chercheurs dont Valérie Mérindol du centre de l’Armée de l’Air, CreA, est intéressant à plus d’un titre :
- le thème même de la recherche la proposition d’une méthodologie fondée sur la compétence collective
- le terrain d’application de cette méthode : le métier de pilote de chasse.
9Trois chercheurs - Thierry Colin, Benoît Grasser et Ewan Oiry - nous interpellent en demandant si le métier d’agent de maîtrise ne serait pas un dé? pour la prospective métier? La Prospective s’applique-t-elle au métier-valise (métiers connus de tous, existant dans toutes les organisations sociales) d’agent de maîtrise? Ce métier d’agent de maîtrise recouvre, en fait, réalités très différentes, mettant en œuvre des compétences les plus variées. L’idée centrale soulevée par les chercheurs est la nécessité d’articuler étroitement les données quantitatives et qualitatives sur ces métiers. Les auteurs nous conduisent à penser que ce sont les données - très dif? ciles à recueillir - qui font le plus cruellement défaut.
10Marie Mercanti-Guerin nous entraîne dans le monde du web par l’usage d’un nouveau concept et d’une nouvelle méthode : la netnographie ou ethnographie appliquée à internet. L’auteur démontre comment les blogs de salariés présentent des caractéristiques similaires aux outils utilisés par les hommes de marketing. Après avoir proposé une typologie de ces blogs, le chercheur montre la capacité de ces blogs à appréhender les évolutions de leur environnement et à s’interroger sur ses mutations.
11Les recherches et travaux de Isabelle Barth retiennent sans peine l’attention tant leur qualité et leur originalité sont incontestables. Son article « Regard prospectif sur les métiers commerciaux » est bien dans cette ligne. Les métiers de la vente, longtemps délaissés par le mode académique font à nouveau le soin de recherches avancées. Le Chercheur nous propose une analyse des métiers commerciaux en s’appuyant sur une observation longitudinale. L’état des questions émergentes sur le métier commercial étant mis en valeur, le chercheur retient quatre thèmes porteurs de changement et de création de potentiel : revisiter la négociation commerciale, revoir le système d’information pour qu’il devienne un levier de changement global pour l’organisation, apprendre à gérer différemment les carrières commerciales et en? n innover dans les systèmes de motivation et rémunération. Isabelle Barth nous prévient : la prospective des métiers est un exercice redoutable, surtout quand il s’agit de métiers vieux comme le monde : la vente fait partie de ceux-là.
12Catherine Glée nous propose une autre approche de la prospective, peu traitée, et pourtant tellement d’actualité : la prospective individuelle. Plus exactement « A quoi sert le projet professionnel ? De l’impact d’un outil d’orientation professionnel sur le management des ressources humaines ; ou encore : la prospective, versus individu ». Le pilotage à vue des entreprises, la polarisation sur leur ? exibilité a globalement entraîné chez beaucoup de dirigeants le rejet de ré? exions sur le long terme c’est à dire de la prospective. Dans ce contexte, le projet professionnel relève d’une prospective au niveau individuel (une prospective de soi). Il y a lieu d’anticiper son parcours professionnel a? n de le piloter dans un contexte donné. Cette approche se situe dans le champ de la psychologie de l’orientation. S’appuyant sur une étude empirique dans une deuxième partie, l’auteur s’efforce de passer de l’univers individuel à l’univers gestionnaire et de proposer des pistes pour une utilisation ef? cace.
13Frank Brillet et Annabelle Hullin nous proposent pour clore ce dossier une magni? que ré? exion qui devrait toucher plus d’un d’entre nous : « la vision prospective à l’épreuve de la tradition : le devenir des Compagnons du Devoir ». En effet, les compagnons du devoir sont, pour une part, à l’origine du concept de métier. Les valeurs d’apprentissage, de maîtrise, de transfert avec adaptation sont à la base de la dé? nition et de la noblesse du « métier », rempli en permanence de passé présent et d’avenir. L’objet de la recherche est d’observer la façon dont les compagnons du devoir travaillent sur la prospective de leurs métiers. Le problème de transmission est d’abord celui du compagnonnage « permettre à l’homme de s’accomplir dans et par son métier ». Le métier est en réalité porteur de culture qui en lien très direct avec la transmission des compétences de ce métier et au delà, sans doute, porteur d’une idée verticale (la transcendance) que nos Organisations - qui ont pour beaucoup une vision horizontale - ont parfois tendance à marginaliser. Cette recherche entend montrer que les métiers d’avenir ne peuvent pas être le seul vecteur de la prospective ; les métiers « perdus » à faire évoluer, les métiers naissants sont évidemment à prendre en compte.