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Article de revue

Un modèle organisationnel en « confiance-coopération »

Pages 261 à 272

1 – Introduction

1Le projet de ce texte est de dresser les contours d’un modèle relationnel de l’organisation à partir de la dualité « confiance – coopération », modèle organisationnel qui mettra l’accent sur l’importance des relations mutuelles, de coopération, d’association mais aussi de ses limites. La convocation de la notion est en effet effectuée le plus souvent dans la perspective idéologique d’un volontarisme managérial venant ignorer le conflit au nom de la confiance qui se doit alors d’être gérée.

2Les développements de ce texte seront construits sur les arguments suivants :

  • un rappel de ce qu’est un modèle organisationnel
  • une approche encyclopédique de la confiance
  • un examen rapide de sa transposition en sciences des organisations
  • une analyse des contours relationnels d’un modèle organisationnel en « confiance - coopération », compte tenu des critiques qui peuvent lui être adressées.
La notion de confiance est en effet moins claire qu’il n’y paraît. Sur le plan conceptuel comme en sciences des organisations, elle ne prend sens qu’au regard de ses nombreux corrélats.

2 – Des modèles organisationnels

3Ce qui soutient la logique de cette démonstration repose sur la difficulté ressentie de parler d’un « objet » comme l’organisation sans position épistémologique quant à la modélisation (Pesqueux, 2002).

4C’est donc aux fondements des modèles qu’il est d’abord question de s’intéresser ici, le premier aspect étant celui de réduction, réduction allant de pair avec une simplification et le second en étant l’aspect normatif. Dans toute référence à un modèle, l’aspect réduction de la réalité tendrait à mettre en avant l’aspect « passif » de la représentation là où, dans son acception normative, ce serait l’aspect « actif » de l’identification qui l’emporterait. Mais ce qui compte, c’est aussi la justification du modèle. On pourrait, à l’instar de L. Sfez (2002), parler à ce propos de « personnage conceptuel » dans la mesure où le modèle n’est ni un personnage historique, ni un héros, ni un mythe, mais une production discursive en synchronisation avec un territoire et une époque. Ce personnage tiendrait sa substance de la répétition d’éléments de « réalité » et se positionnerait au regard d’« objets » de référence. La représentation peut donc différer suivant les modèles appliqués alors que les éléments visés sont identiques. Mais un modèle ne nous intéresse que dans la mesure où il apporte un enrichissement en termes d’intelligibilité des choses et c’est bien ce dont il est question ici avec un modèle organisationnel en « confiance - coopération ».

3 – Les conditions de possibilité d’un modèle organisationnel en « confiance – coopération »

5Pour ce qui concerne l’existence d’un modèle organisationnel en « confiance - coopération », rappelons de façon liminaire l’assertion que développe F. Fukuyama dans son ouvrage Trust: The Social Virtues and the Creation of Prosperity (1994) selon laquelle la confiance (entre acteurs économiques) est un facteur central de développement des organisations de grande taille parce qu’elle exclut le doute. La confiance diminuerait en effet le coût de contrôle et le risque. Rappelons aussi que R. Putnam & R. Leonardi & R. Nanetti (1992) mettent l’accent sur deux aspects, la confiance et la densité relationnelle du réseau pour expliquer les différences de développement économique entre régions à partir de la situation italienne. Les perspectives organisationnelles vont se développer sur les mêmes arguments d’association entre la confiance et la densité relationnelle, la construction d’un réseau dense de relations rendant possible la construction et la gestion de la confiance et vice versa. Pour fonder la référence au deuxième terme de ce modèle, la coopération se construit de la même manière : parce qu’il y a confiance, il y a coopération et vice versa. La confiance est donc très généralement vue comme une condition de réalisation de la coopération dans la mesure où elle dispense de se focaliser sur le contrôle des autres car un contrôle sur les résultats suffit, le contrôle sur le processus pouvant se réduire à de la simple vigilance. Mais, à l’inverse, la confiance peut être vue comme une conséquence ou un sous-produit de la relation de coopération. Cette circularité « confiance - coopération » doit être soulignée car c’est sans doute ce qui constitue la caractéristique majeure de ce modèle.

6Le modèle organisationnel en « confiance - coopération » constitue une sorte de focalisation de la lecture d’un modèle relationnel de l’organisation sur ces deux dimensions. Cette focalisation recouvre tout à la fois la dimension hiérarchique et la dimension transactionnelle (son aspect contractuel compris) de la relation. On pourrait même en parler dans les termes du contrat psychologique (cf. D. Rousseau, 1995).

7La logique d’un modèle organisationnel en « confiance - coopération » va osciller entre une perspective personnologiste et une perspective relationnelle. La confiance « généralisée » repose en effet sur la croyance dans l’efficacité des instances de l’organisation et de la société. Elle relève du préjugé qui va conduire à faire confiance sans questionner l’Autre du fait de sa position hiérarchique, de son statut, de ses rôles, de sa personne et de tous les autres éléments des primodialismes (âge, genre, race, religion, mœurs), le plus souvent d’ailleurs en correspondance avec les mêmes caractères que ceux de la personne qui fait confiance. La confiance se trouve alors à la fois « produite par » et « constitutive de » la communauté, le second aspect conduisant à l’idée qu’il est possible de créer et de gérer la confiance. Avec la loyauté, la confiance contribue à la délimitation de la communauté. Elle peut aussi être considérée comme fondatrice de formes organisationnelles dont, par exemple, les communautés de pratique. La confiance fonde les pratiques par une double interaction entre agents organisationnels et entre agents organisationnels et éléments structuraux de l’organisation (y compris les artefacts que sont, par exemple, les outils de gestion). L’interaction construit la confiance de manière incrémentale en fonction du nombre et de la variété des contacts là où la croyance inhérente à la confiance « généralisée » se contente du contact. Il y a de l’ambivalence dans la confiance, ambivalence dans ce qui mêle confiance en soi et confiance dans les autres (perspective personnologiste et perspective relationnelle). De façon plus générale, la réputation (individuelle et organisationnelle) constitue donc un produit de la confiance.

8La confiance agit sur la base de tensions relationnelles, tensions dont elle tire son ambivalence comme :

  • Arrière-plan et avant-plan de la relation, donc comme pré-condition et post-condition du fonctionnement organisationnel, comme minimum moral et comme morale produite (la réputation).
  • Instauratrice de la constellation de ce que l’on appelle aujourd’hui les « parties prenantes » dans une perspective managérialo-centrée (perspective intra-organisationnelle) ou, de façon plus large, de l’alliance (perspective inter-organisationnelle), avec, par exemple, les communautés de pratique et, plus généralement, les réticulations organisationnelles.
En cela, la confiance est un attracteur, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une notion à la fois attrayante et constitutive de l’attention portée par soi sur les autres tout comme des autres vers soi.

9Mais la confiance pose le problème de sa matérialisation : preuve à l’inverse (non-confiance), preuve expérimentale, preuve par questionnaires qualitatifs ou quantitatifs (avec des items et la mesure sur la base d’une échelle relative) dans la perspective de son évaluation comme élément d’un capital social où la coopération tendrait à constituer le retour sur l’investissement dans la confiance. La question des niveaux de confiance est en effet totalement contingente à la définition d’une échelle de mesure, qu’il s’agisse de ses fondements ou du fait que cette échelle soit conçue comme absolue ou relative (le « plus ou moins » de confiance).

4 – Le concept de confiance : approche encyclopédique

10La confiance est un concept d’ordre métaphysique qui prend sens dans les contours d’une anthropologie philosophique, anthropologie faisant de la confiance un des caractères de l’être, une manière de se comporter et aussi une manière de paraître aux autres.

11L’article « confiance » du Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale (Baier, 1996) souligne l’origine théologique du concept en faisant de Dieu l’objet d’un devoir de confiance. Il s’agit d’intention mais aussi de rapport personnel qui s’exprime dans les catégories de la conviction et de l’engagement. Le problème apparaît dans le passage de l’objet de la confiance du lieu d’autorité à celui de la détention d’un pouvoir avec l’adjonction de l’idée d’espérance dans l’état de dépendance dans lequel se place celui qui fait confiance. L’idée de sécularisation de la pensée est ici en germe dans la mesure où cette espérance exprime la foi en quelque chose de pas tout à fait sûr. La notion est essentielle en philosophie politique comme fait générateur de l’Etat. La confiance est rangée ici dans la catégorie des sentiments moraux et peut être constitutive d’une forme de capital, lui même forme spécifique de propriété. On retrouve d’ailleurs ceci avec l’actualité de la question de la réputation comme forme de capital immatériel. Pour sa part, Kant défend l’idée que le devoir de tenir ses promesses et de respecter ses promesses est indépendant de considérations prudentielles.

12La confiance apparaît aujourd’hui comme le sujet d’aphorismes et de mentions allusives dans une perspective émotiviste. A. C Baier souligne l’importance des textes de R. M. Axelrod, d’A. Sen et surtout de N. Luhman (1973) qui affirme que la confiance réduit la complexité en libérant l’agent qui fait confiance des obligations de contrôle (et des tâches bureaucratiques correspondantes) dans la mesure où c’est un preneur de risques. N. Luhman propose la thèse du passage d’un univers des sociétés traditionnelles où la confiance est largement une logique interpersonnelle à un univers où la confiance s’établirait aujourd’hui au regard du système (mot générique comprenant les organisations, l’Etat, la société, etc.) suivant la nature de la situation de l’agent. Dans le premier cas, la confiance suppose un engagement émotionnel absent dans le second où elle serait de l’ordre de la représentation de la relation. Outre la perspective évolutionniste de cette position, elle reconnaît également l’anéantissement de la dimension du sujet dans l’organisation aujourd’hui.

13Examinons maintenant quelques corrélats de la confiance sans lesquels la notion ne peut prendre sens :

  • L’action collective replace la confiance dans le rapport aux autres et non sur la base d’une perspective ontologique. La confiance est un de ses ingrédients en contribuant à l’intégration de l’agent dans la mesure où elle fonde l’arbitrage qu’il effectue face à l’ensemble des tensions qu’il vit au lieu de sombrer dans l’anomie. La confiance est donc à la fois instituée et force instituante.
  • L’amitié au travers de laquelle, de façon indirecte, la confiance (considérée ici comme étant de dimension personnelle) prend la dimension d’une vertu. La confiance s’acquiert dans l’amitié et non avant elle, dans la mesure où l’amitié ne peut être réduite à un sentiment (comme pour l’amour) car c’est une activité commune à deux ou plusieurs personnes qui, à défaut de durée, condition nécessaire, n’existerait pas. La volonté est aussi un des éléments qui entre en ligne de compte dans la construction de l’amitié. Par ailleurs, pour ce qui nous intéresse ici, quel serait le contenu d’une amitié « organisationnelle » ?
  • L’alliance résulte de la confiance en l’autre. Cette notion est une référence courante en sciences des organisations quand on s’y réfère en stratégie comme étant un des fondements des situations de « compétition - coopération ».
  • L’altérité qui conduit à la reconnaissance d’autrui.
  • A. Lalande (1991) indique que le terme d’altruisme a été créé par A. Comte en opposition à celui d’égoïsme. L’altruisme indique un attachement à autrui dans une relation dépersonnalisée comparativement au rapport « personnologiste » qui existe avec l’amitié. Altruisme et égoïsme individuels sont vus comme deux manifestations symétriques mais Spencer a ouvert l’interprétation de l’altruisme dans les catégories de l’égoïsme, argument repris par les thèses socio-biologiques et celles de la micro-économie. Par contre, « altruisme » et « confiance » sont bien en relation.
  • L’assurance, c’est-à-dire être sûr de soi et/ou des autres, constitue une des conditions nécessaires à la construction de la confiance.
  • La connivence considérée ici comme une forme positive de la complicité est, tout comme elle, un mode de réalisation de la confiance.
  • Le contractualisme importe dans la thématique de la confiance dans la mesure où la confiance, interprétée dans les contours du contrat implicite, dispense alors du contrat explicite. La confiance permet de faire de la conception « sociale » ou « organisationnelle » du contrat l’extension d’une conception individualiste formelle construite sur la base des intérêts et permet le recouvrement du contractualisme par le conventionalisme, le contrat cédant, avec la confiance, la place à la convention.
  • La défiance est le contraire de la confiance au sens des relations interpersonnelles.
  • La dépendance matérialise un des effets de la situation de confiance dans la mesure où celui qui fait confiance est dépendant de ceux à qui il fait confiance.
  • L’égalité car la confiance apparaît comme un des éléments de la perspective d’une rencontre avec des personnes dignes de confiance, donc des « égaux » en quelque sorte.
  • L’engagement comporte deux aspects, le premier prospectif, normatif qui est l’espérance attendue de la situation de confiance et le second rétrospectif et factuel qui justifie l’établissement d’une situation de confiance. Mais peut-on s’engager à l’égard d’une organisation, définie par des buts fonctionnels, une entreprise par exemple. Un tel engagement prend les formes d’un contrat, dont les clauses ont une portée générale, anonyme. L’engagement n’a ici qu’une portée instrumentale et il est relatif à un certain type d’actions nettement délimité sur une durée également limitée même si l’organisation n’est pas en mesure de dire à l’avance ce qu’elle demandera ni quand elle y mettra fin, l’agent qui s’engage d’ailleurs le plus souvent non plus. Il y a donc indétermination et risque. On peut s’engager aussi dans une profession, à l’égard d’une personne. L’engagement peut prendre la forme d’une conduite ou d’un acte dans la mesure où il met en jeu le sujet qui s’engage, relève d’un pouvoir de soi sur soi qui ne paraît lié à aucune détermination particulière et c’est en cela que la confiance constitue un des ingrédients de l’engagement.
  • L’empathie peut être considérée comme une manifestation de la propension à faire confiance.
  • L’espérance est associée à la confiance dans la mesure où une philosophie de l’espérance se replace dans une herméneutique du temps et que le tressage qui s’établit entre espérance, temps et confiance est alors majeur.
  • La fiabilité est aussi à la fois une des causes et une des conséquences de la relation de confiance : il faut être fiable pour faire (ou obtenir) l’établissement d’une relation de confiance qui ne dure que pour autant que le constat de fiabilité se trouve vérifié. Il faut noter que l’on trouve une acception organisationnelle de la fiabilité marquée par la confiance dans la thématique des HRO (High Reliability Organizations) avec, par exemple, M. Landau (1979), T. R. LaPorte (2001), K. Weick (1987), C. Perrow (1994).
  • La fourberie est un facteur de destruction de la situation de confiance.
  • La foi dans la mesure où la confiance est foi en l’autre et la croyance est élément constitutif de la confiance. Dans ce cas, la foi implique une reconnaissance réciproque entre les personnes, entre celui qui donne sa parole (ou inspire confiance) et celui qui la reçoit (ou fait confiance). Il est donc important de souligner ici la perspective relationnelle commune à la foi et à la confiance. De plus, « foi » et « croyance religieuse » ne sont pas strictement synonymes. Croire possède en effet à la fois un sens déclaratif (je vous crois…) et un sens performatif (je crois en vous…). Dans les deux cas, il y a engagement d’une relation de confiance – « éventuellement » dans le premier, « absolu » dans le deuxième. Mais là où la foi est inébranlable, la croyance peut prendre des formes différentes (opinion, persuasion, idéologie, conviction, etc.). Elle comporte deux caractéristiques générales : comme élément du jugement (condition de vérité - croire, c’est tenir pour vraie une proposition qui peut, par ailleurs être fausse) et comme guide du comportement (condition d’acceptabilité).
  • Le lien est ce qui caractérise la relation de confiance, avec bien sûr des gradations entre l’amour (version forte) et la relation comprise au sens social du terme (version faible).
  • La loyauté évoque la partialité et, tout comme la confiance, invite à une éthique de la partialité.
  • La méfiance est un opposé de la confiance mais en tant que posture générale de l’un vis-à-vis des autres. La méfiance serait, à ce titre à mi-chemin entre la confiance et la défiance du fait de la référence à un fond de doute vis-à-vis des autres.
  • La menace est, de façon générale, un élément destructeur de la confiance mais aussi, a contrario, éventuellement constitutive de la confiance au regard des membres du groupe sur lesquels elle pèse.
  • Le mensonge est une forme radicale de mise en péril de la confiance qui, à l’inverse, tresse des rapports étroits avec la vérité.
  • La confiance s’oppose à l’opportunisme dans la mesure où ce dernier est égocentré. Rappelons que la théorie micro-économique fait de la forme individuelle de l’opportunisme une composante majeure de l’ethos qui, paradoxalement, se transformerait collectivement en confiance « généralisée ». La relation d’échange serait donc transformatrice de l’opportunisme en confiance.
  • La promesse est liée au devoir d’honorer sa promesse. Mais c’est plus un des éléments constitutifs d’un dispositif venant élargir les bases de la confiance qu’un élément qui la fonde. C’est aussi un élément venant fixer un contenu à l’espérance.
  • Le respect est, sur le plan formel, une forme d’étiquette nécessaire à la construction de la confiance. Au sens profond, c’est un de ses fondements. Le respect s’adresse aussi bien à la puissance à craindre qu’à la faiblesse à respecter. Là aussi, la dimension du respect est importante avec le fait que l’estime de soi marque le début du respect de soi et des autres ainsi que de la morale.
  • La réciprocité constitue une des catégories de la relation et donc, en particulier, de la relation de confiance.
  • La réputation constitue une condition permettant l’établissement d’une relation de confiance et aussi une de ses résultantes. Son actualité est marquée, comme on l’a déjà mentionné plus haut, par le fait qu’elle constitue un des éléments du capital immatériel d’une organisation donnée.
  • La trahison est un élément destructeur de la relation de confiance. C’est l’accident qui arrive dans la relation.
La coopération contient l’idée de participer à une œuvre commune. Elle pose le problème de ses fondements et c’est en cela qu’intervient la confiance mais aussi l’altruisme. La cohésion, pour sa part, indique l’idée de solidarité des parties là où la coordination indique l’idée d’harmoniser des activités diverses dans un souci d’efficacité. Les notions de cohérence, de cohésion, de coopération et de coordination sont le plus souvent utilisées de façon peu distinctes les unes des autres. O Uzan & P. Accard (2003) vont ainsi distinguer l’approche « organiciste » (C. Barnard, E. Durkheim, H. Fayol, P. Lawrence & J. Lorsch, H. Mintzberg) de la coordination de l’approche « individualiste » (F. W. Taylor, H. A. Simon, M. Weber). L’approche « organiciste » va considérer l’organisation comme une totalité sociale où la coordination sera associée à la notion d’harmonie, d’équilibre rationnel, de modalité de normalisation des comportements. La coordination y est associée à une théorie de l’autorité qui admet en fait d’autres formes que la seule autorité hiérarchique. L’approche « individualiste » accorde plus de poids aux comportements individuels qu’à l’organisation. Pour la cohérence et la cohésion, J. L. Pech Varguez (2003) met en perspective les fondements de la cohésion et de la cohérence tout comme leur substance managériale. Elles peuvent, d’après lui, être fondées sur les catégories de la solidarité mécanique (basée sur la division du travail) et de la solidarité organique (basée sur les affinités de croyance et de valeurs) d’E. Durkheim (1893). Le concept de cohérence comporte l’idée de relations étroites qui construit des concordances entre des éléments. Les parties se retrouvent liées dans une sorte d’harmonie, de logique ou plus simplement d’ordre. Elle induit aussi l’idée de relations ordonnées a minima entre le discours et les pratiques organisationnelles. Elle suppose l’alignement des objectifs individuels sur les objectifs généraux de l’organisation, la faculté de corréler les activités et les processus en un ensemble. La cohésion signifie le fait de maintenir uni. Elle représente la force d’attraction qui existe entre les membres d’un groupe conduisant à une forme de conjonction solidaire et harmonieuse des émotions et des sentiments dans le sens de la construction de compromis entre les agents de ce groupe au nom des perspectives d’une identification commune. La cohésion conduit donc à un partage collectivement accepté de valeurs et à la construction d’une confiance organisationnelle. Il ne faut pourtant pas éviter pour autant de parler des risques d’une perspective trop fusionnelle, en cas d’excès de cohésion.

5 – La notion de confiance en sciences des organisations

14Deux logiques semblent « émerger » de ce corpus quelque peu foisonnant et dans lequel des définitions qui semblent a priori différentes finissent par être en fait assez semblables :

  • la construction de la confiance par référence principale à un système socio-technique (qui en assure la matérialisation), perspective situationniste,
  • la construction de la confiance à partir des personnes, perspective personnologiste.
Seules quelques références seront mentionnées ici.

15La perspective personnologiste domine dans les développements actuels des sciences des organisations. R. C. Mayer & J. H. Davis & F. D. Shorman (1995) mentionnent ainsi les trois dimensions nécessaires à la construction organisationnelle de la confiance : la compétence nécessaire, la bienveillance et l’intégrité. M. Capet (1998) offre une analyse formelle du concept de confiance afin d’en proposer une mise en perspective dans le thème de la confiance des salariés dans le patron. Il fait ainsi état de la confiance comme sentiment d’espérance opposé à la méfiance (ne pas se fier) ou à la défiance (crainte d’être trompé). La confiance se distingue aussi de la vérité (conformité entre une idée et un objet). La confiance est une espérance (rationnelle ou non) en une personne ou une chose. J.-C. Usunier (2000) souligne que « faire confiance c’est fondamentalement se rendre vulnérable à l’autre pour pouvoir réaliser quelque chose de bien avec lui ou avec elle, mais cela n’empêche pas aussi de tout faire pour réduire le risque lié à cette vulnérabilité ». En effet, c’est la vulnérabilité qui, liée à l’opportunisme, fait perdre toute consistance à la confiance. Or c’est l’opportunisme qui est au cœur de la théorie micro-économique et qui est considéré comme justifiant le déclenchement de la transaction. Ainsi naît l’ambiguïté de la position de la confiance dans l’organisation qui, au fur et à mesure de l’économisation de la pensée organisationnelle, a servi peu à peu de contrepoids à la lecture trop économique de la transaction pour lui donner en quelque sorte une consistance organisationnelle.

16L. G. Zucker (1986) propose trois types de production de la confiance : sur le processus (importance du passé, des habitudes), sur les caractéristiques de la personne, sur le jeu social. La taille de l’organisation est important dans la mesure où il plaide pour le dernier type, d’où la référence croissante au croisement « confiance organisationnelle - protocoles ». A ce titre, la confiance (invisible) est rendue visible au travers de ces modes de production de la confiance (cf. les répertoires, les référentiels, etc.).

17F. Alvarez (2001) distingue cinq dimensions de la confiance organisationnelle : 1° la confiance généralisée (liée à la société), 2° la confiance dans les règles, les procédures, dans le système formel, 3° la confiance dans la réputation de l’individu, 4° la confiance dans les compétences de l’individu, 5° la confiance dans les intentions de l’individu. Ces éléments ont un impact sur la dimension formelle de la confiance de façon impersonnelle (dimensions 1 et 2), personnelle (dimension 3, 4 et 5) ou sur la dimension informelle de façon impersonnelle (dimension 3), personnelle (dimension 5). Elle milite également pour le fait que la confiance limite et réduise les risques, facilitent l’échange d’information et l’autocontrôle par la mise en exergue d’un principe communautaire. Les réseaux (de personnes, d’informations) sont constitutifs de relations de confiance.

18La confiance tresse des liens solides avec la notion d’identité. J.-C. Usunier invite aux corrélats en distinguant ceux qui fondent une orientation vers l’autre (altruisme, loyauté, réciprocité, réputation, connivence) de ceux liés à un engagement dans l’action (dépendance, coopération, fiabilité, aversion au risque) qui le conduisent à dresser la liste des facteurs déterminants de la relation de confiance : prévisibilité, contrôlabilité, interdépendance.

6 – Conclusion : les contours relationnels du modèle organisationnel en « confiance - coopération »

19La confiance vient fonder le recours dual à la coopération comme mode de relation donnant substance à l’organisation. C’est tout l’intérêt de l’association des deux notions mais c’est aussi toute son ambiguïté. La confiance est alors considérée comme le facteur nécessaire à la construction de collaborations « ouvertes », c’est-à-dire non finalisées.

20La dimension du modèle relationnel en « confiance - coopération » conduit à repérer trois niveaux de la relation :

  • Celui de la relation unilatérale. Le caractère de la relation éclairée par les catégories de la « confiance - coopération » conduit finalement à magnifier la conformité dans une perspective « optimiste ».
  • Celui de la relation bilatérale qui, au travers des catégories de la « confiance - coopération », conduit du concept d’agent à celui d’acteur, l’expression de la volonté étant nécessaire - de part et d’autre, pour construire la relation.
  • Celui de la relation « plurielle » pour laquelle le modèle organisationnel en « confiance - coopération » marque le projet de l’occultation de l’appareil relationnel constitutif de l’organisation. C’est aussi le projet de refuser de penser la non coopération et la domination et c’est aussi la valorisation positive de la sympathie relationnelle.
Le modèle organisationnel en « confiance - coopération » marque le projet visant à entrer dans les catégories de l’informel. La confiance, dans sa dimension organisationnelle, permet de distinguer la version « passive » - la confiance « va de soi » comme présupposé, de la confiance « active » qui aurait ainsi vocation à se construire et à se gérer. Avoir confiance, c’est rencontrer des personnes dignes de confiance. La confiance organisationnelle sous-tend alors, en quelque sorte, le projet d’une situation permanente de création de rencontres avec des personnes dignes de confiance et l’accent est mis sur la situation au-delà des personnes. C’est la perspective de la construction d’habitudes. C’est aussi l’indication de la perspective de construire un ensemble de vertus organisationnelles dont la confiance serait au moins l’une d’entre elles.

21Mais comment s’opère le glissement de la confiance à la coopération ? La mise en avant d’un tel modèle organisationnel ne serait-elle pas représentative d’un projet idéologique de masquage de la hiérarchie ? La confiance apparaîtrait ici en quelque sorte de façon « résiduelle » comme une sorte de résidu de l’amalgame organisationnel.

22La confiance constitue alors une forme de volonté d’occultation ou de maîtrise du risque organisationnel qu’il s’agisse de risque de coordination, de risque d’opportunisme, de risque cognitif ou de risque de légitimité, inhérents aux représentations des agents. La confiance est alors projet et expression d’honnêteté, de compétence reconnue et de manifestation du respect des règles. La confiance organisationnelle se bâtit alors en liaison avec l’équité, l’engagement dans l’exercice de la responsabilité confiée et l’expertise.

Bibliographie

Bibliographie

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