Notes
-
[1]
Pour E. Mutabazi, il faut distinguer la multiculturalité qui désigne la pluralité, la polyethnicité, ou la diversité des cultures (nombre de cultures en présence) du multiculturalisme désignant un ensemble d’attitudes, de comportements et de pratiques de management par lesquelles les entreprises ou les institutions politiques gèrent les différences culturelles ou managériales.
Souvent fondée sur une vision négative ou réductrice des différences, cette approche quelquefois perverse, se traduit par la négligence, le déni ou la volonté de supprimer la diversité des cultures, souvent à des fins politiques ou économiques. Elle est généralement développée en faveur de cultures et de modèles dominants. De manière complémentaire, le multiculturalisme est aussi le fait de minorités (petits pays ou petites entreprises) fascinées par la puissance de ceux qui les dominent ou les achètent. Ce mécanisme ne peut se développer sans « colonisateur et colonisé ». Il s’agira encore du multiculturalisme lorsque les minorités développant des attitudes défensives, des luttes indépendantistes ou séparatistes. Le multiculturalisme se nourrit de l’excès d’ethnocentrisme du partenaire dominateur dans sa conception du monde et de son modèle managérial. -
[2]
Burston Martseller est une agence conseil en communication corporate et relations publiques. Dans l’une des ses études de cas, elle réalise l’accompagnement d’une fusion (Accompagner un fusion ou comment faire accepter un monde qui change (www. burson-marsteller. fr). Elle réalise aussi un audit préalable. Néanmoins, il s’agit d’un audit des perceptions. Pour nous, c’est audit est insuffisant. Les perceptions directes des individu ne suffisent pas à expliquer les dysfonctionnements dans les interactions. L’audit des référents culturels permet l’accès à des éléments dont les individus n’ont pas nécessairement conscience, et qui relèvent de représentations plus que d’opinions.
1La problématique d’une rencontre entre organisations à l’échelle internationale se pose pour nous en terme de communication interculturelle. En effet, les échecs de la rencontre s’inscrivent d’abord en terme de communication. Les référents nécessaires à toute communication que nous décrirons plus loin varient à l’interculturel et génèrent alors des incompréhensions qui peuvent conduire à la rupture de l’échange, et donc à l’échec de la rencontre interindividuelle et à plus large échelle interorganisationnelle.
2Nous verrons dans un premier temps la notion de communication (1.1), car il n’y a pas pour nous de culture sans communication, ou pas de communication sans culture. Pour communiquer, l’homme fait appel à des référents, indispensables à la construction des échanges intra ou interculturels (1.2). Nous verrons en quoi ils représentent aussi, dès lors qu’ils divergent, un risque d’échec de l’échange (1.3). Dès lors que l’on connaît les sources des dysfonctionnements communicationnels à l’interculturel, quels sont les moyens pour les mettre en évidence ? Nous proposerons la méthode qui a été développée pour nos travaux de recherche 2). Pour finir, nous proposerons les axes principaux de la méthode et les outils qui peuvent être mis en œuvre pour optimiser la rencontre interindividuelle et inter organisationnelle 3).
1 – Quels sont les référents culturels auxquels fait appel « l’homme communiquant » ?
1.1 – La notion de communication
3Un premier point capital peut être résumé en une phrase-clé: l’homme ne peut pas ne pas communiquer. C’est le point de vue des psychologues oeuvrant sur le développement, tel que R. Ghiglione (1986). A l’encontre du principe de « table rase » à laquelle le nouveau-né fut tout d’abord associé, représentant l’enfant comme un être initialement privé de contact avec autrui, l’enfant serait en fait d’emblée et par constitution prêt à communiquer avec l’adulte, à solliciter son attention et ses soins. Cette disposition, tout particulièrement inscrite dans l’espèce humaine, est biologiquement liée à l’état d’impéritie où se trouve le bébé, incapable de survie en l’absence d’un soutien permanent (H. Wallon, 1941). L’ontogénèse, la construction de la représentation du monde, de la penseé logique, de l’organisation psychologique, dépend du langage et de l’interaction (L.S. Vygotsky, 1934, H. Wallon, 1942). L.S. Vygotsky (1934) fait du langage égocentrique (l’enfant dialoguant avec lui-même), l’expression d’une première intériorisation des rapports sociaux et d’un étayage du fonctionnement mental.
4La communication détermine aussi la pérennité de l’organisation. Dans toutes les entreprises dans lesquelles nous sommes intervenus dans le cadre du conseil en communication interne et en management des hommes, les difficultés convergent vers la communication sociale, sous forme de cause ou de conséquence. Les fusions, acquisitions, et autre rencontres des cultures d’entreprise sont autant de situations à risque. En plus des résistances des individus à l’échelle personnelle et/ou collective, les organisations ne partagent pas d’emblée les référents clé nécessaires à la communication interne. Les managers expatriés, parfois trop centrés sur leurs propres valeurs et principes, ont tendance à rejeter et/ou à subir les modes de fonctionnement de l’organisation d’accueil, à chercher à les forger à leur image, bref, à ne pas interagir avec les autres parce que les référents des autres, au lieu d’être partagés, sont rejetés.
5Un deuxième point élémentaire pour cadrer notre problématique, est de toujours associer la notion d’interaction à celle de la communication. En ce sens, l’information constitue ce qui est transmis (Y. Winkin, 1996). Les interactions sociales impliquent en effet nécessairement un échange, c’est-à-dire « un cas où au moins trois comportements socialement orientés contingents sont produits par deux protagonistes, ce qui implique un accusé de réception de la réponse à la conduite initiatrice » (K.R. Scherrer, 1984 in J. Beaudichon, 1999, p. 14). Par ailleurs, toute communication est aussi métacommunication : tout message est à la fois un rapport d’indices sur des évènements antérieurs et un ordre pouvant infléchir l’action de l’interlocuteur (G. Bateson, 1951/1988, in Y. Winkin, 1996).
6Maintenant que notre cadre est posé, la question est la suivante : si la communication est un élément clé de la survie de l’homme, de l’organisation, d’une culture, alors comment fait-on pour bien communiquer ? L’homme qui communique a besoin d’une compétence communicative qui apparaît « comme un dispositif complexe d’aptitudes, où des savoirs linguistiques et les savoirs socioculturels sont inextricablement mêlés (…) » (C. Kerbrat-Orecchioni, 1995). Il faut en outre que les participants s’accordent sur le « contrat de communication » et négocient en permanence le système de droits et de devoirs dans lequel ils se trouvent engagés dès lors qu’ils entrent en conversation. Chaque intervention d’un acteur social dans la communication qui se déroule ne peut que contenir des propositions sur la manière d’échanger (règles d’échange) et sur les référents pris en compte et que l’on propose de prendre en considération (normes de jugement).
7Chaque proposition est soit acceptée par les partenaires, soit négociée implicitement, soit contestée et le débat peut alors s’engager (ou non) plus ou moins implicitement sur ce désaccord (A. Mucchielli, J.A. Corbalan, V. Ferrandez, 1998). Ainsi se déroule une négociation permanente non seulement sur les relations qui doivent s’établir, mais aussi et surtout sur toute la construction partagée de la réalité sociale (C. Kerbrat-Orecchioni, 1995). Pour M. Argyle, les compétences sociales (social skills) sont des ensembles structurés de comportements sociaux qui rendent des individus socialement compétents, c’est-à-dire capables de produire les effets désirés sur d’autres individus (M. Argyle, 1994).
8Ce sont encore ce que J.L. Ferry appelle des « ressources de sens » pour communiquer socialement (J.L. Ferry, 1997).
9Ces ressources de sens intériorisées sont ce que nous appellerons les référents. Or ces référents sont culturellement déterminés. Ce qui ne manquera pas de rendre encore plus complexes les relations interindividuelles.
1.2 – Les référents culturels
10Pour modéliser l’interaction culturelle, nous avons employé le découpage de W.B. Gudykunst et Y.Y. Kim (2003) en 4 types d’influences du déroulement de l’interaction :
11il y a d’abord des influences de type culturel parmi lesquelles nous regroupons les caractéristiques de la macroculture (culture nationale, régionale, religion/ethnie/classe sociale), et celle de la microculture (la culture de métier et la culture d’entreprise) (1.1). Viennent ensuite les influences socioculturelles, les influences psychoculturelles et pour finir, nous retrouverons les référents culturels parmi les influences environnementales.
12Sur la base de ce découpage, nous avons sélectionné et synthétisé les travaux de différents auteurs clé pour repérer les traits ou référents culturels qui interviennent dans les interactions et qui sont susceptibles de varier.
1.2.1 – Les référents et les influences culturelles
Influences macroculturelles
13Ce sont tout d’abord les influences culturelles à l’échelle de la macroculture :
- La distance hiérarchique et le rapport à la hiérarchie (G. Hofstede)
- Le contrôle de l’incertitude (G. Hofstede)
- L’orientation vers une forme de masculinité vs de féminité (G. Hofstede)
- Le rapport au groupe (collectif vs individualiste) / Les relations interhumaines vs les responsabilités humaines (F.R. Kluckholn et F.L. Strodtbeck)
- L’orientation à l’égard de l’activité humaine (G. Hofstede / Les sphères privées vs professionnelles soit type de vie segmentaire ou plutôt intégrative (E. Mutabazi, 2005)
- Les suppositions initiales à l’égard de la nature humaine (G. Hofstede)
Influences microculturelles
14A l’échelle de la microculture, les référents seront ce que O. Meier et J.M. Peretti ont respectivement qualifié de risques culturels ou de zones de friction :
- L’identification des rôles et des pouvoirs (O. Meier)
- La forme des relations hiérarchiques (J.M. Peretti)
- La clarification des rôles (J.M. Peretti)
- La perception et l’appréhension des risques (O. Meier)
- Les styles de communication (O. Meier)
- La manière de communiquer en interne et en externe (J.M. Peretti)
- La façon d’aborder la relation à l’autre (O. Meier)
- La résolution des problèmes (O. Meier)
- Le processus de résolution des problèmes récurrents
- La prise en compte de la diversité des points de vue pour définir et résoudre un problème (J.M. Peretti)
- La manière de percevoir et de gérer les conflits (O. Meier)
- Les oppositions en matière d’organisation et de gestion du temps (O. Meier)
- La gestion du personnel : motivation et sanction (J.M. Peretti)
- La définition des critères de succès (J.M. Peretti)
1.2.2 – Les référents et les influences socioculturelles
Le langage
15Le vecteur verbal, c’est la langue (en dehors de la vocalité) qui ne sera qu’un des matériels du langage dont disposent les individus pour interagir.
16Pour O. Ducrot et T. Todorov (1972), « la langue se définit comme un code, en entendant par là la mise en correspondance entre des « images auditives » et des « concepts ».
17Le vecteur paraverbal ou encore composantes paralinguistiques sont le timbre de la voix, la hauteur tonale, l’intensité, le débit, le rythme et tempo, les pauses et accents. Ils représentent la signature du locuteur (C. Kerbrat-Orecchioni, 1995). Ils sont aussi susceptibles de varier à l’interculturel.
18La dimension non verbale, c’est le corps, qui intervient à travers ses gestes et mouvements dans la communication kinésique, mais aussi à travers le langage des relations spatiales – la proxémique, et les caractéristiques chronémiques liées aux rythmes corporels et à leur synchronie dans l’interaction (E.T. Hall – 1983). Dans cette dimension non verbale, J. Cosnier et A. Brossard (1984) distingueront plutôt les statiques que constitue l’apparence physique naturelle (physionomie, stature), acquise (rides, cicatrices) ou surajoutée (vêtements, parures), les cinétiques lents, que sont les attitudes et les postures et les cinétiques rapides comme le jeu des regards, des mimiques et des gestes.
Les représentations socioculturelles
19Pour N. Roussiau et C. Bonardi (2001, p. 19) « une représentation sociale est une organisation d’opinions socialement construites, relativement à un objet donné, résultant de communications sociales, permettant de maîtriser l’environnement et de se l’approprier en fonction d’éléments symboliques propres à son ou ses groupes d’appartenance ». De cette définition se dégage toute la variabilité potentielle des représentations.
20Chaque membre d’un groupe donné a dans son cerveau des millions de représentations mentales, les unes éphémères, les autres conservées dans la mémoire à long terme et constituant le « savoir » de l’individu. Parmi ces représentations mentales, certaines – une très petite proportion – sont communiquées, c’est-à-dire qu’elles amènent leur utilisateur à produire une représentation publique qui à son tour amène un autre individu à construire une représentation mentale de contenu semblable à la représentation initiale (d’après D. Sperber, 1989, in D. Jodelet, 1989, 1997, p. 134). Parmi ces représentations communiquées, certaines – une très petite proportion à nouveau – sont communiquées de façon répétée et peuvent même finir par être distribuées dans le groupe entier, c’est-à-dire faire l’objet d’une version mentale dans chacun de ses membres. Les représentations qui sont ainsi largement distribuées dans un groupe social et l’habitent de façon durable sont des représentations culturelles.
1.2.3 – Les influences de type psychoculturelles
21On retrouvera chez F.R. Kluckholn et F.L. Strodtbeck :
- L’identité et le positionnement dans la relation
- Le mode d’expression de l’affect (et le degré d’investissement affectif)
- Les stéréotypes,
- Les préjugés
- Une hiérarchie différente de l’échelle des valeurs
1.2.4 – Les influences environnementales
22Ce sont chez F.R. Kluckholn et F.L. Strodtbeck et G. Hofstede :
- Le rapport au contexte (contexte riche vs contexte pauvre)
- Le rapport à l’espace
- Le rapport au temps
- Les normes (et nous irons plus loin en parlant du rapport aux normes)
- Les relations de l’humain avec la nature
1.3 – Nature et conséquences des échecs
1.3.1 – Nature des échecs
23Il y a beaucoup d’issues à une communication, parmi lesquelles :
- une conversation qui fonctionne bien dès le début
- une conversation potentiellement en échec, où un raté est géré par la négociation de la signification. Finalement, la communication est réussie.
- une conversation qui a subi un échec mais qui est finalement réussie parce que l’impair a été résolu.
- des dysfonctionnements dans la conversation qui se termine par un échec.
- un échec de communication pour lequel aucune résolution n’a été essayée (M. Clyne, 1994, p. 144).
24Il y a plusieurs raisons aux échecs dans les rencontres interpersonnelles parmi lesquelles :
- L’objectif de l’individu peut être inapproprié ou inaccessible dans la situation donnée
- L’individu échoue dans la perception des messages émis par l’autre. De nombreuses interactions interculturelles, sont en fait dues à la croyance par un locuteur d’une intention communicative de l’interlocuteur qui n’en était pas une.
- Certains comportements communicationnels peuvent être mal interprétés ou se voir donner de mauvaises attributions.
- Les individus peuvent ne pas savoir comment répondre adéquatement ou émettre des réponses jugées inadéquates par l’interlocuteur.
25Un raté n’est cependant pas définitif. Elle fait partie du déroulement de l’interaction et en est un constituant : c’est la négociation du sens. Ce raté est « rattrapé », ou non, par des mécanismes d’adaptation.
26On parlera de dysfonctionnement s’il y a persistances et répétitions de ces ratés, qui conduiront à la rupture ou encore à des conduites d’évitement.
27Une question qui doit être considérée par ailleurs est : y a t-il des différences culturelles dans l’aptitude à admettre qu’il y a des dysfonctionnements communicationnels, dans les procédés de négociation et de résolution des dysfonctionnements ? Ces différences dépendent sans doute du désir des locuteurs de résoudre le problème. Ce désir constitue un enjeu pour le manager qui devra savoir motiver l’envie de l’arrivant à participer à une nouvelle culture d’entreprise.
28Dans la plupart des cas, les gens quelque soit leur culture d’origine, sont préparés à admettre des dysfonctionnements d’ordre lexicaux ou contextuels. Les difficultés se dissimulent donc plutôt dans la dimension cachée du comportement communicationnel.
29Ces difficultés ne sont pas réellement remarquées ou bien sont mal interprétées parce qu’il n’y a pas de négociation du sens des messages (E. H. Schein, 1985).
1.3.2 – Conséquence des échecs
30Pour E. Mutabazi (2005), la méconnaissance du mécanisme de multiculturalisme [1] en jeu dans la gestion des projets et des relations de travail dans les entreprises se traduit souvent en Afrique non seulement par l’incompréhension mutuelle entre le personnel local et les expatriés, mais aussi par la distance relationnelle voire par des conflits quelquefois violents.
31Nous donnerons ici deux illustrations directement extraites de nos activités de conseil. Elles confortent par ailleurs notre point de vue selon lequel la notion de culture ne se limite pas aux caractéristiques nationales.
32Pour la première, il s’agit de l’arrivée d’un manager (Directeur Régional) dans un des plus grands groupes français, qui, provenant d’une société concurrente, s’est rapidement retrouvé mis à l’écart et sous estimé par ses pairs et ses subordonnés. Il ne parvenait pas à prendre la position qui lui incombait, ce qui se remarquait dans l’espace par ses postures et dans la proxémie (il s’approchait toujours de ses supérieurs et de subordonnés, ce qui les mettait visiblement mal à l’aise). Chacun de ses arguments dans le cadre des comités de direction était systématiquement rejeté, bien qu’ils fussent pertinents de notre point de vue extérieur. De plus, il ne parvenait pas à relayer les directives du groupe aux chefs d’entreprises de son pôle. Il a fini par « être démissionné ».
33Nous nous trouvons ici d’une part dans la divergence de référents que nous avons appelés psychoculturels : dans la divergence de positionnement dans la relation (rapport dominant/dominé) et dans un degré d’investissement affectif différent. Et à l’échelle microculturelle, dans un style de leadership presque opposé.
34Dans la société que ce Directeur Régional avait quitté, en effet, les rapports interindividuels étaient beaucoup plus investis affectivement, avec une hiérarchie beaucoup moins marquée, et un style de management de type participatif, tandis que le groupe accueillant se montre de part sa structure tentaculaire et ses modes de management beaucoup plus impersonnel, inscrit dans des objectifs prioritaires de performances beaucoup plus que dans les relations interhumaines.
35La deuxième illustration est – toujours au sein de ce grand groupe, celle de la fusion entre deux entreprises de marques différentes. Les spécificités des deux organisations, incompatibles en l’état, n’ont pas permis le développement de méthodes de travail ni d’objectifs communs.
36Des départs d’opérateurs se sont répétés, des clients insatisfaits n’ont pas renouvelé leurs contrats, les chefs d’entreprise se sont succédés, bref, le bateau était presque coulé lorsque l’audit de la culture est intervenu.
37Il a permis de mettre en évidence les spécificités des deux sous cultures qui ne s’étaient finalement jamais rejointes. Il était indispensable de procéder à un véritable travail commun sur l’image de marque et le rapport au client, la culture de métier, les méthodes et techniques, les styles de management… Du point de vue interindividuel, qui est celui qui nous intéresse ici, il s’agissait en fait de développer des référents communs aux acteurs de l’entreprise amenés à entretenir des relations de travail (interactions). Comme nous l’avons dit, il n’y a pas de culture sans communication ou interactions. De ce fait, notre conception de l’audit de la culture implique tous les niveaux de référents potentiellement impliqués dans l’interaction depuis les influences microculturelles jusqu’à celles que nous avons qualifiées de psychoculturelles ou environnementales.
2 – Mise en évidence des référents critiques dans la rencontre interculturelle
38L’objectif de notre enquête de terrain est de vérifier que les référents que nous avons pressentis sont pertinents pour expliquer les dysfonctionnements dans les interactions à l’interculturel.
39Nous procédons par entretiens aussi bien avec des Corses ayant travaillé sur le continent et revenus travailler en Corse, que des Continentaux ayant travaillé sur le continent et qui sont venus travailler en Corse.
40Chaque référent est présenté sous forme de thématique. Nous obtenons ainsi les caractéristiques des organisations continentales et des organisations corses dans lesquels ils ont travaillé par comparaison.
41Les référents testés au cours de ces entretiens constitueront un axe pour l’audit de la culture ou pour les formations mises en œuvre dans le cadre de l’accompagnement des ré-organisations ou des expatriations (voir 3.).
2.1 – La mise en évidence des référents culturels différents
2.1.1 – L’outil de recueil : l’entretien semi-directif
42Si notre démarche n’est pas exploratoire, dans la mesure où ce domaine de la communication interculturelle fait déjà l’objet de nombreux travaux, et qu’elle s’inscrit dans une logique hypothético-déductive, nous souhaitions néanmoins laisser la place à d’autres possibles que nos hypothèses de départ. Notre recherche a pour objectif de développer une méthode et des outils de conseil en organisation; il s’agit donc d’étudier toutes les pistes possibles et non pas uniquement de vérifier nos hypothèses.
43Ainsi, chaque référent culturel est envisagé comme une thématique. Ce qui nous permet de tester nos questions générales, et la pertinence des référents ou du moins la pertinence de ce que nous avons compris des référents tels qu’ils ont été présentés par d’autres auteurs.
44Le questionnaire, on le comprend, ne nous aurait pas permis de telles possibilités.
45Par exemple, le thème de la norme nous semblait un peu anodin au départ. Dans la littérature, ce thème n’était pas le plus développé. Or au cours des deux premiers entretiens exploratoires, il a été clair que le rapport à la norme constitue un élément essentiel dans notre étude de cas en Corse.
2.1.2 – Echantillon
46Une précision sur l’échantillon concernant les entretiens effectués : il s’agit d’entretiens aussi bien avec des Corses ayant travaillé sur le continent et revenus travailler en Corse, que des Continentaux ayant travaillé sur le continent et qui sont venus travailler en Corse.
47Et les retours d’expériences sont les mêmes. Ceci tend à démontrer que notre analyse ne se fondera pas sur un catalogue de préjugés.
48Nous avons effectué 35 entretiens. A partir de 5 entretiens, certains types de réponses ont commencé à être redondants.
2.1.3 – Thématiques
49Nous n’énumèrerons pas les référents déjà abordés de 1.2.1. à 1.2.4. Nous en retrouvons par ailleurs en illustration au point suivant.
2.2 – Analyse et résultats
2.2.1 – Type d’analyse
50Nous procédons à une analyse qualitative, de type thématique.
51L’analyse thématique découpe transversalement ce qui d’un entretien à l’autre, se réfère au même thème. Elle ignore ainsi la cohérence singulière de l’entretien, et cherche une cohérence thématique inter-entretiens.
52L’identification des thèmes et la construction de la grille d’analyse s’effectuent à partir des hypothèses descriptives de la recherche. Il s’agit d’une itération entre hypothèses et corpus. Comme le guide d’entretiens, la grille d’analyse doit autant que possible être hiérarchisée en thèmes principaux et thèmes secondaires (spécifications), de façon à décomposer au maximum l’information, séparer les éléments factuels et les éléments de signification, et ainsi minimiser les interprétations non contrôlées. Une fois les thèmes et items identifiés, une fois la grille construite, il s’agit alors de découper les énoncés correspondants et de les classer dans les rubriques ad-hoc. Ces énoncés sont des unités de signification complexe et de longueur variable (membre de phrases, phrases, paragraphes). (R. Ghiglione, A. Blanchet, 1991).
2.2.2 – Résultats
53Interprétation
54Nous donnons ici quelques exemples de thématiques.
Le rapport à la hiérarchie (influences macroculturelles)
55En ce qui concerne le rapport à la hiérarchie, qui est la première influence culturelle que nous avons abordée, il s’avère que les managers sont plus présents dans les rapports professionnels avec le personnel en Corse, mais qu’il y a une certaine retenue affective de part et d’autre. C’est le rapport entre sphère privée vs sphère publique qui entre en jeu ici (Lewin, Trompenaars et Hampden-Turner).
L’identification des rôles et des pouvoirs, la forme des relations hiérarchiques (influences microculturelles)
56Il y a en fait une vraie caractéristique en Corse, que les différents interviewés ont unanimement soulignée : c’est le rapport à la hiérarchie intermédiaire.
57« Il y a un esprit collectif par rapport à une identité et une culture forte, mais quand même avec toujours le besoin de mettre en avant un chef. Les chefs intermédiaires ont du mal à s’intégrer. En gros, si vous voulez, et pour beaucoup, c’est l’« armée mexicaine ».
58Il n’y a que des généraux, et peu de soldats. Il manque alors des strates fonctionnelles. C’est la loi du tout ou rien dans la hiérarchie ». Il y a un investissement affectif dans le rapport du chef avec ses subordonnés et réciproquement, mais il y a aussi une distance relative au respect du chef qui fait figure de père. Par contre, les chefs intermédiaires n’ont pas vraiment la place qu’on leur donne sur le continent. D’où les mauvaises surprises potentielles pour les continentaux arrivants et non avertis. Ils peuvent rencontrer de sérieuses difficultés de positionnement dans la relation.
Rapport à l’incertitude (influences macroculturelles)
59Pour l’initiative personnelle (référent qui nous donne accès au rapport à l’incertitude des différents groupes culturels – voir G. Hofstede, 2001), il ressort que si l’on est plutôt très favorable à l’innovation en Corse, il y a néanmoins une résistance plus marquée dans la réalisation. Il est revenu souvent dans les entretiens que l’innovation, la créativité était très bien tolérée lorsqu’elles venaient des continentaux et qu’elle était « mal vue » pour les Corses. Pour proposer une analyse psychosociologique, nous pourrions dire qu’il y a une plus grande autocensure du groupe ou pression sur ceux de ses membres qui risqueraient de briser le consensus.
Orientation à l’égard de l’activité humaine ou sphères privées et professionnelles de la vie : plutôt segmentaire ou plutôt intégrative (influences macroculturelles)
60Il s’avère que professionnalisme et affectif sont plutôt mélangés en Corse, ce qui a pour reprendre des termes d’un interviewé, « des conséquences positives sur la sensibilité des individus, mais qui a des conséquences négatives du fait que la compétence ne prime pas sur l’affectif ».
Rapport au groupe, collectivisme vs individualisme, relations interhumaines et responsabilités mutuelles (influences macroculturelles)
61Concernant l’individualisme vs le collectivisme en Corse, on rencontre des paradoxes. Si, notamment dans les petites structures, on retrouve une véritable politique sociale (notamment par rapport à l’accueil des handicapés) en Corse plus qu’ailleurs, ce qui traduit des préoccupations sociales, et en particulier dans les zones rurales, la tendance qui se détache est l’individualisme. Une formule que j’ai pu relever synthétise bien cette idée : « on se sert du collectif à des fins individualistes ».
Masculinité vs féminité (influences macroculturelles), - manière de percevoir et de gérer les conflits (influences microculturelles)
62« On a en Corse un handicap par rapport aux proportions, je dirais, quand l’émotionnel prend le pas sur le raisonné, c’est moins simple qu’ailleurs ». Ceci pourrait expliquer la tendance à l’evitement du conflit qui a souvent été abordée. Vu le degré d’investissement affectif dans les relations, le conflit prend rapidement de grandes proportions.
L’orientation à l’égard de l’activité humaine (influences macroculturelles)
63Le rapport à l’activité humaine, c’est-à-dire l’engagement dans la tâche vs dans les relations inter individuelles diffère entre la Corse et le continent; et pour reprendre les propos d’un interviewé, « ici, le relationnel prime. Entre deux personnes de compétences égales, le relationnel remportera la mise en Corse. Il faut être dans le circuit plus que de présenter un bon CV. » D’où à l’échelle des enjeux managériaux, des caractéristiques dans la sélection du personnel.
Le rapport à la norme (influences environnementales)
64Parmi les influences environnementales, le rapport à la norme entre Corse et Continent a aussi attiré notre attention : « il y a une nette différence dans le rapport à la norme : ici, c’est la difficulté de créer la norme dans un 1er temps, puis de la respecter. C’est une notion qui est difficile à respecter dans tous les domaines » ou encore « c’est très contradictoire… là encore : on accepte la norme de manière très docile mais en réalité on ne la respecte pas. On prend une certaine liberté par rapport à la norme dans la réalité, mais sans chercher le dialogue pour transformer cette norme en application. On ne remet pas en cause pour ne pas s’exposer mais on contourne. »
65On distingue aussi l’importance de la culture de métier et de la culture d’entreprise.
66Par exemple, dans des organisations comme l’ONF, la culture d’entreprise et de métier domine de loin les caractéristiques régionales. Seuls les éléments très marqués ressortent (telle que l’importance des relations de travail). Dit autrement, les caractéristiques de la microculture, entreprise et métier, inhibent les caractéristiques macroculturelles et autres influences.
67Par ailleurs, la notion d’ « adaptabilité » et de « relativisation » ont souvent été cités par les continentaux. « Ceux qui ne veulent pas s’adapter s’en vont » est un classique de nos entretiens.
Résultats en termes d’enjeux managériaux
68L’interprétation des données (l’analyse thématique) est transcrite ensuite en enjeux managériaux. Ce sont des recommandations sur les modes de management à mettre en place en fonction des caractéristiques (référents) culturels pour optimiser les interactions à l’échelle interindividuelle ou inter organisationnelle. Ces recommandations reposent sur la méthode des combinaisons :
69Ainsi on a vu dans la thématique du rapport à l’incertitude que l’innovation est peu encouragée, et pas toujours tolérée à l’intérieur des collectifs de travail, à moins d’avoir la « circonstance atténuante » d’être continental. On peut penser que l’orientation à l’égard du temps (la société corse étant une société plutôt plus traditionaliste que la société continentale interviewée) et un fort contrôle de l’incertitude expliquent cette résistance.
70Or on sait aussi que le chef a beaucoup d’autorité (style de leadership de type paternaliste), à la différence des cadres intermédiaires. Il sera donc le seul vecteur potentiel dans l’encouragement de valeurs telles que l’innovation et la créativité. Il s’agira alors que le chef d’entreprise encourage cette valeur (principe de l’engagement), en fonction des modes de motivation et de critères de succès existants dans l’organisation (référents relevant des influences microculturelles).
71De même, on sait maintenant au vu du rapport à la norme que pour « faire passer » une nouvelle règle, le principe de réciprocité des droits et des devoirs et le rapport affectif du chef d’entreprise avec ses subordonnés sera plus efficace dans les organisations corses que n’importe quelle méthode d’imposition de règles et de procédures.
72Nous avons aussi remarqué que la polyvalence, aujourd’hui indispensable au développement de organisations que nous avons auditées, est fortement rejetée sur le continent. La polyvalence dévaloriserait le métier. A l’inverse, la polyvalence en Corse est une caractéristique fréquente et plutôt valorisée. Pour ces raisons, la ré-organisation en services fonctionnelles risque d’être beaucoup plus difficile en Corse que sur le continent. Inversement, nous oserons avancer que les personnels en Corses seront plus adaptables à l’évolution des métiers, dès lors que l’évolution demandée soit conduite par le chef.
Le modèle culturel corse
73Ce qui caractérise d’abord la Corse, ce sont ses paradoxes, ce qui a aussi été mis en évidence par P. d’Iribarne (2002) dans son enquête sur les relations de travail en Corse.
74De plus, lorsque des référents culturels varient entre Corse et Continent, c’est d’une manière très marquée. Ce qui sous-tend que notre méthode de mise en évidence des influences ou traits culturels est une méthode de comparaison réellement discriminante d’une part, mais aussi que la Corse présente un modèle culturel réellement marqué en terme managérial.
75Nous dirons par ailleurs que le modèle de management corse, si nous devions le situer, est bien plus proche du modèle circulatoire africain que du modèle européen tels qu’ils sont décrits par E. Mutabazi
76On est en effet en Corse dans la relationnalité plutôt que dans la rationalité.
77On est plus dans le profit social que dans le profit matériel.
78Et on est plus dans la réciprocité des droits et des devoirs que dans les règles, plans, technologies et procédures.
79Cette affirmation est loin d’être anodine pour la gestion des organisations sur l’île, ainsi que pour l’accueil des continentaux au sein de ces organisations. Pourtant, dans les organisations visitées à l’occasion de notre recueil de données, rien n’est prévu en terme d’accueil, de formation, d’accompagnement. Un délai d’adaptation fort coûteux en temps et en énergie ou des départs intempestifs de nouvelles recrues pourraient pourtant être évités.
3 – Méthode et outils pour optimiser la rencontre interculturelle
3.1 – Les impasses
80Une opinion largement répandue consiste à vouloir remédier à la complexité culturelle par un renforcement des contacts entre cultures dans l’objectif de permettre une meilleure compréhension mutuelle. Cela revient en pratique à penser que le stage seul du cadre à l’étranger aura une efficacité dans sa « désethnocentration ». On s’inscrit sans doute par cette croyance dans le scénario humaniste. Or on le sait, la rencontre de cultures différentes est loin de permettre une intégration réciproque et d’élever la compétence interculturelle.
81Certaines normes culturelles sont incompatibles entre elles, pour reprendre les propos de M. Abdeljalil et de S. Dine (2005), normes culturelles que je préférerais dire trop éloignées plutôt qu’incompatibles, ce qui rend difficile leur co-existence.
82Le défi d’une équipe multinationale sera donc de réussir à tirer profit de sa diversité sans que son fonctionnement n’en souffre.
83Une deuxième impasse est le problème de l’intégration :
84Par définition, l’intégration implique un écrasement des valeurs de part ou d’autre des individus ou groupes. Et en particulier, l’écrasement des principes minoritaires par les principes majoritaires. On est donc à mon sens à l’opposé du principe de diversité.
85Le risque par ailleurs est que les individus se sentent menacés dans leur identité, ce qui réduit considérablement leur pouvoir d’adaptation. Quand on parle de diversité culturelle, c’est pourtant bien de diversité d’identités dont il faut parler, non pas d’une identité internationale regroupant différents traits culturels, pour en revenir au scénario humaniste.
86Une autre impasse encore est celle de la langue : l’apprentissage de la langue ne constitue qu’une étape de l’ouverture à l’autre. Pour information, le vecteur verbal ne représente que 15% de l’impact d’une communication (P. Détrie et C. Meslin-Broyez, 2001).
87Ces impasses nous amènent à suggérer un procédé: il ne faut pas focaliser l’effort sur les caractéristiques plus ou moins compatibles des individus ou groupes culturels en présence.
88C’est bien plutôt sur l’interaction, et plus particulièrement sur les facultés d’adaptation et de négociations du sens, qu’il va falloir se focaliser. Il ne s’agit donc pas de modifier les modèles, valeurs et représentations des individus en présence, mais de leur faire « admettre » l’existence de référents différents des leurs. L’apprentissage des langues n’est qu’un petit début du décodage. L’objectif est de permettre un élargissement des référents culturels des interactants ou groupes culturels interagissant.
89Pour développer ces facultés d’adaptations et de négociations, il faut dépasser la simple information. Il s’agit de mettre en place une méthode située, ce qui exige un concept spécifique.
3.2 – Les leviers d’action pour l’entreprise
3.2.1 – La culture d’entreprise comme outil fédérateur
90Le rôle fédérateur de la culture d’entreprise dans la gestion de la diversité est connu (voir J. Gauthey, D. Xardel, 1990, H. Blaquière, P. Bossard et B. Mc Carron, 1984).
91Il est important de faire sentir au nouvel arrivant qu’il est un acteur de l’organisation. En plus des compétences socioculturelles à la base d’une expatriation potentielle, il faut en effet aussi nourrir l’envie d’interagir. Le nouvel acteur doit savoir qu’il a sa place, afin de lui donner l’envie de s’adapter, motivation sans laquelle il lui sera impossible de supporter les inadéquations entre ses propres référents et ceux de l’organisation d’accueil.
3.2.2 – Les enjeux pour le manager
92Il est connu dans la littérature que la nature des conflits interculturels se concentre dans la plupart des cas sur certaines caractéristiques de l’entreprise. Ce sont en particulier les différences dans les procédures de travail, le manque d’autonomie, l’ambiguïté dans la définition de la mission. Nous les avons rencontrées dans nos entretiens.
93Sans sensibilité culturelle et interculturelle, le meilleur manager fera face à d’importants obstacles dans un contexte international (C. Barzanty, 2002). Les considérations sont nombreuses : parvenir à un accord au sein des équipes sur les procédures de travail en intégrant les notions de temps et de distance, comprendre et tenir compte des différences dans l’éducation et la formation, des problèmes de disponibilité de technologie, de la langue du travail et des documents, des différences de management ou encore d’éthique et de déontologie du travail (C. Barzanty 2002).
94Il faudra focaliser l’attention sur les points suivants :
- Avoir une raison d’être clairement exprimée Quelles sont nos valeurs ? Nos objectifs ? Nos finalités ? Raison qui sert de référence, de plate-forme de communication interne à l’équipe.
- Construire un langage commun : il ne s’agit pas simplement de la langue de travail mais des significations attribuées par chacun à différentes notions techniques ou managériales, à certaines procédures et bien sûr aux valeurs-clés.
- Clarifier : la clarification doit intervenir dès lors qu’un langage commun est crée.
Elle porte sur l’action à mener, la personne à convaincre, la nature d’une décision, l’enjeu d’une négociation. Elle permet d’éviter les malentendus et d’assurer une communication optimale. - Exploiter les supports sociaux et les différences culturelles. La formation, la discussion, les échanges doivent permettre de les faire accepter comme sources d’enrichissement pour tous et pour l’entreprise (H. Blaquière, P. Bossard et B. Mc Carron, 1984).
3.2.3 – Le conseil (audit et formation)
95Les actions à mener pour optimiser la rencontre interculturelle sont de deux types selon les situations : la formation initiale et le coaching pour l’expatrié, et un plan de ré-organisation accompagné d’un suivi extérieur pour les fusions d’entreprise.
96Pour l’élaboration des formations comme pour la préparation du plan de réorganisation culturelle, un audit des deux cultures mises en présence est un préalable.
97Cet audit est composé d’un comparatif des référents des deux cultures en présence exposés sous forme de thématiques afin de repérer les risques.
98Cet audit peut être évité si la recherche documentaire apporte suffisamment de données.
Pour l’expatriation d’un individu ou d’une équipe :
99La formation initiale suivi du coaching si les référents de la culture d’accueil sont très différents de la culture d’origine.
100Il n’existe pas de formation générique, puisque comme nous l’avons déjà dit, chaque organisation présente des référents spécifiques. Les modalités de la formation découlent donc des résultats de l’audit.
101L’objectif de la formation, c’est de construire et de développer des compétences interculturelles, définies comme les capacités d’un individu à savoir analyser et comprendre les situations de contacts entre personnes (et entre groupes) de cultures différentes, puis à les gérer et les valoriser dans le sens des objectifs de l’entreprise (O. Meier, 2004).
102Il s’agit donc de développer une meilleure connaissance des référents culturels de l’autre qui limiteront les réactions de crainte, d’évitement et de rejet dans la rencontre. Prévenir le rejet, la crainte et donc l’inadéquation de notre conduite communicationnelle est élémentaire.
103L’apprentissage interculturel réussi, c’est la reconnaissance du caractère relatif et spécifique de son modèle culturel. Ce processus d’apprentissage peut être décrit comme une interaction entre l’individu et la culture (Y. Yamazaki et D.C Kayes, 2004).
104Dans les perceptions, les représentations, les appréciations que j’ai de l’autre, il s’agit d’abord de saisir mon propre regard : « reconnaître en même temps l’autre comme semblable, c’est admettre que la différence n’exclut pas la similitude ; c’est le considérer comme appartenant fondamentalement à la même humanité que moi; c’est supposer que la différence n’est pas seulement un obstacle à la communication, mais peut-être un stimulant et un enrichissement.
105La simulation d’une « situation à risque » accompagnée de la correction des réactions est une mise en situation indispensable à la « désethnocentration »:
106Cette simulation est guidée par des questions clé telles que :
- Face à cette situation X dans votre nouvelle entreprise, quelles sont vos réactions ?
- Par rapport à quelles attitudes, pourquoi ?
- Quelles sont les réactions que l’on peut provoquer, de par nos attitudes, pourquoi ?
Pour les fusions d’organisations :
107Nous recommandons dans le cadre des fusions un plan de ré-organisation culturelle commun avec l’aménagement de groupes de travail représentatifs des deux parties fusionnées, ainsi qu’un suivi pour rectifier les éventuelles dérives (incompréhensions, conflits…). C’est ce que Burston-Marsteller [2] appelle comité de communication interne international. On parvient donc à développer des référents communs aux deux cultures par l’interaction entre les deux organisations et non par le simple écrasement des valeurs, rites, modes de fonctionnement… Nous nous situons ainsi dans la mise en pratique du principe de synergie culturelle souvent recommandé (et non d’intégration).
108« En mettant en synergie les différents cas, l’entreprise permettra à ses hommes d’enrichir leurs comportements, leur imagination, leurs ouvertures aux autres, leurs performances. En retour, la culture de l’entreprise s’élèvera et favorisera le développement des échanges culturels. Son efficacité, son ambiance et son image s’amélioreront » (H. Blaquière, P. Bossard et B. Mc Carron, 1984, p. 115). Nous suggérons par ailleurs l’élaboration d’un outil de communication commun aux partenaires de la fusion. Ces outils de communication auront dès le départ pour objet de transmettre les construits communs (techniques, matériels, organisationnels et communicationnels).
109A l’heure actuelle, les entreprises échouent dans la diversité culturelle pour les raisons suivantes (dans l’ordre):
- Elles ne tiennent pas compte ou sous-estiment les risques de la diversité, se privant ainsi des bénéfices potentiels de la diversité
- Elles comptent sur les managers qui n’ont pourtant pas toujours la disponibilité, les moyens ou les compétences pour prévenir les risques de la diversité ou pour savoir en tirer parti
- Elles organisent des formations uniquement – alors que le plan de ré organisation est fréquemment plus approprié
- Elles réalisent un audit externe mais sans lui associer le plan de ré-organisation culturelle, l’élaboration d’un outil de communication commun et l’accompagnement (suivi).
110Au regard de nos convictions, fondées sur les travaux de nombreux chercheurs et cabinets de conseils comme sur nos expériences propres, il n’y aura pas de modèle strictement applicable à toute expatriation ou à toute fusion à l’issue de nos travaux. De même qu’il n’existe pas un modèle de management international. Nous proposons par contre un modèle structuré de référents pour l’enquête préalable à tout rapprochement interculturel, ainsi que des outils adaptés aux différents cas de diversité culturelle auxquels les organisations seront confrontées.
111En dehors de l’apport escompté pour nos activités de consultant, nous espérons proposer des éléments d’application à un domaine encore trop théorique, ou dont les secrets de la pratique demeurent jalousement gardés.
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Notes
-
[1]
Pour E. Mutabazi, il faut distinguer la multiculturalité qui désigne la pluralité, la polyethnicité, ou la diversité des cultures (nombre de cultures en présence) du multiculturalisme désignant un ensemble d’attitudes, de comportements et de pratiques de management par lesquelles les entreprises ou les institutions politiques gèrent les différences culturelles ou managériales.
Souvent fondée sur une vision négative ou réductrice des différences, cette approche quelquefois perverse, se traduit par la négligence, le déni ou la volonté de supprimer la diversité des cultures, souvent à des fins politiques ou économiques. Elle est généralement développée en faveur de cultures et de modèles dominants. De manière complémentaire, le multiculturalisme est aussi le fait de minorités (petits pays ou petites entreprises) fascinées par la puissance de ceux qui les dominent ou les achètent. Ce mécanisme ne peut se développer sans « colonisateur et colonisé ». Il s’agira encore du multiculturalisme lorsque les minorités développant des attitudes défensives, des luttes indépendantistes ou séparatistes. Le multiculturalisme se nourrit de l’excès d’ethnocentrisme du partenaire dominateur dans sa conception du monde et de son modèle managérial. -
[2]
Burston Martseller est une agence conseil en communication corporate et relations publiques. Dans l’une des ses études de cas, elle réalise l’accompagnement d’une fusion (Accompagner un fusion ou comment faire accepter un monde qui change (www. burson-marsteller. fr). Elle réalise aussi un audit préalable. Néanmoins, il s’agit d’un audit des perceptions. Pour nous, c’est audit est insuffisant. Les perceptions directes des individu ne suffisent pas à expliquer les dysfonctionnements dans les interactions. L’audit des référents culturels permet l’accès à des éléments dont les individus n’ont pas nécessairement conscience, et qui relèvent de représentations plus que d’opinions.