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Article de revue

L'adoption du Project Management Office en France : un retard à déplorer, une incompatibilité culturelle ou une résistance à la mode managériale ?

Pages 105 à 125

1 La pratique et la recherche en management de projet accordent une place croissante au management multi-projet (Garel et al., 2004, Santosus, 2003, Shauduri et Schlotzhauer, 2003, Rad et Levin, 2002). Il s’agit d’améliorer les performances en passant d’une logique qui considère les projets de façon individualisée à une logique qui envisage les projets de façon agrégée qui permettent de mutualiser entre plusieurs projets les ressources, les compétences et l’apprentissage.

2 Dans ce mouvement, la notion de Project Management Office (PMO par la suite) occupe une place clef. Le PMO se présente comme une partie de l’organisation qui vise à centraliser tout ou partie du pilotage et du suivi des projets d’une entreprise. Si la notion de PMO connaît un développement ininterrompu depuis plus de dix ans dans la littérature anglo-saxonne et plus particulièrement nord-américaine (Rad et Levin, 2002), il n’en est pas de même dans la littérature francophone. Nous nous proposons donc de tenter d’interpréter ce contraste et plus particulièrement d’explorer trois hypothèses :

  • est-ce un simple retard, dû à une diffusion décalée des pratiques managériales ?
  • est-ce une incompatibilité fondamentale entre la France et le modèle du PMO ?
  • est-ce un refus de la mode, c’est-à-dire que le modèle du PMO existe déjà en France, sous d’autres formes, sous d’autres noms, mais n’est pas perçu comme une innovation managériale, d’où un désintérêt de la littérature française pour le modèle ?
Dans ce but, nous procéderons en trois temps. Dans un premier temps, nous rappellerons brièvement la logique du PMO, telle que la présente la littérature (majoritairement anglo-saxonne). Dans un deuxième temps nous présenterons les résultats d’une étude exploratoire menée par voie d’entretiens semi directifs de octobre 2004 à juin 2005 auprès d’un échantillon de 12 professionnels impliqués dans le management de projet (composé pour moitié de sociétés de conseil et de société d’autres secteurs). Enfin, dans un troisième temps, nous formulerons des hypothèses d’explication quant au décalage de développement entre le développement des PMO dans le monde anglo-saxon et en France.

1 – La notion de PMO : un état de l’art

1.1 – Objectifs et fonctions du PMO

3 Le PMO se présente comme un moyen de faire progresser les capacités de gestion de projet par l’amélioration des méthodes et des procédures. L’action du PMO se place à deux niveaux, celui du projet lui-même et celui de l’entreprise dans son ensemble.

Les fonctions projet du PMO

4 Les fonctions projets du PMO ont un impact immédiat sur le projet. L’équipe du PMO va en effet avoir un rôle direct de soutien au projet. Cette relation peut prendre plusieurs formes :

  • Le PMO peut jouer un rôle de fournisseur de ressources aussi bien humaines que matérielles en cas de besoins du projet. Le PMO est ici mieux placé que le chef de projet pour obtenir ces ressources dans la mesure où il est en charge de leur répartition entre les différentes branches de l’organisation pour ce qui concerne les projets, évitant ainsi les conflits internes.
  • Le PMO peut jouer un rôle de mentor en accompagnant l’équipe de projet dans son apprentissage des techniques de gestion qui lui seront nécessaires
  • Le PMO peut enfin jouer un rôle de conseil en cas de difficultés passagères que rencontrerait l’équipe projet.
En plus de ces rôles de soutien aux équipes projets, le PMO peut remplir un certain nombre de fonctions qui seront liées à la gestion directe des projets comme établir des standards de contrôle de gestion des projets ou bien référencer les outils informatiques de pilotage de projet. Ces fonctions sont nombreuses, chaque organisation choisissant les plus appropriées (Rad et Levin, 2002).

Les fonctions du PMO liées à l’entreprise

5 Le rôle du PMO est d’améliorer et d’élargir les méthodes de gestion des projets. Cette fonction s’exerce non seulement au niveau de chaque projet, mais aussi au niveau de l’organisation dans son ensemble. Le rôle que va jouer le PMO dans cet effort peut prendre différentes formes :

  • Promouvoir les avancées dans le plan de développement du management de projet pour maintenir et renforcer l’implication de la direction dans le processus.
  • Archiver et organiser les informations à propos des projets réalisés afin de ne pas perdre de mémoire les techniques développées.
  • Partager le savoir accumulé avec toutes les équipes de gestion de projets notamment par le moyen de guides détaillés.
  • Former les équipes aux techniques de management de projet.

1.2 – L’implémentation du PMO

La détermination des fonctions du PMO par le modèle de maturité

6 Le modèle de maturité (Kwak et Ibbs, 2002, Judgev et Thomas, 2002) peut être défini comme un outil organisationnel permettant de suivre l’évolution de la capacité de l’entreprise à gérer ses projets avec succès. La maturité d’une entreprise en matière de gestion de projets correspond à sa capacité à générer un taux de succès de ses projets le plus élevé possible. L’objectif de ce modèle consiste à déterminer les actions et les capacités que doit entreprendre la société pour progresser dans ce domaine, le processus pouvant prendre plusieurs années. La détermination du niveau de maturité de l’entreprise est essentielle car elle aura pour conséquence la définition de la forme et du rôle précis que devra jouer le PMO pour tout d’abord être adapté à l’entreprise et ensuite pour coordonner les mesures adéquates pour la faire progresser vers un niveau de maturité supérieur.

7 L’échelle la plus couramment utilisée comporte 5 niveaux. Chaque niveau est décrit comme un ensemble d’objectifs à atteindre et des activités qui doivent être mises en place pour les réaliser. Au niveau 1, l’entreprise n’a pas de procédure ni d’expérience précise du management de projet. Le succès d’un projet est ici totalement le résultat d’une performance exceptionnelle et d’un investissement considérable de la part de son responsable. Au niveau 5, l’entreprise maîtrise parfaitement les techniques de gestion de projet et la réussite d’un projet est devenue la norme. L’accent est donc mis sur l’amélioration continue de la performance des projets qui sera de la responsabilité du PMO.

Le positionnement du PMO dans l’entreprise

8 Un PMO peut être mis en place à différents niveaux de l’entreprise : le projet lui-même, la division, ou l’entreprise dans son ensemble (comme l’illustre le diagramme suivant). Le choix dépendra tout d’abord des objectifs fixés au PMO : plus les ambitions et les responsabilités sont importantes, plus il devra être haut placé dans la hiérarchie.

9 Le positionnement du PMO au sein de l’entreprise va également en grande partie dépendre de la structure de l’organisation. Cette contrainte sera d’autant plus forte que le niveau de maturité de l’entreprise est faible. En effet, dans ce cas, le PMO devra apporter un soutien direct aux projets et devra donc être beaucoup plus proche d’eux au niveau organisationnel. Deux types extrêmes d’organisations peuvent être distingués :

  • Organisations fonctionnelles : les fonctions dans leur ensemble sont ici regroupées au sein de chaque division. Les projets sont le plus souvent développés de manière interne dans chaque division et reçoivent peu de support de la part du reste de l’organisation. Un PMO peut donc être établi au niveau de chaque division ou de chaque projet et aura pour responsabilité d’assister directement les équipes de projets. Toutefois, si son objet est de mettre en place des méthodes transversales, il devra dépendre directement de la direction générale.
  • Organisations orientées projets : dans ce type d’organisation, les équipes projets ont à leur disposition tout le support dont elles ont besoin de la part des services fonctionnels de l’ensemble de l’entreprise. Le PMO a ici un rôle beaucoup plus général et se situera donc au niveau de la direction générale.

Figure 1

Les positionnements possibles du PMO au sein de l’organisation

Figure 1

Les positionnements possibles du PMO au sein de l’organisation

2 – Les débats actuels sur les PMOs

10 La littérature anglo-saxonne n’est pas avare en critiques et en préconisations lorsqu’il s’agit de l’application concrète du PMO. Sur ce point, on pourra dégager trois thématiques principales : la première est celle de l’adaptabilité des PMOs. Les entreprises ont-elles toutes besoin d’un PMO ? Le PMO est-il adaptable à tout type d’organisation ?

11 La deuxième thématique s’intéresse à l’efficacité des PMO face aux coûts que son implémentation et son fonctionnement représentent. Quelle est la nature des gains d’efficacité ? Est-elle quantifiable ou qualifiable ? Certains articles observent le fonctionnement actuel des PMOs, et analysent ses dérives éventuelles.

12 Enfin, la dernière problématique concerne le statut et le territoire de responsabilité des PMOs. Quelle place et quelles fonctions le PMO doit-il tenir au sein de l’entreprise ? Si les fonctions du PMO sont clairement énoncées et définies dans les ouvrages de référence, il reste qu’une fois le PMO implémenté dans l’entreprise, cette question reste essentielle et soulève de nombreux dilemmes.

2.1 – Adaptabilité du PMO

13 Le PMO est un des modèles les plus aboutis proposé en terme de management par projet, puisqu’il propose de créer tout un département dédié au projet, et même, à la promotion du management par projet. Ainsi, Rad et Levin (2002) incluent explicitement, dans les quatre fonctions premières du PMO, un rôle de promotion de la culture de projet, afin de disséminer au sein de l’entreprise une autre « manière de faire. » Autrement dit, la question qui se pose à présent est : toute organisation est-elle compatible avec une culture du projet ?

14 Conrath (2004) souligne le fait que le PMO ne convient pas à tous. En effet, toutes les entreprises ne fonctionnent pas forcément par projet, ne gèrent pas un nombre suffisant de projets, ou ne tireraient aucun bénéfice de ce type de management. Il s’agit donc d’entreprises pour lesquelles la gestion de projet n’est pas un véritable enjeu stratégique, et dont l’organisation est davantage régie par un fonctionnement par processus. Ainsi, le premier critère d’adaptabilité du PMO serait la part de revenu généré par la gestion de projet de l’entreprise. Ken Hanley, consultant chez KPMG donne les questions-clé qu’il faudrait poser avant de songer à l’implémentation d’un PMO : "Is your success largely measured by how you can execute projets ? If you are a project – more than a process organization, if you are at the point where your revenue depends on successfully executing projects, then you had better invest in something like a project management office." Si la question paraît triviale, elle est sans doute explicitée parce que nombre d’entreprises n’ont pas su résister à la mode. Or, il est essentiel pour une entreprise de définir les dysfonctionnements qu’elle souhaite résoudre, et à partir de là, de se demander si oui ou non un PMO peut être une solution. Il s’agit donc de replacer le PMO dans le contexte de l’entreprise, de questionner les enjeux stratégiques, financiers, sectoriels et culturels : « PMOs are OK if they are put together for the right reason. If you can’t put it in a business context, why are you creating a PMO? You are creating for the wrong reason. (…) Too many companies set up PMOs because that is the cool thing to do… they have become, unfortunately, fashionable. »

15 Une seconde raison invoquée concerne bien sûr la taille des entreprises. Un PMO peut s’avérer trop coûteux pour les PME, qui sont pourtant très orientées vers le management par projet de par leur dynamisme : « PMOs are a awesome idea, I wish those of us in small to medium-size companies could afford that luxury. »

16 En revanche, d’autres articles nuancent le précédent propos : ainsi, il s’agirait plutôt d’un niveau de maturité des entreprises, plutôt qu’une inadaptabilité fondamentale. L’implémentation d’un PMO peut donc s’avérer plus laborieuse, lorsque des conditions propices au changement ne sont pas présentes dans l’entreprise.

17 La clé de succès qui découle logiquement de cette approche est bien sûr celle de l’adaptation du PMO à l’entreprise. L’adaptation entre PMO et entreprise se fait donc réciproquement. Santosus (2003) parle de la « customisation » du PMO : « Coming up with a PMO that works for any given organization is an exercice in both customization and patience. » On peut ainsi retenir des différentes approches décrites précédemment un certain principe de prudence, face à l’engouement que l’on observe aux Etats-Unis par exemple. Autrement dit, nombre d’articles semblent dénoncer l’effet de mode des PMOs : le PMO ne serait pas un « package » pré formaté, un remède miracle à tous les maux des entreprises, mais simplement un outil que l’on doit adapter et replacer dans un contexte. Comme pour une greffe, il faut avant d’implémenter le PMO acquérir un certain « seuil » de compatibilité. Il s’agit donc de créer un environnement favorable, une synergie positive entre cette « greffe » et son organisme récepteur. C’est à cette condition que le PMO sera un catalyseur de changement dans l’entreprise.

2.2 – L’efficacité du PMO

18 Dans cette partie, nous nous intéresserons à deux points essentiels concernant l’efficacité des PMOs : d’une part, au retoursur investissement, indicateur essentiel dans le dialogue entre consultants et entreprises. Ainsi, nous verrons que la nature des gains d’efficacité face aux coûts induits reste relativement problématique dans le cas des PMOs. D’autre part, nous établirons un bref panorama des différents problèmes posés par le fonctionnement du PMO. Que deviennent les principes fondamentaux du PMO lorsque celui-ci devient opérationnel au sein de l’entreprise ? A cette question, de nombreux articles parlent des « dérives » des PMOs, qui, lorsqu’ils se trouvent en régime de croisière, perdent de leur efficacité et dévient vers d’autres fonctions.

Coûts d’investissement et gains d’efficacité des PMOs

19 L’efficacité du PMO peut paraître triviale et directe lorsqu’on reprend le discours tenu par ses défenseurs : c’est par la rationalisation et la formalisation des méthodes et outils de gestion des projets que l’on peut diminuer le coût des projets, leur cycle de vie, et parallèlement accroître le taux de succès des projets, puisque leur conduite sera plus performante. Mais le premier facteur qu’il convient d’observer est le coût d’investissement de l’implémentation et du fonctionnement d’un PMO. Avant de parler de gains d’efficacité, certains articles font du coût excessif du PMO un simple mythe à déconstruire. Ainsi, Jaques (2001) avance le fait que nombre d’entreprises peuvent utiliser les moyens et les connaissances pré-existantes dans l’organisation pour implémenter un PMO. Le PMO doit être selon Jaques davantage considéré comme une méthodologie et une exploitation optimisée des connaissances. Or, les matériaux de cette méthodologie (informatisation, formation, communication) ne sont pas forcément consommateurs de dépenses : « Planning and implementing a PMO is not an inherently expensive proposition. PMO capabilites can range from providing templates, training and communications via a self-service website, to operating a real-time project office that manages resources, tracks chedules and maintains budgets. Regardless of size, many organizations have the essential components of a PMO within their current makeup. » Ainsi, concernant les besoins technologiques d’un PMO, nombre d’entreprises ont déjà dans leurs ressources disponibles des logiciels de traitement de texte, des tableurs, ou encore des logiciels de présentation qui pourraient être développés pour les besoins du PMO : « …communication and deliverable tracking templates can be developed and posted to a website or server for use by the project teams. » L’implémentation d’un PMO nécessite ainsi davantage une réorganisation méthodique des ressources présentes dans l’organisation : « Using the knowledge and skills already in the company can dramatically decrease the costs and ensure that the services provided are reasonable and practical. »

20 Si selon cet article, les coûts d’implémentation d’un PMO peuvent être considérablement minimisés par une bonne réexploitation des ressources de l’entreprise, il faut comprendre que pour de grandes entreprises internationales, le PMO devient rapidement un projet d’envergure, et représente des coûts d’investissement énormes, ne serait-ce que par le fait que ces entreprises sont alors confrontées à des problématiques et des stratégies globales. On peut citer le cas d’Hewlett-Packard, qui, dans le cadre de la fusion HP-Compaq en 2001-2002, implémenta un nouveau PMO commun aux deux entreprises. L’adoption d’un nouveau logiciel de gestion de projets, Primavera, impliquait la refonte des systèmes d’informations et l’extension de l’utilisation de ces logiciels au-delà des frontières de l’organisation (fournisseurs et clients). Dans un tel cas, on ne peut nier que les coûts d’implémentation du PMO seront proportionnels à l’échelle du projet. Ainsi, le PMO HP-Compaq représentait 40 personnes dédiées à cette fonction, avait à manipuler pas moins de 3 077 projets actifs, et était en relation avec 10 000 employés du département IT (Benchmarking Partners, 2004).

21 Face à de tels investissements, on doit observer dans un deuxième temps le retour sur investissement des projets d’implémentation d’un PMO. Dans le cas de la fusion d’HP-Compaq, le PMO alors mis en place semble avoir été un succès. Les résultats qu’on peut y voir concernent le taux de projets stratégiques en cours, le temps de conduite des projets ainsi que la réduction des coûts d’exploitation des projets : « A new project management system was directly responsible for enabling HP to reduce $110 million in projected project costs. (…) Over 69 percent of all HP’s most strategic projects are on track for being completed on time, on scope, and on budget - exceeding the industry average for information technology projects. In the first year, HP cut the average project duration time by 39 percent. » (Benchmarking Partners, 2004) De tels résultats semblent faire de l’efficacité des PMOs un élément incontestable.

22 Cependant, pour bon nombre d’entreprises, les gains financiers restent difficilement quantifiables. Rappelons à cet effet que selon Rad et Levin (2002), deux méthodes sont préconisées pour motiver le choix ou non d’implémenter un PMO au sein de l’entreprise : on peut d’une part estimer le revenu généré par le succès accru de la conduite de projet, ou alors calculer le ROI du PMO. On se rend alors compte que dans la pratique, peu d’entreprises ont une bonne visibilité de l’un ou l’autre de ces indicateurs.

23 Dans son article, Santosus (2003) prévient les futurs utilisateurs de PMO de la difficulté de mesure de résultats que ceux-ci peuvent attendre : « …so many variables factors into the success of a PMO. « To justify the existence of a PMO, companies can build a business case with relative ease", says Robert Handler, vice president of Meta Group’s enterprise planning and architecture strategy service. "Yet, people want a good quantitative number, and it’s difficult to have that silver-bullet ROI that’s applicable in all cases." For Schlumberger’s de Montmollin, the biggest benefit of the PMO – giving the CIO the status and financial détails of all the company’s IT projects – isn’t something he can quantify. » On est donc relativement loin des promesses de retour sur investissement que l’on peut trouver dans les définitions théoriques du PMO.

24 « PMOs also won’t give organizations a quick fix or deliver immédiate, quantifiable savings. And companies with PMOs report that they don’t necessarily yield easy to use cost-savings benchmarks and performance metrics. In a survey conducted by CIO and Project Management Institute (PMI), 74 percent of respondents said that lower cost was not a benefit of their PMOs. » Ainsi, il s’agit bien de rappeler que, selon cette étude, les premiers gains que l’on peut attendre d’un PMO sont l’optimisation du taux de succès des projets et l’implémentation de normes et de standards. Cependant, même dans cette optique, de tels gains demandent patience et expérience, puisque selon ces mêmes sondages, plus le PMO est vieux, plus les résultats sont conséquents : parmi les entreprises ayant un PMO depuis moins d’un an, 37 % affirment avoir amélioré leur taux de succès des projets ; parmi celles ayant un PMO depuis plus de quatre ans, ce taux grimpe à 65 %. Lorsqu’on uniformise les réponses, c’est-à-dire lorsqu’on supprime ce facteur temps, parmi les entreprises interrogées, une moitié des répondants affirment avoir amélioré son taux de succès des projets, contre 16% pour lesquels ce taux est resté inchangé. Notons que les 22 % d’entreprises restantes ont déclaré ne pas suivre un tel indicateur. Ce dernier chiffre est assez intéressant, il semble révéler à quel point les bénéfices du PMO semblent évidents, au point de ne pas montrer d’intérêt à les mesurer. Ces 22 % d’entreprises auraient-elles simplement « suivi la mode » ?

25 L’intérêt d’une telle étude réside davantage dans l’hétérogénéité des résultats, en fonction des conditions premières qu’on fixe. Ainsi, de nombreux facteurs interviennent, comme le facteur temps, ou encore la manière dont sont définis et suivis des indicateurs tels que le taux de succès des projets. On pourra ainsi affirmer que les gains d’efficacité d’un PMO semblent bien plus qualitatifs, et sont fortement corrélés au contexte donné, et à la définition que l’on donne au terme d’efficacité.

26 Un article de Forrester Research (2003) reprend cette notion d’efficacité en s’interrogeant sur la définition de l’échec d’un projet. Dans une étude sur l’efficacité des projets dans le secteur des technologies de l’information, Forrester définit un projet en échec comme tout projet ayant de un à trois mois de retard et ce retard ayant affecté au moins 3 000 utilisateurs. Cette définition est contestée par une des personnes interrogées, Don Christian, associé chez PricewaterhouseCoopers, pour qui ce critère serait trop sévère : « Our experiences have found that one-to-three delays on projects might be palatable if they end up meeting their original business benefits. » Cette discussion et le sondage qui y sera associé montrent les nuances qu’il faut évidemment mettre lorsqu’on parle d’efficacité du PMO. Ainsi, la volonté de quantifier des indicateurs de nature davantage qualitative n’est pas sans se heurter à certaines difficultés. L’étude réalisée dans cet article souligne ainsi l’importance de l’efficacité perçue des PMOs par leurs utilisateurs ; on s’apercevra que les résultats de cette étude sont mitigés, et laissent encore une fois la question de l’efficacité des PMOs sans réponse catégorique possible. Nous retranscrivons ci-dessous les résultats du sondage qui a été fait par Forrester Research Inc.

Figure 2

Résultats d’un sondage sur l’efficacité des PMOs pour les projets IT, réalisé par Forrester Research Inc.

Figure 2

Résultats d’un sondage sur l’efficacité des PMOs pour les projets IT, réalisé par Forrester Research Inc.

How effective would you rate your PMO(s) at improving project delivery in your organization?
1. Percentage are rounded. ase: 704 North American IT decision-makers from a telephone survey that was conducted from late April to June.

Les PMOs en pratique : limites et dérives

27 Comment peut-on expliquer des résultats si mitigés quant à l’efficacité des PMOs ? A la lecture de la revue de littérature anglo-saxonne, on se rend compte que c’est sans doute la mise en œuvre effective du modèle qui pose alors problème. Nous allons donc à présent nous intéresser à la réalité des pratiques de management de projet, dans les entreprises ayant un PMO. D’après la littérature anglo-saxonne trois types de dérives peuvent venir pervertir le système des PMOs : d’une part, la présence simultanée de plusieurs PMOs au sein d’une seule organisation, d’autre part, l’« hypertrophie » des fonctions techniques du PMO, au détriment de ses fonctions humaines et culturelles. Enfin, le troisième type de perversion est l’évolution du PMO en une structure de contrôle, au détriment de sa fonction de conseil, ce qui fait de ce modèle une « couche bureaucratique » de l’organisation.

28 Ces trois facteurs que nous identifions sont fortement corrélés : c’est parce que l’existence simultanée de plusieurs PMOs « dilue » la fonction première du PMO, que le rôle de ces structures dévient peu à peu vers de simples logiques de contrôle, de reporting. Cette évolution effective du PMO en fait peu à peu un système perverti.

29 L’un des résultats de l’étude précitée menée par Forrester (2003) concerne le nombre d’entreprises ayant plusieurs PMOs au sein de leur organisation : en 2003, 67 % des répondants déclarent ainsi avoir plusieurs PMOs - que ce soit au sein ou hors du département IT. Ce pourcentage représente une croissance de 53 % par rapport à l’année 2002. Une telle croissance illustre bien la tendance actuelle aux Etats-Unis et l’engouement des entreprises américaines pour les PMOs. Ce qui semble être observé dans cette évolution est en effet l’implémentation de PMO « locaux » au sein de l’organisation, en fonction des types de projets par exemple, de la segmentation du marché ou encore de la structure fonctionnelle des organisations.

30 La présence de plusieurs PMOs est en contradiction avec la logique transversale du modèle dans son acception théorique : l’une des fonctions essentielles et ultimes du PMO est la promotion de la culture de projet, par l’accumulation des expériences, la récolte des leçons acquises, la création d’une sorte de « mémoire » de l’entreprise, de manière à ce qu’idéalement, l’entreprise soit globalement tournée vers le management par projet par une logique d’apprentissage. Cette mission de long-terme inscrit le PMO dans la stratégie globale de l’entreprise, et en fait une structure au final directement rattachée à la direction stratégique. Or, la présence de PMO « locaux » dans l’entreprise semble pouvoir difficilement assumer une telle mission : en effet, l’accumulation et la diversité de pratiques locales demandent un effort accru d’harmonisation pour atteindre un objectif unique de long-terme, et risquent au contraire de « diluer » cet objectif unique.

31 Harris (2004), reprend la conclusion de Forrester pour justifier cette croissance du nombre de PMOs : « The conclusion, according to Tom Pohlmann, an analyst with Forrester, was that multiple PMOs were losing sight of their primary mission (ensuring that projects were managed effectively) and were only identifying process infractions and generating reports for senior managers. ».

32 Il semble ainsi que dans la réalité, les PMOs assument davantage une mission d’audit et de reporting, c’est-à-dire toute la partie technique du PMO. Cela se fait bien sûr au détriment de ce que la littérature anglo-saxonne sur les PMOs définit comme étant des « soft skills », en opposition aux « hard skills » du PMO. Or, Harris (2004) rappelle l’importance de ces fonctions « humaines » (le leadership, la communication, la gestion des connaissances, etc.), qu’il définit comme la clé de réussite du PMO : « The success of the project management function today rests squarely on the people skills of the project manager. (…) Today’s project manager is a generalist whose attention is focused more on the soft skills of management. (…) Today, corporate executives have recognised the discipline of the project management as an effective enterprise asset that ensures that a project’s desired goals and benefits will be achieved. This requires the project manager to focus on the management and overall business value of the project rather than on its technical side. By their nature, it is easy to conclude that effective soft skills overtake the hard skills in importance and contribution to the success of a project. » De fait, cette "métamorphose" du métier de chef de projet doit naturellement accompagner la "métamorphose" du PMO, qui une fois l’optimisation des outils techniques de gestion de projet achevée, doit dépasser ce stade, et atteindre un niveau de responsabilité stratégique par la gestion des ressources humaines et la gestion du savoir de l’entreprise.

33 Bien au contraire, nombre d’articles dénoncent l’entrée des PMOs dans une logique routinière de contrôle et de reporting, ce que Forrester Research qualifie même « the PMO police ». L’article de Hoffman (2004) est véritablement révélateur de cette tendance. Il semble qu’en pratique les PMOs aient renversé leur rôle de soutien, à tel point que dans de nombreux cas, le PMO est souvent perçu comme une entrave à la liberté opérationnelle des chefs de projets. Une telle « hostilité latente » en vient à desservir totalement les fonctions fondamentales du PMO, et de fait son efficacité : « Frontline project managers often view the staffers of project management offices (PMO) as ’process cops’ whose mission is to ensure that project teams are hitting their deadlines and adhering to corporate procedures and quality-control criteria. They know that if their team isn’t hitting those measures, the PMO won’t sign off on the project phase. This Big Brother view has occasionally led to latent hostility between project managers and PMO officers. "There’s definitely tension sometimes between PMOs and the front line", says Jeff Collins, president of Innovative Management Solutions Inc., a Newport Beach, Calif. – based project management consultancy. »

34 Le retournement de situation est tel que certaines entreprises en viennent à déresponsabiliser les chefs de projets - alors que, rappelons-le, toute l’éthique et la mission du PMO repose sur la promotion et la reconnaissance du métier de chef de projet.

35 Lorsque le PMO devient ce « PMO police », il est certain que le système perd de son efficacité, puisque d’une part il néglige ses fonctions de communication et de soutien, et d’autre part, il perd de sa crédibilité par le rejet des opérationnels. C’est cette évolution perverse du PMO qui est souvent dénoncée dans le milieu de la gestion de projet : ce PMO devient dans nombre d’entreprises une structure coûteuse et purement bureaucratique, très tournée vers les procédures de contrôle. C’est précisément parce que le PMO s’impose aux opérationnels que ces derniers vont développer une relation de tension, qui paralyse tout mouvement de collaboration possible entre le PMO et les chefs de projet. La littérature anglo-saxonne est donc critique sur les pratiques des entreprises en matière de PMO. Voyons à présent ce qu’il en est en France, objet de notre quatrième partie.

3 – Méthode et données obtenues

3.1 – Méthode

36 Afin d’explorer les causes du décalage entre la diffusion des PMOs aux USA et en France, nous avons opté pour une approche fondée sur des entretiens semi directifs. Cette méthode nous a paru adaptée à notre problématique dans la mesure où elle permet de concilier un cadre structuré d’interview et la possibilité d’explorer plus avant les points clefs soulevés par la personne interrogée. Notre recueil de données s’est fait en trois temps. Tout d’abord, nous avons cherché des interlocuteurs travaillant dans des entreprises avec une pratique du PMO. Cette phase a abouti à la constitution d’un échantillon de 10 entreprises, formé pour partie de sociétés de conseil (majoritairement de grands cabinets internationaux à une exception près) et de grandes entreprises françaises.

37 Dans une deuxième étape, les entretiens ont été menés. Ils se sont déroulés entre janvier et avril 2005 et ont duré entre une et deux heures. La moitié de ces entretiens a été enregistrée afin de faciliter leur analyse ultérieure. Les résultats obtenus portent donc sur quatre sociétés de conseil (deux consultants de notre échantillon appartenant au même cabinet) et six entreprises hors secteur du conseil. La pratique de PMO de l’une de ces entreprises (secteur automobile) a été qualifiée par un consultant étant intervenu sur une mission longue (plusieurs années) au sein de cette entreprise. Dans un troisième temps, les réponses obtenues ont fait l’objet d’un tri à plat par rapport aux items d’une grille de questionnement. Les tableaux ci-après en présentent les résultats. Les deux grilles de questionnement utilisées lors des entretiens sont disponibles auprès des auteurs.

3.2 – Données

Tableau 1

Echantillon des entreprises (Nota l’entreprise aéronautique A est un constructeur tandis que l’entreprise B est un équipementier)

Tableau 1

Echantillon des entreprises (Nota l’entreprise aéronautique A est un constructeur tandis que l’entreprise B est un équipementier)

38 Le premier constat réalisé lors de l’analyse des réponses des entreprises interrogées est le manque d’uniformité de la définition des PMO. Le PMO n’est donc pas un concept bien défini et recouvre dans chaque entreprise un sens différent. Cela reflète en partie la nature même des PMO qui est d’être particulier à chaque entreprise, mais aussi la diffusion encore faible du concept en France. Le deuxième constat est la grande variabilité des réponses sur les questions portant sur la nature et les fonctions du PMO. La fonction d’assistance et l’absence de mesure directe du résultat des projets semblent tout de fois être la norme.

39 Enfin, les avis se rejoignent bien pour mettre l’accent sur les limites du PMO. Ces limites ne sont pas toujours liées à des problèmes culturels, l’intérêt même du concept est donc remis en cause, à l’exception de l’entreprise du secteur automobile.

Tableau 2

Echantillon des cabinets de conseil

Tableau 2

Echantillon des cabinets de conseil

40 L’opinion des consultants interrogés diffère assez sensiblement de celle des entreprises. Au niveau de la définition du PMO, ils se rapprochent beaucoup plus de la version théorique présentée dans la première partie. Ensuite les fonctions envisagées pour le PMO sont plus larges et sont plus liées à l’entreprise dans son ensemble qu’à un projet particulier. Le PMO est donc considéré par les consultants comme un outil à haute valeur ajoutée. Finalement, ces données soulignent la diversité des configurations qui se cachent derrière l’appellation apparemment unique de PMO. Cette diversité peut s’appréhender selon trois axes comme le résume le schéma ci-après :

Figure 3

Trois axes de caractérisation des PMOs

Figure 3

Trois axes de caractérisation des PMOs

41 L’axe global / local renvoie au périmètre d’action du PMO selon qu’il concerne l’ensemble de l’organisation ou bien un périmètre plus restreint. L’axe du rattachement désigne le niveau auquel s’exerce la responsabilité du PMO : niveau stratégique proche de la Direction Générale, ou bien niveau opérationnel proche des métiers. L’axe assistance – contrôle correspond à la fonction principale du PMO : accompagner la réussite opérationnelle des projets ou bien fournir un reporting sur leur bon fonctionnement. La combinaison de ces facteurs laisse apparaître certaines configurations types :

  • le secrétariat projet : mono projet, rattachement opérationnel, fonction d’assistance (cas de la banque),
  • le bureau des méthodes projets : multi projet, rattachement opérationnel, fonction d’assistance (cas du constructeur aéronautique),
le contrôle interne des projets : multi projet, rattachement stratégique, fonction de contrôle (cas du constructeur automobile).

42 Ainsi, derrière une appellation unique, le PMO évoque des pratiques multiples, ce qui tend à faire de ce concept une notion très plastique.

4 – Discussion des résultats obtenus

43 Les entretiens réalisés nous ont aussi apporté des éléments de réponse à la question centrale de cette étude : pourquoi un si faible développement des PMO en France en comparaison avec les Etats-Unis? Les entretiens effectués avec les entreprises ont tout d’abord montré qu’il n’existe pas véritablement de retard de la France à la source : le concept de PMO est apparu en France à peu près en même temps qu’aux Etats-Unis. En effet, dans les années 1990, les deux entreprises du secteur aéronautique avaient déjà mené des projets avec des PMOs. Les consultants interrogés nous ont confirmé cette idée en estimant avoir pris connaissance du concept dans les années 1990 également : par exemple chez l’une des entreprises de conseil interrogées, le PMO faisait partie du programme d’intégration des nouveaux consultants. S’il existe un retard, c’est donc dans la diffusion et le développement du concept qu’il réside. Pour expliquer cela plusieurs facteurs peuvent être considérés : 1) un retard conjoncturel, qui naît d’un décalage de diffusion du modèle ; 2) un retard structurel, dû à des caractéristiques de la culture française ; 3) un retard en trompe-l’œil, qui renvoie à un refus des modes managériales.

4.1 – Eléments conjoncturels

44 La première source du décalage que l’on a pu constater entre la situation du PMO en France et celle des pays anglo-saxons semble être la faible transmission du concept des consultants vers les entreprises. En effet, la plupart des entreprises françaises sont encore peu consommatrices de conseil. Celles qui le sont, sollicitent les consultants pour des problématiques très particulières comme la mise en place de réseaux informatiques, les fusions-acquisitions ou la mise en place de programmes de rationalisation des structures et de réduction de coûts. Peu d’entreprises depuis les années 1990 se sont véritablement lancées dans l’expérimentation de nouveaux concepts de management comme les PMO considérés comme trop risqués. Concrètement, cela signifie qu’il est encore rare que les entreprises sollicitent explicitement auprès des consultants un besoin en terme de PMO. Ainsi, d’après un consultant, « Nous avons toujours « vendu » du PMO. Pour chaque projet chez le client, nous incluons dans les charges des heures de PMO. Charges que le client refuse presque toujours, parce qu’elles représentent justement des charges qu’il juge inutiles. » Ce n’est que progressivement, et implicitement que le besoin de PMO naît au fur et à mesure que le projet est conduit. Avec un peu de chance, le PMO persiste au-delà du projet mis en place par les consultants, et devient alors une structure pérenne animée en interne par l’entreprise cliente.

45 D’autre part, des raisons de coûts, de taille des projets sont évidentes : en France, les projets sont menés à moindre échelle qu’aux Etats-Unis par exemple. Dans une logique persistante de rentabilité financière, il est évident que le PMO représente encore aujourd’hui davantage un centre de coût, et non un centre de profit. C’est ce qu’exprime un autre consultant en évoquant la profitabilité et de l’efficacité incertaine du PMO : « Le PMO reste a priori un centre de coût, et ce qui intéresse les entreprises actuellement, c’est les centres de profit. Allez prouver que parce que j’ai un PMO, mes projets réussissent mieux, ou répondent bien à la stratégie d’entreprise. Moi, j’y crois difficilement : faîtes moi un business case comme quoi parce que je mets en place un PMO qui va me coûter 50 millions par an, ça va me rapporter 200 millions sur mes projets… » Aujourd’hui, certains signes tendent à faire penser que la tendance est autre, et pourrait être favorable au PMO, plus qu’elle ne l’était il y a quelques années. Des lois telles que la loi Sarbanes-Oxley, et la Loi de Sécurité Financière, bien qu’elles paraissent relativement éloignées de la problématique abordée pour les PMOs, révèlent la focalisation actuelle des entreprises vers le risk management. Or, donner une vision de l’entreprise en terme de risques ne peut que favoriser le PMO, puisqu’il s’agit bien d’une fonction d’anticipation des risques liés aux projets. Un projet étant en soi unique, il est un élément volatile, difficilement rationalisable dans l’entreprise, et constitue donc une zone à risque importante.

4.2 – Caractéristiques culturelles : l’exception française

46 Les spécificités culturelles françaises semblent aussi constituer un facteur essentiel de freinage du développement des PMO en France pour les personnes interrogées. Plusieurs membres de notre échantillon soulignent la méfiance des gestionnaires de projets pour des structures de type PMO s’apparentant à une nouvelle couche de bureaucratie et représentant une autorité supplémentaire avec qui il faudrait négocier en permanence. Les chefs de projets français semblent en effet beaucoup plus enclins qu’aux Etats-Unis à évoluer dans un univers informel avec un minimum de procédures à suivre. On pourrait résumer ces spécificités culturelles en deux points:

47 La culture de l’oral et de l’informel en France est particulièrement néfaste à une structure telle que le PMO – paradoxalement, c’est un des objectifs du PMO que de la réduire. De ce fait, le contenu prévaut toujours sur la forme et sur la méthodologie, ce qui est à l’opposé de la culture anglo-saxonne, très tourné vers les process, et la formalisation : « Le formalisme en France, c’est toujours louche : on se dit qu’il y a anguille sous roche si on voit un document trop clair, trop formel. On se dit que le plus important, ce n’est pas le document, c’est la personne qu’il y a derrière. » (un consultant). La culture de l’exception et de la spécificité est pour un autre consultant cette persistance à « ne pas vouloir « entrer dans le moule » parce qu’on se croit trop particulier. » Ainsi, les entreprises restent souvent réticentes à des modèles « packagés » ou trop formalisés.

48 Le but véritable du PMO semble donc être mal compris, les gestionnaires de projets prêtant plus d’attention au « contenant » qu’au « contenu ». Un véritable effort d’information et de communication est donc nécessaire à la mise en place des PMO dans les entreprises françaises afin de faire percevoir les avantages et les gains potentiels pouvant être générés par un outil de ce type. Mais passer outre ces blocages culturels signifie également s’y adapter. Pour cela le PMO peut être un outil efficace, car comme nous l’avons vu dans la première partie, il est très flexible et sa caractéristique première est de pouvoir être adapté à des entreprises très distinctes.

4.3 – Le refus de la mode : un retard en trompe-l’œil ?

49 La diffusion partielle du concept a eu pour conséquence que beaucoup d’entreprises, ont développé leurs propres outils. En effet, s’il y a encore peu de PMO « explicites », les fonctions qu’ils remplissent existent souvent d’une manière implicite dans les entreprises : la fonction de suivi administratif du projet peut être ainsi remplie par des assistants de chefs de projets, par le secrétariat du DSI, etc. La fonction de pilotage stratégique du projet est souvent celle du Comité de Pilotage, ou de toute autre cellule stratégique. La fonction de contrôle peut être remplie par les risk managers, l’équipe d’audit interne, ou encore le contrôle de gestion. En somme, il y a toujours eu, des « petites mains », des secrétaires généraux, ou encore des « bras droits » qui représentaient quelques-unes des fonctions du PMO. On peut penser que ces cellules fragmentées de gestion de projets n’apportent que rarement le même degré de valeur ajoutée que les PMO. En effet, les fonctions sont le plus souvent séparées au sein de plusieurs directions distinctes et une politique globale de promotion du mode de gestion par projets est donc plus difficile à mettre en place.

50 Mais, dans un sens, nombre de personnes interrogées, pensent que les fonctions du PMO – mais non pas le PMO – ont toujours existé, et que même en un état fragmenté, elles ne desservent pas le PMO. Pour l’un de nos répondants, certaines entreprises sont totalement « infusées » dans la culture de projet, du fait même de leur activité. Des secteurs tels que celui de la construction, où la construction est en soi un projet, pratiquent depuis toujours cette activité de PMO. Ce sont les chefs de projets qui en assument la responsabilité, et pour beaucoup d’entreprises, il s’agit d’une compétence propre au chef de projet, et non pas « annexe » à ses compétences techniques. Il n’est donc pas envisageable de reporter cette compétence à un tiers, car ce serait pratiquement « une amputation »…

51 Cette vision est particulièrement critique à l’égard de la notion de PMO : « Le problème de cette définition, c’est que derrière le PMO, vous avez deux notions : une notion « office » et une notion « stratégie ». Est-ce que ça a un sens d’appeler ça PMO ? Les hard skills du PMO, c’est en fait un bureau des méthodes amélioré. Les soft skills, c’est plutôt de l’organisation et de la conduite du changement. On est sur deux compétences qui n’ont absolument rien à voir. Pourquoi mettre le terme du PMO ? Est-ce que ça ne risque pas de galvauder une des notions par rapport à l’autre et inversement ? Les deux parties sont nécessaires, sont cohérentes, utiles. Simplement, elles n’ont absolument pas le même objectif. » (Extrait d’entretien).

52 Un dernier élément original de réponse est apporté par notre répondant du monde bancaire : si le PMO est si peu développé en France, c’est parce que les entreprises ont adopté une autre méthode pour parvenir au même objectif ultime et idéal du PMO, qui est de tourner l’entreprise dans sa globalité vers une logique de projet. Cette méthode repose de fait sur une quasi externalisation de cette fonction au travers de partenariats de longue durée avec des cabinets de conseil dans le cas de projets de longue haleine : « Refondre un système d’informations, c’est mettre à plat toute l’organisation de l’entreprise. L’information, c’est le pouvoir, donc c’est mettre fin par exemple à toutes les baronnies. Mettre en place un ERP, c’est insuffler une culture projet à l’entreprise. C’est ce projet qui donne naissance à pleins de projets. En plus, comme les ERP se renouvellent tout le temps, il faut toujours développer, et faire des projets toujours plus gros. Les boîtes sont sous perfusion permanente de projets. Les consultants sont la structure projet, qui est pour le coup complètement transversale. Ils restent des années pour le même client et connaissent tous les services, et ont plus d’expériences qu’un local. » (Extrait d’entretien).

53 Deux points sont à considérer. D’un part, la sous-traitance apparaît comme moins coûteuse aux entreprises françaises, alors qu’aux Etats-Unis, le système d’embauché et de débauche est beaucoup plus flexible et dynamique. Mettre en place un PMO en interne pour l’entreprise signifie créer au moins un ou deux postes, former ces personnes, et leur offrir une réelle carrière. Beaucoup des consultants interrogés s’accordent sur cette question, l’animation d’un PMO est coûteuse pour l’entreprise car il est essentiel que les équipes du PMO aient des perspectives de carrière valorisantes : ce sont ces dernières qui les rendent légitimes face aux opérationnels. D’autre part le rôle du consultant n’est autre que d’être ce « truchement » entre le projet et l’entreprise : la mission du consultant est malgré tout et in fine de donner à l’entreprise son autonomie et son indépendance, afin qu’elle puisse à la fin de sa mission, faire son chemin seule. Cette responsabilisation, cet apprentissage de l’entreprise est figuré par ces PMOs initialement mis en place par les consultants et nés pour un projet particulier. Ces PMOs alors éphémères deviennent des structures pérennes, au moment où les consultants « passent la main » aux équipes en interne.

Conclusion

54 Qu’il s’agisse des entreprises américaines, où la définition du PMO semble claire, mais où sa mise en pratique entraîne apparemment nombre de critiques et de dénonciations ; qu’il s’agisse de la France, où la notion de PMO reste méconnue et confuse, on se rend compte que finalement, un PMO pur, qui reprend toutes les dimensions présentées dans les approches théoriques n’existe pas, dans la mesure où ce modèle intègre des éléments contradictoires difficiles à faire cohabiter dans la pratique (la logique d’assistance et de contrôle par exemple). Le modèle du PMO repose d’une part sur une standardisation des règles de pilotage des projets et d’autre part sur leur formalisation. Ces deux approches font courir le risque de nier l’unicité des projets au profit d’une bureaucratie triomphante, mais peu efficace. Ainsi, face à ce risque, il convient de souligner les développements dans la littérature francophone de la notion de métarègles (Jolivet, 2003) qui visent à maintenir l’équilibre entre standardisation et spécificités des projets et qui peuvent en ce sens constituer une alternative à la notion de PMO.

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  • T. Shauduri, D. Schlotzhauer (2003), « So many projects, So little time », PM Network, Oct.

Date de mise en ligne : 01/12/2008

https://doi.org/10.3917/mav.012.0105

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