Couverture de MAV_004

Article de revue

Le DRH de demain : d'où vient-il ?

Pages 201 à 220

Notes

  • [1]
    Duyck (1998) observe la première apparition du titre de DRH dans une annonce du journal Le Monde en avril 1974.
  • [2]
    globalement, on trouve 11703 candidats pour 1338 places dans les 45 formations en gestion des ressources humaines recensées par le mensuel « Liaisons Sociales » en septembre 2001.
  • [3]
    Entreprises et Carrières (n° 618, avril 2002) comptabilise plus de 260 formations RH dont 97 DESS et 2 DEA.
  • [4]
    il est difficile (et peut-être peu utile au demeurant) de donner une omptabilité précise, /1ertains congrès (le 11ème par exemple) n’ayant fourni les actes que sous forme CD Rom. En dehors des communications citées, on ne trouve toutefois de symposiums spécifiquement consacrés à cette problématique que dans les actes des 5èmes (atelier Pédagogie et apprentissage) et 6èmes congrès (atelier Enseignement et Formation)
  • [5]
    Table ronde dans laquelle on retrouve les enseignants chercheurs : Julienne Brabet, Henri Mahé de Boislandelle, Gérald Naro, Chantal Remond, Amélie Seignour.
  • [6]
    CF. Interview de Alain Gintrac, Président du réseau Référence RH, Entreprises et Carrières, n° 690, 4-17 novembre 2003, p. 10.
  • [7]
    Ces trois revues ou journaux couvrent la totalité des publications non académiques françaises.
  • [8]
    On trouve aussi : Gouverneur, C., (2001), /1ous les parcours vers les RH, Entreprise & Carrières, 26 juin, 31-34 ;(2001), La fonction RH en huit métiers, Entreprise & Carrières, ibid. p. 26-27 ; Frison, M-N., (2002), Tous les diplômes qui mènent aux ressources humaines, Entreprise & Carrières, n° 618. (non repris en bibliographie)
  • [9]
    il s’agit de la procédure DEMOD de SPAD 5,6. Pour une présentation détaillée de la méthode, lire : Morineau, A., (1984), « Note sur la Caractérisation Statistique d’une Classe et les Valeurs-tests », Bulletin Technique Centre Statistique Informatique Appliquées., Vol 2, n° 1-2, 20-27, et Lebart, L., Morineau, /1., Piron, M., (1995), Statistique exploratoire multidimensionnelle, Dunod, 181-184 (non repris en bibliographie).
  • [10]
    Cf. Actes du Colloque « Devenir des compétences et métiers RH », Paris Dauphine, 13 octobre 2004

Intérêt et objet de l’étude

1Il est toujours curieux, dans une revue consacrée à la prospective, de voir apparaître un article portant sur des aspects historiques de la gestion, même limités au domaine de la formation. Ce serait oublier un peu vite, comme nous le rappelle Zimnovtich (2002), que l’histoire, par son apport critique en sciences de gestion, constitue un point d’ancrage fécond pour le futur. Cet article traite des trajectoires de DRH, et leur histoire, comme leur « titre » est au demeurant bien contemporaine [1]. Ce n’est en effet qu’assez récemment que l’on a vu les firmes ressentir le besoin de dirigeants professionnels de Ressources Humaines et l’université française tenter de répondre à cette demande. Les formations spécialisées font aujourd’hui partie intégrante du paysage universitaire français, avec une demande forte des étudiants et des taux de sélectivité élevés [2]...

2Concernant le volet de la professionnalisation, Fombonne (2002) estime qu’il faut attendre 1906 pour voir émerger, dans les grandes entreprises, une « réelle direction du personnel » (ibid. : 289), mais que ce n’est qu’au milieu des années 1960 que l’on observe un champ d’action et une « émancipation » (ibid. : 298), voisins de ceux que l’on peut connaître à l’heure actuelle s’accompagnant d’une professionnalisation de la fonction. Pour cet historien, par ailleurs longtemps important acteur de la fonction en raison de ses responsabilités professionnelles et de son implication dans l’ANDCP, trois thèmes structurent la fonction Personnel (ibid. : 479 et sq.) : le juridique, l’évaluation des postes et des hommes, les instances de relations collectives. La dimension juridique reste toujours importante et d’actualité (Duyck, 2002), malgré le souhait d’une réévaluation « stratégique » des missions.

3Concernant le volet des formations, il faut attendre le milieu des années 1970 (avec les départements GEA des IUT, puis, en 1976, le DESS de Management avancé des Ressources Humaines de l’IAE de Paris et le DESS Gestion du Personnel de Bordeaux) pour observer une diversification des filières, auparavant très orientées « droit du travail », même si la CEGOS, l’ENOES et le CIFFOP avaient amorcé leur « reconversion » dans les matières à dominante gestionnaire. Depuis, l’habilitation régulière de nouvelles formations initiales [3] et l’ouverture de leurs extensions en formation continue (Liaisons Sociales, septembre 2001) laisse à penser que les besoins sont importants. Pour autant, l’évaluation globale de ces formations sur les critères d’efficacité d’entrée dans le métier puis de cursus professionnel est exceptionnellement réalisée, ou si elle l’est, reste encore confinée au sein d’une littérature souterraine. Il faut dire, on le verra infra, que la constitution des bases de données et le suivi des cohortes d’étudiants en sortie d’études puis en cours de carrière présente des difficultés pratiques et méthodologiques majeures, souvent complexes à résoudre. C’est précisément l’objet de ce travail que de proposer des éléments de réponse à la méthodologie de suivi de carrière en vue de tenter de répondre à la question : « d’où viennent les DRH ? », c’est-à-dire de chercher à voir si les cursus initiaux préparent les étudiants à une insertion et à un cheminement dans l’entreprise dans le métier qu’il ont choisi et si leur formation les prédispose à des carrières « linéaires » ou à des sauts de carrière ou encore à des progressions « sinusoïdales ».

1 – Problématique et aspects méthodologiques

1.1 – Etat de l’art

4Malgré le développement des filières universitaires, les chercheurs semblent avoir peu investi dans une réflexion académique portant sur l’efficacité de leurs formations comparativement aux besoins des firmes. Ainsi, aucune contribution n’est repérable dans la revue de l’AGRH et, en quatorze congrès de cette association académique représentant près de 20000 pages [4], c’est au maximum 500 pages qui, de près ou de loin, sont concernées par les préoccupations de formation à la fonction, et, dans ces congrès, les membres des Groupes de Animateurs et Responsables de Formation (GARF) semblent peu présents.

5De fait, la question : « d’où viennent les DRH ? » est quelquefois abordée au sein de tables rondes de l’ANDCP [5] sous forme de témoignages dans le cadre de rencontres chercheurs - professionnels. Elle n’est toutefois véritablement traitée sous l’angle de l’état et des contenus de formations qu’au moment de la création de l’AGRH, c’est-à-dire entre 1992 et 1995, avec un mandat donné à la Commission Formation sous la présidence du Professeur Weiss, La production globale de cette commission est, outre les rapports internes, de huit publications (Bartoli et Duyck, 1992 ; Bartoli, 1995, 1996 ; Duyck, 1993, 1994 ; Duyck et Nebenhaus, 1995 ; Sonntag, 1993, 1994). De façon synthétique, les travaux de la Commission Formation aboutissent au constat que l’offre, avec 211 établissements est déjà conséquente mais aussi disparate, tant en ce qui concerne les niveaux que les institutions, le contenu des enseignements ou encore les modalités pédagogiques. On y note cependant la place prépondérante occupée par les matières juridiques : droit social et du travail. Sonntag (ibid.), pour sa part, propose une réflexion de nature épistémologique sur ces questions. La période 1996-1998 est vide de publications autour de cette interrogation et le regain d’intérêt se situe en 1999. Barraud et coll. (1999) repèrent, en s’appuyant sur des méthodologies du CEREQ, un certain nombre de compétences de DRH associées aux connaissances-clés : psychologie des organisations, sociologie du travail, méthodologie de l’enquête et de l’audit social, histoire des syndicats et des relations sociales, communication, méthodologie de résolution de problèmes complexes, méthodologie de la veille (ibid. : 43). Cette démarche reste originale sur deux plans : a) il s’agit à notre connaissance de la seule tentative « raisonnée » de construction de savoirs-types théoriques à partir du terrain s’exprimant en termes de grandes disciplines de base et non pas de qualités individuelles ; b) ces savoirs reposent avant tout sur l’aptitude à comprendre et maîtriser son environnement (matières d’environnement et de résolution de problèmes) et non sur des apports techniques tels que le droit du travail par exemple comme on a pu s’en apercevoir précédemment. Pour autant, l’utilité dans une carrière d’avoir suivi une formation initiale spécifique n’apparaît pas toujours évidente. Ainsi, Barthe (2001) réalise une enquête auprès de vingt DRH de la région PACA pour observer : a) qu’une majorité n’a pas suivi d’enseignement spécialisé en formation initiale, mais a complété ses cursus en formation continue (ibid. : 7) et b) que le passage par l’opérationnel (vente ou production) constitue une « expérience idéale » (ibid. : 8). A contrario, Homn, (in Garault, 2003a et b) fait part des évolutions actuelles de la fonction vers la professionnalisation et de la nécessité d’une formation spécifique, se rapprochant de fait de la posture de Barraud et coll. (ibid.) pour estimer que cette dernière se doit d’intégrer des enseignements « ouverts à d’autres dimensions que techniques » (ibid. : 34). Du point de vue de l’audit, il convient de noter l’initiative prise en 2001 par des universitaires travaillant dans le cadre de l’AGRH, pour faire aboutir l’idée d’une homologation par l’Etat ou par les Grandes Ecoles des formations de troisième cycle. Cet ensemble, dont la mise en place s’est trouvée retardée par la réforme des formations dite LMD, a permis d’établir un palmarès des formations (Liaisons Sociales, septembre 2001) au regard de quatre critères : la sélectivité, le contenu de la formation, la professionnalisation et l’existence d’un réseau d’anciens. On doit noter l’importance et l’utilité de cette classification, car elle constitue un point d’appui pour une future certification des formations initiales et continues [6]. Elle possède cependant 3 limites : a) elle concerne exclusivement un public de cadres à hauts potentiels en se restreignant aux diplômes de troisième cycle ; b) elle reste handicapée par l’absence d’enquête d’envergure auprès des DRH sur leurs besoins réels en formation initiale puis en cours de carrière et, il semble bien qu’il s’agisse avant tout d’un pilotage « amont » des maquettes pédagogiques sans confrontation avec le terrain ; c) elle conserve une certaine opacité et l’on doit regretter qu’aucune contribution académique ne vienne acter de ces efforts de réflexion sur les formations à la fonction Ressources Humaines.

6Du côté des publications professionnelles, il est possible de consulter trois supports : une revue de réflexion : Personnel, et deux publications à caractère plus journalistique : Liaison Sociales mensuel et l’hebdomadaire Entreprises et Carrières. Pour obtenir une représentativité convenable, il a semblé souhaitable de couvrir la période des premières créations de filières universitaires de troisième cycle puis d’observer l’état actuel des réflexions sur le sujet. La revue Personnel a ainsi été consultée de 1975 à 1981 inclus pour couvrir la phase des créations de filières, puis de 1991 à 2003 inclus pour observer les évolutions contemporaines. Ce sont donc au total vingt années de la revue qui ont été dépouillées. En complément, pour la période 2000-2003 ont été consultés Liaisons Sociales et Entreprises et Carrières. Cette recension donne à la fois un recul suffisant et un spectre assez large [7] pour obtenir une vision complète. Elle aboutit à comptabiliser une vingtaine d’articles traitant peu ou prou ce thème dont quatre sont, de fait, des publications d’universitaires ou des interviews d’enseignants-chercheurs et ont été étudiés dans la partie précédente relative aux « universitaires ». Ces papiers peuvent se classer en trois catégories : les témoignages, portraits ou récits de vie divers ; les « hit parades » ; les résultats de groupes de travail et les études.

7La première catégorie relate, à partir d’interviews, les cursus des « professionnels purs ». Il s’agit de DRH occupant des postes à responsabilité dans des grandes entreprises, dont la formation initiale est toujours élevée (bac+5), mais parfois hors RH, et qui prônent une certaine polyvalence. Cette dernière s’exprime soit en termes de cheminement professionnel stricto sensu (l’on y expose en règle générale qu’il est préférable de circuler dans des postes opérationnels à l’intérieur de l’entreprise avant d’exercer au sein de la fonction RH) soit en termes de compétences. Celles-ci sont décrites assez généralement sous l’angle de l’immatériel : savoir négocier, motiver, ou encore être créatif, loyal, courageux, etc., (ou parfois même poète [Ducos, 1998] !) c’est-à-dire plus à partir de qualités personnelles que de l’aptitude à remplir des missions précises. Dans tous les cas l’expérience apparaît comme un atout majeur (Fréret, 2003) et les savoirs théoriques, au moins ceux acquis en formation initiale, restent très secondaires au regard des formations continues mais aussi des qualités personnelles ou des capacités acquises au cours de la pratique professionnelle.

8Les interviews ou portraits de certains DRH (Choain, 1996 ; Taveneau, 2003; Torcy, 2003, etc.), illustrent assez bien ces parcours et points de vue. Il est au demeurant difficile de se faire une opinion précise sur la valeur de ces témoignages (comment ces personnes ont-elles été sélectionnées ?), tant il semble qu’il s’agisse de personnalités « en vue » et que l’intervieweur fasse preuve d’une grande empathie voire de complaisance envers ses interviewés (l’un « arrive avec un quart d’heure d’avance », une autre a « déjoué les embouteillages », une autre encore s’est déplacé « malgré l’incendie de l’un de ses hypermarchés », etc.).

9La deuxième catégorie d’articles propose soit un annuaire des formations (Entreprises et Carrières, n° 618, avril 2002) [8] soit un palmarès des formations (Dubosc et coll., 2000 ; 2001) en lien avec le monde universitaire (cf. supra). En outre, l’intérêt pour la formation continue est patent avec la retranscription des débats de quelques tables rondes spécifiques (par exemple, Personnel, n° 304, mai 1989, 78-82).

10La troisième catégorie d’études émane de l’ANDCP et de l’APEC. Les premières (ANDCP) sont peu nombreuses et anciennes (Toupet, 1973 ; Martin, 1979), c’ est-à-dire avant ou juste au moment de l’ouverture de filières spécifiques. Elles font part de la nécessité d’un passage par l’opérationnel, soit en début, soit en milieu de carrière pour éviter « l’ankylose ». De façon paradoxale, elles estiment « qu’une spécialisation très poussée dans des techniques de gestion de personnel très sophistiquées ne constitue pas […] un élément indispensable » (Toupet, ibid. : 67), tout en semblant regretter l’absence de formation initiale universitaire ou en Grande Ecole. L’APEC, dans ses fiches débouchés (APEC, 2003-a) observe que 88 % des diplômés de l’université en RH se dirigent vers le secteur privé qui intègre 77 % d’entre eux dans ses services spécialisés selon des parcours-types de conseiller de formation, d’assistant de communication, voire d’ingénieur commercial devenant rapidement (1 an) chargé de recrutement. Dans ses fiches fonction (APEC, 2003-b), cet organisme constate : a) que les missions traditionnelles (les outils de base : recrutement, paie, etc. ainsi que relations sociales et communication) structurent la fonction et b) que le cheminement se réalise, en amont, dans 75 % des cas à l’intérieur de la fonction pour déboucher, en aval, dans 13 % des situations par des postes au sein de la direction générale. Etre DRH pourrait ainsi constituer un levier ou une étape, vers des fonctions plus importantes.

11Au total, l’examen de la littérature permet de repérer globalement que la question de la formation et de son rendement reste assez secondaire aussi bien pour les universitaires qui la mettent en œuvre que pour les professionnels qui en bénéficient avec, en outre, un intérêt très marginal pour la pédagogie. Il semble bien que l’on se retrouve face à deux « allants de soi ». Pour les uns, universitaires, le cursus de formation initiale doit viser la formation de hauts potentiels et se révèle comme le fruit des représentations « haut de gamme » de la fonction (pour résumer : stratégique, internationalisée, peu encombrée par les tâches répétitives de droit du travail, impliquée dans des tâches nobles de gestion des prévisionnelle, etc.) ; pour les autres, professionnels, la formation devrait conduire à une certaine polyvalence compte tenu de la nature des tâches à effectuer. Les compétences requises pour exercer le métier de DRH sont nombreuses : juriste, psychologue, stratège, manager, etc., et les talents individuels essentiels : technicien, diplomate, négociateur, organisateur, meneur d’hommes, etc.

12Sur le point précis de l’insertion, on peut noter deux points de vue :

  1. le premier, minoritaire, est pour l’essentiel celui des universitaires qui considèrent que l’insertion passe par une formation spécialisée qui doit être aussi ouverte que possible ;
  2. le deuxième, majoritaire, rassemble la plupart des professionnels (hors APEC) qui estiment que l’insertion ne nécessite pas un passage par une formation initiale spécialisée, mais plutôt un haut niveau de formation (bac +4 ou 5) suivi d’un parcours préalable dans l’entreprise via des fonctions opérationnelles, la formation spécifique s’opérant lors du cheminement professionnel dans le cadre de la formation continue. Dans ce cas, ce sont les qualités personnelles qui doivent s’avérer décisives et le DRH y apparaît comme polyvalent tant dans ses missions que dans ses profils.
Concernant le cheminement, ce dernier n’est abordé que manière allusive mais aucune réflexion de fond n’est menée pour savoir si l’occupation d’une fonction de DRH doit être considérée comme un aboutissement ou comme un « levier » vers des responsabilités plus importantes, et si la formation continue est toujours considérée comme indispensable, on ne sait guère à quel paradigme elle fait référence (aboutissement ou transition de carrière).

13Les hypothèses que nous allons tester reposent, pour l’insertion comme pour le cheminement, sur le courant de pensée dit « majoritaire ».

1.2 – Hypothèses

14

  1. Concernant les aspects « insertion », si l’on prend appui sur les résultats de l’enquête « formation » menée dans le cadre de l’AGRH, il semble que l’on puisse soutenir les hypothèses suivantes :
    • H1) un haut niveau d’études (bac +4 ou +5) facilite l’entrée dans des fonctions de responsabilité de type DRH ;
    • H2) une formation initiale en GRH n’est pas primordiale mais ;
    • H3) une formation continue (ée) dans ce domaine est essentielle.
  2. concernant les aspects « cheminement », on peut, pour les mêmes raisons que supra, proposer les deux hypothèses ci-dessous :
    • H4) Il n’existe pas de cheminement-type dans l’entreprise pour assurer des fonctions de DRH, mais
    • H5) Il est indispensable d’avoir occupé des fonctions opérationnelles pour exercer en tant que DRH.

1.3 – Méthode

1 – Au sujet des difficultés particulières des suivis de cursus

15Sur un plan général, les domaines insertion et cheminement font l’objet des investigations du Centre d’Etudes et de Recherches sur les Qualifications (CEREQ), qui a acquis depuis la fin des années 1970 une longue expérience dans ce domaine. Les guides méthodologiques (Combes, 1989) ou publications (Béduwé et alii, 1995) précisent les difficultés et modalités d’accès au terrain ainsi que le fait que la question est « particulièrement complexe » (Pottier, 1986 : 17). Dans l’idéal, il conviendrait, comme le note Pottier, (ibid.) « de saisir la situation des étudiants au moment où se terminent effectivement leurs études, avec l’obtention d’un diplôme ou la réussite à un concours en vue desquels les études étaient ordonnées » et de pouvoir en assurer le suivi à partir d’un panel. Mais pratiquement, si les écoles disposent d’annuaires qui constituent une grande part de la valeur ajoutée du diplôme (le « carnet d’adresses »), les universités ont souvent la plus grande peine à suivre les étudiants au-delà de 2 ou 3 années, les liens avec la formation se diluant avec le temps et les évolutions familiales et professionnelles.

16Bref, l’affaire est particulièrement compliquée, et c’est probablement la raison pour laquelle on note 94 publications dans un cas, et une seule (et ancienne : 1986) dans le second.

2 – Principales options de cette recherche

17Elles visent à utiliser des matériaux disponibles, c’est-à-dire des sources secondaires en effectuant des tris sur la population observée selon différents critères de niveau et d’activité.

a – « Interroger » des sources secondaires : les CV

18Cette solution permet, dans un premier temps, d’accéder de manière relativement simple et souple à de l’information disponible dans des bases de données (en l’occurrence des curriculum vitae (CV)) sans avoir à recourir à des procédures d’enquêtes complexes et onéreuses. L’objectif reste de disposer dans l’exploitation des sources secondaires d’un premier aperçu de la réponse à la question de recherche en vue de dégager des parcours-types sachant que « la recherche de trajectoires typiques repose […] sur l’idée que la diversité des parcours [individuels] n’est pas absolue » (Béduwé et alii, 1995:7) Dans un deuxième temps, qui n’est pas proposé ici, il sera souhaitable de compléter les données in vivo par des entretiens.

b – De DRH de niveau 1 en activité

19Quelques questions complémentaires relatives à la population et aux situations professionnelles ont dû être résolues.

20Doit-on explorer exclusivement des CV de DRH ou bien aussi ceux de chefs de personnels ? Cette question amène en fait à s’interroger sur la valeur des intitulés, sachant que ce terme peut recouvrir des situations très variables, Brabet et Fenneteau, (1990), Brabet (1991), Roger, (1990) et Duyck, (1998) entre autres ayant montré combien il convenait de rester prudent sur cette question pour éviter des conclusions « naïvolexicales » souvent hâtives.

21La solution de ne conserver que des DRH s’est imposée « chemin faisant », en dépouillant les CV (cf. infra) en raison de la normalisation de l’intitulé telle que l’on ne trouve pratiquement plus que des DRH.

22Observer le niveau 1, c’est-à-dire des DRH siégeant au Comité de Direction ou exerçant directement sous sa responsabilité s’avère « naturel » ou « inévitable » dans le cadre choisi : partir de situation professionnelles dans lesquelles les DRH sont installés pour remonter en début de carrière. En outre cette situation est conforme aux travaux de Duyck (1998) qui montre que près des trois quarts des DRH sont dans cette position de cadre supérieur.

23La situation d’activité s’impose aussi comme la volonté de traduire in vivo l’expérience de DRH exerçant la plénitude de leurs fonctions.

3 – Constitution de la base de données

24La base complète : 198 CV émane de l’APEC. La construction s’effectue par sondage au pas de cinq avec saut vers le CV suivant s’il ne répond pas aux contraintes jusqu’au moment où la base « boucle ». On note aussi les contraintes de saisie qui imposent une forte normalisation des CV au demeurant très inégalement renseignés et l’absence de l’âge qui impose sa reconstitution sur des critères plausibles (ex : bac = 18 ans).

25Concernant la rédaction des CV, l’impression laissée est parfois celle d’une tendance hagiographique via une survalorisation de tâches parfois banales retranscrites comme « stratégiques ». Toutefois, comme les moyens de vérifier l’exactitude des assertions sont inexistants (sauf à interviewer ces personnes, ce qui n’est pas possible en raison du respect de l’anonymat), nous avons dû faire l’hypothèse que les écarts avec la réalité seraient faibles ou du moins qu’étant constants à l’intérieur de la base, ils n’entacheraient pas significativement la validité des résultats. Une des limites de ce travail est constituée par la représentativité de la base, qu’il n’est pas possible d’apprécier. La base APEC reste néanmoins la seule base « publique » spécialisée en ressources humaines, avec quelques bases « privées » (par exemple Hudson). Les autres bases (type www. emailjob. com) sont généralistes et ne permettent d’accéder qu’aux offres d’emploi. Concernant Hudson, base à laquelle nous avons eu accès, des réserves liées à la confidentialité ne nous ont pas permis de conserver sous format électronique le contenu textuel des CV et a donc imposé un travail exclusif sur les données APEC. Toutefois, une comparaison APEC - Hudson (Duyck, 2004), réalisée sur la partie quantifiable des CV ne donne pas de différence significative entre les deux bases, et à la lecture « visuelle » des CV, on retrouve un certain nombre de candidats ayant déposé leur CV dans les deux endroits.

d – Exploitation des données

26Elle est double. Les données quantifiables sont codées manuellement (âge, spécialité ou niveau de diplôme, etc.). Les descriptions de missions font l’objet de la constitution de deux corpus, l’un relatif aux métiers actuels, l’autre correspondant aux missions antérieures. L’exploitation des données numériques ou textuelles est réalisée grâce au logiciel SPAD 5,6.

2 – Premiers résultats : aspects descriptifs et qualitatifs de l’insertion et du cheminement

27Les aspects descriptifs sont relatifs à l’exploitation du post-codage des éléments quantifiables des CV. L’apport qualitatif correspond, via la statistique textuelle, à l’exploration du contenu des missions décrites dans les CV, à deux étapes de carrière.

2.1 – Aspects descriptifs

28Ces premiers résultats consistent en une description sommaire des données d’insertion, puis en l’utilisation de valeurs-tests pour mieux apprécier le cheminement.

29Insertion dans la fonction

30On peut considérer les données relatives aux caractéristiques personnelles, et quelques dimensions professionnelles.

31Caractéristiques générales : sexe, âge et durée

32Les comptages relatifs aux différents éléments disponibles dans les CV sont présentés ci-après :

Tableau n° 1

Statistiques sommaires concernant le sexe

Tableau n° 1
Sexe Effectif % / Total % / Expr. Homme 98 49, 49 51, 85 Femme 91 45, 96 48, 15 Total 189 95, 45 100,00

Statistiques sommaires concernant le sexe

Tableau n° 2

Statistiques sommaires des variables d’âge et de durée

Tableau n° 2
Libellé de la variable Effectif Poids Moyenne Ecart-type Minimum Maximum Age 175 175,00 38, 89 8, 23 24,00 60,00 Durée avant RH 177 177,00 3, 32 5, 05 0, 00 27, 40 Age entrée RH 173 173,00 26, 02 4,93 0,00 47,00 Durée d’activité 196 196,00 14,39 7,78 1,50 35,80

Statistiques sommaires des variables d’âge et de durée

33La fonction RH semble s’être féminisée et le différentiel homme femme apparaît assez faible. L’âge moyen (39 ans), tout comme l’âge d’entrée (26 ans) dans la fonction donnent la vision d’individus ayant acquis une certaine maturité, même s’il est possible d’entrer directement dans la fonction.

2.1.2 – Le « ticket » et la « porte » d’entrée

34L’insertion est repérable par niveau (le ticket) et par spécialité (la porte d’entrée) de diplôme.

Tableau n° 3

Le « ticket d’entrée » : niveau du diplôme

Tableau n° 3
Niveau du diplôme Effectif % / Total % / Expr. Bac +1, +2 36 18,18 20,69 Bac +3 35 17,68 20,11 Bac +4 et plus 103 52,02 59,20 Total 174 87,88 100,00

Le « ticket d’entrée » : niveau du diplôme

Tableau n° 4

La « porte d’entrée » : spécialité du diplôme

Tableau n° 4
Spécialité Effectif % / Total % / Expr. Juristes 15 7,58 7,89 RH 73 36,87 38,42 Gestionnaires 58 29,29 30,53 Autres 44 22,22 23,16 Total 190 95,96 100,00

La « porte d’entrée » : spécialité du diplôme

35Le « ticket d’entrée » est élevé. En effet, près de 60 % des diplômés possèdent un niveau égal ou supérieur à bac + 4. Ce constat n’est au demeurant guère étonnant, Duyck (1998) notant que la plupart des postes RH étaient occupés par des cadres supérieurs, travaillant en lien direct avec les comités stratégiques, même s’ils y siégeaient rarement. La « porte d’entrée » est ouverte pour l’essentiel aux diplômés issus de filières RH ou possédant une formation généraliste en gestion. Les deux tableaux ci-dessous tentent d’affiner, au regard des différents délais, les relations d’insertion dans la fonction.

Tableau n° 5

Niveau du diplôme et délai d’entrée dans le « métier RH n° 1 »

Tableau n° 5
Délai? niveau° RH Immédiat RH Moins d’un an RH de 1 à 5 ans RH plus de 5 ans ENSEMBLE % ligne % colonne Bac +1,+2 15 3 3 14 35 42,9% 8,6% 8,6% 40,0% 100,0% 17,6% 21,4% 12,0% 45,2% 22,6% Bac +3 17 2 9 3 31 54,8% 6,5% 29,0% 9,7% 100,0% 20,0% 14,3% 36,0% 9,7% 20,0% Bac +4 et + 53 9 13 14 89 59,6% 10,1% 14,6% 15,7% 100,0% 62,4% 64,3% 52,0% 45,2% 57,4% ENSEMBLE 85 14 25 31 155 54,8% 9,0% 16,1% 20,0% 100,0% 100,0% 100,0% 100,0% 100,0% 100,0%

Niveau du diplôme et délai d’entrée dans le « métier RH n° 1 »

Tableau n° 6

Spécialité du diplôme et délai d’entrée dans le « métier RH n° 1 »

Tableau n° 6
Délai? Spécialité° RH Immédiat RH moins d’un an RH de 1 à 5 ans RH plus de 5 ans ENSEMBLE % ligne % colonne Juristes 4 3 6 2 15 26,7% 20,0% 40,0% 13,3% 100,0% 4,6% 21,4% 22,2% 4,7% 8,8% RH 48 6 6 1 61 78,7% 9,8% 9,8% 1,6% 100,0% 55,2% 42,9% 22,2% 2,3% 35,7% Gestionnaires 20 0 7 26 53 37,7% 0,0% 13,2% 49,1% 100,0% 23,0% 0,0% 25,9% 60,5% 31,0% Autres 15 5 8 14 42 35,7% 11,9% 19,0% 33,3% 100,0% 17,2% 35,7% 29,6% 32,6% 24,6% ENSEMBLE 87 14 27 43 171 50,9% 8,2% 15,8% 25,1% 100,0% 100,0% 100,0% 100,0% 100,0% 100,0%

Spécialité du diplôme et délai d’entrée dans le « métier RH n° 1 »

36Le niveau du diplôme, mais surtout la logique de formation initiale « RH » raccourcissent les délais d’insertion dans le métier : elle conduit près de 80 % des diplômés à s’installer d’emblée dans un « métier » RH et la quasi-totalité (89 %) en moins d’un an. De fait, les formations spécialisées en RH constituent un véritable passeport pour la fonction. Il convient de noter que sur une durée de moins d’un an les formations juridiques « rattrapent » celles des gestionnaires et que l’écart s’accroît avec le temps. Dans l’ensemble, ces éléments contribuent à conforter l’invalidation de H2.

37Concernant H3, relative au poids des formations continues précédant l’insertion, il est pratiquement impossible de se prononcer à cette étape, tant les informations données par les CV sont inégalement renseignées, et quand elles le sont, ne précisent pas à quelle étape du cursus elles se situent. H5 (passage par des fonctions opérationnelles) semble invalidée, tout du moins au regard de critère d’insertion, tant des études spécialisées apparaissent comme un raccourci pour occuper des fonctions dans ces métiers.

2.1.2 – Le cheminement professionnel

38Il s’agit de tenter de retracer des trajectoires et de voir dans quelle mesure la carrière s’effectue au sein de la fonction RH. Le logiciel SPAD 5, 6 [9] permet de caractériser les modalités d’une variable nominale à l’aide d’un critère statistique à partir des « valeurs-tests » Ces regroupements de variables et de modalités de variables permettent de repérer les « paquets » significatifs et les liens non fortuits entre variables. Dans les tableaux qui suivent, ces valeurs sont calculées et présentées pour la seule modalité « ressources humaines » de la succession des métiers en raison de la faiblesse des effectifs des autres modalités (juristes, etc.).

Tableau n° 7

éléments de compréhension du cheminement à partir du métier n° 1 Métier 1 RH, Classe : M1 - RH (Effectif : 133 - Pourcentage : 67.17)

Tableau n° 7
Libellés des variables Modalités caractéristiques % de la modalité dans la classe % de la modalité dans l’échantillon % de la classe dans la modalité Valeur-Test Probabilité Poids Délai avant RH RH Immédiat 65,41 45,45 96,67 8,56 0,000 90 Métier 2 RH 90,23 75,25 80,54 6,68 0,000 149 Etude/1 : spécialité RH 50,38 36,87 91,78 5,83 0,000 73 Age entrée RH 23 à 24 ans 37,59 27,27 92,59 4,86 0,000 54 Nombre d’emplois Emploi 1 à 2 29,32 21,72 90,70 3,79 0,000 43 Age entrée RH 18 à 22 ans 18,05 12,63 96,00 3,40 0,000 25 Niveau d’études Bac +4 et plus 60,15 52,02 77,67 3,14 0,001 103 Age < = 29 ans 15,79 11,62 91,30 2,56 0,005 23

éléments de compréhension du cheminement à partir du métier n° 1 Métier 1 RH, Classe : M1 - RH (Effectif : 133 - Pourcentage : 67.17)

39Sachant que l’on observe des professionnels en poste, les métiers sont liés entre eux par leur modalité Ressources Humaines. Les V. Tests confortent bien l’idée que l’on exerce une carrière au sein de la fonction, facilitée par un délai d’insertion immédiat, pour des salariés dont l’âge se situe dans la fourchette 23-24 ans, et à un moindre titre 18-22 ans dès lors qu’ils ont suivi une formation spécialisée en ressources humaines de niveau 2e ou 3e cycle.

40Dans l’ensemble, et dans cette première phase de description statistique, il est difficile de se prononcer de façon décisive sur H4 (cheminement-type), mais il semble bien que les cursus soient assez linéaires : études RH, entrée puis évolution dans la fonction. On notera toutefois la stabilité dans la fonction et l’émergence d’une notion de fidélité à ces métiers. Les aspects qualitatifs développés ci-après donneront une idée plus précise du contenu des missions et de leur évolution.

2.2 – Aspects qualitatifs

41Il s’agit d’utiliser le corpus des CV pour préciser les aspects qualitatifs du cheminement en comparant l’ensemble des missions antérieures avec les missions actuelles.

42Les deux tableaux ci-dessous retracent ces contenus tels que décrits par les CV.

Tableau n° 8

Inventaire des segments répétés sur le contenu des missions antérieures

Tableau n° 8
Fréquence Texte du segment Fréquence Texte du segment 133 Ressources humaines 34 Communication interne 78 Gestion administrative 21 Certification ISO (9002) 56 Instances représentatives, CE DP CHSCT 16 DG, siège social 51 Masse salariale, paie, charges sociales 10 Politique RH 50 Relations sociales 9 Elections professionnelles 50 Bilan social, Déclarations sociales 9 Travail temporaire 47 Partenaires sociaux, convention collective 7 Politique sociale 44 Plan social 7 Consultant RH 42 Droit social, législation sociale, conseil juridique 7 Nouveaux embauchés 35 Recrutement, Formation 7 Direction commerciale

Inventaire des segments répétés sur le contenu des missions antérieures

Tableau n° 9

Inventaire des segments répétés sur le contenu de la mission actuelle

Tableau n° 9
Fréquence Texte du segment Fréquence Texte du segment 80 Ressources humaines 15 DG, Siège social 58 Relations sociales 13 DRH groupe 35 Droit social, (conseil) veille juridique 12 Politique salariale 30 Gestion administrative 12 Entretien annuel 30 Partenaires sociaux, convention collective 10 Négociation annuelle 30 Communication interne 8 Gestion prévisionnelle 23 Personnel paie, salaires, masse salariale 8 Mobilité interne 30 Recrutement, formation, compétences 7 Nouveaux embauchés 18 Plan social 6 Elections professionnelles 16 Instances représentatives 6 Procédures disciplinaires

Inventaire des segments répétés sur le contenu de la mission actuelle

43On peut, globalement noter trois types de missions :

  1. celles relevant du domaine administratif (relations sociales, gestion administrative, partenaires sociaux, conventions collectives, procédures disciplinaires, etc.);
  2. (en grisé « léger ») : celles contribuant au fonctionnement des « outils » de la GRH : recrutement, formation, compétences, entretien annuel, politique salariale ;
  3. (en grisé « lourd ») : celles participant à des tâches plus « nobles » : la communication interne, la gestion prévisionnelle, en liaison avec la direction générale et le siège social.
La charge administrative constitue une composante majeure du travail quotidien des DRH probablement accrue par la judiciarisation de la société et de la fonction [10]. Les deux tableaux précédents font ressortir, une fois exposé que l’on va parler de « ressources humaines », la lourdeur de ces charges. En termes de cheminement, on peut noter entre le début de carrière et la carrière actuelle un gain qualitatif assez faible, certaines tâches de nature plus politique « remontant » toutefois en cours de carrière. Le cheminement vers des missions à dominante stratégique que la plupart des manuels de GRH décrivent comme faisant partie du quotidien des DRH reste probablement un idéal-type ou le fruit d’un aboutissement de carrière, à coup sûr au-delà des 40 ans d’âge et des 15 années d’activité en moyenne de la population observée. De façon générale, l’exploitation textuelle de la base « CV » ne permet d’éclairer que très partiellement H4 (cheminement-type), de même que H5 (fonctions opérationnelles).

2.3 – Discussion

44Deux points méritent d’être discutés, le premier relatif aux éléments méthodologiques, le second relatif aux éléments conceptuels liés à la fidélité à la fonction sont apparus chemin faisant.

1 – Au sujet de la complexité méthodologique

45Dans la grande majorité des cas, les parcours restent fluides. Les bases de données ne permettent cependant pas de répondre à deux questions de fond : pourquoi « rentre-t-on » en GRH ? Et pourquoi y reste-t-on ? En outre, les cursus atypiques sont eux aussi intéressants et doivent de facto faire l’objet d’investigations complémentaires, soit parce qu’ils pourraient témoigner de paysages universitaires particuliers (+50 ans), soit parce qu’ils viendraient enrichir la représentation des cheminements et des vocations par la compréhension de « zigzags » de carrières (les ingénieurs, ou autres profils « marginaux » ci-dessus, etc.). Une approche qualitative par la méthode des « récits de vie » (Bertaux, 1997) exploitée comme le préconisent Demazière et Dubar (1997) ou encore Beaudouin (1995) doit compléter ce travail pour tenter de donner du sens à ces cursus, explorer de manière plus précise la fonction de certains DRH, bref, pour mieux comprendre les « chemins de vie professionnels » et l’intrication passé-futur…

2 – Au sujet de la fidélité à la fonction

46Il s’agit de proposer des éclairages conceptuels aux comportements repérés. Ce qui ressort clairement, nous l’avons dit supra, c’est une grande fidélité à la fonction Ressources Humaines. Des études spécialisées y conduisent, puis l’étudiant, une fois rentré dans la vie active tend à y rester. Cette situation pose plusieurs séries de questionnements : s’agit-il d’une volonté individuelle ou du fruit d’une volonté stratégique de l’entreprise?

47Dans le cas n° 1, on peut d’abord considérer que cette fonction propose un cheminement de carrière tel que d’autres options tendent à s’effacer ipso facto et que être DRH constitue en quelque sorte un aboutissement professionnel ? La fonction serait en quelque sorte attractive per se et produirait surtout une fidélité « passive », proche de l’inertie (Moulins, 1998). Il pourrait aussi s’agir d’engagement « calculé », induit par la perception d’un trop grand risque dans le changement, c’est-à-dire que les coûts financiers, sociaux, psychologiques seraient trop élevés pour que l’individu quitte l’organisation. Pour autant, être fidèle à une fonction ne signifie pas le rester à une seule et unique entreprise et le besoin de variété peut imposer des changements, ce qui positionne la situation à mi-chemin du cas n° 1 et du cas n° 2, le salarié ayant pu être « attiré » par une entreprise particulière.

48Sur ces deux points, la discussion (et la poursuite de ce travail) peut s’inspirer des recherches menées par les marketeurs, en particulier sur les aspects attitudinaux de la fidélité à une marque. La transposition, sans être évidente, reste tout à fait plausible. En effet, cette approche définit qu’un acheteur (ici spécifiquement un salarié) est fidèle lorsque, en plus de certaines contraintes, il développe une attitude favorable vis à vis de la marque (ici une entreprise en particulier). La notion de fidélité pourrait être abordée à partir de celle d’engagement vis à vis de l’entreprise, ce qui souligne le caractère intentionnel du comportement et traduit une tendance à résister au changement et donc, à persister dans le choix effectué. L’engagement correspond alors à une fidélité dont on est sûr qu’elle est intentionnelle (Lacoeuilhe, 1997 : 31).

49Sous cet angle, le marketing relationnel fournit un cadre conceptuel utile à la compréhension des comportements en insistant sur les notions de confiance (Guibert, 1999) et de durée dans cette relation. De multiples concepts sont alors en jeu : satisfaction et attachement, mais aussi attirance émotionnelle, dépendance, amitié, etc. (Cristau, 2001). Les apports des auteurs en stratégie peuvent aussi aider à comprendre l’intérêt, du point de vue de la firme, de cette fidélité. Les théories de l’apprentissage peuvent aussi contribuer à la compréhension de cette fidélité. La fidélité « s’apprend » : c’est en apprenant que le salarié devient fidèle. La fidélisation pourrait alors résulter d’une volonté délibérée de la firme pour construire son avantage concurrentiel à partir de ses routines, réseaux de coopération sociale et autres ressources invisibles. Le modèle des ressources et compétences fournit à cet égard un cadre conceptuel utile et original (Tywoniak, 1998 : 186-187).

50Dans tous les cas les sources secondaires ne permettent pas de saisir les paradigmes sous-jacents, et une phase in vivo s’avère indispensable pour la richesse des éclairages conceptuels.

Conclusion

51Il n’est pas simple de répondre à la question : « d’où viennent les DRH ? » et ce travail présente les premiers résultats d’une investigation relative à l’insertion et au cheminement.

52Si l’on raisonne en termes d’efficacité, cette première approche sur des CV donne un net bonus aux formations spécialisées en GRH de deuxième ou de troisième cycle pour l’insertion et le cheminement dans les métiers de gestion des hommes. Le rendement des formations semble excellent et cette efficacité est même étonnante tant se dégage une idée de fidélité à la fonction. Cependant il faut considérer l’éventualité d’un biais dans la mesure où l’expertise se réalise « ex post » avec des DRH en place, et que l’on observerait peut-être des cheminements différents si l’on avait la possibilité de suivre « ex ante » des cohortes d’étudiants au sortir de leurs formations. On a noté cependant combien cette réalisation était difficile et utile le travail sur des bases de données secondaires.

53L’observation des cheminements laisse percevoir que l’évolution au sein de la profession reste très lente, marquée par une lourdeur administrative conséquente, et que le dégagement vers des tâches plus nobles s’opère probablement au-delà de 40 ans et de 15 ans de carrière.

54Si l’on raisonne en termes méthodologiques, l’affaire est complexe et il est nécessaire de travailler de façon complémentaire « in vivo » à partir de récits de vie professionnels. On pourra aussi, de cette manière, tenter de limiter les éventuels biais notés supra.

55On pourra alors essayer d’appréhender les « errances », mais aussi les raisons qui font que entrer dans le métier des Ressources Humaines, c’est assez largement, y rester. Ainsi, la fidélité à la fonction qui ne signifie pas nécessairement une fidélité à une seule entreprise. Les dimensions de cette fidélité, l’attachement à une firme et/ou à la fonction, le « déclic » qui pousse un jeune diplômé à s’y engager restent des interrogations autant pour la mise en perspective que pour la prospective de la fonction et constituent des pistes sérieuses pour des investigations complémentaires.

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Date de mise en ligne : 01/12/2008

https://doi.org/10.3917/mav.004.0201

Notes

  • [1]
    Duyck (1998) observe la première apparition du titre de DRH dans une annonce du journal Le Monde en avril 1974.
  • [2]
    globalement, on trouve 11703 candidats pour 1338 places dans les 45 formations en gestion des ressources humaines recensées par le mensuel « Liaisons Sociales » en septembre 2001.
  • [3]
    Entreprises et Carrières (n° 618, avril 2002) comptabilise plus de 260 formations RH dont 97 DESS et 2 DEA.
  • [4]
    il est difficile (et peut-être peu utile au demeurant) de donner une omptabilité précise, /1ertains congrès (le 11ème par exemple) n’ayant fourni les actes que sous forme CD Rom. En dehors des communications citées, on ne trouve toutefois de symposiums spécifiquement consacrés à cette problématique que dans les actes des 5èmes (atelier Pédagogie et apprentissage) et 6èmes congrès (atelier Enseignement et Formation)
  • [5]
    Table ronde dans laquelle on retrouve les enseignants chercheurs : Julienne Brabet, Henri Mahé de Boislandelle, Gérald Naro, Chantal Remond, Amélie Seignour.
  • [6]
    CF. Interview de Alain Gintrac, Président du réseau Référence RH, Entreprises et Carrières, n° 690, 4-17 novembre 2003, p. 10.
  • [7]
    Ces trois revues ou journaux couvrent la totalité des publications non académiques françaises.
  • [8]
    On trouve aussi : Gouverneur, C., (2001), /1ous les parcours vers les RH, Entreprise & Carrières, 26 juin, 31-34 ;(2001), La fonction RH en huit métiers, Entreprise & Carrières, ibid. p. 26-27 ; Frison, M-N., (2002), Tous les diplômes qui mènent aux ressources humaines, Entreprise & Carrières, n° 618. (non repris en bibliographie)
  • [9]
    il s’agit de la procédure DEMOD de SPAD 5,6. Pour une présentation détaillée de la méthode, lire : Morineau, A., (1984), « Note sur la Caractérisation Statistique d’une Classe et les Valeurs-tests », Bulletin Technique Centre Statistique Informatique Appliquées., Vol 2, n° 1-2, 20-27, et Lebart, L., Morineau, /1., Piron, M., (1995), Statistique exploratoire multidimensionnelle, Dunod, 181-184 (non repris en bibliographie).
  • [10]
    Cf. Actes du Colloque « Devenir des compétences et métiers RH », Paris Dauphine, 13 octobre 2004

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