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Article de revue

Le DRH de demain face au dossier compétences

Pages 187 à 200

1La gestion des compétences occupe le devant de la scène de la gestion des ressources humaines depuis maintenant de longues années (Aubert, Gilbert, Pigeyre, 2002 ; Klas-ferd, Oiry, 2003). Cet intérêt ne devrait pas se démentir dans le futur tant ce dossier interpelle les directeurs des ressources humaines sur plusieurs enjeux majeurs que nous nous proposons d’examiner à partir de quatre niveaux d’analyse : la gestion des compétences individuelles, collectives, stratégiques et environnementales.

1 – La gestion des compétences individuelles

2Parmi les nombreuses questions soulevées aux directeurs des ressources humaines (DRH) par la gestion des compétences individuelles, trois retiennent l’attention : 1) une gestion des ressources humaines (GRH) basée sur quelles compétences (requises par l’emploi ou sur le capital de compétences des salariés? 2) comment construire le référentiel de compétences ? 3) quel est le véritable sens à donner à la logique compétences ?

1.1 – Une GRH basée sur quelles compétences?

3A ce stade de réflexion, une première interrogation centrale est posée aux DRH et aux dirigeants de l’entreprise : sont-ils prêts à basculer d’un système de GRH basé sur les compétences requises à une GRH qui s’appuie sur la prise en compte des compétences mobilisées, détenues et potentielles de leurs salariés (cf. schéma page suivante et encadré)? En d’autres termes, sont-ils disposés ou convaincus de l’intérêt à passer d’une logique de poste ou d’emploi à une GRH fondée sur la prise en compte du capital de compétences des individus qui forment leur personnel? La réponse à cette interrogation dépend en partie de la pérennité des missions et des activités de l’entreprise.

4En effet, plus une entreprise considère que les emplois qu’elle mobilise peuvent être décrits et définis avec une relative stabilité, alors il y a de forte chance qu’elle continue à s’appuyer sur des définitions de fonction et des profils de compétences requises.

5Si l’entreprise au contraire pense qu’elle est de moins en moins en mesure d’appréhender les contours précis d’un emploi ou d’un poste, alors elle sera davantage encline à se reposer de plus en plus sur les compétences détenues par ses collaborateurs leur permettant de faire face à des changements, à des modifications ou à des événements imprévisibles de leurs situations de travail, appréhendées au sens large.

6Bien entendu, outre la nature plus ou moins fluctuante de l’environnement et des activités de l’entreprise, les dirigeants de l’entreprise peuvent choisir délibérément d’inciter les salariés à mettre en œuvre le plus grand nombre de compétences qu’ils détiennent, avec toutes les conséquences induites notamment en matière d’organisation, celle-ci devenant alors en quelque sorte au service des salariés.

Schéma n° 1

Représentation des quatre niveaux de compétences à considérer

Schéma n° 1

Représentation des quatre niveaux de compétences à considérer

Typologie des compétences

  1. Les compétences requises par un poste ou un emploi renvoient à quatre caractéristiques (Veltz) : 1) des procédures indissociables de la notion d’opération(s) ; 2) son caractère prescriptif 3) sa dimension individuelle - pour contrer toute possibilité de constitution de groupe de personnes que craignait beaucoup Taylor -; 4) sa stabilité (ce que cherche à symboliser le recours à la forme rectangulaire dans le schéma).
  2. Le deuxième champ est constitué par les compétences mobilisées par un salarié dans l’exercice de sa fonction. De nombreuses recherches, notamment en ergonomie, démontrent que beaucoup de personnes, dans l’exercice de leur fonction, mettent en œuvre des compétences qui, le plus souvent, débordent le champ des compétences requises par un emploi. Parfois également, il apparaît clairement que des salariés ne maîtrisent pas l’ensemble des compétences requises par une fonction.
  3. La zone suivante se réfère à l’ensemble des compétences détenues par un salarié à un moment donné. Dans la plupart des situations, cette troisième zone est plus large que la deuxième. Pour illustrer notre propos, il suffit de penser par exemple à un salarié qui maîtriserait l’allemand mais qui n’aurait aucune opportunité dans son entreprise d’exercer cette compétence linguistique.
  4. Enfin, le quatrième et dernier champ concerne les compétences potentielles d’un salarié. C’est le domaine privilégié normalement de la gestion des potentiels et des carrières qui trop souvent se rapporte uniquement aux cadres ou aux salariés appelés à jouer un rôle majeur dans le futur au sein de l’entreprise.

7Si l’option choisie par les responsables de l’entreprise est de mobiliser le capital compétences des salariés, les conséquences sont multiples. Nous avons déjà examiné quelques-unes d’entre-elles (Retour, 2002) tout comme plus récemment Alain Roger (2004) en mettant en perspective les implications sur les leviers d’action traditionnels de la GRH. Ainsi, en matière de recrutement, l’attention des recruteurs sera naturellement porté sur l’examen de l’ensemble des compétences détenues aujourd’hui par un candidat et sur sa capacité à acquérir de nouvelles compétences, en d’autres termes sur son potentiel. L’entretien annuel devra bien entendu évoluer en accordant sans doute une place plus importante à l’analyse des compétences réellement mobilisées, à l’exploration des compétences détenues et à l’examen du potentiel en complément de l’évaluation des performances du salarié. L’entreprise devra aussi clarifier le lien qu’elle désire introduire entre compétences et rémunération (Marbach, 1999 ; Tremblay et Sire, 1999). De nombreux DRH craignent une dérive de la masse salariale si l’ambition est de rémunérer les compétences mobilisées ou/et détenues au-delà des systèmes traditionnels de rémunération des compétences requises. Si cette vigilance est légitime compte tenu de l’importance de la masse salariale dans le budget des entreprises, on oublie trop fréquemment de compléter l’analyse par la valeur ajoutée dégagée en mobilisant davantage le capital des compétences détenues par les salariés ! De plus, en liant acquisition de nouvelles compétences et rémunération, c’est un puissant signal qu’adresse l’entreprise à son personnel pour l’inciter à développer leurs compétences. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) est elle aussi impactée par l’orientation prise en matière de gestion des compétences. Elle est conduite à mettre l’accent sur les perspectives d’évolution individuelle puisque les anticipations en matière d’emploi apparaissent difficiles voire impossibles à définir (Defelix, Dubois, Retour, 1997 ; Gilbert, 1999).

1.2 – Avec quel référentiel de compétences?

8Un deuxième choix majeur concerne le référentiel des compétences. Les statistiques disponibles montrent clairement que son usage ne cesse de progresser (Lévi, 2004). Dans cette perspective, la question essentielle est de définir le contenu du référentiel. Une journée d’étude organisée en octobre 2004 par l’ANACT a permis de façon très opportune de faire le point sur le sujet. Une dizaine de spécialistes, notamment consultants et universitaires, ont présenté leur philosophie en la matière. Plusieurs prises de position méritent d’être exposées car elles conduisent à clarifier les éléments du débat, notamment en se plaçant du côté des DRH. En premier lieu, doit-on distinguer activités et compétences? La majorité le pense, d’autres ne sont pas d’accord. Ainsi, Philippe Denimal affirme : « la distinction entre compétences et activités de travail - comme ensemble cohérent renvoyant à des actions concrètes et finalisées - ne nous semble non seulement pas nécessaire mais en fait dommageable pour la pédagogie autour de la notion de compétence et son caractère opérationnel. Les activités professionnelles constituent en effet l’une des meilleures manières de rendre compte des compétences : l’activité de travail est à l’évidence le moyen le plus sûr pour parvenir à saisir les compétences induites qui, sans cette traduction, n’auraient que peu de prises sur le réel, du moins dans le cadre de l’évaluation des situations de travail » (Denimal, 2004). Combes (2004) est assez proche de cette position en affirmant que « le passage des activités aux compétences ne constitue pas fondamentalement une rupture, parce qu’on considère que les compétences se voient dans l’action (…) il n’y a pas de différence de nature entre activité et compétence, à la différence d’une conception substantialiste de la compétence, qui serait portée par les individus, et susceptible d’être coupée de l’action ». Ces positions sont cependant discutables de notre point de vue car elle risque de gommer les compétences cognitives mobilisées, loin d’être accessibles à la seule observation des activités, que l’on songe par exemple à toutes les activités liées au traitement des informations. On note d’ailleurs que Combes propose la démarche suivante : « la traduction de l’activité en compétences consiste à la décomposer en capacités, savoirs, conditions de réalisation et indicateurs de résultats ». La plupart des contributions de la journée ANACT adopte en fait un découplage séquentiel avec d’abord la description des activités puis l’énoncé des compétences requises ou/et mobilisées (cf. par exemple Kletz & Lenay, 2004). Une autre divergence d’approche concerne la dimension strictement individuelle ou/et collective de la compétence. Certains intervenants ne croient pas à l’existence d’une compétence collective et l’affirme explicitement (Franchet, 2004, discussion). D’autres se positionnent uniquement sur les compétences individuelles dans leurs référentiels. D’autres enfin, avant d’aborder le niveau individuel commence par chercher à identifier les compétences collectives en affichant leur ambition d’élaborer un référentiel collectif d’équipe qui met l’accent sur « le sens et la finalité de l’action collective » (Combes, 2004). Genestet (2004) s’inscrit dans cette vision de la gestion des compétences en distinguant explicitement les compétences de l’entreprise (le métier de l’entreprise), les compétences collectives et enfin les compétences individuelles en indiquant qu’il convient de centrer l’analyse sur les compétences collectives : « partir des objectifs stratégiques et du système d’action conduit à mettre en avant la nature collective de la compétence, qui commande l’approche individuelle : l’exigence est posée avant tout sur des compétences collectives » (Lorino, Demeestère et Genestet, 2003).

1.3 – Compétence et obligation de résultat

9La discussion précédente a mis l’accent en plusieurs occasions sur la notion de compétence en la rendant synonyme d’ « actions finalisées » ou en l’appréhendant comme « le sens et la finalité de l’action collective ». Elle rejoint la remarque de Segrestin (2004) qui note que « la compétence s’efforce de saisir les capacités qu’une personne ou un groupe sont susceptibles de mobiliser pour satisfaire aux exigences d’une mission ou pour le dire encore plus nettement, pour parvenir à un résultat ». Il s’agit de « stimuler leur initiative en direction des buts qui leur sont assignés ». Cette position de Segrestin rejoint celle de Reynaud (2001) pour qui « la compétence dit que le salarié a une obligation de résultat et pas seulement une obligation de moyens » en rappelant un peu plus loin dans son article un extrait du tome 8 du MEDEF où il est indiqué : « pour qu’on puisse vraiment parler de compétence, il faut que d’une manière ou d’une autre, le salarié ait une connaissance des objectifs finaux de l’entreprise ». C’est une autre approche de la compétence qui élargit les dimensions du dossier en articulant clairement la gestion des compétences à la vocation de l’entreprise et aux objectifs poursuivis par ses dirigeants ainsi d’ailleurs qu’à la stratégie. Les directeurs des ressources humaines doivent définir leur choix en la matière et la communiquer clairement aux salariés.

10Après la présentation de ces trois questions majeures de la compétence individuelle, examinons maintenant les enjeux liés à la gestion de la compétence collective.

2 – La gestion des compétences collectives

11La compétence collective ne reçoit pas encore le même degré d’attention que la compétence individuelle. Cependant un intérêt croissant s’exprime de la part des dirigeants car les activités menées au sein des entreprises prennent chaque jour davantage une dimension collective. Parmi les définitions proposées par les spécialistes en référence à la compétence collective, nous avons retenu tout d’abord celle de Dejoux (1998) : « ensemble des compétences individuelles des participants d’un groupe plus une composante indéfinissable, propre au groupe, issue de la synergie et de la dynamique de celui-ci ». Bataille (2001) considère pour sa part qu’il s’agit de « la capacité reconnue à un collectif de travail de faire face à une situation qui ne pourrait être assumée par chacun de ses membres seuls ». Michaux (2003), de son côté, propose la définition suivante : « il s’agit de savoirs et savoir-faire tacites (partagés et complémentaires) ou encore d’échanges informels supportés par des solidarités qui participent à la « capacité répétée et reconnue » d’un collectif à se coordonner pour produire un résultat commun ou co-construire des solutions ».A travers ces définitions, deux éléments sont importants à retenir. Tout d’abord, la compétence collective permet de transcender et d’apporter un élément supplémentaire à la seule addition de compétences individuelles. De plus, les salariés peuvent bénéficier directement des échanges du groupe auquel ils appartiennent et accroître ainsi leurs propres compétences individuelles. Les DRH peuvent repérer ces compétences collectives propres à tel ou tel groupe à travers plusieurs attributs dont en particulier le référentiel commun, le langage partagé, et l’engagement subjectif.

Le référentiel commun

12Comme le souligne Leplat (2000), l’action collective qui exige la coordination des activités individuelles, nécessite que les membres du groupe disposent d’une représentation de référence dite référentiel commun. Ce référentiel s’élabore en fonction des informations détenues par les membres du collectif (Troussier, 1990). Un tel référentiel n’est pas le résultat d’une addition de représentations individuelles, mais bien un patrimoine (plus ou moins) partagé résultant d’un véritable « travail » d’élaboration collective (Veltz et Zarifian, 1994). Le référentiel commun possède les caractéristiques suivantes (Leplat, 1988) : il est opératif au sens où il est construit pour servir la préparation et la réalisation de l’action projetée. Il permet à la fois une communauté des buts visés et une adéquation des actions (Savoyans cité par Navarro, 1984). Il est donc éphémère et transitoire (De Terssac et Chabaud, 1990) ; il est ensuite élaboré en commun par ceux qui sont impliqués dans la préparation et la réalisation de l’action. Il résulte d’une confrontation (De Terssac et Chabaud, 1990) des représentations des membres du collectif. Il s’agit d’un compromis (Troussier, 1990).

Le langage partagé

13Un langage commun ou encore langage opératif commun (Falzon, 1991) se réfère au fait que les membres d’un groupe de travail élabore un vocabulaire et un « dialecte » particulier, propre à cette équipe, permettant de « converser à mi-mots, de lire entre les lignes, de gagner du temps dans l’énonciation abrégée, d’éviter commentaires et explications » (Le Boterf, 1994). Ce langage permet à la fois aux membres du groupe de forger sa propre identité et de se distinguer des autres collectifs.

L’engagement subjectif

14Portés par des communautés d’action, les salariés doivent faire face aux aléas, rendre des arbitrages, prendre des décisions requises par l’incertitude quotidienne due aux comportements des clients et à la nature collective de la performance (Combes, 2004, Segrestin, 2002). Les salariés prennent dans l’exercice de leur travail des initiatives, dont ils répondent : ils en sont responsables. Cette prise d’initiative qui suppose une certaine autonomie, et la responsabilité de l’acte, constituent le cœur de la compétence (Zarifian, 2002).

15Si compte tenu des définitions et des principaux attributs de la compétence collective, les DRH veulent chercher à développer celle-ci, ils disposent de plusieurs leviers d’action. Tout d’abord au moment des phases de recrutement, l’entreprise doit s’assurer que les candidats susceptibles d’intégrer l’entreprise partagent les valeurs collectives souhaitées par les dirigeants. Ensuite, lors des procédures d’évaluation des performances des salariés, les spécialistes des ressources humaines seront vigilants à mentionner formellement parmi les critères guidant les managers dans leurs appréciations, des éléments comme la coopération, l’échange d’informations, le transfert de savoir-faire, etc. Ensuite, les formules servant de base au calcul de la rémunération peuvent contenir explicitement des facteurs relatifs à la performance collective et même éliminer tout élément attaché à la performance individuelle renforçant ainsi le message d’une volonté de coopération entre les membres du personnel (Avenier, 2004). Mais c’est sans doute lors de l’élaboration d’actions de formation que les effets sur le développement de compétences collectives peuvent être les plus importants. Il y a tout d’abord les mécanismes attachés à la mise en œuvre d’organisations qualifiantes (Amadieu, Cadin, 1996) où doit se concrétiser la volonté de donner aux équipes les espaces d’autonomie et de prise d’initiatives, bases d’opportunités pour créer de nouvelles compétences. Ensuite, en s’inspirant des résultats des travaux de Wittorski (1997), des groupes d’analyse du travail tel que réalisé par les salariés, sont là aussi des vecteurs potentiels de construction de nouvelles compétences collectives en privilégiant les situations de réflexion collective de travail (Le Boterf, 1994). Il peut s’agir d’un « processus de partage de formes de pensée individuelle sur le travail dans le sens où il s’agit de mettre à jour, d’expliciter non seulement les façons de faire le travail, mais aussi les façons de le voir » ou de « l’élaboration d’une pensée collective nouvelle » issue de questionnements réciproques qui conduisent à de nouvelles façons de parler du travail et de le voir (Wittorski, 1997). En agissant sur ces différents leviers d’action, plusieurs résultats sont espérés de la part des dirigeants

16Le premier résultat attendu d’une gestion des compétences collectives se rapporte évidemment à l’amélioration de la performance du groupe considéré se traduisant par une efficience et une efficacité accrue, une qualité supérieure du travail accompli, un élargissement du champ des actions conduites par le collectif, etc. On note alors une plus grande capacité à résoudre les problèmes rencontrés par l’entreprise et qui ne peuvent pas être traités individuellement. Ces savoir-faire sont ancrés au sein des collectifs qu’ils s’agissent d’un service, d’un atelier, d’un bureau, d’une division, etc. Une étude au sein d’une PME du secteur de la chimie, portant sur des équipes d’opérateurs effectuant les 3/8 et basée sur des observations (participante et passive) et des entretiens semi-directifs, montre que les groupes de travail ne détiennent pas forcément le même niveau de compétence collective. Ainsi, une équipe d’opérateur a mis en place un système d’organisation qui permet de gérer collectivement les aléas de la production. Cette capacité est reconnue par l’organisation : « le chef de quart sait qu’on est capable d’organiser la production. Du coup, il demande des tâches à notre équipe plutôt qu’à une autre » (Krohmer, 2004). Ces compétences collectives propres rejaillissent souvent sur des compétences inter-groupes et sur le plan individuel.

17Au plan individuel, le développement de compétence collective peut conduire à des apprentissages individuels traduisant l’acquisition de nouvelles compétences propres à chaque salarié comme nous l’avons démontré au sein d’une entreprise de la plas-turgie dont l’organisation du travail varie (journée, 2X8, 3x8, et équipe de fin de semaine - FDS -). L’encadrement fonctionnel, hiérarchique et technique est réduit la nuit ou en FDS. Face aux contraintes organisationnelles, le fonctionnement réel des équipes en 3x8 ou en FDS pour respecter les critères de qualité imposées par l’entreprise conduit à des apprentissages localement très variés et très riches. Ainsi, pour les connaissances simples des défauts, les opérateurs en organisation plus rigide (de jour) identifient 50 % des défauts alors qu’en organisation plus souple (nuit et FDS), les opérateurs connaissent 67,85 % des défauts. En ce qui concerne les connaissances relatives à la compréhension de l’émergence des défauts, l’écart est encore plus net : 20,35 vs 54,82 %, de même que pour les récupérations de défaut : 7,14 vs 32,86 % ou encore pour les dérives des paramètres de réglage : 26 vs 43 % (Dubois, Retour, 1999).

18La combinaison de capacités collectives peut engendrer des compétences intergroupes. C’est le cas par exemple dans cette entreprise de service observée par Krohmer. Les commerciaux ont développé une capacité à faire exprimer au client ses besoins. La production, quant à elle, assure un traitement « personnalisé » du produit. Grâce à des échanges fréquents entre ces deux services et des actions permettant la compréhension mutuelle (par exemple, journée de formation du commercial en production), ces services ont développé une compétence collective leur permettant de « traiter les demandes spécifiques » des clients (Krohmer, 2004).

19Si des compétences sont partagées par l’ensemble de l’entreprise, il peut en résulter la détention d’une ou de plusieurs compétences stratégiques ou compétences « clés » que nous allons examiner maintenant.

3 – La gestion des compétences stratégiques

20Les compétences clés sont considérées comme essentielles et le support d’un avantage concurrentiel durable. Elles ont comme caractéristique de ne pouvoir être imitées en raison de leur spécificité, leur caractère tacite et leur complexité (Auregan, Joffre et Le Vigoureux 2000). Le vocabulaire, là aussi, n’est cependant pas encore stabilisé. Hamel et Prahalad (1990) parlent de cœur de compétence ou encore de pôles de compétences pour désigner un apprentissage collectif dans l’organisation, plus spécifiquement dans la manière de coordonner les expertises en matière de production et d’intégration des différentes technologies. Le BCG mobilise la notion de plate-forme stratégique pour désigner « un ensemble cohérent de compétences relatives au métier et de capacités organisationnelles dont la combinaison assure la compétitivité de l’entreprise » (Milan, 1991).

21Plusieurs auteurs ont essayé cependant de clarifier les concepts et de fournir des supports méthodologiques capables de surmonter les difficultés énoncées précédemment. Ainsi, M.Javidan (1998) distingue successivement les notions de ressources, de capacités, de compétences et de compétences clés. Les ressources se rapportent aux ressources physiques (usine, équipement, capitaux,…), humaines (personnel, formation expérience, …) et organisationnelles (culture, réputation, …). Les capacités se réfèrent à l’habileté de l’entreprise à exploiter ces ressources. Ce qui distingue une capacité d’une ressource, c’est son positionnement fonctionnel. Une capacité réside au sein d’un département fonctionnel. Il existe ainsi des capacités en marketing, en production, en ressources humaines, … Une compétence est une intégration interfonctionnelle et l’échange de capacités qui vont être mobilisées dans un domaine d’activité stratégique (DAS) : par exemple, le développement d’un nouveau produit résultat de l’interaction de capacités en marketing, en R& D, production, etc. Enfin, les compétences clés découlent de la synergie entre plusieurs compétences propres à plusieurs DAS. Dès lors, l’enjeu stratégique majeur consiste à acquérir, maîtriser et développer les ressources et les compétences permettant à l’organisation de se différencier de ses concurrents, de déployer ses activités, d’innover ou de disposer d’une flexibilité suffisante pour s’adapter aux exigences mouvantes de l’environnement (Mbengue, Petit, 2001). Dans cette perspective, la contribution de la fonction ressources humaines à la gestion des compétences stratégiques peut s’analyser à différents niveaux parmi lesquels (Meignant, 1992) :

  • la participation au processus de construction de l’architecture stratégique de l’entreprise (identification des compétences clés à développer et des technologies correspondantes) en mettant à la disposition des décideurs des outils d’aide à l’identification des savoir-faire collectifs qui caractérisent l’entreprise.
  • la proposition et la mise en œuvre des moyens nécessaires à l’acquisition (recrutement), au développement (gestion de la mobilité, gestion de la formation) et la stimulation (définition d’une politique salariale et d’une politique de promotion adaptée, mais aussi élaboration d’une vision partagée indispensable à un apprentissage collectif…) des porteurs de compétences stratégiques.
  • la contribution à la mise en place d’organisations du travail optimisant la synergie entre les différentes compétences contributives à un même enjeu, création d’un contexte favorable à l’apprentissage organisationnel.
  • l’aide au management afin de lui permettre de faire évoluer son rôle au sein de ces nouvelles formes d’organisation apprenante.
La gestion des compétences clés installe la stratégie ressources humaines au cœur de la capacité managériale et de la capacité organisationnelle. La gestion stratégique des ressources humaines se voit désormais confier la mission de construire les compétences clés indispensables à un avantage compétitif durable (Bayad, 2001). Toutes ces analyses doivent cependant intégrer une quatrième et dernière dimension que avons choisie de nommer « la gestion des compétences environnementales ».

4 – La gestion des compétences environnementales

22Par compétences environnementales, nous faisons référence aux compétences détenues par des entités ou des acteurs hors du contrôle direct de l’entreprise (clients, fournisseurs, laboratoires de recherche, ….) et dont la mise en œuvre peut influencer le fonctionnement interne de l’entreprise. Ainsi, dans le cadre d’une recherche menée au sein du secteur bancaire, nous venons de démontrer que les chargés de clientèle ne mobilisaient pas les mêmes compétences lorsqu’ils étaient en relation avec des clients dont ils intuitaient des niveaux de compétences différents, réellement détenus ou pas et ceci indépendamment de la complexité du dossier à résoudre (Dubois, Bobillier, Retour, 2002). Faire l’impasse sur cet aspect de la gestion des compétences serait une erreur dommageable sur le plan de la gestion des ressources humaines.

23Il y a aussi sous-jacent à ce niveau d’analyse, la question classique des choix d’impartition de l’entreprise symbolisée par la fameuse question : faire ou faire-faire ? En d’autres termes, il s’agit de déterminer quelles sont les compétences qui seront mobilisées en interne et celles qui seront mises en œuvre à l’extérieur de l’entreprise. Plusieurs conséquences doivent être présentes à l’esprit au moment où les dirigeants d’entreprise élaborent leur choix en la matière (Albouy et Retour, 2002 ; Retour 2002).

24Une des plus importantes pour les salariés qui restent et qui ont vu leurs collègues quitter l’entreprise est d’ordre psychologique. En effet, le personnel sait désormais que les dirigeants de leur entreprise n’hésiteront pas à confier à d’autres sociétés des activités qui ne rentrent pas ou plus, dans ses compétences stratégiques clés (cf. supra). Or, dans le contexte actuel de mutation permanente des entreprises et de leur environnement, les positionnements stratégiques peuvent rapidement évoluer. Telle activité assurée aujourd’hui en interne le sera-t-elle encore demain ? Dans ces conditions, le personnel est en quelque sorte sous pression permanente. L’implication, c’est-à-dire l’attachement des individus à l’égard de leur entreprise est de plus en plus difficile à obtenir dans un contexte d’externalisation croissante. C’est la raison pour laquelle, ces décisions doivent être accompagnées d’une action de communication à l’égard des salariés qui restent. Incidemment, une entreprise qui annonce qu’elle se sépare d’un nombre significatif de ses collaborateurs ne bénéficie pas de la meilleure image de marque sociale qui soit. Elle risque ultérieurement de rencontrer des difficultés pour attirer de nouveaux talents.

25Une autre conséquence se rapporte aux personnes au sein d’une entreprise en charge des actions d’outsourcing. Elles ont un rôle essentiel d’interface à l’égard des fournisseurs en devant être en mesure de définir les besoins de l’entreprise, de rédiger un cahier des charges précis, de repérer des prestataires potentiels, de négocier les conditions de prix, de qualité, de délai, de suivre la progression de la commande, etc.. Le rôle des acheteurs est fondamental. Ils doivent accepter, dans la plupart des cas, d’être en position de généraliste vis-à-vis de prestataires spécialisés. Ce rôle d’interface s’avère délicat à assumer car il s’agit toujours de contrôler des représentants de sociétés externes spécialistes de leur champ d’action.

26L’impartition d’activités présente d’autres dangers. Il y a un risque de perte de savoir-faire ou de contrôle de la qualité lorsqu’un domaine d’action jusqu’à présent conduit en interne est confié à un ou plusieurs sous-traitants. Les illustrations sont nombreuses d’entreprises qui ont confié la gestion de leur informatique ou la maintenance de leurs équipements à des sociétés externes. Pour les salariés qui conduisaient jusqu’à présent ces actions, le fait de ne plus les réaliser eux-mêmes conduit à une dégradation progressive de compétence car le savoir-faire opérationnel, au-delà du savoir - c’est-à-dire des connaissances scientifiques, techniques, procédurales ou déclaratives - joue un rôle essentiel. Le danger est accentué quand le domaine concerné est soumis à des évolutions technologiques fréquentes. Dans ces conditions, l’entreprise qui soustraite ce type d’activités se retrouve totalement ou en grande partie dépendante des ressources externes.

27L’externalisation de telle ou telle fonction de l’entreprise entraîne parfois d’autres conséquences fâcheuses et non anticipées. Ainsi, un grand groupe hôtelier français avait décidé, il y a quelques années, de sous-traiter ses activités de ménage et de nettoyage. Les salariés de ce prestataire réalisaient leur travail en se concentrant uniquement sur les opérations de nettoyage proprement dites, sans s’attarder ou prendre en considération particulière les clients qu’ils pouvaient croiser, privilégiant leurs objectifs de productivité. Au fil du temps, les remarques et les réactions de la clientèle indiquaient qu’elle était de plus en plus indisposée par la froideur et la distance des personnes en charge du nettoyage. Cette situation a conduit les dirigeants de ce groupe hôtelier à réintégrer sous son contrôle direct toutes les activités de nettoyage en demandant aux salariés concernés d’avoir un comportement attentif à la clientèle, conforme aux valeurs souhaitées par l’entreprise.

Conclusion

28Cet article de synthèse consacré à la gestion des compétences a montré quelques enjeux majeurs que les directeurs des ressources humaines doivent selon nous prendre en compte dans leur management. La question est complexe car elle comprend quatre grands niveaux d’action, avec des problématiques spécifiques qu’il convient de gérer de façon cohérente. Les entreprises en mesure de relever ces différents défis disposeront incontestablement à l’avenir d’un avantage compétitif majeur. Les directeurs des ressources humaines qui sauront mener à bien ce grand chantier augmenteront sensiblement leur influence et leur crédibilité au sein des entreprises.

Bibliographie

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Date de mise en ligne : 01/12/2008.

https://doi.org/10.3917/mav.004.0187

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