Notes
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[*]
Julien Sorez, agrégé et docteur en Histoire Centre d’Histoire de Sciences Po (CHSP)
-
[1]
Henry Delaunay, L’Auto, 29 novembre 1915.
-
[2]
Entre autres, signalons : Arnaud Waquet et Thierry Terret, « Ballons ronds, Tommies et tranchées : l’impact de la présence britannique dans la diffusion du football association au sein des villes de garnison de la Somme et du Pas-de-Calais (1915-1918) », Modern & Contemporary France, vol. 4, novembre 2006, pp. 449-464, Paul Dietschy, « Le sport et la Première Guerre mondiale », in Philippe Tétart (dir.), Histoire du sport en France. Du Second Empire au régime de Vichy, Paris, Vuibert, 2007, pp. 57-77.
-
[3]
Pour une vue d’ensemble sur ces évolutions, on pourra consulter Alfred Wahl, Les archives du football. Sport et société en France (1880- 1980), Paris, Gallimard, 1989.
-
[4]
Arnaud Waquet, « Footballs aux armées pendant la Grande Guerre », in Les sportifs français dans la Grande Guerre, colloque historique de Verdun, Le Fantascope éditions, 2010, pp. 83-100.
-
[5]
Les Jeunes, janvier 1915.
-
[6]
L’Auto, 26 novembre et 26 décembre 1915.
-
[7]
Gilbert Arvengas. Entre les fils de fer, carnet d’un prisonnier de guerre (1914-1917). Ohrdruf, Soltau, Ahlen Falkenberg, les représailles en Hanovre, Göttingen, les représailles en Russie, Wittenberg, Langensalza, 1918, p. 74.
-
[8]
Ibidem, pp. 75-76.
-
[9]
Le boyau, journal de la 3e compagnie du 115e régiment d’infanterie, 14 juillet 1915 ; L’Écho du boyau, organe des poilus du 214e régimentd’infanterie, octobre 1917, La Musette, journal des poilus, 23 mars 1918.
-
[10]
L’Auto, 9 et 10 avril 1915.
-
[11]
Bulletin officiel du stade français, 2 octobre 1915 et L’Auto, 7 novembre 1914 et 29 novembre 1915.
-
[12]
Pierre Arnaud (dir.), Les Athlètes de la République. Gymnastique, sport et idéologie républicaine, 1870-1914, Toulouse, Privat, 1987.
-
[13]
Paul Dietschy, art. cit., p. 65. On pourra également consulter le Bulletin officiel du Stade français, 3 octobre 1915 ; L’Auto, 13 octobre 1915, et Les Nouvelles du Patronage Olier, mars 1916.
-
[14]
Par exemple, L’Auto, 5 octobre 1915.
-
[15]
L’Auto, 5 mars 1917.
-
[16]
Les Nouvelles du Patronage Olier, mars 1916.
-
[17]
L’Auto, 17 mai 1916 et 16 janvier 1917.
-
[18]
Ibid., 5 août 1914.
-
[19]
Bulletin officiel du Stade français, 14 novembre 1914.
-
[20]
Sport Banque, novembre 1915.
-
[21]
Les plaintes reçues par L’Auto de ses soldats abonnés et la réduction du format pour satisfaire l’érosion des budgets laissent supposer que le quotidien sportif parvient également à certains abonnés au front, tout comme les bulletins du Club français et du Stade français. Cf. Bulletin officiel du Stade français, 4 décembre 1915 et Bulletin de Guerre du Club français, janvier 1919.
-
[22]
Stéphane Audoin-Rouzeau, Les journaux des tranchées, Paris, A. Colin, 1989, p. 107 et suiv.
-
[23]
Hormis dans l’hebdomadaire Sporting, où la guerre occupe la deuxième moitié des journaux.
-
[24]
Entre guillemets figure le titre général du périodique qui regroupe toutes les rubriques citées ensuite.
-
[25]
Lettres publiées de stadistes au front ou emprisonnés et régulièrement publiées dans le bulletin officiel du club.
-
[26]
Pour ce qui est du football, on constate au moins quatre fédérations qui en administrent la pratique dans l’Hexagone en 1914.
-
[27]
Nombreuses références comme dans le Bulletin officiel du Stade français, 14 novembre 1914.
-
[28]
L’Auto, 9 et 21 novembre 1914, Bulletin officiel du Stade français, 12 décembre 1914 ; Les Jeunes, janvier 1915.
-
[29]
L’Auto, 3 et 5 août 1914.
-
[30]
Ibid., 17 mai 1916.
-
[31]
Les Nouvelles du Patronage Olier, juin 1915.
-
[32]
Ibid., 5 août 1914.
-
[33]
Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, 14-18, Retrouver la guerre, Paris, Gallimard, 2000, p. 47.
-
[34]
L’Auto, 5 août 1914. On note entre le 3 et le 7 août, la publication par le journal de 17 lettres félicitant la rédaction pour ce récit imagé. La plupart de ces lecteurs prétendent même l’avoir porté à la connaissance de leur entourage.
-
[35]
L’Écho des Sports, 24 mai 1921.
-
[36]
Match, 15, 22, 29 novembre et 6 décembre 1927.
-
[37]
Ibid., 15 novembre 1927.
-
[38]
L’Auto, 19 février 1938.
-
[39]
Antoine Prost, « Les représentations de la guerre dans la culture française de l’entre-deux-guerres », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 1994/1, n° 41, pp. 23-31.
-
[40]
Eugène Fraysse et Neuville Tunmer, Football Association, Paris, Armand Colin, 1897, p. 31 et 45.
-
[41]
Le patronage, octobre 1896.
-
[42]
Georges Rozet, Le Football, sport national et le stade communal, Paris, Hachette, 1918, pp. 15-16.
-
[43]
Gabriel Hanot, Pour devenir un bon joueur de football association, Nancy, Berger-Levrault, 1921, p. 40.
-
[44]
Annette Becker, « Le culte des morts, entre mémoire et oubli », in Jean-Jacques Becker et Stéphane Audoin-Rouzeau (dir.), Encyclopédie de la Grande Guerre, Paris, Bayard, 2004, p. 1104.
-
[45]
Bulletin officiel du Stade français, 1er mai 1915 et novembre-décembre 1918, Bulletin de Guerre du Club français, janvier 1919.
-
[46]
Le CASG honore d’un trophée trois de ses membres tombés à la guerre. Auguste Trousselier donne son nom à un challenge de football, Sport Banque, novembre 1915.
-
[47]
L’Auto, 11 décembre 1918, Bulletin officiel du Racing Club de France, 15 novembre 1919, Les Jeunes, octobre 1918.
-
[48]
Il y a bien quelques monuments dédiés à certains sportifs comme Jean Bouin qui donne son nom au terrain du Stade Français mais cette pratique n’est pas majoritaire. En revanche, l’inauguration d’un monument aux morts ou une stèle associative est assez fréquente. Cf. Bulletin officiel du Stade français, décembre 1921 et 1922, CASG, juin 1933, Havre Athletic Club, 9 octobre 1920 en guise d’exemples.
-
[49]
Pour une étude de ces enjeux, nous renvoyons à une précédente publication : Julien Sorez, « Le football et la fabrique des territoires. Une approche spatiale des pratiques culturelles », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 111, 2011, pp. 59-72.
-
[50]
Stéphane Audoin-Rouzeau, « Qu’est-ce qu’un deuil de guerre ? », Revue historique des armées, n° 259, 2010, pp. 3-12.
-
[51]
Élise Julien, Paris-Berlin, la mémoire de la guerre, 1914-1933, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, pp. 37-38.
-
[52]
Ibid., p. 42.
-
[53]
L’Auto, 3 novembre 1914, 26 mars 1926, 21 novembre 1915. On retrouve la même situation en Italie. Cf. Pierre Lanfranchi, « La Première Guerre mondiale et le développement du football en Europe : l’exemple italien », in Yvan Gastaut et Stéphane Mourlane (dir.), Le football dans nos sociétés. Une culture populaire 1914-1998, Paris, Autrement, pp. 136-145.
-
[54]
L’Auto, 28 mars 1919.
-
[55]
Ludivine Bantigny, « Le mot ‘jeune’, un mot de vieux ? », in Ludivine Bantigny et Yvan Jablonka (dir.), Jeunesse oblige : histoire des jeunes en France, XIXe-XXIe siècle, Paris, Presses universitaires de France, 2009.
-
[56]
Pierre Bourdieu, « À propos de la famille comme catégorie réalisée », Actes de la recherche en sciences sociales, décembre 1993, p. 34.
-
[57]
L’Auto, 30 décembre 1917.
-
[58]
Ibid., 4 décembre 1918.
-
[59]
L’ABC, 1er août 1918.
-
[60]
Bulletin de Guerre du Club français, janvier 1919.
-
[61]
Les Jeunes, 1er avril 1919, Bulletin de Guerre du Club français, février 1919.
-
[62]
Bruno Cabanes, « Sortir de la Première Guerre mondiale. 1918-début des années 1920 », in Bruno Cabanes et Édouard Husson (éd.), Les sociétés en guerre 1911-1946, Paris, Armand Colin, 2003, p. 84.
-
[63]
Manon Pignot, « 1918-1919 : retour des hommes et invention des pères ? », in Bruno Cabanes et Guillaume Piketty (dir.) Retour à l’intime au sortir de la guerre, Paris, Tallandier, 2009, pp. 37-50.
-
[64]
Nous renvoyons sur ces aspects au chapitre six de notre thèse. Julien Sorez, Footballs en Seine : histoire sociale et culturelle d’une pratique sportive dans Paris et sa banlieue des années 1880 à 1940, thèse d’histoire, Sciences Po, Paris, 2011.
-
[65]
Bruno Cabanes, op. cit. , p. 94.
1 Interrogé par le quotidien sportif L’Auto en novembre 1915, Henri Delaunay, un des principaux dirigeants du football français, évoque l’importance de la pratique du football au front : « Au front, à quelques centaines de mètres des Boches, nos combattants se livrent avec entrain à ce sport attrayant et délassant (…). En tapant dans la balle, autre shoule, souvent pleine de son ou de vieux chiffons, nos footballeurs épiques, au bruit des marmites, oublient tous leurs ennuis pour une grande joie d’un instant [1]. »
2 Comme le suggèrent de nombreux témoignages de la Grande Guerre, le football a été l’un des sports les plus pratiqués durant le conflit. Cette idée a été confortée par un certain nombre de travaux universitaires qui, tout en revendiquant leur contribution à une histoire culturelle de la Première Guerre mondiale, ont identifié cette période comme un tournant majeur de la place du football dans la société française [2]. On constate en effet après-guerre une croissance importante du nombre de footballeurs, la création d’une institution autonome nationale avec la Fédération Française de Football Association (FFFA) en 1919, et la multiplication des infrastructures favorisant sa pratique dans la plupart des départements français [3].
3 Si la Grande Guerre consacre le succès de sa pratique et l’autonomisation de ses institutions, le football de l’arrière et du front trouve une place de choix dans les colonnes des principaux titres de la presse sportive commerciale, des bulletins associatifs et des journaux de tranchées publiés durant le conflit. Cette médiatisation contribue à en faire l’un des plus puissants vecteurs d’une « culture de guerre » sportive. La constitution de cette culture spécifique à partir de l’étude du football durant la Grande Guerre prend forme avec les récits de matchs de poilus et l’évocation de la mobilisation des footballeurs et des dirigeants de l’arrière pour la guerre. Elle se construit avec la multiplication des rubriques concernant le comportement héroïque des joueurs durant le conflit. Elle est également portée dès 1914 et jusqu’à la fin de l’entre-deux-guerres par l’héroïsation des footballeurs et l’édification d’une mémoire sportive de la guerre. Qui sont les promoteurs de cette culture spécifique ? Quels enjeux et quels usages sociaux l’analyse de cette culture révèle-t-elle au sein des associations sportives et d’une communauté sportive en prise avec des tensions sociales héritées des développements antérieurs du football ? Cette culture de guerre peut-elle être interprétée comme un dispositif qui met en scène et renforce le consentement des sportifs à la guerre ?
4 Parce que l’histoire culturelle de la Grande Guerre s’affranchit des catégories figées comme le « front » et « l’arrière », nous souhaitons mettre en lumière à partir du football les interactions et les circulations liées à la perméabilité des domaines civil et militaire dès la mobilisation. Parce qu’elle se doit de mesurer la portée effective des représentations dans la durée, nous avons sondé la postérité des discours et de leurs usages dans l’entre-deux-guerres. Enfin, parce que l’étude des discours et des représentations sur la guerre peuvent écraser la diversité des points de vue, des situations sociales, nous avons envisagé, en dépit des faibles informations sur l’origine sociale des acteurs, d’évoquer les usages et les enjeux différenciés des joueurs et des dirigeants, des anciens combattants et des jeunes pousses sportives que la guerre a promus.
Le football en guerre : une pratique à front renversé ?
Jouer en temps de guerre
5 Avec l’avènement d’une guerre de position, la pratique du football se développe au front et dans les cantonnements des troupes françaises, mais aussi belges, italiennes et bien entendu britanniques. Si les premiers soldats français qui jouent sont des sportifs déjà rompus à la pratique avant la guerre, le football prend une autre ampleur avec l’influence croissante des troupes britanniques sur les loisirs des poilus puis par l’implication du ministère de la Guerre et de l’état-major qui encouragent le sport pendant les jours de repos concédés à partir du printemps 1917 [4]. Les périodes de repos, la clémence du temps, l’autorisation des officiers, qui souvent se mêlent aux équipes ou arbitrent les rencontres, facilitent les situations de jeu. En revanche, l’absence de ballon n’est pas un obstacle à la pratique momentanée du football, puisqu’à l’occasion les soldats le remplacent « par des boules de circonstances, betteraves, voire même boule de son [5] ».
Sur la plage. Match de football entre soldats français et belges. Belgique. La Panne. 1917. Coll. BDIC.
Sur la plage. Match de football entre soldats français et belges. Belgique. La Panne. 1917. Coll. BDIC.
6 Le football est également une activité importante dans les camps allemands de prisonniers. Certains prisonniers de guerre évoquent l’organisation de véritables tournois de football qui leur permettent de lutter contre l’ennui. Ainsi, le camp d’Ohrdruf est le terrain de jeu de footballeurs parisiens qui se sont affrontés durant la paix sur les terrains de la capitale [6]. Réclamant du « pain et des jeux » pour rompre la monotonie de l’enfermement, les prisonniers sont autorisés à jouer sur une vaste étendue d’herbe située à l’une des extrémités du camp. Ces rencontres forment « la grande attraction du camp » avec d’excellentes équipes qui bien souvent font renaître les identités régionales que la condition de prisonnier et le temps de la guerre ont suspendues. Des matchs « Nord contre Sud, Bretagne contre Normandie, Paris contre Bordeaux » consacrent la préparation durant toute la semaine de prisonniers qui se mesurent chaque dimanche, au milieu des cris de milliers de spectateurs [7]. Il est intéressant de noter que ce public reproduit l’univers du stade de football d’avant-guerre. Au milieu des prisonniers circulent des limonadiers, des vendeurs de caricatures des joueurs les plus célèbres du camp. Le football y remplit donc une fonction explicitement divertissante : « On crie, on se moque d’un supporter qui a reçu le ballon en pleine tête, on siffle l’arbitre, on discute, on est heureux [8]. »
7 Le football des poilus et des prisonniers de guerre fait resurgir les ressorts identitaires constitutifs à la pratique sportive. Alors que dans les camps, les équipes reproduisent des oppositions régionales ou spatiales héritées des expériences sportives d’avant-guerre, on relève dans les journaux de tranchées une émulation voire une rivalité entre les bataillons ou compagnies d’un même régiment qui expliquent l’engagement parfois conséquent des joueurs sur le terrain [9].
8 La distraction procurée par le football au front contraste avec sa pratique à l’arrière. En effet, passée la mobilisation générale, les associations encore en activité puisent dans leur réservoir de jeunes joueurs pour mettre sur pied des équipes qui participent à la reprise des compétitions sportives au cours de l’autonome 1914 dans la plupart des fédérations, sous l’impulsion du ministère de la Guerre. Aux côtés de la mise en place de rites de départ pour les membres des associations qui partent sous les drapeaux [10], une rhétorique associative et fédérale appuie la légitimité de la pratique du football pour la préparation à la guerre [11]. Ce front renversé du football en période de guerre tient à plusieurs raisons. Du point de vue de l’arrière, elle participe au travail de légitimation initié par de nombreux dirigeants et journalistes sportifs qui s’évertuent à promouvoir le sport comme une discipline éducative et patriotique alors que la gymnastique bénéficie, encore à la veille de la guerre, de la bienveillance et de la faveur de la classe politique républicaine [12]. Il s’agit dès lors d’exploiter le contexte de défense de la patrie pour éprouver les vertus athlétiques et morales des footballeurs. Cette volonté s’inscrit plus largement dans la mobilisation de l’arrière au service des combattants, comme l’illustre la campagne menée par la presse, les fédérations et même les associations sportives pour l’envoi de ballons à destination du front [13]. Ces initiatives régulières participent donc à l’effort de guerre de l’arrière en même temps qu’elles fournissent une visibilité accrue au patriotisme des sportifs. Il n’en demeure pas moins que cette chasse aux ballons permet, jusqu’à l’envoi massif de l’été 1917 décidé par le ministère de la Guerre, de satisfaire une réelle demande de la part des soldats, comme l’attestent les lettres de remerciements des bénéficiaires parfois publiées [14].
Le football, une interface entre le front et l’arrière
9 L’inversion rhétorique du football en guerre, loin de manifester un profond clivage entre le front et l’arrière, souligne les nombreuses interactions que ces deux « espaces » cultivent. La mobilisation de l’arrière pour l’envoi de ballons en fournit un exemple saisissant. S’ils permettent aux soldats mobilisés de jouer, la possession d’un ballon établit un lien symbolique avec l’arrière que les soldats ont quitté dans la mesure où elle leur permet de pratiquer une activité de loisir à laquelle ils se livraient en temps de paix ou loin des combats. Ce contact retrouvé avec la pratique, la sociabilité voire les sensations éprouvées par les joueurs et même le public des matchs de soldats sont ainsi autorisées par la mobilisation de l’arrière. De surcroît, les échanges entre le front et l’arrière se manifestent dans les déplacements d’équipes et les permissions de soldats. Ainsi, l’Association sportive française envoie une équipe de football composée de jeunes gens de la classe 1918 sur le front pour jouer contre un régiment devant plus de 5 000 soldats afin de distraire les troupes alors que « le grondement sinistre du canon rappelait à tous la réalité des choses [15] ». À l’échelle associative, la réintégration régulière de permissionnaires qui désirent jouer au football ou qui rendent visite aux membres de leur association à l’arrière nourrit également une interpénétration entre ces deux sphères. Au Patronage Olier, la visite de deux membres de l’équipe du football leur offre l’occasion de partager leur expérience de guerre avec les futurs appelés. Alors que Jacques Récamier avait « des histoires plein son sac », André Bienvenu remplit de photographies de guerre les vitrines du Cercle d’étude du patronage : « On y voit des canons, des tranchées, des abris qui sont des merveilles d’ingéniosité, des ruines, des marmites cassées, des autels de campagne dressés sous des tentes de feuillage, des soldats masqués qui ont l’air de scaphandriers. C’est une superbe collection qu’il est recommandé aux jeunes écoliers de regarder des mains et de toucher des yeux [16]. » Enfin, certains permissionnaires ont la charge de distiller de précieuses informations sur les autres membres de la communauté de footballeurs au front comme Pierre Chayriguès, gardien de but de l’Équipe de France qui, à chacune de ses permissions, donne des nouvelles des joueurs les plus célèbres qu’il a pu croiser au front [17]. Mais l’interface privilégiée du front et de l’arrière sportifs est la presse sportive, commerciale et associative. Dès le début des hostilités, les différents périodiques invitent avec insistance les sportifs à donner de leurs nouvelles. « Envoyez-nous de vos nouvelles ! », « Écrivez-nous ! » s’exclame la rédaction de L’Auto dans ses éditions des 4 et 5 août 1914, demandant à ses habituels lecteurs sportifs de leur livrer « les émotions le jour de la bataille, leurs méditations la veille du combat, les sentiments qu’ils ont senti se développer en eux aux heures tragiques [18] ».
Tommies jouant au football avec des masques contre le gaz. 1916. Coll. BNF.
Tommies jouant au football avec des masques contre le gaz. 1916. Coll. BNF.
10 Sur ce modèle, d’autres périodiques hebdomadaires comme Sporting ou La Vie au Grand Air emboîtent le pas. Cette propension est également présente dans les bulletins associatifs [19]. Avant-guerre, les quelques bulletins publiés étaient chargés de maintenir les liens associatifs dans le contexte d’une augmentation du nombre des membres et d’une spécialisation des pratiquants dans une discipline sportive. Avec la guerre, ce sont les liens entre l’association et ses sportifs au front qui justifient ces publications, à l’image de Sport Banque, revue du Club Athlétique de la Société Générale, dont l’objectif est de rester « un foyer de famille où viendront se concentrer toutes les nouvelles pour, de là, rayonner sur l’étendue du Front et sur l’Arrière [20] ». Le Bulletin officiel du Stade français ambitionne même, par-delà les liens entre l’arrière et le front, de mettre en relation les soldats mobilisés entre eux. Que ce soient les bulletins associatifs ou la presse sportive commerciale, il semble que ces périodiques parviennent de temps à autre jusqu’au front [21]. Dès lors, ces périodiques, par les contacts multiples qu’ils encourageaient et tissaient avec les sportifs du front, ont sans doute contribué à combler le sentiment d’abandon et de décalage, qui nourrit le ressentiment des soldats à l’égard de l’arrière [22].
Les rubriques de guerre des périodiques sportifs (1914-1918) [24]
L’Auto Sporting BO du Stade français Les Jeunes | |||
« Les nôtres sur le front » « La guerre et les sports » « Les Stadistes au front » « Notre glorieux palmarès » | |||
Nos poilus nous demandent Morts au champ d’honneur Les blessés Morts au champ d’honneur | |||
Les morts de « X » fédération Les nôtres Prisonniers Blessés à l’ennemi | |||
L | e club « X » aux armées Nos morts Citations Le football aux armées | ||
et décorations | |||
Nos footballeurs sur le front | Disparus Ce que pensent nos camarades [25] | ||
Nos champions aux armées Bonne santé Correspondance Quelques nouvelles de | |||
Où ils vont ? | Lettres des poilus Disparus nos dirigeants et amis | ||
Le sport à l’armée Les visites |
Les rubriques de guerre des périodiques sportifs (1914-1918) [24]
La représentation sportive de la guerre
La presse sportive en guerre
11 Miroir d’une communauté éclatée et menacée par la mobilisation, la presse sportive devient également productrice d’une culture de guerre spécifique. Dès le déclenchement des hostilités, les bulletins associatifs, les revues fédérales et la presse commerciale multiplient les rubriques qui traitent des sportifs à la guerre. Ces rubriques s’imposent dans les premières pages et relèguent l’activité sportive de l’arrière au second plan [23]. L’organisation des rubriques de bulletins associatifs nous montre comment la guerre reconfigure le champ sportif. Dans leur mise en page, succèdent à l’évocation des morts, les blessés, puis les prisonniers, les disparus, les bonnes nouvelles et enfin les citations ou décorations. Si les listes nominales de sportifs permettent de suivre un camarade, de nombreuses rubriques emploient les pronoms possessif et personnel « notre » ou « nous », renvoyant ainsi à une communauté sportive aux contours variables, constituée des joueurs de football d’un club donné, de l’association comprise comme un tout, des membres d’une fédération toute discipline sportive confondue voire de tous les footballeurs quelque soit leur appartenance associative ou fédérale.
12 La guerre permet ainsi de mettre en scène le dépassement des clivages d’un paysage institutionnel pourtant assez concurrentiel [26]. Ce registre collectif révèle un double enjeu. D’une part, il place l’activité militaire des sportifs au service d’une communauté qui se nourrit des exploits et des sacrifices des siens au front. Ce marqueur d’identité collective célèbre la contribution de la petite patrie associative ou fédérale au service de la nation [27]. Elle atteste en outre l’édification progressive d’un héritage sportif symbolique. Aux côtés de la récupération des vicissitudes individuelles, l’usage du « nous » est destiné non seulement aux membres des associations et aux lecteurs amenés à participer à l’effort de guerre voire à partir au front mais il offre aussi l’opportunité à ceux qui produisent un tel discours sur la guerre des sportifs, essentiellement les dirigeants et les journalistes, de s’associer aux sacrifices et aux exploits des sportifs auxquels, en raison de leur âge, ils ne peuvent participer. Tenus à l’écart du front parce que souvent trop âgés pour être mobilisés, ils s’approprient les profits symboliques du sacrifice et des exploits des athlètes pensés comme leurs semblables.
L’invention d’un langage sportif de guerre
13 Par ailleurs, l’analyse de la presse commerciale et associative nous permet d’accéder à la manière dont les sportifs se sont représentés et ont représenté la guerre. L’interpénétration des deux univers se manifeste par un usage répété de la métaphore sportive de la guerre. Si la genèse de ce procédé stylistique en revient à Henri Desgrange, directeur de L’Auto qui, dès le 3 août 1914, signe l’éditorial de son quotidien par le « Grand match » pour qualifier l’entrée en guerre, cette métaphore circule rapidement dans les autres périodiques commerciaux et dans les presses associatives et fédérales [28]. Vecteur d’une filiation directe entre les champs de bataille et le terrain de sport, les métaphores des journalistes puis des dirigeants jouent sur deux registres. D’une part, elles valorisent la correspondance entre l’engagement corporel du soldat et celui du sportif avec des références aux feintes et démarcages [29]. Elles peuvent en outre associer la capacité à défendre son pays comme sa cage de but, à l’image de Pierre Chayriguès, dans la mesure où « celui qui défendit si souvent les filets de l’Équipe de France dans des tournois internationaux, se devait d’être de ceux qui barrèrent aux Allemands la route de Verdun ! [30] ». À cette figure de la vedette dans la presse commerciale répond, au sein des bulletins associatifs, celle des joueurs connus de tous les membres, comme André Bienvenu, gardien de football du Patronage Olier qui, en tant que sergent brancardier, passe « à travers le danger comme autrefois dans les mêlées de football les plus compliquées [31] ». D’autre part, les sensations éprouvées sont au cœur de cette analogie entre le sport et la guerre lorsque sont associées les émotions des instants précédant la bataille décisive à celles ressenties la veille des rencontres sportives importantes [32]. Jouant sur la mise en scène des gestes et des émotions, l’enchevêtrement de ces activités situe les pratiques sportive et guerrière sur le terrain de l’expérience sensible, dont le corps devient le médiateur privilégié. Le corps du footballeur ne s’interpose pas seulement entre son adversaire et sa cage de but, entre son ennemi et sa patrie, mais il relie le passé c’est-à-dire la paix, au présent, à savoir la guerre. Il est le lieu d’incorporation des qualités militaires pour le sportif devenu soldat et en ce sens il autorise une relecture téléologique des propriétés de la pratique sportive en temps de paix dès lors pensée comme une propédeutique à la guerre.
14 Néanmoins, on ne peut réduire la portée de la métaphore sportive à cet acte de légitimation. La circulation de son usage dans tous les périodiques sportifs unifie la participation des soldats venus de tous les horizons fédéraux à la défense de la patrie. Car le match « contre les Boches » crée une unité de temps et de lieu, celle d’une guerre que l’on pense courte grâce à un affrontement décisif. Puis, les acteurs éprouvent progressivement la sensation d’être à égalité durant de longs mois, avant que les prolongations ne permettent de départager les deux équipes. Par l’appropriation et l’usage durable de ce récit imagé, chaque joueur, chaque dirigeant, chaque association et fédération participent au même combat. La métaphore replace ainsi les gestes et les corps dans un récit national unifié, celui d’un « grand match » qu’il faut absolument gagner. Il est d’ailleurs permis de penser que l’ubiquité et l’universalité de la métaphore sportive révèle en même temps qu’elle prépare l’unification institutionnelle consacrée par la création de la Fédération Française de Football Association (FFFA) en 1919. Enfin, le succès de cette métaphore sportive née au début du mois d’août 1914 dans un quotidien sportif atteste sans doute la dissonance entre l’expérience attendue et l’expérience réelle des combats. Alors qu’auparavant, le courage, l’entraînement et l’habileté du combattant sont des gages de sa survie, la puissance de l’artillerie réduit à bien peu de choses les capacités et prouesses individuelles [33]. La prégnance de cette image de la guerre est avérée dans les manuels d’apprentissage du football publiés au début du siècle où le champ lexical de la guerre de mouvement est utilisé pour qualifier l’affrontement sportif. On est alors saisi par le décalage entre la promotion des qualités sportives des combattants et leur utilité réelle au front. Par conséquent, la métaphore constitue un précieux témoignage. Elle montre une forme d’adaptation dans une guerre cruelle qui tue aveuglément, à l’absurdité des corps déchiquetés par les éclats d’obus et à l’absence de contacts et d’échanges corporels directs avec l’ennemi que l’on ne voit guère. Dans cette perspective, on peut se demander si la longévité et le succès de la métaphore n’a pas davantage servi à combler le profond décalage que cette guerre marque entre les représentations héritées d’une guerre de mouvement et la transformation de l’expérience combattante alors imposée durant la majeure partie du conflit, et que constatent progressivement les combattants.
15 La production d’un discours participant à l’édification d’une culture de guerre sportive détermine effectivement et durablement la représentation que les sportifs se font de leurs pratiques. Dans l’élan patriotique initial, les réactions favorables se multiplient tout au long du mois d’août 1914, comme ce lecteur de L’Auto qui confie avoir été remué « jusqu’aux moelles [34] ». De même, la résurgence régulière de cette métaphore dans la presse commerciale, associative et fédérale nous laisse penser qu’elle comble une attente réelle. Cette place nouvelle faite à l’expérience combattante de la Grande Guerre et la transformation partielle des vertus militaires qu’elle colporte avec la valorisation du sacrifice de soi, du courage et du sang-froid, restent dominantes durant l’entre-deux-guerres. Elle est portée au sein de la presse commerciale par d’anciens joueurs ayant participé aux combats et devenus après-guerre journalistes comme Louis Delblat, responsable de la rubrique « football » à L’Écho des Sports [35]. Aussi, la publication des mémoires de footballeurs célèbres dans la presse commerciale soutient cet usage de la métaphore sportive comme l’attestent les mémoires de Pierre Chayriguès, publiées dans Match à partir du mois de novembre 1927, ou celles de Lucien Gamblin dans L’Auto au début de l’année 1938. Leurs récits insistent longuement sur leurs conditions de vie au front et sur les différentes opérations auxquelles ils ont participé [36].
16 La représentation de la guerre s’appuie sur les mêmes procédés, c’est-à-dire une description de l’expérience douloureuse du front et la publication d’illustrations photographiques du joueur en tenue de sous-officier. L’identité combattante de la vedette est également édifiée à partir de métaphores journalistiques mêlant la pratique sportive au combat. Dans leurs récits autobiographiques, ces deux vedettes se réapproprient l’entrelacement de la figure du combattant et du footballeur. Ainsi, Pierre Chayriguès, qui se trouve près de la trajectoire d’un obus, fait allusion à « d’autres pénibles situations devant des poteaux de buts [37] », alors que Lucien Gamblin reprend à son compte la métaphore du « grand match » pour qualifier l’affrontement armé : « Le 31 juillet 1914, je reçus ma convocation pour un match important. Impossible de déclarer forfait. Je partis, je commençais à jouer, non plus comme arrière, mais comme sergent. Partie très dure. Il y eut des prolongations. Le club dans lequel je jouais s’appelait le 76e R.I. Au début, il n’était plus question de balle mais de balles [38]. »
Couverture de La Vie au Grand Air. 15 décembre 1916. Coll. BDIC.
Couverture de La Vie au Grand Air. 15 décembre 1916. Coll. BDIC.
17 Enfin, l’évolution des ouvrages sur la technique du football permet de mesurer le poids de la Première Guerre mondiale au-delà de cette intertextualité des périodiques sportifs. À son arrivée en France, le football emprunte la représentation de la guerre dominante de l’époque, caractérisée par l’image de la charge de cavalerie, de l’assaut décisif, de l’offensive à outrance qui cohabitent avec une vision plus statique, avec le siège, hérités de la guerre de 1870 [39]. Dans leur ouvrage publié en 1897, Eugène Fraysse et Neuville Tunmer associent les lignes de joueurs aux différents corps d’armes. Alors que les arrières représentent les tirailleurs, les demis doivent jouer le rôle que joue en temps de guerre l’infanterie à cheval, et les avants travaillent « jusqu’à ce que le but soit assiégé comme une forteresse pour tomber sous les coups répétés de l’ennemi ou dégagé par ses propres troupes [40] ». Le champ lexical de la guerre, par la manœuvre, l’idée d’un camp ennemi dont il faut se jouer est aussi présent dans les présentations du jeu publiées par les différentes fédérations sportives avant-guerre comme celle regroupant les patronages catholiques [41]. Dans les ouvrages sur le football association publiés dans les années 1920, les références à la Première Guerre mondiale se multiplient comme chez Georges Rozet où l’usage et la qualité des ballons, l’équipement sportif sont l’occasion de renvoyer à l’expérience sportive des soldats au front [42].
18 Mais c’est Gabriel Hanot, ancien combattant de la Grande Guerre, journaliste et dirigeant de la FFFA, qui intègre le plus explicitement l’expérience de la Première Guerre mondiale : « Un gardien de but doit être robuste et solide : d’abord pour supporter les chocs violents des avants adverses lancés à toute allure, mais surtout pour résister, sans crainte de refroidissement, aux intempéries, au froid, à l’humidité et à la pluie. Le gardien est en effet un joueur sédentaire ; il fait la guerre de position, et il a bien des traits communs avec le soldat des tranchées [43]. »
19 Le succès durable d’un langage spécifique en temps de guerre tient à ce qu’il participe à l’identification d’un groupe social, les footballeurs voire les sportifs, alors en quête de reconnaissance. Cette métaphore alimente un langage sportif de la guerre qui permet d’avoir une prise sur un événement indicible et surtout de faire exister dans l’instant et dans la durée une communauté sportive dès lors unie autour de cet usage qui en définit les contours. Elle porte aussi l’ambition d’instituer un monde sportif homogène, au sein duquel tout type de clivage culturel ou social serait gommé. L’existence d’un langage des sportifs en guerre fonde une appartenance commune et agit en faveur de la fusion des volontés en dépit des différences sociales ou institutionnelles des sportifs, favorisant l’idée d’un consentement à la guerre. Pourtant, sans disposer d’étude sociologique sérieuse sur les footballeurs envoyés au front, on peut constater que les plumes sportives de guerre, instigatrices de ce nouveau langage sportif, ont un capital socioculturel important. Henri Desgrange, directeur de L’Auto, est licencié en droit, Louis Delblat à L’Écho des Sports est instituteur de formation, Gabriel Hanot est licencié d’allemand alors qu’Henri Mariès, rédacteur à Sport Banque, est licencié de lettres et chef de service au secrétariat général de la Société Générale. Cette remarque suggère que la production d’une culture de guerre prétendument homogène demeure l’apanage d’une élite dirigeante ou journalistique. Si les usages sociaux de la culture de guerre sont plus difficiles à déceler au cours du conflit, une étude de la portée de cette culture spécifique nous en révèle en partie les enjeux.
Les usages sociaux de l’expérience de guerre des footballeurs
Du deuil associatif à la mémoire sportive : la mort des footballeurs à la guerre
20 À peine les hostilités déclarées, les pages des presses sportives publient leurs premières listes de sportifs morts au champ d’honneur. Ces listes rappellent l’existence d’individus dont la mort et la non-restitution des corps vouaient au néant [44]. À la désignation des morts est parfois associé le récit héroïsé de leurs derniers instants dès lors que l’association ou le journal est en mesure de publier des lettres ou autres informations complémentaires. Cette mémoire de guerre immédiate s’opère selon un mode individuel dans la mesure où chaque sportif est nommé et célébré en son nom propre. Si les rubriques nécrologiques ont tendance à surreprésenter des vedettes sportives ou des membres éminents de l’association, la publication de récits des derniers instants, de lettres de proches ou d’officier de régiment du sportif tué, ont pour fonction d’attester l’existence et la bravoure de ces individus. Par ces chroniques funéraires, l’individu devient alors un exemple de courage et de dévouement [45]. Afin de pérenniser le souvenir d’un des leurs, certaines associations ou fédérations organisent au cours du conflit des trophées ou compétitions sportives censées commémorer et honorer ces exemples vertueux [46].
21 Cette mémoire individuelle et héroïque devient ensuite collective. Elle épouse dans le temps les contours de l’association puis de la communauté sportive. En effet, chaque semaine, les presses commerciale et associative dressent le bilan des pertes de la guerre pour les clubs et les fédérations sportives [47]. Les sportifs ne pèsent plus seulement par leurs actions individuelles, mais aussi par le nombre de leurs morts. Ce nivellement des prouesses individuelles au profit d’un mode égalitaire atteint son paroxysme avec l’érection de stèles ou de monuments aux morts associatifs dans les années 1920, qui gravent dans la pierre les listes temporaires parues dans les périodiques en temps de guerre [48]. Le primat de cette mémoire associative n’a plus pour fonction de prendre en charge le deuil des familles et des proches mais elle part à la recherche d’une reconnaissance extérieure, celle du ministère de la Guerre, des conseils généraux et municipaux pour des fédérations et des associations sportives en quête de subventions et terrains auxquelles elles prétendent au nom du sacrifice de leurs membres pour la patrie [49]. De surcroît, si la guerre provoque une « inversion dramatique de l’ordre habituel de la succession des générations [50] », la mémoire sportive permet de replacer les individus tombés à la guerre dans une histoire qui fait sens, celle du développement des associations sportives et à la reconnaissance tardive des vertus patriotiques du football auxquels ils ont contribué en défendant leur patrie.
22 Ainsi, la portée de la mémoire sportive est double. Comme l’a montré Élise Julien, la mémoire immédiate de la guerre vise à conjurer la mort violente des jeunes gens, l’absence des corps mais surtout à consoler la peine des proches en faisant reconnaître rapidement la valeur du mort que l’on pleure [51]. À ce titre, les associations sportives ne se différencient pas d’autres institutions sociales comme l’École ou l’Église. Les listes publiées dans les revues associatives voire dans la presse commerciale se placent dans la même perspective que les listes de paroissiens ou les tableaux glorieux d’écoliers affichés pendant le conflit. S’il s’agit dès le début de la guerre de « sauver les morts de l’oubli [52] », elle revêt sans doute une importance encore plus grande pour les dirigeants sportifs. Elle permet d’une part d’atténuer l’anonymat de la mort et de son annonce dans les grandes villes. Sachant que le football français est avant la guerre surtout un football urbain, on mesure l’effet que cette annonce par une institution sociale comme une association pouvait représenter. D’autre part, à la différence des paroisses et des écoles, l’association essentiellement composée de jeunes gens de sexe masculin joue au cours de la guerre sa survie dès lors que la grande majorité de ses membres sont mobilisés. À terme, ce travail de la mémoire dans les institutions sociales comme les écoles ou les associations sportives contribuent à consolider ces espaces comme de véritables « ports d’attache » au cours de la guerre, comme l’illustre la visite récurrente de permissionnaires à leurs anciens coéquipiers restés à l’arrière. Comme la communauté scolaire, l’association sportive se donne à voir comme une communauté d’expérience et de mémoire pendant la guerre et par elle. Et le prolongement de cette mémoire sert en retour à pérenniser cette identité associative menacée dans son existence par quatre années de conflit.
Le retour des « Anciens » : une remise en ordre associative ?
23 La mobilisation et la décision de maintenir une activité sportive à l’arrière bouleversent profondément le fonctionnement des associations. Les jeunes joueurs assurent leur pérennité et sont placés sur le devant de la scène sportive [53]. La situation de guerre permet de valoriser les qualités athlétiques de la jeunesse, souvent confinée à un rôle secondaire dans les associations sportives avant-guerre [54]. La prise en considération de la jeunesse avec la création d’écoles de football dans de nombreux clubs de l’Hexagone durant l’entre-deux-guerres n’est pas uniquement liée à la promotion de la jeunesse. Elles révèlent également la volonté des dirigeants associatifs de la reprendre en main. En effet, tout au long des années 1920, les dirigeants et journalistes sportifs insistent sur le nouveau rôle que la jeunesse a acquis depuis la guerre. Mais cette jeunesse est pensée comme une catégorie asociale, où la limite d’âge est indéterminée et la diversité sociale de cette population est niée [55]. Si l’on considère que la jeunesse n’est qu’un mot et que les catégories d’âge ne sont que le produit de constructions sociales visant à instaurer un rapport de domination [56], on peut penser que ces préoccupations éducatives nourrissent l’ambition de remettre la jeunesse à la place qui lui était attribuée avant-guerre et à la placer sous contrôle.
Soldats jouant au foot-ball. Bailleuval. Novembre 1915. Coll. BDIC.
Soldats jouant au foot-ball. Bailleuval. Novembre 1915. Coll. BDIC.
24 Par ailleurs, en désignant une partie des joueurs des équipes les plus compétitives par le vocable de « jeune », les dirigeants et journalistes sportifs, qui ont dans leur majorité vécu la guerre, introduisent par là même la légitimité des « anciens », autre catégorie qui se généralise dans les associations sportives au lendemain de la Première Guerre mondiale. De nombreux dirigeants et journalistes d’après-guerre considèrent les « anciens » comme des garde-fous aux effets du rajeunissement des footballeurs. L’ancien joueur se définit par son dévouement au club et sa fidélité. Apparu avant-guerre, ce vocable ne désigne pas seulement des joueurs que les occupations familiales ou professionnelles ont amené à délaisser une pratique régulière. Il s’agit dorénavant des joueurs et membres que l’expérience de guerre a éloignés de la pratique sportive et de l’association. Dès lors, la question de leur retour se pose au sein de chaque association. Les anciens d’un club sont souvent les joueurs d’avant-guerre qui ont perdu leur place au profit des jeunes [57]. Certains clubs introduisent progressivement, durant la période de démobilisation, les anciens joueurs dans les équipes de football à l’image du CASG [58], du patronage du Bon Conseil [59], ou encore des dirigeants du Club français qui espèrent que « les jeunes auront à cœur de continuer une tradition que la présence prochaine des anciens libérés va encore vivifier [60] ». Il semble toutefois que, dans la plupart des clubs, les équipes-fanions conservent ceux qui ont, durant la guerre, participé aux différentes compétitions sportives. Les joueurs d’avant-guerre ont soit mis fin à leur carrière sportive, soit ils évoluent dans des équipes inférieures, ce qui signifie un déclassement sportif. Dès lors, « l’appel aux anciens » vise les membres qui ne peuvent ou ne souhaitent plus jouer pour qu’ils continuent d’animer la vie de leur club [61]. Ce besoin d’encadrement est d’autant plus important que le football connaît après-guerre un élan démographique important conjugué à un rajeunissement des membres. Le retour des anciens membres participe alors à la reprise en main de la jeunesse dont les années de guerre ont consacré l’excellence sportive.
25 Cette obsession du retour et de la prise en charge des anciens s’inscrit donc dans une double perspective. Il s’agit en premier lieu de trouver des membres susceptibles d’aider économiquement, socialement ou sportivement les associations confrontées non seulement aux difficultés matérielles héritées de la guerre, mais également au succès croissant de la pratique du football dans les années 1920. Ensuite, par ces « appels aux anciens », les associations sportives tentent de minimiser les effets psychologiques et sociaux de la Première Guerre mondiale pour leurs membres qui ont participé aux combats. En effet, les souffrances liées au retour à l’état civil pour bon nombre de combattants se traduisent par un deuil de la camaraderie des tranchées, un brutal sentiment d’inutilité dans un monde libéré de la guerre, et par des doutes sur leur capacité à tenir un rôle social dans la vie civile [62]. Si l’on prend en considération la difficile réinsertion dans la structure familiale de ces hommes souvent jeunes, confrontés à leurs enfants qu’ils ne connaissent pas et qui ne les reconnaissent pas [63], on peut mesurer les attentes placées dans la reconstitution d’un entre-soi associatif. Il est fort probable que ces « appels aux anciens » visent également à combattre les effets du déclassement social dont sont victimes bon nombre de footballeurs. Les équipes de football d’avant-guerre sont composées de nombreux joueurs issus des classes moyennes, notamment les employés du secteur tertiaire pour ce qui est du département de la Seine [64]. Or, les employés et les salariés, qui ont été remplacés dans les entreprises par une main d’œuvre de circonstance, sont parmi les plus touchés par les difficultés de réinsertion dans les années qui suivent leur démobilisation [65].
26 Ainsi, la Première Guerre mondiale représente bien un tournant pour la pratique du football. Si la Grande Guerre constitue vraisemblablement une étape décisive quant au nombre de pratiquants, le football acquiert, comme l’ensemble du mouvement sportif, une légitimité sociale qu’il n’avait pas auparavant. Cette mutation indéniable a été portée par une culture de guerre spécifique qui a permis de donner l’image d’un football uni entre le front et l’arrière, entre les joueurs et les dirigeants, entre les associations et les fédérations de tous horizons. Cette culture des footballeurs n’en demeure pas moins ambiguë. Elle néglige les spécificités et tensions sociales qui peuvent exister ou apparaître parmi les acteurs sportifs de cette guerre. En même temps, c’est cette apparente homogénéité consentante qui permet au monde sportif d’exploiter après-guerre le sacrifice de ses membres pour la défense de la patrie. Mais l’étude des spécificités de cette culture de guerre associative et sportive atteste un retour assez brutal du social dans un sport de l’entre-deux-guerres où le contrôle de la jeunesse, l’intégration des anciens combattants puis la « spectacularisation » de la pratique pointent comme de nouveaux défis qui menacent une légitimité douloureusement acquise. ?
Notes
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[*]
Julien Sorez, agrégé et docteur en Histoire Centre d’Histoire de Sciences Po (CHSP)
-
[1]
Henry Delaunay, L’Auto, 29 novembre 1915.
-
[2]
Entre autres, signalons : Arnaud Waquet et Thierry Terret, « Ballons ronds, Tommies et tranchées : l’impact de la présence britannique dans la diffusion du football association au sein des villes de garnison de la Somme et du Pas-de-Calais (1915-1918) », Modern & Contemporary France, vol. 4, novembre 2006, pp. 449-464, Paul Dietschy, « Le sport et la Première Guerre mondiale », in Philippe Tétart (dir.), Histoire du sport en France. Du Second Empire au régime de Vichy, Paris, Vuibert, 2007, pp. 57-77.
-
[3]
Pour une vue d’ensemble sur ces évolutions, on pourra consulter Alfred Wahl, Les archives du football. Sport et société en France (1880- 1980), Paris, Gallimard, 1989.
-
[4]
Arnaud Waquet, « Footballs aux armées pendant la Grande Guerre », in Les sportifs français dans la Grande Guerre, colloque historique de Verdun, Le Fantascope éditions, 2010, pp. 83-100.
-
[5]
Les Jeunes, janvier 1915.
-
[6]
L’Auto, 26 novembre et 26 décembre 1915.
-
[7]
Gilbert Arvengas. Entre les fils de fer, carnet d’un prisonnier de guerre (1914-1917). Ohrdruf, Soltau, Ahlen Falkenberg, les représailles en Hanovre, Göttingen, les représailles en Russie, Wittenberg, Langensalza, 1918, p. 74.
-
[8]
Ibidem, pp. 75-76.
-
[9]
Le boyau, journal de la 3e compagnie du 115e régiment d’infanterie, 14 juillet 1915 ; L’Écho du boyau, organe des poilus du 214e régimentd’infanterie, octobre 1917, La Musette, journal des poilus, 23 mars 1918.
-
[10]
L’Auto, 9 et 10 avril 1915.
-
[11]
Bulletin officiel du stade français, 2 octobre 1915 et L’Auto, 7 novembre 1914 et 29 novembre 1915.
-
[12]
Pierre Arnaud (dir.), Les Athlètes de la République. Gymnastique, sport et idéologie républicaine, 1870-1914, Toulouse, Privat, 1987.
-
[13]
Paul Dietschy, art. cit., p. 65. On pourra également consulter le Bulletin officiel du Stade français, 3 octobre 1915 ; L’Auto, 13 octobre 1915, et Les Nouvelles du Patronage Olier, mars 1916.
-
[14]
Par exemple, L’Auto, 5 octobre 1915.
-
[15]
L’Auto, 5 mars 1917.
-
[16]
Les Nouvelles du Patronage Olier, mars 1916.
-
[17]
L’Auto, 17 mai 1916 et 16 janvier 1917.
-
[18]
Ibid., 5 août 1914.
-
[19]
Bulletin officiel du Stade français, 14 novembre 1914.
-
[20]
Sport Banque, novembre 1915.
-
[21]
Les plaintes reçues par L’Auto de ses soldats abonnés et la réduction du format pour satisfaire l’érosion des budgets laissent supposer que le quotidien sportif parvient également à certains abonnés au front, tout comme les bulletins du Club français et du Stade français. Cf. Bulletin officiel du Stade français, 4 décembre 1915 et Bulletin de Guerre du Club français, janvier 1919.
-
[22]
Stéphane Audoin-Rouzeau, Les journaux des tranchées, Paris, A. Colin, 1989, p. 107 et suiv.
-
[23]
Hormis dans l’hebdomadaire Sporting, où la guerre occupe la deuxième moitié des journaux.
-
[24]
Entre guillemets figure le titre général du périodique qui regroupe toutes les rubriques citées ensuite.
-
[25]
Lettres publiées de stadistes au front ou emprisonnés et régulièrement publiées dans le bulletin officiel du club.
-
[26]
Pour ce qui est du football, on constate au moins quatre fédérations qui en administrent la pratique dans l’Hexagone en 1914.
-
[27]
Nombreuses références comme dans le Bulletin officiel du Stade français, 14 novembre 1914.
-
[28]
L’Auto, 9 et 21 novembre 1914, Bulletin officiel du Stade français, 12 décembre 1914 ; Les Jeunes, janvier 1915.
-
[29]
L’Auto, 3 et 5 août 1914.
-
[30]
Ibid., 17 mai 1916.
-
[31]
Les Nouvelles du Patronage Olier, juin 1915.
-
[32]
Ibid., 5 août 1914.
-
[33]
Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, 14-18, Retrouver la guerre, Paris, Gallimard, 2000, p. 47.
-
[34]
L’Auto, 5 août 1914. On note entre le 3 et le 7 août, la publication par le journal de 17 lettres félicitant la rédaction pour ce récit imagé. La plupart de ces lecteurs prétendent même l’avoir porté à la connaissance de leur entourage.
-
[35]
L’Écho des Sports, 24 mai 1921.
-
[36]
Match, 15, 22, 29 novembre et 6 décembre 1927.
-
[37]
Ibid., 15 novembre 1927.
-
[38]
L’Auto, 19 février 1938.
-
[39]
Antoine Prost, « Les représentations de la guerre dans la culture française de l’entre-deux-guerres », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 1994/1, n° 41, pp. 23-31.
-
[40]
Eugène Fraysse et Neuville Tunmer, Football Association, Paris, Armand Colin, 1897, p. 31 et 45.
-
[41]
Le patronage, octobre 1896.
-
[42]
Georges Rozet, Le Football, sport national et le stade communal, Paris, Hachette, 1918, pp. 15-16.
-
[43]
Gabriel Hanot, Pour devenir un bon joueur de football association, Nancy, Berger-Levrault, 1921, p. 40.
-
[44]
Annette Becker, « Le culte des morts, entre mémoire et oubli », in Jean-Jacques Becker et Stéphane Audoin-Rouzeau (dir.), Encyclopédie de la Grande Guerre, Paris, Bayard, 2004, p. 1104.
-
[45]
Bulletin officiel du Stade français, 1er mai 1915 et novembre-décembre 1918, Bulletin de Guerre du Club français, janvier 1919.
-
[46]
Le CASG honore d’un trophée trois de ses membres tombés à la guerre. Auguste Trousselier donne son nom à un challenge de football, Sport Banque, novembre 1915.
-
[47]
L’Auto, 11 décembre 1918, Bulletin officiel du Racing Club de France, 15 novembre 1919, Les Jeunes, octobre 1918.
-
[48]
Il y a bien quelques monuments dédiés à certains sportifs comme Jean Bouin qui donne son nom au terrain du Stade Français mais cette pratique n’est pas majoritaire. En revanche, l’inauguration d’un monument aux morts ou une stèle associative est assez fréquente. Cf. Bulletin officiel du Stade français, décembre 1921 et 1922, CASG, juin 1933, Havre Athletic Club, 9 octobre 1920 en guise d’exemples.
-
[49]
Pour une étude de ces enjeux, nous renvoyons à une précédente publication : Julien Sorez, « Le football et la fabrique des territoires. Une approche spatiale des pratiques culturelles », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 111, 2011, pp. 59-72.
-
[50]
Stéphane Audoin-Rouzeau, « Qu’est-ce qu’un deuil de guerre ? », Revue historique des armées, n° 259, 2010, pp. 3-12.
-
[51]
Élise Julien, Paris-Berlin, la mémoire de la guerre, 1914-1933, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, pp. 37-38.
-
[52]
Ibid., p. 42.
-
[53]
L’Auto, 3 novembre 1914, 26 mars 1926, 21 novembre 1915. On retrouve la même situation en Italie. Cf. Pierre Lanfranchi, « La Première Guerre mondiale et le développement du football en Europe : l’exemple italien », in Yvan Gastaut et Stéphane Mourlane (dir.), Le football dans nos sociétés. Une culture populaire 1914-1998, Paris, Autrement, pp. 136-145.
-
[54]
L’Auto, 28 mars 1919.
-
[55]
Ludivine Bantigny, « Le mot ‘jeune’, un mot de vieux ? », in Ludivine Bantigny et Yvan Jablonka (dir.), Jeunesse oblige : histoire des jeunes en France, XIXe-XXIe siècle, Paris, Presses universitaires de France, 2009.
-
[56]
Pierre Bourdieu, « À propos de la famille comme catégorie réalisée », Actes de la recherche en sciences sociales, décembre 1993, p. 34.
-
[57]
L’Auto, 30 décembre 1917.
-
[58]
Ibid., 4 décembre 1918.
-
[59]
L’ABC, 1er août 1918.
-
[60]
Bulletin de Guerre du Club français, janvier 1919.
-
[61]
Les Jeunes, 1er avril 1919, Bulletin de Guerre du Club français, février 1919.
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[62]
Bruno Cabanes, « Sortir de la Première Guerre mondiale. 1918-début des années 1920 », in Bruno Cabanes et Édouard Husson (éd.), Les sociétés en guerre 1911-1946, Paris, Armand Colin, 2003, p. 84.
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[63]
Manon Pignot, « 1918-1919 : retour des hommes et invention des pères ? », in Bruno Cabanes et Guillaume Piketty (dir.) Retour à l’intime au sortir de la guerre, Paris, Tallandier, 2009, pp. 37-50.
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[64]
Nous renvoyons sur ces aspects au chapitre six de notre thèse. Julien Sorez, Footballs en Seine : histoire sociale et culturelle d’une pratique sportive dans Paris et sa banlieue des années 1880 à 1940, thèse d’histoire, Sciences Po, Paris, 2011.
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[65]
Bruno Cabanes, op. cit. , p. 94.