Notes
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[1]
Cf.mes diverses publications, recensées dans mon CV en ligne (http://www.schist.ulg.ac.be/biblio/lanneau.htm) et sur Orbi, le répertoire institutionnel de l’Université de Liège (http://orbi.ulg.ac.be/). Mes recherches portent sur l’image de la France en Belgique francophone des années 1930 aux années 1950 et s’appuient sur la presse, sur des témoignages individuels et sur des sources de type diplomatique. J’envisage cette image telle qu’elle a été perçue par l’opinion wallonne et bruxelloise, mais aussi telle qu’elle a été construite par Paris. Dernière remarque liminaire : s’il est évident que le rapport des Belges francophones à la France est nécessairement influencé par la Flandre et l’opinion flamande, puisqu’on se situe dans le cadre d’un État unitaire, toutes mes investigations me conduisent à penser qu’il existe bien une opinion francophone, certes nuancée et multiple, mais qui possède ses caractéristiques propres et distinctes de l’opinion néerlandophone. Quant aux francophones de Flandre, ils constituent un groupe particulier, qui mériterait un traitement spécifique.
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[2]
Sur ces questions, voir E. Bussière, La France, la Belgique et l’organisation économique de l’Europe 1918-1935, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France - Ministère de l’Économie, des Finances et du Budget, 1992.
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[3]
En Flandre, c’est dès le début de l’entre-deux guerres que l’on réclame une politique belge de stricte indépendance et, surtout, dénuée de toute influence française, ce qui se traduira bientôt par le slogan « Los van Frankrijk », « Séparonsnous de la France ». L’accord militaire francobelge de 1920, qualifié d’« accord du sang », semble au Nord un instrument destiné à « vassaliser » la Belgique, à lui faire encaisser les premiers coups en cas d’attaque allemande contre la France et à soumettre la Flandre à une intolérable pression politique et culturelle. En 1936, le refus flamand de voter les crédits militaires indispensables à la défense du pays sans une dénonciation claire de l’accord litigieux, pourtant caduc depuis le Pacte rhénan signé à Locarno en 1925, pèsera de tout son poids dans l’évolution de la politique étrangère belge. Le maître-ouvrage sur ce thème est G. Provoost, Vlaanderen en het militair-politiek beleid in België tussen de twee wereldoorlogen. Het Frans-Belgisch militair akkoord van 1920, Louvain, Davidsfonds, 1976-1977, 2 t.
-
[4]
La Gazette, 8 août 1936, p. 1.
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[5]
La lettre est publiée dans Le Peuple et La Wallonie (1-2 mai 1937, p. 1). Vandervelde vient alors de démissionner du gouvernement et se trouve de plus en plus isolé au sein de son parti.
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[6]
Venu de l’extrême droite, René Hislaire fut le chef de cabinet du Premier ministre catholique Paul van Zeeland et le directeur de L’Indépendance Belge, quotidien officieux des gouvernements d’Union nationale.
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[7]
R. Hislaire, Le redressement français, Bruxelles, éditions du Trident, 1939, pp. 143-150.
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[8]
J. Bosmant, Souvenirs d’un ancien belge, Liège, Les Lettres Belges, 1974, p. 243.
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[9]
Rappelons que l’actuelle région Nord-Pas-de-Calais avait été rattachée à la Belgique par les autorités militaires allemandes d’occupation.
-
[10]
A. Colignon, « La résistance en Belgique francophone : une anglophilie par défaut », in La Résistance et les Européens du Nord, actes du colloque de Bruxelles, 23-25 novembre 1994, Bruxelles, CREHSGM, 1994, pp. 30-43.
-
[11]
C. Kesteloot, « Présence et absence. De Gaulle et la résistance en Belgique francophone (1940-1944) », in De Gaulle, la Belgique et la France Libre (Journée d’étude, 20 juin 1990), Bruxelles, CREHSGM, 1991, pp. 9-20 ; R. Demoulin, « Charles de Gaulle et la presse clandestine liégeoise du 18 juin 1940 à la Libération », in Études gaulliennes. Cahiers des Cercles universitaires d’études et de recherches gaulliennes, actes du colloque international de Liège, 29-30 mai 1982 (t. 14, n° 42), Paris, février 1984, pp. 55-66.
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[12]
Pour une étude approfondie de cette année particulière : C. Lanneau, L’inconnue française. La France et les Belges francophones 1944-1945, Bruxelles, PIE-Reter Lang, 2008.
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[13]
Voir notamment W.-I. Hitchcock, France restored. Cold war diplomacy and the quest for leadership in Europe, 1944-1954, Chapel Hill - Londres, The University of North Carolina Press, 1998.
1Entre la Belgique et la France ce ne sont pas seulement de plus ou moins mauvaises plaisanteries qui représentent le voisin. Progressivement définie avant même que n’apparaisse l’État issu d’une sécession en 1830, la frontière franco-belge s’étend sur 620 kilomètres et ne correspond ni à une limite naturelle, ni à des limites linguistiques très distinctes [1].
2Le rapport entretenu par les Wallons et les Bruxellois avec la France est particulier et surtout ambigu. S’ils partagent avec elle la même langue et la même culture, ils appartiennent à un autre cadre étatique et se nourrissent, à l’exception des années 1795 à 1814-15, d’une autre histoire. Leur rapport au pays voisin est complexe et surtout passionnel, oscillant entre la proclamation redondante d’une parenté spirituelle, que certains n’hésitent pas à qualifier d’ethnique, et le souci récurrent d’affirmer une différence intrinsèque : parler le français, être nourri de culture française et vouloir le rester, ne signifie pas vouloir être Français. Les réunionistes ou rattachistes restent très minoritaires. On notera, en outre, fort peu de divergences sous-régionales dans ce rapport à la France, si ce n’est une francophilie plus affirmée à Liège et la réaction à des problématiques strictement frontalières. Cette absence de frontière culturelle se joint à l’attention particulière portée aux choses de France pour créer un climat original de semi-symbiose que renforcent encore de nombreux mariages mixtes et une importante immigration croisée.
La Revue franco-belge : bulletin du Comité d’entente franco-belge, fondé en 1915. Coll. BDIC/Droits réservés.
La Revue franco-belge : bulletin du Comité d’entente franco-belge, fondé en 1915. Coll. BDIC/Droits réservés.
Les crises et les interrogations de l’entre-deux-guerres
3L’image dominante de la France du Front populaire en Belgique francophone est celle d’un déclin et d’une perte de prestige, qui n’apparaissent pas comme un phénomène neuf mais comme un aboutissement fatal. Certes, après l’Armistice de 1918, la France se dresse dans la splendeur de la Victoire et semble unie, réconciliée avec elle-même après les déchirements de l’affaire Dreyfus et des lois de laïcité qui avaient exacerbé la francophobie latente des milieux catholiques de Belgique. On exalte alors avec force, voire grandiloquence, parce qu’elles semblent des évidences, l’indéfectible amitié francobelge et la « grande sœur latine » protectrice. Mais, peu à peu, on glisse vers le lieu commun du discours de fin de banquet, d’autant plus que l’épreuve a transformé la relative germanophilie des Belges d’avant 1914 en féroce germanophobie. Cependant, dès les années 1920, l’image de la France se ternit sous les effets d’un triple malaise : crise morale et culturelle, crise de régime interne et crise de confiance en politique internationale. Les milieux conservateurs, qui rêvent d’un retour à une France monarchique et catholique, sont les plus féroces contre la République, le prétendu règne de la franc-maçonnerie et une immigration qu’ils décrivent, avec un vieux fond d’antisémitisme, comme une invasion étrangère, dangereuse pour le futur d’une France en pleine dénatalité. À gauche, les modérés (libéraux radicaux et démocrates-chrétiens affirmés) rejoignent les socialistes et les communistes pour dénoncer plutôt les tares et dérives du capitalisme triomphant qui placeraient au second plan les préoccupations sociales et intellectuelles.
Quel rôle pour la Wallonie à la frontière franco-germanobelge ? Brochure. Coll. BDIC/Droits réservés.
Quel rôle pour la Wallonie à la frontière franco-germanobelge ? Brochure. Coll. BDIC/Droits réservés.
4La question du régime politique est essentielle. On dénonce l’hyper-parlementarisme comme responsable de la corruption, du clientélisme et de l’instabilité gouvernementale. Les remèdes conseillés sont divers : entre ceux qui rêvent d’une restauration monarchique et ceux qui souhaitent simplement un assainissement de la pratique et des mœurs politiques, on trouve les partisans d’un exécutif fort et d’un recours plus aisé à l’arme de la dissolution de la Chambre. Au fil des articles de presse, scandales financiers et crises politiques à répétition ont sérieusement entamé le prestige de la France.
5Celle-ci pâtit en fait d’un déficit de confiance dans tous les domaines. On lui reproche amèrement son protectionnisme taxé d’égoïsme économique. Au printemps 1935, Paris sera accusée d’avoir « lâché » le franc belge, contraignant Bruxelles à dévaluer. On la critique aussi pour la guerre des tarifs et des contingentements qu’elle mènerait au détriment d’une Belgique libre-échangiste. Toutefois, certains, surtout au sein du mouvement wallon, répliquent que la Belgique est seule responsable de son isolement, pour avoir à plusieurs reprises éludé les offres françaises d’union économique [2]. Le sort des travailleurs frontaliers est un autre sujet de tension : dans le contexte de la crise économique ambiante et de la lutte contre le chômage dans les deux pays, on refuse à certains le renouvellement de leur carte de travail et tous subissent des contrôles administratifs accrus. Dans la foulée de ces vexations, il y a le cas particulier du contingentement des artistes étrangers autorisés à se produire en France. Au nom d’une culture dont ils se revendiquent sans cesse, les Belges francophones sont outrés d’être traités en parfaits étrangers, ce qui renforce leurs traditionnels complexes et leur sentiment diffus d’être méconnus en permanence ou méprisés par leurs voisins.
6Enfin, la politique extérieure de la France fait débat. Le « bouclier français » de 1918 ne serait-il qu’une passoire ? La passivité de Paris face au réarmement du Reich, à la guerre italo-éthiopienne et, surtout, au coup de tonnerre de la remilitarisation de la Rhénanie (pour ne citer que trois épisodes majeurs), donne à penser qu’elle vacille et met en danger la paix européenne.
7La réprobation inquiète de l’opinion belge francophone est donc établie bien avant l’avènement du Front populaire. La période 1936-1938 constitue une étape supplémentaire qui, au gré des tendances, sera vue comme une déchéance ultime et presque fatale, comme une aggravation tempérée ou comme une illusion de redressement. Même pour la droite, le Front populaire ne bouleverse pas de fond en comble l’image, déjà passablement écornée, de la France. Il n’y a pas de cassure, de césure brusque malgré l’extrême violence des éditoriaux et la répulsion que suscite le glissement à gauche de la IIIe République ou sa supposée bolchevisation. Peut-être, l’extrême droite est-elle davantage portée à stigmatiser « Blum & consorts » mais, dans le cas du Rexisme, des contingences nationales l’expliquent : puisque Degrelle ne cesse d’assimiler le gouvernement tripartite belge à une équipe de Front populaire, il a évidemment intérêt à vitupérer constamment contre la France.
Enquête sur la France : initialement parue sous forme d’articles dans L’Indépendance belge. Coll. BDIC/Droits résesrvés.
Enquête sur la France : initialement parue sous forme d’articles dans L’Indépendance belge. Coll. BDIC/Droits résesrvés.
8Les milieux conservateurs, libéraux ou catholiques, dénoncent le sentiment de désordre, la carence de l’autorité que le Front populaire laisse, d’après eux, s’installer, notamment lors des grèves et occupations d’usines. Ils pointent du doigt l’atmosphère de haine et de désunion engendrée par l’existence de deux fronts opposés et ils fustigent l’arbitraire des hommes au pouvoir et les risques que leurs décisions en matière économique et sociale font courir au pays. Le Front populaire ne ferait qu’aggraver la crise morale et politique vécue depuis longtemps par la France, d’autant que les valeurs traditionnelles leur paraissent plus que jamais remises en cause par des influences juives et maçonniques devenues plus évidentes à leurs yeux.
9En politique étrangère, leur position n’est guère plus nuancée. La non-intervention officielle dans la guerre civile espagnole ne convainc pas les éléments les plus conservateurs qui accusent Paris d’avoir du sang ibérique sur les mains. Plus généralement, on estime que la situation intérieure de la France a atteint son prestige extérieur avec une incalculable nocivité : le Quai d’Orsay se serait mis à la remorque du Foreign Office, qui laisse Hitler dominer peu à peu l’Europe sans lui opposer de résistance. Or, cette droite affirmée était jusqu’alors des plus favorables à l’alliance française comme garantie de la sécurité de la Belgique. À partir de 1936, les conservateurs se rapprochent dès lors du courant neutraliste qui, avec le soutien des Flamands [3], devient majoritaire dans l’opinion. Citons la formule assassine de La Gazette, quotidien libéral conservateur bruxellois : « Plutôt Hitler et Mussolini que Staline, Blum et Giral le sanguinaire [4]. » Le Palais Royal et le gouvernement, qui avaient depuis un certain temps l’intention d’amener le pays vers plus d’indépendance extérieure, voient leurs projets confortés, d’autant plus qu’ils ont été désorientés par la reculade de Paris lors de la réoccupation de la Rhénanie. Le discours prononcé par Léopold III le 14 octobre 1936 et préfigurant le retour à la neutralité concrétise cette évolution.
10Au centre, les démocrates-chrétiens considèrent avec attention l’expérience Blum. Leurs réactions vont de l’approbation discrète à la critique franche en passant par un silence plus ou moins bienveillant. Proches de la gauche sur le plan social, ils considèrent la plupart des réformes entreprises comme justifiées. Le thème antifasciste trouve chez eux un écho favorable et la diplomatie du Front populaire correspond souvent à leurs propres conceptions. Toutefois, les excès de certains grévistes, une extrême gauche parfois incontrôlée et des mesures économiques considérées comme périlleuses les tiennent à distance, tout autant que la prudence envers la « main tendue » des communistes aux catholiques, en France comme en Belgique.
11Plus à gauche, chez les libéraux radicaux, les socialistes et les communistes, on nourrissait de fortes attentes à l’égard d’un Front populaire, censé renouveler 1789. Sa victoire électorale est perçue comme celle des antifascistes mais également d’un peuple trop longtemps muselé et aspirant à des conditions de vie plus dignes. Si les conservateurs hurlent à la décadence, la gauche voit le printemps 1936 comme celui du sursaut, du redressement. Puis, au fil des mois, l’enthousiasme tombe. Très vite, certains libéraux radicaux belges rejoignent la position de l’aile droite des radicaux français. Dénonçant, eux aussi, les mouvements sociaux en cascade, ils observent d’un œil plus que méfiant les choix économiques de l’équipe Blum, notamment les quarante heures. En revanche, ils approuvent sa politique extérieure. Pour ces radicaux de droite, le Front populaire n’aurait dû être qu’une union antifasciste temporaire, destinée à défendre le régime républicain et parlementaire, et non une coalition gouvernementale. À l’inverse, les radicaux de l’aile gauche soutiennent presque sans faillir le cabinet Blum, même si l’on sent poindre leur irritation lorsque des arrêts de travail anarchiques mettent en péril l’Exposition internationale des Arts et Techniques organisée à Paris au printemps 1937 et qui était censée être la vitrine du Front populaire. En dépit de leur fidélité à « l’esprit » de ce dernier, ils sembleront soulagés de voir le retour du radical Camille Chautemps à la présidence du Conseil.
12Dans le camp communiste, encore assez faible en Belgique, la critique est très vite acerbe. On accuse Blum de faiblesse envers le fascisme intérieur et extérieur, de mollesse dans les réformes économiques et de trahison en politique extérieure. C’est évidemment le refus d’accorder une aide officielle à l’Espagne républicaine qui suscite le plus de colère. La chute de Léon Blum ne fait qu’envenimer un discours qui dénonce le retour en force du « mur d’argent » et de ses serviteurs.
13Du côté socialiste enfin, l’embarras est perceptible. Certes, la politique intérieure du Front Populaire est largement approuvée et son échec ultérieur attribué aux forces occultes du capitalisme. L’arrivée en juin 1937 du rigoureux Georges Bonnet aux Finances pose certains problèmes de conscience aux militants d’un parti qui continue à s’intituler Parti ouvrier belge (POB). Le clivage est plus grave sur la question espagnole. L’attitude du Front populaire suscite une profonde déception au sein de l’aile internationaliste, comme en témoigne la lettre ouverte du vieux « patron » Émile Vandervelde à Léon Blum [5], tandis que l’aile « socialiste nationale », et volontiers neutraliste, emmenée par les « jeunes » Henri De Man et PaulHenri Spaak, approuve la solution pragmatique qu’est la non-intervention... en attendant de se rallier à la reconnaissance diplomatique de Franco.
14Pour la gauche comme pour la droite, la France semble atteindre le fond de l’abîme en 1938. Lors de l’Anschluss, dépourvue de gouvernement, elle n’a pu faire entendre qu’une voix assourdie. À l’automne, la crise de Munich est majoritairement perçue comme la preuve de l’impuissance occidentale, avec cette circonstance aggravante que la Tchécoslovaquie était une alliée de la France. En Belgique, on y voit une justification supplémentaire de la nouvelle politique d’indépendance. Notons que l’opposition à cette dernière se fait plus active du côté francophone. D’emblée, elle avait été virulente chez les militants wallons et antifascistes et réelle, quoique plus feutrée, chez les libéraux francophiles. Elle gagne maintenant de nouveaux cercles. Quand l’armée belge, désireuse de prouver qu’elle défendra la neutralité envers et contre tous, organise ses grandes manœuvres annuelles dans les Ardennes sur le thème d’une défense face à la France, les réactions sont très vives en Wallonie et à Bruxelles : être indépendant, oui ; neutre, soit ; mais renier les amitiés traditionnelles, surtout pour donner des gages supplémentaires aux Flamands, c’est non ! À Spa, on arbore fièrement le drapeau français durant tout l’exercice...
La rupture de 1939-1944
15Le déclenchement de la « Drôle de Guerre » accentue cette opposition entre les camps neutraliste et anti-neutraliste. Ce dernier rassemble à présent tous ceux pour lesquels prétendre tenir la balance égale entre le Reich hitlérien et les Alliés de la Grande Guerre est un non-sens voire une infamie. Ce camp s’élargit à des milieux de droite qui trouvent dans le pacte germano-soviétique un argument pour justifier leur ralliement. Les intellectuels des deux obédiences multiplient les manifestes opposés, la presse s’engage et certains journaux sont d’ailleurs censurés par le gouvernement pour leur manque de neutralité, dans un sens ou l’autre. Par ailleurs, des associations de bienfaisance se créent pour soutenir le moral du poilu, tandis qu’à Liège la Ligue d’action wallonne recrute des ouvriers spécialisés pour l’industrie de guerre française.
16Paris a donc retrouvé une partie de ses attraits comme en témoigne le livre Le Redressement français du journaliste René Hislaire [6], qui situe le tournant à l’avènement du gouvernement Daladier, en avril 1938. Et d’écrire fougueusement que la France, « tranquille derrière sa ligne Maginot » et « certaine de la force de son armée », est de taille à « repousser toutes les attaques » [7]. Bientôt pourtant, cette armée, réputée invincible, s’effondrera comme un jeu de cartes. Pour la Belgique francophone, c’est la bouleversante fin d’un mythe naguère érigé en certitude.
Dessinde Zouc qui témoigne de la difficile reconquête par la France de son statut de grande puissance. Elle fut publiée le 17 juin 1945 dans Front, un hebdomadaire issu du Front de l’Indépendance, principal mouvement de résistance de gauche.
Dessinde Zouc qui témoigne de la difficile reconquête par la France de son statut de grande puissance. Elle fut publiée le 17 juin 1945 dans Front, un hebdomadaire issu du Front de l’Indépendance, principal mouvement de résistance de gauche.
Dessin de Servais paru le 15 février 1947 dans Le Gaulois, hebdomadaire wallon de Bruxelles, de tendance réunioniste à la France. Le dessin est une charge contre le Benelux, accusé par une partie de l’opinion wallonne de noyer les francophones de Belgique dans un océan néerlando-flamand. On y voit un petit Tchantchès, représentation folklorique du Wallon (mais, en fait, surtout du Liégeois) emmené de force loin de sa mère Marianne par un Flamand autoritaire (voir le drapeau et le tatoutage AVV-VVK : Alles Voor Vlaanderen - Vlaanderen Voor Kristus), tourné vers les Pays-Bas.
Dessin de Servais paru le 15 février 1947 dans Le Gaulois, hebdomadaire wallon de Bruxelles, de tendance réunioniste à la France. Le dessin est une charge contre le Benelux, accusé par une partie de l’opinion wallonne de noyer les francophones de Belgique dans un océan néerlando-flamand. On y voit un petit Tchantchès, représentation folklorique du Wallon (mais, en fait, surtout du Liégeois) emmené de force loin de sa mère Marianne par un Flamand autoritaire (voir le drapeau et le tatoutage AVV-VVK : Alles Voor Vlaanderen - Vlaanderen Voor Kristus), tourné vers les Pays-Bas.
17Nul besoin de s’attarder sur la capitulation belge du 28 mai 1940 et les imprécations de Paul Reynaud à l’encontre de Léopold III : il existe d’innombrables témoignages des avanies subies en conséquence par les Belges réfugiés en France. Soulignons d’abord que ces exilés vont, au milieu d’une totale improvisation confinant à la pagaille, se trouver confrontés à la France rurale et méridionale qui, pour la plupart d’entre eux, restait une grande inconnue. « Leur » France s’était résumée à Paris, aux départements du Nord et éventuellement, pour les mieux nantis, à la Côte d’Azur. Le pays voisin et modèle était pour eux synonyme de raffinement et de culture. Les mois de mai et juin 1940 sont l’occasion d’un choc dont on trouvera encore maints échos après guerre. Chacun va réagir selon son âge, son milieu d’origine, son degré de francophilie ou sa simple capacité d’adaptation. On en retiendra, a posteriori, le verre à moitié vide — la nonchalance du Midi, son inconfort, son hygiène relative — ou le verre à moitié plein : l’accueil globalement chaleureux réservé à une masse énorme de réfugiés, les amitiés nouées dans l’adversité et cet été de découvertes et de liberté qui précéda des heures bien plus sombres.
18Si l’exode est un choc, il n’est rien si on le compare au vide vertigineux creusé par la débâcle et l’armistice. Citons Jules Bosmant, critique d’art liégeois, militant wallon et homme de gauche : « [Je croyais] encore, superstitieusement, au fameux sursaut national qui, de Jeanne d’Arc aux soldats de l’An II et à la Marne, avait toujours sauvé la France : [...] il ne restait plus rien où accrocher ma foi ! [8] »
19Suit l’occupation qui entraîne la rupture morale, physique et matérielle de nombreux liens entre France et Belgique [9]. La majorité des Wallons et des Bruxellois réprouvent le régime de Vichy. Perturbés par l’apathie des Français et leur apparente acceptation de la collaboration, ils se tournent désormais plus volontiers vers la GrandeBretagne. L’anglophilie, naguère limitée à certaines élites politico-économiques essentiellement bruxelloises, se répand dans toutes les couches de la société [10]. À l’exception de certains milieux wallons militants, de Gaulle est d’abord peu présent, d’une part parce qu’il est peu connu, de l’autre parce qu’à gauche ses origines sociologiques effraient. Il faut attendre 1942 pour voir solidement s’ancrer la crédibilité du Général et de la France Libre. Après Bir Hakeim et le débarquement allié en Afrique du Nord, leur popularité croîtra encore, puissamment servie par la radio française libre de Londres, très écoutée en Wallonie et à Bruxelles, plus écoutée même que les émissions depuis Londres de la Radio nationale belge dans certaines régions wallonnes. Et, sur les ondes, on prépare l’opinion à ce qui sera bientôt la thèse officielle : l’État français a existé, mais il n’était pas la vraie France [11]. On mise donc sur l’idée de continuité, avec un écho marqué en Belgique francophone.
L’immédiat après-guerre en trompe-l’œil
20En effet, dès la Libération, l’aura de la France en Wallonie et à Bruxelles se reconstruit avec une vitesse étonnante au vu du passé récent. On notera cependant la succession de deux périodes distinctes. Si les premiers mois de l’après-guerre voient une glorification du « miracle français » et de la « France nouvelle », leur succède, dès la fin 1945, l’ère de la désillusion. La première période correspond à l’adhésion enthousiaste et profonde des Belges francophones aux thèses officielles diffusées par de Gaulle et son gouvernement : non, la France n’a pas trahi car Vichy ne l’a jamais incarnée ; oui, on peut et on doit plus que jamais l’admirer pour sa Résistance, qui rachète l’effondrement de 1940, et pour son profond désir de réformes politiques, économiques et sociales. Chacun trouve de bonnes raisons d’encenser la France nouvelle et nombreux sont ceux, surtout à gauche, qui la comparent à une Belgique prétendument sclérosée parce qu’elle en est revenue aux pratiques et au personnel politique d’avant 1940 et qu’elle a frileusement désarmé la Résistance. On jalouse la chance qu’a la France d’avoir en de Gaulle un chef charismatique, alors que la Belgique s’englue dans la question royale, mais aussi celle de pouvoir compter sur une relève d’hommes nouveaux, jeunes et dynamiques, issus de la Résistance et même, ce qui ne peut que plaire à la droite, provenant souvent du sérail chrétien. En réalité, cette France nouvelle rassure la Belgique francophone qui veut croire encore à la restauration possible de l’ordre international classique. Le retour de la France au premier plan lui semble nécessaire aux deux sens du terme : indispensable et inéluctable. Certes la France est restée absente ou minorisée dans les grandes conférences de Yalta, San Francisco et Potsdam. D’aucuns, d’ailleurs, le comprennent ou le justifient mais on se persuade qu’à moyen terme elle reprendra sur la scène mondiale une place de choix, peut-être même d’arbitre [12].
21Les mois passant, ce scénario deviendra de moins en moins crédible. Alors que, en dépit de l’épineuse question royale, la Belgique se redresse, la France, au contraire, paraît stagner. La IVe République, à l’accouchement laborieux, est contestée de toute part, la coalition au pouvoir (tripartisme puis Troisième Force) ne parvient pas à assurer la stabilité gouvernementale, l’inflation est galopante, le rationnement reste strict, les grèves, insurrectionnelles ou non, se multiplient. Jusqu’en 1947-48, certains redoutent la bolchevisation du pays. La politique internationale de Paris déroute les Belges. Elle leur apparaît comme velléitaire, rigide, voire impérialiste, alors qu’ils la voudraient souple et évolutive. Dans leur grande majorité, les Belges francophones hésitent entre pitié et condescendance, colère et inquiétude. Les rares voix discordantes sont issues des milieux wallons ou de sphères idéologiques soucieuses d’épauler un pouvoir exercé par leurs homologues français. Bref, la France est perçue par beaucoup comme l’homme malade de l’Europe, dont on redoute la contagion.
22En même temps, la France a perdu de son mystère et donc de son charme attractif. Les Belges d’après 1945 la connaissent de façon plus intime que la génération précédente, résultat couplé de l’exode et de l’apparition du tourisme de masse. La réalité française étant faite de contrastes, Wallons et Bruxellois se montrent bien moins tolérants envers le chauvinisme du voisin, ses moqueries parfois blessantes, son indifférence. Les sujets de frictions ne manquent pas. Les partisans de Léopold III s’emportent contre les intrusions, réelles ou supposées, de la France dans la question royale. Les très francophiles organisateurs de conférences du type « Amitiés françaises » se heurtent à certains orateurs français peu respectueux de leurs engagements. Brochant sur le tout, il y a les éternelles différends économiques liés à la question des travailleurs frontaliers, des refus temporaires d’importation, des entraves mises à la circulation du livre belge en France...
23En fait, l’immédiat après-guerre a permis aux Belges de développer face aux Français un inhabituel complexe de supériorité basé sur une inversion des rapports de force. Couvée ou courtisée par les Anglo-Saxons pour sa position stratégique et son uranium congolais, la Belgique fait figure de bon élève : avec le Benelux, elle préfigure l’union économique européenne voulue par Washington ; avec Paul-Henri Spaak, elle bénéficie d’un représentant d’envergure internationale ; elle tire pleinement parti de son statut assumé de petite puissance pour jouer, lorsqu’il le faut, un Grand contre un autre ou se présenter en arbitre crédible et désintéressé.
24Le « Belge de la rue », pour sa part, voit venue l’heure de la revanche sur un certain nombre de vexations et l’occasion d’exorciser le thème du « p’tit belge » qu’il avait dû, bon gré mal gré, accepter des Français, quand il n’avait pas luimême contribué à lui donner corps. Wallons et Bruxellois se réjouissent de vivre du bon côté de la frontière, ne fût-ce qu’au plan matériel. On leur reprochera d’ailleurs de le faire voir et entendre bruyamment lors de leurs escapades touristiques de nouveaux riches. Ils vantent le redressement économique rapide et la relative stabilité économique de leur pays, sa capacité atavique à réformer sans révolution et dans le dialogue, à parvenir, très vite, à canaliser puis à endiguer les mouvements extrémistes. La droite unitariste va abondamment utiliser ce complexe de supériorité pour réduire à néant les arguments des réunionistes. Un moment décontenancés ou embarrassés, Wallons et « francolâtres » militants redressent cependant la tête face à un danger qui leur paraît immédiat et pernicieux : la transformation de l’union douanière et économique Benelux en une entente politique qui ressusciterait l’ancien royaume des Pays-Bas de 1815-1830. Dans leur optique, il faut que la France soit plus forte, plus puissante et surtout plus présente.
25Quelle que soit son attitude, la France se heurte à l’insatisfaction teintée d’opposition d’une partie de ses observateurs. Son image est perpétuellement brouillée et paradoxale. À titre d’exemple, évoquons les prétendues visées françaises sur la Wallonie : très longtemps et sans preuve concrète, les Belges les plus unitaristes ont soupçonné la France d’aider les séparatistes wallons, alors que ces derniers reprochaient amèrement à Paris son immobilisme voire son hostilité à leur égard. Un autre paradoxe concerne la politique allemande de la France : à partir de 1946, l’idée française d’un démembrement de l’Allemagne ou, à tout le moins, d’un détachement de la Rhénanie et d’un contrôle strict sur la Ruhr, ne sera plus soutenue en Belgique que par ceux-là mêmes qui accusaient naguère avec le plus de force la France d’impérialisme, à savoir le très nationaliste et conservateur Comité belge du Rhin.
26Troisième exemple : la construction européenne. Paris lui a donné ses premières impulsions via la Ceca et le projet de CED. En Belgique, certains saluent une attitude courageuse et visionnaire tandis que d’autres pressentent plutôt en elle un obstacle et estiment que ses ambitions européennes ne sont que des manœuvres dilatoires pour empêcher le réarmement allemand. D’autres encore s’efforcent de comprendre ses réticences face à l’ennemi d’hier et sa volonté de poser des garde-fous, tandis qu’une frange restée très germanophobe condamne une politique susceptible de réintroduire le loup allemand dans la bergerie.
27Un autre paradoxe naît des débuts de la décolonisation et de l’Union française. Parmi les virulents critiques du « colonialisme » français, on rencontre bien sûr une majorité d’hommes de gauche, communistes ou socialistes, mais aussi une frange de droite ou d’extrême droite anglophobe, convertie à l’arabophilie par hostilité à Israël, vu comme le cheval de Troie de Moscou, et étendant ensuite sa sollicitude aux pays du Maghreb. En outre, au début de la guerre d’Indochine, des catholiques belges ont parfois pris parti pour les indépendantistes par souci prosélyte : mieux vaut, pensaient-ils, un Vietnam indépendant, où le christianisme pourrait espérer convertir sans être assimilé au pouvoir colonial et peut-être exercer lui-même le pouvoir, qu’une Indochine soumise à la République laïque.
28Finalement, la question du régime est la seule à ne pas répondre à cette théorie des paradoxes. La IVe déçoit tout autant la Belgique francophone que la France. Beaucoup réclament d’indispensables réformes constitutionnelles : renforcer les prérogatives présidentielles et limiter le pouvoir du Parlement ou bien, au contraire, comme les communistes, attribuer les pleins pouvoirs à une assemblée unique. Les libéraux radicaux, pour leur part, souhaitent le retour à une IIIe République aménagée. Les remèdes proposés diffèrent, mais non le diagnostic de départ.
Réévaluation de la « puissance » française
29En définitive, comment les Belges francophones ont-ils perçu le passage de la France au rang de puissance moyenne ? Après une courte période d’euphorie, ils semblent avoir compris, avant les Français d’ailleurs, que les temps s’étaient radicalement modifiés. Dès 1946, ils ont constaté, et le plus souvent déploré, l’impuissance de la France ou l’inefficacité de ses efforts. Elle doit souvent reculer, se replier sur elle-même, mais, en 1950, elle surprendra avec l’inventif et audacieux Plan Schuman puis, très vite, paraîtra retomber dans ses travers à propos du réarmement allemand et de la Sarre. D’autre part, les Belges comprennent mal le succès relatif du neutralisme dans l’opinion française et ne perçoivent pas encore les effets bénéfiques de la modernisation et du Plan Monnet, qui ne seront patents que dans les années suivantes. À chaud, l’impression dominante des Belges francophones est que la France peine à s’adapter à la nouvelle donne mondiale, alors qu’aujourd’hui, l’analyse serait plutôt que Paris a réussi à conserver les attributs essentiels d’une puissance, mais tels qu’ils pouvaient s’exprimer au sein d’un bloc dominé par une superpuissance [13].
30Deux réalités s’imposent : le déplacement du centre de gravité mondial et la modification des rapports internationaux. Les Belges francophones qui ont observé l’évolution de la France en 1945-1950 appartenaient en fait à trois générations. La première a connu les interrogations morales de l’affaire Dreyfus, de la laïcisation accélérée et l’image de la France revancharde d’avant 1914. La deuxième a eu vingt ans au cœur des « années folles » qui ont suivi l’Armistice de 1918 et a observé la lente érosion de l’image d’un pays que la victoire avait paré de tous les attraits. La troisième enfin a vécu la Seconde Guerre comme un rite de passage à l’âge adulte. Pour cette dernière génération, la France n’est plus le centre du monde et, si elle reste une référence, les horizons se sont élargis. La culture anglo-saxonne a commencé à déferler. Les nouveaux décideurs belges, plus souvent scientifiques ou économistes, ont complété leur formation de l’autre côté de la Manche ou de l’Atlantique, alors que leurs aînés, plus littéraires ou politiques, avaient davantage fréquenté la Sorbonne ou le Collège de France. Certes, les jeunes Wallons et Bruxellois d’après 1945 restent attachés à la culture et à la langue françaises, qui sont les leurs, et dont ils souhaitent préserver la prédominance en Belgique, mais ils refusent tout exclusivisme. Ils voudraient aussi que la Belgique francophone devienne plus autonome et que les échanges avec Paris cessent de se faire à sens unique. Leurs pères sont, eux, inquiets et déroutés par l’évolution globale en cours. Leurs invocations répétées à la France révèlent la recherche d’un rempart face à un technicisme inhumain et à une américanisation croissante. Au fond, ne sentent-ils pas que le recul de la France signe inéluctablement la fin de leur Belgique, cette « Belgique française » héritée de 1830 ?
Guerre d’Algérie : la Belgique doit cesser d’aider la France. Brochure [ca 1960]. Coll. BDIC/Droits réservés.
Guerre d’Algérie : la Belgique doit cesser d’aider la France. Brochure [ca 1960]. Coll. BDIC/Droits réservés.
31Dans un cadre plus large, la nature des rapports internationaux est en train de changer, le bilatéralisme s’effaçant progressivement devant le multilatéralisme. Avec l’entrée en guerre froide et les débuts d’une unification inter- ou supra-étatique, la France ne voit plus la Belgique comme un allié indispensable mais comme un élément parmi d’autres au sein du bloc occidental ou de l’Europe. L’attention de Paris pour Bruxelles s’émousse, et la réciproque est vraie, quoique moins perceptible. Le vif intérêt manifesté à la Libération pour le rôle et la place de la France subsiste au début des années 1950 mais, francophones ou non, les Belges savent que, à l’heure du danger, une architecture nouvelle, incarnée par l’Otan, les protégera. Désormais, Wallons et Bruxellois attendent de la France qu’elle soit suffisamment forte pour contrebalancer l’Allemagne, dont ils se méfient toujours, et réclament de la culture française que son influence et son rayonnement se rétablissent et leur servent d’arguments face aux appétits d’une Flandre de plus en plus dominante. Pour le reste, Paris n’est plus la carte maîtresse, l’ultima ratio que l’on brandissait hier, en politique extérieure ou intérieure, comme un talisman ou comme un épouvantail...
32C. L.
Notes
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[1]
Cf.mes diverses publications, recensées dans mon CV en ligne (http://www.schist.ulg.ac.be/biblio/lanneau.htm) et sur Orbi, le répertoire institutionnel de l’Université de Liège (http://orbi.ulg.ac.be/). Mes recherches portent sur l’image de la France en Belgique francophone des années 1930 aux années 1950 et s’appuient sur la presse, sur des témoignages individuels et sur des sources de type diplomatique. J’envisage cette image telle qu’elle a été perçue par l’opinion wallonne et bruxelloise, mais aussi telle qu’elle a été construite par Paris. Dernière remarque liminaire : s’il est évident que le rapport des Belges francophones à la France est nécessairement influencé par la Flandre et l’opinion flamande, puisqu’on se situe dans le cadre d’un État unitaire, toutes mes investigations me conduisent à penser qu’il existe bien une opinion francophone, certes nuancée et multiple, mais qui possède ses caractéristiques propres et distinctes de l’opinion néerlandophone. Quant aux francophones de Flandre, ils constituent un groupe particulier, qui mériterait un traitement spécifique.
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[2]
Sur ces questions, voir E. Bussière, La France, la Belgique et l’organisation économique de l’Europe 1918-1935, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France - Ministère de l’Économie, des Finances et du Budget, 1992.
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[3]
En Flandre, c’est dès le début de l’entre-deux guerres que l’on réclame une politique belge de stricte indépendance et, surtout, dénuée de toute influence française, ce qui se traduira bientôt par le slogan « Los van Frankrijk », « Séparonsnous de la France ». L’accord militaire francobelge de 1920, qualifié d’« accord du sang », semble au Nord un instrument destiné à « vassaliser » la Belgique, à lui faire encaisser les premiers coups en cas d’attaque allemande contre la France et à soumettre la Flandre à une intolérable pression politique et culturelle. En 1936, le refus flamand de voter les crédits militaires indispensables à la défense du pays sans une dénonciation claire de l’accord litigieux, pourtant caduc depuis le Pacte rhénan signé à Locarno en 1925, pèsera de tout son poids dans l’évolution de la politique étrangère belge. Le maître-ouvrage sur ce thème est G. Provoost, Vlaanderen en het militair-politiek beleid in België tussen de twee wereldoorlogen. Het Frans-Belgisch militair akkoord van 1920, Louvain, Davidsfonds, 1976-1977, 2 t.
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[4]
La Gazette, 8 août 1936, p. 1.
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[5]
La lettre est publiée dans Le Peuple et La Wallonie (1-2 mai 1937, p. 1). Vandervelde vient alors de démissionner du gouvernement et se trouve de plus en plus isolé au sein de son parti.
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[6]
Venu de l’extrême droite, René Hislaire fut le chef de cabinet du Premier ministre catholique Paul van Zeeland et le directeur de L’Indépendance Belge, quotidien officieux des gouvernements d’Union nationale.
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[7]
R. Hislaire, Le redressement français, Bruxelles, éditions du Trident, 1939, pp. 143-150.
-
[8]
J. Bosmant, Souvenirs d’un ancien belge, Liège, Les Lettres Belges, 1974, p. 243.
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[9]
Rappelons que l’actuelle région Nord-Pas-de-Calais avait été rattachée à la Belgique par les autorités militaires allemandes d’occupation.
-
[10]
A. Colignon, « La résistance en Belgique francophone : une anglophilie par défaut », in La Résistance et les Européens du Nord, actes du colloque de Bruxelles, 23-25 novembre 1994, Bruxelles, CREHSGM, 1994, pp. 30-43.
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[11]
C. Kesteloot, « Présence et absence. De Gaulle et la résistance en Belgique francophone (1940-1944) », in De Gaulle, la Belgique et la France Libre (Journée d’étude, 20 juin 1990), Bruxelles, CREHSGM, 1991, pp. 9-20 ; R. Demoulin, « Charles de Gaulle et la presse clandestine liégeoise du 18 juin 1940 à la Libération », in Études gaulliennes. Cahiers des Cercles universitaires d’études et de recherches gaulliennes, actes du colloque international de Liège, 29-30 mai 1982 (t. 14, n° 42), Paris, février 1984, pp. 55-66.
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[12]
Pour une étude approfondie de cette année particulière : C. Lanneau, L’inconnue française. La France et les Belges francophones 1944-1945, Bruxelles, PIE-Reter Lang, 2008.
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[13]
Voir notamment W.-I. Hitchcock, France restored. Cold war diplomacy and the quest for leadership in Europe, 1944-1954, Chapel Hill - Londres, The University of North Carolina Press, 1998.