Couverture de MAORG_035

Article de revue

Comptes rendus

Pages 153 à 161

Notes

  • [1]
    Il est inspecteur général des Affaires culturelles au ministère de la Culture. Il est chercheur associé à la chaire Innovation et régulation des services numériques, Ecole polytechnique/Télécom Paris Tech/Orange.
  • [2]
    Il dirige Buzz2buzz, cabinet d’architecture en nouveaux médias, après avoir été directeur des programmes et gérant d’Arte de 2012 à 2017. Il a exercé des responsabilités au ministère de la Culture, à France Télévisions, à Canal+ et pour la SACD, et a publié plusieurs ouvrages consacrés à la télévision, aux jeux vidéo et à la cyberculture.
  • [3]
    Philippe Chantepie et Alain Le Diberder, Economie des industries culturelles, La Découverte, p. 37.
  • [4]
    Ibid, p. 40.
  • [5]
    Ibid, p. 65.

Philippe Bouquillion, François Moreau (éd.), Digital Platforms and Cultural Industries, Bruxelles, Peter Lang, 2018, 186 p.

1Les plateformes digitales sont devenues des acteurs majeurs des industries culturelles. L’ouvrage édité par Philippe Bouquillion (professeur de sciences de l’information et de la communication à l’université Paris 13 – Sorbonne Paris Cité) et François Moreau (professeur d’économie à l’université Paris 13 – Sorbonne Paris Cité au Centre d’Économie de Paris‐Nord) se compose d’analyses des différents secteurs des industries culturelles face aux transformations issues de l’arrivée de nouveaux acteurs que sont les plateformes digitales (iTunes, YouTube, Amazon, Netflix, etc.).

2L’ouvrage se compose d’une introduction et de deux parties. La première partie est consacrée à l’impact des plateformes digitales sur les acteurs installés des différents secteurs des industries culturelles, et se compose de cinq chapitres. La seconde partie est centrée sur l’écosystème des plateformes digitales.

3L’introduction dresse un premier état des lieux. Elle rappelle qu’avant la crise boursière de 2001, le marché des grands portails était encore dominé par deux géants du divertissement, AOL Time Warner et Vivendi Universal, des groupes aux activités diversifiées. Depuis, la situation a évolué très rapidement et de manière complexe. Beaucoup de chercheurs ont abordé la question, sans l’épuiser. Les différentes analyses contenues dans l’ouvrage édité par Philippe Bouquillion et François Moreau contribuent à indiquer combien cette dynamique est variée et ne se résume pas en un unique schéma théorique. Toutefois, la référence qui reste encore centrale est le modèle socio-économique proposé par Pierre Moeglin en 2005, celui du courtier d’information. Dans ce modèle socio-économique, le courtier ne produit rien, il ne fait que rechercher de l’information et faciliter un appariement. En fait, des activités de production sont souvent développées par les plateformes digitales, elles mettent aussi en place une politique éditoriale plus ou moins contraignante, sans que l’on puisse parler de nouveau modèle de référence unique. Les contributions de ce volume proviennent d’une conférence organisée par le LabEx ICCA à Paris en novembre 2016.

4La première partie est consacrée aux réactions des différents acteurs des secteurs des industries de la culture devant l’arrivée des plateformes digitales. Le contraste entre les secteurs fortement impactés, comme la presse écrite et la diffusion musicale, ou faiblement, comme le spectacle vivant est le thème des trois premiers chapitres. Le premier chapitre est une contribution de Pierre-Jean Benghozi, Elisa Salvador et Jean-Paul Simon intitulée « The race for innovation in the media and content industries : Legacy players. Lessons from the music and newspaper industries ». Dans le secteur de la musique, il est retracé l’itinéraire de Spotify, lancé en 2008. Il est fait état d’une faible rentabilité financière de ce type de plateforme digitale, mais qui joue un rôle très important dans la collecte des droits pour les artistes. Les statistiques récentes indiquent que les sites de streaming drainent deux tiers des recettes pour le secteur musical aujourd’hui. Le secteur musical a connu beaucoup de bouleversements antérieurs à l’arrivée des plateformes digitales, et cet épisode contribue plutôt à une stabilisation du secteur, en raison du principe de la préservation des droits d’auteurs. Les grandes difficultés se rencontrent du côté de la presse écrite, la plupart des grands journaux quotidiens continuent à avoir des recettes dépendantes des lecteurs des versions papier, tandis que les versions numériques apportent peu de rentrées financières. Il existe toutefois des groupes de presse qui ont su bénéficier de la dynamique apportée par les plateformes digitales, comme le groupe de presse locale norvégien Schibsted qui a développé les plateformes « le bon coin ». Comme un autre exemple, celui d’une revue musicale, le passage à la plateforme digitale a été réalisé plutôt par des petites firmes ayant su tirer parti de compétences internes dans les développements d’applications Internet. La description d’ensemble de cet article pour les deux secteurs étudiés est dominée par des grandes firmes dominantes installées qui n’envisagent qu’à la marge une modification de leurs pratiques en raison de l’arrivée de nouvelles technologies, ceci offrant un large espace à des acteurs opportunistes pourtant de petite taille.

5La deuxième contribution porte sur le spectacle vivant, à partir de l’exemple de la scène théâtrale de Saint-Denis. Christine Bellavoine, Philippe Bouquillion et Louis Wiart indiquent dans « Digital platforms and performing arts : Communication of theatrical institutions, audience development, and platform strategies of industrial players » que les plateformes digitales, y compris la billetterie en ligne, qui est concentrée par quatre principaux opérateurs, ne sont pas perçues comme une menace par le théâtre subventionné. Les spectacles offerts par ces scènes ne sont pas non plus au cœur des stratégies des plateformes digitales de billetterie.

6Le troisième chapitre intitulé « Ticketing platforms and Big Data Analysis in the Live Entertainment Industry in France » est une enquête sur les grandes plateformes de billetterie en ligne réalisée par Louis Wiart. L’analyse des Big Data est celle d’une production, ce qui amende la définition initiale des plateformes digitales, celle de simples « courtiers d’information ». Ces billetteries en ligne développent une expertise en marketing de l’évènementiel. L’enquête permet de faire un point sur les pratiques effectives à l’époque de la réalisation des entretiens. Une seule billetterie en ligne commercialise ses données. Les exploitations réalisées des flux de données servent essentiellement en interne pour améliorer les pratiques. Les activités de vente de conseil en marketing et d’études pour les professionnels du secteur restaient peu développées au moment de l’enquête de terrain. Il peut être opposé, à la suite de Tirole (Jean Tirole, Économie du bien commun, Paris, PUF, 2016, p. 499 et s.), les business plan monoface et multiface. La presse papier quotidienne à grand tirage introduite par Émile de Girardin au XIXe siècle fournit le premier exemple de business plan multiface : la vente d’espaces publicitaires par Girardin aux entreprises permet de baisser le prix de vente unitaire au grand public, et d’élargir ainsi la base de diffusion du quotidien. Dans un business plan monoface, les recettes proviennent uniquement des usagers qui paient un prix plus élevé pour le bien et le service que dans le cas d’un business plan multiface. Un fort pouvoir de marché semble préserver un schéma monoface, même à l’heure des Big Data, pour les opérateurs de la billetterie en ligne.

7Le quatrième chapitre de Marie-Caroline Neuvillers, intitulé « The role of digital broadcasting platforms in the visibility and evolution of self-produced web series » introduit des plateformes digitales, qui, à l’exemple de Youtube, facilitent le fait que tout un chacun puisse devenir producteur. La plateforme numérique en ce cas correspond mieux aux définitions données par Jack Ma, le fondateur d’Alibaba, des plateformes digitales : elles servent à augmenter la participation et facilitent le fait que tout un chacun soit du côté de l’offre de produits et de services. Les plateformes digitales sont des machines participatives, définition sans doute plus stimulante que celle du « courtier d’information » de Pierre Moeglin. Les évolutions constatées par Marie-Caroline Neuvillers sont celles de plateformes qui s’impliquent de plus en plus dans le processus de création. Dès 2006, Youtube a décidé de favoriser les vidéos qui obtiennent plus de mille vues sur Internet. Les créateurs sont soit des autoentrepreneurs, soit des petites firmes professionnelles ayant différentes sources de financement. Depuis 2013, les plus grandes plateformes digitales de diffusion de vidéos essaient de fédérer les créateurs, en offrant l’accès à des moyens techniques. Marie-Caroline Neuvillers conclut que ces plateformes digitales influent sur les business models des créateurs, les formats de diffusion, et les contenus – pour éviter la fuite des annonceurs.

8La première partie se termine sur une synthèse sur le déplacement du rôle du consommateur à travers le développement par le groupe Alibaba d’industries culturelles, comme Aliplanet, la plateforme musicale du groupe. Cette synthèse « The user as a key element of platforms : Through the lens of Alibaba » est proposée par Françoise Paquienséguy et Miao He. L’entrée d’Alibaba dans les industries culturelles ne fait que traduire une évolution plus profonde dans les modes de consommation. Un style de vie est affirmé, créatif et actif dans la cité, d’individus connectés et modernes.

9La deuxième partie est consacrée à l’écosystème des plateformes digitales. Le chapitre de Christoph Bläsi intitulé « Associations in the creative industries as operators of digital platforms : Failure factors, with an example from the german book industry in the focus » fait un peu la transition entre les deux parties, à partir de l’échec de la logique professionnelle des éditeurs allemands devant la montée d’Amazon, qui est devenu le principal vendeur de livres en Allemagne. Le secteur professionnel de l’édition en Allemagne est composé de firmes familiales, disposant d’une position très avantageuse sur les marchés mondiaux. La situation n’est pas sans évoquer celle du chapitre 1 pour les secteurs de la musique et de la presse écrite : un nouvel acteur, Amazon, gagne la mise, tandis que les acteurs installés ne réussissent qu’à développer des instruments Internet au sein du monde professionnel de l’édition allemande. Le chapitre détaille les causes de l’échec de l’organisation professionnelle allemande : cette dernière est tournée vers la gestion de compromis internes et possède des procédures lentes de décision, les entités constituant l’association professionnelle s’inscrivent plus dans la compétition que dans la coopération, et il n’y a pas eu de firme innovante ayant les compétences requises qui puisse vraiment porter le projet et jouer sur les deux échelles, celle d’une petite entité qui crée la brèche et en même temps ait la capacité de se déployer très rapidement.

10Dans le chapitre « The evolution of business models in the online press : Between creativity and imitation » rédigé par Inna Lyubareva, Fabrice Rochelandet et Jean-Michel Etienne, un échantillon de 100 nouveaux sites Internet de presse en ligne en France pour la période 2004-2014 est exploré. Une typologie est proposée : les pure players, les explorateurs et les réticents. Les comportements sont le plus souvent mimétiques, et la situation de longue crise de la presse n’entraîne pas une phase de grandes décisions stratégiques. La position la plus commune des grands titres de la presse écrite en France est celle d’un comportement mimétique d’exploration des possibilités des plateformes digitales.

11Le chapitre suivant, rédigé par Olivier Thuillas, est consacré aux plateformes digitales publiques : « Public platforms for information brokerage in France : An alternative to private models in the access to cultural and educational content ? ». Les différences avec les plateformes digitales privées sont notables. Les plateformes publiques sont plus neutres, plus respectueuses des droits des personnes, faisant plus appel à la coopération. Cependant, elles ne s’intéressent pas aux nouveaux usages, et traduisent indirectement des politiques publiques centrées sur l’aide à une communauté de producteurs, et restent peu tournées vers la diffusion des contenus culturels vers de nouveaux publics. Une évolution possible de ce secteur public serait d’emprunter plus au modèle de la Collaboration Cochrane, c’est-à-dire la production d’une information de haute qualité par une communauté de producteurs.

12Le dernier chapitre de Leandro Valiati et Pedro Perfeito porte sur le cas du Brésil et de l’impact de la digitalisation sur la musique : « Digitization and the Brazilian music market : Notes about the rising of digital aggregators ». Ces agrégateurs ont joué un rôle majeur dans l’économie du secteur musical, comme il a pu être noté déjà dans d’autres parties du monde. Les grands labels tirent bénéfice de cette évolution par leur maîtrise de grands portefeuilles de droits et l’accès aux médias traditionnels qui contribuent encore fortement à la formation des goûts musicaux du public brésilien.

13Chris Anderson terminait son ouvrage de 2006 (Chris Andreson, La longue traîne, Paris, Champs, 2006) sur l’arrivée d’Internet apportant une économie de la variété sur le fait que les business plans de cette nouvelle économie n’existaient pas encore. L’ouvrage édité par Philippe Bouquillion et François Moreau indique que la situation a nettement évolué sur ce point. De même, la définition en termes de courtage proposée par Moeglin à la même époque ne convient plus aujourd’hui que pour une catégorie d’acteurs sans activité de production. Quelques contributions théoriques majeures permettent aujourd’hui de mieux comprendre les différences dans les plateformes digitales entre les « monofaces », les « multifaces », les « wiki » pures communautés de producteurs à l’opposé de simples courtiers à faible valeur ajoutée, et ainsi que de multiples graduations intermédiaires.

14Stéphane CALLENS

15Université d’Artois

Philippe Chantepie, Alain Le Diberder, Economie des industries culturelles, 3ème éd., Paris, La Découverte, 2019, 128 p.

16La numérisation a révolutionné l’industrie culturelle. Les mutations technologiques importantes obligent les consommateurs et les producteurs à se plier à de nouvelles pratiques et à de nouveaux modèles économiques. Cette mutation amorcée avec l’apparition d’Internet dans les années 1990 est susceptible de modifier l’existence de milliards d’humains vivant dans un monde hyperconnecté. Les intérêts économiques sont multiples, l’émergence d’innovations pouvant remettre en question des modèles de rentabilité par définition fragiles et éphémères. Le livre Economie des industries culturelles est la troisième édition d’un texte qu’il est nécessaire d’actualiser régulièrement, tant les faits économiques dépendent d’une innovation foisonnante dans les secteurs de l’informatique et des télécommunications. L’industrie culturelle est une des plus dynamiques, témoignant d’une créativité florissante mais aussi de situations très diverses, l’impact de la numérisation étant différent pour la musique, le cinéma, ou la télévision, entre autres.

17Les auteurs de ce texte, Philippe Chantepie [1] et Alain Le Diberder [2], rappellent que le concept d’industrie culturelle date des années 1930, chez des auteurs comme Walter Benjamin. Elle fut par ailleurs au centre d’analyses de l’école de Francfort et d’Hannah Arendt. L’édition de livres, la presse écrite, la musique enregistrée, le cinéma, la télévision, la radio, les jeux vidéo et les services web de contenus sont les éléments principaux d’une industrie concernée par les mutations induites par les technologies de numérisation. L’avènement d’un nouveau paradigme est même annoncé, reposant sur l’accroissement des capacités de stockage, l’évolution exponentielle de la puissance de calcul et la montée des débits. La production des technologies innovantes fut délocalisée en Asie du Sud et du Sud-Est, et de nouveaux acteurs sont apparus. Microsoft (Xbox), Apple, Amazon (Kindle) et des firmes de produits de communications comme Samsung ont pris la place d’anciens leaders comme Philips ou Thomson.

18L’industrie du disque a connu un déclin pendant quinze ans avant de repartir à la hausse en 2016. Elle atteignait un chiffre d’affaires de 15,7 milliards de dollars. Entre 2011 et 2016, le streaming a crû de 8 à 32% de parts de marché alors que les ventes physiques sont tombées de 79 à 59%. L’industrie du livre a aussi connu une mutation importante. La numérisation est pratiquée depuis les années 1970, avec le projet Gutenberg, avant même l’existence d’Internet. En France, dès 1992, la Bibliothèque de France (BNF) a lancé le programme Gallica, qui visait à numériser l’intégralité des livres libres de droit. Google Books cultive aussi l’ambition, depuis 2005, de numériser la plupart des livres disponibles. L’entreprise américaine s’est heurtée à la résistance juridique d’éditeurs et d’auteurs ne souhaitant pas voir leurs productions en libre accès sur Internet. Dans le même temps, l’arrivée de la liseuse Kindle, d’Amazon, annonçait de nouvelles pratiques de lecture et remettait en cause le modèle économique reposant sur la vente de livres physiques. La révolution annoncée du livre est toutefois à relativiser, les pratiques de lecture demeurant en partie traditionnelles. Le numérique a aussi imposé des adaptations dans le secteur du cinéma, avec notamment des travaux coûteux pour les salles. De plus en plus de films sont aussi produits grâce aux techniques numériques. Enfin, les auteurs s’intéressent à la croissance rapide d’un nouvel acteur, Netflix, qui en quelques années a radicalement transformé l’industrie du cinéma, avant de conquérir celle de la télévision. De simple diffuseur, Netflix est passé, en 2018, au rang de plus gros producteur de films de cinéma des pays développés. La rencontre de la télévision et du numérique a provoqué une évolution importante des pratiques et de la consommation d’images animées. Les grandes chaines françaises ont par exemple perdu beaucoup de parts d’audience en raison de la concurrence d’autres petites chaînes qu’elles ont progressivement achetées. De plus en plus de téléspectateurs ont aussi recours au replay. Cette consommation, dite non linéaire, en opposition avec le visionnage linéaire, en direct, est cependant considérée comme un essor puissant mais lent. Les auteurs estiment que « Google, Amazon, Netflix et Apple sont devenus des producteurs et des distributeurs d’images animées, ce qu’ils n’étaient pas il y a dix ans, et sont donc devenus des groupes de télévision » [3]. Quant aux jeux vidéo, leur modèle économique est en permanente évolution, s’adaptant à l’émergence de nouvelles technologies. Philippe Chantepie et Alain Le Diberder estiment que le système reposant sur quelques gros jeux vendus dans la grande distribution pourrait s’élargir dans les prochaines années à une multitude de titres produits par des acteurs indépendants. Cette industrie doit aussi faire face à de nouveaux défis comme l’intelligence artificielle et le deep learning, qui promettent de « robotiser la création » [4].

19Le livre aborde aussi la question du star system, qui serait à l’origine un moyen de réduire les risques d’échec d’un titre, par exemple cinématographique ou musical. La réduction de l’aléa est un enjeu économique central, la rationalisation de la production de hits étant au centre des préoccupations des producteurs. La baisse de prix des technologies permet déjà de créer des films ou des disques de qualité avec un budget limité. Cette tendance devrait se prolonger dans les prochaines années. Par ailleurs, les grosses sociétés de production peuvent réactiver et revaloriser leurs fonds de catalogues. Certaines œuvres sont ainsi proposées au grand public alors qu’elles n’avaient dans un premier temps rencontré qu’un public restreint.

20Les auteurs révèlent aussi un problème important pour la pérennité du système : la crise de la mesure de l’audience. Elle est en effet moins fiable et moins stable, ce qui fait peser une menace pour le « modèle économique des télévisions commerciales dans le monde entier » [5]. Ils évoquent aussi une « audiovisualisation » des industries culturelles de l’édition, les offres étant de plus en plus liées à la publicité.

21La nouvelle économie numérique pose des questions de régulation pour les Etats. La standardisation est un enjeu global. Les Etats doivent aussi s’assurer de mettre en place un système qui ne nuise pas à la créativité et à l’expression de spécificités propres à ses producteurs de biens culturels. Les auteurs s’interrogent aussi sur les raisons pour lesquelles, depuis les années 1990, aucune entreprise européenne de l’industrie numérique et culturelle n’est devenue un acteur global influent, à l’image des GAFAN (Google, Apple, Facebook, Amazon, Netflix) américains et des BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) chinois. De plus, la question de la propriété intellectuelle et des droits d’auteurs est un enjeu important dans un contexte économique qui ne doit pas faire oublier la nécessité de défendre les cultures particulières et la créativité des artistes.

22Enfin, quatre grandes tendances d’évolution de l’industrie culturelle sont pressenties : l’impasse de la convergence, la nouvelle géographie mondiale de la distribution, la déconcentration de la production de contenus et les nouveaux ressorts de la demande. Les Etats-Unis, bien que challengés par la Chine, demeurent les acteurs centraux de l’industrie culturelle, notamment grâce aux GAFA. Le soft power est toutefois challengé dans certains secteurs, la multiplication des producteurs, notamment dans les secteurs musical et littéraire. Les auteurs pensent qu’à l’avenir, la croissance de la demande de biens culturels devrait continuer à croître. Les prix pourraient baisser et une nouvelle ère pourrait débuter, celle du consommateur-créateur et du user generated content.

23Les utopies du virtuel témoignent des mutations importantes dans le secteur du numérique. A moyen terme, les productions culturelles seront considérablement modifiées, la baisse des prix des technologies permettant une démocratisation des pratiques culturelles jusqu’alors réservées à une élite possédant le capital technique nécessaire à la création. Grâce à Internet, vecteur majeur d’œuvres numériques, tout individu peut produire et diffuser des contenus musicaux, écrits, ou vidéo qu’il aura créés grâce à des technologies abordables d’un point de vue financier. L’artisme est un néologisme qui pourrait caractériser cette nouvelle ère, qui réinvente les rapports à la création artistique. L’individu, de plus en plus autonome, s’émancipe de l’industrie culturelle, tout en profitant des technologies de création artistique. Les fournisseurs d’accès et les producteurs de technologies à bas coûts, mais toujours plus performantes, sont des acteurs importants de la vie culturelle des sociétés développées. Face aux mutations des modes de création culturelle, l’Europe pourrait se positionner et créer un géant industriel capable de concurrencer les puissants GAFA. Le volontarisme politique pourrait être à l’origine d’un tel projet, une industrie puissante permettant de mieux valoriser et défendre les intérêts d’un territoire. Gageons que face à l’hégémonie américaine, la culture européenne pourra faire valoir son identité grâce à la promotion d’un nouveau modèle économique dans les prochaines années.

24Thomas MICHAUD

25Chercheur


Date de mise en ligne : 28/05/2019.

https://doi.org/10.3917/maorg.035.0153

Notes

  • [1]
    Il est inspecteur général des Affaires culturelles au ministère de la Culture. Il est chercheur associé à la chaire Innovation et régulation des services numériques, Ecole polytechnique/Télécom Paris Tech/Orange.
  • [2]
    Il dirige Buzz2buzz, cabinet d’architecture en nouveaux médias, après avoir été directeur des programmes et gérant d’Arte de 2012 à 2017. Il a exercé des responsabilités au ministère de la Culture, à France Télévisions, à Canal+ et pour la SACD, et a publié plusieurs ouvrages consacrés à la télévision, aux jeux vidéo et à la cyberculture.
  • [3]
    Philippe Chantepie et Alain Le Diberder, Economie des industries culturelles, La Découverte, p. 37.
  • [4]
    Ibid, p. 40.
  • [5]
    Ibid, p. 65.
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