Couverture de MAORG_031

Article de revue

Ecosystème entrepreneurial local et finance participative : les enjeux d’une coopération

Pages 151 à 171

Notes

  • [1]
    Selon Moore (2006), cité par Froelicher et Barès (2014), « un écosystème est une communauté économique dont le fonctionnement repose sur l’interaction entre entreprises et acteurs individuels qui mettent en œuvre des initiatives coordonnées soutenant dans des territoires et environnements élargis l’économie et l’innovation. »
  • [2]
    La définition de l’innovation est complexe. Le manuel d’Oslo (2005) en donne une définition large qui permet de distinguer les innovations issues du système opérationnel (innovation technologique au sens développement de nouveaux produits et/ou services) ou du système social (innovation organisationnelle). Le Livre Jaune de BpiFrance (2015), intitulé « Innovation nouvelle génération » distingue l’innovation organisationnelle, l’innovation commerciale et l’innovation sociale. Un intérêt croissant est porté sur cette dernière forme d’innovation.
  • [3]
    Rapport Beylat-Tambourin, dans Kb Slimane, revue entreprendre et innover, 2014, CAIRN.
  • [4]
    Au niveau mondial, 16,2 milliards de dollars ont été levés en 2014 (+ 167 % par rapport à 2013) dont 3,26 milliards de dollars en Europe. Le marché français est dynamique avec 156 millions d’euros levés sur 46 plateformes en 2014 et de 296,8 millions en 2016. Ce dynamisme est en partie lié à l’évolution de la règlementation (ordonnance n° 2014-559 du 30 mai 2014).
  • [5]
    Finance participative et territoire, typologies de partenariats entre acteurs territoriaux et plateformes de crowdfunding. Financement Participatif France. 27 juin 2016 – Sénat.
  • [6]
    FINANSOL est une association représentative des acteurs de la finance solidaire en France, son objectif est de « Promouvoir des produits qui permettent de faire fructifier son épargne tout en favorisant l’accès à l’emploi et au logement pour des personnes en difficulté, tout en encourageant les activités écologiques et l’entrepreneuriat dans les pays en développement, tel est le rôle de Finansol, collectif des acteurs de la finance solidaire depuis 1995. » source : www.finansol.org/une-association-de-promotion/

Introduction

1○ L’entrepreneuriat et l’innovation sont deux leviers reconnus pour dynamiser le développement économique à l’échelle d’un pays mais aussi d’un territoire donné. Les jeunes entreprises innovantes et les start-ups en sont les formes organisationnelles les plus courantes. Il existe une très riche littérature relative aux relations entre entrepreneuriat, territoire et dynamique collective. De même, différents modèles conceptuels territoriaux d’innovation se sont attachés à représenter le lien entre proximité géographique, innovation et compétitivité comme par exemple les clusters ou les districts industriels en Italie. Gilli (2015) explique pourquoi les concepts de développement économique des territoires et d’innovation doivent être repensés. Les trois principales raisons sont l’évolution de la nature de l’innovation, la révolution numérique et l’échec de la stratégie de Lisbonne. La finance participative, crowdfunding en anglais (CF), est un mouvement récent et en plein essor en France. Lambert et Schwienbacher (2010) définissent le CF comme « an open call (…) for the provision of financial resources either in form of donation or exchange for some form of reward and/or voting rights in order to support initiatives for specific purposes ». En France, l’AMF (Autorité des Marchés Financiers) propose la définition suivante : « une récolte de fonds – en général de petits montants – pour financer un projet spécifique, via internet. Les projets financés peuvent être de nature artistique, humanitaire, sociale ou entrepreneuriale. Le financement participatif recouvre des formes de financement hétérogènes telles que le don avec ou sans contrepartie, les prêts avec ou sans intérêts, ou encore la souscription de titres financiers (capital ou dette) ».

2○ A travers une démarche centrée sur les acteurs de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) qui, historiquement, se sont organisés localement pour répondre à la diversité des enjeux des territoires, nous tenterons de comprendre l’intérêt d’une communauté localisée et participative pour des espaces géographiques limités. La problématique générale à laquelle cette recherche exploratoire vise à répondre est la suivante : comment organiser la coopération par les acteurs de l’ESS, via la finance participative, au sein d’un écosystème entrepreneurial [1] ? Il s’agit d’une part de s’interroger sur la façon d’envisager la coopération lors de décisions de financement entre acteurs de l’écosystème et, d’autre part, d’imaginer comment passer d’une communauté virtuelle à une communauté territorialisée par la révolution numérique si toutefois cela est envisageable.

3Une première partie rappelle les fondements théoriques du développement économique des territoires vus sous l’angle de l’écosystème de l’entrepreneuriat innovant et de l’ESS (mettant en évidence les opportunités et les défis liés à la croissance de la finance dite participative). La seconde partie propose une étude de cas relative à une tentative de développement communautaire territorial, coopératif et participatif entre une plateforme de finance participative (jadopteunprojet.com) et 4 agglomérations de tailles intermédiaires de l’ex-Région Poitou-Charentes (Région Nouvelle Aquitaine maintenant) que sont la CAN (agglomération niortaise), la CDA La Rochelle, Grand Angoulême et Grand Poitiers.

1 – Écosystème entrepreneurial, innovation et développement économique des territoires : quelle place pour une finance participative territoriale ?

1.1 – Le financement de l’innovation dans les territoires : un réseau complexe d’acteurs en questionnement quant à l’émergence de la finance participative

4Le financement de l’innovation [2] en situation entrepreneuriale est largement reconnu pour être crucial mais fort difficile à obtenir par les jeunes entreprises ou start-ups concernées. Les raisons sont liées à la demande (asymétrie d’information et incertitude) et à l’offre (capacité à accepter le risque, contraction des liquidités et réglementation prudentielle plus contraignante pour les différents financeurs potentiels directs ou indirects). Ainsi, les problèmes d’agence et d’asymétries d’information sont exacerbés quand il s’agit de financer l’innovation en situation entrepreneuriale (Denis, 2004 ; Cassar, 2004, Cosh et al., 2009) et de nombreuses études ont montré l’importance d’un apport en fonds propres externes et la difficile adéquation d’un financement par dette bancaire (Vanacker et Manigart, 2010). Toutefois, que ce soit au niveau européen, national, régional ou local, il existe de très nombreux dispositifs d’aide à la création d’entreprise et à l’accompagnement des porteurs de projets. La recherche de financement est un aspect sur lequel il existe un réel besoin d’accompagnement afin de permettre à ces projets ou entreprises de se développer et de créer des emplois [3]. Après les différentes aides publiques, prêts d’honneur, prix de l’innovation et ressources personnelles ou de proximité, les porteurs de projet ont besoin d’être mis en relation avec les apporteurs de capitaux potentiels que sont les business angels et les divers fonds d’investissement concernés par ce stade de développement. Bien plus que le financement lui-même, c’est l’accompagnement et l’inclusion dans un écosystème sectoriel et/ou géographique qu’il convient de valoriser pour les porteurs de projets.

5De leur côté, les investisseurs potentiels ont besoin d’être rassurés sur le potentiel de création de valeur des dits projets. Une relation de confiance doit s’instaurer. L’écosystème entrepreneurial sur un territoire donné est marqué par de multiples acteurs/structures dont les actions sont plus ou moins bien coordonnées, c’est-à-dire dont la cohérence d’ensemble n’est pas aisée à atteindre. La dynamique de l’échange d’information est fondamentale. Les réseaux, en tant que forme organisationnelle (Powell, 1990), influencent la coordination des acteurs économiques. Les liens externes à la relation investisseur/entrepreneur sont nécessaires pour permettre une première prise de connaissance du projet à financer (Ferrary, 2001) et passer éventuellement à l’activation de liens plus forts entre l’investisseur et le porteur de projet (Ferrary, 2006). Cependant, les difficultés rencontrées par ces jeunes entreprises pour constituer un premier tour de table et assurer leur développement témoignent de la difficulté à assurer ce passage. Est-ce lié à une difficulté de coopération entre les acteurs ? Est-ce que les acteurs de l’ESS prônant la proximité géographique sont mieux organisés ? Comment l’arrivée de la finance participative va-t-elle, voire peut-elle s’insérer ? Le biais de confiance en finance se retrouve réduit par la proximité soit géographique soit cognitive d’un financement de proximité.

6Le CF est analysé par les praticiens et certains chercheurs comme un moyen alternatif et/ou complémentaire de combler le manque de financement des projets entrepreneuriaux d’innovation dans un esprit de communauté 2.0. Il vient favoriser le développement du capital social du porteur de projet grâce aux réseaux sociaux. Si le premier avantage de la foule est de mobiliser les ressources financières des membres de la communauté de la plateforme, les autres avantages sont de développer des externalités de réseaux pour obtenir l’avis de la foule et accroître la valeur du produit et de la technologie (Bessière et Stéphany, 2014). Onnée et Renault (2014), montrent que le porteur de projet en CF bénéficie d’un mouvement collaboratif important. Agrawal et al. (2013) soulignent que l’évaluation précoce de la demande pourrait contribuer à réduire les investissements inefficaces dans des start-ups et fournir aux plateformes une base de données leur permettant de maximiser la corrélation entre la foule et la demande de produits. La proximité géographique que peuvent apporter les acteurs de l’ESS couplée à la mobilisation d’une foule (confortant des externalités de réseaux via une plateforme de CF) peuvent-elles ainsi aider à la réussite du financement de ces projets ?

7Les modèles économiques des plateformes de CF sont divers, témoignant d’un secteur très concurrentiel et en forte croissance [4], les plateformes étant elles-mêmes des start-ups. Bessière at Stéphany (2015) proposent une typologie des opérations de CF et détaillent le modèle économique général de ces plateformes à l’aide de la matrice Canvas. Schwienbacher (2015) s’intéresse à l’Equity Crowdfunding ou Crowdinvesting qui se distingue par sa réglementation, le niveau de risque des projets présentés, les montants levés, les contrats financiers proposés et la composition de la foule. Notre problématique est axée sur l’impact de la présence d’une plateforme de CF (quelle qu’elle soit) sur le financement des initiatives d’innovation entrepreneuriale au niveau local. De nombreuses expérimentations sont en cours vis-à-vis de la relation de proximité géographique que pourrait impulser la finance participative [5]. Mais l’efficience de tels dispositifs aujourd’hui est en cours de questionnement (Quelle légitimité géographique ? Quel modèle économique ? Quelle appropriation par les territoires ? Quelle place pour les collectivités locales s’y inscrivant ? …). Autant de questions qui viennent parfaire le maillage territorial des acteurs de l’ESS, historiquement inscrits dans de telles démarches citoyennes et locales de soutien à l’entrepreneuriat local.

1.2 – Le rôle des acteurs de l’ESS dans l’accompagnement et le financement local : quelles modalités de coopération auprès des plateformes de CF ?

8Les acteurs de l’ESS sont ancrés à leur territoire. Cela se traduit autant par la non délocalisation de leurs activités, que par leur encastrement aux réseaux locaux des politiques publiques et des tissus productifs. Il en va d’un modèle de proximité que les économistes néo-institutionnalistes comme Williamson (Dupuis et Torre 2000, p.60) font reposer sur un « actif spécifique » : la confiance. D’autres, plus hétérodoxes les rejoignent : « la confiance entretient des relations dialectiques avec la proximité » (Servet, 1994). Cependant, comme le soulignent Hansen (1992) et Camagni (1995) cités par Dupuis et Torre (2000) : si la confiance est une denrée utile à la mise en place et au maintien des processus de solidarisation des acteurs, il s’agit plus d’un comportement collectif que d’une relation de nature explicitement coopérative. En d’autres termes, les réseaux territorialisés d’accompagnement et de financement sont moins super-coopératifs entre eux qu’on ne le laisse entendre, même s’ils sont tous au service de l’intérêt général situé.

9Le secteur de l’ESS apparaît comme une économie de réseaux intersectoriels, rassemblés au sein de mouvements à l’échelle locale et nationale comme peuvent l’être les Chambres Régionales d’ESS (CRESS). Ces structures locales ont pu se développer avec une relative indépendance les unes des autres, notamment pour répondre aux besoins spécifiques de leurs adhérents. On en dénombre aujourd’hui 26 (22 en métropole et 4 en outre-Mer) qui ont été créées de 1992 à 2007 dans la poursuite des différentes structures de rassemblement des acteurs de l’ESS. Il faut notifier la création du Conseil National des Chambres Régionales de l’ESS (CNCRESS) en 2004 afin d’aider à la mutualisation et au travail en réseau de ces structures. Un processus d’harmonisation a été acté, notamment par la loi cadre portant sur l’ESS en 2014, par l’adoption d’un socle commun à l’ensemble des CRESS. Les missions sont en lien avec les besoins des acteurs de l’ESS : avoir une représentation politique collective auprès des autres parties prenantes d’un territoire, aider à développer au mieux les entreprises de l’ESS au regard des enjeux territoriaux forts et surtout faire connaître ce secteur d’activité vis-à-vis du public géographiquement proche.

10L’ESS tend à s’organiser par des pratiques de réseaux « spatialisés » dans leur stratégie de coopération territoriale. Ces réseaux ont pour objectifs de faire le lien entre les bénéficiaires et l’environnement local dans lequel ils évoluent. Dès lors, il s’agit bien d’un comportement collectif d’acteurs au service de l’intérêt général local et de son développement social. Il y a bien coopération entre acteurs à l’échelle d’un territoire, reposant sur une confiance située entre ceux-ci. Ces acteurs de l’accompagnement et du financement territorialisés, souvent qualifiés de finance solidaire, ont pour objet de répondre aux défis d’un modèle de développement social local au service de l’intérêt général. Loquet (2004) évoque d’ailleurs à ce titre : « l’économie sociale et solidaire au service d’un projet de territoire » à faire advenir dans le cadre d’une économie de proximités (sociale et géographique), sans que le réseau spatialisé d’acteurs et/ou d’entreprises ne soit appréhendé au seul prisme de la concentration spatiale de ces entités. Les acteurs historiques de la finance solidaire, tels que les Clubs d’Investisseurs pour une Gestion Alternative et Locale de l’Epargne Solidaires (C.I.G.A.L.E.S), Femùq Qui, Herrikoa, ou les fonds territoriaux de France Active (pour ne pas tous les citer), sont plus des « entreprises missionnaires » au sens de Mintzberg (1979) que des « entreprises coopératives » et ce, quel que soit leur statut juridique. En effet, ce sont des acteurs au service d’un projet de territoire à partir d’une mission d’accompagnement et de financement de la création/développement ou bien de la consolidation des emplois. Pour ce faire, ils entrent en coopération autant avec les collectivités locales dans le cadre des politiques publiques de l’emploi qu’avec les entreprises ou les réseaux d’entreprises de territoires, qu’il s’agisse d’entreprises sociales que d’entreprises d’économie de marché. Nous sommes dans le cadre d’une économie de confiance qui amène les collectivités locales à travailler avec les acteurs de la finance solidaire agissant en proximité territoriale. C’est-à-dire des territoires construits parce que vécus dans une relation de proximité à la fois sociale et géographique de bassins de vie et d’emplois délimités géographiquement. Les acteurs de la finance solidaire, parfois regroupés en réseaux informels locaux comme en région Pays-de-la-Loire, en Poitou-Charentes, en Aquitaine ou en Alsace avec les premiers guides de finance solidaire édités en France au début des années 2000 via l’appui FINANSOL [6], se retrouvent en délégation de service public dans le financement et le développement social local, non seulement à travers la collecte et la mobilisation de l’épargne solidaire de proximité qu’à travers l’animation de Fonds d’Investissement Territoriaux (FIT) ou de Fonds Régionaux d’Investissement Solidaire (FRIS) qui leur sont confiés. Dans ce cadre, la confiance devient bien ce facilitateur du processus de solidarisation des acteurs, sans pour autant qu’il existe une coopération « pure ».

11Ces acteurs de l’ESS spécialisés dans l’accompagnement et le financement travaillent ainsi pour consolider l’hybridation de financement à destination des associations et des TPE où les administrations publiques locales dans le cadre des politiques de l’emploi viennent y renforcer les dispositifs. A chaque fois, nous assistons à un phénomène de territorialisation plus que de localisation. Nous définissons la territorialisation comme « l’ensemble des processus engagés par les systèmes d’acteurs/d’agents, par les organisations sociales et politiques, par les dispositifs et procédures ad hoc, par les rapports de forces et les mises en tension, par les déterminants économiques et structurels, par des configurations génériques existantes et/ou des configurations particulières émergentes, permettant de faire advenir le territoire, le faire exister, se maintenir et parfois devenir opératoire » Vanier (2009, p.12). Mais, cette « territorialité activée » rencontre aujourd’hui un nouveau rapport de force et une nouvelle mise en tension avec l’apparition des plateformes de CF. L’univers du CF vient de plus en plus interpeller les acteurs historiques de l’ESS et plus spécifiquement les acteurs de la finance solidaire dans leur territoire, parce qu’elle vient discuter de la congruence entre la proximité géographique (au sens physique) et la proximité numérique (au sens de la constitution d’une foule digitalisée). Cet outil, intégrant les nouvelles technologies de l’information et de la communication, dématérialise la relation à l’espace et au territoire. Dès lors, nous pouvons nous interroger sur les capacités de la finance participative à renforcer (ou pas) le lien de territorialité développé par les acteurs de la finance solidaire. Quelles sont les conditions d’appropriation de ces outils numériques pour que, d’une communauté numérique, nous puissions envisager une communauté territorialisée. Et inversement, dans l’optique de faciliter les processus de solidarité des acteurs que permet d’offrir le CF dans la sollicitation de citoyens constituant cette foule. C’est bien là tous les enjeux d’une finance participative localisée qui se doit d’être intégrée solidairement à un écosystème d’entrepreneuriat de proximité. La réussite d’une telle coopération offrirait une réelle valeur ajoutée à l’écosystème entrepreneurial local. La proximité géographique couplée à la mobilisation d’une foule conforterait les besoins d’accompagnement et de financement des entreprises innovantes (diminution du risque d’asymétrie d’information et d’incertitude).

2 – Une tentative de coopération territorialisée via le CF : l’expérimentation de jadopteunprojet.com avec 4 communautés d’agglomérations dans un espace ou l’ESS est historiquement ancrée

2.1 – Justification méthodologique d’une approche par étude de cas dans la démarche empirique adoptée

12La finance participative est un concept assez récent, qui ne permet pas encore à ce jour l’obtention de données historiques nécessaires à la réalisation d’études terrain plus « quantitatives ». Ainsi, et au regard de la thématique abordée qui correspond à un sous-sujet de la finance participative dans sa globalité (la finance participative entrepreneuriale de proximité territoriale), la méthode par étude de cas se justifie amplement. La partie précédente a pu illustrer les enjeux de cet écosystème entrepreneurial local, entre difficultés de gestion du risque et stratégie de coopération territoriale des acteurs de l’ESS pour y apporter des alternatives socio-économiques territoriales crédibles. Cette partie cherche à illustrer une expérimentation pour venir alimenter la problématique développée précédemment. La création de nouvelles communautés participatives, axe de communication des plateformes de CF, doit-elle entrer en conflit ou venir conforter d’autres communautés de solidarité déjà implantées géographiquement ? C’est bien ce questionnement qu’il convient d’énoncer, où l’organisation d’une coopération au sein d’un écosystème entrepreneurial entre acteurs de l’ESS via la finance participative est encore, à ce jour, expérimentale. La justification de la démarche exploratoire repose sur les travaux de Marshall et Rossman (1995) ainsi que de Koenig (1993) puisqu’ils nous permettent de nous centrer sur les acteurs et leur expérience via la réalisation d’une monographie à visée descriptive. La démarche consiste à observer les attentes des acteurs dans le cadre de la mise en place d’un nouvel outil technologique (une plateforme de financement participatif). Nous chercherons à comprendre les interactions qui s’en suivent dans les expérimentations de coopération entre appropriateurs de la ressource commune : l’engagement citoyen pour une proximité entrepreneuriale territorialisée.

13Les études de cas viennent ainsi conforter des situations concrètes, spécifiques, particulières et émergentes dans leur façon de lier des parties-prenantes diverses, et plus spécifiquement dans des dynamiques organisationnelles et socio-économiques complexes, nécessitant une connaissance plus fine peu propice à des démarches quantitatives à visée générale. Nous sommes bien conscients des limites d’une telle approche méthodologique puisqu’elle n’a pas vocation à affirmer des éléments dans une perspective de théorisation des faits mais plutôt de contribuer à une tendance émergente qu’il conviendra de venir conforter par des démarches d’investigation terrain complémentaires. De nombreux auteurs ont utilisé ces approches par étude de cas (Mintzberg, 1979 ; Boudon, 1992 ; Koening, 1993 ; De La Ville, 2000).

14Ainsi, nous reprenons la démarche empirique proposée par Pettigrew (1997) dans De La Ville (2000) dans la façon d’envisager une étude de cas. Ce choix vient conforter une démarche par étude de cas à travers trois perspectives : perspective positive, perspective compréhensive et perspective générative. L’étude des différentes perspectives idiographiques en management stratégique s’oriente vers une perspective compréhensive dans l’optique de la délimitation théorique de modèles conceptuels territoriaux d’innovation. Il s’agira de comprendre les enjeux de coopération entre appropriateurs induits par la finance participative dans la constitution d’une communauté non plus virtuelle mais géographique dans l’optique d’un écosystème entrepreneurial local. Allons-nous vers des stratégies organisationnelles renouvelées localement et comment des plateformes comme www.jadopteunprojet.com peuvent-elle peser dans l’inclusion territoriale alors souhaitée ? Le tableau 1 ci-dessous vient décrire les enjeux idéographiques listés, notamment via la détermination d’hypothèses que tend à formuler la revue de littérature de la première partie (H1, H2 et H3). L’hybridation de la finance solidaire à la finance participative laisse entrevoir des aspects positifs dans le financement d’entreprises innovantes dans les territoires. Mais la nature de la coopération dans cet écosystème entrepreneurial reste à définir.

Tableau 1

Justification du choix idiographique des auteurs dans la démarche exploratoire

Perspective compréhensiveAppropriation par les auteurs
Finalité de la modélisationVisée exploratoireNous sommes bien dans une visée exploratoire où cette étude de cas peut servir de révélateur des préoccupations des acteurs locaux via une finance participative locale.
Rôle de l’investigation idiographiqueLe cas sert de révélateur des préoccupations stratégiques réelles des acteurs sur le terrainLes préoccupations pressenties, en lien avec la littérature de la 1ere partie, sont les suivantes H1 : La finance participative permet une appropriation par les citoyens des mécanismes financiers de développement de l’entrepreneuriat sur un territoire ? H2 : La finance participative renforce la coopération territoriale entre les citoyens et les territoires ? H3 : La finance participative permet l’hybridation entre l’innovation financière et la coopération territoriale ?
Enjeu méthodologique cléAccès aux interprétations : rendre compte de la façon dont les acteurs sur le terrain instruisent les problèmes de management stratégiqueQuelle place/aide de la finance participative dans des territoires géographiquement délimités ? Vers quelles émergences de modèles conceptuels territoriaux d’innovation ?
Méthode interprétative privilégiéeMéthode interprétative : comparaison de la façon dont le management stratégique est interprété par les acteurs avec ce que différents cadres théoriques prennent-en compte ou mettent en scèneQuel lien entre les enjeux du financement de l’innovation sociale liés à l’entrepreneuriat et la proximité géographique des acteurs de l’ESS
Principales méthodes MobiliséesÉpiphanies : situations de gestionEntretiens collectifs, entretiens individuels, ateliers de travail…
Mécanismes génératifsFondements de l’interaction établie par le chercheur avec les acteurs sur le terrain. Selon quels principes le chercheur explore-t-il les pratiques réelles de management stratégique développées par les acteurs ?Expérimentation viawww.jadopteunprojet.com : plateforme de financement participatif locale en Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes

Justification du choix idiographique des auteurs dans la démarche exploratoire

Source : Valérie-Inès de La Ville (2000) complété par les auteurs.

2.2 – Investigation terrain et confrontation avec les hypothèses soulevées : la nature de la coopération comme élément clé d’un écosystème entrepreneurial local ?

15Jadopteunprojet.com a mis en place des sites de financement participatif dédiés aux quatre agglomérations précédemment listées, démontrant l’intérêt d’être au plus proche de ces territoires. Ces sites dénommés http://aggloniort.jadopteunprojet.com/, http://grandangouleme.jadopteunprojet.com/, http://agglolarochelle.jadopteunprojet.com/ et http://grandpoitiers.jadopteunprojet.com/ sont mutualisés avec la plateforme www.jadopteunprojet.com afin de gagner en efficacité techniquement. La détermination du niveau d’appropriation d’une plateforme de CF et donc des modalités de coopération dans cet écosystème entrepreneurial a reposé sur deux démarches distinctes mais complémentaires d’investigation. Une première étude a été effectuée spécifiquement auprès des acteurs locaux de l’agglomération niortaise. Il a été proposé de réaliser des réunions de travail à 3 groupes d’acteurs de l’écosystème entrepreneurial local via la présentation et l’interpellation des enjeux de la finance solidaire et de la finance participative, de l’état des lieux dans les modèles de financements citoyens, de la situation socio-économique du territoire niortais et de l’énumération de pistes de coopération avec Jadopteunprojet.com. Ces acteurs ont ainsi pu décrire leurs attentes dans de possibles modalités de coopération dans leurs propres dispositifs d’accompagnement et de financement territorialisés. Les débats ont été réalisés avec la présence de 6 à 8 personnes afin de créer une dynamique collective (échanges, confrontations, enrichissement mutuel…). La réalisation de ces entretiens a été faite de concert avec les équipes de l’agglomération niortaise (la collectivité publique a choisi les acteurs à inviter, les dates de réunion à planifier, les lieux de rencontres…). Les tableaux 2 et 3 viennent y lister les principaux résultats qui viendront plus largement confronter et conforter les trois hypothèses soulevées précédemment.

Tableau 2

Conditions de constitution d’une communauté territorialisée par la création d’un site de CF niortais http://aggloniort.jadopteunprojet.com/

Questions soulevées/poséesPropositions faites
Manque d’activité du site de la CAN par rapport à la plateforme régionale Jadopteunprojet.comIl avait été envisagé de créer une communauté différente entre le site http://aggloniort.jadopteunprojet.com/ et jadopteunprojet.com. La démarche n’est pas concluante. Il convient de mutualiser les deux sites (les citoyens de la CAN qui vont s’inscrire sur jadopteunprojet.com vont apparaitre directement sur le mini-site de la CAN). Il convient de mieux travailler la communication du site (autorisation d’y mettre les informations de la Maison de l’ESS, des services de communication de la CAN…) pour le rendre plus attractif.
Manque de taille critique du site (capacité du site à drainer des citoyens ?)Il conviendrait d’avoir une communication institutionnelle de la CAN concernant le site (objectif : gagner en « réputation »). Mise en avant du mini-site sur tous les supports de la CAN liés à la création d’entreprises. Communication régulière des porteurs de projets dans les supports grands publics de la CAN (1 fois par mois avec portrait porteur de projet).
Nombreux salariés travaillant à Niort mais habitant à La RochelleUne communication régionale doit permettre d’aider le site de la CAN à se développer (axe Niort-La Rochelle voire axe Deux-Sèvres-Vendée). La stratégie de communication de Jadopteunproejt.com avec la CAN devra décrire une dynamique agglo-région.

Conditions de constitution d’une communauté territorialisée par la création d’un site de CF niortais http://aggloniort.jadopteunprojet.com/

Source : Auteurs.
Tableau 3

Les attentes des acteurs de l’écosystème entrepreneurial local dans la constitution d’une communauté participative territorialisée

Questions soulevées/poséesPropositions faites
Force de frappe potentielle d’une plateforme géographiquement délimitée ?Les projets locaux portés par une plateforme locale devraient bénéficier de contributions locales ; D’autres dispositifs locaux (accompagnement et financement) liés à la création d’entreprise pourraient être envisagés (et sollicités) ; Démarche similaire à impulser (plateforme locale) auprès d’autres agglomérations du territoire régional pour gagner en cohérence territoriale.
Demandes de soutien dans la communication numériqueDes outils duplicables aux porteurs de projets doivent être proposés afin de cibler la communication sur la communauté locale du niortais (référencement à effectuer) ; Il faut axer la communication sur les réseaux sociaux locaux + les médias/journaux locaux.
Demande de soutien par les collectivités localesLa stratégie de soutien des porteurs de projets pourrait être la suivante : mise en place d’un logo/phrase « projet soutenu par la CAN », mise en place d’un listing de diffusion de mails auprès des institutionnels pour mise en contact, mise en place de rencontres physiques pour présentation des projets à des financiers de la CAN (tour de table financier).
Difficultés à réaliser un « coup de cœur » localLa communauté locale n’a pas besoin de coup de cœur « innovant/différenciant » mais plutôt « significatif » pour le territoire (développer de l’emploi, de nouvelles activités localement…).
Nécessité d’avoir une approche locale : rapprochement des acteurs locaux de l’écosystème entrepreneurialLa CAN proposera à jadopteunprojet.com d’intervenir lors d’évènements en lien avec ces thématiques sur son territoire.
Jadopteunprojet.com doit permettre d’élargir ses réseaux locaux (effet boule de neige)Jadopteunprojet.com doit pouvoir lister les différentes compétences des acteurs de la création d’entreprise (à voir pour faciliter la mise en contact).

Les attentes des acteurs de l’écosystème entrepreneurial local dans la constitution d’une communauté participative territorialisée

Source : Auteurs.

16La deuxième étude a porté sur une démarche d’entretiens semi-directifs auprès des 16 personnalités liées à l’écosystème entrepreneurial local dans ces 4 territoires (Communauté d’Agglomération du Niortais, Communauté d’Agglomération de La Rochelle, Grand Angoulême et Grand Poitiers). C’est bien les éléments ci-dessus, repris de l’étude exploratoire de l’agglomération du niortais, qui ont permis de cadrer les grands enjeux d’une coopération territoriale avec une plateforme de CF dans un périmètre géographique délimité. Nous avons surtout cherché à questionner les 16 personnalités quant à leur vision d’une dynamique financière de proximité renouvelée via des plateformes de CF et des évolutions possibles dans les coopérations et réorganisations des acteurs de l’entrepreneuriat, que ce soit des collectivités publiques, des acteurs de l’ESS voire même des citoyens locaux. Après retraitement des entretiens (des éléments de verbatim ont été listés afin de conforter la retranscription des arguments), les hypothèses émises dans la perspective compréhensive de l’étude de cas ont été listées quant à l’émergence potentielle d’une finance participative intégrée et coopérante dans un écosystème entrepreneurial local.

17H1 : La finance participative permet une appropriation par les citoyens des mécanismes financiers de développement de l’entrepreneuriat sur un territoire ?

18Il est intéressant d’émettre que l’appropriation des citoyens/territoires d’une finance, qui était peut-être plus difficilement appréhendable (par le nombre d’intermédiaires financiers), via la finance participative (laissant le choix aux citoyens d’aller directement financer les projets qu’ils souhaitent), aurait pu faire émerger une appropriation plus forte de compétences financières nécessaires au soutien de l’innovation des territoires. Il n’en est rien. Toutes les personnalités interrogées ont pu émettre le souhait de voir la finance participative, si elle doit être locale, vers des projets d’abord de territoire et non purement d’innovation financière en couplant les interventions de la plateforme avec les collectivités locales, les dispositifs d’accompagnement et de financement des acteurs de l’ESS mais aussi par une réappropriation du local des porteurs de projets et des citoyens eux-mêmes.

Verbatim : « Les échanges avec des banquiers, à l’échelle du territoire, les banquiers sont très frileux (dû au contexte économique : ils ne veulent pas financer le secteur de la restauration par exemple). Ils sont de plus en plus exigeants (ils demandent maintenant 20 à 30 % d’apports). » « Les banques seront toujours présentes mais elles seront moins présentes sur l’entrepreneuriat (car trop risqué). La finance participative va prendre le pas sur ce segment du secteur financier. Il devra y avoir plus de structuration (même si l’objectif ne sera pas forcement de se faire de l’argent pour les plateformes…). » « De nouvelles plateformes, comme celle de jadopteunprojet.com, qui n’ont pas vocation à faire de l’argent avec des aides publiques tournées vers la création d’emploi de projets trop petits pour des banques… ». « En 2010, les banques investissaient dans des projets DD uniquement pour la rentabilité. Mais les mats d’éoliennes venaient d’ailleurs. Donc, comme tout venait d’ailleurs, il n’y avait pas d’appropriation par le territoire. » « Donc, le financement ne fait pas tout. L’approche n’est pas forcément la même entre l’accompagnement et le financement. »

19H2 : La finance participative renforce la coopération territoriale entre les citoyens et les territoires ?

20Nous pouvons parler d’émergence de nouveaux modèles conceptuels territoriaux d’innovation dans le sens où la proximité des acteurs liés à l’entrepreneuriat ne s’inscrit pas dans des démarches lucratives mais bien de cohésion sociale et territoriale via le développement socio-économique. La dynamique participative de proximité est mise en avant, et non une appréhension nouvelle de la finance par les citoyens via des projets locaux, qu’ils soient innovants ou non. Les témoignages sont unanimes : la finance participative vient donner une « simplicité » dans la mise en relation de parties prenantes locales (porteurs de projets, acteurs de l’entrepreneuriat, collectivités locales, citoyens contributeurs…) vis-à-vis d’un renforcement d’une solidarité de territoire au sens missionnaire de Mintzberg. La numérisation des activités vient ainsi reformuler les relations entre parties prenantes d’un territoire dans une démarche collective d’ancrage territorial. Ainsi, une plateforme de financement participatif territorialisé n’est pas perçue comme un outil d’appropriation des parties prenantes locales dans un renouveau du financement de l’innovation dans les territoires. Une coopération renforcée entre les acteurs de l’écosystème et la plateforme de CF n’est pas envisagée. Il n’est pas certain d’y percevoir un nouveau modèle conceptuel territorial d’innovation mais les interactions et les attentes y sont fortes, avec un nécessaire renouvellement en cours tant pour les collectivités locales, les acteurs de l’ESS et les porteurs de projets dans le rôle qu’ils apportent à leur territoire et comment les citoyens peuvent (et souhaitent) y prendre part. Il convient plus de parler de convergence pour une économie de confiance au sens de l’ESS que d’une coopération « pure ».

Verbatim : « La plateforme locale permet d’avoir une identité locale, permet d’avoir une identité. Il y a une recherche de proximité tout de même (les acteurs locaux cherchent de la visibilité). » « Pour les jeunes, c’est le bon moyen (difficile de passer outre le système bancaire), mais la finance participative a un aspect formatif et pédagogique : animer ses réseaux sociaux définir sa communication… Les jeunes ont toujours plus de difficultés. Donc, les projets sur la plateforme locale permettent de ne pas regarder uniquement le plan de financement mais le projet lui-même. » « Le CF va prendre une place dans l’économie. Mais il va prendre une place démocratique et participative dans la façon d’utiliser son épargne (donc, peut servir à démocratiser le financement) mais plutôt sur certains types de projets et en co-financement des enjeux locaux. Il y a un côté où le citoyen peut donner la vision qu’il souhaite après son argent… » « Les petits projets peuvent bénéficier ainsi de financement et de communication sur leur territoire. » « De plus, les collectivités publiques étaient aussi fortement intéressées pour développer la plateforme de financement participatif : cela permet une appropriation citoyenne de l’entrepreneuriat local. » « Il y a un manque de lisibilité des acteurs de la finance solidaire. L’évènement grand public, pourrait servir aux partenaires (pour les former, refaire le point…). »

21H3 : La finance participative permet l’hybridation entre l’innovation financière et la coopération territoriale ?

22Au final, nous assistons plutôt à une hybridation du financement des porteurs de projets qu’à un renforcement des relations de coopération via le financement participatif dans les relations des parties prenantes d’un territoire. Il n’est pas facile de voir l’émergence de modèles conceptuels territoriaux d’innovation même si des évolutions dans la gouvernance de coopération sont en cours, indéniablement. Ces évolutions de gouvernance ne vont pas vers une réappropriation du financement de l’innovation des territoires par les parties prenantes locales et plus spécifiquement par les citoyens. Ceux-ci ne semblent pas chercher à s’approprier des fondamentaux d’une finance d’entreprise liée à l’innovation, mais plutôt à se réapproprier le développement socio-économique de leur territoire. Cette hybridation émergente, dans les expérimentations semble aborder plusieurs dimensions que nous pouvons lister, sans pour autant en conforter l’une par rapport l’autre à ce stade. Ces relations territoriales ne se réalisent pas par une rupture radicale vis-à-vis des pratiques d’avant financement participatif de l’entrepreneuriat de proximité via les collectivités locales et les acteurs de l’ESS. Les principaux arguments qui sont ressortis des entretiens peuvent être regroupés en trois thématiques qui vont, incontestablement, servir de base à l’émergence d’une nouvelle gouvernance de coopération. L’accompagnement et le financement de proximité qu’offre la finance solidaire viennent à se renforcer via la capacité à associer des citoyens par les plateformes de CF. Mais il n’est pas encore question actuellement d’un réel rôle de la foule citoyenne dans sa capacité à mieux définir le risque potentiel de projets innovants dans les territoires.

Viabilité socio-économique du territoireDonner du sens et du lien social au territoireValoriser les porteurs de projets du territoire
Besoin d’animer/dynamiser avec toutes les parties prenantes (ESS, collectivités, médias…) :
Mieux réassocier les relations entre les banques et les territoires dans un entrepreneuriat de proximité ;
Faire du maillage territorial ; Importance de l’accompagnement par des experts locaux ;
Place moteur des collectivités locales.
Besoin de donner du sens (collaboratif, social…) ;
Coopération acteurs de territoires ;
Visibilité via les partenariats de territoires ;
Dépendance vis-à-vis des collectivités locales ;
Resserrer les liens entre les citoyens autour des porteurs de projets ;
Notion de « place démocratique et participative de l’épargne citoyenne » ;
Les territoires sont tous différents, induisant des dispositifs spécifiques.
Finance participative communication/réseau ;
Démarche pédagogique des entrepreneurs ;
Valoriser les petits projets en les aidant ;
Développer sa clientèle localement ;
Finance participative comme alternative aux imprévus financiers des porteurs de projets (coup de pouce).
Source : Auteurs.

Conclusion

23Ce travail a cherché à interpeller les acteurs impliqués dans l’écosystème entrepreneurial local vis-à-vis de l’émergence d’une finance participative. L’enjeu d’une coopération, quelle que soit sa forme, entre ces différentes parties-prenantes n’est pas anodin. Le financement d’entrepreneurs innovants reste toujours problématique dans le sens où il est difficile d’apporter des réponses aux problèmes d’agence et d’asymétrie de l’information. Bien plus que le financement lui-même, c’est l’accompagnement et l’inclusion dans un écosystème sectoriel et/ou géographique qu’il convient de valoriser. C’est bien les liens externes à la relation financeur/entrepreneur qui indéniablement vont permettre de mieux appréhender une première prise de connaissance du projet à financer. Ainsi, nous nous sommes interrogés sur la capacité de ces acteurs (l’écosystème entrepreneurial local et les plateformes de CF) à répondre à ce besoin de congruence relationnelle dans la capacité à financer la création et le développement d’entreprises innovantes. Le cadre d’analyse a reposé sur les modalités potentielles de coopération entre les acteurs de l’écosystème entrepreneurial local (majoritairement les acteurs de l’ESS via la finance solidaire) et la finance participative. Bien que des questions se posent quant à la possibilité d’envisager des coopérations entre ces parties-prenantes (la partie empirique de ce travail ayant cherché à y répondre), l’hybridation de leurs relations entrepreneuriales pourrait apporter des solutions plus qu’intéressantes dans la gestion des problèmes d’agence et d’asymétrie d’information. La proximité géographique que peuvent apporter les acteurs de l’ESS dans le sens où ils cherchent à véhiculer des valeurs de territorialité est une des solutions données. Cette proximité territoriale instaure des relations de confiance entre les structures qui accompagnent et qui financent les projets à l’origine d’une meilleure maitrise du risque. Pour autant, cette notion de confiance qui en ressort ne vient pas ancrer des dynamiques de coopération « pure » au sein de l’écosystème entrepreneurial. Il s’agit plus de comportements collectifs que de relations explicitement coopératives. Quant à la finance participative, c’est bien la mobilisation d’une foule qui vient constituer l’implication de citoyens et donc des externalités de réseaux positives auprès de l’entrepreneur innovant. Ainsi, une coopération renforcée entre les acteurs de l’ESS (via une proximité géographique) et les plateformes de CF (via une foule impliquée et impliquante) laisse entendre de meilleures opportunités d’appréhension et d’anticipation dans le financement de projets innovants.

24Une fois cette approche théorique esquissée, nous avons cherché à comprendre la nature des coopérations qui pourraient être envisagées dans ces écosystèmes entrepreneuriaux locaux. Le CF étant encore un phénomène récent, il a été décidé d’utiliser une méthodologie de recherche idiographique en management stratégique via une perspective compréhensive. Le souhait de la plateforme de CF jadopteunprojet.com de s’impliquer dans les écosystèmes entrepreneuriaux locaux de quatre agglomérations de l’ex-région Poitou-Charentes témoigne des préoccupations stratégiques réelles des acteurs sur le terrain, sans pour autant permettre l’élaboration d’un cadre théorique puisqu’encore embryonnaire. Deux approches terrains ont ainsi été couplées : réalisation de réunions en groupes auprès d’acteurs de l’écosystème entrepreneurial de l’agglomération niortaise ; réalisation d’entretiens semi-directifs auprès de 16 acteurs des écosystèmes entrepreneuriaux des quatre agglomérations. Ces choix méthodologiques ont été dictés par la volonté d’être au plus proche des enjeux de coopération dans ces territoires, sans pour autant laisser entendre que les conclusions sont duplicables sur d’autres territoires ni figées dans le temps. Il est apparu difficile de parler d’émergence de nouveaux modèles conceptuels territoriaux d’innovation via la finance participative locale. L’appropriation de l’innovation financière des citoyens dans les territoires n’est pas apparue évidente. Bien au contraire, nous avons plutôt assisté à un questionnement des coopérations territoriales dans leurs modèles organisationnels existants. La finance participative locale semble apporter de nombreux avantages pour les territoires (communication, financement, visibilité, coopération…). Mais ces avantages restent inscrits dans des thématiques non lucratives assumées et affichées qui s’apparentent plus à une approche missionnaire au sens de Mintzberg que d’une réelle volonté de coopération renforcée avec le CF territorialisé. Cette forme de coopération dans les modalités de gouvernance à venir semble inclure des enjeux de viabilité socio-économique, de sens et de lien social au territoire mais aussi de valorisation des porteurs de projets locaux. Même s’il est difficile d’affirmer les mutations organisationnelles et les modalités futures de coopération entre les acteurs de l’écosystème entrepreneurial local, cette étude de cas vient a minima confirmer les attentes vis-à-vis d’une plateforme de CF : l’implication dans une économie de confiance qui permet d’amener les collectivités locales et les acteurs de la finance solidaire à agir en proximité territoriale. Mais quels peuvent être ou doivent être les modalités d’une économie de confiance pour une plateforme de CF ? Un travail complémentaire devra être réalisé afin d’y apporter des éléments de réponses.

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Mots-clés éditeurs : ecosystème, ESS, entrepreneuriat, territoire, finance participative, finance solidaire

Mise en ligne 25/01/2018

https://doi.org/10.3917/maorg.031.0151

Notes

  • [1]
    Selon Moore (2006), cité par Froelicher et Barès (2014), « un écosystème est une communauté économique dont le fonctionnement repose sur l’interaction entre entreprises et acteurs individuels qui mettent en œuvre des initiatives coordonnées soutenant dans des territoires et environnements élargis l’économie et l’innovation. »
  • [2]
    La définition de l’innovation est complexe. Le manuel d’Oslo (2005) en donne une définition large qui permet de distinguer les innovations issues du système opérationnel (innovation technologique au sens développement de nouveaux produits et/ou services) ou du système social (innovation organisationnelle). Le Livre Jaune de BpiFrance (2015), intitulé « Innovation nouvelle génération » distingue l’innovation organisationnelle, l’innovation commerciale et l’innovation sociale. Un intérêt croissant est porté sur cette dernière forme d’innovation.
  • [3]
    Rapport Beylat-Tambourin, dans Kb Slimane, revue entreprendre et innover, 2014, CAIRN.
  • [4]
    Au niveau mondial, 16,2 milliards de dollars ont été levés en 2014 (+ 167 % par rapport à 2013) dont 3,26 milliards de dollars en Europe. Le marché français est dynamique avec 156 millions d’euros levés sur 46 plateformes en 2014 et de 296,8 millions en 2016. Ce dynamisme est en partie lié à l’évolution de la règlementation (ordonnance n° 2014-559 du 30 mai 2014).
  • [5]
    Finance participative et territoire, typologies de partenariats entre acteurs territoriaux et plateformes de crowdfunding. Financement Participatif France. 27 juin 2016 – Sénat.
  • [6]
    FINANSOL est une association représentative des acteurs de la finance solidaire en France, son objectif est de « Promouvoir des produits qui permettent de faire fructifier son épargne tout en favorisant l’accès à l’emploi et au logement pour des personnes en difficulté, tout en encourageant les activités écologiques et l’entrepreneuriat dans les pays en développement, tel est le rôle de Finansol, collectif des acteurs de la finance solidaire depuis 1995. » source : www.finansol.org/une-association-de-promotion/
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