Notes
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[1]
L’économie sociale et solidaire (ESS) réunit les associations, coopératives, mutuelles, fondations et entreprises sociales. Ces organisations ont une finalité sociale et répondent à des modes d’organisation et de gestion spécifiques (participation des membres aux prises de décision, part des bénéfices dédiée à la longévité du projet, etc.)
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[2]
Alliance coopérative internationale (1995)
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[3]
Il ne s’agit pas ici de l’emploi public mais des ‘symboles culturels et des pratiques matérielles’ (Thornton, Ocasio & Lounsbury, 2012) concernant le travail qui sont diffusés par l’Etat-providence à travers la société.
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[4]
Si une majorité de CAE dites généralistes accueillent des membres de professions très diverses, certaines CAE sont spécialisées, telles les CAE du bâtiment ou des services à la personne, principalement pour des raisons réglementaires et assurantielles.
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[5]
« Pour une économie sociale et solidaire de combat » E. Antoine et S. Veyer paru le 21 novembre 2013.
Introduction
1Etudiées dans un premier temps comme une minorité, les organisations hybrides sont aujourd’hui présentes partout, devenant quasiment la norme. Leur popularité tient à leur capacité à répondre simultanément à des demandes complexes, voire contradictoires. A travers le prisme des logiques institutionnelles, ces organisations hybrides conjuguent différents principes organisationnels ou logiques institutionnelles (Friedland & Alford, 1991).
2L’archétype de l’organisation hybride est ainsi l’entreprise sociale qui parvient à répondre à des enjeux sociaux tout en étant économiquement viable (Battilana & Lee, 2014 ; Pache & Santos, 2013). Si elles parviennent à répondre à la complexité de leur environnement, ces organisations présentent une certaine instabilité car leur légitimité est constamment questionnée. La légitimité est en effet une ressource organisationnelle vitale qui s’acquiert en se conformant aux systèmes de normes, valeurs et croyances propres à chaque logique institutionnelle. Les organisations hybrides qui intègrent différentes logiques sont donc tiraillées entre plusieurs sources de légitimité potentiellement contradictoires. L’hybridité est ainsi bien souvent synonyme de dualité (Ashforth & Reingen, 2014), dissonance (Ashcraft, 2001) et conflits (Besharov & Smith, 2013 ; Kraatz & Block, 2008).
3Cependant, sous l’effet de la crise de légitimité qui frappe les institutions et organisations existantes, les entreprises sociales bénéficient d’une grande popularité. De nouveaux cadres juridiques viennent même institutionnaliser leurs formes hybrides tels le statut de B corporations aux Etats-Unis, la social enterprise mark au Royaume-Uni ou la loi Economie Sociale et Solidaire en France.
4Nous nous demandons donc comment les entreprises sociales évoluent entre institutionnalisation et gestion de leurs tensions internes.
5La littérature sur les hybrides souligne deux principales réponses à cette question. D’une part, la domination de la logique dont les éléments sont les plus solidement couplés - il s’agit la plupart du temps de la logique marchande - (Kent & Dacin, 2013) et d’autre part, le développement de structures et modes de management spécifiques permettant le maintien de l’hybridité dans le temps (Battilana & Dorado, 2010). Nous mettons ici en lumière une stratégie alternative consistant non pas à maintenir l’hybridité mais à s’en défaire.
6Cette étude porte sur une forme organisationnelle qui a émergé il y a vingt ans, les coopératives d’activité et d’emploi (CAE) qui hybrident entrepreneuriat, salariat et coopération afin de répondre à l’enjeu de la transformation du travail.
7Nous présentons dans un premier temps le cadrage théorique de l’étude reposant sur la littérature néo-institutionnaliste puis la méthodologie employée pour cette étude de cas longitudinale. La troisième partie présente ensuite la stratégie « contra-cyclique » déployée par la coopérative afin d’échapper à l’institutionnalisation de sa forme hybride.
1 – L’ère de l’hybridité
8A travers le prisme néo-institutionnaliste, les entreprises sociales représentent des organisations traversées par plusieurs logiques institutionnelles. Une logique institutionnelle est un « ensemble de pratiques matérielles et de constructions symboliques – qui constituent les principes d’organisation disponibles pour les organisations et les individus » (Friedland & Alford, 1991). Si ces logiques peuvent présenter des complémentarités, elles sont parfois contradictoires soient dans les moyens soit dans les fins qu’elles préconisent. Selon Pache and Santos (2010) une organisation hybride combine des logiques poursuivant des fins contradictoires et défendues par différents membres.
9L’hybridité n’est cependant pas immuable, le degré et la nature de l’hybridité peuvent varier d’une organisation à l’autre. Battilana and Lee (2014) ont ainsi identifié cinq domaines d’« hybrid organizing » : les activités centrales, la composition des membres, le design organisationnel, la culture organisationnelle et les relations organisationnelles. Chacun de ces domaines pouvant être plus ou moins intégré ou différencié. La notion d’intégration se rapproche du concept de couplage également utilisé dans les études sur les organisations hybrides. Par exemple, Pache and Santos (2013) qui ont étudié des entreprises d’insertion, ont montré que ces organisations hybrides intégraient les logiques contradictoires en les couplant de manière sélective.
10Il existe donc une relation d’agence entre les organisations et les logiques institutionnelles. Les organisations ne se contentent pas de répondre à la complexité émanant des demandes institutionnelles contradictoires, elles se servent des logiques institutionnelles comme de boites à outils culturels (« institutional toolkits ») (Swidler, 2011) pour atteindre leurs objectifs. Adoptant une approche processuelle, Smets and Jarzabkowski (2013) montrent comment les acteurs, poussés par leur environnement compétitif, combinent différentes logiques en transformant progressivement les contradictions en complémentarités. Ici la nature des logiques est importante, « plus une logique est perméable, plus elle sera soumise à interprétations » (Kent & Dacin, 2013, p.727). Ainsi, les logiques dont les éléments sont couplés de manière souple sont davantage susceptibles d’être hybridées. Au regard des études empiriques sur le sujet, la logique marchande présente un niveau de perméabilité moindre. Lorsqu’elle est introduite dans des sphères telles que la culture (Glynn & Lounsbury, 2005), l’industrie du design (Durand, Szostak, Jourdan, & Thornton, 2013) ou la lutte contre la pauvreté (Kent & Dacin, 2013), la logique marchande tend à dominer les autres logiques. Ces résultats font écho à la littérature sur les coopératives qui étudie les tensions entre dimension sociale et dimension économique. La thèse principale de ce courant de recherche considère en effet que les coopératives qui se développent économiquement, en intégrant de plus en plus d’éléments de gestion finissent par perdre leurs caractéristiques coopératives et in fine à ne plus répondre à leur mission sociale (Batstone, 1983).
11Le maintien de l’hybridité dans le temps afin de garantir l’atteinte des divers objectifs sociaux, économiques, environnementaux représente donc un enjeu pour les organisations hybrides. Les travaux empiriques en la matière ont mis en évidence le rôle primordial de la structure organisationnelle, des modes de management (Ashforth & Reingen, 2014 ; Cornforth, 1995) et de la gouvernance (Pache & Santos, 2013). Battilana and Dorado (2010) qui ont étudié des organisations de micro-finance, ont par exemple mis en lumière le rôle de la gestion des ressources humaines dans le maintien de l’hybridité.
12Les organisations hybrides connaissent ainsi deux principales évolutions : la domination de la logique la plus solidement couplée et donc la sortie de l’hybridité, ou le maintien de l’hybridité via le développement de structures et modes de management spécifiques. L’étude de la coopérative d’activité et d’emploi francilienne, Coopaname, nous a permis de mettre en lumière une troisième évolution possible : une sortie choisie de l’hybridité afin de poursuivre un mouvement d’expérimentation. Il ne s’agit donc ni d’une sortie de l’hybridité subie, ni de développer des efforts au seul niveau managérial.
2 – Étude de cas approfondie d’une coopérative d’activité et d’emploi
2.1 – Contexte
13Notre recherche s’appuie sur une nouvelle forme organisationnelle, les coopératives d’activité et d’emploi (CAE) qui ont vu le jour au milieu des années 1990 en France afin de répondre au chômage et aux échecs des micro-entrepreneurs.
14Jusqu’aux années 1960 la France bénéficiait d’une situation de plein emploi qui permettait de faire fonctionner son système assurantiel de type Bismarckien reposant sur le statut de salarié. Les changements économiques de ces dernières décennies ont cependant profondément déstabilisé ce régime social. Les taux de chômage durablement élevés que connait la France symptomatique de l’incapacité de l’Etat providence à s’adapter et à (re)créer des mécanismes de solidarité efficaces.
15Afin de répondre à cet enjeu pressant, de nouvelles pratiques et organisations ont vu le jour. Les pouvoirs publics, soutenus par les entreprises et organisations de l’économie sociale et solidaire [1], ont ainsi encouragé deux approches : le micro-entrepreneuriat, qui vise à aider les personnes à créer leur propre emploi et l’insertion par le travail qui vise à aider les personnes à (re)trouver un emploi salarié. Si la première approche a connu un fort engouement, une grande partie des micro-entrepreneurs peinent à dégager un chiffre d’affaires suffisant. Quant à l’insertion par le travail, elle représente une chance pour de nombreuses personnes mais ne permet pas toujours d’accéder à une situation professionnelle stable (CDI, temps plein).
16C’est dans le but de répondre aux limites de ces deux approches que la première coopérative d’activité et d’emploi a été créée à Lyon au milieu des années 1990. Un groupe d’organisations publiques, privées et de l’ESS ont créé cette nouvelle forme organisationnelle mixant entrepreneuriat, salariat et coopération afin de soutenir le nombre croissant d’entrepreneurs individuels.
2.2 – Le cas Coopaname : collecte et analyse des données
17Cette étude repose sur le cas de la coopérative d’activité et d’emploi, Coopaname. Cette coopérative créée à Paris en 2003 est aujourd’hui, avec plus de 800 membres, dont 221 associés et un chiffre d’affaires de plus de 9,5 millions d’euros, l’une des plus importantes CAE de France.
18Afin de comprendre le processus organisationnel qui la fonde, nous avons mené une étude de cas holistique (Yin, 2003) avec une approche longitudinale et abductive. Nous avons collecté les données qualitatives nécessaires afin de comprendre au mieux les processus en cours au sein de l’organisation. Adoptant une stratégie de théorisation ancrée (Corbin & Strauss, 2008 ; Langley, 1999), l’analyse des données s’est déroulée en deux temps. (1) De juillet 2011 à décembre 2013, nous avons collecté un premier ensemble de données dans une démarche exploratoire via deux focus groupes, des entretiens semi-directifs, des observations non participantes et des documents. Ce premier ensemble de données a été codé selon une démarche interprétative (Corbin & Strauss, 2008) via le logiciel Nvivo10. Suite à cette première étape d’analyse, nous avons identifié trois thèmes principaux : la diversité des pratiques et outils, un processus d’innovation continu et un vocabulaire spécifique soutenant un projet politique fort. (2) La seconde étape s’est déroulée de mars 2014 à septembre 2015 et a consisté à approfondir la compréhension du projet de la coopérative et de son fonctionnement. Nous avons collecté de nouvelles données via des entretiens semi-directifs (30 au total) avec les membres de la coopérative et ses partenaires, des observations non participantes (11 évènements) et des documents de communication interne, externe, de gouvernance et de régulation (400 pages environ).
19Nous avons analysé ce deuxième ensemble de données via un mécanisme d’aller-retour entre les données et la théorie faisant ressortir les concepts de logiques institutionnelles et d’organisation hybride. La dernière phase de cette étape consistait à identifier les facteurs explicatifs de l’évolution de la CAE à travers une intégration théorique des codes initiaux (Corbin & Strauss, 2008). Nous avons finalement repéré deux processus se chevauchant : d’une part, la déconstruction de la forme hybride actuelle via des relations ambivalentes vis-à-vis des différentes logiques institutionnelles ; et d’autre part, la poursuite d’un mouvement d’expérimentation via la redéfinition du support discursif des CAE, les partenariats et l’expérimentation à un niveau méso. Ces processus ayant permis à la CAE de construire sa propre logique. Nous présentons les détails de ces différentes étapes dans la section qui suit.
3 – CAE entre institutionnalisation et expérimentation
3.1 – Née hybride
20Face au taux de chômage élevé et aux limites des micro-entreprises et de l’insertion par le travail présentées précédemment, un groupe d’acteurs publics et privés a développé dans les années 90 une organisation expérimentale, une coopérative d’entrepreneurs. Cette première expérimentation a été pilotée par Elisabeth Bost qui avait déjà une expérience professionnelle de l’insertion et de la création d’entreprise et était consciente des limites de ces dernières. Dans son livre « Aux entreprenants associés. La coopérative d’activités et d’emploi. » (Bost, 2011), elle explique ses choix lors de la création de la première CAE. Contrairement à certains de ses partenaires, elle voulait soutenir des personnes aux profils différents et réunir une diversité de projets, sans discrimination au regard de leur statut initial ou des gains futurs possibles. De plus, le choix de la coopérative n’a pas été anodin. Ces organisations de l’économie sociale et solidaire sont en effet guidées par sept principes : adhésion volontaire et ouverte à tous, pouvoir démocratique exercé par les membres, participation économique des membres, autonomie et indépendance, éducation, formation et information, coopération entre coopératives et engagement envers la communauté [2]. Les CAE, contrairement aux autres organisations offrant des services d’aide aux entrepreneurs ou d’insertion par le travail, proposent ainsi à leurs membres de participer à la gouvernance de la coopérative en devenant coopérateurs.
21Le parcours proposé aux membres de CAE est composé de trois étapes. Les nouveaux arrivants signent tout d’abord une convention ou contrat d’appui au projet d’entreprise, qui leur permet de conserver leur statut précédent et leurs droits tout en développant leur projet via la participation à des ateliers et réunions. Les entrepreneurs démarchent leurs clientèles avec leurs propres services et/ou produits et sous leurs propres marques. Les premières prestations ou ventes de produits entrainent la signature d’un contrat d’entrepreneur salarié. Le chiffre d’affaires généré par l’entrepreneur est ensuite transformé en salaire par l’équipe support de la coopérative (comptabilité, accompagnement, etc.). Dans un troisième temps, les entrepreneurs-salariés, tout comme les membres de l’équipe d’appui, peuvent devenir coopérateurs et prendre part à la gouvernance de la coopérative. Ainsi la CAE réunit des entrepreneurs aux compétences diverses qui travaillent de manière autonome mais au sein d’une entreprise leur offrant des services administratifs mutualisés. Les entrepreneurs sont responsables de leur activité, ils financent leur salaire et protection sociale avec leur propre chiffre d’affaires. Une part de celui-ci (en moyenne 10 %) est utilisée pour financer les services mutualisés. Enfin, la coopérative, qui offre des services d’intérêt général en apportant conseils et aide à toutes personnes avec un projet entrepreneurial, bénéficie également de financements publics (fonds européens, fonds régionaux, etc.).
22Les CAE reposent donc sur trois logiques institutionnelles : la logique entrepreneuriale s’articulant autour de l’institution pivot qu’est le marché ; la logique salariale construite autour de l’Etat-providence [3] ; et la logique coopérative bâtie sur les fondements de l’économie sociale et solidaire. Nous inspirant des travaux de Friedland and Alford (1991) et de Thornton, Ocasio, and Lounsbury (2012) nous décomposons les logiques institutionnelles en éléments symboliques et matériels (cf. tableau 1). Les pratiques entrepreneuriales sont légitimées par le besoin d’autonomie et s’incarnent par la contractualisation. Le salariat puise sa légitimité dans le besoin de protection qui est garanti par le droit du travail. La coopération est pour sa part légitimée par le besoin de faire partie d’un collectif et est opérationnalisée par les organisations de l’économie sociale.
Logiques institutionnelles hybridées par les CAE
Eléments constitutifs des logiques institutionnelles | Entrepreneuriat | Salariat | Coopération |
---|---|---|---|
Institution centrale | Marché | Etat providence | ESS |
Construction symbolique (sens – source de légitimité) | Besoin d’autonomie | Besoin de protection | Besoin de collectif |
Pratiques matérielles - Structures | Contrat | Droit du travail | OESS |
Logiques institutionnelles hybridées par les CAE
23La CAE mêle ainsi la logique entrepreneuriale de ses membres, recherchant des opportunités professionnelles et développant de manière indépendante leurs activités ; la logique salariale sous-tendue par l’Etat-providence, en utilisant des fonds publics afin de proposer un accès libre et gratuit aux entrepreneurs, et permettant à ses membres d’accéder à la protection sociale nationale via le statut de salarié ; et la logique coopérative à travers la mutualisation des ressources telles que les services administratifs et les locaux.
24Les CAE en rassemblant des membres de professions différentes [4] offrent une dimension innovante supplémentaire par rapport à la logique coopérative « classique », mais réduisent la part de la logique professionnelle.
3.2 – CAE en voie d’institutionnalisation
25Si les CAE et l’entrepreneuriat-salarié-coopératif ne sont pas aujourd’hui totalement entrés dans les mœurs, leur diffusion et leur légitimité en font des organisations hybrides en voie d’institutionnalisation selon les critères de Colyvas and Jonsson (2011).
26Face aux limites des formes de travail présentées précédemment, les CAE se sont rapidement diffusées sur l’ensemble du territoire. Bien qu’il soit encore difficile d’avoir des chiffres fiables, la Confédération Générale des Scop estimait qu’il existait en 2016 200 établissements de CAE en France, qui réunissent environ 10000 membres dont 7000 entrepreneurs-salariés et 3000 personnes sous contrat d’accompagnement générant un chiffre d’affaires global d’environ 150 millions d’euros.
27Cette diffusion s’est faite durant 20 ans dans le cadre d’un droit à l’expérimentation car ce n’est qu’en 2014 avec le vote de la loi relative à l’économie sociale et solidaire que les CAE ont obtenu un cadre juridique spécifique. Cette reconnaissance légale qui participe grandement à la légitimité des CAE, n’en fait pas de facto une forme d’organisation du travail largement reconnue. Les CAE ont encore à fournir beaucoup d’efforts pour être pleinement institutionnalisées. Cette institutionnalisation représente en quelque sorte une étape finale de stabilisation dans le cycle de vie de l’organisation hybride (Bouchard, Evers, & Fraisse, 2015). Ce qui est perçu pour beaucoup comme une consécration semble représenter pour d’autres une sorte de piège. Coopaname s’est en effet montrée très critique à l’égard de cette loi et méfiante quant à ses possibles retombées. Sa plus grande crainte : voir de nouveaux acteurs du secteur privé lucratif émerger et profiter du nouveau cadre juridique pour développer un nouveau marché comme l’illustrent les verbatim suivants :
« Ce qui pose problème derrière c’est peut-être la logique actuelle de ce qu’on va appeler l’entrepreneuriat social à la française. Parce que dans d’autres pays ça veut dire autre chose. Mais l’entrepreneuriat social à la française qui consiste à dire, ben, comment le social devient un marché et comment on va créer là-dedans des start-up, des success-story […] ».
« Je crois que le risque voilà, il est là, c’est qu’on voit s’engouffrer de nouveaux acteurs, non pas tant sur de la coopération d’activité et d’emploi, même peut-être qu’ils n’utiliseront pas ce cadre juridique là, mais de manière générale des acteurs qui seront à même d’offrir dans une logique de marché, un service à tous ces gens qui sont dans les zones grises de l’emploi ».
30La coopérative a ainsi développé une stratégie de distanciation par rapport à l’institutionnalisation afin de poursuivre le mouvement d’expérimentation.
3.3 – A la poursuite de l’expérimentation
31Au regard des travaux sur les organisations hybrides, la coopérative aurait dû profiter de l’institutionnalisation de sa forme hybride pour se développer. C’est pourtant une tout autre trajectoire qu’a adoptée la coopérative qui a choisi de déconstruire son cadre hybride en voie d’institutionnalisation afin de poursuivre un mouvement d’expérimentation.
3.4 – L’ambivalence comme outil de déconstruction de la forme hybride
32Coopaname a été fondée en 2003 à Paris par Elisabeth Bost qui a développé la première CAE et a dirigé le premier réseau de CAE. A cette époque, il existait déjà une vingtaine de CAE, cependant dans un pays centralisé comme la France, la création d’une CAE dans la capitale était indispensable pour pouvoir attirer l’attention des pouvoirs publics et des médias. Coopaname, pensée comme une vitrine pour les CAE, a donc une place particulière dans le champ des CAE. En ce sens, l’analyse de la stratégie de Coopaname ne résume pas la stratégie des CAE françaises car chacune est unique.
33L’analyse de nos données a révélé que Coopaname avait adopté une relation ambivalente avec les diverses logiques la composant. A la suite de Ashforth, Rogers, Pratt, and Pradies (2014) nous définissons l’ambivalence comme « des orientations simultanément positive et négative à l’encontre d’un objet » (ibid., p.1455). Les chercheurs néo-institutionnalistes n’emploient habituellement pas ce concept originaire de la psychologie lui préférant ceux d’ambiguïté (van Dijk, Berends, Jelinek, Romme, & Weggeman, 2011) ou d’incohérence (Kraatz & Block, 2008). Le concept d’ambivalence apparaît cependant plus adapté au cas présent, car il intègre la réflexivité des acteurs, leur « capacité à voir et réfléchir sur des systèmes de sens institutionnalisés et contradictoires » (Greenwood, Raynard, Kodeih, Micelotta, & Lounsbury, 2011, p.241). Alors que l’hybridité consiste à assembler les différentes logiques, l’ambivalence permet à Coopaname de souligner les tensions présentes dans chacune des logiques et par conséquent à déconstruire l’hybridité.
34Au-delà des tensions entre les logiques qui pourraient être surmontées, comme présenté dans la littérature, par des efforts organisationnels et managériaux, la coopérative met en lumière un niveau de complexité supplémentaire à l’intérieur même des logiques comme illustré ci-dessous.
Salariat
35Coopaname tient un discours de défense du droit du travail et des mécanismes de protection sociale nationale et utilise le salariat pour la sécurité qu’il procure aux travailleurs. Mais, elle souligne les lacunes et le manque de flexibilité du cadre salarial et propose à ses membres des mécanismes de solidarité à l’échelle de la coopérative. Elle critique aussi le lien de subordination propre au salariat. Bête noire de Coopaname, les membres de la coopérative sont encouragés à débattre du sujet. La CAE met donc en lumière la tension entre une approche protectrice et une approche aliénante du salariat comme ces verbatim l’illustrent :
« Je l’ai toujours dit mais il ne fallait pas réglementer le statut d’entrepreneur-salarié, moi je pense que c’est une brèche qu’on a ouvert dans le droit du travail qui est extrêmement dangereuse [en souriant] C’est moi qui dis ça mais, mais nous on le fait. [rire] ».
« Les coopératives ouvrières au milieu du 19 siècle se sont construites sur la revendication de l’abolition du salariat […] A Coopaname, nous nous inscrivons dans cette histoire et cherchons à dépasser un type de rapport au travail aliénant […] En attendant cette évolution que nous appelons de nos vœux – et de manière paradoxale – nous nous inscrivons pleinement dans le salariat, qui demeure le seul cadre où l’on puisse trouver des protections sociales […] ».
« Session de formation intitulée : Les Coopanamiens sont-ils des salariés ?
1. Oui, pour le rattachement au régime de la sécurité sociale
2. Non, ce sont surtout des personnes en phase de devenir coopérateurs
3. Est-ce que l’un des projets de la coopérative n’est pas de porter une parole sur le lien de subordination ? »
Entrepreneuriat
39La logique entrepreneuriale, caractérisée par l’autonomie et la prise de risque, s’est largement diffusée dans la société française. Coopaname reconnait ce besoin d’autonomie des personnes et entend répondre à cette aspiration en accompagnant la fluidité des parcours professionnels. Ses membres proposent leurs services et produits sous leurs propres marques et leurs salaires dépendent du chiffre d’affaires qu’ils réalisent. Dans le même temps, la coopérative oppose une vive critique au mythe du « tous entrepreneurs » qui s’incarne notamment par la promotion de l’auto-entrepreneuriat. Si ce statut facilite les procédures (démarches administratives simplifiées, avantages fiscaux, etc.) il ne permet pas aux nouveaux entrepreneurs d’acquérir les compétences nécessaires à la démarche entrepreneuriale et ne les protège pas contre la solitude. Les extraits ci-dessous illustrent la relation ambivalente de la coopérative à l’entrepreneuriat.
« […] c’est un discours qui a été porté très fort sur la création d’entreprise, la réussite individuelle, le bling-bling. Derrière il y a aussi toute cette culture-là. Voilà, comment est-ce qu’on allait aussi démonter un peu… en fait c’est dans ces univers là que la pensée dominante elle a un impact très important. Et du coup sur une vision de l’économie qui est une vision très marchande […] ».
« Rendre possible la multi-activité. S’il y a une vraie satisfaction à se donner les moyens de faire avancer son art et à « bien travailler », pourquoi s’enfermer dans une seule pratique ? […] Voilà une idée que nous défendons à Coopaname : permettre à qui le souhaite et en a les capacités de gagner sa vie à la fois avec, pourquoi pas, de l’écriture, de l’électronique et des balades en âne ».
« Dans la coopérative d’activités et d’emploi, chacun se rémunère individuellement à hauteur de ce qu’autorise le volume d’affaires qu’il génère. A première vue donc, il s’agit là d’un modèle coopératif très égoïste ! Cependant, les mécanismes coopératifs sont bels et bien présents : le résultat de fin d’exercice, issu de l’agrégation de l’ensemble des résultats déficitaires ou bénéficiaires de chacune des activités, est bien un résultat « collectivisé » qui alimente les réserves impartageables de la coopérative ainsi que le fond à partir duquel sera versée la participation à l’ensemble des salariés, que leurs activités propres aient été bénéficiaires ou déficitaires ».
Coopération
43De par son statut coopératif, Coopaname fait partie de l’ESS et s’appuie largement sur ses principes. Elle promeut une culture coopérative à travers de nombreux instruments tels que des sessions de formations sur l’histoire des coopératives ou des universités annuelles où l’ensemble des membres de la coopérative est amené à débattre du projet collectif. Cependant, la CAE se montre très critique envers cette famille organisationnelle car bien que l’ESS soit parvenue à faire reconnaitre son poids économique, elle ne parvient pas à représenter un mouvement politique unifié. Ainsi en plein débat parlementaire sur la loi ESS, Coopaname co-signait une virulente tribune dans Le Monde [5] appelant à substituer à l’économie sociale des « bonnes causes » une économie sociale « de combat ». Selon Coopaname, l’instrumentalisation de l’économie sociale par les pouvoirs publics pour créer des emplois et encourager l’entrepreneuriat a séparé les dimensions matérielles (organisations et pratiques) des dimensions symboliques (mythe de l’émancipation à travers la fin des relations de subordination) de l’ESS. C’est ce constat qui amène la coopérative à développer des pratiques et outils (groupe de travail, rapport de situation comparée, désignation des représentants par tirage au sort) pour essayer de mettre en cohérence ces deux dimensions.
« Nous faisons l’hypothèse que les CAE, en cherchant les voies d’une réponse de l’économie sociale à l’atomisation des parcours professionnels, posent un questionnement de même ordre que celui des groupements ouvriers du milieu du XIXe siècle. Les pratiques qu’elles élaborent conduisent de la même manière à inventer une forme juridique qui emprunte autant à l’association qu’à la mutuelle ou à la coopérative de production ».
« Il est temps de dire adieu à l’ESS en tant que rassemblement hétéroclite “d’entreprises sympas”, pour faire vivre un projet politique porté bien au-delà de nos organisations par toutes celles et ceux qui veulent changer de société ».
« Je crois que le mois le plus chargé c’est fin novembre et décembre. Novembre parce qu’il y a le mois de l’ESS, donc on est sur plein d’événements tout le temps. ».
A travers ces différentes ambivalences la coopérative souligne les fragilités des logiques institutionnelles qui la constituent. Il en résulte une déconstruction de sa forme hybride puisque ses bases se montrent caduques. Forme hybride qui est par ailleurs en voie d’institutionnalisation via la loi ESS et les efforts de promotion des réseaux de coopératives. En déconstruisant sa forme hybride actuelle Coopaname souligne la nécessité de poursuivre l’expérimentation afin de développer une forme d’organisation du travail alternative viable et plus satisfaisante.« La représentation institutionnelle du mouvement coopératif fait que, tu ne peux pas changer ça. C’est impossible. La structure même des fédérations d’entreprises fait que tu ne peux pas fédérer politiquement. Tu fédères techniquement, juridiquement. ».
Redéfinition d u débat : de la création d’emploi à la transformation du travail
44La coopérative assoit sa poursuite de l’expérimentation en redéfinissant les fondements discursifs des CAE. Le débat est ainsi déplacé. D’une focalisation sur l’emploi et le chômage, la coopérative a basculé vers la transformation du travail et les « zones grises de l’emploi » comprenant l’ensemble des formes de travail précaires (travail indépendant, contrat à durée déterminée, emploi à temps partiel, etc.). Cette redéfinition déplace le débat vers un niveau plus abstrait. La coopérative se prémunit ainsi, en partie au moins, de certaines critiques concernant son efficacité à créer des emplois, car ce n’est pas son but affiché. Cette redéfinition fait partie d’un processus plus large de construction symbolique qui donne sens à la poursuite de l’expérimentation (Nigam & Ocasio, 2010).
« Les coopératives d’activité et d’emploi sont nées d’une culture entrepreneuriale […] Et finalement nous on a été les premiers à dire, en gros, les entrepreneurs on s’en fout. C’est à dire que les gens qui viennent à nous, sont dans une démarche qui consiste à se mettre à leur compte, ils ne se vivent pas comme entrepreneurs. Ce sont avant tout des gens qui ont envie d’avoir un rapport différent à leur travail et donc la question n’est pas celle de l’entrepreneuriat, elle est celle du rapport au travail. ».
3.5 – Renforcement des racines coopératives
46Alors que les CAE reposent de manière équivalente sur les trois logiques institutionnelles, Coopaname repose prioritairement sur la logique coopérative et subordonne les deux autres logiques (salariales et entrepreneuriales) à cette dernière.
47Comme souligné dans la section précédente, la coopérative s’appuie fortement sur les principes coopératifs et s’évertue à renforcer ses racines coopératives. Nous avons identifié que Coopaname mettait en particulier l’accent sur le cinquième principe coopératif d’éducation, formation et information. La coopérative a en effet développé de nombreuses pratiques et outils afin de diffuser l’information, d’offrir des formations à ses membres, de leur permettre de s’exprimer et de prendre part aux débats qui animent la coopérative.
48Selon la nouvelle logique en construction, la sécurité, aujourd’hui offerte par l’Etat-providence devrait à termes être atteinte, au moins en partie, par la coopération, le salariat n’étant qu’une pratique temporaire. De même, l’autonomie des entrepreneurs est soumise à la responsabilité par rapport au collectif. Les membres de la coopérative peuvent développer leurs propres projets, mais ils doivent suivre les règles collectives afin de ne pas mettre en danger la coopérative. De plus, alors que le statut d’entrepreneur-salarié n’a été reconnu par la loi qu’en 2014, certains membres de Coopaname appellent à la création d’un statut spécifique pour les coopérateurs.
« La troisième étape pour Coopaname : dépasser cette idée de lien de subordination - réécrire le contrat de travail et le contrat d’accompagnement afin de les mettre en cohérence avec la situation existante, plus complexe que la simple dichotomie subordination/non subordination. ».
« Et puis on a aussi tout un travail […] un nouveau modèle économique. Avec notamment, on l’a décidé sur le principe, d’une nouvelle cotisation qui peut être aussi une nouvelle façon de valoriser l’engagement et développer le marché interne. […] quelque chose qui serait, par exemple pour quelqu’un qui s’investit en rien, qui reste dans son coin, qui n’a pas d’échange avec les autres, ben il paierait l’impôt, la nouvelle cotisation. Et puis, plus tu t’investis, plus tu fais marcher les collègues, tu leur vends, tu achètes tes trucs en interne, etc. moins il cotise. Et ça irait jusqu’à zéro euro de cotisation supplémentaire. C’est pour ça que je dis que c’est aussi un moyen de valoriser l’engagement. »
Partenariats et expérimentation de niveau intermédiaire
51Ces dernières années, après avoir essuyé des critiques sur sa position dominante, Coopaname a noué des partenariats avec d’autres coopératives, mais aussi avec des associations et universités afin de poursuivre l’expérimentation autour du travail et des parcours professionnels à une plus large échelle.
52Deux projets catalysent les énergies : le premier s’appelle la Manufacture coopérative ; son objectif est de développer de nouvelles formes de soutien aux petits groupes d’entrepreneurs. La coopérative s’est développée en proposant un accompagnement aux entrepreneurs individuels mais au regard du nombre croissant de groupes réclamant de l’appui, la coopérative a choisi de développer des outils appropriés à l’accompagnement de tels projets. Coopaname travaille donc actuellement en partenariat avec d’autres CAE et un laboratoire de recherche universitaire au développement de nouvelles pratiques et de nouveaux outils adaptés aux besoins spécifiques de ces petits groupes d’entrepreneurs.
53Le second projet majeur de Coopaname s’appelle Bigre ! Son but est de développer les services actuellement proposés afin d’accompagner et de sécuriser les parcours professionnels des personnes se situant dans les « zones grises de l’emploi ». Coopaname et ses partenaires ont ainsi adopté une stratégie que nous qualifions à la suite de Westley, Antadze, Riddell, Robinson, and Geobey (2014) de changement d’échelle (« scaling-up ») en contraste avec les stratégies de diffusion (« scaling-out »). Bien que ces projets ne soient encore qu’à leurs prémisses la force de cette stratégie réside dans son niveau d’action intermédiaire (Sainsaulieu, 2001). Située entre les demandes pressantes des individus et les politiques nationales, l’action de Coopaname et de ses partenaires gagne en légitimité.
« Cette aspiration démocratique – car c’en est une – est déjà mise en pratique dans des centaines d’expériences et d’entreprises coopératives, collaboratives, autogérées qui fleurissent sur tout le territoire depuis une dizaine d’années. Localement, ces initiatives sont reconnues, soutenues. Mais il leur faut encore faire mouvement et se revendiquer en vrai projet politique de transformation sociale.
C’est la voie empruntée par une dizaine de coopératives de production, engagées dans la construction commune de Bigre !, une « mutuelle de travail associé » qui rassemble déjà plusieurs milliers de membres. ».
Conclusion
55Le cas de Coopaname nous a permis d’identifier comment une organisation pouvait s’émanciper de l’hybridité afin de poursuivre sa dynamique expérimentale. Cette stratégie comprend deux sous-processus : la coopérative a développé des relations ambivalentes avec ses logiques institutionnelles constitutives afin de déconstruire le cadre hybride en voie d’institutionnalisation, puis a redéfini le socle discursif sur lequel reposait les CAE afin d’assoir son mouvement d’expérimentation. D’un point de vue pratique, la coopérative a renforcé ses racines coopératives en développant de nouvelles pratiques et outils. Enfin, en nouant de nombreux partenariats la coopérative expérimente à un niveau intermédiaire entre les régulations nationales et les nouvelles attentes des citoyens. Cette stratégie rencontre toutefois quelques défis. Bien que les relations ambivalentes avec les logiques institutionnelles puissent renforcer la réflexivité des membres de la coopérative, celle-ci peut paraître incohérente vue de l’extérieur (Ashforth et al., 2014). D’autre part, déplacer le débat à un niveau plus abstrait peut renforcer le mouvement d’expérimentation et le protéger de certaines critiques, mais cela peut aussi créer de la frustration si le modèle économique n’évolue pas aussi vite que le projet politique.
Apports pour les recherches sur les organisations hybrides
56Alors que les chercheurs néo-institutionnalistes se sont principalement intéressés à la naissance des organisations hybrides (Smets & Jarzabkowski, 2013) ou au maintien de l’hybridité dans le temps (Battilana & Lee, 2014 ; Pache & Santos, 2010) cet article identifie une nouvelle évolution possible des organisations hybrides. De plus, cette recherche répond au récent appel de chercheurs comme Battilana and Lee (2014) afin de mieux comprendre le cycle de vie des organisations hybrides et notamment l’influence des nouveaux cadres juridiques propres à ces formes organisationnelles. Le cas des CAE permet en effet de voir que l’institutionnalisation n’est pas recherchée par toutes les organisations hybrides et peut même être perçue comme une menace plus qu’une garantie de développement. L’équilibre entre institutionnalisation et expérimentation semble ici s’opérer à l’échelle du champ avec d’une part des acteurs dédiés à chacun des mouvements (les réseaux institutionnels œuvrant davantage pour l’institutionnalisation, alors que les réseaux plus informels poursuivent l’expérimentation). Deux mouvements qui s’avèrent finalement être plus complémentaires que contradictoires.
Apports pour les recherches et pratiques coopératives
57L’un des débats centraux pour les chercheurs et les praticiens de la coopération, et plus largement de l’ESS, concerne le maintien du projet coopératif et la façon d’échapper au « cycle de la dégénérescence » (Cornforth, 1995). Ce cycle qui mène progressivement les organisations de l’ESS à adopter les outils et pratiques managériales des entreprises à but lucratif, les amenant en fin de cycle à oublier le projet initial d’émancipation (Draperi, 2012). Dans cet article nous montrons que Coopaname s’appuie fortement sur les principes coopératifs et plus particulièrement sur deux d’entre eux : le cinquième principe d’éducation, formation et information et le sixième principe de coopération entre coopératives. La coopérative entretient sa gouvernance démocratique en s’appuyant sur le premier et étend son expérimentation grâce au second. Alors que les recherches sur la coopération se sont principalement focalisées sur la gouvernance et la structure financière des coopératives, le cas de Coopaname met en lumière l’importance d’autres principes (information, formation et inter-coopération) largement sous-estimés, qui semblent pourtant permettre de briser le « cycle de la dégénérescence ».
Limites et pistes de recherches futures
58Dans cette étude nous avons identifié plusieurs processus qui pourraient faire l’objet d’investigations approfondies, comme par exemple l’usage de l’ambivalence pour déconstruire une organisation hybride. Au-delà, si l’étude de cas longitudinale permet d’identifier les composantes d’un processus, celle-ci nécessite par la suite de nouvelles recherches via des études de cas encastrées par exemple (Yin, 2003) afin de mieux comprendre l’articulation entre ces processus institutionnels et organisationnels avec les pratiques des membres et leurs identités.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : organisation hybride, coopératives, logiques institutionnelles
Mise en ligne 25/01/2018
https://doi.org/10.3917/maorg.031.0041Notes
-
[1]
L’économie sociale et solidaire (ESS) réunit les associations, coopératives, mutuelles, fondations et entreprises sociales. Ces organisations ont une finalité sociale et répondent à des modes d’organisation et de gestion spécifiques (participation des membres aux prises de décision, part des bénéfices dédiée à la longévité du projet, etc.)
-
[2]
Alliance coopérative internationale (1995)
-
[3]
Il ne s’agit pas ici de l’emploi public mais des ‘symboles culturels et des pratiques matérielles’ (Thornton, Ocasio & Lounsbury, 2012) concernant le travail qui sont diffusés par l’Etat-providence à travers la société.
-
[4]
Si une majorité de CAE dites généralistes accueillent des membres de professions très diverses, certaines CAE sont spécialisées, telles les CAE du bâtiment ou des services à la personne, principalement pour des raisons réglementaires et assurantielles.
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[5]
« Pour une économie sociale et solidaire de combat » E. Antoine et S. Veyer paru le 21 novembre 2013.