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Article de revue

La finance peut-elle être à l’origine d’une dynamique entrepreneuriale innovante ?

Pages 203 à 215

Notes

  • [1]
    Partech Ventures est une firme de capital-risque établie à San Francisco, Paris et Berlin. Etablie en 1982, la société gère un portefeuille de USD 650 millions.
  • [2]
    Bpifrance, filiale de la Caisse de Dépôts, offre des solutions de financement adaptées à chaque étape de la vie de l’entreprise. Elle accompagne les entreprises entre l’amorçage jusqu’à la cotation en bourse, du crédit aux fonds propres
    • Au moyen d’aides aux entreprises dans leurs premiers besoins d’investissement : amorçage, garantie, innovation ;
    • Au moyen de soutien de la croissance des PME : capital-risque et développement, "build-up", cofinancement, garantie ;
    • Au moyen de renforcement des moyennes entreprises dans leur développement et leur internationalisation : capital développement et transmission, cofinancement, crédit export, accompagnement.

Introduction

1Le concept de la finance renvoie à des considérations multiples et variées. Aussi convient-il d’en passer en revue un certain nombre.

2Le concept « finance » sera considéré dans la suite comme étant la mise en rapport entre ceux qui disposent de fonds et qui les investissent et de l’autre côté ceux qui en ont besoin par ce qu’ils ouvrent des possibilités d’investissements au delà de leurs propres moyens.

3Si les premiers peuvent être des banques ou des particuliers, nous comprenons parmi les seconds essentiellement les entrepreneurs, et notamment ceux qui démarrent une activité exigeant des moyens financiers au delà de ce qu’ils peuvent fournir de leurs propres moyens.

4Les motifs qui animent les uns et les autres sont très différents, d’où l’essentiel de la problématique qui consiste dans l’adéquation et l’entente entre ceux qui veulent investir des capitaux et ceux qui créent justement ces opportunités.

5Ceux qui veulent investir recherchent des placements dont la caractéristique correspond grossièrement à un certain arbitrage entre rendement et sécurité et dont les proportions résultent du profil de l’investisseur. Ce dernier peut en effet vouloir obtenir une rémunération élevée et acceptera dès lors des placements à haut degré de risque dont le rendement comprend non seulement les intérêts de base pour un placement sans risque, mais aussi une prime de risque qui sera d’autant plus élevée que le risque sera important. Un autre investisseur peut en revanche avoir une aversion contre le risque, auquel cas il optera pour des placements peu risqués, mais dont les rendements seront moindres.

6Au-delà, ce comportement « risque vs. sécurité » est nuancé par rapport à d’autres variables, telles la durée de l’investissement, la nature, le lieu, le volume.

7Enfin, certains investisseurs recherchent le pouvoir de décision, voire la participation plus ou moins active dans le projet dans lequel ils investissent – on parlera alors des formes d’actionnariat qui peuvent également être nuancées suivant qu’il s’agit d’actions normales ou privilégiées, de warrants, de titres convertibles, d’options, etc., et qui sont susceptibles à leur tour d’être complétées par des clauses statutaires, pactes d’actionnaires et autres conventions et arrangements.

8Si l’on considère que chaque investisseur peut revêtir à lui seul une ou plusieurs formes d’investissement et que son profil ne doit pas être nécessairement le même pour l’intégralité de son investissement, l’on se rend compte de l’énorme diversité de moyens et de possibilités qui peuvent contribuer à assurer l’équilibre entre l’offre et la demande de capitaux les investisseurs d’une part et les entrepreneurs de l’autre.

9C’est ainsi que le marché du « venture capital » connait des succès, notamment aux Etats-Unis où l’offre de capitaux est très bien organisée sous de multiples formes (business-angels, venture-capitalists, institutions, entreprises, banques,) et où les entrepreneurs à leur tour sont prêts à respecter les contraintes et desiderata des bailleurs de fonds.

10En revanche, du côté de la demande de capitaux, le besoin naît du fait du décalage entre la sortie et la rentrée de fonds. L’entrepreneur, pour mettre en place, démarrer et faire fructifier son entreprise ou son projet a besoin dans un premier temps à dépenser des capitaux qu’il espère, par la suite, pouvoir honorer en leur servant une rémunération et en les remboursant pour la partie prêtée.

11Or, comme nous nous plaçons délibérément dans une optique d’innovation, la possibilité pour l’entrepreneur de rémunérer les capitaux mis à disposition, ainsi que leur remboursement sont doublement incertains : par rapport au temps (quand il pourra le faire) et par rapport au risque qui lui-même se décline en probabilité de survenue de l’évènement et par l’ampleur de ses conséquences (gain, voire perte de tout ou partie de l’investissement).

12Cette double incertitude porte évidemment préjudice à l’investisseur à qui s’offrent d’autres opportunités d’investissement, peut-être plus sûres et plus certaines. Pour néanmoins inciter l’investisseur à apporter son capital à l’entrepreneur, il faut que ce dernier rende sa demande plus attractive, ceci pour compenser le risque inhérent à cette dernière. L’attractivité accrue que peut donner l’entrepreneur consiste dans une meilleure rémunération de fonds consentis, que ce soit le taux d’intérêt consenti (prime de risque), la forme de rémunération (participation aux résultats,), le pouvoir d’ingérence dans l’entreprise, le partage du gain en capital résultant de l’augmentation de valeur de l’entreprise ou toute autre forme de rémunération directe ou indirecte.

13Or, dans un contexte de dynamique entrepreneuriale innovante, les choses sont doublement défavorables à l’entrepreneur : D’abord, l’innovation exigera davantage de fonds à investir que ne l’exigerait la poursuite d’une activité traditionnelle adossée à une stratégie de « suiveur » de marché. Ensuite un l’entrepreneur innovant se voit avancer dans des marchés et souvent des techniques/technologiques nouvelles dont il n’est pas sûr et des retours en termes de demande du marché et des retours en termes d’efficience et d’efficacité technique/technologique.

14Dès lors le projet innovant sera grevé d’un double risque commercial et technique dont la charge de l’entrepreneur sera de le rendre malgré tout (ou justement à cause de ceci) attractif dans les yeux de l’investisseur.

1 – La finance comme obstacle a la dynamique entrepreneuriale innovante

15Nombreuses sont les études empiriques qui relatent les problèmes que rencontrent les jeunes entreprises innovantes en matière d’accès à des sources de financement. Que ce soit en France, Allemagne ou tout autre pays en Europe, le problème observé est toujours le même : les entrepreneurs de jeunes entreprises innovantes se plaignent de la difficulté d’obtenir des capitaux à suffisance.

16Qu’il en soit ainsi peut s’expliquer par une approche théorique qui s’articulera autour des axes suivants :

1.1 – La difficile adéquation entre l’attente des financiers et l’offre des entrepreneurs

17Pour qu’il puisse y avoir une transaction entre un financier et un entrepreneur, notamment en matière de financement, il faut qu’il y ait une conclusion sur un certain nombre de termes d’un contrat qui soit satisfaisants pour les deux parties.

18Pour qu’il en soit ainsi, les attentes de l’un doivent rencontrer les besoins de l’autre ; en particulier les besoins du financier en matière de sécurité, les attentes en termes de rendement doivent pouvoir être satisfaits par l’entrepreneur.

19Or, il s’avère en pratique qu’autant les besoins de l’entrepreneur soient grands, autant les attentes spécifiques du financier s’avèrent difficiles à être satisfaites et la mutuelle entente et compréhension sont rendues difficiles, entre autres pour les raisons suivantes :

a – Nature des actifs

20Une entreprise innovante et jeune est caractérisée par la très faible proportion d’actifs tangibles, susceptibles de pouvoir donner lieu à des garanties effectives au prêteur. Plutôt que de posséder des terrains, immeubles et autres éléments de valeur, peut-être encore bilantairement sous-évalués, la jeune entreprise se voit louer ses installations, a recours au leasing et ne possède guère d’éléments d’actifs qu’elle pourrait donner en gage à un prêteur.

21Or, même si l’entreprise avait réalisé des dépenses en R/D qu’elle aurait activées à son bilan, ou qu’elle avait acquis des équipements très spécifiques et spécialisés qu’elle porterait à son actif, le financier ne s’en trouve guère rassuré : il ne pourra pas faire valoir les actifs de R/D en cas de défaillance de l’entreprise, de même aura-t-il du mal à vendre de l’équipement hautement spécialisé dans l’hypothèse d’une défaillance financière de l’entreprise et qu’il se verrait contraint de réaliser ses garanties.

22C’est ainsi qu’une telle entreprise n’a pour ainsi dire d’autres garanties à offrir que son projet et les hommes qui sont motivés et capables de le réaliser à profit.

b – L’actif essentiel de l’entreprise innovante : son projet

23A ce niveau il existe en pratique beaucoup de malentendus et faux espoirs : C’est ainsi que souvent l’enthousiasme de l’entrepreneur et la froideur du financier ont extrêmement du mal à s’entendre et se concilier.

24Ebloui par ce que l’entrepreneur a pu entendre en matière de « success stories » de ses confrères souvent américains pour lever des sommes substantielles, il va penser que son projet d’entreprise vaut au moins autant et s’attend dès lors également à un tel succès financier.

25Or, c’est là que le bât blesse : pour qu’un projet soit en effet de nature à donner lieu à financement, voire à une levée substantielle de fonds exige la réunion de conditions extrêmement favorables et exceptionnelles et dont certaines sont décrites ici :

  • L’innovation projetée confèrera-t-elle ce qui est appelé « pouvoir de marché », et qui est basé sur le potentiel à donner son empreinte dans un marché souvent nouveau et en expansion (ex. : google sur les moteurs de recherche internet,…) ?
  • L’innovation peut-elle sinon intéresser un gros concurrent qui aurait omis de se lancer dans cette voie innovante et qui serait prêt à rattraper ceci par la coopération/rachat de l’entreprise ?
  • L’entreprise saura-telle maîtriser son produit de manière durable et être capable de se défendre contre des concurrents ?
  • Le produit innovant sera-t-il suffisamment différencié de ce qui existe actuellement sur le marché – en sera-t-il la référence ?
  • L’entreprise réunit-elle les compétences de gestion appropriées ?
  • L’entreprise a-t-elle l’ouverture d’esprit et la flexibilité suffisantes pour conclure des accords satisfaisants avec les investisseurs potentiels ?

c – Les contraintes imposées par les investisseurs

26Puisque le financier ne pourra guère obtenir de garanties tangibles, il sera d’autant plus exigeant sur le plan des garanties de gestion. Cela se traduit par sa volonté de se faire rémunérer via une participation aux succès de l’entreprise, plutôt que la rémunération en termes d’intérêts, même si ces derniers sont augmentés d’une substantielle prime de risque.

27Suivant que ces financiers interviennent à un stade plus ou moins avancé de l’entreprise, il est normal que leur profil et manière d’agir soient différents :

28- Au moment de l’incubation/démarrage de la nouvelle entreprise il n’y a évidemment pas de rentrées, au contraire il s’agit d’une phase d’investissement et de préfinancement importante qui est nécessairement financée par le(s) fondateur(s) grâce aux moyens dont ils disposent. Au delà des possibilités des fondateurs, intervient souvent l’entourage familial/d’amis et l’on parle dans ce cas de « love money » ou « FFF Money » (« Friends, Family and Fools money » ou « seed capital ». Suivant le cas, il existe également des concours/subventions/prêts et autres aides publiques pour cette phase.

29- Quelque part dans cette phase, et après épuisement des ressources du « love money », l’entreprise peut envisager le recours à des « Business Angels - BA » agissant seuls ou en groupes généralement. L’avantage ici est que les BA sont susceptibles de mettre leurs compétences, expériences, et réseaux relationnels à disposition de l’entrepreneur et ce au delà de leur dimension financière. Mais, il ne s’agit plus ici d’agir par sympathie. Pour que les BA soient intéressés, il faut que l’entreprise soit vraiment innovante et à potentiel. De plus, les compétences suffisantes doivent être réunies dans l’entreprise, sachant que les BA n’hésiteront pas à aider le management de l’entreprise.

30- Au delà de l’intervention des BA et notamment dans une phase de développement plus loin, l’entreprise naissante est susceptible de recourir au « venture capital – VC » qui consiste pour des investisseurs professionnels, à prendre des participations minoritaires et temporaires dans le capital d’entreprises naissantes ou ayant fait preuve de premiers résultats prometteurs. Cela permet d’améliorer considérablement le financement des entreprises à fort potentiel de croissance en créant des conditions favorables pour l’octroi de prêts bancaires, car l’entrée au capital d’investisseurs constitue un formidable effet de levier non seulement pour accéder au financement bancaire, mais aussi pour gagner en notoriété, par les communiqués de presse que les VC font parfois en cas de financements décidés. Ceci permet indirectement à ce que l’entreprise devienne plus attractive pour le recrutement de talents. Il permet également aux entrepreneurs de profiter de conseils avisés de ces investisseurs, de leur expérience, de leur carnet d’adresses, etc.

31Les principales modalités d’intervention financière des VC sont :

  • Durée entre 3 – 7 ans ;
  • Recours au levier financier (associer toute augmentation de capital à une augmentation plus/moins proportionnelle de l’endettement) ; association éventuellement d’un établissement bancaire à l’opération ;
  • Types de majorités/minorités au capital visées (distributions privilégiées/non, votes,…)
  • Mandats dans la gestion de l’entreprise (CA, choix de l’auditeur,…) ;
  • Sources de financement qui varient entre : participation au capital et endettement subordonné ; recours à des formes de financement hybride, souscription d’actions ordinaires, à dividende prioritaire ou assorties de bons de souscription d’actions, accord d’avances en compte courant d’associé,… ;
  • Prêt subordonné, prêt mezzanine, warrants, stock-options, obligations convertibles, titres mixtes,… ;

32Les prises de participation de VC ont comme principal objectif la réalisation de plus-values réalisées lors de la revente de leur participation.

33En contrepartie, ils risquent donc :

  • De ne jamais pouvoir revendre les actions souscrites ;
  • Ou de tout perdre si l’entreprise disparaît.

34Ceci dit, suivant les modalités financières arrêtées, leur rémunération peut aussi consister en intérêts, dividendes, octroi d’actions gratuites/ou à prix privilégié,…

35Les VC n’ont pas pour vocation à rester éternellement investis dans l’entreprise. Leur intervention est normalement ponctuelle et limitée dans le temps. La sortie peut se faire par : la réduction ou l’amortissement du capital, le remboursement de leur prêt, le rachat des titres par les associés initiaux à un prix convenu, un tour de table : M&A (Fusion – Acquisition), une introduction en bourse (Initial Public Offering - IPO), un rachat financé par endettement (Leveraged buyout - LBO), la cession d’éléments démantelés (Break-up), la revente des titres à un groupe industriel ou financier, ou à un autre VC…

36Les contrats que les VC octroient à leur cibles sont ordinairement assez étoffés et disposent d’un certain nombre de clauses relativement spécifiques dont les principales sont : protection « Anti-dilution », droits de participation, droits de premier refus (First Refusal Rights), droits de contrôle (Control Rights), droits de vote et de contrôle, protections statutaires, instauration de « Milestones » notamment pour rythmer les évaluations des résultats avec évidemment un droit de voter un certain nombre de décisions suivant que ces derniers sont en ligne avec les prévisions ou non.

37Les clauses de sortie (Exit Provisions) ne sont pas moins nombreuses : Tag-Along, Drag-Along, Co-Sale Right, les droits de « sacs à dos » (« Piggy-back » Rights), les clauses « Lock-up » etc.

38Les clauses en relation avec la direction et le personnel dirigeant concernent les actions réservées au personnel sous conditions, l’interdiction de faire concurrence après avoir quitté l’entreprise, ainsi que des interdictions de vente durant un certain temps (golden hand-cuffs).

39L’ensemble de ce qui précède montre à suffisance que l’intervention des financiers est loin d’une intervention philanthropique et que, pour aboutir et réussir, le travail et les concessions à faire sont très importants.

40Mais au-delà, on observe d’autres éléments originaires de dysharmonie entre l’entrepreneur et son financier :

1.2 – Les autres sources d’incompréhension

a – Asymétrie d’information entre l’entrepreneur et ses investisseurs

41Il n’est pas rare de constater qu’entre l’investisseur et l’entrepreneur il existe un écart d’information et de compréhension important et qui est source de conflits voire suspicions. Si l’entrepreneur est souvent issu d’un métier technique/scientifique, il n’en est pas ainsi pour les financiers – leur langage, visions et compréhensions divergent souvent et leur appréciation et jugements sont parfois difficilement conciliables.

42Il en résulte que certains financiers, incapables de juger leur investissement, se réfèrent alors à des cas qu’ils considèrent semblables avec pour effet de généraliser et de passer à côté de l’innovation vraiment géniale. Inutile de souligner que cette incompréhension aura comme conséquence de relever l’attente de rémunération, celle-ci devant inclure le facteur « risque » qui, vu les circonstances est forcément considéré comme élevé. Ainsi, l’entreprise qui est vraiment brillante mais qui n’arrive pas à faire comprendre ses atouts se voit finalement alignée aux autres, moins brillantes et supportera donc au même titre que les autres, un coût de financement plus élevé.

b – Aléa moral

43Le risque d’aléa moral est une autre conséquence de l’imperfection de l’information entre les financiers et l’entreprise.

44L’aléa moral résulte du fait que le management de l’entreprise peut être enclin à agir suivant des intérêts qui ne sont pas forcément identiques à ceux des actionnaires. Certes, ce risque peut être amoindri par suite d’un intéressement du management à la marche de l’entreprise, mais il reste néanmoins que les financiers auront une feuille de route bien différente de celle des dirigeants et qu’un certain volant d’asymétrie d’intérêts reste, quel que soit le montage financier mis en place.

1.3 – L’innovation est-elle pour autant désavantagée par l’offre de financements ?

a – Considérations financières

45L’ensemble des entraves aux bonnes conditions de financement décrites ci-dessus est d’autant plus important que le caractère innovateur de l’entreprise est plus accentué. En effet, la dissymétrie entre l’entrepreneur et son financier, les besoins de financement, le risque, la dimension temporelle, la technicité et la nature des actifs jouent en défaveur de bonnes conditions pour la négociation entre l’entrepreneur et ses financiers et ce d’autant plus que le caractère novateur du projet de l’entreprise est marqué.

46Faut-il craindre pour autant de l’impossibilité de financement de projets innovants ?

47Non – la raison est qu’il faut considérer qu’un projet d’autant plus novateur aura d’autant plus de potentiel à se transformer en un succès commercial et partant, financier. En effet, s’il aboutit, le projet à forte composante innovatrice aura d’autant plus d’avance sur la concurrence pour pouvoir substantiellement conquérir du pouvoir de marché. Une telle circonstance confèrera dès lors à l’entreprise un potentiel de domination du marché que ce soit sur le plan des prix ou sur d’autres plans stratégiques ou commerciaux et qu’elle saura transformer en bénéfices.

48A condition que les contrats qui lient l’entreprise à ses financiers soient biens faits et que les relations entre les 2 soient constructives, les financiers seront associés au succès de l’entreprise et verront leur rémunération s’accroître à hauteur du succès de l’entreprise.

49Or, quel est le financier qui n’aurait pas envie de participer au succès d’une entreprise innovante et brillante – il existe donc forcément une offre de financements pour cette catégorie d’entreprises et l’affirmation comme quoi une entreprise innovante soit désavantagée par rapport à son besoin de financement n’est pas justifiée à condition qu’elle saura expliquer et anticiper avec suffisamment de crédibilité son succès futur aux financiers.

50Par contre, tous les problèmes d’asymétrie et difficultés de compréhension exposés ci-avant s’appliqueront en plein dans son cas : il lui sera dès lors beaucoup plus difficile à transmettre la confiance dans la réussite de son projet à des tiers.

51Une innovation plus forte exigeant généralement de plus importants moyens financiers, cette tâche de mise en confiance se verra encore rendue plus délicate eu égard aux sommes en jeu, que ce soient de plus grands investissements demandés à chaque financier ou que ce soit d’ailleurs un plus grand nombre de financiers qui seront nécessaires pour assurer le financement requis.

b – Observation des récents développements sur la scène mondiale

52Quiconque s’intéresse aux marchés financiers en rapport avec le développement des jeunes entreprises, n’a pas de mal à se rendre compte du formidable engouement que les financiers développent en faveur des jeunes entreprises :

53Ainsi, « Le Monde » du 17 mars 2015 témoigne ceci : « Pinterest, l’application qui permet d’« épingler » des photos sur ses centres d’intérêt, vient de finaliser une nouvelle levée de fonds d’un montant de 367 millions de dollars, faisant passer sa valorisation à 11 milliards de dollars. En mai 2014, lorsque la société californienne créée en 2010, avait bouclé son précédent « tour de table », elle était valorisée à « seulement » 5 milliards de dollars ».

54Ensuite, le même journal, dans son édition du jour d’après : « Une levée de fonds de 530 millions de dollars pour Lyft, de 367 millions pour Pinterest, de 200 millions pour Snapchat,… Quasiment pas une semaine ne passe sans qu’une start-up technologique américaine ne réalise une levée de fonds massive. Dans le même temps, les valorisations s’envolent : au moins 50 sociétés non cotées dépassent désormais la barre du milliard de dollars – elles sont surnommées les « licornes ». Sept ont même franchi les 10 milliards, à l’image du réseau social Pinterest, valorisé 11 milliards de dollars mardi 17 mars. Le numéro un mondial de la musique en ligne Spotify pourrait voir sa valorisation atteindre 8,4 milliards de dollars dans le cadre d’un nouveau tour de table en avril cette année, contre 5 milliards en septembre, affirme vendredi 10 avril le Wall Street Journal.

55Ces deux tendances s’accélèrent depuis un an. L’année 2014 a été une année record en termes de capitaux injectés dans les start-up de la Silicon Valley depuis l’éclatement de la première bulle Internet en 2000. « 2015 devrait être une année tout aussi faste, si ce n’est plus », prédit Anand Sanwal, directeur du cabinet CB Insights ».

56En France, le financement des jeunes pousses innovantes rencontre la faveur du gouvernement : en effet, dans le cadre du plan d’investissement à 315 milliards d’euros, lancé à l’automne 2014 par le président luxembourgeois de la Commission, Jean-Claude Juncker, visant à doper la croissance de la zone euro en relançant les investissements, notamment dans les infrastructures, Paris souhaite que, parmi les quelques 5 milliards d’euros qui doivent être investis directement en capital, la majorité soit consacrée au capital-risque, ce segment qui cible les PME innovantes.

57Dans le même registre, Partech [1] a officialisé, lundi 26 janvier, la levée d’un fonds de 200 millions d’euros destiné à investir dans des start-up réalisant plusieurs dizaines de millions d’euros de chiffre d’affaires et désireuses d’accélérer leur croissance.

58Ainsi, si en Europe quelques 150 start-ups réalisent des levées de fonds dépassant les 10 millions d’euros, il faut néanmoins reconnaître que presque la moitié de ces financements proviennent de firmes de capital-risque américaines.

59Consciente de ce maillon faible dans la chaîne de financement de l’innovation, la banque publique Bpifrance [2] a créé en janvier 2014 sa propre enveloppe (« Large Ventures ») dotée de 500 millions d’euros, afin d’investir en direct des tickets supérieurs à 10 millions d’euros et de favoriser « l’émergence de champions français ».

60En Allemagne il n’est pas inintéressant de voir par exemple comment un secteur comme la Biotech est prisée par les financiers : CurVac, une spinn-off de 2000 de l’Université de Tübingen se voit attribuée cette année USD 53 millions par la Bill & Melinda Gates Foundation, en plus de USD 24 millions d’un autre investisseur.

61Dans l’ensemble, les jeunes sociétés de biotechnologie allemandes ont recueilli l’an dernier € 445 millions par le biais d’introductions en bourse, d’augmentations de capital, capital-risqueurs ou financements publics, dont € 172 millions sont venus des capital-risqueurs. Cela représente une augmentation de 26 % par rapport à l’année précédente !

62Ce tour d’horizon de quelques exemples montre à quel point l’industrie de la finance vient en aide au financement de l’innovation et témoigne de la vitalité des marchés financiers en ce domaine.

2 – La finance, facilitateur d’une dynamique entrepreneuriale innovante

2.1 – Conjoncture de phénomènes actuels en faveur de la disponibilité de moyens financiers

63Il est intéressant de noter qu’en ce moment, un certain nombre de facteurs financiers exceptionnels jouent en faveur d’une plus grande disponibilité de moyens financiers en faveur du financement d’entreprises innovantes naissantes :

a – Rémunération des placements

64Ainsi, la politique spécifique de quantitative easing poursuivie par le BCE entraîne des taux d’intérêts historiquement bas, à tel point que nombreux sont les épargnants, investisseurs, assureurs et autres acteurs qui voient leurs revenus de placements courants réduits à presque zéro. Or, l’anéantissement de tels revenus est insupportable, beaucoup d’acteurs comptent en effet et à juste titre, sur de tels revenus pour assurer leur marche normale. Comme la politique des taux bas risque de perdurer, ces acteurs se voient contraints de s’orienter vers des placements plus risqués.

65C’est ainsi qu’une frange importante de fonds, traditionnellement investis dans des placements sécurisés, s’avancent vers des orientations plus risquées, à la recherche de rendements qu’ils ne sauraient trouver sur leurs formules de placement traditionnelles.

b – Coût de l’argent

66Mais les intérêts historiquement bas ont aussi une deuxième influence, tout aussi favorable au financement de l’innovation : l’argent n’était jamais aussi bon marché, de sorte que pour les entreprises, emprunter peut se faire à très faible coût. Pour la plupart d’elles, il va être possible de faire rapporter leurs investissements davantage que ne leur coûte l’argent qui sert au financement dudit investissement.

67D’où une chance supplémentaire pour les entreprises à bien rémunérer leurs bailleurs de fonds propres et partant, ces derniers seront d’autant plus enclins à venir en aide aux entreprises prometteuses.

c – Opportunités d’investissements

68A cela s’ajoute la révolution que connaît le monde de l’industrie et des services grâce à la pléthore de nouvelles techniques. L’Allemagne vient de lancer son concept « Industrie 4.0 » qui correspond à une nouvelle façon d’organiser les moyens de production avec pour objectif la mise en place d’usines dites « intelligentes » (« smart factories ») capables d’une plus grande adaptabilité dans la production et d’une allocation plus efficace des ressources.

69Ceci devrait à terme ouvrir la voie à une nouvelle révolution industrielle, basée sur l’ « Internet des objets » et les « systèmes cyber-physiques ».

70Or, dans un tel contexte en mutation, les nouvelles entreprises innovantes trouveront un environnement extrêmement propice à leur développement qu’elles sauront mettre à profit.

d – Organisation de l’offre de moyens

71Parallèlement à tous ces phénomènes, il faut noter que l’industrie de capital risque est entre temps bien organisée et capable de drainer d’importants fonds des investisseurs privés et institutionnels vers les demandeurs de financements. Certes, les choses se passent encore plus aisément aux Etats-Unis qu’en Europe, mais ici, nous constatons de substantiels progrès.

72Le nombre de sociétés spécialisées dans le financement à risque s’accroît sans arrêt et les outils de gestion du risque, la maîtrise de l’accompagnement et la sophistication juridico-financière ne cessent de s’améliorer.

e – Formation des demandeurs de fonds

73Enfin, la formation des jeunes entrepreneurs dans la gestion de l’innovation s’accélère, à l’image de la formation de Master en Management de l’innovation - Stratégies d’Innovation et Dynamiques Entrepreneuriales de l’Université du Littoral (Côte d’Opale) à Dunkerque (France).

74Ainsi, de plus en plus de formations spécifiques en matière de gestion de l’innovation sont offertes de sorte qu’à terme, se trouveront sur le marché de travail des jeunes formés pour transformer des projets d’innovations en entreprises à succès.

Conclusion

75La question qui était posée à savoir si la finance peut-elle être à l’origine d’une dynamique entrepreneuriale innovante aboutit à une réponse simple : Non. Ce n’est en effet pas la finance qui est au début de l’innovation, mais l’entrepreneur : les gens les plus riches ne sont pas reconnus les plus innovants, ce sont les plus entreprenants qui émergent qu’ils soient fortunés ou non. Les entrepreneurs emblématiques n’ont pas été les plus nantis ; on aurait presque tendance à dire le contraire. C’est en effet l’obstination à vouloir y arriver, associée à des idées qui font un bon entrepreneur. Or, cet acharnement pour le succès se retrouve souvent le plus développé chez les démunis, les nantis en ont moins besoin, puisque tout leur sourit déjà.

76Ceci dit, la finance joue un rôle de facilitateur du processus d’innovation ; elle permet de gagner du temps par la possible mise en œuvre de moyens les plus appropriés, et contribue ainsi aux chances de succès du projet.

77S’agissant de fonds propres privés, les moyens financiers personnels de l’entrepreneur permettent d’influencer favorablement le facteur risque du financier tiers, ce qui aura pour effet de diminuer le coût du financement et de réduire la dépendance du projet des bailleurs de fonds externes.

78Enfin, l’entrepreneur nanti consacrera moins de temps pour attirer et convaincre les financiers externes : pouvant se concentrer davantage sur son projet, ses chances de succès s’en trouvent d’autant accrues.


Mots-clés éditeurs : entrepreneuriat, investissement, finance

Mise en ligne 01/02/2016

https://doi.org/10.3917/maorg.025.0203

Notes

  • [1]
    Partech Ventures est une firme de capital-risque établie à San Francisco, Paris et Berlin. Etablie en 1982, la société gère un portefeuille de USD 650 millions.
  • [2]
    Bpifrance, filiale de la Caisse de Dépôts, offre des solutions de financement adaptées à chaque étape de la vie de l’entreprise. Elle accompagne les entreprises entre l’amorçage jusqu’à la cotation en bourse, du crédit aux fonds propres
    • Au moyen d’aides aux entreprises dans leurs premiers besoins d’investissement : amorçage, garantie, innovation ;
    • Au moyen de soutien de la croissance des PME : capital-risque et développement, "build-up", cofinancement, garantie ;
    • Au moyen de renforcement des moyennes entreprises dans leur développement et leur internationalisation : capital développement et transmission, cofinancement, crédit export, accompagnement.
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