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Article de revue

La responsabilité des banques dans la crise systémique

Pages 31 à 47

Introduction

1Depuis 2008, nous sommes entrés dans un nouveau tournant de l’histoire ; nous vivons une crise de civilisation qui affecte non seulement l’économie et la finance mais également le social et le politique.

2C’est la faillite, cette année-là, de la quatrième banque américaine, la banque Lehman Brothers qui a été le signe avant-coureur d’un véritable séisme qui ébranla, dans ses fondements-mêmes, le capitalisme, soudainement pris de panique, provoquant des doutes profonds sur son propre avenir. Bien que les crises, dans le système capitalisme, aient un caractère récurrent, il arrive au capitalisme de douter de lui-même et de s’interroger sur l’organisation de la société qu’il engendre. Car de crise en crise, il a cessé de prétendre à l’éternité.

3Et à l’exemple de 1920, c’est à partir du plus grand pays capitaliste du monde, les États-Unis, qu’ont été envoyés à tous les autres pays, des signes d’extrême détresse. François Morin affirme dans son livre : Un monde sans Wall Street, avec un certain pessimisme :

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« La crise que nous vivons est une véritable crise de civilisation, qui se caractérise aussi par le risque d’un épuisement de la planète et d’une extinction du vivant, ce qui signifie une véritable crise de sens ».
(Maurin, 2011)

5Plus personne ne nie la réalité de la crise. Même si certains entretiennent sciemment la confusion sur ses causes profondes et sur le diagnostic de sortie de crise.

6Pour mieux culpabiliser les victimes du chômage et de la misère, la crise aurait un caractère inéluctable et universel, et il serait irréaliste d’en rechercher la responsabilité dans la financiarisation outrancière mondialisée du système capitaliste d’aujourd’hui.

7C’est ce défi qu’il faut, de toute urgence, relever : mettre en accusation la surpuissance d’une finance globalisée, complètement dérégulée et déréglementée, des banques et des marchés financiers dont la croissance ne cesse de croître de façon irrationnelle, une rentabilité actionnariale insensée déconnectée de l’économie réelle, entraînant le développement corrélatif des inégalités sociales et de la spéculation sous toutes ses formes.

8Ce défi à relever comporte également la nécessité de démasquer les responsabilités de l’oligarchie au pouvoir qui domine la finance et l’économie mondialisées. Une oligarchie soutenue par des dirigeants politiques qui se refusent à prendre conscience de la gravité de la crise du système capitaliste et s’emploient à rassurer les citoyens en les anesthésiant pour mieux assurer leur réélection.

9Face à la logique d’accumulation du capital qui bouleverse les équilibres économiques et politiques mondiaux, de nouveaux rapports de force, des contre-pouvoirs sont à mettre en œuvre pour s’émanciper des dominations du capital, en favorisant la réappropriation des forces du travail sur la société afin de faire émerger des formes nouvelles de productions des richesses pour l’humain d’abord, accompagnées de nouvelles manières de les consommer.

10L’aspiration à ces changements révolutionnaires de la société est grande et profonde, même si elle s’exprime confusément. Mais elle ne peut s’imaginer concrètement sans une prise de conscience collective au plus profond du peuple qui insufflerait l’élan du plus grand nombre, vers des horizons nouveaux de démocratie sociale réelle et sans cesse renouvelée.

1 – Crise systémique et machine à fabriquer des inégalités

11Donc, il s’agit là, d’une crise globale, mondiale, profonde affectant toute la société, née aux États-Unis et se propageant en Europe. Une crise dite systémique, plus grave encore que celle qui avait ébranlé le monde en 1920.

12Cette crise est née, de façon fondamentale, de l’accumulation et de la suraccumulation du capital matériel et financier, mondialisé, développant une baisse tendancielle du taux de profit du capital, situation insupportable pour les marchés financiers.

13Mais de cette crise, les hommes au pouvoir comme les dirigeants des grandes banques se refusèrent, et se refusent toujours, à faire la moindre analyse approfondie et à en tirer les conséquences.

14Compte tenu de la gravité des événements, il serait utile pourtant de faire un léger retour en arrière historique, pour bien mesurer l’impact négatif des mutations intervenues, pendant ces deux dernières décennies, dans l’organisation du métier de banquier. Des mutations engagées en accompagnement du développement de la financiarisation des plus grandes sociétés industrielles, en leur fournissant les moyens financiers pour devenir des multinationales, en leur faisant bénéficier de leur expérience propre en tant que banquiers dans ces différents domaines de la finance et de l’international.

15Aujourd’hui, la moitié du commerce mondial est assuré par des entreprises multinationales.

16Dans cette logique irrationnelle de maximalisation des profits et orientée au-delà des frontières, et au détriment du financement national, les banques ont orienté leurs activités vers l’internationalisation des marchés des capitaux où elles s’imaginaient pouvoir trouver des foyers de rentabilité immédiate, sans limites. Mais non sans risques.

17L’envers du décor, c’est qu’avec la crise, cette internationalisation des marchés liés entre eux par leurs interconnexions informatisées, fit que la valeur des actifs boursiers chuta, de place en place, de l’ordre de 50 %, sans que les plus grandes banques, comme Goldman Sach ou la BNP Paribas pâtissent le moins du monde de cet effondrement. Elles accompagnèrent ces destructions d’actifs boursiers et de richesses réelles, refinancées par les États, au seul détriment de leur clientèle et des salariés des entreprises mises en difficulté.

18Les valeurs du CAC 40 dont l’indice boursier s’établissait à 7 000 points avant la crise se trouva brutalement dévalorisé, du jour au lendemain. Et en se rétablissant actuellement à 3 375 64 € (15 février 2012) il n’a pas retrouvé son niveau précédent, enregistrant une perte de près de 52 %. L’indice du CAC 40 se positionne aujourd’hui (19 juillet 2013) à 3 927 79, soit encore à 43,89 % en dessous de son meilleur positionnement d’avant la crise. La destruction de capital, au niveau mondial, a été énorme. Elle a atteint 40 000 milliards de dollars, de richesse nominale, chiffre astronomique !

19Certains ont parlé d’argent en folie et ont, à juste titre, précisé, qu’il était dépourvu de toute rationalité humaine (Jorion, 2009).

20Mais aux causes profondes doivent s’ajouter « le mode de croissance » du capitalisme tenu en échec. Car il reposait sur un surinvestissement financier outrancier et une surproduction de biens et de services, notamment dans l’immobilier et dans l’automobile, entretenus par des montagnes de dettes accompagnées d’une exploitation accrue des salariés pour faire baisser le prix de vente des voitures, par exemple. Quand la demande solvable s’assèche, du fait du recul des salaires par rapport au capital dans le partage de la valeur ajoutée, c’est l’endettement des entreprises et des ménages qui vient le suppléer. Aujourd’hui, le pouvoir d’achat des salariés ne cesse de décroître jusqu’à devenir insupportable pour les intéressés, mais également pour la société tout entière. La machine capitaliste à fabriquer des inégalités s’est accélérée, et, le pouvoir politique de « gauche » en place, l’accompagne au lieu de s’y opposer, frontalement.

21Comme l’exprime François Chesnais (2011, pp. 10-11) dans son livre Les dettes illégitimes :

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« L’autre cause est à chercher dans les politiques de rigueur budgétaire et de réduction salariale suivies dans la zone euro, comme dans la très grande majorité des pays de l’Union européenne… Ces politiques sont menées au nom de la réduction des dépenses publiques posée comme un préalable nécessaire à celle de l’endettement… Parce qu’ils ont fortement réduit l’imposition des revenus du capital et des profits et qu’ils ont autorisé de facto l’évasion fiscale vers les paradis fiscaux, beaucoup de pays se sont en effet lourdement endettés ».

2 – Le chômage bat tous les records

23Le résultat immédiat de ce surendettement et de cette surproduction de biens de consommation, c’est l’explosion du chômage, avec 17 millions de chômeurs en plus pour la zone de l’OCDE et 10 millions de plus pour les États-Unis.

24Pour la France, le nombre de chômeurs ne cesse de croître. Sans que rien ne vienne contrarier cette tendance. Il atteint en 2013 les 5 millions de chômeurs, dépassant ainsi le record historique de 1997.

25Que constatons-nous, aujourd’hui ? Pour reconstituer le capital détruit et pour tenter d’améliorer sans cesse le taux de rentabilité du capital argent, les banques et les compagnies d’assurances, auxiliaires du monde capitaliste mondialisé, ont fait preuve d’une inventivité exceptionnelle. Elles ont créé une véritable ingénierie d’instruments d’investissements financiers spéculatifs, de plus en plus sophistiqués, qui produisent de la crise en cherchant à dominer la société civile pour la parasiter en détruisant toute dimension humaine.

26De plus, ces instruments financiers ont la faculté de circuler de plus en plus vite à la nano seconde, en utilisant toutes les avancées de la révolution technologique de l’informatique avec le trading à haute fréquence.

27C’est dans le domaine du marché de l’immobilier que les américains ont été les plus inventifs en créant un certain nombre de nouveaux outils financiers spéculatifs. Ce sont par exemple ces fameux « subprimes » qui consistaient à faire s’endetter de pauvres gens en leur faisant miroiter l’objectif de leur assurer l’acquisition d’un toit pour leurs familles, mais avec l’objectif réel de nourrir abondamment le marché spéculatif de l’immobilier en croissance folle, par une diffusion massive de ces nouveaux produits financiers rémunérateurs.

28On a trompé des millions d’américains pauvres avec les slogans démagogiques habituels du type : « Devenez propriétaires, devenez capitalistes », « l’american way of life » c’est : « A chaque américain propriétaire de son toit ! ». Mais la contrepartie a été le gonflement des produits financiers spéculatifs rentables pour les banques et les compagnies d’assurances, favorisé par un marché immobilier, à l’époque en croissance irrationnelle donc très spéculatif. Tout cela se mit en place, dans l’aveuglement le plus total et dans l’ignorance de la notion la plus élémentaire du risque. Le risque de la solvabilité de l’acheteur, est, en principe, analysé à la fois, par les banques, par les compagnies d’assurances et par les agences de notation, comme par les Autorités monétaires. Cela fut mis en place, à grande échelle, au détriment du plus grand nombre : les endettés les plus pauvres.

29Les gestionnaires de ces dettes immobilières se défendent, encore aujourd’hui, en affirmant qu’ils s’étaient entourés des meilleures garanties notamment de celles des Agences de notation avec la note AAA, de celles également fournies par les Compagnies d’assurances les plus prestigieuses du monde, à l’abri de tout soupçon, assortis, de plus, de produits d’assurances le CDS (credit default swaps),… que l’on pouvait revendre, titrisés, par paquets, sur tous les marché du monde.

30Ce qui démontre, combien les marchés financiers sont par nature, moutonniers d’une part, mais surtout peu crédibles, et combien c’est être fou que de leur avoir « concédé » le pouvoir sur l’économie mondiale. Combien est irresponsable de leur avoir accordé la moindre crédibilité surtout politique ! Et combien, encore, il relève de la folie furieuse, le fait de se tourner vers eux, comme face à des gourous, pour obtenir de prétendus messages économiques et la vérité révélée sur les évolutions futures conjoncturelles ou non de l’économie !

31C’est cette soumission aux marchés qui a conduit les banques de tous les pays du monde à s’engouffrer méthodiquement dans cette aventure des subprimes mais au-delà dans toutes les formes de la finance américaine la plus sophistiquée et la plus spéculative du monde. C’est avec l’aval des marchés que les banques entraînèrent ensuite, leurs clients, les épargnants et tous les boursicoteurs du monde, à spéculer allègrement sur le logement des mal-logés américains.

32Quand ces crédits furent titrisés, c’est-à-dire rassemblés sous un bel emballage, devenus anonymes, ou affublés de noms les plus exotiques, ils s’avérèrent, quelques temps plus tard, comme des crédits immobiliers pourris, souscrits par des gens insolvables. Mais il était déjà trop tard.

33Les banques se sachant coupables de porter dans leurs bilans des créances incestueuses se suspectèrent entre elles et refusèrent de se refinancer mutuellement, comme il en était l’usage ; provoquant un assèchement rapide et brutal du marché monétaire. Une panne générale de solvabilité bancaire s’installa.

34La vérité éclata aux yeux de tous : nos dépôts avaient été utilisés pour participer à un immense scandale immobilier américain qui aurait dû rapporter gros au passage, en mettant, un jour, des pauvres gens, les plus pauvres, à la rue, sans ménagement. Ils furent de l’ordre de 4,5 millions à être victimes de procédures d’expulsion.

35Le pire, c’est l’irresponsabilité générale, mais peut-être même plus grave, la complicité de l’oligarchie régnante. On n’a jamais demandé de compte aux dirigeants des grandes banques, en France comme en Europe, qui ont réalisé des milliards de pertes. Eux qui s’étaient octroyés des salaires astronomiques, les plus élevés du monde, assortis de bonus et de stock-options en millions d’euros ou de dollars par an.

36Fort de l’activisme du lobby des grandes banques à Bruxelles, ils purent obtenir du Parlement européen la reconduction de ces bonus, pourtant si décriés il y a quelques mois, plafonnés à 200 % de leurs rémunérations principales.

37M. Sarkozy, Président de la République à l’époque, sauva de la faillite toutes les banques françaises et toutes compagnies d’assurances avec nos impôts, sans exiger d’elles la moindre contrepartie. Certaines banques ont remboursé l’État, mais pas toutes, et en particulier pas Dexia qui coûte de l’ordre de plusieurs milliards d’euros euros à la Caisse des dépôts, au budget de la France comme à ceux de la Belgique et du Luxembourg, sans qu’on n’en voie la fin.

38La Cour des comptes vient de rendre un rapport sur Dexia, suggérant à l’État de poursuivre les anciens dirigeants de la banque, dont la chute a déjà coûté 6,6 milliards à l’État

3 – Dette et ajustement structurel

39Pour faire face à l’affolement général des Banques et des Compagnies d’assurances, des Bourses de valeurs, des marchés financiers et des Banques Centrales du monde, les dirigeants du monde, mobilisés sous la conduite des États-Unis, se réunirent en G20 avec les oligarques au pouvoir dans les États pour débattre des meilleurs moyens, c’est à dire à n’importe quel prix, de sauver les banques, pour pallier leurs faillites en chaîne, prévisibles. Des milliards de dollars ou d’euros furent insufflés dans les bilans des banques en quasi-cessation de paiements. L’explosion de la dette des États réside là, dans les emprunts que les États contractèrent alors, dans la précipitation, sur les marchés ; aux États-Unis, on actionna la planche à billets pour sauver les banques !… C’est ainsi, qu’aucune autre banque, hormis Lehman Brothers, en faillite potentielle, n’eut de difficultés avec son État national, à trouver ces milliards pour la renflouer. Le contribuable non consulté n’aurait qu’à payer la note… Les politiques d’austérité se préparaient déjà, visant à ponctionner les plus pauvres pour rembourser la dette des riches.

40Les États, en conséquence, s’endettèrent sur les marchés, sous l’œil vigilant des Agences de notation, les menaçant de déclassements, à des taux relativement bas pour l’Allemagne et la France, et avec des taux usuraires pour la Grèce, le Portugal, l’Espagne et l’Italie.

41Face à l’endettement des États, devenus pour certains excessifs, les gendarmes financiers : le FMI et la Banque mondiale et la Commission Européenne, se crurent obligés d’intervenir et d’obliger (ce fut un véritable chantage économique et politique) à réorienter de façon appropriée la politique macro-économique des États conformément aux intérêts des créditeurs internationaux (Toussaint, 2004).

42Des plans d’ajustement structurel furent mis en place à grande échelle. Le pays qui refusait d’accepter les mesures de politique corrective des technocrates européens et aujourd’hui de la troïka (FMI-BCE-CE) risquait de ne pouvoir recevoir les fonds structurels accordés, quand on concédait à leur en accorder…

4 – Des responsables irresponsables

43Pour appréhender les responsables de la spéculation dans la crise, il faudra tout d’abord distinguer les acteurs qui ont joué un rôle clé dans les dévalorisations d’actifs et le déclenchement de la crise de liquidité.

44Ce sont surtout les grandes banques qui ont pris des risques excessifs déraisonnables et accumulé dans les bilans souvent dissimulées les pertes les plus importantes. Mais, il faut y ajouter le rôle joué par tous ces fonds commun de placement divers et multiples créés par les banques ou les Compagnies d’assurances, les hedge funds et le rôle qu’ils ont joué dans le déclenchement et l’approfondissement de la crise (Morin, 2011).

45Mais la crise n’a pas cessé et continue de se développer, avec ce remède pire que le mal : l’application de politiques d’austérité drastiques décidées contre les peuples par les politiciens ultralibéraux et les oligarchies en place. Le résultat ne se fit pas attendre avec le développement de plus d’inégalités sociales, économiques, culturelles et (sauf pour les millionnaires et les milliardaires dont le nombre, dans le monde, n’a cessé de croître parallèlement au chômage qui atteint des niveaux inégalés dans l’histoire).

46Au lieu de prendre à bras le corps les effets négatifs de cette crise pour les corriger, l’Europe ultralibérale s’est refusée à remettre en cause les dogmes ultralibéraux érigés par l’argent-roi et par les marchés financiers, gérés par une oligarchie financière omniprésente.

47Mais ce se sont à ces dogmes ultralibéraux que se soumet encore la France de François Hollande, alors que les Français avaient voté pour un changement d’orientation en mai 2012 en renvoyant Nicolas Sarkozy à ses chères études.

48Ces dogmes imposés par les technocrates de Bruxelles, (sans débat des Parlements nationaux), fixant arbitrairement le montant du plafond des dettes d’un État à 90 % du PIB (produit intérieur brut) et, de son déficit budgétaire limité à 3 % du PIB, s’avèrent dévastateurs et meurtriers pour l’économie et les hommes, en perpétuant l’austérité et la misère. Ils sont l’expression de la pire des politiques autoritaires de la droite européenne totalement irresponsable ou n’ayant d’autre horizon que le profit égoïste des plus riches sans autre considération humaine.

49Certains économistes du FMI, et bien au-delà aujourd’hui, font valoir que ces dogmes n’ont aucune valeur scientifique. Pire, qu’ils proviendraient d’une erreur de calcul au niveau d’une feuille Excel. On croit rêver ! C’est sur ces critères erronés que raisonnent encore et agissent, en Europe, ces hommes politiques ultralibéraux au pouvoir, imposant des politiques d’austérité, de misère et de chômage à des millions d’européens.

50Le magazine Challenges a évalué que les revenus des 500 plus grandes fortunes de France ont progressé de 25 % en 2012. Ce bond spectaculaire des profits que tirent les patrons les plus riches de la crise, est à rapprocher de la baisse du pouvoir d’achat de 0,9 % des Français à la même date.

5 – Les banques et les compagnies d’assurances aux premières loges

51En sauvant les banques et les compagnies d’assurances par l’endettement mondialisé des États croit-on avoir sauvé le système capitaliste ? Croit-on l’avoir aidé ainsi dans sa recherche quelque peu désespérée de restauration du taux de profit immédiat et maximum du capital ?

52On a fermé les usines même rentables et parfois stratégiques pour le pays. On a délocalisé, sans que l’État ne s’y oppose. On a détruit du capital matériel et humain, supprimé des millions d’emplois qualifiés. Tout cela pour pouvoir continuer à augmenter les dividendes des actionnaires et soutenir le cours en bourse. On a même généralisé le rachat d’action de sa propre société afin de pérenniser la croissance des revenus de l’actionnaire.

53Le capital continue à se concentrer avec des capitaux étrangers dans des sociétés multinationales à base française, en éliminant les sociétés françaises les plus faibles, les petites et moyennes entreprises – PME- (on enregistre 65 000 faillites de PME par an, correspondant à une perte de 250 000 emplois qualifiés) etc… Le capital se réfugie dans des holdings financiers défiscalisés internationaux logés, à l’abri des yeux de tous, dans des paradis fiscaux, débarrassés des salariés et des fiscalités nationales pour restaurer et assurer, sans risques, des taux croissants de rentabilité du capital devenu apatride (Millet, Toussaint, 2012).

54Les banques se sont mises au service de ces énormes masses de capitaux ainsi libérées, qu’elles mettent en mouvement, à des vitesses accélérées, sous les formes les plus diverses, en utilisant toute la batterie des instruments les plus sophistiqués (hedge funds, OPCVM, CDS, equity funds, private equity, Leveraged Buy Out (LBO), stock-options, swaps, titrisation, etc.), à la recherche systématique et spéculative d’une rentabilité toujours croissante et, contradictoirement, toujours en crise. Dans cette période troublée, l’hégémonie des États-Unis a continué à se déployer, omniprésente sur tous les marchés du monde, grâce aux potentiels de consommateurs que représente son marché intérieur, appuyé également, sur l’arme que constitue la création monétaire sans limite, émise par sa Banque centrale (la FED), avec une monnaie démonétisée : le dollar américain, sans jamais oublier la puissance militaire inégalée qu’elle entretient dans le monde entier et qui fait que l’on a raison de parler, à son endroit, de l’hégémonisme américain.

55Le système bancaire s’est servi du pouvoir ambivalent de l’argent enrichissant certains et ruinant le plus grand nombre… Le système bancaire ne reconnaît aucune loi, aucune règle, comme l’illustre bien l’existence de cette construction de shadow banking system, banques de l’ombre. Pesant 67 000 milliards de dollars (estimation du Conseil de stabilité financière (CSF ou FSB en anglais) de novembre 2012), elle a été créée pour échapper aux régulateurs internationaux, dits des accords de Bâle en particulier. Il s’agit de capitaux sortis des bilans des banques pour se dispenser de l’exigence de disposer de 8 % de capitaux propres pour garantir les encours de crédits (ATTAC, 2009).

56Dans le rapport au Sénat d’Éric Bocquet, rapporteur de la Commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, il est intéressant de lire la réponse de M. Ramon Fernandez, directeur Général du Trésor en date du 30 mai 2012, relatif au phénomène du Shadow banking :

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« Le shadow banking system désigne l’ensemble des entités et des activités qui contribuent à la distribution et au refinancement de crédit en dehors du système bancaire. Il comprend donc l’ensemble des acteurs d’une chaîne d’intermédiation alternative au système bancaire :
« Originateurs » non bancaires, véhicules de titrisation, fonds monétaires et crédit hedge funds, ainsi que les activités qui permettent le refinancement des créances (repos/securities lending) ou leur sortie du périmètre prudentiel bancaire ».

58Que le Directeur du Trésor présente cette nouvelle turpitude des banques comme un élément du décor pour échapper aux régulateurs internationaux du système bancaire, et qu’il légitime dans une certaine mesure, constitue une illustration supplémentaire du niveau de laxisme coupable dont sont atteints les plus hauts fonctionnaires de la République, victimes de 20 années d’ultra libéralisme. On aurait pu espérer que le Directeur du Trésor s’adressant aux élus de la nation émette une critique de ces pratiques dangereuses pour l’équilibre général du système bancaire international donc des banques françaises et propose pour la France des mesures de sauvegarde afin de faire rentrer les Banques françaises dans la légalité ou de les empêcher d’en sortir.

59C’est les pouvoirs politiques d’hier et d’aujourd’hui qui sont les responsables des turpitudes du système bancaire au-dessus des lois et des règles, c’est eux qui ont dérégulé et déréglementé tous les échanges et plus particulièrement laissé s’instaurer la circulation accélérée des fonds les plus spéculatifs. Le pouvoir a été transféré à une certaine oligarchie, sans foi ni loi, apatride, qui a alimenté la spéculation sur tous les marchés, faisant surgir les crises les plus aiguës, dans le monde entier et particulièrement chez certains États les plus faibles comme la Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, et Chypre dernièrement… Chacun connaît la responsabilité de Goldman Sachs pour la Grèce, où cette Banque exerçait un pouvoir de conseil auprès des dirigeants politiques pour préparer son admission dans les institutions de l’Europe, y compris en manipulant certains chiffres… et la conduisant in fine à la catastrophe.

60C’est le traité de Constitution européenne, refusé par référendum à 55 % par le peuple français et à 61 % par les Pays Bas, qui a créé la Banque Centrale Européenne, indépendante des Autorités politiques de l’Europe comme des États européens, qui prête aux Banques de 0 à 1 % sans limite et qui refuse de prêter aux États européens ou en leur imposant des critères de gestion économique et politique visant l’austérité à vie comme en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Italie ou à Chypre.

61La technocratie bancaire et l’oligarchie financière européennes au pouvoir ont vite compris l’avantage qu’ils pouvaient tirer de cette indépendance de la Banque Centrale Européenne pour soumettre les peuples aux lois du marché.

62L’indépendance de la BCE a été le moyen de la soustraire à l’autorité politique de l’Europe, avec l’objectif de mieux asseoir ainsi la dictature des marchés financiers et des Agences de notation sur la zone euro et sur les nations européennes. En privilégiant l’autorité de l’Allemagne sur la BCE, l’État économique le plus puissant de la zone, la BCE a endossé les objectifs du capital allemand le plus réactionnaire et dominateur, c’est-à-dire les partisans d’une inflation zéro sans se soucier du chômage, privilégiant l’euro fort, favorable aux rentiers et au grand patronat.

63La BCE indépendante a été le moyen de retirer aux Parlements des prérogatives institutionnelles comme celle de voter le budget de la nation en toute indépendance, par des transferts de souveraineté qui imposent son réexamen devant des techniciens européens, véritables censeurs de la politique votée par les élus de la nation.

64La crise de la zone euro est l’illustration de ce recul de la démocratie en Europe en imposant de prétendues réformes, visant de soi-disant mesures de contrôle avec de fausses régulations, donnant toujours plus de pouvoirs à l’instance indépendante et antidémocratique de la BCE.

65C’est le contraire qui aurait dû être fait : mettre la BCE, et toutes les Banques Centrales des États européens, sous tutelle et sous contrôle politique de leurs Parlements respectifs et des élus de l’Assemblée européenne afin de promouvoir en Europe une harmonisation fiscale et sociale avec un salaire minimum garanti européen (encore inexistant en Allemagne). Il eût fallu construire au sein de toutes ces institutions européennes et d’État une réelle démocratisation les libérant des pouvoirs de l’argent et des interventions des nombreux lobbies installés à Bruxelles.

66L’ultralibéralisme européen, qui domine aujourd’hui l’Europe, a déjà fait assez de mal aux peuples de ce continent avec ses politiques d’austérité et de chômage qu’il a directement mis en œuvre, sans se soucier des peuples concernés, ni des Parlements dans toute l’Europe du Sud.

6 – L’affaire Cahuzac et la fraude fiscale institutionnalisée

67L’affaire Cahuzac a mis en lumière le scandale que constitue ce système libéral avec ses paradis fiscaux, ses délits d’initiés entretenus par les banques, tolérés par les technocrates européens, pour qu’elles puissent appréhender ce marché énorme de l’optimisation fiscale. Euphémisme pour désigner de façon soft, l’évasion fiscale, c’est-à dire la fraude fiscale, passible de prison et d’amendes, au service de leurs clients les plus riches.

68Certains hypocrites ont fait la fine bouche, à l’évocation de ce crime organisé des paradis fiscaux, qui existent depuis toujours, semblant découvrir ce scandale toléré, organisé à partir de la France même, avec la complicité de certains pays d’Europe tout proches comme le Luxembourg, dont le premier ministre joue depuis de nombreuses années un rôle très important au niveau des instances financières européennes. Mais ces paradis fiscaux sont présents à notre porte. Ils ont pour noms, la Suisse, l’Autriche, Monaco, les Iles Caïman, les iles anglaises Jersey et Guernesey sans oublier beaucoup plus loin Singapour etc… La BNP Paribas avait 198 filiales dans ces paradis fiscaux pour permettre à ses clients millionnaires et milliardaires de frauder le fisc (Harel, 2012).

69Toutes les banques françaises sont implantées dans ces territoires offshores. Mais prenons le cas de la BNP Paribas, la première banque européenne, dont l’ancien président Michel Pebereau, ancien professeur à Sciences Po, était également un conseiller très proche de Nicolas Sarkozy. Il avait eu à répondre à des questions de journalistes un peu curieux : comment expliquer que la BNP Paribas avait 21 filiales aux Iles Caïman, 27 au Luxembourg, 17 à Hong Kong 77 au Royaume Uni et 3 à Jersey ? Comment expliquer que BNP Paribas avait besoin de trois fois plus de filiales dans les paradis fiscaux que la Société Générale qui ne peut se vanter d’être plus vertueuse ?

70Auditionné par la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale le 3 octobre 2009, le directeur général de l’époque de la BNP Paribas, M. Baudoin Prot, devenu depuis Président, ne se déroba pas et déclara : « Quant à la question des paradis fiscaux, elle n’a jamais été abordée par les pouvoirs publics ».

71Mais cette affaire Cahuzac a fait rebondir, sur la place publique, ce problème scandaleux de l’évasion fiscale par le truchement des paradis fiscaux entretenus par les banques. L’UBS, la très grande banque suisse a reconnu ses malversations et accepté de payer une amende de 780 millions de dollars au fisc américain et de transmettre l’identité de 4.450 clients américains soupçonnés d’avoir fraudé le fisc de leur pays. La presse spécialisée parla pour cette banque suisse d’une lente descente aux enfers.

72Aujourd’hui, l’État français exige des banques de la transparence sur les paradis fiscaux, cela fait sourire. Est-ce suffisant de connaître les noms des implantations des banques dans les paradis fiscaux ? De qui se moque-t-on ? Il faut exiger des banques beaucoup plus, et en particulier, de collaborer pour faire cesser l’évasion fiscale sous peine de se voir condamner à de très lourdes amendes dissuasives, assorties de sanctions administratives, comme la fermeture d’agences et de filiales off shore.

73Est-ce tolérable que l’État choisisse de faire de nouvelles économies sur les dépenses, alors qu’il existe des sommes énormes d’impôt non recouvrées, de ponctionner les budgets de la nation à hauteur de 15 milliards d’euros alors que l’évasion fiscale est de l’ordre de 60 à 80 milliards d’euros par an ?

74Ce ne sont pas les dépenses qu’il faut sanctionner mais l’insuffisance des recettes fiscales qui existent potentiellement, à condition de manifester une réelle volonté politique pour les recouvrir.

75Selon des personnes bien informées, comme Gérard Filloche, ancien inspecteur du travail, ou comme les syndicats des fonctionnaires des impôts, il suffirait d’embaucher entre 1 000 et 1 500 inspecteurs des impôts pour faire rentrer la plus grande partie de cet argent des paradis fiscaux dans les Caisses de l’État.

76Chaque année, l’évasion fiscale en Europe, c’est mille milliards d’euros par an, cela a été réaffirmé par le président du Conseil européen Herman Van Rompuy, lequel a décidé d’inscrire la lutte contre la fraude fiscale à l’ordre du jour du prochain Sommet européen. On peut s’interroger : pourquoi l’Europe a été si tolérante et si lente à réagir ?

77Alain Bocquet, député communiste du Nord, a interrogé, récemment le 9 avril 2013, le gouvernement sur ces 1.000 milliards d’évasion fiscale en Europe, sur les 60 milliards d’euros déposés en Suisse pour le compte de 2 000 familles françaises. Il a également évoqué combien les services fiscaux sont désarmés en particulier par la suppression des 25 000 emplois dans les services fiscaux en 10 ans par les gouvernements de droite et combien il serait, donc, nécessaire de leur rendre des moyens en personnel pour retrouver une certaine efficacité comme aux États-Unis où la fraude fiscale est prise beaucoup plus au sérieux qu’en Europe.

7 – Qui fait la loi, l’argent ou le peuple ?

78Ce ne sont plus les États qui font la loi, c’est le pouvoir de l’argent qui soumet les États à sa loi.

79Les hommes de Goldman Sachs, de la très puissante banque d’affaires américaine qui s’affiche parfois comme la Banque Maître du Monde, est ainsi à la manœuvre sur toutes les places financières du monde où elle place ses hommes : à la Banque Centrale Européenne, en Italie, en Espagne, en Grèce, à Chypre…

80Il n’y a pas de jour où un nouveau scandale financier n’éclate qui ébranle la planète dans lequel les banques ne soient pas impliquées, y compris les Banques Centrales.

81Le principal ennemi de la finance, c’est la démocratie, comme on l’a vu en Grèce, en Italie et à Chypre.

82La société est profondément malade parce que la démocratie est bafouée.

83En France même, il s’avère que la démocratie a été muselée et ne cesse d’être maltraitée. Les citoyens ressentent confusément qu’avec des lois électorales fabriquées à l’usage du maintien au pouvoir d’une caste pour perpétuer une organisation inégalitaire de la société profitant à une minorité de nantis, il n’y aura pas de changement. Les lois électorales sont formatées pour maintenir une représentativité réduite de la société dans les Assemblées, et cela crée un immense malaise et un sentiment d’impuissance dangereux pour l’avenir de la démocratie.

84Comment construire avec les citoyens une autre société ayant l’ambition de donner à chaque homme, à chaque femme les moyens d’intervenir dans la gestion de leur entreprise, de s’émanciper de toutes les tutelles et de disposer de tous les moyens pour pouvoir s’épanouir humainement en se réalisant pleinement et librement ?

85Les citoyens commencent à ressentir la nécessité de se réapproprier la chose publique et de changer la société pour rendre de l’espoir à tous, pour chasser de l’horizon la précarité et le chômage.

86Ne peut-on imaginer le cadre d’une démocratie effective et renouvelée où chacun apporterait sa contribution personnelle à tous les stades de la société, du bureau, de l’usine, de l’école, des administrations, donc du local jusqu’au niveau le plus élevé de l’État, pour un mieux vivre ensemble, qui passerait, obligatoirement, par l’intervention réelle des salariés dans la gestion de l’économie, où ils sont considérés comme des marchandises, où les salaires représentent un coût et non de la valeur, de la richesse ? Ne peut-on imaginer cette autre société humaine ambitieuse dont la première marche à franchir est cette intervention pleine et entière dans la gestion des entreprises et de la cité, sans un changement des institutions présidentialistes de la cinquième République ?

87Il y a un débat qu’il faut ouvrir : comment rendre effective cette intervention plus large des salariés et des citoyens pour peser significativement sur l’orientation et l’usage que les banques font des dépôts qu’elles reçoivent de tous les agents de la société, qui sont contraints de les leur confier, et qu’elles utilisent dans leur intérêt égoïste sans prendre en considération l’intérêt général et ni celui de la nation ? Comment les forcer et les contraindre à une autre politique ?

88Dans cette période de crise, il devient évident pour de plus en plus de citoyens, que les dépôts constitués par les salaires, les retraites, les minima vieillesses, les indemnités de chômage et de la Sécurité Sociale, les économies de précaution, qui constituent la richesse et la puissance des banques, doivent être utilement employés et mieux répartis, à l’exclusion de toute spéculation financière et recherche de rentabilité immédiate. Ces dépôts doivent servir à financer l’économie réelle et les besoins immédiats de la société civile, les PME, les collectivités territoriales, et non émigrer vers les paradis fiscaux.

89Les dépôts, l’épargne, qui représentent des sommes considérables, ne sont pas la propriété des banques. C’est pourquoi, aujourd’hui, les citoyens qui réclament des comptes aux banquiers sont dans leur bon droit !

90Tout le monde le dit, même le Ministre des Finances, Pierre Moscovici : il faut réorienter l’épargne collectée par les banques vers l’économie réelle et interdire la spéculation. Mais ce n’est pas de morale que la société a besoin, ce n’est pas de bonnes paroles, les mots sont insuffisants. Il y a une exigence citoyenne pour des actes concrets, modifiant l’état structurel de la société. C’est l’efficacité économique et sociale qui doit prévaloir et être mise en œuvre et recherchée, en mobilisant toutes les énergies des agents de la société. Sinon, c’est entretenir sciemment la dépossession des actifs matériels et intellectuels des classes populaires au profit de la classe possédante avec le développement exponentiel du capital fictif.

91Est-elle suffisante la petite réforme de François Hollande visant à séparer une toute petite partie de l’activité dite d’investissement des autres activités bancaires ? Bien sûr que non. Personne n’y croit, les banquiers conserveront les mains libres, le lobby bancaire l’a emporté, au point qu’ils annoncent déjà des suppressions d’effectifs,… y compris à la Banque de France. On attend encore la réaction de l’État, du Ministre des finances, actionnaire à 100 % à la Banque de France, sur ces réductions d’effectifs injustifiées, surtout si les Pouvoirs Publics ont l’intention de lui confier la création et la gestion de nouveaux fichiers informatiques pour endiguer, prétendument, le surendettement pour avoir bonne conscience.

92Suffit-il de créer une Banque Publique d’Investissement avec 18 milliards au départ pour financer ce que se refusent de financer les autres banques, alors que la collecté liquide des banques s’élève à 1 700 milliards d’euros ? Où est passé le Président de la République qui désignait la finance comme son principal ennemi ?

93Cette BPI est ridicule, elle est déjà, d’ailleurs, le siège de l’exposition de toutes les vanités de ses dirigeants.

94Elle est ridicule parce qu’elle n’affiche pas de véritables « nouveaux critères » de distribution du crédit qui la différencierait de l’établissement. Construction artificielle par la juxtaposition de plusieurs fonctions de la Caisse des Dépôts, d’OSEO, du FSI, elle n’envisage pas, surtout pas, de mettre en place une gestion plus démocratique que celles, déjà critiquables, en place à la Caisse des Dépôts ou à la Banque de France ou celles d’autres institutions paraétatiques. En conséquence, il est vraisemblable qu’elle n’envisagera pas de faire une place aux forces vives de la nation dans les Comités de distribution des crédits. Son plan d’actions stratégiques fera-t-il l’objet d’un débat citoyen, à quel niveau et avec qui ? Comment le Parlement exercera-t-il son contrôle ?

95Seule la nationalisation assortie d’une socialisation des banques (c’est-à-dire le contraire de l’étatisation de 1982) peut permettre de redistribuer autrement les 3 000 milliards d’euros que représentent une grande partie de l’épargne des français dans leurs banques et leurs compagnies d’assurances que l’on peut réorienter vers le financement de l’économie réelle et l’emploi (Millet et Toussaint, 2012).

96Tony Andréani, dans son livre Dix essais sur le socialisme du 21e siècle, a démontré en quoi toute privatisation, même partielle, détruisait la nature du service public, en le soumettant à une logique capitaliste et en le conduisant à ne pas respecter ses missions, en dépit de toutes les instances de régulation supposées y veiller.

97Cela est exact et c’est pourquoi ses propositions pour le secteur public paraissent intéressantes, car elles visent surtout à une meilleure efficacité et à une plus grande implication des personnels dans la gestion.

98Il s’inspire par ses propositions des travaux en la matière d’Anicet Le Pors et d’Yves Saliesse (2001) que l’on peut présenter de la façon suivante et qui pourraient s’appliquer aux banques et aux compagnies d’assurances à renationaliser :

  1. Une propriété de l’État (ou de la collectivité locale) à 100 %
  2. L’État n’est pas actionnaire et ne perçoit pas de dividendes, mais les entreprises lui versent une taxe pour l’usage du capital, taxe qui doit servir uniquement à la création d’autres entreprises publiques dans le secteur ou à la recapitalisation de certaines ;
  3. La gestion est démocratisée sous la forme d’une cogestion États/représentants des salariés, et les dirigeants, cessant d’être nommés par l’État, sont élus par le conseil d’administration ;
  4. Les missions sont définies par le Parlement et concrétisées par le gouvernement sous la forme de contrats de plan, mais le Parlement surveille annuellement leur exécution – où l’on retrouve le rôle de la démocratie politique ;
  5. Le contrôle de la gestion est assuré par une agence spécialisée, qui désigne les représentants de l’État au sein des Conseils d’administration. C’est là une manière de briser les rapports de connivence ou de collusion des dirigeants avec le pouvoir gouvernemental qui ont souvent obéré la gestion des entreprises publiques (Andreani, 2011).
Pour préparer concrètement cette mutation vers une nationalisation/socialisation des banques et des Compagnies d’assurances, les salariés et les citoyens doivent pouvoir exiger et obtenir, dès maintenant, des comptes sur l’utilisation des dépôts, localement et régionalement.

99Quand une entreprise rentable est en voie de fermeture par la volonté de ses actionnaires, ce que l’on appelle les licenciements boursiers, les salariés doivent pouvoir interroger les banques pour qu’elles interviennent afin de sauver l’activité de leur entreprise, c’est leur devoir ! Car l’on sait bien que dans la quasi-totalité des cas, l’arrêt d’une entreprise intervient après la fermeture du robinet du crédit de trésorerie, que l’on avait généreusement ouvert, un deux ou trois an auparavant.

100La souveraineté actuelle des banquiers en matière de la sélectivité du crédit doit être remise en cause à tous les niveaux, local, régional et national : mais qu’en est-il également des Comités de crédits de la Caisse des Dépôts, fonds souverain de la France, des critères de sélectivité des autres Fonds d’investissements liés à la CDC et de toutes les institutions financières étatiques ?

101Une nouvelle démarche participative, revendicative, citoyenne semble vouloir naître et pouvoir se développer. Quand le footballeur Éric Cantonna avait proposé aux clients des banques de retirer leurs dépôts, les banques avaient eu peur et avaient répliqué en lançant leurs directeurs en communication à l’assaut de l’opinion (Bouvet, 2011).

102Nous, nous savons que le capital ne sert que le capital, mais nous savons aussi que seule la démocratie peut transformer le monde et rendre les banques, à leurs salariés, aux citoyens et à la nation tout entière.

103Mais il serait illusoire de croire que le sens du fonctionnement du système bancaire et financier pourrait être radicalement changé par le seul pouvoir de l’intervention de critères objectifs et planifiés de distribution des crédits sans que l’organisation même de la gestion du crédit et de l’épargne tout entière soit changée.

104C’est pourquoi, il faut bien prendre conscience qu’à la crise économique et financière s’ajoute une crise du politique, de la démocratie représentative.

105L’une et l’autre s’alimentent, se nourrissent, se complètent. Elles ne peuvent, selon nous, être surmontées sans des transformations profondes du système, de chacun des éléments qui le composent et de leur totalité.

106On comprend dès lors que les réformes radicales nécessaires pour sortir de la crise économique ne pourront aboutir sans transformations politiques, culturelles tout aussi radicales.

107Il s’agit de prolonger la démocratie représentative, de la revivifier en instituant progressivement une démocratie participative et d’intervention irriguant toutes les sphères de l’activité humaine. Aussi bien dans l’entreprise, dans la banque, dans la commune comme dans les régions, dans l’Europe qu’il faut soustraire aux marchands… et même dans les relations de la sphère de la création.

108Nous devons être attentifs au développement d’un large mouvement populaire qui puisse se mettre en marche pour des objectifs concrets démocratiques qui nous conduiront vers de réels changements de société.

Bibliographie

Bibliographie

  • ANDREANI, T., 2011, Dix essais sur le socialisme du 21e siècle. Le Temps des Cerises, Paris.
  • ATTAC, 2009, Sortir de la crise globale. Vers un monde solidaire et écologique, La Découverte, Paris.
  • BOUVET, L., 2011, Le sens du peuple, La gauche, la démocratie, le populisme, Gallimard, Paris.
  • CHESNAY, F., 2011, Les dettes illégitimes, Raisons d’Agir, Paris.
  • HAREL, X., 2012, La grande évasion le vrai scandale des paradis fiscaux, Actes Sud, Arles.
  • JORION, P., 2009, L’argent, mode d’emploi, Fayard, Paris.
  • LE PORS, A., SALIESSE Y., 2001, Réformes et Révolution : propositions pour une gauche de gauche, Le Télégramme, Morlaix.
  • LE PORS, A., 2010, Les racines et les rêves, Le Télégramme, Morlaix.
  • MILLET, D., TOUSSAINT, E., 2012, AAA Audit Annulation Autre politique, Le Seuil, Paris.
  • MILLET, D., TOUSSAINT, E., 2011, La dette ou la vie, Aden, Bruxelles.
  • MORIN, F., 2006, Le nouveau mur de l’argent, Le Seuil, Paris.
  • MORIN, F., 2011, Un monde sans Wall Street, Le Seuil, Paris.
  • TOUSSAINT, E., 2004, La finance contre les peuples. La bourse ou la vie, Syllepse, Paris.

Mots-clés éditeurs : internationalisation, financiarisation, démocratie, banques, crise

Mise en ligne 06/01/2014

https://doi.org/10.3917/maorg.019.0031

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