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Article de revue

Qui dit intelligence économique dit partage d'information

Pages 41 à 66

Notes

  • [1]
    Puisque la naissance de l’IE est venue suite aux évolutions des techniques de la veille technologique.
  • [2]
    « …Where is the wisdom we have lost in knowledge ? Where is the knowledge we have lost in information ? » (Où est la sagesse que nous avons perdue dans la connaissance ? Où est la connaissance que nous avons perdue dans l’information ?)
  • [3]
    F. Jacobiak
  • [4]
    Voir liste des abréviations.
  • [5]
    Pateyron E., 1998, La veille stratégique, Edition Economica.
  • [6]
    Selon Bruno Martinet et Yves Michel Marti.
  • [7]
    De plus, l’utilisation des TIC pour analyser les données est insuffisante. Cela doit être amalgamé en même temps avec les compétences personnelles de l’analyste. Donc la formation des ressources humaines dans ce sens est fortement conseillée.
  • [8]
    Cette opération n’est pas facile, il existe parfois des difficultés liées à la circulation et à la communication des données, pour des raisons d’organisation, de hiérarchie, de manque de coordination entre les divisions, de problème de partage d’informations et d’ignorance de la valeur de l’information… En effet, un blocage de transfert d’information peut provoquer un blocage au niveau de la livraison de la commande à temps, qui peut aller jusqu’à des pertes très significatives, en termes de coûts, d’énergie, de temps, de confiance vis-à-vis du fournisseur, et d’image vis-à-vis du client.
  • [9]
    Cette phase est appelée par Bruno Jarrosson : la phase d’instruction, au cours de laquelle, une fois l’alerte est déclenchée, et après avoir rassemblé l’information disponible sur le sujet, il convient de traiter et analyser cette dernière à l’aide des experts.
  • [10]
    Jean Louis Monino, 2012, « L’information au cœur de l’intelligence économiques stratégique ». Réseau de Recherche sur l’Innovation, Document de travail, N°27. A paraître dans les actes du colloque de Kenitra – chez le Harmattan février 2013.
  • [11]
    Vers 1830, en Angleterre, « lobby » désignait les couloirs de la Chambre des communes où les membres des groupes de pression pouvaient venir discuter avec les parlementaires.

Introduction

1Plusieurs auteurs comme Philippe Baumard (1991), Henri Dou, Hélène Desvals (1992), Henri Martre, Philippe Clerc, Christian Harbulot (1994), Jean-Claude Possin (1996), Pateyron Emmanuel (1998), Damien Bruté de Rémur, Bernard Besson (2001), Bernard Guilhon & Jean Louis Levet (2003), Liliane Bensahel, Michel Titecat et Ivan Samson (2005), Driss Guerraoui Jean-Louis Monino, et Xavier Richet (2005), Serge Perrine (2006), Abdelmalek Alaoui (2009) considèrent l’intelligence économique (IE) comme un processus informationnel, qui comporte plusieurs étapes liées au cycle de gestion de l’information. Il regroupe l’ensemble des activités liées à la collecte, au traitement, à l’interprétation et l’utilisation des informations, pour prendre des décisions et influer l’environnement dans lequel l’entreprise veut tailler sa place.

2De plus, la grande majorité des processus décisionnels mettent l’information au cœur de leur préoccupation et ne donnent pas assez d’importance à son partage entre les différents acteurs qui participent à ce processus. À ce propos, peu de travaux de recherche ont été réalisés, traitant le processus de management de l’information dans le cadre de l’IE. Raimundo N. Macedo Dos Santoen 1995 parle de la veille technologique [1], il présente son processus à travers plusieurs étapes suivantes :

  • précision des éléments à surveiller (à l’aide des Facteurs Critiques de Succès (FCS)),
  • recherche, collecte et diffusion,
  • traitement, validation et diffusion,
  • synthèse,
  • décision.
Ces opérations se réalisent par acteurs qu’il appelle « observateurs spécialistes » (analystes et décideurs).

3Nous citons également l’approche originale sur le processus d’intelligence logistique, de Christine Roussat et Nathalie Fabbe-Costes (2008), qui ont proposé la mise en place d’un processus d’intelligence logistique, à travers une vision croisée entre le Supply Chain Management et la nécessaire anticipation des évolutions environnementales à l’aide de la veille, de la surveillance ou de l’intelligence.

4D’autres auteurs comme Stéphane Goria, Audrey Knauf, Amos David et Philippe Geffroy (2005), ont tenté d’étudier le processus d’IE, notamment, en relation avec l’un des nouveaux métiers de l’information : le métier d’infomédiaire, en le définissant par rapport à la chaîne du renseignement et par rapport à un autre métier de l’information : celui de veilleur. Ils ont défini le processus d’IE en 8 étapes interdépendantes les unes des autres :

  • définition du problème décisionnel,
  • transformation du problème décisionnel en un problème de recherche d’informations,
  • identification des sources pertinentes,
  • recherche des informations pertinentes,
  • traitement - analyse des informations,
  • interprétation,
  • décision,
  • protection du patrimoine/capitalisation.
Pour Corine Cohen (2007), elle considère le processus d’intelligence économique et stratégique comme un maillon essentiel entre l’information et la décision qui doit comprendre pour être efficace, les phases suivantes :
  • détermination des besoins,
  • recherche et collecte,
  • traitement : analyse, synthèse et mise en forme,
  • diffusion,
  • utilisation,
  • feed-back (retour),
  • contrôle de l’IE.
Un modèle hiérarchique est proposé dans les années 2005 par Jean-Louis Monino lors « des matins de la cité » organisé par la CCI de Montpellier :
  • les données,
  • l’information,
  • la connaissance.
Il repose sur un modèle plus large proposé 1934 par Thomas Stern Eliot, Prix Nobel de littérature en 1948, dans son œuvre théâtrale en vers « The ROCK » (Le Roc) [2]. Toutes ces opérations ne peuvent pas se réaliser par une seule personne, parce que cela nécessite une communication et un échange d’information accru.

5D’après ce qui précède et sur la base des différentes définitions de la littérature de l’IE, nous pouvons résumer le processus d’IE en trois grandes phases, qui nous semblent nécessaires pour l’optimisation du système décisionnel :

  1. La surveillance de l’environnement qui comprend les opérations successives suivantes :
    • la définition des axes de surveillance ou définition des besoins en information,
    • la recherche et la collecte des informations,
    • la validation des informations collectées.
  2. L’exploitation des informations qui comporte les opérations suivantes :
    • le traitement et l’analyse des informations,
    • la validation des informations traitées,
    • le stockage et la diffusion des informations.
  3. L’optimisation du processus décisionnel sur la base des informations collectées et validées, à travers :
    • la prise de décision,
    • la protection de l’information,
    • le lobbying.
Nous proposons de présenter ce par le schéma ci-dessous :

Schéma 1

Processus de l’IE

Schéma 1

Processus de l’IE

6Nous allons essayer, à travers ce schéma, de présenter le management des flux d’informations, tout en favorisant une culture de partage d’informations et renforcer un esprit d’équipe, permettant de développer une intelligence collective. Notre travail vise à répondre à la question suivante : dans quelle mesure le partage d’informations participe-t-il à l’optimisation du processus décisionnel ? Pour ce faire, notre article se scinde en trois parties relatives aux trois grandes phases du processus d’IE.

1 – La surveillance de l’environnement

1.1 – Identifier les besoins en information

7Dans le contexte économique actuel et face à l’exigence croissante de la clientèle, l’entreprise doit mettre son système d’information en état de veille permanent, pour avoir une vision anticipative des besoins de ses clients. Cela peut se réaliser en cherchant de nouvelles informations, en identifiant de nouveaux marchés à conquérir, en nouant de nouvelles relations de partenariat. A cet effet, la surabondance d’information est plus un frein qu’une aide à la prise de décision. Il est donc indispensable pour l’entreprise, avant d’entamer la phase de recherche et de collecte, de définir préalablement quels sont ses besoins réels en information.

8Cette étape implique que l’entreprise mène une véritable réflexion sur les principaux aspects de son activité et les objectifs qu’elle souhaite atteindre. En effet, l’expression « besoin en information » désigne la situation d’une personne (ou d’un groupe de personnes) qui ne disposerait pas de toutes les informations qui lui seraient utiles à un moment donné. En d’autres termes, cette personne serait consciente de « souffrir » d’un manque d’informations et, de ce fait, se trouverait dans une situation d’incertitude pénible. La situation satisfaisante serait, a contrario, celle où les informations sont complètes et pertinentes.

9Cette expression permet de définir les thèmes sur lesquels l’IE doit être déployée. Il s’agit de fixer les sujets qui doivent faire l’objet d’une surveillance. En effet, l’étape de réflexion préalable à la mise en place d’une surveillance pertinente, nécessite la formalisation d’un besoin précis. Selon les axes de l’IE, la démarche pourra prendre une ampleur plus ou moins importante. Aujourd’hui, le retour sur l’investissement est crucial dans les entreprises : si l’on sait d’où l’on part et où l’on va, le système de surveillance sera bien dimensionné et plus efficace, et ses résultats seront plus conformes aux attentes.

10Pour la veille technologique, la veille concurrentielle et l’IE, il est illusoire et impossible de vouloir tout surveiller, tout connaître, tout savoir, tout exploiter. Des tris sont à effectuer, des choix à réaliser [3]. Pour pouvoir identifier ses besoins en information, l’entreprise doit analyser l’environnement dans lequel elle évolue. L’objectif de cette réflexion est de retenir 3 à 4 axes prioritaires pour le développement de l’entreprise. Ces axes seront intimement liés à la vision à long terme pour l’entreprise, et permettront d’identifier les actions à mettre en œuvre à court terme pour y parvenir. Pour cela, l’entreprise doit s’interroger sur les compétences dont elle dispose, pour atteindre les objectifs qu’elle a définis. Elle doit connaître ses forces, et identifier ses faiblesses par rapport à ses concurrents. En fonction de cette analyse, l’entreprise peut alors projeter les connaissances qu’elle doit acquérir ou renforcer pour réaliser ses objectifs.

11En réalité, la détermination des axes prioritaires de l’entreprise n’est pas aisée. J.F. Rockart introduit pour la première fois l’approche des FCS [4] comme étant un moyen de détermination directe des besoins en information. Cette approche constitue une méthode importante de planification des systèmes d’information. Elle peut être utilisée seule ou en l’associant à d’autres méthodes de planification, en tant que composante clé des processus prospectifs. Au préalable, les besoins en information d’une organisation sont déterminés par un petit nombre de facteurs que les dirigeants considèrent comme déterminants pour le succès de l’entreprise. Ces facteurs représentent des domaines clés dans lesquels une performance positive satisfaisante assurera le succès de l’organisation et l’atteinte de ses objectifs. Dès lors, plusieurs besoins en information seront identifiés, et pourront être regroupés, en général, en deux grands types :

  • Besoins en information permanents : ils permettent à l’entreprise de surveiller l’environnement du marché et contribuent à la réalisation des objectifs de long terme.
  • Besoins en information ponctuels : ils répondent à une question qui se pose ponctuellement, mais toujours dans la mise en œuvre d’axes de développement stratégiques.

2 – Rechercher l’information

12Après avoir identifié les besoins en information, ainsi que les axes prioritaires sur lesquels doit porter l’IE, nous passons à la recherche des informations. Il est à noter que cette phase de recherche se fait sur deux niveaux :

  • Niveau opérationnel : qui se charge de la gestion des informations quotidiennes.
  • Niveau stratégique : qui s’occupe, de la gestion des informations stratégiques du long terme, ce qui nécessite un processus de gestion plus compliqué.
En effet, une recherche d’informations efficaces commence toujours par une identification et une connaissance des différentes sources. À ce propos, Hunt Charles et Zartarian Vahéont établi une classification de l’information selon quatre types :
  • L’information textuelle : il s’agit de l’information structurée dans une documentation, provenant généralement des bases de données, des rapports, des normes, des brevets et autres. Elle doit être validée, puis traitée et enfin codifiée afin de devenir fiable et accessible.
  • L’information floue : il s’agit de l’information qui peut être acquise par les contacts humains. Ce type concerne, en priorité, des informations glanées à l’extérieur de l’entreprise par le personnel en contact avec les clients, les fournisseurs, les commerciaux, les personnes, les ressource du tissu législatif notamment, etc.
  • L’information experte : il s’agit de l’information acquise en interne ou en externe auprès des consultants. Elle représente toute l’information liée aux experts qui ont une relation avec l’entreprise, toutes les notes, les rapports et les enseignements. Ce type d’information représente la plus grande part de la mémoire informationnelle de l’entreprise.
  • L’information de types foires et salons : il s’agit de l’information acquise dans les contextes des rassemblements professionnels. Elle revêt une grande importance pour l’organisation car, dans un même lieu, sont ici rassemblés concurrents et clients.
Nous remarquons ainsi que les informations recherchées peuvent être disponibles au sein de l’environnement interne ou externe de l’entreprise. Qu’elles soient d’origines interne ou externe, les sources d’informations peuvent être regroupées en deux grands canaux [5] :
  • Les sources formelles : Elles existent physiquement sur un support qui garantit la pérennité de l’existence de l’information, qu’il soit papier, film ou électronique. À cet effet, Bruno Martinet et Yves Michel Marti distinguent plusieurs sources formelles, notamment : web, presse et autres médias, sources d’informations légales, organismes spécialisés, bases de données, brevets, études et rapports, moteurs de recherche d’entreprise, normes, textes juridiques, etc.
  • Les sources informelles : Ce sont des sources intangibles, et non structurées, transmises pour la plupart oralement ou, dans le cas d’Internet, par le biais de groupes de discussion, de courrier électronique ou de forum de débat. Ce qui veut dire, que ce type d’information nécessite un travail personnel pour être collectées. Ainsi, plusieurs sources informelles peuvent être identifiées [6], notamment : les clients, les concurrents, les fournisseurs, les sous-traitants, les candidats au recrutement, les missions de voyage et d’études, les visites de salons, les forums de discussion, les réseaux sociaux, etc.
Il est à signaler à ce niveau que la principale source d’information sur laquelle repose l’IE est le réseau relationnel. Ceci dit qu’il faut développer en permanence des liens avec l’environnement extérieur, qui seront sollicités à chaque fois que l’entreprise a besoin de répondre à des questions précises, principalement d’ordre stratégique.

13L’IE cherche l’information disponible ; elle est, avant tout, un processus de management d’information dans un cadre légal. Or, dans certains cas, non disponibilité de l’information recherchée, ou de méconnaissance des sources d’informations, ou encore d’ignorance de quelques aspects juridiques, peuvent faire prendre à la pratique de l’IE d’autres facettes illégales, et par conséquent, dévier sa particularité légale vers les voies de l’espionnage.

3 – Contrôler et évaluer les sources d’information

14La collecte et l’identification des sources d’information ne constituent qu’une étape du processus de la Veille Stratégique (VS). Pour être efficacement utilisées, il faut contrôler et vérifier les sources des informations collectées. Cette phase consiste à évaluer la véracité de l’information et permet de minimiser l’accumulation de bruit :

  • S’agit-il d’une information collectée d’un blog, où les internautes peuvent apporter des modifications aux informations publiées, ce qui peut nuire à la qualité de ladite information ?
  • S’agit-il d’une information publiée formellement (ouvrages, presse, brevet etc.) et dont la source est exacte ?
  • S’agit-il encore d’une information informelle (rumeurs, conférences, etc.) dont il faut s’assurer de la véracité, voire de l’existence ?
  • S’agit-il d’une information interne, diffusée entre les différents départements de l’entreprise ? Dans ce cas, est-ce qu’elle a été actualisée depuis sa dernière utilisation ?
  • S’agit-il d’une commande faite oralement par un client ? Dans ce cas, faut-il attendre une demande officielle de sa part avant de commencer la fabrication ou bien réagir par anticipation pour gagner du temps ?
En effet, selon la cotation militaire, nous distinguons quatre critères de validité des sources :
  • Source digne de foi : les informations retirées sont toujours vraies (tribunal du commerce, essais en laboratoire, etc.) ;
  • Source digne de foi mais comportant des risques d’erreurs ou de subjectivité (la presse) ;
  • Source peu sûre : elle concerne les sources d’informations informelles qui doivent toujours être vérifiées ou recoupées ;
  • Source suspecte, car subjective : elle doit être manipulée avec prudence (rumeurs, bruits de couloir, information donnée par la concurrence, etc.).
Martinet et Ribault (1989) retiennent cinq critères d’évaluation d’une source d’information : la fiabilité, la vulnérabilité, la richesse, la performance et la discrétion. Ceci dit, après avoir vérifié les informations collectées, l’entreprise sélectionne et valide celles qui répondent le mieux à son besoin. De même, s’il est avéré que la source est douteuse, l’entreprise relance de nouveau sa recherche en information.

4 – Sélectionner et valider l’information

15La sélection de l’information reste une étape cruciale dans le dispositif de l’IE. C’est une opération qui consiste à ne retenir, parmi les informations recueillies, que les seules informations susceptibles d’intéresser les utilisateurs concernés. Le but est de sélectionner l’information porteuse de sens, utile à la prise de décision et dont la source a été validée. À ce propos, Martinet et Ribault distinguent quatre critères pour juger la valeur d’une information :

  • information très importante et prioritaire,
  • information intéressante,
  • information utile à l’occasion,
  • information sans doute inutile.
D’autres critères de sélection s’y ajoutent :
  • La pertinence : il s’agit de déterminer la relation entre les objectifs de l’IE (définis lors de la phase de l’identification des besoins) et l’information collectée ;
  • La fiabilité : elle dépend essentiellement de la source de l’information ;
  • L’exclusivité : cela veut dire que l’information doit être actuelle et encore vierge ; autrement dit, une information qui n’a pas été encore traitée et qui va l’être dans le contexte des objectifs recherchés au profit de l’entreprise ;
  • La disponibilité : nous faisons allusion à l’information blanche et/ou grise dont l’accès est ouvert à tout le monde.
Il est à signaler que ces critères dépendent de plusieurs conditions :
  • Le coût d’acquisition : certaines informations sont accessibles directement et gratuitement. D’autres, par contre, doivent faire l’objet d’études ou passer par des cabinets spécialisés…
  • La source de l’information : qui permet de déterminer son degré de fiabilité ;
  • L’actualité : éviter l’obsolescence de l’information ;
  • Le jugement personnel sur la qualité et l’apport de l’information au processus décisionnel.
Ainsi, si l’information sélectionnée, à partir d’une source fiable, répond aux objectifs définis lors de la phase de l’identification des besoins, cette dernière est validée, sinon, elle sera rejetée. Dans ce cas, il faut relancer une nouvelle recherche d’informations et refaire toutes les étapes suscitées. Une fois l’information sélectionnée est validée, elle doit être analysée et traitée, de manière à ce qu’elle participe au processus décisionnel de l’entreprise.

5 – L’exploitation des informations recherchées

5.1 – Traiter et analyser l’information

16Le traitement, l’analyse et la synthèse sont des activités à haute valeur ajoutée. En effet, les données collectées doivent être regroupées, traitées, analysées et validées pour une deuxième fois, dans la perspective de leur diffusion, pour enfin être exploitées dans un processus d’aide à la décision. Ainsi, une transformation se met en place, c’est le passage d’une donnée brute à une information traitée et jugée utile à la prise de décision.

Schéma 2

Première phase du processus de transformation des données

Schéma 2

Première phase du processus de transformation des données

Source : Jean-Louis Monino et Gilles Lucato, « Manager l’information : comment faire aujourd’hui ? ». Les matins de la cité, La CCI de Montpellier, 2006.

17Une donnée est un élément brut, qui n’a pas été encore interprété et mis en contexte ; des nombres, des mots, des événements existants en dehors d’un cadre conceptuel de référence. Ici, les données prises individuellement n’ont pas une grande signification, et c’est bien ce qui distingue donnée et information ; cette dernière étant donc une donnée interprétée. En d’autres termes, c’est par la mise en contexte d’une donnée qu’est créée la valeur ajoutée. L’information naît de la compréhension des relations qui peuvent exister entre plusieurs données. Nous proposons de définir l’information comme un mélange de données plongé dans un contexte et cette proposition peut être approchée par : Information = F (Donnée ; Contexte).

18• Traitement des données

19La phase de traitement des données précède celle de l’analyse. En regroupant les différentes données collectées et en les croisant, cette phase permet, non seulement d’apporter des réponses, mais également de formuler de nouvelles questions susceptibles de faire l’objet de nouvelles recherches. L’entreprise prépare ici une base de données qu’elle analysera pour tirer des conclusions.

20• Analyse des données

21Selon Didier Tanyeres, si l’étape de traitement se base sur trois opérations (trier, évaluer et valider), l’étape de l’analyse des informations, repose sur d’autres opérations à forte valeur ajoutée :

  • organiser, structurer ;
  • utiliser des outils d’analyse validés en amont ;
  • repérer les signaux faibles ;
  • interpréter ;
  • confirmer en confrontant.
Cette phase nécessite la mobilisation des compétences aussi bien internes qu’externes, humaines que techniques. Dans ce cas, plusieurs logiciels dédiés à l’analyse des données sont disponibles, le choix d’un tel logiciel se fait sur la base de l’activité de l’entreprise, le degré de maîtrise du logiciel, le degré de compétences des ressources humaines, et surtout sur la base de l’objectif de cette analyse [7]. Cette phase donne de la valeur et du sens aux données collectées. Pour que cette information soit jugée utile, pour que la prise de décision soit exploitée, elle doit être diffusée à l’ensemble des parties de l’entreprise pouvant en bénéficier.

5.2 – Stocker et diffuser l’information

22Une fois la donnée traitée, analysée et validée, l’information doit être mise à la disposition de ceux qui en ont besoin, avec un souci de sécurisation. L’information doit pouvoir être partagée, comprise et facilement accessible. Or, avant d’entamer cette phase de diffusion, il est primordial de classifier les informations et de les stocker dans la mémoire de l’entreprise, de façon à ce qu’elles soient aisément retrouvables et exploitables, si besoin. Elles peuvent être classées par type :

  • les données commerciales : demandes des clients et délais de livraison, etc.
  • les données techniques : gammes, nomenclatures, délais de production, capacités de production, etc.
  • les données financières : prix unitaire de vente, coût unitaire d’achat des composants, coût de production, etc.
  • les données sur l’état du système (suivi de production) : niveaux de stock, de rupture, en-cours de production, etc.
Elles peuvent être classées également par importance (haute, moyenne, faible), par objectif (stratégique, opérationnel, tactique), par destinataire (direction générale, direction commerciale, direction financière, responsable X, directeur Y) etc. B. Besson et J-C. Possin (1996) précisent que le stockage, ou encore la mémorisation, est l’opération qui consiste à garder en mémoire les informations brutes (données) et les informations traitées pour une utilisation ultérieure. Alors que la diffusion est l’opération qui consiste à mettre les informations à la disposition des utilisateurs potentiels, qui sont souvent des responsables opérationnels. Le point de départ de cette opération est le lieu où sont stockées les informations élaborées, tandis que le point d’arrivée est le lieu (ou bien les lieux) où ces informations vont être utilisées [8].

23Les phases de la recherche, du traitement d’analyse, et de la diffusion de l’information, constituent la VS, ce processus itératif se répète régulièrement au niveau de chaque département de l’entreprise.

Schéma 3

Processus de la Veille Stratégique

Schéma 3

Processus de la Veille Stratégique

24Il est à signaler que la diffusion des informations peut faire l’objet d’une nouvelle étape de collecte d’informations, si le besoin en information, exprimé au départ, n’a pas été satisfait.

6 – L’optimisation du processus décisionnel

6.1 – Prendre des décisions

25Avant de présenter cette étape, il est nécessaire de présenter les principaux traits caractéristiques de la notion de la décision.

26Décider : c’est avoir la capacité de faire des choix en fonction des informations disponibles, ou transformer une volonté en acte. C’est l’étape intermédiaire entre la pensée, les études, les analyses et l’action. Mais, puisqu’il y a une infinité d’actes possibles ou probables, décider revient alors à faire constamment des choix, à sélectionner, en toute circonstance donnée, un acte donné. Et la façon dont s’opère et s’actualise ce choix, c’est bien le processus de décision. Il implique toute une série d’actes partiels et séquentiels qui vont conduire le décideur, depuis la prise de conscience de la nécessité d’effectuer un choix jusqu’à la sélection d’une solution parmi les plus adéquates, en passant par la collecte et le traitement de l’information nécessaire.

27Cela pose le problème de l’influence de l’environnement sur l’information prise en compte, qui aura des effets sur les résultats de la décision. Pierre Lemaitre donne une définition psychologique à la décision, c’est « engager sa responsabilité, faire un choix et donc éliminer des possibilités, c’est oser… ». Il met l’accent sur l’autre visage de la prise de décision, celui du courage surhumain. À cet effet, les décideurs ont toujours peur de l’imprévu, passent leur temps à se protéger, à fuir le pouvoir, à tout reporter à plus tard, ou à s’en remettre au hasard. Dans ce cas, responsabiliser le personnel de l’entreprise est une nécessité primordiale pour réussir le processus de prise de décision.

6.2 – Le processus de la prise de décision

28Une décision est donc un processus qui se déroule dans le temps, et fait intervenir un ensemble de moyens techniques (recherche d’informations, traitement, analyse, stockage, transmission, etc.), de ressources humaines (chasseurs d’information ou veilleurs, analystes, décideurs, lobbyistes), et même des moyens financiers (recourir parfois à des cabinets de consulting pour une étude de marché ou une étude de benchmarking, etc.). Dans la théorie de la prise de décision, plusieurs processus ont été proposés, notamment ceux présentés par Herbert Simon, Bruno Jarrosson, Jean Montgolfier et Patrice Bertier.

29Le premier a développé l’idée que la décision prise à un moment donné est réduite à l’acte unique du responsable effectuant le choix final. La décision doit ainsi aujourd’hui être interprétée comme une succession d’étapes faisant largement intervenir l’environnement du décideur et mettant souvent en scène des acteurs multiples. En effet, pour prendre une décision adaptée, il est nécessaire de suivre tout un processus de décision. Il propose un processus en trois étapes ; il s’agit du modèle IMC :

  • « I » pour la phase d’Intelligence : l’entreprise se met à l’écoute de son environnement. Il s’agit de recueillir des informations sur l’environnement de l’entreprise. L’intelligence est prise dans le sens de perception, de compréhension du problème, et les sources d’information peuvent être internes et/ou externes.
Bruno Jarrosson parle, dans son processus de décision, de la phase d’alerte. En effet, des signaux de changement de l’environnement parviennent, qui mènent l’entreprise à envisager des changements de comportement. Il se peut par exemple que des signaux faibles donnent de nouveaux buts. Ainsi, l’entreprise commence à agir par anticipation ; l’alerte ne doit pas être comprise uniquement comme un signal de danger mais aussi et surtout comme un signal d’opportunité.
  • « M » pour la phase de modélisation (ou de conception) [9] : le décideur va recenser tous les scénarios possibles pour résoudre le problème posé sur la base de l’ensemble des informations collectées lors la phase précédente.
  • « C » pour la phase de choix : il s’agit de sélectionner la meilleure solution compte tenu des diverses contraintes posées.
Dans cette phase, Bruno Jarrosson distingue deux étapes : celle de l’acte, qui anticipe le choix, et au cours de laquelle le décideur se sent capable de passer à l’action, de décider. Et enfin, la phase de l’exécution de la décision.

30D’autre part, il peut exister une quatrième phase, la phase d’évaluation, pour confirmer ou infirmer les choix effectués. Quoi qu’il en soit, le décideur ne prend jamais la décision toute seule, car il se situe dans un environnement complexe (H. Simon). Il ne peut pas prendre en compte toutes les données, et par conséquent, la décision ne peut être rationnelle et optimale ; il s’agit d’une rationalité limitée.

31Chacun des acteurs, intervenus au cours du processus de décision, a eu un comportement parfaitement rationnel par rapport à ses propres points de vue. Les techniciens ont été rationnels du point de vue technique ; les financiers ont été rationnels du point de vue budgétaire ; les commerciaux ont été rationnels du point de vue des objectifs de chiffre d’affaires, etc. Hélas, si chaque décideur s’arrête effectivement à une décision qui lui paraît satisfaisante, rien ne garantit la convergence de chacune d’elles. Pour Jean Montgolfier et Patrice Bertier, la succession de toutes les rationalités partielles ne donne pas une rationalité globale. Une suite de décisions, localement rationnelles, forme a priori un processus aberrant. Cela n’est pas toujours valable, dans la mesure où la décision est un processus, un système, et donc un enchainement d’opérations liées entre elles par des rapports de forces et de logique, ayant un but commun. Ici, se pose le problème de la décision individuelle ou collective.

6.3 – Le partage de l’information et la prise de décision

32Selon H. Simon, la décision est considérée moins comme le résultat d’un choix, que comme le processus cognitif et l’acte social d’élaboration et de sélection progressive de solutionnement d’un problème :

  • La décision est un processus cognitif : c’est-à-dire un processus où l’on peut repérer les trois phases interactives du modèle IMC.
En fait, la modélisation systémique permet une représentation de l’organisation dans sa totalité comme un objet actif et structuré, évoluant dans un environnement par rapport à une finalité.

33L’objet ainsi modélisé (comme un système) est composé de trois sous-systèmes :

  • Le système opérant, au sein duquel interviennent les processus assurant effectivement l’activité du système organisationnel dans son environnement ;
  • Le système d’information qui mémorise les informations que l’organisation génère par ses transformations internes ou ses échanges avec l’environnement.
  • Et le système de pilotage (ou de décision), qui intervient sur le système opérant, de façon à l’aiguiller en fonction des finalités de l’organisation.
  • La décision est un acte social : c’est-à-dire un acte qui, d’une part, met en jeu un ensemble d’acteurs ou d’intervenants ayant des finalités et qui, d’autre part, intervient dans un système organisationnel. En effet, comme le note H. Simon : « il devrait être tout à fait évident que presque aucune décision prise dans l’organisation n’est le fait d’un seul et unique individu. Même si la responsabilité finale de telle ou telle décision incombe à une personne définie, nous trouverons toujours, en étudiant la manière dont la décision a été prise, qu’il est possible de faire remonter ces composantes à travers les circuits de transmission formels et informels jusqu’aux nombreux individus qui ont contribué à en former des prémices. Une fois que nous avons identifié la totalité de ces composantes, il peut paraître que la contribution de l’individu responsable de la décision formelle est vraiment très mineure ».
Par contre, la décision n’est pas prise par un seul opérateur mais par un ensemble de personnes. Selon Bernard Besson, la culture de l’information chez les anglo-saxons entraîne le partage de l’information. En France, il existe encore une rétention de l’information, une sorte de protection de soi-même par non délivrance d’informations que l’on connaît, alors que d’autres cultures privilégient une transmission rapide des connaissances, car, en principe, la particularité de l’information est qu’elle est un bien économique et non rival. Cela veut dire que sa consommation par un utilisateur supplémentaire ne réduit pas sa quantité disponible. Bien au contraire, l’information se multiplie en se recoupant avec d’autres. La diffusion de l’information est donc facteur de développement économique accéléré, alors que sa rétention conduit à une perte de bien pour la collectivité. Nous revenons à notre question : la décision doit-elle être individuelle ou collective ?

34Toute personne ayant prérogative à prendre des décisions au sein d’une organisation doit être informée. Autrement dit, la prise de décision rime avec le partage d’information. Mais la réalité est loin de cette conscientisation. Le problème de la circulation et du partage de l’information est toujours présent, que ce soit au Maroc ou ailleurs.

35À ce propos, E. Enriquez disait : « il y a des décisions prises en groupe qui sont en fait des décisions individuelles, et il y a parfois des décisions individuelles qui sont de vraies décisions de groupe ». Ainsi, prendre des décisions, individuellement ou collectivement, le problème ne se pose pas à ce niveau, mais plutôt au niveau de la capacité de travailler en groupe, pour servir toute la stratégie de l’entreprise. En effet, les personnes qui se sont habituées à travailler en groupe, peuvent décider même si elles sont contraintes par le temps ou les circonstances, en tenant compte d’une sorte de mentalité de groupe qui fait corps.

36D’un autre côté, les acteurs de l’entreprise développant un esprit de groupe fort, sont capables de faire face aux différents changements de l’environnement, avec un esprit de partage de connaissance très poussé. Cette performance est malheureusement éphémère, parce que les relations sont cloisonnées. C’est l’individualisme qui prime et chacun essaie d’accumuler le savoir dans son coin. Nous pouvons dire que le management de l’information, ou encore le partage des informations, sont un défi d’ordre culturel. Et comme disait Monsieur Alain Juillet, l’IE est un état d’esprit.

6.4 – Définition de la connaissance

37L’information diffusée doit faire l’objet d’une aide à la prise de décision, que ce soit au niveau tactique, ou opérationnel (au niveau de chaque département), ou stratégique (au niveau du système d’information global de l’entreprise). De plus, la valeur de ces informations varie plus ou moins dans le temps. Ainsi nous distinguons les informations considérées comme invariables à l’échelle de la dynamique de prise de décision (gammes, nomenclatures, coûts et capacités théoriques de production, stockage et transport), informations mises à jour de façon événementielle (aléas de production ou de transport), les informations mises à jour périodiquement qui proviennent du suivi de la production décrivant l’état du système à un instant donné (niveaux de stock, encours de production, de transport, etc.).

38En effet, le décideur se base sur les informations pour prendre une décision (tactique, opérationnelle ou stratégique). Au fil du temps, elle devient un élément acquis par le décideur et par les différents utilisateurs. Dans ce cas, nous ne parlons plus d’une simple information, mais plutôt d’une connaissance acquise à travers l’exploitation et l’utilisation de l’information dans divers contextes.

Schéma 4

Deuxième phase du processus de transformation des données « la valeur de l’information »

Schéma 4

Deuxième phase du processus de transformation des données « la valeur de l’information »

Source : Jean-Louis Monino et Gilles Lucato ; op.cit.

39La connaissance est donc l’ensemble des informations interprétées par l’entreprise lui permettant de passer à l’action et par conséquent, de prendre des décisions [10]. Dans ce cadre, nous pouvons proposer une approche de la connaissance comme étant une modélisation comprise de l’information, par l’écriture suivante.

40Taylor a fait également cette distinction, en parlant de la valeur de l’information. C’est-à-dire qu’en commençant par une donnée, cette dernière acquiert de la valeur tout au long de son évolution, pour atteindre en fin de compte l’objectif à exprimer une action pour prendre une décision.

41À ce niveau du processus d’IE, nous raisonnons en terme de connaissances et non pas en terme d’informations. En effet, la gestion des connaissances a connu, selon David. A, trois étapes d’évolutions tant sur les enjeux que sur les défis techniques et managériaux. Elle est née d’un objectif fortement centré sur la conservation des connaissances. Puis, elle s’est orientée vers l’utilisation et la réutilisation de ces dernières dans d’autres contextes. Cette idée a été renforcée par Grundstein, qui considère que les approches de gestion des connaissances ont évolué, et remarque que les questions technologiques et managériales prennent peu en considération les personnes, qui sont pourtant paradoxalement les acteurs principaux de ces approches.

42En effet, nous remarquons que ces approches évoluent en privilégiant aujourd’hui la nature relationnelle, sociale et humaine de la connaissance. Ainsi, les enjeux de la gestion des connaissances évoluent d’une idée de stockage à une logique de flux favorisant les interactions. Selon Ageron Blandine, Marie-Lyne Goury, A. Spalanzani, la collaboration devient aujourd’hui un enjeu majeur pour la gestion des connaissances car elle permet de placer les acteurs au centre de leur cycle de vie. La collaboration entre les acteurs nécessite une conscience collective, qui fait référence aux objets utilisés pour accomplir une tâche et aux interactions sociales dans un groupe. Un manque de conscience collective est généralement présenté comme une difficulté majeure à la collaboration au sein des équipes virtuelles.

43Par exemple, McMahon et al. (2004) soulignent les difficultés liées au manque de conscience collective en mentionnant que la plupart du temps, l’information existe au sein de l’organisation mais que les ingénieurs ne le savent pas. Un renforcement de la conscience collective entre les membres d’une équipe facilite donc leur collaboration et favorise le partage des connaissances. Selon Cohen et Roussel, la collaboration est un moyen utilisé par les entreprises au sein d’une supply chain, pour travailler ensemble et atteindre des objectifs communs, en partageant des idées, des informations, du savoir-faire, les risques et la valeur ajoutée.

44Le contexte collaboratif est un facteur essentiel pour stimuler et dynamiser le partage de connaissances et de savoir-faire au sein des organisations. Nous pouvons dire que gérer les connaissances, c’est apprendre à collaborer ensemble pour concevoir des nouvelles pratiques innovantes pour le développement durable au sein de l’entreprise. Et si l’information est considérée comme un flux de messages, en quelque sorte la donnée brute interprétée, alors la connaissance, quant à elle, est créée et organisée par un flux d’informations codées. Elle s’enracine dans le système de valeurs de l’individu et elle suppose des actions stratégiques qui se situent à un autre niveau plus avancé. Nous remarquons alors que cette exploitation donne encore plus de valeur à l’information. Par conséquent, cette dernière doit être protégée.

6.5 – Protéger l’information

45La sécurité de l’information est également un aspect fondamental du processus d’IE. Il ne suffit pas d’obtenir la bonne information au bon moment, de l’analyser et de l’intégrer dans le processus de décision, mais également de la protéger. L’entreprise doit être consciente que ses concurrents doivent pouvoir trouver autant d’informations sur elle qu’elle sur eux. Il y a alors une prise de conscience du besoin de protection nécessaire des informations quand l’entreprise se met à la place du concurrent. Cette empathie est bénéfique pour elle puisqu’elle invite à une remise à plat des politiques de communication et de confidentialité.

46Il faut savoir que toute information concernant une entreprise, une fois publiée par exemple sur Internet, ne lui appartient plus. Et plus l’information a de la valeur (connaissance), plus elle devient vulnérable et a besoin d’être protégée contre :

  • les failles du système informatique ;
  • le détournement de courriel ;
  • le vol de supports contenant des informations ;
  • l’interception de communication ;
  • l’abus des employés.
C’est le paradoxe des nouvelles technologies qui permettent de gagner en efficacité et en productivité avec la multiplication des connexions nomades, qui repoussent les frontières de l’entreprise, mais augmentent les risques. C’est pourquoi l’entreprise a besoin d’une stratégie de sécurité qui identifie les menaces, les vulnérabilités, voire les niveaux de risque admissibles.

47En effet, la mise en place d’un système pertinent de sécurité nécessite une classification stricte des informations car certaines n’ont aucune valeur stratégique. Cela permet de déterminer les besoins en sécurité, c’est-à-dire identifier avec précision les informations qui doivent être protégées de celles dont la circulation ne présente aucun risque. Ainsi, la confidentialité de l’information doit être dosée, sans être totalement paranoïaque. A cet effet, des réflexes sont à prendre comme par exemple :

  • ne rien laisser sur le disque dur d’un ordinateur portable ;
  • utiliser des disques durs amovibles ;
  • réduire les risques de vol en nettoyant son disque dur, en bloquant son démarrage ;
  • offrir des formations de bienséance pour sensibiliser les acteurs de l’entreprise.
Il est à noter que la politique de sécurité concerne tout le personnel de l’entreprise. Chacun doit s’engager à respecter les mesures et les procédures mises en œuvre pour la protection de l’information, de manière à ce que chaque service assure une partie de la protection. Là encore, se pose le paradoxe entre le partage et la sécurisation des informations. Il nous faut dire et redire que l’information prend sa valeur uniquement dans la réactivité de son exploitation et sa diffusion, ce qui peut entraver la démarche de l’IE. La thésaurisation de l’information est cependant encore répandue et encourage certains responsables à vouloir s’accaparer toute la démarche de l’IE dans leur entreprise sous couvert de « confidentialité ».

48Il faut encourager une culture de partage de connaissance ; ceci implique que l’ensemble du personnel, notamment à travers des formations de sensibilisation, dans la mesure où il faut savoir identifier ce qui doit être confidentiel. Bruno Martinet et Yves-Michel Marti définissent le lien entre information et pouvoir : « Il faut faire passer le message que l’information en elle-même n’est pas le pouvoir : c’est utiliser l’information qui donne le pouvoir, et plus on donne et on échange de l’information, plus on en reçoit ». En partageant l’information, l’entreprise prend de bonnes décisions, et en prenant de bonnes décisions, elle réussit à agir et réagir sur son environnement. C’est cette action que nous appelons : l’influence ou encore le lobbying. Influencer son environnement : « le lobbying »

49L’IE ne consiste pas seulement à comprendre quelque chose (par la veille) ni à protéger ce que l’on sait (en assurant la sécurité de son patrimoine informationnel). Elle suppose aussi, en plus de la capacité de décider, une capacité d’influer, sans avoir à recourir à la force ou sans promettre de contrepartie. Le « lobbying » vient du mot anglais « lobby », qui désigne un couloir, un vestibule [11].

50Plus précisément, un lobby est un groupe de pression qui tente d’influer les lois, les réglementations, l’établissement des normes (industrielles par exemple), les décisions, etc. pour favoriser ses propres intérêts, économiques en général. C’est un regroupement plus ou moins formel d’acteurs qui partagent des intérêts communs ou qui appartiennent à un même secteur d’activité professionnelle. Nous parlons aussi de groupe d’intérêts ou de groupe d’influence. Le lobbying, quant à lui, désigne la pratique de ces pressions et de ces influences qui s’exercent sur des hommes politiques, sur des pouvoirs publics et, plus largement, sur des décideurs.

51Nous pouvons dire alors que le lobbying, est une action d’une personne sur une autre, donc c’est une activité humaine naturelle, innée et aussi intuitive. Par ailleurs, l’action du lobbying rend un grand service à l’entreprise grâce aux flux de retour d’informations, soit au niveau opérationnel soit au niveau stratégique. Ce qui permet d’évaluer les résultats obtenus et, par conséquent, d’agir efficacement en mettant en place de nouvelles techniques de livraison, de nouvelles procédures de production, de nouvelles dispositions de surveillance du marché/clients/fournisseurs, etc.

52Ce retour d’informations est nécessaire pour connaitre ce qui se passe au niveau de chaque sous-système. Il faut remonter les anomalies qui peuvent y avoir en temps réel, pour ne pas bloquer l’enchainement des opérations de l’entreprise. Dans ce cadre, l’actualisation de la valeur des informations est donc un facteur dominant pour la prise de décision. Cette mise à jour des données représentatives de l’état du système est assurée par le suivi des opérations de l’entreprise. Elle constitue un feedback du système piloté vers le centre de décision, qui détecte les dérives entre les résultats réels des activités réalisées et les résultats ciblés par le plan prévisionnel.

53Dans un tel cadre, la réactivité de l’entreprise traduit la rapidité du processus décisionnel devant l’apparition d’un aléa de fonctionnement ou les sollicitations non prévisibles de l’environnement. C’est grâce à cette influence que l’entreprise, à travers son système d’information, peut réorienter sa stratégie et sa vision à court, moyen et long termes, ce qui lui demande de chercher de nouvelles informations au profit de ses opérations. Ainsi l’IE peut-elle procéder par itération en un cycle vertueux qui intervient régulièrement au niveau opérationnel comme au niveau stratégique.

Conclusion

54Le partage d’information est une réalité face à laquelle les entreprises doivent réagir consciemment. Il représente un facteur de développement économique accéléré, alors que sa rétention conduit à une perte de bien pour la collectivité. En parallèle de ce partage, il ne faut pas oublier d’identifier les informations susceptibles d’être diffusées, des informations stratégiques présentant un avantage concurrentiel pour l’entreprise. Cela demande tout un travail de sensibilisation pour développer un esprit et une culture de travail en groupe, dans un cadre d’intelligence collective. Devant ce constat, on revient à ce qu’a dit Mr Alain Juillet : « l’IE est un état d’esprit », et c’est tout un état d’esprit qu’il faut changer.

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Mots-clés éditeurs : Intelligence Économique, connaissance, échange, partage, décision, information

Mise en ligne 17/07/2013

https://doi.org/10.3917/maorg.018.0041

Notes

  • [1]
    Puisque la naissance de l’IE est venue suite aux évolutions des techniques de la veille technologique.
  • [2]
    « …Where is the wisdom we have lost in knowledge ? Where is the knowledge we have lost in information ? » (Où est la sagesse que nous avons perdue dans la connaissance ? Où est la connaissance que nous avons perdue dans l’information ?)
  • [3]
    F. Jacobiak
  • [4]
    Voir liste des abréviations.
  • [5]
    Pateyron E., 1998, La veille stratégique, Edition Economica.
  • [6]
    Selon Bruno Martinet et Yves Michel Marti.
  • [7]
    De plus, l’utilisation des TIC pour analyser les données est insuffisante. Cela doit être amalgamé en même temps avec les compétences personnelles de l’analyste. Donc la formation des ressources humaines dans ce sens est fortement conseillée.
  • [8]
    Cette opération n’est pas facile, il existe parfois des difficultés liées à la circulation et à la communication des données, pour des raisons d’organisation, de hiérarchie, de manque de coordination entre les divisions, de problème de partage d’informations et d’ignorance de la valeur de l’information… En effet, un blocage de transfert d’information peut provoquer un blocage au niveau de la livraison de la commande à temps, qui peut aller jusqu’à des pertes très significatives, en termes de coûts, d’énergie, de temps, de confiance vis-à-vis du fournisseur, et d’image vis-à-vis du client.
  • [9]
    Cette phase est appelée par Bruno Jarrosson : la phase d’instruction, au cours de laquelle, une fois l’alerte est déclenchée, et après avoir rassemblé l’information disponible sur le sujet, il convient de traiter et analyser cette dernière à l’aide des experts.
  • [10]
    Jean Louis Monino, 2012, « L’information au cœur de l’intelligence économiques stratégique ». Réseau de Recherche sur l’Innovation, Document de travail, N°27. A paraître dans les actes du colloque de Kenitra – chez le Harmattan février 2013.
  • [11]
    Vers 1830, en Angleterre, « lobby » désignait les couloirs de la Chambre des communes où les membres des groupes de pression pouvaient venir discuter avec les parlementaires.
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