Notes
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Logiciel mis en ligne sur le réseau Internet ou gestionnaire de contenu permettant de mettre à disposition un capital d’information aux membres d’une même organisation.
1L’émergence des communautés virtuelles électroniques (Virtual Communities of Practice - VCoPs) s’inscrit dans une évolution contemporaine des nouveaux usages des environnements informatiques. Elle s’inscrit directement dans le cadre des recherches concernées par la construction de nouvelles formes d’organisation du travail (NFOT) au même titre que le télétravail (Tremblay, Chevrier, Di Loreti, 2007) la téléactivité ou l’organisation du travail en environnement virtuel et numérique.
2En ces domaines, elle s’assimile encore, pour le continent européen, à une démarche innovante qui nécessite une adaptation des processus de communication et de management des ressources technologiques et sociales. Ce mouvement de pensée fait plus directement référence à la création d’environnements, d’accès à la connaissance, ou d’apprentissages médiatisés par l’usage des technologies informatiques (Linard., 1996) qui concourent à la consolidation d’applications ou de projets directement opérationnalisables en de nombreux domaines à caractères sociaux, économiques et éducatifs.
3Un nombre de plus en plus important d’institutions perçoivent les avantages, introduits par les technologies, et facilement accessibles, opérationnalisables dans leurs pratiques. Nous avons, en effet, en ces matières, un média support d’information qui permet de transcender notre rapport au temps et à l’espace géographique en réduisant les distances.
4Mais une part moins évidente de la compréhension de la démarche conceptuelle des communautés virtuelles concerne la dynamique des sciences humaines qui permet une structuration de l’organisation, adaptée à une telle gestion des connaissances.
5En ce sens, dans le registre de la gestion des ressources humaines, de nouvelles orientations pédagogiques et épistémologiques peuvent amener les membres de ces communautés à remettre en question les modes de gestion et de relations interpersonnelles au sein des organisations. C’est en cette matière, que la mise en œuvre pragmatique de communautés se définit comme une approche souvent encore innovante dans le contexte des organisations et entreprises, surtout lorsqu’elle suscite un réaménagement des procédures de travail (Park, Tennyson, 1987).
Principes fondateurs d’une communauté de pratique
6Par définition, les communautés de pratique correspondent à des groupes d’individus liés par un intérêt commun ou une passion commune et qui interagissent continuellement afin d’amender leurs pratiques individuelles et collectives. Lorsqu’elles sont supportées par l’organisation qui les accueille, les communautés jouent un rôle prépondérant dans l’enrichissement des champs de connaissances, utiles, ciblées et aptes à métamorphoser l’entreprise en organisation apprenante, en mobilisant le capital social et intellectuel de ses membres (Lesser, 2000 ; Cohen, Prusak, 2001).
7Le concept de communauté de pratiques (Lave, Wenger, 1991) se situe à l’interface de trois domaines scientifiques principaux : les sciences des technologies de l’informatique, les sciences de l’information et les sciences humaines et sociales.
8Ce type d’organisation communautaire mobilise la gestion des connaissances en environnement informatisé (à l’image du Knowledge Management d’origine nord-américaine). L’instrumentation de ces accès à la connaissance est assurée par une multitude d’outils technologiques spécifiques (plateformes de gestion de contenus [1] : blog, wiki, CMS, portail informatique, etc.) souvent destinés à gérer un capital d’informations entre membres d’une même pratique institutionnelle. Ceux-ci ont la capacité de donner à l’usager qui les utilise l’opportunité de mobiliser un ensemble de compétences multidisciplinaires. Pour autant, cette identification et le partage de connaissances entre membres d’une même pratique, ne sont pas formalisés en processus rigides. Tout au contraire, ils mobilisent au quotidien, dans les actes les plus courants des acteurs, l’ensemble des informations qui s’avèrent utiles à la pratique de l’activité commune.
9Une communauté est organisée sous la forme d’un processus de gestion des connaissances ; il s’agit d’identifier, de codifier, de diffuser, de mutualiser et de capitaliser l’information. L’acteur professionnel est une composante essentielle de cet accès à la connaissance, c’est lui qui assurera au sein de l’institution, la valorisation des ressources informationnelles qui constitueront le capital intellectuel et social de l’individu et de l’institution. L’usage de l’outil informatique n’est cependant à considérer qu’au titre de soutien et d’accessoire du mode de communication qui s’établira entre les membres. Il conviendra d’abord, concernant l’acteur social, de renforcer la compétence à collaborer dans un environnement informatisé. Selon les principes du travail collaboratif, il conviendra d’acquérir en premier lieu, les fondements théoriques pour mettre en œuvre, développer et pérenniser une communauté de pratique.
10L’adoption des principes de l’organisation apprenante, avancés par Chris Argyris (1974), peut permettre de structurer et de mutualiser les savoirs pratiques des acteurs en ces multiples domaines spécifiques. Dans une telle organisation, les intervenants deviennent, selon la formule d’A.L. Brown (1994) membres d’une communauté de recherche. Les intervenants professionnels sont, en partie, détenteurs d’une pratique déjà éprouvée mais non formalisée en concepts clairs (savoirs tacites). La structure organisationnelle des communautés leur donne ainsi l’occasion de rendre lisible, identifiable leur démarche. Cette dernière contribue, à la fois, à l’autoévaluation de leur pratique de terrain et à la construction d’un travail fondé sur les théories du travail collaboratif.
11Les applications potentielles sont nombreuses puisqu’elles regroupent toute situation, toute organisation où s’opère un accès aux connaissances en communauté. Les terminologies les plus fréquemment rencontrées sont celles de : communauté d’apprentissage, communauté de coopération, communauté de pratique, communauté d’intérêt, communauté de savoir, communauté apprenante, communauté virtuelle « learning community, collaborative learning, community of practice, community of inquiry, knowledge building, learning organisation, virtual community ». Si les définitions correspondent bien aux propriétés de leur lieu d’implantation, il en est autrement des règles communes qui régissent la vie d’une communauté.
12Les règles fondatrices d’une mise en œuvre de communauté s’intéressent à définir quels sont les contours des interrelations qui vont s’instituer entre les acteurs d’un nouvel artefact technologique socialement construit. L’instrumentation d’une médiation dans un environnement informatisé relève d’une réflexion d’ingénierie des connaissances qui investit trois domaines principaux tels les sciences de la communication, de l’information et des sciences humaines. Une telle infrastructure appelle à une hétérogénéité d’interactions entre systèmes d’informations, collaborateurs et organisations (Baker, 1994). L’évolution rapide des technologies exige une mise à jour constante des connaissances et des habiletés, ce qui souligne l’importance du développement de nouvelles capacités d’adaptation aux propriétés des outils technologiques mis à disposition. Le développement d’une telle capacité devient donc une « compétence » recherchée. Dans une économie basée sur la maîtrise compétitive de l’information, l’intelligence humaine se situe comme l’incubateur principal de pratiques permettant d’accéder aux connaissances.
Approche théorique des communautés de pratique
13L’approche conceptuelle des communautés de pratique virtuelles (Virtual communities of practice - VCoPs) d’origine nord-américaine (Lave, Wenger, 1991) suscite principalement l’intérêt des chercheurs et des chefs d’entreprises pour le potentiel de valorisation des ressources existantes, explicites qui peuvent être codifiées (Polanyi, 1967 ; Nonaka, Takeuchi, 1995) ou de meilleure prise en compte des ressources tacites existantes dans un contexte socioprofessionnel. Les communautés de pratique constituent le secteur le plus souvent nommé à titre de référence ; il se définit en des groupes d’individus qui partagent des sujets communs, des problématiques ou des passions communes dans un registre déterminé et développent leurs connaissances en interagissant ensemble pour étendre leurs compétences (Wenger, Mc Dermott, Snyder, 2002). Dans le cadre d’une organisation formelle d’entreprise, elles jouent un rôle d’importance en favorisant la créativité, le partage de connaissances utiles à la gestion de l’activité collective (Lesser, Prusak, 2000).
14Les communautés de pratique investissent plusieurs domaines de l’activité collective en réseau tel le travail collaboratif ou celui de l’organisation apprenante (Senge, Gauthier, 1991) en situant l’acteur comme un apprenti chercheur qui contribue à la co-construction d’une connaissance collective.
15Ce mouvement de pensée fait plus directement référence à la création d’environnements spécialisés dans l’accès à la connaissance, ou à l’information selon les contextes.
16La notion de gestion des connaissances est systématiquement accolée à la définition du concept de communauté. Pour autant, celle-ci n’est pas réduite au rôle de simple pourvoyeuse de technique ou d’information : un endroit où l’organisateur fournit le matériel et où les membres l’assimilent. Il conviendrait plutôt de la qualifier d’un endroit construit et partagé au quotidien où les participants ont un rôle égal à tenir pour obtenir une certification de leurs cheminements personnels, professionnels ou identitaires.
17Les applications potentielles investissent tous les secteurs, elles se concentrent sur tous les domaines de l’apprentissage, au sein des établissements scolaires et universitaires, des centres professionnels de formation et, majoritairement, au sein des entreprises.
18Il apparaît également que le concept de communauté est porteur d’une culture et d’une éthique et s’appuie sur une dimension innovante qui tente de positionner les acteurs comme membres d’une communauté de recherches (A.L. Brown, 1994). Il investit les préceptes de l’enseignement ancré et situé, et un mode de travail collaboratif. En ce sens, au sein de l’organisation communautaire, il s’agit d’introduire des modes de co-apprentissage, de co-expertise, et de co-construction des connaissances, de façon à susciter des rétroactions individuelles et collectives qui sont à même d’assurer une transversalité des connaissances.
19Si nous nous référons aux principes énoncés par les auteurs travaillant sur la thématique des e-communautés, le travail communautaire nécessite le respect de règles et d’aptitudes incontournables, en fonction des domaines explorés et des contraintes opposées. Il importe, à la base de l’action, que les membres de l’organisation aient une vision commune, une volonté commune des finalités à atteindre, et qu’ils disposent du temps nécessaire à la réalisation du projet d’apprentissage. Une caractéristique principale des communautés réside dans leur capacité à franchir les frontières formelles de l’accès aux savoirs et à investir de façon très « flexible » le domaine des connaissances à connotations tacites. Elles ont notamment la capacité de s’adapter aux exigences des contextes dans lesquels elles sont destinées à se développer ; aussi les retrouverons-nous très prochainement autant dans les domaines commerciaux, administratifs, éducatifs que gouvernementaux. Le média technologique devient, dans un tel contexte, un instrument incontournable ; il apparaît comme une opportunité, pour ses usagers, futurs membres communautaires, de s’affranchir des distances, du temps imputables à la gestion d’un projet commun. Mais cette instrumentation technologique ne représente pas une fin en soi, elle doit nécessairement s’accompagner d’une gestion des ressources humaines adaptée à un tel travail en réseaux. A la base, il s’agit bien, en effet, de valoriser les acteurs, et l’organisation qui devrait soutenir l’action d’un collectif humain. La définition de ces nouvelles approches managériales s’apparente à une reformulation du travail collaboratif en réseau (TCAO ou en terminologie anglaise CSCW, Computer Supported Collaborative Work) ; les communautés de pratiques représentent, en ce domaine, une occasion de redéfinir la notion même du KM (Knowledge Management) ; cette voie est empruntée par de nombreuses entreprises internationales. Cette trajectoire principale n’est, pour l’instant, prioritairement tracée que par les cabinets de consultants.
20La gestion des connaissances en réseaux prend, pour partie également, ses sources dans l’approche du Knowledge Management anglophone, elle permet aux organisations de structurer, de façon dynamique et évolutive, l’ensemble des informations vitales, utiles, ciblées, nécessaires à une gouvernance stratégiquement performante. La mobilisation de compétences multidisciplinaires doit permettre, aux usagers des outils technologiques, de déployer un savoir-faire qui structure les connaissances aux profits de l’organisation. Une gestion collective des connaissances permet, au final, de mieux mobiliser, mutualiser, capitaliser les informations des organisations et de leurs acteurs. La construction d’une démarche sociale et technique en environnement informatisé permet d’atteindre des objectifs de meilleure coordination des acteurs engagés dans une démarche de pratique commune.
21Les principaux apports de compétences en gestion de connaissances en réseaux permettent aux acteurs de :
- structurer, valoriser les informations au sein des organisations ;
- organiser l’échange de pratiques de façon collaborative ;
- créer des espaces de travail virtuels, distants ;
- valoriser la communication entre acteurs ;
- enrichir les pratiques et les ressources existantes.
22Le développement d’une communauté dépend également de la qualité de l’organisation qui sera mise en place ; celle-ci devra permettre une participation active des différents acteurs, les notions de leadership partagé, de collectif de recherche et de travail collaboratif, nécessitent l’adoption de ressources de gestion des ressources humaines qui soient en cohérence avec les finalités de la démarche visée. Le concept de travail communautaire peut, en ce sens, apporter un enrichissement du patrimoine commun de connaissances d’une spécialité. Il constitue un point de vue complémentaire dans une recherche d’enrichissement de l’organisation et présente quelques points de convergence avec le concept d’organisation apprenante qui répond aux définitions de Chris Argyris et Donald Schon (1974). Les objectifs organisationnels et ceux des individus seraient étroitement liés, selon cette définition ; il semble donc nécessaire de rechercher une typologie d’organisation qui puisse répondre aux multiples exigences des acteurs. Dans un tel système, l’objectif de l’activité participera à former un praticien capable de pouvoir réfléchir sur son action : « de créer et valider ses propres théories de l’action afin de les rendre efficaces ». Le positionnement de l’acteur, se fait malgré tout au sein d’une institution qui est considérée par Alain Eraly (1995) comme conditionnante : « l’acteur ne s’adapte pas à un environnement naturel mais à un environnement institué (enacted) ». L’apprentissage organisationnel constitue un phénomène collectif d’acquisition et d’élaboration de connaissances ; il constitue en cela une compétence pour l’organisation elle-même, lorsqu’il implique, dans une résolution de problèmes, plusieurs acteurs qui choisissent de partager, à cette occasion, leurs compétences.
23L’organisation apprenante permet aux salariés de transformer leurs compétences par et dans (Collectif, 1998) l’activité professionnelle, dans une optique de management des ressources humaines qui favorise le développement et l’apport des compétences des sujets. Dans une telle approche, la compétence est identifiée comme productrice de performances pour l’entreprise, les collectifs de travail peuvent alors devenir porteurs de la compétence collective. L’organisation ne saurait néanmoins se résumer en l’addition de compétences hétérogènes des acteurs au sein de l’organisation ; comme le précise André Moisan (Moisan, Carré, Poisson, 1997) elle se présente comme un point d’articulation entre savoirs et phénomène organisationnel et constitue un véritable enjeu pour les entreprises.
La mise en œuvre : construire, animer et développer une communauté
24Le modèle universel de mise en œuvre des communautés n’existe pas par nature mais par destination ; ce sont, en effet, les membres d’une communauté qui formaliseront les propriétés et constituants organisationnels qui seront à valoriser, notamment en terme de gestion des ressources d’abord humaines et, ensuite, de gestion technologique des ressources. L’approche conceptuelle est issue des travaux de la recherche et servira de base de référence, certains consultants-chercheurs (Wenger, 1999; Davenport, Prusak, 1998) ont dans ce domaine établi des guides et référentiels indicatifs.
25L’intégration de l’informatique dans une organisation entraîne à repenser l’architecture de la logique organisationnelle et particulièrement les règles usuelles de communication sociale. De plus, la conception d’une organisation de type dispositive, c’est-à-dire un lieu où les acteurs utilisent les médias et ressources mis à leur disposition afin de les mobiliser aux profits de l’entité qui héberge et consolide l’action collective est d’une nature tout à fait différence d’une structuration qui oriente de façon affirmée et contrôlée l’action de ses membres. Dans le domaine de la sociologie de l’usage, Alain Kéravel s’est intéressé à la logique qui sépare l’usage prédit de l’usage réel ; il ne suffit pas, en quelque sorte, de concevoir un dispositif, si performant et bien pensé fût-il, pour qu’il ouvre l’adhésion des principaux bénéficiaires. Il convient, par opposition, de comprendre tous les domaines sociaux techniques qui entrent en jeu dans la perception des acteurs, comme, par exemple, la typologie des usagers, des services mis œuvre, de l’environnement social ainsi que des effets de la technologie sur la définition de l’identité sociale de l’usager. En cette matière de conception, le modèle conçu est prédictif par nature, la réussite de l’intégration du dispositif n’est effective que lorsque les utilisateurs l’ont en quelque sorte banalisée par leurs usages. Les acteurs sociaux déterminent et sélectionnent, au final, les usages qui contribuent à la définition de leur identité professionnelle. Pour assumer une part de réussite dans le design de la construction d’ensemble, la construction, l’animation et la pérennisation dans le temps d’une communauté de pratique suppose de suivre les recommandations des experts initiateurs du concept. Bien que cela s’apparente à une démarche particulièrement difficile à décrire dans le cadre de cette présentation, nous pouvons néanmoins en dégager les principales orientations.
26La première étape du projet de création d’une communauté consistera à fédérer un groupe de personnes qui sont engagées dans une entreprise commune : bien souvent ces personnes ignorent qu’elles travaillent sur un même sujet. Bien que chaque groupe, dans sa démarche collective, identifie un sujet qui lui est propre, à la base de cette construction, se développent, dans tous les cas, des démarches de négociation et d’attribution de responsabilités.
27L’engagement des membres reposera également sur des règles bien définies, celles-ci seront sensiblement basées sur les mêmes valeurs, indépendamment de la complexité des projets mis en œuvre, au sein de chaque groupe de personnes.
28Enfin, en dernière étape, les membres communautaires travailleront à la constitution d’un répertoire partagé, qui constituera le résumé de leurs pratiques hétérogènes, ce répertoire peut être assimilé à une identification de leurs histoires, parcours et histoires de vie. Ces discours et intercommunications auront pour support principal les technologies spécialisées dans le domaine du travail collaboratif. La technologie sera donc le support principal de communication ; pour autant, elle ne représente pas l’unique source support de communication.
29Aussi, la gestion des ressources humaines au sein de ces espaces collaboratifs est-elle favorisée par l’adoption d’un « leadership partagé ». Chaque membre, si l’on se réfère au concept de « participation périphérique légitime » de Etienne Wenger peut apporter le fruit de ses connaissances, compétences et expertises à la communauté. Il co-construit collégialement un registre de connaissances partagées. Il fait partie intégrante d’une équipe en recherche perpétuelle d’acquisition de nouvelles compétences.
30Afin de donner corps à cette ambition, il reste aux responsables communautaires à mettre en place une gestion des communications qui respecte l’identité culturelle (Wenger, 1999) de chacun des membres. Le respect d’autrui, l’empathie, la croyance en des valeurs communes, l’authenticité des discours et des échanges, sont autant de valeurs qui constituent ce que nous nommerons les valeurs éthiques, morales et identitaires qui serviront de modèle aux échanges interpersonnels. Que les communautés d’apprentissage soient d’origine autodéterminées ou sponsorisées par un groupe économique ou social précis, elles respecteront ces valeurs communes. A défaut de respecter ces multiples orientations conceptuelles, elles risquent de disparaître à plus ou moins longue échéance.
Rôles et attitudes des usagers professionnels
31Dans le monde économique contemporain, l’accès à l’information utile, concurrentielle, fonde pour partie la réussite des organisations (Bressler, Grantham, 2000) ; le principe prévaut tout autant pour les institutions qui ont pour objectif de favoriser l’enrichissement des connaissances sous toutes ses formes.
32Les nouvelles formes d’organisation du travail, dans ce contexte dynamique et en perpétuel mouvement, prennent pour point d’appui central, mais non exclusif, une forte mobilisation des technologies informatiques. Ainsi, pouvons-nous identifier dans ces créneaux d’activité le travail à distance, le télétravail, le travail en réseau ou bien encore le travail collaboratif assisté par ordinateur (TCAO) ou son courant anglophone le Computer Social Cooperative Work. (CSCW).
33Les réseaux électroniques contribuent à développer ou à créer de nouvelles formes de collaboration et d’échanges partenariaux dans ce que l’on nomme dorénavant, de plus en plus, les environnements virtuels. Cet engouement pour les toujours nommés « nouveaux » outils technologiques est, de notre point de vue, fondé par l’attractivité des propriétés des instruments et outils logiciels qui décuplent sans cesse les possibilités de communication. Au titre de ceux-ci, les technologies du réseau international Internet jouent un rôle prépondérant dans le développement des échanges de communications et de pratiques en réseaux.
34La pratique des outils génère, dans le même temps, une logique de développement de compétences ; Alex Mucchielli (1998) précise que les connaissances s’accumulent par la pratique de l’accès à l’information en réseau. Nous pouvons communément dire qu’elles sont socialement construites et diffusées au sein d’un terrain spécifique de travail. Cependant, elles n’y sont pas conscrites, l’intérêt de la pratique ne se limite pas aux frontières d’une profession, d’une spécialité donnée. En ce sens, il s’agit pour les membres, parfois de façon implicite, d’une nouvelle opportunité de conjuguer leurs intérêts personnels à ceux de l’entreprise, dès lors qu’ils peuvent devenir source d’enrichissements pour toutes les composantes de l’organisation.
35Dans le domaine du travail communautaire, les relations interpersonnelles jouent un rôle prépondérant dans la qualité de la réussite de l’entreprise commune. Dans une telle organisation, l’alignement stratégique et la gestion des ressources humaines nécessitent le respect de certaines orientations et de certains positionnements de départ clairement établis. Comme toute entreprise, la gestion d’une communauté est effectuée dans le respect de règles économiques, financières et juridiques précises. Par référence aux principes énoncés par Etienne Wenger (1999) le travail communautaire nécessite le respect de règles et d’aptitudes incontournables en fonction des domaines explorés et des contraintes opposées. Il importe, à la base de l’action, que les membres de l’organisation aient une vision commune, une volonté commune des finalités à atteindre, et qu’ils disposent du temps nécessaire à la réalisation du projet commun. L’organisation est structurée par l’attitude de ses membres, qui doivent respecter, notamment en termes de communication interpersonnelle, les attitudes fondamentales qui constituent ses valeurs. Les membres constituant la communauté, sans distinction de rang hiérarchique, ni d’appartenance communautaire, s’accordent une attention réciproque dans leurs démarches finalisées d’accès aux connaissances. Une écoute compréhensive, l’empathie et la prévenance sont des attitudes qui favorisent le sentiment d’identité et d’appartenance au groupe qui s’engage dans une entreprise, dans un projet commun.
36Le dialogue entre membres est basé sur un caractère authentique, une écoute active, une forme de tolérance qui sont de nature à assurer une forme de confiance dans la qualité des rapports de communication qui s’établissent entre les membres. Une réciprocité d’échanges ou bien encore une forme d’entraide, permet d’ancrer un contexte de solidarité et de responsabilité entre acteurs qui, de fait, devraient au final se sentir encouragés, valorisés et respectés dans leurs cheminements respectifs, que ceux-ci soient de nature individuelle ou collective.
37Le rôle de l’animation tient une place prépondérante dans la réussite de la construction d’ensemble ; elle est largement déterminée par la taille et le domaine d’activité de l’organisation. Mais elle n’est pas une spécialité à part entière ; elle peut correspondre à l’identification et à la nomination d’un membre reconnu comme expert dans son domaine par les autres usagers de la communauté.
38La nature et l’ampleur de l’usage des technologies de communication conditionnent mais ne déterminent pas la réussite de la mise en œuvre ; le choix adapté des outils techniques est important mais non primordial pour la pérennisation de la démarche.
39L’engagement dans un processus de communication induit, en arrière-plan, pour les membres, un développement de compétences relationnelles et de communication qui nécessite, à divers niveaux, des orientations, des négociations et une collaboration collective.
40Dans un tel cadre conceptuel d’engagement, il s’avère également indispensable que les personnels encadrants adhèrent aux valeurs de l’approche communautaire et qu’ils y soient formés. Il est également important que les membres puissent disposer de ressources de travail en qualité et quantité suffisante. Des échanges nombreux entre communautés constituées et communautés externes sont favorisés par l’appel aux technologies communicationnelles distantes, comme le réseau Internet.
41Le concept investit les préceptes de l’apprentissage situé et du travail collaboratif ; en ce sens, il s’agit d’introduire des modes de co-apprentissage, de co-expertise, de co-construction des connaissances, de façon à susciter des rétroactions individuelles et collectives qui assurent une transversalité des connaissances. La mise en pratique, dans un contexte réel et situé, a pour but de fournir des ressources mais aussi des solutions à des problèmes complexes et d’introduire un autre paradigme de gestion, adapté à une instrumentation sociale, bénéficiant souvent, des meilleurs soutiens technologiques. Une contribution majeure dans la définition du concept est fournie par Johnson Lentz lorsqu’il précise qu’une communauté d’apprentissage peut être positionnée comme un incubateur social de partage et de création de connaissances. Une telle approche suppose une vision commune, un engagement, de l’imagination et un alignement stratégique des ressources matérielles au profit des acteurs et de l’organisation.
42Si nous nous référons aux principes énoncés par Etienne Wenger (1999) il importe, à la base de l’action, de la pratique, d’initier sciemment la mise à plat des conditions qui faciliteront l’instrumentation du projet. Parallèlement, il s’avère nécessaire que les membres de l’organisation aient une vision commune, une volonté définie collectivement vis-à-vis des finalités à atteindre, et qu’ils disposent du temps nécessaire à la réalisation du projet de construction d’une communauté de pratiques. Les principes éthiques et culturels développés dans les études de l’auteur mettent notamment en relief l’importance de la culture du contexte social dans l’acquisition des savoirs et savoir-faire spécifiques aux communautés. Celle-ci devient donc, au terme de sa construction, un sous élément d’un ensemble plus grand auquel il convient de se connecter pour enrichir ses connaissances. Les champs d’activités s’interconnectent et forment, au final, un capital culturel commun (J.S. Brown, Duguid, 1991) qui profite à l’enrichissement des connaissances de l’ensemble des constituants de l’organisation. Cet équilibre est dit distribué entre les membres qui constituent les véhicules du capital collectif de l’organisation ; il repose sur une forme de reconnaissance des savoirs transmis, et sur la pertinence de ces apports pour le capital commun.
Une forme d’autorité de la compétence
43La gestion de l’information au sein des communautés s’apparente à une écologie de la connaissance où s’exercent les talents et compétences des acteurs. Ce type d’organisation institutionnelle est supposé, en ce sens, gérer et favoriser l’orientation de trois types de rencontres : celle du produit, celle de l’entreprise et celle des hommes qui la constituent, ainsi que des moyens et des outils technologiques qui apportent leur soutien à une telle démarche. C’est particulièrement dans leur capacité à faire se conjuguer ces divers constituants de la vie économique et sociale que réside l’intérêt des communautés de pratique (CoPs). Les éléments de compréhension des mécanismes méthodologiques qui animent ces organisations sont de divers ordres. Le plus souvent, il importe de comprendre comment se gèrent les relations interpersonnelles au sein de telles organisations, et comment se construisent les intérêts des membres. La prise en compte des lois et propriétés de l’environnement naturel dans lequel se construit le processus d’édification institutionnelle d’une communauté joue également un rôle primordial.
44L’instrumentation de la communication au sein des CoPs laisse une place importante à la notion d’auto-régulation du dispositif. Les membres gardent une part d’autonomie dans la conduite finalisée de leur cheminement individuel au sein de l’environnement, dès lors où la démarche individuelle ou collective sert l’organisation mise en place. Dans cet espace, comme nous l’avons énoncé, souvent mais non systématiquement virtuel et électronique, la vie sociale de l’information (J.S. Brown, Duguid, 1999) est importante et permet aux membres, usagers de ces technologies de disposer d’une forme d’autorité et de pouvoir de la compétence au quotidien (Dillenbourg et alii, 1994).
45Les règles de communication et de management de la compétence y introduisent une forme différente de gestion hiérarchique entre acteurs.
46Les interrelations sociales, sont notablement fondées sur une dynamique où la confiance, la réciprocité d’action entre membres est privilégiée. Les fondations du management des ressources humaines y correspondent parallèlement à la forme d’un « leadership partagé». Ainsi, l’identité d’un membre sera-t-elle d’autant plus affirmée que ses contributions à l’augmentation des connaissances collectives seront importantes. Mais cette transmission de compétences, parfois même essentiellement basée sur l’expérience ou l’expression de savoirs tacites, ne suffit pas à assurer cette représentativité. La forme de communication de cette connaissance sera d’autant plus facilitée si son détenteur en assure une diffusion élargie, dynamique, accessible et pertinente. Cette définition de la diffusion nécessitera une disponibilité du détenteur de l’information qui investira le rôle d’un animateur ; ce statut est central dans la dynamique de diffusion et de partage de connaissances au sein de l’organisation. Ces éléments ou composants organisationnels, sociaux et technologiques, sont à confronter aux modes de gestion des ressources humaines qui accordent un rôle d’importance aux théories de l’Organisation scientifique du travail (OST, cf. F.W. Taylor, 1856-1915) qui régissent pour partie nos organisations contemporaines. Ils modifient, notablement également, les premières démarches qui ont consisté à rationaliser l’entreprise en établissement des règles de gestion de la fonction administrative au sein des entreprises. (Henri Fayol, 1841-1925)
47Dans une démarche d’ingénierie sociale, ce nouveau positionnement épistémologique amène à susciter une démarche qui peut s’apparenter à une innovation radicale (Pör, 2000) qu’il devient nécessaire de comprendre pour mieux la gérer.
Discussion
48La mise en œuvre d’une communauté au sein d’une institution déjà constituée suscite, pour l’encadrement hiérarchique en place, une adaptation, une évolution de ses méthodes de management des ressources humaines.
49L’encadrement hiérarchique a, dans ce contexte, de nouveaux rôles à remplir, lorsque l’environnement de travail change du fait de l’évolution des techniques ; les relations interpersonnelles sont supposées s’adapter aux propriétés renouvelées de ces environnements. Il s’agit, dans un tel contexte, d’accompagner le changement organisationnel et de traiter l’intégration de l’innovation sociale ainsi appréhendée.
50Les membres n’appartiennent pas seulement à une organisation, ils en sont les constituants et la définissent par leurs interactions sociales. Le management contemporain s’apparente, dans ce contexte, à une instrumentation sociale et technique qui initie de nouvelles règles de communication entre les acteurs et le lieu de travail. L’organisation décentralisée devient ainsi plus sociale, parce que plus à l’écoute des motivations des acteurs à opérer d’autres modalités de travail. En un sens, les nouvelles formes de travail deviennent, au sens littéral, éminemment plus humaines que techniques.
51Actuellement, la révolution technologique du XXe siècle privilégie la circulation performante de l’information ; elle change les modèles traditionnels de la société d’accès aux connaissances. Ce nouveau système de communication, fondé sur la convergence, avec un management adapté des ressources humaines, ouvre de nouveaux horizons aux acteurs désireux de s’émanciper d’un système décisionnaire centralisateur. De notre point de vue, il importe de préparer les membres des communautés de pratique à assumer de nouveaux rôles, notamment au moment de l’intégration de l’innovation organisationnelle en contexte, déjà légitimés par des pratiques considérées comme plus traditionnelles. Nous pouvons comprendre, au terme de ces développements que c’est donc plus la question de l’adaptation des méthodes de ressources humaines, au sein de chaque institution, qui créera les conditions de la réussite de l’implantation de nouvelles communautés de pratique.
52Dans le domaine de la construction des nouveaux environnements numériques, nous pouvons penser que la conception scientifique de ces espaces de travail nécessitera une reformulation des pratiques managériales. Mais, au final, celles-ci génèreront des façons de faire, des stratégies qui fonderont un choix de management des ressources humaines qui devrait être adapté au contexte très mouvant des technologies de communication et de gestion des ressources en environnement informatisé. Les propriétés de ces environnements sont mouvantes, en perpétuelle évolution et génèrent de multiples remises en question des pratiques professionnelles. Cependant, ces nouveaux aménagements stratégiques permettront d’apporter aux organisations une réponse adaptée aux défis d’une société de l’information qui mobilisera toujours plus les technologies de l’information.
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Notes
-
[1]
Logiciel mis en ligne sur le réseau Internet ou gestionnaire de contenu permettant de mettre à disposition un capital d’information aux membres d’une même organisation.