Couverture de MAORG_008

Article de revue

Statistiques agricoles : Pour des indicateurs de durabilité au niveau de l'exploitation

Pages 149 à 172

Notes

  • [1]
    Ce travail a bénéficié du soutien financier de l’ Agence Nationale de la Recherche au titre du projet Impacts du programme Agriculture et Développement Durable (ANR-05-PADD-Impacts).
  • [2]
  • [3]
    Le PIB ne prend pas en compte l’épuisement des ressources naturelles et les dégradations de l’environnement dues aux activités de production et de consommation. En outre, les dépenses « défensives » consacrées à la protection de l’environnement induisent un accroissement du PIB. De même, les restaurations mêmes partielles d’un environnement dégradé conduisent à une augmentation artificielle du PIB. Afin de prendre en compte ces effets, deux corrections du PIB ont été proposées : i) le Pib minoré de la dépréciation du capital naturel, qualifié de PIB « vert » ; ii) le PIB « vert » minoré des dépenses restauratrices et défensives, qualifié de PIB « soutenable ».
  • [4]
    L’épargne nette ajustée se définit comme l’épargne nette accrue des dépenses d’éducation mais diminuée de la consommation de capital fixe et des dommages aux ressources naturelles (e.g. production de gaz à effet de serre). Cet ajustement aboutit à une estimation pouvant représenter seulement la moitié de l’épargne monétaire (Esty, 2001).
  • [5]
    L’empreinte écologique mesure pour un individu ou une population la surface nécessaire à la production des principales ressources consommées par cette population et à l’absorption des déchets (Rees, 1992).
  • [6]
    Depuis le premier rapport sur le développement humain en 1990, le PNUD propose une famille d’indicateurs composites permettant une évaluation des progrès du développement humain par pays : l’indicateur du développement humain (HDI), l’indicateurs de pauvreté humaine décliné en deux versions (l’une HPI1 pour les pays en développement, l’autre HPI2 pour les pays développés), l’indicateur mesurant l’inégalité de genre (GDI) et la mesure de la responsabilisation des femmes (GEM) http://hdr.undp.org/hdr2006/statistics/indices.
  • [7]
    L’Environmental Sustainability Index (ESI), initiative conjointe du Yale Center for Environmental Law and Policy (YCELP) et du Center for International Earth Science Information Network (CIESIN) de l’Université Columbia, évalue pour 146 pays selon 21 critères « la capacité à protéger l’environnement dans les prochaines décennies ». Dans cette évaluation, publiée au Forum économique mondial 2005 à Davos, la première place va à la Finlande et la dernière à la Corée du Nord.
  • [8]
    System of integrated Environmental and Economic Accounting
  • [9]
    National Accounting Matrix including Environmental Accounts
  • [10]
    Material Flow Accounts (MFA), cf. Nations-Unies (2001).
  • [11]
  • [12]
  • [13]
    Programme STOC, suivi temporel d’oiseaux communs : alouettes, passereaux, et autres espèces endémiques d’oiseaux des champs.
  • [14]
    Land Use/Cover Area frame Statistical survey (http://dataservice.eea.europa.eu/dataservice)
  • [15]
    Cf.http://www.cnis.fr.
  • [16]
  • [17]
  • [18]
    Conférence ministérielle pour la protection des forêts en Europe (1993). Ces critères sont : i) conservation et amélioration appropriée des ressources forestières et de leur contribution aux cycles mondiaux du carbone ; ii) maintien de la santé et de la vitalité des écosystèmes forestiers ; iii) maintien et encouragement des fonctions de production des forêts (bois et non bois) ; iv) maintien, conservation et amélioration appropriée de la diversité biologique dans les écosystèmes forestiers ; v) maintien et amélioration appropriée des fonctions de protection dans la gestion des forêts (notamment sol et eau) ; vi) maintien d’autres bénéfices et conditions socio-économiques.
  • [19]
  • [20]
    Pour « Pressure-State-Response » http://www.oecd.org/env/.
  • [21]
    Pour « Driving Forces-Pressure-State-Impact-Response ».
  • [22]
    Système national d’identification des personnes physiques et morales et de leurs établissements.
  • [23]
    ADD est un programme fédérateur de l’Agence nationale de la Recherche http://www.agence-nationale-recherche.fr.
  • [24]
  • [25]
    cf. http://www.idea.portea.fr, la définition de l’exploitation durable par IDEA est empruntée à Landais (1998).
  • [26]
    Nomenclature des unités territoriales statistiques (http://ec.europa.eu/eurostat/ramon/nuts/).
  • [27]
    La PRA, formant une zone agricole homogène, est constituée par le croisement du département et de la région agricole (RA). La France métropolitaine est découpée en 713 PRA.
  • [28]
    Sur l’utilisation de méthodologies multivariées dans la conception de zonages agricoles, cf. l’illustration en Bourgogne donnée par [Desbois et Hilal, 1998].
  • [29]
    Sur cette problématique de zonage, voir Hilal et Desbois (1996).
  • [30]
“I will conclude with a final observation about the importance of indicators [....] Therefore, by implication, we play a critical role in measuring the effectiveness of public policy and private business decisions that influence national agricultural performance.”
R. Ronald Bosecker ICAS III “Measuring Sustainable Agriculture Indicators”

1Au premier plan des enjeux actuels de l’intégration des systèmes statistiques à leur environnement économique figure le caractère durable du processus de développement. En effet, le Sommet mondial pour le développement durable réaffirme dans ses Moyens d’exécution [2] l’engagement de la communauté internationale en faveur du développement durable et appelle dans son plan d’action à renforcer les services nationaux et régionaux d’information, de statistique et d’analyse sur les politiques de développement durable (§ 129), encourageant à poursuivre les travaux sur les indicateurs (§ 130 et 131).

2La place qu’occupent désormais les systèmes statistiques en tant que pourvoyeur d’informations et de connaissances sur l’évolution des sociétés modernes mais également en tant que producteur de normes pour la gestion des biens en particulier environnementaux justifie qu’une attention particulière soit portée au processus d’élaboration des indicateurs. Quels sont les objectifs poursuivis et les concepts mobilisés par la construction des indicateurs du développement durable (IDD) ? Dans quel contexte institutionnel s’inscrit en Europe et plus particulièrement en France leur développement ? Quels sont les problèmes de définition et de mesure posés par les IDD ? Enfin, comment s’inscrit leur mobilisation et leur usage au sein des débats en cours sur l’empreinte écologique des activités agricoles et la libéralisation des marchés agro-alimentaires ?

3Cet article tente d’apporter des éléments de réponse tout d’abord par une revue des concepts impliqués dans les IDD jusqu’ici proposés. En second lieu, décrivant leur intégration aux systèmes statistiques européen et national, ce texte souligne leur participation à la production de normes environnementales à travers des exemples portant sur l’aménagement du territoire, la gestion de la ressource en eau, la qualité des sols, la gestion des déchets et l’exposition aux risques : leur élaboration s’inscrit explicitement dans le cadre de stratégies de développement socio-économique. Dans un contexte national décrit en troisième partie comme régi par la contrainte communautaire, l’article montre dans la quatrième partie comment une mesure territorialisée de la durabilité des exploitations agricoles s’insère dans le contexte actuel de redéfinition de la Politique agricole commune (PAC), éclairant le débat sur ses nouvelles orientations. Dans sa dernière partie, le texte identifie les défis auxquels seront confrontés les systèmes statistiques dans le court et moyen terme pour mesurer la durabilité.

1 – Des concepts aux indicateurs du développement durable

4Intégrant l’information disponible pour décrire qualitativement et quantitativement les systèmes étudiés, les IDD visent, à simplifier la complexité systémique pour communiquer des informations opérationnelles nécessaires à la prise de décisions. Selon leur contenu et leurs usages, les IDD peuvent être classés en trois grandes familles : les indicateurs synthétiques, les comptes environnementaux et les batteries d’indicateurs.

1.1 – Indicateurs synthétiques

5La communication autour des objectifs du développement durable en direction des citoyens requiert une sélection d’indicateurs intelligibles par tous et susceptibles d’emporter l’adhésion du plus grand nombre afin d’influer sur les comportements individuels, démultipliant ainsi les effets des mesures incitatives. Sont classiquement utilisés des indicateurs synthétiques comme le produit intérieur brut (PIB) par tête corrigé de la dépréciation du capital naturel [3]. D’autres indicateurs synthétiques comme l’épargne nette ajustée [4] sont utilisés par la Banque mondiale pour mieux prendre en compte certaines composantes marchandes ou non-marchandes ignorées par le Pib. Des indicateurs alternatifs, comme l’empreinte écologique [5] largement popularisée par certaines ONG ou celui du bien-être économique (Osberg et Sharpe, 2002) issu de travaux académiques présentent encore un caractère expérimental : faute de consensus sur la méthodologie d’estimation ou de données fiables pour estimer certaines composantes, les estimations ne sont pas disponibles pour tous les pays.

6Malgré leurs qualités intrinsèques, ces indicateurs synthétiques ne sont pas adaptés à un suivi ciblé sur les objectifs spécifiques des politiques publiques environnementales. On fait alors appel à des indicateurs composites comme ceux du développement humain [6] du PNUD, ou comme l’indice de durabilité environnementale (ESI [7]) du Forum de Davos.

1.2 – Le développement de la comptabilité environnementale

7L’objectif du système international de la comptabilité environnementale (SEEA[8]) est de fournir un cadre intégré et cohérent des relations entre économie et environnement, en rapprochant données physiques et monétaires et en reliant les flux aux stocks. Dans ce contexte, un certain nombre d’outils ont été mis au point selon les pays pour tenter de relier activités économiques et pressions environnementales, parmi lesquels figure l’élaboration de comptes nationaux augmentés de comptes environnementaux rapprochant les données économiques des données physiques par branche d’activité. Ainsi, la méthodologie NAMEA[9], développée par Statistics Netherlands à la fin des années 80, est basée sur les tableaux entrées-sorties de la comptabilité nationale augmentés de comptes environnementaux exprimés en unités physiques. La comptabilité des flux de matières recense l’intégralité des flux de matières entrant et sortant de l’économie. Rapprochés d’agrégats économiques tels que le Pib, les comptes de flux de matières [10] renseignent sur la productivité des ressources mobilisées pour le fonctionnement de l’économie.

1.3 – Les stratégies de développement durable, cadres conceptuels du développement d’indicateurs

8Le suivi des mesures gouvernementales en faveur du développement durable dans un but d’évaluation des politiques publiques suppose d’édicter des normes techniques sur la base des objectifs affichés et des connaissances scientifiques disponibles puis d’élaborer des batteries d’indicateurs statistiques utilisables par les spécialistes pour des analyses approfondies. En raison de la multiplicité des interactions entre les trois sphères du développement, le caractère intrinsèquement multidimensionnel du développement durable conduit à déployer un éventail assez large d’indicateurs pour pouvoir prétendre à la pertinence. On doit également faire face à la diversité des référentiels promulgués par les observatoires de la durabilité, qu’il s’agisse d’offices régionaux, d’instituts gouvernementaux ou bien de programmes internationaux. Depuis les 45 indicateurs présentés en 2003 par l’Institut français de l’environnement (IFEN), en passant par les 155 indicateurs proposés en 2005 par l’Union européenne (UE), jusqu’aux 900 indicateurs de la Banque mondiale sur le développement (World Development Indicators, 2007), ces référentiels ont atteint un niveau de complexité qui rend ardue toute tentative de synthèse.

9Il faut donc disposer de cadres conceptuels pour gérer cette complexité en l’organisant de telle sorte que les indicateurs sélectionnés puissent être mis en relation avec les objectifs des politiques publiques afin d’être exploitables par la sphère publique concernée. L’existence de thématiques permet de structurer les travaux par groupes d’indicateurs : l’inventaire OCDE des batteries d’IDD (Hass et al., 2002) montre qu’afin de pouvoir concilier lisibilité et précision, les instituts nationaux et internationaux de statistiques structurent la batterie d’indicateurs en une hiérarchie de thèmes et de sous-thèmes. Les stratégies nationales de développement durable (SNDD) ont vocation à fédérer les politiques publiques menées dans chacune des sphères du développement afin de s’assurer de la compatibilité des objectifs de croissance économique, de protection de l’environnement et de bien-être social. Ainsi, certains pays s’appuient explicitement sur leur SNDD pour structurer leur batterie d’indicateurs : l’Autriche mobilise 48 indicateurs pour évaluer les progrès effectués dans l’accomplissement de 20 objectifs-clés. D’autres pionniers en la matière, comme le Canada ou la Norvège, déclinent le concept de capital selon les dimensions du développement en autant d’actifs nationaux qu’il est souhaitable (capital financier, naturel, humain, social, voire subdivisé en actifs produits) pour raisonner en termes de stocks et de flux. Par exemple, la Norvège évalue son capital naturel en termes de ressources renouvelables et d’écosystèmes tandis que le capital financier est évalué en termes d’épargne corrigée de la consommation de pétrole et de revenu net par habitant. Cette approche est également adoptée par l’OCDE pour sa série d’indicateurs fondamentaux du développement durable (OCDE, 2001) qui s’organisent en actifs environnementaux, actifs économiques et capital humain.

10En 1995, la Commission des Nations-Unies pour le Développement durable adopte une liste de 134 indicateurs organisée en trois volets : forces motrices, état et réponses. La pertinence et la faisabilité de ces indicateurs ont été testées en 1998 par un panel de pays candidats (Allemagne, Autriche, Belgique, Finlande, France, Royaume-Uni) en coopération avec des pays en développement (Maroc et Tunisie) Parmi les problèmes rencontrés, figuraient, l’absence de données statistiques pour certains indicateurs, des problèmes méthodologiques d’estimation pour d’autres, et enfin des difficultés d’interprétation dans les comparaisons (le taux d’équipement des ménages en téléphonie n’a pas la même signification pour un village tunisien ou français).

11Depuis, les Nations-Unies ont progressivement renoncé à proposer des indicateurs à vocation universaliste et s’oriente vers une définition régionalisée. Désormais, les 138 indicateurs de base des Nations Unies sont regroupés autour d’un noyau de 58 indicateurs structurés selon quatre chapitres subdivisés en thèmes : social (éducation, équité, logement, population, santé, sûreté) ; environnement (atmosphère, biodiversité, eux douces, mers, terres) ; économie (mode de consommation et de production, structures économiques) ; institutions (cadre institutionnel, potentialités des infrastructures matérielles et culturelles). Ces indicateurs sont implicitement conçus en référence aux objectifs des programmes spécifiques des Nations Unies. Au niveau régional, l’UE a élaboré une hiérarchie pyramidale d’indicateurs sur la base d’une stratégie européenne s’efforçant d’intégrer les stratégies des Etats membres (cf. infra).

12De ce cheminement des concepts aux indicateurs, on retiendra que la conception et le développement des IDD se sont pour une large part effectués dans un cadre multilatéral à partir de concepts macroscopiques ayant trait à la régulation globale d’une économie mondialisée. Cependant, l’appropriation nationale de ces concepts et les innovations en termes de comptabilité nationale apportées par certains États-Nations s’inscrivant dans le cadre de SNDD, montrent que le choix et le mode de calcul des indicateurs participent très concrètement de par leur fonction normative à la mise en place des politiques publiques.

2 – L’intégration du développement durable au sein des systèmes statistiques européens

13En tant que signataire de la déclaration de Rio, l’UE a souscrit aux engagements énoncés par l’Agenda 21, en particulier à la mise au point d’IDD (chapitre 40) afin de pouvoir coordonner les SNDD sur la base d’échanges d’information entre Etats. Ainsi, le Conseil européen de Göteborg a adopté en juin 2001 une stratégie européenne de développement durable (SEDD), explicitement mentionnée à l’article 2 du traité instituant l’UE. La SEDD, évaluée puis renouvelée par le Conseil européen de juin 2006, prévoit une batterie d’indicateurs pour en assurer le suivi et pour déterminer des priorités qui s’articulent avec la stratégie de Lisbonne. Cette batterie comporte 155 indicateurs hiérarchisés en pyramide sur 3 niveaux : le premier (thèmes) est celui de la stratégie de développement durable, soit 12 indicateurs-clés ; le second (sous-thèmes) correspond aux politiques de développement durable, soit 45 indicateurs prioritaires ; le troisième (actions) est associé aux évaluations des mesures de développement durable et à l’analyse de leurs interrelations, soit 98 indicateurs analytiques.

14Afin d’intégrer les politiques sectorielles européennes au sein de la SEDD, la task force européenne a mobilisé, outre les travaux de l’ONU (Nations Unies, 2006) et ceux de l’OCDE [11], les indicateurs structurels de la stratégie de Lisbonne et les batteries d’indicateurs spécifiques [12], en particulier ceux de la PAC (Irena), de la Santé (Echi), ceux du vieillissement (CPS), de pauvreté et d’exclusion sociale (Laeken) et l’impact des transports sur l’environnement (TERM). L’analyse de la batterie pyramidale des indicateurs européens de développement durable (IEDD) montre que les dimensions sociales et environnementales sont insuffisamment explorées. Certains thèmes (bonne gouvernance, partenariat global) sont difficiles à exploiter par la statistique publique car la méthodologie d’enquête reste à améliorer sinon pour une grande part à concevoir. Des critiques similaires sur l’insuffisante prise en compte des dimensions sociales et environnementales ont été récemment adressées à l’Inra, à propos de la « Prospective 2013 » concernant les perspectives de l’agriculture française à l’échéance de l’actuelle Politique agricole commune.

15Pour les indicateurs environnementaux, il est difficile de proposer un indicateur synthétique de la biodiversité en l’état actuel des connaissances. Ainsi, la biodiversité spécifique est mesurée par l’évaluation du stock des espèces menacées par la surpêche (indicateur prioritaire). La biodiversité écosystémique est évaluée à partir de l’évolution des populations d’oiseaux communs [13] (indicateur clé), leur raréfaction alertant sur les déséquilibres des écosystèmes qui les abritent. La mesure peut être indirecte, par exemple pour la gestion des ressources naturelles : afin de suivre la présence de polluants du sol, le système des IEDD s’appuie sur le pourcentage de la superficie totale en terres exposées au risque de contamination. Les dangers d’eutrophisation sont signalés par un indicateur d’émission de matières organiques comme demande biochimique d’oxygène des cours d’eau. L’impact des activités socio-économiques sur la diversité des paysages est mesuré par deux indicateurs basés sur l’enquête européenne Lucas [14] d’observation visuelle de points géo-référencés.

16Les travaux en cours portent sur la nécessaire intégration des IEDD à l’acquis communautaire de la statistique européenne, suite aux demandes adressées par le Conseil à Eurostat et aux instituts statistiques nationaux. En premier lieu, il conviendrait de rapprocher ces indicateurs IEDD de ceux élaborés pour l’agriculture (Irena) et de ceux élaborés pour l’industrie (indicateurs clés environnementaux de l’OCDE). En second lieu, la Commission recommande de compléter les indicateurs structurels de la stratégie de Lisbonne par 34 indicateurs environnementaux, suite à la relance de février 2005. Il y a donc une opportunité pour intégrer la stratégie de Lisbonne à la SEDD.

17Selon le rapport de la task force « la principale faiblesse [du système des IEDD] réside dans l’absence d’indicateurs mesurant à la fois la dimension sociale et la dimension environnementale ». L’adoption en juin 2006 par l’UE d’une nouvelle stratégie de développement durable a impliqué la révision des IEDD fin 2007, pour tenir compte de la reformulation de la SEDD. Cette révision a conduit la France à sélectionner 12 indicateurs « phares » dans un souci de cohérence avec les 12 indicateurs clés européens

18Cette incidence de la reformulation de la stratégie européenne sur la batterie française des indicateurs souligne que si les Etats-membres disposent d’une certaine initiative dans le cadre de leur SNDD pouvant se traduire par la promulgation d’indicateurs nationaux au rang européen, il n’en demeure pas moins que l’intégration à des ensembles économiques régionaux (UE, ALENA) contraint fortement les stratégies nationales. Nous analyserons donc à titre illustratif les spécificités nationales du système français.

3 – Système statistique français : une prise en charge tardive

3.1 – Développement des statistiques à vocation environnementale

19Si la création de l’IFEN, service statistiques ministériel (SSM) correspondant de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE), a constitué en 1991 une étape décisive dans la mise en œuvre des recommandations émises par les rapports (Gruson, 1974) puis (Ader, 1982) en matière d’information environnementale, il faut attendre la loi Barnier du 2 février 1995 pour que soient inscrits dans la législation nationale les quatre principes fondant la SNDD : prévention à la source, pollueur-payeur , participation et précaution.

20Le principe de prévention à la source implique que les SSM puissent être saisis de demande d’informations spécifiques dans les enquêtes coordonnées par le Conseil national de l’information statistique (CNIS) [15]. Le principe du pollueur-payeur, formulé par l’OCDE dès 1972, a conduit à la création d’un compte satellite relatif à l’économie de l’environnement et à l’instauration d’une Commission des comptes et de l’économie de l’environnement. La prise en compte des coûts environnementaux s’effectue par des études d’impact dans les évaluations des politiques publiques, la loi Voynet d’orientation, d’aménagement et de développement durable du territoire l’ayant imposé en juin 1999 au niveau local par une mise en œuvre sous l’égide de Conseils de développement des pays et des agglomérations.

21Le principe de participation suppose que l’accès à l’information soit facilité pour chaque citoyen : la convention d’Aarhus signée en juin 1998 dans le cadre de la Conférence économique des Nations Unies pour l’Europe, a été ratifiée par la France en octobre 2002 (loi n°2002-285).

22Enfin, le principe de précaution impose la poursuite des recherches en sciences naturelles et sociales pour aboutir à une meilleure connaissance statistique de l’état de l’environnement.

23Les travaux de l’IFEN s’articulent selon trois dimensions : l’état et l’évolution des milieux naturels et de la biodiversité ; les pressions exercées sur l’environnement par les activités économiques et humaines ; les impacts de l’environnement sur l’économie et la société. Sur une base pragmatique (sources statistiques disponibles, besoins pour l’information du citoyen et les comparaisons internationales), le groupe de travail interministériel ad-hoc piloté par le Commissariat général au Plan a retenu 45 indicateurs nationaux (IFEN, 2006) dont 12 indicateurs phares finalement sélectionnés en novembre 2006 [Services du Premier Ministre, 2006] par souci de cohérence avec les IEDD.

3.2 – L’observation du territoire

24Dans une perspective d’aménagement durable du territoire, la France s’est doté de deux observatoires à résolutions complémentaires :

  • L’enquête annuelle Teruti [16], réalisée par le service de la statistique et de la prospective (SSP) du Ministère de l’Agriculture et de la Pêche (MAP), permet de connaître et de suivre la répartition du territoire selon différents critères, à partir d’un échantillon de «points» géoréférencés où se rend un enquêteur. La nomenclature de cette enquête a été conçue originellement pour décrire l’occupation et l’utilisation des sols par l’agriculture.
  • L’inventaire Corine Land Cover[17] 2006 (CLC 2006) réalisée en France par l’Ifen sous l’égide de l’Agence européenne de l’environnement (AEE) permet d’apporter un éclairage sur les évolutions intervenues depuis 2000 en matière d’occupation de l’espace, concernant en particulier l’évaluation de la dynamique d’étalement urbain et son impact sur l’artificialisation des territoires. Le territoire est analysé à partir d’images satellitaires. À l’inverse de Teruti, la nomenclature de description (forêts, tissu urbain, milieux naturels, etc ) est limitée mais prévoit des zones mixtes (e.g. bocage) conjuguant plusieurs types d’occupation. Corine Land Cover fournit des résultats pour des unités géographiques de superficie supérieure à 25 hectares.
Répartis selon les 6 critères de gestion durable d’Helsinki [18], l’Inventaire forestier national (IFN, 2005) présente les 35 indicateurs quantitatifs adoptés à Vienne en 2003. Cette liste est complétée par 21 indicateurs spécifiques à la forêt française.

3.3 – Référentiels pour la gestion de la ressource en eau

25Suite aux nouvelles exigences de la directive cadre européenne sur l’eau du 23 octobre 2000, le système d’information sur l’eau (SIE) a succédé au réseau national des données sur l’eau mis en place à la suite de la loi sur l’eau du 3 janvier 1992. L’objectif du SIE est de faire le point sur l’ensemble des besoins de données dans ce domaine. Dans cette perspective, le Service d’administration nationale des données et référentiels sur l’eau (Sandre) a élaboré un langage commun car les acteurs sont nombreux. Ainsi, un certain nombre de référentiels géographiques sur l’eau ont vu le jour : le référentiel hydrographique des eaux douces de surface, le référentiel hydrogéologique pour les eaux souterraines, le référentiel des masses d’eau, etc.

26Les données les plus complètes concernent les surfaces irriguées, qui sont renseignées dans les recensements successifs de l’agriculture (1970, 1979, 1988, 2000), dans les sondages inter-censitaires sur la structure des exploitations agricoles (« Enquêtes Structures ») [19], ainsi qu’au travers des déclarations PAC pour les surfaces en céréales, oléagineux et protéagineux. Concernant les volumes d’eau prélevés, on ne dispose que de données fondées sur les redevances irrigation versées aux Agences de l’eau, récentes mais inégalement accessibles et étudiées. Pour les quantités apportées par hectare, les informations sont fournies par l’enquête "Pratiques culturales" du SSP (2001 et 2006), ainsi que par l’enquête annuelle sur les terres labourables, qui enregistre les apports en eau pour le maïs. Les données de prélèvement pour irrigation fournies par les Agences de l’eau sont considérées comme peu fiables avant 2000 (sous-évaluation des surfaces déclarées au forfait). Depuis, la généralisation des compteurs permet d’estimer avec plus de précision les volumes prélevés, via l’utilisation de différentes bases de données statistiques (Recensement Agricole, enquêtes « Pratiques culturales » du SSP, déclarations PAC, etc.). L’intégration des sources de données disponibles au niveau national au sein d’un même « puits de données » pourrait constituer une avancée pour l’étude des pratiques d’irrigation en France.

3.4 – Qualité des sols

27Comment aboutir à un indicateur de pression environnementale sur les sols lorsque celle exercée par la population est saisie au niveau de la commune et celle des unités de gros bétail au niveau du regroupement de communes ? Le Réseau de Mesure de la Qualité des Sols (RMQS) prélève des échantillons de sols sur plus de 2000 sites selon une grille où l’unité spatiale est assez fine (maille carrée de 16 km de côté) pour permettre une étude comparative de la répartition des pressions environnementales au niveau national et assez large pour autoriser l’agrégation des différents indicateurs. La batterie des indicateurs environnementaux est définie à partir des indicateurs européens élaborés par l’AEE et complétée au niveau national par l’IFEN et l’INRA, soit plus d’une centaine de composants. Cette batterie d’indicateurs est structurée selon le modèle « pression-état-réponse » (PSR) [20] : densité du réseau routier, population, nombre d’unité gros bétail pour la pression; teneur en carbone et texture des sols, surface drainée pour l’état ; nombre de stations de mesure de produits phytosanitaires, ou état d’avancement du RMQS pour la réponse. Le modèle PSR a été amendé par l’AEE en un modèle « force motrice-pression-état-impact-réponse » (DPSIR) [21]. La couverture complète du territoire par le RMQS est prévue pour 2009.

3.5 – Gestion des déchets

28Parmi les défis que le système statistique français s’attache à relever, figure le règlement européen 2150/2002 précisant les informations statistiques que les États membres doivent fournir sur la production, la valorisation et l’élimination des déchets. Un groupe de travail piloté par l’FENI a été constitué afin de mieux répondre aux exigences de ce règlement européen, notamment par des enquêtes auprès des entreprises du commerce et de l’industrie, des estimations dans l’agriculture et les services, une meilleure exploitation des déclarations d’entreprises sur les déchets dangereux et les installations de traitement.

3.6 – Exposition aux risques

29Autre défi, il existe une demande importante pour une meilleure connaissance des enjeux humains et économiques des zones exposées aux nuisances ainsi qu’aux risques naturels et technologiques. Il conviendrait de mobiliser le recensement de population et le répertoire SIRENE [22] des entreprises pour mieux connaître la situation des zones inondables, exposées au bruit ou aux nuisances et risques industriels. L’étude test sur l’évaluation des zones vulnérables au risque d’inondation dans le Loiret a abouti à la mise au point d’une méthodologie et d’un ensemble de traitements permettant d’estimer le nombre d’habitants et de logements présents en zone inondable, selon que la commune est couverte ou non par le Répertoire des immeubles localisés (RIL) de l’INSEE. Dans les communes de plus de 10 000 habitants pour lesquelles le RIL est disponible, ces données administratives permettent alors de caractériser les populations (pyramide des âges, distribution des catégories socioprofessionnelles, …) et les cibles de la protection civile (zones résidentielles, activités économiques, équipements publics, …).

30Enfin, la connaissance des flux de matières et de la productivité des ressources prend une importance croissante dans le contexte international. En témoignent les efforts de promotion menés par l’OCDE et Eurostat. Les premières estimations pour la France devraient être disponibles fin 2007. En 2008, l’IFEN sera impliqué dans la fourniture biannuelle de matrices NAMEA, suivant la recommandation d’Eurostat.

4 – Vers des indicateurs individuels de durabilité pour l’exploitation agricole

31Depuis la réforme de 2003, l’écoconditionnalité est devenue l’instrument central de la politique des marchés et des revenus au sein de la PAC. Face aux défis que doit relever l’agriculture française en la matière, le programme « Agriculture et développement durable » (ADD) [23] souligne que l’exploitation agricole constitue une entité privilégiée en tant que point d’application des politiques publiques et des mécanismes de marché.

4.1 – Les enseignements de l’expérience IDERICA

32L’Etude prospective sur la caractérisation et le suivi de la durabilité des exploitations françaises (IDERICA) constitue la première mesure de la durabilité à partir d’informations individuelles sur les exploitations agricoles, extraites du Réseau d’information comptable agricole (RICA) et du Recensement de l’agriculture (RA) pour l’année 2000. Pour quantifier la durabilité des exploitations françaises à l’échelle nationale, cette étude s’appuie la méthode IDEA (Educagri, 2003) En correspondance avec les dimensions environnementales, économique et sociale du développement durable, la méthode IDEA comporte trois échelles indépendantes d’indicateurs : agro-écologique, socio-territoriale, économique. Ces trois échelles notées sur 100 points sont subdivisées chacune en trois voire quatre composantes regroupant de 1 à 7 indicateurs élémentaires. Ces indicateurs prennent une valeur comprise entre 0 (faible durabilité) et une note maximale (excellente durabilité) spécifique à chacun d’eux.

33Si l’analyse univariée des scores IDERICA menée [Girardin, 2004] a montré que la durabilité des exploitations au sein de chaque orientation technico-économique (OTEX) et de chaque région est importante, l’analyse des correspondances multiples (ACM) des scores (Desbois et Adam, 2007) révèle que leur distribution dans l’univers des exploitations agricoles françaises s’organise selon deux facteurs majeurs : le premier opposant durabilité agro-environnementale et économique, le second opposant cultures temporaires et permanentes. Sur la base des scores moyens pour chacune des OTEX, la classification ascendante hiérarchique permet de proposer une typologie des exploitations agricoles en 5 classes (grandes cultures, granivores, herbivores allaitants, maraîchage et horticulture, cultures permanentes) sous forme de grandes OTEX (GOTEX). Les analyses complémentaires effectuées pour chacune des GOTEX considérées suggèrent qu’à partir d’une pondération appropriée de la batterie des scores, on peut construire un indicateur de durabilité spécifique à chaque système productif. Ainsi, la variabilité individuelle des scores se décompose selon un facteur général fonction du profil productif de l’exploitation et des facteurs spécifiques aux différents systèmes productifs.

Tableau 1

Les composantes de la durabilité des systèmes agricoles selon les échelles d’IDEA

Tableau 1

Les composantes de la durabilité des systèmes agricoles selon les échelles d’IDEA

34L’approche micro-économique basée sur les indicateurs IDERICA permet d’apprécier, à travers la variabilité des mesures individuelles, les progrès qui peuvent être accomplis par certaines catégories d’exploitants agricoles. Ainsi, certains groupes comme le Réseau d’Agriculture Durable [24] proposent leur propre méthode d’évaluation de la durabilité en cohérence avec leur cahier des charges. Les indicateurs étant associés, dans leur définition ou leur normalisation, à des mesures de politique publique ce type de démarche restitue l’initiative aux opérateurs économiques afin de susciter des dynamiques d’appropriation des réformes souhaitées.

4.2 – Le problème du couplage des dispositifs de mesure à différentes échelles territoriales

35IDERICA doit être considérée comme une première étape en matière d’appréciation de la durabilité des exploitations agricoles. En effet, la méthodologie IDEA se réfère explicitement à un modèle familial et diversifié de l’exploitation agricole en polyculture-élevage [25] susceptible d’être remis en cause. D’autre part, la sélection asymétrique de certains indicateurs suggère un biais protectionniste.

36Cependant, les sources statistiques mobilisées ne suffisent pas pour exploiter pleinement la méthodologie IDEA. En outre, l’échantillonnage du RICA, conçu pour assurer une représentativité statistique au niveau II de la NUTS [26] (région), est insuffisant pour agréger ces mesures de la durabilité au niveau territorial le plus adéquat qui pourrait être celui de la micro-région. En France, la définition de la petite région agricole [27] est inchangée depuis 1955 : l’utilisation de méthodes multivariées pour définir des agrégats spatiaux [28] permettrait de définir des zonages territoriaux à vocation agricole [29] prenant en compte des objectifs environnementaux. Cependant, une mesure territorialisée de la durabilité des exploitations agricoles suppose l’adaptation et le couplage des dispositifs d’enquête existants (e.g. RICA et l’Enquête Structure), la mobilisation de données administratives et la mise en œuvre d’enquêtes technico-économiques complémentaires. Des sondes sur la gestion des intrants permettraient d’établir des bilans azote-potassium-phosphore, gaz carbonique et énergie, voire d’analyser les fréquences d’usage des produits phyto-sanitaires. Du point de vue de la durabilité économique, l’analyse des trajectoires et du fractionnement juridique des exploitations est recommandée (SCEES, 2007). Certains indicateurs de durabilité supposent le recours à une enquête spécifique auprès d’agriculteurs. Pour autant, à partir de modélisations des processus économiques, biotechniques et environnementaux qui les génèrent, on peut élaborer certains proxys par identification de relations statistiques robustes entre des indicateurs fournis par les données d’enquêtes et des indicateurs issus des statistiques officielles. Dans l’attente de la production de nouvelles données lors du prochain recensement de l’agriculture en 2010, nous envisageons l’analyse de la variabilité temporelle des indicateurs IDERICA de l’échelle de durabilité économique sur la base des informations fournies par le RICA.

5 – Mesurer la durabilité : de futurs défis pour les systemes statistiques

5.1 – Assumer le développement communautaire des statistiques environnementales

37Même si les engagements budgétaires, pris par le Conseil européen en décembre 2005 sur la période 2007-2013 n’ont pas atteint le niveau souhaité par la Commission pour financer le second pilier de la PAC consacré à l’environnement et au développement rural, de nouvelles orientations sont progressivement mises en œuvre pour préserver les ressources naturelles (réduction des phytosanitaires et engrais, économie d’eau et d’énergie, gestion de la biodiversité), et limiter les risques alimentaires (e.g. mycotoxines, résidus vétérinaires ou phytosanitaires). Ainsi, à la suite du règlement statistique européen sur les déchets, un nouveau règlement sur la commercialisation et l’usage des pesticides pourrait être adopté en 2008 et susciter des travaux en 2009. L’année 2008 sera également celle de la première fourniture de comptes de flux matières, conformément à la nouvelle réglementation Eurostat.

5.2 – Suivre l’adaptation de l’agriculture aux changements climatiques

38Sur longue période, parmi les déterminants de l’évolution du secteur agricole, on peut citer les innovations technologiques notamment en biotechnologies, l’internationalisation croissante des marchés agricoles, l’industrialisation et la tertiarisation de l’agriculture (intégration verticale, contractualisation dans les filières, développement de la dimension servicielle), la multifonctionnalité de l’agriculture (impact environnemental, production de biens publics) et, préoccupation plus récente, le changement climatique.

39En effet, le GIEC [30] prévoit une augmentation de la variabilité du climat, considérant comme probable l’accroissement des risques de sécheresse estivale sur la plupart des zones terrestres continentales de moyenne altitude. Compte tenu de ce diagnostic, l’adaptation de l’agriculture au changement climatique devient une question moins lointaine.

40L’expertise scientifique « Réduire la vulnérabilité de l’agriculture à un risque accru de manque d’eau », commanditée par le MAP et pilotée par l’INRA, signale l’absence de bases de données restreignant l’utilisation des modèles de culture pour les simulations. Le rapport d’expertise recommande l’établissement du bilan hydrique des bassins versants à partir des croisements {sols} x {climats} x {systèmes de culture} les plus plausibles, avec des études micro-économiques portant en priorité sur le rapport coûts/bénéfices de l’irrigation et sur la maîtrise économique des choix de systèmes de culture et d’équipements techniques de périmètre irrigués. La collecte et la gestion des informations nécessaires à de telles études sont du ressort de systèmes d’informations géographiques à déployer dans les régions méridionales. En outre, cette expertise reconnaît que l’insuffisante intégration des sources de données disponibles au niveau national en matière d’irrigation ne facilite pas l’étude des pratiques. Ainsi, les données de prélèvement pour irrigation issues des Agences de l’Eau sont à prendre avec précaution en raison d’une couverture non exhaustive. La généralisation des compteurs volumétriques permettra à l’avenir de fournir des évaluations plus détaillées.

41Des approches fondées sur le couplage de modèles biophysiques (modélisation de la croissance des plantes) et économiques (optimisation du comportement des agriculteurs) permettent d’étudier l’adaptation de certains types d’agriculture au risque de sécheresse, tant sur le court que sur le long terme (Reynaud, 2006).

5.3 – Réduire l’exposition des producteurs agricoles aux aléas

42En France, le système de protection contre les calamités agricoles datait des lois d’orientation agricoles (LOA) de 1960, 1962 et d’une loi spécifique de 1964. Depuis, nature des risques et réalités économiques ont évolué : intensification et spécialisation des exploitations les exposent à des risques plus importants ; risques sanitaires (fièvre catarrhale, grippe aviaire) et risque économique s’accroissent en raison de la mondialisation et de la dérégulation des marchés agricoles. Partant de ce constat, la LOA du 5 janvier 2006 a renforcé la capacité des entreprises à se prémunir en adaptant le cadre législatif pour que l’assurance-récolte soit généralisable à l’ensemble des productions agricoles sur le territoire national.

43La détermination des niveaux de prime et d’indemnisation suppose de pouvoir livrer rapidement des estimations fiables concernant surfaces, rendements et prix observés. D’autant que les pertes économiques relatives à ces aléas peuvent être importantes : lors de la sécheresse 2003, les pertes des producteurs sont estimées à 13 milliards d’€ pour l’ensemble de l’UE et à 4 milliards d’€ pour la France.

44Pour l’estimation du montant d’indemnisation des pertes liées à la sécheresse 2003 en France, le dispositif statistique du MAP a été mis à contribution. L’enquête Teruti a été utilisée pour l’estimation des surfaces conjointement à une enquête sur les rendements moyens constatés après récolte portant sur 9 000 exploitants, en plus de la mobilisation de données issues des répertoires administratifs. En 2004, Teruti est passée de 555 000 à 155 000 points d’observation, tout en gardant un niveau de précision des estimations de surfaces satisfaisant puisque les 35 postes majeurs de la nomenclature physique détaillée enregistrent une erreur relative inférieure à 5 %, ces postes couvrant 95 % du territoire national en 2004. Ainsi, l’introduction d’innovations méthodologiques pour une utilisation optimale des moyens dévolus à la statistique publique permet-elle de réaliser de substantielles économies.

45Dans le cas d’une assurance récolte couvrant la variabilité des rendements pour un produit agricole, l’étude des propriétés statistiques d’un tel produit d’assurance (moyenne et variance des indemnités, corrélation des indemnités individuelles) suppose de disposer de rendements de référence sur une base temporelle adéquate et pour un niveau assez fin de découpage territorial ainsi que des rendements individuels issus d’un échantillon constant d’exploitations agricoles sur la période de référence. Ces informations statistiques ont été fournies par le RICA aux opérateurs sur ce marché de l’assurance.

46Qu’il s’agisse de la prévention du risque ou bien de la réponse à sa réalisation, ces exemples montrent que les services statistiques agricoles sont mobilisés en périodes de crise pour assurer la disponibilité de données objectives et directement utilisables. Le développement de la statistique publique peut ainsi influencer de manière significative les modalités de couverture du risque. En effet, les asymétries d’information ont été identifiées comme l’un des principaux obstacles au développement des systèmes d’assurance-récolte. Ce contexte plaide donc pour un renforcement des capacités des systèmes publics de statistique afin de permettre aux autorités et opérateurs concernés par ces risques d’assumer leurs missions et respectivement leurs rôles.

5.4 – Réconcilier l’agriculture européenne avec la société : Le cadre de la multifonctionnalité

47La multifonctionnalité peut être vue comme un cadre conceptuel susceptible de favoriser l’accroissement de la durabilité en contribuant aux objectifs-clés de la SEDD : développement régional équitable, sécurité alimentaire et sanitaire, conservation des ressources naturelles, diversification des revenus en milieu rural et durabilité globale.

48Emergeant des négociations multilatérales au sein de l’OMC sur le commerce des produits agricoles durant les années 80, la notion de multifonctionnalité a mobilisé une attention croissante au cours de la dernière décennie dans les discussions portant sur les changements d’orientation des politiques agricoles. La multifonctionnalité intervient dans la problématique du développement durable au cœur des ajustements qui s’opèrent entre les complexes productifs et les demandes sociales, le lien entre multifonctionnalité et durabilité s’établissant du fait des impacts que les activités peuvent avoir sur les ressources. De ce point de vue, la multifonctionnalité fournit un cadre analytique permettant de rendre opérationnelle la notion de durabilité à partir des fonctions remplies par l’agriculture.

49Le cadre analytique permet de préciser les fonctions à partir de la demande sociale et de la combinaison des activités. L’étude des attributs systémiques concernés par ces fonctions (par exemple au niveau de l’exploitation agricole, la production, le tourisme et la protection de la ressource en eau) devraient permettre d’évaluer les modifications intervenant dans la combinaison d’attributs concernée, de simuler l’impact qu’un changement de politique pourrait induire sur ces combinaisons, et donc d’explorer un ensemble d’infléchissements potentiels tout en répondant à la question normative sur les seuils d’alerte ou de performance.

Figure 1

Relations entre durabilité et multifonctionnalité (d’après Cairol [2006])

Figure 1

Relations entre durabilité et multifonctionnalité (d’après Cairol [2006])

50Selon Stiglitz (1998) « Actions which increase participation in the political process should be encouraged, those which decrease it should be discouraged ». La cohérence entre les IDD et les mesures instituées par les politiques publiques facilite l’appropriation des objectifs de réforme par les agents économiques, en particulier pour les mesures du second pilier de la PAC qui supposent leur adhésion volontaire au dispositif. En cela, participant d’une gouvernance légitimée par une rationalité procédurale fondée sur la communication (Habermas, 1987), le développement d’indicateurs micro-économiques de durabilité dans le secteur agricole doit être poursuivi.

Bibliographie

Références bibliographiques

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  • HABERMAS J., Théorie de l’agir communicationnel, Tome 1 Rationalité de l’agir et rationalisation de la société, Fayard, 1987.
  • GIRARDIN P., MOUCHET C., SCHNEIDER F., VIAUX P., VILAIN L., BOSSARD P., IDERICA, étude prospective sur la caractérisation et le suivi de la durabilité des exploitations agricoles françaises, Direction des Affaires Financières, 72 p., http://agriculture.gouv.fr/sections/thematiques/exploitations-agricoles/exploitations-agricoles/, 2004.
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  • WORLD DEVELOPMENT INDICATORS, http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/DATASTATISTICS, 2007.

Notes

  • [1]
    Ce travail a bénéficié du soutien financier de l’ Agence Nationale de la Recherche au titre du projet Impacts du programme Agriculture et Développement Durable (ANR-05-PADD-Impacts).
  • [2]
  • [3]
    Le PIB ne prend pas en compte l’épuisement des ressources naturelles et les dégradations de l’environnement dues aux activités de production et de consommation. En outre, les dépenses « défensives » consacrées à la protection de l’environnement induisent un accroissement du PIB. De même, les restaurations mêmes partielles d’un environnement dégradé conduisent à une augmentation artificielle du PIB. Afin de prendre en compte ces effets, deux corrections du PIB ont été proposées : i) le Pib minoré de la dépréciation du capital naturel, qualifié de PIB « vert » ; ii) le PIB « vert » minoré des dépenses restauratrices et défensives, qualifié de PIB « soutenable ».
  • [4]
    L’épargne nette ajustée se définit comme l’épargne nette accrue des dépenses d’éducation mais diminuée de la consommation de capital fixe et des dommages aux ressources naturelles (e.g. production de gaz à effet de serre). Cet ajustement aboutit à une estimation pouvant représenter seulement la moitié de l’épargne monétaire (Esty, 2001).
  • [5]
    L’empreinte écologique mesure pour un individu ou une population la surface nécessaire à la production des principales ressources consommées par cette population et à l’absorption des déchets (Rees, 1992).
  • [6]
    Depuis le premier rapport sur le développement humain en 1990, le PNUD propose une famille d’indicateurs composites permettant une évaluation des progrès du développement humain par pays : l’indicateur du développement humain (HDI), l’indicateurs de pauvreté humaine décliné en deux versions (l’une HPI1 pour les pays en développement, l’autre HPI2 pour les pays développés), l’indicateur mesurant l’inégalité de genre (GDI) et la mesure de la responsabilisation des femmes (GEM) http://hdr.undp.org/hdr2006/statistics/indices.
  • [7]
    L’Environmental Sustainability Index (ESI), initiative conjointe du Yale Center for Environmental Law and Policy (YCELP) et du Center for International Earth Science Information Network (CIESIN) de l’Université Columbia, évalue pour 146 pays selon 21 critères « la capacité à protéger l’environnement dans les prochaines décennies ». Dans cette évaluation, publiée au Forum économique mondial 2005 à Davos, la première place va à la Finlande et la dernière à la Corée du Nord.
  • [8]
    System of integrated Environmental and Economic Accounting
  • [9]
    National Accounting Matrix including Environmental Accounts
  • [10]
    Material Flow Accounts (MFA), cf. Nations-Unies (2001).
  • [11]
  • [12]
  • [13]
    Programme STOC, suivi temporel d’oiseaux communs : alouettes, passereaux, et autres espèces endémiques d’oiseaux des champs.
  • [14]
    Land Use/Cover Area frame Statistical survey (http://dataservice.eea.europa.eu/dataservice)
  • [15]
    Cf.http://www.cnis.fr.
  • [16]
  • [17]
  • [18]
    Conférence ministérielle pour la protection des forêts en Europe (1993). Ces critères sont : i) conservation et amélioration appropriée des ressources forestières et de leur contribution aux cycles mondiaux du carbone ; ii) maintien de la santé et de la vitalité des écosystèmes forestiers ; iii) maintien et encouragement des fonctions de production des forêts (bois et non bois) ; iv) maintien, conservation et amélioration appropriée de la diversité biologique dans les écosystèmes forestiers ; v) maintien et amélioration appropriée des fonctions de protection dans la gestion des forêts (notamment sol et eau) ; vi) maintien d’autres bénéfices et conditions socio-économiques.
  • [19]
  • [20]
    Pour « Pressure-State-Response » http://www.oecd.org/env/.
  • [21]
    Pour « Driving Forces-Pressure-State-Impact-Response ».
  • [22]
    Système national d’identification des personnes physiques et morales et de leurs établissements.
  • [23]
    ADD est un programme fédérateur de l’Agence nationale de la Recherche http://www.agence-nationale-recherche.fr.
  • [24]
  • [25]
    cf. http://www.idea.portea.fr, la définition de l’exploitation durable par IDEA est empruntée à Landais (1998).
  • [26]
    Nomenclature des unités territoriales statistiques (http://ec.europa.eu/eurostat/ramon/nuts/).
  • [27]
    La PRA, formant une zone agricole homogène, est constituée par le croisement du département et de la région agricole (RA). La France métropolitaine est découpée en 713 PRA.
  • [28]
    Sur l’utilisation de méthodologies multivariées dans la conception de zonages agricoles, cf. l’illustration en Bourgogne donnée par [Desbois et Hilal, 1998].
  • [29]
    Sur cette problématique de zonage, voir Hilal et Desbois (1996).
  • [30]
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